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MÉDÉE CHERUBINI Opéra SAISON 17-18 Fiche pédagogique

CHERUBINI MÉDÉE - operaderouen.fr · Sénèque, Corneille, Anouilh, Müller, Rouquette, Wolf, Quignard, Loher, difficile de dresser une liste exhaustive tant ce mythe intrigue,

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MÉDÉE CHERUBINI

OpéraSAISON 17-18

Fiche pédagogique

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Photo de couverture Gilles Abegg - Opéra de DijonParution Avril 2018

SAISON 17-18 OPÉRA

MÉDÉE

Fiche pédagogique

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MÉDÉE

INFORMATIONS GÉNÉRALES

Fiche pédagogique 3 Opéra de Rouen Normandie

Bienvenue à l’Opéra de Rouen Normandie !

Vous trouverez dans cette fiche pédagogique des éléments vous permettant d’aborder ce spectacle avec vos élèves en amont de votre venue au Théâtre des Arts.

Recommandations

• L’effectif de la classe comprend les élèves et les adultes.

• Les élèves sont sous la responsabilité des enseignants et des accompagnateurs. Nous vous remercions de rester près d’eux afin de veiller à la bonne écoute du spectacle et au respect de tous pendant la représentation.

• Le spectacle commence à l’heure indiquée. Nous vous remercions d’arriver 30 minutes avant le début du spectacle afin d’avoir le temps de vous installer en salle.

• Sont interdits dans la salle : les boissons et nourriture, les photographies et tout type d’enregistrement.

Nous vous souhaitons une bonne représentation !

Contact Enza HiesseChargée des actions pé[email protected]

L’Opéra de Rouen Normandie est subventionné par la Région Normandie, la Ville de Rouen, le Ministère de la Culture et de la Communication DRAC Normandie et la Métropole Rouen Normandie.

Président Hervé MorinVice Président Yvon RobertDirecteur Loïc Lachenal

Production

Opéra-comique (tragédie) en 3 actesMusique de Luigi CherubiniLivret de François-Benoît Hoffmann Création au Théâtre Feydeau de Paris le 13 mars 1797

Durée 2h45, entracte comprisLivret en français, spectacle surtitré en françaisCoproduction Opéra de Dijon, Opéra de Rouen Normandie Distribution

Direction musicale Hervé NiquetMise en scène Jean-Yves Ruf assisté de Anaïs de CoursonScénographie Laure PichatCostumes Claudia JenatschCoiffure et maquillage Cécile KretschmarLumières Christian DubetSon Jean-Damien Ratel en collaboration avec David Jackson

Médée Tineke van IngelgemJason Gilles RagonCréon Jean-Marc SalzmannDircé Juliette AllenNéris Yete QueirozPremière Suivante de Dircé Liesbeth DevosDeuxième Suivante de Dircé Inès Berlet

Orchestre de l’Opéra de Rouen NormandieChœur accentus / Opéra de Rouen Normandie

Dates du spectacle

Rouen, Théâtre des ArtsMardi 22 mai 2018, 20hVendredi 25 mai 2018, 20hDimanche 27 mai 2018,16h

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MÉDÉE

I. LE MYTHE DE MÉDÉE

Fiche pédagogique 4 Opéra de Rouen Normandie

L'importance de Pierre Corneille

Le mythe de Médée a inspiré de nombreux auteurs à travers les siècles, notamment après Médée de Pierre Corneille, représentée pour la première fois en 1635. Dans cette pièce de théâtre l’auteur s’appuie sur les écrits de Sénèque et d’Euripide. En 1660, Corneille présente La Toison d’or, pièce également inspirée du mythe de la magicienne. Grâce à ces deux œuvres, Corneille restaure et actualise le mythe de Médée.

