Échos (contrastés) des Amériques · PDF fileLes contrastes de timbres, menés parallèlement au piano et au violoncelle (scintillement des effets de jeu dans les cordes du piano

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  • www.falcinelli.orgchos (contrasts) des Amriques

    Morton Feldman : For Bunita Marcus. Ivan Ili (piano). Paraty 135305.

    Mlomanes qui cherchez lvasion par une promenade musicale pittoresque ou distrayante, passezvotre chemin ! Une uvre de presque 70 minutes ininterrompues distillant les sons dosehomopathique sans contrastes dynamiques ne vise pas au mme objectif que Les Quatre Saisons deVivaldi ! Si en revanche il vous apparat que la pntration vibratoire des sons peut vous prdisposer une exprience spirituelle car elle vous placera dans un tat de rceptivit laguant tout phnomneinutile toute intrusion importune comme notre monde moderne en dverse tant pour vous recentrersur votre moi intrieur, alors ne manquez pas ce disque.Pourtant, rien de comparable dans la musique de Morton Feldman au simplisme de la musiquebtement rptitive de ses cadets : si la partition de For Bunita Marcus (la ddicataire tant une lveet une intime du compositeur) semble tournoyer autour de combinaisons perles de notes, elle estconstitue de micro-vnements qui existent bel et bien et obissent une construction trsperceptiblement logique. Ces micro-vnements sont beaux en soi, et leur organisation introduit dans une dimension temporelle certes tire des effets de surprise qui frappent eux aussi loreille parleur beaut dlectable. Ivan Ili nous avait dj offert une premire approche de ses travaux surMorton Feldman et sur la contemplation en musique par son disque The Transcendentalist(Heresy) quon a lou ici mme, suivi dun ouvrage pluri-disciplinaire autour du compositeuramricain ; il franchit un pas supplmentaire en relevant le dfi de cette concentration au long courssur lcoute des rsonances qui, par leur enchanement perptuel, disent beaucoup sur lacristallographie mme du phnomne harmonique et de la relation entre les intervalles.En effet, le pianiste a trouv une mission cristalline qui, dans limmuable nuance douce voulue par lecompositeur, distingue lidentit de ces combinaisons de sons et nous vite limpression dangereusedun continuum indiffrenci qui tiendrait du mantra relch. En fait, sans briser ltat de paixspirituelle, il russit clairer les facettes du diamant (le minral sur la photo de couverture me semblesuggrer une piste de lecture) et orienter notre attention sur limprvisibilit des enchanements.Cest videmment une performance dinterprte mrement pese, dont la restitution microphoniquebnficie de lindissociable collaboration entre lartiste et sa technicienne attitre Judith Carpentier-Dupont.Avec lintelligence consomme quon lui connat, Ivan Ili, dans son remarquable texte crit enfranais et en anglais pour le livret, commence par nous raconter les phases de difficult laccoutumance, de trouble, voire dirritation, de lassitude, que lui-mme a d traverser face auxuvres de Feldman en somme tout ce que, par son talent instrumental et son intime comprhensionde cet univers musical, il nous pargne ! Et soudain, la fin du texte, il nous livre les motivations ducompositeur qui conut cette uvre comme une manire de prolonger par la musique la permanencedissoute de sa mre qui venait de steindre et cela deux ans avant sa propre mort par un cancer dupancras. Je ne voulais pas que luvre meure , Dans mon art, je me sens mourir trs, trsLENTEMENT : ces deux phrases de Morton Feldman dvoilent le secret de cette musique doutre-monde, confirmant la dimension de transcendance qui sinfiltre en nous son coute.

  • Et lon se prend, comme linterprte le laisse entendre dans ses dernires lignes (mais aussi dans sesderniers sons), souhaiter que cette musique ne sarrte pas : le retour au silence, une fois le disquetermin, sonne trangement comme lintrusion dune lourde matrialit paradoxe suprme aprsque loreille ait connu lhypnose de ces dlicats tintements qui la transportaient dans une sphrethre. Exprience vivre, assurment.Lillustration de couverture sinscrit dans le prolongement des rencontres entre les arts quaffectionnele pianiste puisquil sagit dun travail photographique de Benot Maire, plasticien avec lequel il a djtourn un court mtrage.Ivan Ili ne cessera jamais de nous surprendre : il se penche maintenant sur Anton Reicha et, entendre les premiers rsultats (https://www.youtube.com/watch?v=D4roHM84MeM), cela prometdtre passionnant dans un tout autre registre.

