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Chirurgie esthétique, la responsabilité Aesthetic surgery, the liability F. Branchet 35, avenue du Granier, 38240 Meylan, France Résumé Quels sont les risques particuliers pour les chirurgiens plasticiens en chirurgie esthétique ? Ils sont plusieurs : les patients consultent avant tout par désir et non pour des problèmes de santé ; ces consultations ont surtout lieu au cours de moments difficiles de leur vie : perte d’emploi... Par ailleurs, le chirurgien doit donner une information complète au patient : il doit décrire l’intervention, les risques, même les plus exceptionnels. Les chirurgiens ont une « obligation de moyens renforcée » : quel est le sens de cette formule ? Cela signifie que, sans avoir une obligation de résultat, le chirurgien doit mettre au service du patient toutes ses compétences afin de réaliser l’opération et d’assurer les soins postopératoires (expérience, diplômes, personnel, moyens matériels...). N’étant pas contraint d’opérer dans l’urgence, il doit renoncer à l’intervention s’il existe un doute au sujet du résultat ou du risque. Depuis des années, nous observons une dérive des demandes d’indemnisation pour diverses raisons (déception vis-à-vis du résultat, la jeunesse non retrouvée...). La capacité à découvrir les réelles raisons qui incitent le patient à bénéficier d’une chirurgie esthétique, l’écoute, le courage de refuser d’opérer si le patient attend des résultats inaccessibles, autant d’éléments qui dépendent de la future tranquillité du chirurgien (et de son assureur). Malgré toutes ces précautions, nous relevons que chaque chirurgien est mis en cause une fois tous les quatre ans : cela sera alors une perte de temps (expertises, déplacements...). Au final, nous pouvons dire que le respect des règles déontologiques est la clef afin de lutter contre l’augmentation des dossiers de mise en cause. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Which are the specific risks for the plastic surgeons in aesthetic surgery? There are several: first of all, patients consult by desire and not because of health problems; it is often during difficult moments in their life (job loss...). Moreover, the surgeon must give the most complete information to the patient: he must describe the surgery, the risks (even the most exceptional ones). The surgeons have to “use the best practices”: what does it mean? This sentence deals with the idea that the surgeons must have all the necessary skills to perform an aesthetic surgery and to ensure the cares after the operation (experience, diploma, staff, equipment...). They do not have to guarantee a result. As they do not operate in a hurry, they must renounce to a surgery if there is a doubt concerning the risk or the result the patient is waiting for. For years we have been observing that the requests for getting compensations have been left to drift for a lot of reasons (deception with the result, youth not found again...). The capacity to discover the real reasons of an aesthetic surgery, the listening, the courage to refuse to operate if the patient expects too much... depends on the surgeon (and insurer) future quiet. Despite all these precautions, we can notice that each surgeon is involved one time in a 4-years period: he will waste his time (forensic examinations...). As a conclusion, we can say that the respect of the rules of ethics is the key to battle against the increase of files in proceedings. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Chirurgie esthétique ; Jurisprudence ; Procès ; Indemnisation Keywords: Aesthetic surgery; Jurisprudence or precedent; Trial; Compensation Adresse e-mail : [email protected] (F. Branchet). Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 313–314 www.elsevier.com/locate/annpla © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2003.08.022

Chirurgie esthétique, la responsabilité

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Page 1: Chirurgie esthétique, la responsabilité