Sur la scène lyrique, Pierre Quinault et Jean-Baptiste Lully créent Thésée en 1675. Cette tragédie reprend les événements qui ont frappé Médée à Athènes à la suite des épisodes de Corinthe et Colchide représentés par Corneille. En 1693, on retrouve Médée de Marc-Antoine Charpentier sur un livret de Thomas Corneille (le frère cadet de Pierre), puis Jason, ou la Toison d’or de Pascal Colasse et Jean-Baptiste Rousseau en 1696. En 1713, Joseph-François Salomon fait représenter à l’Académie royale de musique Médée et Jason sur un livret de l’abbé Pellegrin. Des parodies voient également le jour comme Thésée de Favart, Parvy et Laujon présentée à l'Opéra-Comique en 1745.

C'est en 1797 que Cherubini présente sa version de Médée.

L'opéra de Luigi Cherubini (1760-1842)

Maria Luigi Carlo Zenobio Salvatore Cherubini, plus communément appelé Luigi Cherubini, nait à Florence en 1760. Il commence par étudier la musique à Bologne, puis à Milan. Entre 1785 et 1787, plusieurs de ces œuvres sont jouées à Londres, notamment King’s Theatre, composée sur commande royale. Puis Cherubini s’installe à Paris où il dirige la troupe lyrique italienne "Le Théâtre de Monsieur" de 1789 à 1792. En présentant Médee en 1797, il signe la naissance du drame romantique. Par la suite, Cherubini se tourne vers la musique religieuse. Ses compositions rencontrent alors un vif succès, notamment son Requiem en ut mineur, à la mémoire de Louis XVI. En1822, Cherubini est nommé directeur du Conservatoire de Paris. A partir de 1837, il se consacre à l’enseignement au sein du même Conservatoire. Lors de ses funérailles nationales en 1822, on joue son Requiem en ut mineur.

Cherubini en 5 oeuvres

1780 : Il Quinto Fabio, son premier opéra 1797 : Médée, opéra1805 : Faniska, opéra 1809 : Messe en fa à trois voix1816 : Requiem en ut mineur

Pierre Corneille

Luigi Cherubini © Marie Alexandre Alophe

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MÉDÉE

II. L'ARGUMENT DE L'OPÉRA

Fiche pédagogique 5 Opéra de Rouen Normandie

Résumé

Par amour pour Jason, Médée la magicienne, fille du roi Éétès de Colchide, a trahi les siens. Par ses sortilèges, elle a d’abord aidé Jason à remporter les épreuves imposées par Éétès pour conquérir la Toison d’Or. Puis, pour couvrir leur fuite et retarder leurs poursuivants, elle a assassiné son jeune frère, qu’elle a découpé en morceaux semés derrière elle. De retour à Iolcos, patrie de Jason, elle l’a aidé à venger le meurtre de son père le roi en faisant tuer son usurpateur par les propres filles de ce dernier. Forcés à l’exil, les deux amants et leurs deux enfants trouvent refuge à Corinthe, où règne Créon. Jason la répudie alors et s’apprête à épouser la fille de Créon, Dircé.

Acte I

Dans le palais de Créon, les préparatifs pour les noces battent leur plein. Dircé exprime cependant sa crainte de voir un jour Jason l’abandonner comme il a abandonné Médée, dont elle redoute la vengeance. Ses suivantes, tout comme son père Créon et Jason, s’efforcent de la rassurer. Alors que la troupe des Argonautes vient de déposer à ses pieds la Toison d’Or, Médée apparaît. Elle demande d’abord à Jason de retourner auprès d’elle, puis menace Créon de sa vengeance s’il bénit un mariage adultère. Créon refuse et Jason la repousse. Médée leur promet alors de terribles représailles.

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon

Acte II

Médée invoque les Erinnyes, déesses infernales de la vengeance. Sa suivante Néris tente de la convaincre de fuir Corinthe avant que n’éclate la colère de Créon, qui arrive. Médée refuse et attend le Roi avec détermination. Ce dernier lui notifie son bannissement de Corinthe : elle doit quitter la ville sur l’heure. En invoquant sa situation d’épouse abandonnée et de mère bientôt privée à jamais de ses enfants, elle parvient à faire fléchir sa fureur et obtient un jour de délai avant son départ. Un noir dessein semble poindre dans le cœur de Médée, restée seule avec Néris. Jason vient à son tour à sa rencontre et tente de justifier sa conduite en arguant du bien-être et de l’avenir des enfants. Médée s’efforce à nouveau, en vain, de le faire revenir sur sa décision en lui rappelant leur passé commun. Elle obtient cependant que Jason lui laisse leurs enfants jusqu’à son départ en exil. Elle confie alors à ces derniers le soin d’offrir un diadème à Dircé, en gage de paix, tandis que passe au loin le cortège qui rejoint le temple pour la bénédiction des futurs époux.

