Chrhc 2824 119 Histoire Africaine de Langue Francaise Et Mondialisation

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    Cahiers d'histoire. Revued'histoire critique119 (2012)Homosexualits europennes (XIXe-XXe sicles)

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    Catherine Coquery-Vidrovitch

    Histoire africaine de langue franaiseet mondialisation

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    Rfrence lectroniqueCatherine Coquery-Vidrovitch, Histoire africaine de langue franaise et mondialisation , Cahiers d'histoire. Revued'histoire critique[En ligne], 119 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, consult le 29 dcembre 2014. URL :http://chrhc.revues.org/2824

    diteur : Association Paul Langevinhttp://chrhc.revues.orghttp://www.revues.org

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    Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 119 | 2012

    Catherine Coquery-Vidrovitch

    Histoire africaine de langue franaise etmondialisation

    Pagination de ldition papier : p. 141-152

    1 Le propos est en somme dvoquer lhistoire de lhistoriographie africaine de langue franaisedepuis ses origines, de parler de son prsent et de son avenir qui se situe dsormais dans lecadredespostcolonial studies, dont les historiens utilisent quelques ides plus quils ne dissertent leur propos ( la diffrence des littraires ou des politologues).

    De lorientalisme lafricanisme

    2 Les postcolonial studies ont t lances par la dconstruction de lorientalisme, cest--dire lide dAsie labore travers le temps par les savants occidentaux. Ce fut le fait delintellectuel palestinien Edward Said, en 1978 dans son livre Orientalism, ouvrage traduit en

    franais ds 1980, mais surtout connu en France partir de sa seconde traduction, en 20052.3 Ce que lon sait moins, parce que ses ouvrages ne sont pas traduits en franais, cest que la

    dconstruction de lafricanismea t opre, en 1988, par un philologue congolais, ValentinMudimbe (aujourdhui professeur Duke University aux tats-Unis). Dans les deux cas, lacritique est donc venue du Sud . Valentin Mudimbe a relu lensemble des Europens quiont parl dAfrique depuis le XVe sicle3 : marins, explorateurs, commerants, marchandsdesclaves, missionnaires, administrateurs. Il a du mme coup fait le procs de ce quil aappel de faon image la colonial library(la bibliothque coloniale ) dont nous avonstous t nourris, francophones et Franais. Nous avons t nourris par des dcennies, voire dessicles de travaux, certes trs utiles, mais tous frapps deurocentrisme. Comment se fait-ilquEdward Said a t traduit en franais, mais que Valentin Mudimbe, qui touche de beaucoup

    plus prs lhistoire franaise, ne lest toujours pas ? De ce fait, son travail nest connu que desquelques spcialistes. Il ne sagit pas dun hasard. Cest aussi parce que, comme le rvle lavulnrabilit de lopinion franaise sur la question coloniale, lhistoire de France nest pas, proprement parler, dcolonise . Lhostilit durable contre les ides postcoloniales dune majorit de chercheurs franais en sciences sociales na gure dautre explication ; ceshypothses obligent remettre en cause nombre de convictions, conscientes ou inconscientes,hrites de notre commune bibliothque coloniale .

    4 Cest aussi que lhistoire franaise se limita pendant longtemps celle de lhistoire de lacolonisation vue de la mtropole. La recherche sur laire culturelle Afrique na t initiequau dbut des annes 1960 sous la gouverne de Fernand Braudel dans ce qui sappelait alorsla sixime section de lcole pratique des hautes tudes (EPHE), devenue en 1974 EHESS

    (cole des hautes tudes en sciences sociale). Auparavant, il ny avait en France quun seuluniversitaire charg denseigner lhistoire de la colonisation : Charles-Andr Julien, professeuren Sorbonne (1947- 1961). Ctait un anticolonialiste, socialiste, qui a dirig un nombreimportant de thses dtat restes prcieuses. La Grande-Bretagne, en revanche, ds 1947, acr deux chaires dhistoire de lAfrique, lune occupe Londres par Roland Oliver (SOAS,School of Oriental and African Studies) et lautre Legon en Gold Coast (Ghana) par JohnFage (parti ensuite lUniversit de Birmingham). Aucune universit francophone nexistaitencore en Afrique : 1947, ctait lindpendance de lInde. En France, il fallut attendre1960 En Sorbonne, les deux chaires en histoire africaine, contemporaine et mdivale, nefurent cres quen 1962 (prcdes dun an par la direction dtudes dHenri Brunschwig lEPHE). Celui-ci tait, avec John Fage, le seul universitaire de formation classique, tousles autres (Oliver en Grande-Bretagne, et en France Hubert Deschamps puis son successeurYves Person pour lhistoire contemporaine, et Raymond Mauny pour lhistoire mdivale),taient danciens administrateurs, car ctait un temps o lhistoire de lAfrique strictosensu