Chirurgie esthétique, la responsabilité

Aesthetic surgery, the liability

F. Branchet

35, avenue du Granier, 38240 Meylan, France

Résumé

Quels sont les risques particuliers pour les chirurgiens plasticiens en chirurgie esthétique ? Ils sont plusieurs : les patients consultentavant tout par désir et non pour des problèmes de santé ; ces consultations ont surtout lieu au cours de moments difficiles de leur vie : perted’emploi... Par ailleurs, le chirurgien doit donner une information complète au patient : il doit décrire l’intervention, les risques, même les plusexceptionnels. Les chirurgiens ont une « obligation de moyens renforcée » : quel est le sens de cette formule ? Cela signifie que, sans avoirune obligation de résultat, le chirurgien doit mettre au service du patient toutes ses compétences afin de réaliser l’opération et d’assurer lessoins postopératoires (expérience, diplômes, personnel, moyens matériels...). N’étant pas contraint d’opérer dans l’urgence, il doit renoncer àl’intervention s’il existe un doute au sujet du résultat ou du risque. Depuis des années, nous observons une dérive des demandesd’indemnisation pour diverses raisons (déception vis-à-vis du résultat, la jeunesse non retrouvée...). La capacité à découvrir les réelles raisonsqui incitent le patient à bénéficier d’une chirurgie esthétique, l’écoute, le courage de refuser d’opérer si le patient attend des résultatsinaccessibles, autant d’éléments qui dépendent de la future tranquillité du chirurgien (et de son assureur). Malgré toutes ces précautions, nousrelevons que chaque chirurgien est mis en cause une fois tous les quatre ans : cela sera alors une perte de temps (expertises, déplacements...).Au final, nous pouvons dire que le respect des règles déontologiques est la clef afin de lutter contre l’augmentation des dossiers de mise encause.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Which are the specific risks for the plastic surgeons in aesthetic surgery? There are several: first of all, patients consult by desire and notbecause of health problems; it is often during difficult moments in their life (job loss...). Moreover, the surgeon must give the most completeinformation to the patient: he must describe the surgery, the risks (even the most exceptional ones). The surgeons have to “use the bestpractices”: what does it mean? This sentence deals with the idea that the surgeons must have all the necessary skills to perform an aestheticsurgery and to ensure the cares after the operation (experience, diploma, staff, equipment...). They do not have to guarantee a result. As theydo not operate in a hurry, they must renounce to a surgery if there is a doubt concerning the risk or the result the patient is waiting for. For yearswe have been observing that the requests for getting compensations have been left to drift for a lot of reasons (deception with the result, youthnot found again...). The capacity to discover the real reasons of an aesthetic surgery, the listening, the courage to refuse to operate if the patientexpects too much... depends on the surgeon (and insurer) future quiet. Despite all these precautions, we can notice that each surgeon is involvedone time in a 4-years period: he will waste his time (forensic examinations...). As a conclusion, we can say that the respect of the rules of ethicsis the key to battle against the increase of files in proceedings.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Chirurgie esthétique ; Jurisprudence ; Procès ; Indemnisation

Keywords: Aesthetic surgery; Jurisprudence or precedent; Trial; Compensation

Adresse e-mail : [email protected] (F. Branchet).

Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 313–314

www.elsevier.com/locate/annpla

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.anplas.2003.08.022

Page 2: Chirurgie esthétique, la responsabilité

1. À quels risques particuliers les chirurgiensplasticiens sont-ils exposés en terme de Responsabilitéen chirurgie esthétique ?

Ils sont de plusieurs ordres.Tout d’abord, à la différence d’autres spécialités, leurs

patients ne consultent pas pour des raisons de santé. Leurdemande n’est pas liée à une pathologie mais à un désir. Il estdonc absolument nécessaire que le praticien comprenne biencette demande, qu’il ne se trompe pas sur la motivation etl’environnement psychologique qui amène le patient àconsulter.

Par ailleurs, les personnes recourent souvent à la chirurgieesthétique à des moments critiques de leur vie, à la suite d’undivorce, d’une perte d’emploi, à la cinquantaine, lorsque lesenfants s’en vont... Elles sont fragilisées. Le chirurgien doitdétecter ce désarroi. Il est indispensable que la personneprenne sa décision en toute connaissance de cause et non pasdans un moment de déprime ou parce qu’elle projette surl’intervention des espoirs déraisonnables.

Enfin, spécificité de la responsabilité du chirurgien prati-quant la chirurgie esthétique, celui-ci doit non seulement àson patient l’information la plus complète possible, maisaussi la description du déroulement de l’intervention et de sessuites, signalant les risques les plus exceptionnels comme,par exemple, un accident dont un seul cas aurait été publié surplusieurs milliers d’interventions similaires.