Acte III

Seule, Médée rumine son destin et ses crimes passés. Néris lui amène ses enfants pour un dernier adieu. De funestes pensées agitent Médée, prise entre son désir de faire souffrir Jason et son amour maternel. Néris revient et annonce que le diadème offert à Dircé, ensorcelé, est en train de causer sa mort. Ivre de savourer sa vengeance réussie, Médée supplie Néris d’éloigner d’elle ses enfants. Néris les cache dans le temple. Médée prie à nouveau les Erinnyes de lui donner la force d’aller jusqu’au bout de sa vengeance contre Jason. Au milieu du tumulte causé par la découverte du corps de Dircé, elle se glisse dans le temple armée d’un poignard. Jason paraît, à la recherche du seul bien qui lui reste, ses enfants. Médée surgit hors du temple, accompagnée des Erinnyes, et lui annonce son dernier forfait : les enfants ne sont plus, tués de sa main. Les Erinnyes la saisissent et l’entraînent dans les profondeurs où son ombre attendra celle de Jason, tandis qu’un violent cataclysme détruit le temple et ce qui l’entoure.

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon

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MÉDÉE

III. LA DISTRIBUTION

Fiche pédagogique 6 Opéra de Rouen Normandie

Médée_

Tineke van Ingelgem

Soprano

Créon_

Jean-Marc Salzmann

Baryton

Néris _

Yete Queiroz

Mezzo-soprano

Jason_

Gilles Ragon

Ténor

Dircé_

Juliette Allen

Soprano

Première suivante de Dircé_

Liesbeth Devos

Soprano

Hervé Niquet-

Chef d'orchestre

Deuxième suivante de Dircé_

Inès Berlet

Mezzo-soprano

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MÉDÉE

IV. LA MISE EN SCÈNE

Fiche pédagogique 7 Opéra de Rouen Normandie

Note d’intention de Jean-Yves Ruf

Cherubini écrit Médée en 1797 sur un livret français de François-Benoît Hoffmann, qui alterne parties musicales et scènes parlées. Cet opéra dramatique trouvera en 1909 une seconde vie dans une version italienne avec récitatifs accompagnés sous le titre de Medea.

Nous avons choisi la version française d’origine, qui nous semble plus épurée, plus tendue, et plus étonnante. L’alternance des scènes chantées et des scènes parlées crée des espaces inhabituels à l’Opéra, des trouées dans le tissu musical, des possibilités de mise en écho entre deux plans différents. En ce qui concerne les scènes parlées, nous avons choisi de ne pas garder les alexandrins d’Hoffman, mais de les réécrire en prose, dans un langage plus direct, afin de trouver un contrepoint plus fort entre les deux plans.

J’ai demandé à un créateur son d’imaginer des atmosphères en partant de la musique de Cherubini, comme si l’on utilisait la résonance de la musique et qu’on la faisait perdurer sous une autre forme, en creux.

Le mythe de Médée a été visité par nombre d’écrivains, Euripide, Sénèque, Corneille, Anouilh, Müller, Rouquette, Wolf, Quignard, Loher, difficile de dresser une liste exhaustive tant ce mythe intrigue, fascine et interroge. Une série de fuites ponctuées d’une série de meurtres.

L’opéra est centré autour du meurtre des enfants, mais ce n’est pas le premier. Une amante éperdue tue son frère pour protéger la fuite de son aimé. Puis tue l’oncle de son amant pour le punir de sa trahison. La même devenue mère et se voyant abandonnée tue ses deux enfants par vengeance et désespoir. Si Médée est la petite-fille du Soleil, redoutable magicienne dont on craint les pouvoirs, si elle est une mère aimante qui n’imagine pas partir en exil sans ses enfants, elle est d’abord une grande amoureuse, capable de quitter son pays, de trahir son père et de tuer son propre frère. Elle aime à corps perdu, sans compromis, sans limite. Comment ne pas l’admirer au-delà ou en-deçà de toute morale commune ? Comment ne pas la craindre, et dans le même temps comment ne pas la plaindre ?