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    nexistait pas encore en tant que discipline, lAfrique subsaharienne restant le champ rservdes anthropologues et des ethnologues.

    La gense de lafricanisme franais5 Ces premires annes de lhistoriographie africaniste franaise sont aujourdhui connues 4.

    Henri Brunschwig joua un rle moteur dans le dmarrage de la discipline, refltant les progrsde lensemble des sciences sociales (1960-1976) dans la revue Cahiers dtudes africaines, qui

    rassemblait aussi les efforts interdisciplinaires du gographe Gilles Sautter, des sociologuesGeorges Balandier et Paul Mercier, de lethnologue Denise Paulme, des linguistes Pierre

    Alexandre et Pierre-Francis Lacroix5.6 La recherche tait alors peu consciente de lavance pourtant vidente de quelques intellectuels

    africains : la revue Prsence africaine avait t cre en 1947 par le Sngalais AliouneDiop6, les deux premires thses dtat en histoire africaine avaient t soutenues pardeux Sngalais, Cheikh Anta Diop (1954-1960) et Abdoulaye Ly (1956). Si lon excepteles ouvrages pionniers du gographe communiste Jean Suret-Canale7, la premire Histoiregnrale de lAfrique noirevraiment digne de ce nom fut publie en franais par le Voltaque

    (Burkinabe) Joseph Ki-Zerbo8.7 Les premires gnrations franaises sont demeures quelque peu prisonnires de leur

    privilge ancien, appel devenir un handicap : elles apportaient le savoir la grandemajorit des tudiants africains dont la gnration prcdente, sauf exception, navait pasencore eu lopportunit de faire des tudes suprieures. Nous, universitaires franais, avonsdonc occup tous les postes de direction, y compris dans les universits africaines (YvesPerson et Jean Devisse, lus la Sorbonne, avaient commenc leur carrire luniversit deDakar). Les historiens franais conservrent jusqu la fin des annes 1970 le monopole delenseignement universitaire francophone. Ce fut la diffrence avec ce quon a appel, duct anglophone, les coles de Dar es Salaam et dIbadan, o cohabitrent plus tt, dans unrapport relatif dgalit acadmique, britanniques et nationaux, forms pour certains des unscomme des autres Oxford ou Cambridge9. En France, en revanche, lune de mes anciennesdoctorantes, Florence Bernault, aujourdhui professeure luniversit du Wisconsin, me fit un

    jour cette remarque judicieuse : Vous, vous tiez les rois de la brousse [par rfrence autitre donn par Hubert Deschamps son livre de souvenirs] ; nous, de la gnration suivante,nous avons dmontrer que, bien que Franais, nous sommes capables dcrire de la bonnehistoire africaine .

    8 Limportance du savoir alors accumul par les jeunes historiens africains fut en grande partienglige, et surtout inconnue sauf de la petite minorit de spcialistes qui avaient sig dansleurs jurys de thse ou de matrise. Do la morgue souvent inconsciente de ceux quisavaient , bref un travers eurocentr qui se rvle tenace.

    Limportance de lcole historienne africaine9 Or, contrairement la vision franaise de lhistoire africaine en train de se faire, on compta

    partir des annes 1980 autant sinon davantage dAfricains francophones docteurs dtatque de Franais (universitaires). En nombre, lcole historique francophone a toujours tplus nombreuse que lcole franaise stricto sensu : un espace semi-continental contre unseul pays, rien de plus normal. Des annes 1970 aux annes 1990, le nombre des Africainsdiplms en thse de troisime cycle en histoire africaine fut largement suprieur celui deleurs homologues franais (de lordre de trois quarts dtudiants originaires dAfrique contreun quart de Franais). Ils ont accumul une masse de travaux originaux prsents pour leurquasi-totalit, outre lEHESS, dans les universits de Paris-1, de Paris-7 et dAix-en-Provencepuisque, sauf Dakar, il nexistait pas encore de troisime cycle dans les universits africainesnon plus qu Madagascar. Au fur et mesure que les docteurs retournaient au pays former leur tour des jeunes chercheurs, sajoutrent les travaux sur place 10. En 1988, le prix dethse CNRS fut dcern un Nigrien qui avait entrepris lhistoire des scheresses de lazone sahlienne du XVIIIe au XXe sicle11. La mme anne, le prestigieux prix internationalNoma, couronnant la meilleure publication scientifique africaine, toutes langues et disciplines

