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58 Table ronde © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2014;21:58-59 Chirurgie bariatrique Peut-on préciser les indications ? B. Dubern Nutrition et gastro-entérologie pédiatriques, AP-HP, hôpital Armand-Trousseau, 26, avenue du Docteur-Arnold-Netter, 75012 Paris, France Correspondance e-mail : [email protected] Chirurgie bariatrique chez l’adolescent (SFEDP, ADO) L ’augmentation des formes extrêmes d’obésité chez l’adolescent pose la question de leur prise en charge thé- rapeutique en raison du caractère constitutionnel de cette maladie et du risque de comorbidités à court terme (syndrome d’apnées du sommeil [SAS], hypertension artérielle, diabète de type 2, etc.). En effet, à ce jour, l’efficacité des prises en charge classiques de l’obésité pédiatrique reste décevante ainsi que celle des traitements médicamenteux. En attendant la mise au point éventuelle de nouveaux traitements, la chirurgie représente donc aujourd’hui la seule vraie solution thérapeutique efficace à long terme pour ces adolescents souffrant d’obésité massive. La chirurgie bariatrique est devenue au cours des 15 dernières années le traitement de référence chez l’adulte obèse avec environ 20 000 interventions chaque année en France. Les 3 principales techniques chirurgicales utilisées sont le by-pass gastrique, l’anneau gastrique ajustable et le manchon gastrique (ou sleeve gastrectomie). Leur effet sur le poids est secondaire à la modification anatomique modulant l’apport et/ou l’absorption des calories selon la technique utilisée avec un effet satiétogène particulièrement marqué après by-pass gastrique. De plus, elles ont un effet bénéfique majeur sur le métabolisme glucidique via la restriction calorique et la perte de poids mais aussi via la réduc- tion de la sécrétion de glucagon-like-peptide-1 (GLP-1) notamment pour le by-pass. Ces 3 techniques ont chacune des avantages et des inconvénients bien connus mais leur mortalité péri-opératoire reste proche de zéro dans les centres experts, et leur efficacité sur l’excès de poids et sur les comorbidités n’est plus à démontrer. Aussi, face aux situations d’obésité massive chez l’adolescent, qu’elle soit compliquée ou non, la question d’une telle prise en charge chirurgicale est actuellement largement discutée. Depuis les années 1990, plusieurs milliers d’adolescents ont bénéficié d’une chirurgie bariatrique aux États-Unis, et cela dès l’âge de 13 ans. En Europe, le recours à un tel traitement est plus récent. Actuelle- ment, selon les recommandations américaines, un adolescent peut être candidat en cas d’indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 40 kg/m² avec au moins une comorbidité associée ou en cas d’IMC supérieur à 35 kg/m² avec une ou plusieurs comorbidités poten- tiellement sévères (Tableau 1). Sont exclus les adolescents ayant un développement pubertaire inachevé ou une taille inférieure à 95 % de la taille attendue à l’âge adulte, les adolescents incapables d’ap- préhender les risques liés à l’acte opératoire ou dont la compliance postopératoire au plan médical, diététique et familial risque d’être insuffisante, et enfin ceux présentant des troubles psychiatriques (dépression, anxiété, compulsions alimentaires) non traités. D’autres recommandations, notamment australiennes, vont dans le même sens. En France, pour la Haute Autorité de Santé, la chirurgie bariatrique n’est pas indiquée chez l’enfant et l’adolescent obèses sauf situations exceptionnelles réservées aux centres experts. Ces recommandations françaises, qui ne sont qu’un simple « avis d’ex- pert » (niveau de preuve le moins élevé dans la hiérarchisation de la HAS), permettent de rester prudent et d’insister sur le fait qu’un tel traitement ne doit pas être envisagé chez les plus jeunes ou en cas d’obésité peu sévère non compliquée. En revanche, chez l’adolescent, dans les situations extrêmes d’obésité qui sont de plus en plus fréquemment rencontrées dans les centres spécialisés, la chirurgie bariatrique doit être discutée et reste assez souvent indiquée. Tableau I Critères d’inclusion et d’éligibilité pour une chirurgie bariatrique chez l’adolescent obèse Critères d’inclusion IMC > 35 kg/m² avec une comorbidité sévère (diabète, syndrome d’apnées du sommeil sévère, pseudotumor cerebri, stéatohépatite sévère) IMC > 40 kg/m² avec une comorbidité modérée (syndrome d’apnées du sommeil modéré, hypertension artérielle, insulino- résistance, intolérance au glucose, dyslipidémie, complications psychosociales liées à l’obésité, altération de la qualité de vie) Après échec des autres prises en charge ayant duré au moins 6 mois Compliance de l’adolescent avant et après la chirurgie pour la prise en charge médicale, diététique et psychologique Critères d’éligibilité Stade de Tanner IV ou V (sauf en cas de comorbidité sévère mettant en jeu le pronostic vital) Maturation de l’âge osseux avec une taille supérieure à 95 % de la taille attendue à l’âge adulte Capacité à intégrer les changements diététiques et de mode de vie indispensables en postopératoire Maturité intellectuelle et encadrement de la famille avec compréhension des risques encourus et des mesures thérapeutiques ultérieures (supplémentation nutritionnelle, suivi médical régulier) Absence de troubles psychiatriques non traités (dépression, anxiété, compulsions alimentaires)