    Rodrigo Lima : Matiz II ; Mauricio de Bonis :Melencolia I (a3), Marble smooth by flowing watersgrown ; Marcus Siqueira : Gli occhi trepidano diillusioni, Espectros pelo jardim de concreto ; ThiagoCury : Quatro vises de So Paulo, Quase um trio(Caixinha de Msica). Rodolfo Valente : resto doincndio. Epifania Piano Trio (Simona Cavuoto, violon,Alberto Kanji, violoncelle, Felipe Scagliusi, piano).gua Forte (www.aguaforte.org)

    Cinq compositeurs actifs dans la mouvance avance de la musique contemporaine So Paulo (deuxdentre eux produisant le disque : Thiago Cury et Marcus Siqueira) ont explor au cours de lanne2013 les relations entre les trois instruments dune formation parmi les plus courues du patrimoinemusical, soit rellement en trio, soit pris deux par deux. Comme on le verra par certaines inspirations,la violence du contexte social brsilien trouve une rsonance dans leur musique.Le trio Matiz II de Rodrigo Lima part dune rflexion sur le subtil ha-ka de Guimares Rosa : Levent exprimente ce quil fera de sa libert . Rodrigo Lima, conscient de ce que Stravinsky appelait les incidences de composition qui entranent parfois le compositeur vers des directions imprvues,crit juste titre : Il y a dans le processus une constante ncessit dinterprter et dcouter lesmatriaux, car je crois quil y a en eux une force naturelle intrinsque, et lun des rles du compositeurest de la rvler exactement . Le piano dun ct, les archets de lautre, voluent dans destemporalits diffrentes qui tantt se heurtent, tantt divergent. De cette relation parfois conflictuellesourd par moments une musique dgratignure, et lorsquun segment mlodique sen chappe auviolon, cest presque comme une exhalaison dhumanit face aux dcombres sems par la violence dumonde ; mais une aube nouvelle semble se lever la fin.Autre trio, Melencolia I (a3) de Mauricio de Bonis prolonge lobservation de la gravure de Drer, dufilm de Lars von Trier, et du quatuor cordes op. 18 n6 (La Malinconia) de Beethoven, mais sansrien emprunter dexplicite aucun : il sagit dune mditation dont lapparent statisme est secou debrefs vnements, les glissements en micro-intervalles des archets sopposant la nettet parfoiscoupante des segments ou clats du piano.Trio encore avec resto do incndio : Rodolfo Valente projette une rflexion dialectique (traduite enmusique par les oppositions flambes/permanence, verticalit/horizontalit) sur les ingalits socialescruellement accuses par lincendie qui, en 2012, ravagea les favelas de So Paulo. Mais les matriauxet linspiration sont si maigres quils sonnent bien drisoires face de tels enjeux !Grande richesse vibratoire, au contraire, dans le quatrime et foisonnant trio, Gli occhi trepidano diillusioni de Marcus Siqueira, tout empli des rsonances les plus colores du piano qui roulentdcumantes vagues tandis que le violoncelle voyage dans les extrmes de sa palette, escort par le

    http://www.aguaforte.org/https://www.youtube.com/watch?v=D4roHM84MeM

  • violon. Une uvre irradiante et inspire, que lon rcoute volontiers ; par chance, cest aussi la pluslongue du programme !On revient lauteur de Melencolia I pour une pice rserve au piano et au violoncelle : le si musicalvers dEzra Pound, Marble smooth by flowing waters grown, lui-mme inspir dun passageextraordinairement imag de lnide (Virgile), a conduit Mauricio de Bonis une brve rflexion surles tats de la matire (de la pierre londe). Les contrastes de timbres, mens paralllement au pianoet au violoncelle (scintillement des effets de jeu dans les cordes du piano avec les harmoniques duvioloncelle, duret minrale des graves), sont trs russis. partir de photos quil prit dans les rues de So Paulo, Thiago Cury a compos ( la fin de ses tudesen 1999, et repris en 2013) quatre courts tableaux de la vie urbaine pour violon et piano : Quatrovises de So Paulo. Un Nocturne extrmement potique, dune grande plnitude, respire aveclyrisme, puis la Promenade pose un regard grave et mlancolique sur la ville, port par lcriturefrmissante et profonde du piano. LEnfance pauvre des gamins des rues ninspire pas plus de gaiet,tandis que le Papy dort ( mme le trottoir, prs de sa brouette) gronde de rvolte. Ce quadriptyquervlait dj un artiste minemment sensible. Ce que confirme le presque-trio Quase um trio (Caixinha de Msica) o Thiago Cury joue avecune matrise affine de timbres plus originaux : les lments mlodiques se croisent dans un lacis demodes de jeu, produisant une dentelle sonore qui transporte limagination.En fait dimagination et de virtuosit dcriture , le duo pour violon et violoncelle de MarcusSiqueira, Espectros pelo jardim de concreto (un spectre errant dans les bas-fonds de So Paulo),conclut en beaut le disque : les instruments zbrent un vaste espace de leurs huit cordes dans unincessant contrepoint faisant prestement passer larchet dune zone de jeu une autre, dchirant la nuitmalsaine de cris douloureux ou de timbres irrels, tissant un maillage serr o loreille se laissecapturer.Dcidment, voici deux compositeurs (Cury et Siqueira) fort gnreux de se dvouer pour les uvresde leurs collgues puisquils se classent au-dessus du lot ! Ils ont tout simplement quelque chose (depersonnel) dire ; les autres imitent par trop des procds qui font contemporain mais qui, nosoreilles europennes, finissent par sonner uss ! Le trio