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    confondues, fut dcern la thse dtat dun historien ivoirien sur lurbanisation en CtedIvoire coloniale12.

    10 La diffrence, ce fut la diffusion. Les thses crites par des universitaires franais ont tpublies le plus souvent un an ou deux aprs la soutenance. Ce ne fut le cas que pour uneminorit des thses africaines : huit thses dtat seulement publies sur les vingt rpertoriesjusquen 2000. Celle, trs novatrice, sur lesclavage dans les socits lagunaires de Cte

    dIvoire fut publie en 2007 seulement (vingt ans aprs sa soutenance lEHESS)13.

    Africanistes et historiens africains : du divorce larconciliation

    11 Ainsi, le relatif divorce entre africanistes et Africains apparat ds les dbuts de cettehistoire. Les historiens africanistes franais ont, lorigine, peu lu et gure particip la revuePrsence africainequi stait pourtant assur des parrains de poids : Jean-Paul Sartre etGeorges Balandier ;or la revue, inspire au dpart par le concept de ngritude (au sens cultureldu terme) lanc avant-guerre par Lopold Senghor et Aim Csaire, est alle bien au-del. Cequi importait Alioune Diop, ctait lafricanit, cest--dire la ncessit de promouvoir unmouvement autocentr de recherches culturelles, incarn par les manifestations dont il fut lematre duvre : congrs des crivains et artistes noirs dont le premier fut organis Paris en

    1956, Festival des arts ngres (FESTAN, Dakar 1966, Lagos 1974).12 Certes, les historiens franais taient passs de lhistoire de la colonisation lhistoire

    dlocalise des aires culturelles. Mais, enferms dans le cercle enchant de leur acadmismeet rests proches de leurs prdcesseurs anthropologues en matire africaine, ils ne saisirentgure, sauf exception, limportance de la qute dhistoire de leurs collgues africains quilscontinuaient surtout utiliser comme informateurs . Le rle de la revuePrsence africainefut en ce domaine rvlateur : son message fut mconnu du monde universitaire franaisalors que la revue tait lance de Paris, et joua en Afrique occidentale et dans les Antillesun rle culturel majeur. la relecture, les articles frappent par leur qualit, la varit dessujets abords, et leur souci de ne pas se livrer une quelconque agressivit militante dansla reconstitution de lhistoire africaine et des histoires nationales. Ce fut, lpoque, avant

    1960 (date de naissance des Cahiers dtudes africaines, la mme anne, signe des temps,que leJournal of African History),la seule revue, avec laRevue de lIFAN-Bde Dakar (etquelques autres revues locales hrites de la priode coloniale) traiter dhistoire africaine.Ce fut surtout la premire et longtemps la seule revue de langue franaise donnant la parole des chercheurs africains.

    13 Les africanistes franais furent surtout sensibles aux exagrations gyptiennes de CheikhAnta Diop ; ils nont pas compris le pas norme quelles faisaient franchir en rendant leur

    dignit aux historiens africains, en leur intimant dcrire dabord une histoire vue dAfrique14.Cest de lui que date une certaine rupture entre historiens africains et africanistes. Pour lespremiers, Cheikh Anta Diop est le pre fondateur de lhistoire africaine de langue franaise,incontestable et difficile contester. Pour la plupart des seconds, il fut un illumin, historien

    non professionnel qui a certes rendu aux Africains la fiert de leur histoire, mais non sansaffirmer un certain nombre de sottises. Cette querelle, qui a fait couler beaucoup dencre,traduit encore de part et dautre des blocages regrettables15. De la mme faon, les Franais onttrait par le mpris certaines ides de bon sens du philologue amricain Martin Bernal, dontlentreprise tait du mme ordre que celles de Said ou de Mudimbe : dconstruire le mythe

    dun miracle grec qui naurait rien d lhritage gyptien16. Certes, Cheikh Anta Diop ouMartin Bernal, comme tous les visionnaires, ont exagr. Mais, aprs Alioune Diop et avecValentin Mudimbe, ils ont t les premiers pratiquer propos de lAfrique lepostcolonial.