2. Ces chirurgiens sont soumis à une « obligationde moyens renforcés ». Que recouvre cette formule ?

Soulignons au préalable que, comme l’ensemble des mé-decins, les chirurgiens pratiquant la chirurgie esthétiquen’ont en aucun cas une obligation de résultat. En revanche,— il s’agit d’une spécificité de ce domaine — ils ont une« obligation de moyens renforcés », c’est-à-dire qu’ils doi-vent mettre à la disposition de leur patient des moyens encompétence (diplômes, expérience), en personnel et en maté-riel totalement adaptés, tant pour l’intervention que pour lessuites opératoires. Ainsi, à la différence d’autres chirurgies,n’étant pas confrontés à l’urgence, doivent-ils savoir remet-tre, voire même renoncer, à une intervention en cas de doutesur le risque ou le résultat escompté.

Depuis de nombreuses années, on observe une dériveconstante, en fréquence et en montant, des demandes d’in-demnisation des patients pour des raisons diverses mais rare-ment techniques et objectives.

Dans l’énumération ci-dessous, chacun reconnaîtra aumoins un reproche qui lui aura été fait :

• résultat décevant (la réalité est toujours moins belle quele rêve...) ;

• changement d’attitude du chirurgien après l’interven-tion vécu comme un abandon, un manque de soins, unedéception ou un mal-être (il faut bien qu’à un moment lechirurgien s’éloigne après des soins postopératoires at-tentifs et réguliers) ;

• le but non avoué et non détecté (la reconquête de l’êtreaimé n’est pas atteinte...) ;

• sa jeunesse n’est pas au rendez-vous du postopératoire.

De la capacité du chirurgien à détecter les vraies raisonsqui amènent le patient dans son cabinet, de sa capacitéd’écoute et, enfin, de sa détermination à convaincre de ne pasattendre d’un geste des résultats qui ne sont pas de son ressortet aussi, de son courage à refuser l’intervention suite àl’échec des consultations pour le convaincre, dépendent enfait sa tranquillité ultérieure (et celle de son assureur...).

Malgré toutes ces précautions, nous avons inventoriénéanmoins en 2002 les différentes mises en cause suivantes :

• sous des appellations diverses et à l’occasion de gestesvariés regroupés sous le vocable « absence de résultat,mauvais résultats, résultats catastrophiques » (amiableou TGI) 60 cas ;

• la chirurgie des seins : réduction–augmentation–dégon-flement–correction de ptôse — faisant état de reprocheobjectif (amiable ou TGI) 27 cas ;

• liposuccion toutes zones 7 cas ;• abdominoplasties 15 cas ;• lifting 9 cas ;• rhinoplasties 21 cas ;• blépharoplasties 26 cas ;• TOTAL 165 cas.

Ce total de déclarations (165) est à rapprocher des 635 as-surés. Il faut donc en conclure que chacun est mis en causeune fois tous les 4 ans !

C’est donc tous les 4 ans qu’il faut prévoir pour le chirur-gien, une perte de temps (assistance à expertise au moins),une défense (Assistant Conseil + Avocat) et, une fois surquatre, une indemnité à verser au patient. En effet, trois foissur quatre ces plaintes n’aboutissent à aucune indemnisation.

Encore plus imagé : une cotisation annuelle sur quatre estconsacrée à la défense et il reste donc trois cotisations pourrégler les indemnités. Dans cette chirurgie, les catastrophessont heureusement rares, mais elles existent et il convient deles prévoir dans nos calculs d’équilibre primes–dépenses.

Cette chirurgie, très démocratisée et porteuse d’espoirspour beaucoup, reste aussi dangereuse pour le patient maiségalement pour le chirurgien. Rester très déontologiquepourrait être une réponse efficace pour lutter contre l’aug-mentation constatée chaque année des dossiers de mise encause.

314 F. Branchet / Annales de chirurgie plastique esthétique 48 (2003) 313–314