Oui cette figure est complexe, impossible de la penser d’un bloc, de la réduire à une certitude rassurante. Plus j’entre dans les lignes de l’œuvre plus je sens à quel point elle s’adresse et touche nos régions les plus profondes et secrètes. Médée revient à Corinthe demander justice, au nom des Dieux justes. Elle a suivi Jason et fondé une famille, tous deux ont trouvé asile chez le Roi Créon. Elle pouvait espérer trouver enfin un endroit où poser sa tête. Mais Jason s’est laissé tenter par les sirènes du pouvoir, il veut un destin, une place dans le monde, pour lui et ses enfants. Et ce sera sans Médée, trop étrange, trop étrangère, trop compromise. Il faudrait qu’elle comprenne les raisons de Jason, qu’elle accepte une conciliation. Impossible pour l’amoureuse qu’elle est et restera.

Du projet à la création

Voici une vidéo de présentation du spectacle, tournée lors de sa création à l’Opéra de Dijon.

https://www.youtube.com/watch?v=tvZMb9BiGfM

Étymologiquement Médée signifie celle qui médite. Acculée, exilée, chassée, elle quittera la pensée apollinienne qu’elle appelait de ses voeux pour descendre dans des méditations chtoniennes, de celles, sourdes et obscures, qui ne trouvent plus de frontières, qui osent transgresser les limites du pensable. Et c’est bien ce qui nous fascine chez elle, la fidélité inébranlable à un monde unique, sans issue possible, où Jason est avec Médée. En tuant la nouvelle épouse de Jason, en tuant les enfants de Jason – qui sont les siens – elle recrée un monde où tous deux sont de nouveau dans le même monde, celui des errants, des esseulés, des condamnés.

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon

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Jean-Yves Ruf © Olivier Roller

MÉDÉE

V. ENTRETIEN AVEC JEAN-YVES RUF (1/3)

Fiche pédagogique 8 Opéra de Rouen Normandie

Vous avez choisi de réécrire les textes parlés, originellement en alexandrins. Quelle a été la raison de cette démarche ?

On s’aperçoit à l’écoute du peu d’enregistrements disponibles de cette version originale de Médée que ces textes parlés « ronflent » assez facilement, c’est-à-dire sont prononcés sur ce ton monotone et déclamatoire qu’on met souvent dans l’alexandrin. Pour des comédiens aguerris, il est déjà compliqué de rendre l’alexandrin naturel, et cela demande un temps de répétition que nous n’avons pas à l’opéra, où les chanteurs sont d’abord requis à la musique et au chant. Bien sûr, l’alexandrin est quelque chose de très beau, mais pour atteindre des intensités contemporaines dans une langue aussi complexe, du point de vue de la grammaire comme du vocabulaire, il faut pouvoir s’y consacrer à plein temps. Cela me semblait donc particulièrement risqué, et de nature à menacer le reste du travail. C’est donc avant tout pour des questions pratiques. Nous n’avons pas tenté une vulgarisation ou une simplification du texte, nous avons cherché à faire un récit qui se tient et reprend l’essentiel du contenu du texte d’origine. La musique de Cherubini est très tendue, très intense, et les scènes parlées permettent d’ouvrir un peu cet espace, d’introduire une dimension plus intérieure.

On a aussi le sentiment que cela vous a permis d’aller plus « à l’os », au plus près de l’action et de son intensité ...

C’est vrai que cela nous a permis de donner de manière plus aiguë et plus nerveuse cette couche « horizontale », le fait divers d’un couple qui se sépare et doit se partager les enfants. On sait comment cela finit. Mais c’est quelque chose qu’on reconnaît immédiatement, qui fait partie de nos vies. En passant par une écriture plus contemporaine, par des silences, cela donne une immédiateté plus grande à ces deux corps qui se débattent dans une pièce. Mais je n’ai pas voulu supprimer du texte parlé toutes les références à la dimension « verticale », aux dieux et aux Erinnyes, parce qu’elle est très présente dans la partition de Cherubini.