    14 Cela dit, lhistoire africaine crite par les historiens dAfrique nest ni meilleure ni moinsbonne que celle crite de France. Mais elle peut exprimer des proccupations diffrentes,une vision en partie rvise de lhistoire. Comme toutes les histoires du monde, lhistoireafricaine dAfrique a connu ses maladies de jeunesse. Les premires annes dindpendanceont inspir des revendications de type nationaliste ; il sagissait de redresser lhistoire coloniale la franaise en en prenant le contre-pied : des tyrans sanguinaires de lpope coloniale

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    sont devenus des hros sans peur et sans reproche. Il y eut aussi (comme chez nous) descontradictions dans la vision de lenseignement fournir aux lves ; ainsi, au dbut du rgimede Skou Tour en Guine, deux historiens de gauche , lun franais, Jean Suret-Canale,lautre guinen, Djibril Tamsir Niane, ont conu un manuel les coliers africains nayanteu disposition jusqualors que des manuels franais de France ; ce manuel ne plut pas auprsident Houphouet-Boigny de Cte dIvoire, qui commanda donc le sien Yves Person.

    15 Ct recherche, le ton avait chang : ce sont les anciens coloniss qui crivaient leur histoire,

    privilgiant les effets ressentis sur le terrain, quel que soit le pays tudi : comment avaientvolu, en particulier au long de la colonisation, les populations concernes. Ces tudes secomplexifirent progressivement : histoire des rsistances, histoire agraire, histoire de la santou de lducation, histoire du climat et de lenvironnement, histoire dmographique et desmigrations, histoire urbaine, et plus rcemment, histoire genre et histoire de la violence(violence urbaine, violences de guerre). Toutes ont contribu enrichir le patrimoine denos connaissances communes, et tout particulirement le savoir de leurs matres et de leurscentres de recherches situs dans lhexagone. Car ces travaux ont continu jusqu il y apeu dapprovisionner la recherche dans les instituts franais qui les avaient suscits et o lesmanuscrits taient consultables, enrichissant leur tour les ouvrages publis des chercheursle plus souvent occidentaux qui y avaient accs, quand ils prenaient le soin (dontologique)

    de signaler leurs rfrences.16 Aujourdhui nous en sommes arrivs au mme point en Afrique et en France : les manuels(quand ils existent en Afrique, ce qui nest malheureusement pas encore toujours le cas) et,plus gnralement, les travaux dhistoire refltent les connaissances actuelles, mais aussi leschoix de leurs auteurs Le point de vue africain adopt est dsormais non plus eurocentr,mais afrocentr, et cest normal. Enfin, la recherche africaine sest plutt mieux dgage que lafranaise sur certains tabous tenaces : en particulier celui de lesclavage. Quant Cheikh AntaDiop, personne ne met plus en doute limportance que revtit son entreprise de revitalisationde lhistoire africaine. Autrement dit, depuis une dizaine dannes, les perspectives se sontmodifies de part et dautre, et les changes sont devenus possibles et fconds.

    Les obstacles : afrocentrismeversus

    eurocentrisme17 En France, il existe parfois, au sein mme de la communaut africaniste , une tendance

    fcheuse qui est de confondre la ncessit dun point de vue afrocentr avec ce qui esttax d afrocentrisme , alors que lafrocentrisme est aussi dtestable que leurocentrismedont il est lexpression inverse. Car on ne doit pas enjoliver la situation ni dun ct ni delautre ; il reste deux irrductibles : dune part, en Afrique et peut-tre surtout hors dAfrique,des reliquats du courant afrocentriste , et dautre part, dans notre hexagone, les tenants dela colonisation franaise positive 17.