Chirurgie bariatrique Peut-on préciser les indications ?

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Table ronde

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Archives de Pédiatrie 2014;21:58-59

Chirurgie bariatriquePeut-on préciser les indications ?B. DubernNutrition et gastro-entérologie pédiatriques, AP-HP, hôpital Armand-Trousseau, 26, avenue du Docteur-Arnold-Netter, 75012 Paris, France

Correspondance e-mail : [email protected]

Chirurgie bariatrique chez l’adolescent (SFEDP, ADO)

L’augmentation des formes extrêmes d’obésité chez l’adolescent pose la question de leur prise en charge thé-rapeutique en raison du caractère constitutionnel de cette

maladie et du risque de comorbidités à court terme (syndrome d’apnées du sommeil [SAS], hypertension artérielle, diabète de type 2, etc.). En effet, à ce jour, l’efficacité des prises en charge classiques de l’obésité pédiatrique reste décevante ainsi que celle des traitements médicamenteux. En attendant la mise au point éventuelle de nouveaux traitements, la chirurgie représente donc aujourd’hui la seule vraie solution thérapeutique efficace à long terme pour ces adolescents souffrant d’obésité massive.La chirurgie bariatrique est devenue au cours des 15  dernières années le traitement de référence chez l’adulte obèse avec environ 20  000  interventions chaque année en France. Les 3  principales techniques chirurgicales utilisées sont le by-pass gastrique, l’anneau gastrique ajustable et le manchon gastrique (ou sleeve gastrectomie). Leur effet sur le poids est secondaire à la modification anatomique modulant l’apport et/ou l’absorption des calories selon la technique utilisée avec un effet satiétogène particulièrement marqué après by-pass gastrique. De plus, elles ont un effet bénéfique majeur sur le métabolisme glucidique via la restriction calorique et la perte de poids mais aussi via la réduc-tion de la sécrétion de glucagon-like-peptide-1 (GLP-1) notamment pour le by-pass. Ces 3 techniques ont chacune des avantages et des inconvénients bien connus mais leur mortalité péri-opératoire reste proche de zéro dans les centres experts, et leur efficacité sur l’excès de poids et sur les comorbidités n’est plus à démontrer. Aussi, face aux situations d’obésité massive chez l’adolescent, qu’elle soit compliquée ou non, la question d’une telle prise en charge chirurgicale est actuellement largement discutée.Depuis les années 1990, plusieurs milliers d’adolescents ont bénéficié d’une chirurgie bariatrique aux États-Unis, et cela dès l’âge de 13 ans. En Europe, le recours à un tel traitement est plus récent. Actuelle-ment, selon les recommandations américaines, un adolescent peut être candidat en cas d’indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 40 kg/m² avec au moins une comorbidité associée ou en cas d’IMC supérieur à 35 kg/m² avec une ou plusieurs comorbidités poten-tiellement sévères (Tableau 1). Sont exclus les adolescents ayant un développement pubertaire inachevé ou une taille inférieure à 95 % de la taille attendue à l’âge adulte, les adolescents incapables d’ap-