Comment envisagez-vous les relations entre les personnnages principaux?

J’ai choisi de ne pas considérer Jason sous le seul angle de la lâcheté, mais d’en faire quelqu’un d’encore amoureux, et de fasciné par Médée. Sauf que Médée est d’une telle force, d’une telle entièreté dans son désir, qu’il n’est simplement pas capable de faire face. Mais il est déchiré. Quand il est avec Médée, c’est moins simple que quand il pense à elle. Quand il est avec elle, elle a une telle force mentale et physique qu’elle arrive à trouver où enfoncer son coin, à le faire plier, à le rendre fou, fou de douleur et de désir. Elle n’arrive pas à aller jusqu’au bout, à lui faire prendre la dernière décision, à lui faire faire le choix d’abandonner Dircé et le monde de Créon et de la suivre, mais elle y est presque.

Dircé est sans doute quelqu’un qu’il pense arriver à dominer, même si on s’aperçoit qu’elle a aussi son caractère. C’est un désir plus reposant, moins tiraillant, plus confortable sans doute, sans que ce soit du tout péjoratif. Mais elle représente aussi un certain agencement du désir où se mêlent inconsciemment plusieurs choses : avec elle, il trouve une famille, une protection pour ses enfants, une lignée, le pouvoir. Tout ça fait partie de son désir pour elle.

Mais cette Dircé, à qui on assigne une place et un rôle, a une sensibilité, une conscience et une liberté qui vient mettre de la tension dans le premier acte. Elle a une intuition très forte que ce mariage est un enjeu qui la dépasse, elle le désir et en même temps en a peur. Elle est sur la crête, dès le début, et c’est très angoissant pour les hommes, qui ont tout mis en scène pour que la remise de la Toison et ces fiançailles soient aussi une victoire symbolique et politique. Dircé ne se prête pas complètement au jeu, et ce n’est pas stratégique chez elle, c’est qu’elle sent qu’il y a une dissonance quelque part, dans l’air, dont elle a très peur : Médée est là.

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MÉDÉE

V. ENTRETIEN AVEC JEAN-YVES RUF (2/3)

Fiche pédagogique 9 Opéra de Rouen Normandie

Médée est, elle, dans une sorte de demande absolue de reconnaissance, d’être absoute. Ce qui est beau chez elle, c’est qu’elle arrive avec un désir d’élévation. Comme Jason, mais pourquoi serait-il le seul ? Un désir de trouver une famille, une légitimité, d'être seulement la mère de ses deux enfants. Mais dès le début, on la renvoie à ses crimes. On ne lui donne aucune chance, aucune. On lui reproche ses crimes, mais on en accepte les fruits : la Toison. Et lorsqu’elle opposera cet argument à Créon à l’acte II, il ne saura quoi répondre, parce qu’elle a raison. Elle ne fait que demander une place dans cette société, à côté de son époux et de ses enfants, ce qui est complètement légitime. Mais pour Créon, elle n’a aucun droit. Elle invoque d’abord les dieux justes, Jupiter, pour se défendre et en appeler à son droit. Et tout son parcours est de passer des dieux justes aux Erinnyes, aux puissances infernales, à ces pulsions implacables de vengeance qu’on n’arrêtent pas. Dans ce passage où elle les invoque, elle sait qu’elle va accoucher de quelque chose de monstrueux. Elle accepte de quitter son utopie de justice et d’absolution de ses crimes, qui sont d’ailleurs partagés avec Jason : il était là, c’est pour lui qu’elle les a commis.