    18 Lafrocentrisme saccroche aux origines noires, la suite de disciples intransigeants deCheikh Anta Diop qui, tels Thophile Obenga, aujourdhui aux tats-Unis, ou le professeurdgyptologie Aboubacry Moussa Lam luniversit de Dakar, font tout venir de lgypte

    mre. Des clubs cheikh anta diopistes existent dans les universits dAfrique francophone,recrutant parmi des tudiants nafs qui revendiquent de faon maladroite leur nationalismepassiste, et parfois soutenus par des enseignants eux-mmes, de par leur isolement lorsquilsnont pas de contacts internationaux. Ce courant recrute aussi en France parmi les laissspour compte que, parfois, leur niveau carte ou a cart de la russite luniversit etdont le militantisme radical peut sduire des jeunes peu scolariss qui se sentent ( justetitre) exclus du systme dominant. Le courant est plutt reprsent au niveau universitairepar certains Franais antillais qui revendiquent une ngritude agressive, laune desdiscriminations dont ils estiment souffrir (souvent hlas juste titre). Ceci ractive parfois,dans les nouvelles gnrations, une msentente ancienne entre noirs dorigine africaine (taxsdanciens esclavagistes) et Franais antillais de couleur (descendants desclaves).

    19 Ct Franais blanc , une crise politique interne sest dclare laube du troisimemillnaire, o des mmoires coloniales se sont catapultes avec violence : le candidatSarkozy la prsidence a lanc des mots armes qui ont fait flche de tout bois ; tout

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    groupe luttant contre les discriminations raciales (notamment anti noires) sest fait accuser de communautarisme ; tout historien soucieux de sortir lhistoire de la colonisation du dnidont elle souffrait depuis la fin de la guerre dAlgrie (1962), sujet sensible entre tous,sest fait taxer, par ses propres pairs, de repentants visant dshonorer l honneur dela France , ne serait-ce quen voulant traiter des abus coloniaux qui avaient pourtant t denotorit publique du temps mme de la colonisation. On sest mis brandir la morale et vouloir peser les bons et les mauvais cts de la colonisation, comme si lhistorien tait

    un juge, confondant ainsi moraleet savoir. Les politiques sen sont mls, le Parlement ayantvot une loi enjoignant aux historiens denseigner les aspects positifs de la colonisation, enparticulier en Afrique du Nord (article 4 de la loi de fvrier 2005, article que le prsidentChirac a fait annuler lanne suivante, devant la protestation des professionnels). Laffaire aaussi empoisonn la question de lenseignement de lesclavage et de la traite des esclaves, laloi Taubira (2001, sur lesclavage reconnu comme crime contre lhumanit) ayant rendu cetenseignement obligatoire alors que le thme, depuis des annes, tait officiellement ignor lcole primaire et peine voqu dans le secondaire. Les historiens ont pris parti, les politiquessen sont mls, et le tout a provoqu un beau gchis loccasion de la sortie dun ouvragede synthse controvers sur la question ngrire (affaire dite de lhistorien Olivier Ptr-Grenouilleau en 2004-2005). Les historiens se sont entre-dchirs entre deux clans : Libert

    pour lhistoire (association initie par Ren Rmond et reprise par Pierre Nora) contre CVUH( Comit de vigilance sur les usages publics de lhistoire cr par Grard Noiriel)18.

    20 Le dbat a directement rejoint la question de lhistoire africaine avec le discours du prsidentSarkozy luniversit de Dakar, en juillet 2007, prtendant que les Africains ntaientpas suffisamment entrs dans lhistoire . Du coup, les historiens francophones du continentafricain ont vigoureusement ragi19 ; en France aussi le discours a provoqu une ractionassez saine ; lhistoire africaine en acquerrait presque droit de cit. Mais dautres historiens,plus frileux, mal prpars saisir les volutions intellectuelles pourtant passionnantes quise dveloppent en Afrique, se replient sur une vision europenne de lhistoire. Sans mmevoquer le recours passiste au roman national strictement hexagonal, la mode , aussibien en France quaux tats-Unis, redevient de sintresser davantage au ct europen de

    lentreprise coloniale qu un continent tranger qui, dornavant, forme en nombre ses propreshistoriens. On compare donc dsormais la construction et la chute des empires du XXesicle,ottoman, habsbourgeois, russe, colonial (cf. les travaux trs priss en France de lhistorienamricain, Fred Cooper, et les nombreux colloques organiss sur ce thme dans les universitsfranaises, aussi bien chez les historiens que chez les politologues)20.