préhender les risques liés à l’acte opératoire ou dont la compliance postopératoire au plan médical, diététique et familial risque d’être insuffisante, et enfin ceux présentant des troubles psychiatriques (dépression, anxiété, compulsions alimentaires) non traités. D’autres recommandations, notamment australiennes, vont dans le même sens. En France, pour la Haute Autorité de Santé, la chirurgie bariatrique n’est pas indiquée chez l’enfant et l’adolescent obèses sauf situations exceptionnelles réservées aux centres experts. Ces recommandations françaises, qui ne sont qu’un simple « avis d’ex-pert » (niveau de preuve le moins élevé dans la hiérarchisation de la HAS), permettent de rester prudent et d’insister sur le fait qu’un tel traitement ne doit pas être envisagé chez les plus jeunes ou en cas d’obésité peu sévère non compliquée. En revanche, chez l’adolescent, dans les situations extrêmes d’obésité qui sont de plus en plus fréquemment rencontrées dans les centres spécialisés, la chirurgie bariatrique doit être discutée et reste assez souvent indiquée.

Tableau ICritères d’inclusion et d’éligibilité pour une chirurgie bariatrique chez l’adolescent obèse

Critères d’inclusion• IMC > 35 kg/m² avec une comorbidité sévère (diabète,

syndrome d’apnées du sommeil sévère, pseudotumor cerebri, stéatohépatite sévère)

• IMC > 40 kg/m² avec une comorbidité modérée (syndrome d’apnées du sommeil modéré, hypertension artérielle, insulino-résistance, intolérance au glucose, dyslipidémie, complications psychosociales liées à l’obésité, altération de la qualité de vie)

• Après échec des autres prises en charge ayant duré au moins 6 mois• Compliance de l’adolescent avant et après la chirurgie

pour la prise en charge médicale, diététique et psychologique

Critères d’éligibilité• Stade de Tanner IV ou V (sauf en cas de comorbidité sévère

mettant en jeu le pronostic vital)• Maturation de l’âge osseux avec une taille supérieure à 95 %

de la taille attendue à l’âge adulte• Capacité à intégrer les changements diététiques et de mode

de vie indispensables en postopératoire• Maturité intellectuelle et encadrement de la famille avec

compréhension des risques encourus et des mesures thérapeutiques ultérieures (supplémentation nutritionnelle, suivi médical régulier)

• Absence de troubles psychiatriques non traités (dépression, anxiété, compulsions alimentaires)

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Peut-on préciser les indications ?

d’obésité massive dès les premières années de vie avec anoma-lies endocriniennes et impulsivité alimentaire. L’indication d’une chirurgie bariatrique peut donc être discutée dans les formes les plus sévères. Cependant, les résultats en termes de perte de poids sont variables et parfois médiocres, probablement en fonc-tion de l’environnement familial comme cela a été récemment décrit. Pour les patients porteurs d’une mutation du récepteur de type 4 aux mélanocortines (MC4R) (2-3 % des patients obèses), les résultats de la chirurgie sont eux aussi variables selon les situations. Chez les rares patients porteurs homozygotes d’une mutation de MC4R avec interruption du signal mélanocortine, les effets de la chirurgie sont médiocres. En revanche, en cas de mutation hétérozygote de MC4R, la perte de poids est identique à celle décrite dans les populations d’adultes non porteurs de mutation.

Références

Les références complètes peuvent être obtenues sur demande auprès de l’auteur.

Dans le cas particulier des obésités syndromiques ou monogé-niques connues, l’indication d’une telle chirurgie est plus dis-cutable. Les obésités syndromiques et monogéniques connues (syndrome de Prader-Willi, mutations du récepteur de la lep-tine…) sont caractérisées par une obésité massive et précoce dès les premières années avec impulsivité alimentaire et un retard mental pour certaines d’entre elles comme dans le syndrome de Prader-Willi. La chirurgie bariatrique peut alors être discutée dans ces situations en raison de la sévérité de l’obésité et des comorbidités. Cependant, à ce jour, les données de la littérature montrent que l’effet de la chirurgie bariatrique est limité dans ces situations particulières. Dans le cas du syndrome de Prader-Willi (60 cas décrits), la perte de poids reste médiocre (< 5 %) à 5 ans, quelle que soit la technique utilisée. De plus, il existe des difficultés importantes inhérentes à la pathologie (suivi et com-pliance difficiles en raison du retard mental même si la sévérité de ce dernier est variable). Pour les autres obésités syndromiques (dont le syndrome de Bardet-Biedl), peu de données sont dispo-nibles ce qui justifie de discuter l’indication d’un tel traitement de façon très prudente. En ce qui concerne les mutations des gènes de la voie leptine/mélanocortines, elles sont responsables