On pourrait faire de Créon un personnage un peu monolithique, un homme de pouvoir qui pousse son coup de gueule, comme on pourrait voir Médée comme une personne uniquement vengeresse, hystérique et violente, une sorte de Cruella, ou Dircé comme une petite poupée un peu cruche et naïve et Jason un lâche. Mais on sait bien que la psyché est plus complexe que cela, qu’il y a ce qu’on met devant, et ce qui est en jeu derrière. Cette manière d’imaginer un passif entre chacun d'eux, c’est les mettre dans la complexité de la vie : on fait des choix, mais on aurait pu en faire d’autres. Cela ne veut pas dire qu’on s’est construit toute une histoire précise, c’est une manière de créer une épaisseur, de donner de la vie concrète. Ces échanges de regards au début entre Jason et Créon, c’est une manière de donner corps à l’enjeu de la scène : tout le monde fait comme si Médée n’existait pas, sauf Dircé.

Il y a un sous-entendu constant qui éclate soudain au grand jour par la parole de Dircé : « Médée, Médée est là, c’est ta femme ». Jason fait tellement d’efforts pour ne pas penser à Médée ! Et dans son premier air, pour rassurer Dircé, il ne fait que parler d’elle… À tel point que finalement Créon est obligé d’intervenir pour remettre la situation dans ses rails.

Créon, je l’imagine plus politique, plus stratège. J’ai fait de ses gardes dans l’acte II des sortes de conseillers municipaux, dont il essaie de sentir les avis : il y a des extrémistes qui veulent la peau de Médée, d’autres plus modérés.

Jason est d’abord un aventurier qui a le désir d’asseoir sa vie et de trouver une place dans la société. Contrairement à Médée, ce n’est pas un amoureux extrémiste, ce n’est pas quelqu’un qui est complètement entier dans son désir. Il peut être entier un moment, puis le moment suivant commencer à réfléchir autrement, à agencer son désir avec son désir de pouvoir. Ce qui le relie à Médée, c’est qu’il n’imagine pas abandonner les enfants. C’est sans doute lui qui fait en sorte qu’ils soient acceptés par Créon, tout comme il doit oeuvrer pour qu’on ne tue pas Médée. Le lien entre eux n’est pas aboli, et c’est tout son problème. Mais ce n’est pas qu’un lâche.

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon

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MÉDÉE

V. ENTRETIEN AVEC JEAN-YVES RUF (3/3)

Fiche pédagogique 10 Opéra de Rouen Normandie

Vous avez choisi la version du final dans laquelle Médée estemportée par les Erinnyes…

Elle dit à Jason : « J’irai en enfer, et je t’attendrai au bord du Styx. » C’est à la fois très violent et très beau. On sent que cela pourrait être de grands amoureux, comme Roméo et Juliette, mais il y a juste une chose qui fait que cela devient d’une grande violence : « Ô fatale Toison ! ». Cela atteint la puissance du mythe. Elle a porté Jason aussi loin qu’elle au delà de la souffrance. Il avait un avenir avec Dircé, un avenir sans elle, et elle lui détruit tout. Elle le rend aussi désespéré qu’elle l’a été par lui. Il accède au même désert intérieur qu’elle. Ce n’est pas du tout une fin à la Don Giovanni, où la descente en enfer est une punition. C’est presque un choix de sa part, sans aucune fonction expiatoire. Peut-être parce que c’est le seul endroit où l’amour est possible. C’est pour moi plus un mythe sur l’amour que sur le meurtre, le meurtre n’y est qu’une conséquence de l’amour.

Propos recueillis par Stephen Sazio, dramaturge de l'Opéra de Dijon

Vous parliez tout à l’heure de la dimension « verticale », de ces invocations aux dieux et aux puissances supérieures très présentes dans le livret. Comment les avez-vous traitées ?

J’essaie de les rendre les plus concrètes possible. Il y a plusieurs ni-veaux dans ces évocations.

Il a d’abord celui de la coutume, du rite, de la donnée culturelle col-lective, voire de la superstition, comme l’invocation à Hyménée au dé-but du premier acte. C’est quelque chose qu’on retrouve de manière conventionnelle dans beaucoup de comédies qui se terminent par un mariage. Mais ici, c’est tellement présent que l’on sent que cela signifie quelque chose de profond pour eux, que cela recouvre un sens cultuel important. Plutôt que de mettre sur scène une statue d’un dieu dont l’iconographie n’est d’ailleurs pas très claire, j’ai choisi d’inventer un rituel avec l’eau, qui bien sûr fait songer au baptême et nous renvoie ainsi à quelque chose d’immédiat et de familier, qui peut être de l’ordre de la croyance sincère comme de la convention sociale. De la même façon, lancer une pièce dans l’eau pour faire un voeu est typique de ce genre de rituels concrets et quotidiens auxquels on croit sans y croire.