    Lapport postcolonial21 Tout ceci rend compte du contraste entre, dune part, le dynamisme actuel de la recherche

    africaine malgr ses handicaps et, dautre part, le retour, ct franais, vers une rflexioncoloniale de caractre eurocentrique et mme francocentr. Tout se passe comme si larecherche franaise abandonnait au moins en partie le domaine de lhistoire africaine

    aux Africains, sans sintresser outre mesure aux changes rciproques ncessaires. avaitt pourtant lapport, lpoque, des aires culturelles . Les chercheurs de nagureaffirmaient leur capacit se mettre la place de lautre . Lapport original des recherchespostcoloniales, cest de nous rappeler lordre : aussi lucide et rigoureux soit-on, il est quasiimpossible de se dfaire de sa propre subjectivit qui relve aussi du point de vue o lon estsitu dans le temps et dans lespace. La grande diffrence davec les annes 1960, cest quel Autre a les mmes pouvoirs que le savant occidental, et revendique son propre regardsans avoir besoin de se le faire expliquer par ses partenaires. Les subaltern studies ontenseign ceci aux anglophones depuis les annes 1970, tandis quune bonne gnration plustard, des chercheurs franais srieux et respects ne doutent pas que leur propre regard suffit,et affirment que, en revendiquant de penser par eux-mmes , les chercheurs dailleurs neferaient que nous imiter maladroitement21.

    22 Ces auteurs arguent que les tudes postcoloniales ne font que rpter ce quils ont pratiqu eux-mmes de longue date. Cest en partie exact : chaque gnration a besoin de se rapproprier

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    des concepts-cls en y ajoutant son grain de sel. Mais ce qui est nouveau, cest le fait que semettre la place de lAfricain est une attitude rvolue. Limportant est devenu de lentendreet daccepter son point de vue, de dissiper ensembleles malentendus, bref de se dfaire de cettemorgue du savoir europen hrite du XIXesicle. Historiens franais et maliens ont pratiqusans le savoir lepostcolonialil y a quelques annes, en montant un programme commun derecherche sur lhistoire de la colonisation au Mali : le programme runissait une dizaine dechercheurs et de doctorants de part et dautre, et a dur six ans. Il a bien fallu aux partenaires

    un tiers du temps pour simplement apprendre scouter et saccepter, tant ils taient a prioriprisonniers de leurs propres prjugs22.

    23 Ce nest donc pas un hasard si les premiers importer en France des ides postcoloniales propos de lhistoire africaine furent deux historiens sngalais23.

    Les ides postcoloniales en Afrique

    24 Pourquoi les Africains francophones de la diaspora sont-ils si sensibles aux apports desides postcoloniales ? Les plus reprsentatifs de cette tendance sont le Sngalais MamadouDiouf, professeur Columbia University, et le Camerounais Achille Mbembe, chercheur Stellenbosch University (Afrique du Sud). Cest quils participent plein aux deuxmondes. Biculturels pour ne pas dire triculturels, aussi au fait des cultures africaines quedes recherches anglophone et francophone, ils sont les mieux placs pour saisir quel pointlapport des PCS est important pour se dbarrasser de lhritage en partie obsolte lgupar la bibliothque coloniale . Dsormais, en Afrique, la quasi-totalit des chercheursest constitue de gnrations nes ou en tous les cas duques aprs les indpendances,dans des universits nationales exclusivement dotes denseignants africains. Certes, il nefaut pas non plus se faire dillusions. Pas plus que certains Franais, des afrocentristes attards ne sont pas tous dgags des strotypes qui persistent maintenir le sous-continentafricain en position de monde part, frapp quil serait de traits culturels ou sociopolitiquesspcifiques. Mais il ne faut pas exagrer ce handicap. Vient de se tenir Tripoli un colloqueUnesco rvlateur (juillet 2010) : quelque cent quarante spcialistes, pour la plupart historiensou responsables pdagogiques reprsentant une quarantaine dtats, avaient pour objet de

    saccorder sur les thmes dhistoire africaine prvoir en fonction des diffrents niveauxdenseignement, au plan national, rgional et panafricain. Pendant dix jours, ils ont travaill prciser les concepts et les contenus privilgier dans des livres du matre pour transmettreaux nouvelles gnrations une histoire africaine, vue dAfrique, repense. Ils ont de factoentrepris la rvision postcoloniale confronte de leur histoire24.

    25 Les historiens de lAfrique lont compris aujourdhui pour la plupart : le savoir nest efficaceque sil est internationalement chang et discut entre chercheurs de toute provenance,de toute culture et de toutes langues, de faon interdisciplinaire. De ce point de vue, lesacquis scientifiques contemporains sont formidablement enrichis, entre autres, par la rapiditofferte par les nouvelles technologies de linformation et de la communication. Dans ce cadrenovateur, on ne peut faire lconomie de lapport des ides dites postcoloniales, partie de ce

    que lon appelle aujourdhui plus gnralement, l histoire connecte .

    Notes

    1 Pour en savoir plus : C. Coquery-Vidrovitch,Petite histoire de lAfrique, lAfrique au sud du Saharade la prhistoire nos jours,Paris, La Dcouverte, 2011, 220 p. Voir dans ce numro, dans la rubriqueLivres lus, un compte rendu de Chlo Maurel [NDLR].

    2 Edward Said, Orientalism, 1978. TraduitLOrientalisme: lOrient cr par lOccident, Le Seuil, 1980.

    3 Valentin Mudimbe, The Invention of Africa. Bloomington, Indiana University Press, 1988 ; The Ideaof Africa,ibid.,1994.

    4 Sophie Dulucq, Aux origines de lhistoire de lAfrique.Historiographie coloniale et rseaux desavoir en France et dans les colonies franaises dAfrique subsaharienne (de la fin du 19 esicle auxindpendances),Presses universitaires de Toulouse, 2009.

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    5 Cf. Catherine Coquery-Vidrovitch, Pluridisciplinarit et naissance de lhistoire africaine de languefranaise, Cahiers dtudes africaines, 1960-1976 , in Cahiers dtudes africaines, numro spcial 50ans , n 198-200, 2010, p. 545-556.

    6 Cf. Catherine Coquery-Vidrovitch, Afrique noire : lorigine de lhistoriographie africaine de languefranaise ,Prsence africaine,n spcialLhistoire africaine: laprs Ki-Zerbo, nouvelle srie n 173,2006, p. 79-90.

    7 Jean Suret-Canale, Afrique noire occidentale et centrale, tome 1, Paris, Les ditions sociales, 1958.Tome 2,Lre coloniale 1900-1940,Paris, 1964.

    8 Joseph Ki-Zerbo,Histoire de lAfrique noire: dhier demain, Paris, Hatier, 1972.

    9 Pour obtenir le mme rsultat luniversit du Sngal, en 1974, Boubacar Barry, alors matre assistant,et moi-mme, professeure lUniversit Paris 7, avons mis au point un semi-subterfuge : jai thabilite par le conseil de lUniversit de Dakar comme directrice de recherche. Ma mission annuelle(six semaines) permit aux collgues de crer le niveau du troisime cycle. Je signais les papiers officielsmais mes collgues sngalais accomplissaient lessentiel des tches qui donna naissance l lcole deDakar . Celle-ci conquit son indpendance dfinitive en 1985 avec la soutenance des premires thsesdtat dakaroises.

    10 . Cf. Chantal Chanson-Jabeur et Catherine Coquery-Vidrovitch (dir.), Recensement analytique destravaux universitaires indits soutenus dans les universits francophones dAfrique noire, Cahiers dugroupe Afrique noire de lUniversit Paris 7, n 16, 1995 et n 21, 2003.

    11 Alpha Gado Boureima, Une histoire des famines au Sahel XIXe-XXesicles Paris, LHarmattan, 1993.

    Le volume 2, signe des temps, vient dtre publi par une maison ddition au Niger en 2010.12 Pierre Kipr, Villes de Cte dIvoire, 1893-1940, Nouvelles ditions africaines, Abidjan, 2 vol., 1985.

    13 Harris Memel-Fot,Lesclavage dans les socits lignagres de la fort ivoirienne (XVIIe-XIXesicle),Les ditions du CERAP/IRD, Abidjan, Paris, 2007.

    14 Cheikh Anta Diop,Nations ngres et Culture,Paris, Prsence africaine,1954.

    15 Le site internet sur Wikipedia est officiellement bloqu, en raison du caractre irrductible desdsaccords exprims.

    16 Martin Bernal, Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civilization. T.I.The Fabricationof Ancient Greece, 1785-1985, 1988(traduitLinvention de la Grce antique, 1785-1985, Paris, PUF,1996).