Il y a ensuite un second niveau, celui des invocations à Jupiter, dieu de justice, qui revêtent une grande importance, qui sont un appel solennel à une valeur sacrée. Lorsque Médée l’invoque face à Créon, celui-ci ne le prend pas du tout à la légère. Il éprouve le besoin d’y répondre, comme pour conjurer une malédiction.

Et puis il y a la dimension des déesses qui n’appartiennent qu’à Médée, les Erinnyes, et Alecto en particulier, celle de la vengeance implacable. Ce sont ces forces sombres qui nous habitent. Jung a montré que dans les polythéismes anciens, la personnification de ces pulsions permettait d’entrer en dialogue symbolique avec elles, de les mettre en balance, d’y céder ou de les amadouer. Lorsque Médée les invoque, ce n’est pas comme des références mythologiques, mais comme des réalités intérieures, concrètes et physiques, que nous pouvons comprendre, une façon de se donner la force d’aller jusqu’au bout, d’appel à la transe, à un autre état de conscience qui lui permette d’accomplir cet acte horrible, une force qu’elle va chercher au plus profond d’elle-même.

Mais elle sait qu’une fois qu’elle y est, il n’y a plus de retour pos-sible. C’est sans doute quelque chose qu’elle a déjà fait avant de tuer son frère. Peut-être est-ce pour cette raison qu’elle ne cesse de les invoquer, de reculer, puis de les invoquer à nouveau. Elle a du mal. Comme un second saut en parachute, on a peur parce qu’on en a fait un déjà, qu’on sait ce que c’est, qu’on se représente clairement sa réalité concrète. Elle sait quel monde elle perd, elle sait à quel monde elle se voue. Elle sait qu’elle doit tuer quelque chose en elle qui a à voir avec la lumière, avec la justice. C’est pour cela que c’est physique.

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon

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MÉDÉE

VI. POUR ALLER PLUS LOIN

Fiche pédagogique 11 Opéra de Rouen Normandie

Médée dans la littérature classique

Médée, Euripide, tragédie grecque, 431 av. J-CMédée, Sénèque, tragédie romaine Médée, Pierre Corneille, 1635

Médée dans la littérature des XXe et XXIe siècles

Médée, Jean Anouilh, 1946 Médée Kali, Laurent Gaudé, 2003Médée, Christa Wolf, 2005 Médée, Max Rouquette, 2008

Médée en bande dessinée

Médée, Nancy Pena et Blandine Le Callet Tome 1 : L’ombre d’HécateTome 2 : Le couteau dans la plaieTome 3 : L’épouse barbare

Médée dansée

Le Songe de Médée, Angelin Preljocaj, Opéra National de Paris, Opus Arte, 2007

Voici une liste (non exhaustive!) des représentations du mythe de Médée dans la littérature, la danse et le cinéma.

Enfin, voici le court-métrage Médée de Mikael Buch, avec Nathalie Baye et Vincent Dedienne, 2017. Où quelles peuvent être les réactions des spectateurs qui assistent à une représentatiion de Médée de Cherubini ...

Médée au cinéma

Médée, Pier Paolo Pasolini, avec Maria Callas, 1969Médée Miracle, Tonino De Bernardi, avec Isabelle Hupert, 2011

Médée à l'opéra

Thésée, Pierre Quinault et Jean-Baptiste Lully, 1675Médée, Marc-Antoine Charpentier et Thomas Corneille, 1693Jason, ou la Toison d’or, Pascal Colasse et Jean-Baptiste Rousseau, 1696Médée et Jason, Joseph-François Salomon et l'abbée Pellegrin, 1713Médée, Luigi Cherubini et François-Benoît Hoffman, 1787