    17Essai sur la colonisation positive,titre dun ouvrage rcent dun historien pourtant de qualit, MarcMichel (Paris, Perrin, 2009).

    18 Sur cette crise franco-franaise de lhistoire coloniale, voir : C. Coquery-Vidrovitch,Enjeux politiquesde lhistoire coloniale, Marseille, Agone, 2009.

    19 Cf. Adame Ba Konare (dir.), Petit prcis de remise niveau sur lhistoire africaine lusage duprsident Sarkozy,Paris, La Dcouverte, 2008.

    20 Jane Burbank &Frederick Cooper,Empires in Word History. Power and the Politics of Difference,Princeton & Oxford, Princeton University Press, 2010. (Traduit, Payot, 2011.)

    21 Citons entre autres: Jean-Loup Amselle, LOccident dcroch. Enqute sur les postcolonialismes,Paris, Stock, 2008 ; Jean-Franois Bayart, Les tudes postcoloniales, un carnaval acadmique,Paris,Karthala, 2010 ; Yves Lacoste,La question postcoloniale: une analyse gopolitique, Paris, Fayard, 2010.

    22 Ce travail conjoint a t publi :Mali-France,regards sur une histoire partage, Paris, Karthala, 2005.

    23 Mohamed Mbodj, Conclusion , dans Des historiens africains en Afrique : logiques du passet dynamiques actuelles,Paris, LHarmattan (laboratoire Tiers-Mondes, Afrique), 1998, p. 351-355.

    Mamadou Diouf (d.), Lhistoriographie indienne en dbat : colonialisme, nationalisme et socitspostcoloniales, Paris, Karthala/ Amsterdam , SEPHIS, 1999, 494 p.

    24 Les participants ce congrs reprsentaient plus de trente nationalits. Ils taient soit en poste dansleurs universits et acadmies respectives, soit issus de la diaspora, lexception dune Franaise nonafro-descendante (moi-mme) et de deux pdagogues brsiliennes venues tudier comment enseignerlhistoire africaine qui vient dtre introduite dans les programmes de leur pays.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Catherine Coquery-Vidrovitch, Histoire africaine de langue franaise et mondialisation , Cahiersd'histoire. Revue d'histoire critique[En ligne], 119 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, consult le29 dcembre 2014. URL : http://chrhc.revues.org/2824

  • 8/10/2019 Chrhc 2824 119 Histoire Africaine de Langue Francaise Et Mondialisation

    9/9

    Histoire africaine de langue franaise et mondialisation 9

    Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 119 | 2012

    Rfrence papier

    Catherine Coquery-Vidrovitch, Histoire africaine de langue franaise et mondialisation ,Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 119 | 2012, 141-152.

    propos de lauteur

    Catherine Coquery-Vidrovitch

    Professeure mrite, Universit Paris Diderot Paris 7

    Droits dauteur

    Tous droits rservs

    Rsum

    Aujourdhui la plupart des historiens franais rejettent le concept dafricanisme, pour des

    raisons semblables au rejet par Edward Said de l'Orientalisme, ou par Valentin Mudimbede linvention de lAfrique. Plusieurs gnrations dhistoriens africains forms aux colesde Dakar, de Dar es Salaam, ou dIbadan, nous rappellent dsormais que ce que nous,Occidentaux, pensons tre vident est loin de ltre pour lAutre, et inversement. Mme si lemanque de ressources et la fuite des cerveaux psent sur les centres africains de recherche, leshistoriens africains de lAfrique et de la diaspora sont dsormais beaucoup plus nombreux queles Franais. Les tudes africaines ne sont plus unilatrales. Elles sont aussi afrocentres (ce

    qui ne signifie pas afrocentriques). Cest ce que rappellent les analyses dites postcoloniales1.

    Entres dindex

    Mots-cls :Afrique, histoire, recherche, diaspora, mondialisation, postcolonialesKeywords :Afrique, histoire, recherche, diaspora, mondialisation, postcolonialesSchlagwortindex : Afrique, histoire, recherche, diaspora, mondialisation,postcolonialesPalabras claves :Afrique, histoire, recherche, diaspora, mondialisation, postcoloniales