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Comme un parfum de rose CHRISTYNE BUTLER

Christyne Butler - Comme Un Parfum de Rose

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Page 1: Christyne Butler - Comme Un Parfum de Rose

Comme un parfum de roseCHRISTYNE BUTLER

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- 1 - Folle de rage, Maggie Stevens s’avança à grands pas vers Kyle Greeley. – Espèce de sale voleur ! On peut dire que les scrupules ne t’étouffent pas. Tu n’as pas honte de débaucher mon ouvrier ? Avec un flegme insultant, Kyle continua de compter les billets de banque qu’il détachait un à un d’une épaisse liasse. Enfin, en guise de réponse, il lui adressa un sourire sardonique. – Tes ouvriers, ma belle ! corrigea-t–il. – Mes ouvriers ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Elle jeta un coup d’œil sur Spence Wilson qui travaillait dans son ranch depuis plusieurs mois. Puis sur Charlie Blain, qui baissa aussitôt les yeux sur ses bottes comme si celles-ci méritaient soudain toute son attention. Elle aurait dû s’en douter. Tout au long de cette belle journée de fête nationale à Destiny dans le Wyoming, elle s’était promenée avec sa grand-mère et sa fille sans rencontrer l’ombre d’un de ses cow-boys. Trop occupés à l’éviter, évidemment… Et maintenant, alors qu’elle revenait de prendre une bière au bar pour son amie Racy qui dansait un peu plus loin, elle les avait retrouvés à l’écart des allées et venues des promeneurs, en compagnie du détestable Kyle Greeley. – On n’a rien contre vous, miss Stevens, déclara Spence en triturant le bord de son chapeau. En fait, on aimait bien travailler au Crescent Moon. Mais la paye que nous offre M. Greeley est trop tentante pour qu’on y renonce. Et voilà. Encore une fois, la carotte financière avait marché auprès de ses ouvriers les plus jeunes et les plus forts. On ne pouvait pas lui retirer ça, Greeley savait s’y prendre pour appâter les gens. Jusqu’à elle-même qui s’était laissé prendre à l’un de ses pièges… Oh, bien sûr, dans son cas, il n’avait pas été question de billets de banque, mais de dîner aux chandelles et de belles paroles, romantiques à souhait. Ce n’était que plus tard qu’elle avait découvert quelle ordure il était en fait. Kyle s’arrêta un instant de compter les coupures qu’il faisait glisser entre ses doigts pour la dévisager, arrogant en diable. – Tu aurais une vie de reine si tu acceptais l’offre que je t’ai faite pour ta propriété, Maggie. Un bel appartement en ville, davantage de temps pour t’occuper de ta fille, plus d’occasions de te trouver un mec… Ça ne te tente pas ? Elle serra les dents. Du coin de l’œil, elle vérifia que ses cow-boys avaient filé en douce, la laissant affronter seule son ennemi juré. – Mon ranch n’est pas à vendre, tu le sais très bien, Kyle. A aucun prix. Mais, tant que tu y es, pourquoi est-ce que tu ne débauches pas aussi Willie et Hank ? – Ils sont trop vieux, ma chérie. Je te les laisse… Allez, avoue que tu ne t’en sors plus. C’est trop de boulot pour toi, tout ce bétail et ces chevaux. Elle releva le menton, furieuse. – Va au diable, Greeley ! – Il fut un temps où tu te montrais plus aimable… Elle secoua la tête, vexée de se rappeler qu’elle s’était effectivement laissé prendre au charme des yeux d’un bleu céleste et aux mensonges enjôleurs de son interlocuteur. – Quand je pense que tu m’as fait la cour pendant trois mois uniquement dans l’espoir d’obtenir mon ranch ! – La vie exige parfois qu’on fasse des sacrifices, reprit Kyle, cynique à souhait. Ton cher Alan l’avait fait avant moi, et pour les mêmes raisons. – Eh bien, il n’y a pas réussi. Et tu peux en faire ton deuil par anticipation. Jamais tu ne mettras la main sur ma propriété. Kyle se pencha sur elle, la prit brutalement par le bras et se pencha sur elle d’un air menaçant. Son haleine empestait le whisky. Zut, comment ne l’avait-elle pas remarqué plus tôt ? Sobre, Kyle était agaçant. Ivre, il pouvait devenir carrément dangereux.

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– Je mettrai les mains exactement où ça me plaît, rétorqua-t–il avec un rire mauvais. Une nausée souleva l’estomac de Maggie. – Lâche-moi, espèce de fumier ! – Je te lâcherai quand ça me plaira. – Laisse-moi tranquille, ou tu vas recevoir ce verre de bière à la figure. – J’aimerais bien voir ça. – C’est tout vu ! Joignant le geste à la parole, elle lui jeta au visage le contenu du gobelet en carton. Une large tache jaunâtre s’étala sur la belle chemise bleu clair de Kyle. – Tu vas me le payer ! Comme elle se rendait compte un peu tard qu’elle s’était mise dans une situation problématique, elle distingua un froissement de branches derrière eux. – Recule ! ordonna une voix d’homme qu’elle n’avait jamais entendue. Greeley lui serra plus fort le poignet. – Je t’ai demandé de reculer, répéta la voix, autoritaire et un peu rauque. Tout de suite. Elle frissonna, plutôt à cause du trouble causé par la voix de l’inconnu que par peur de Greeley. – Occupe-toi de tes affaires, Cartwright, ou il pourrait t’en coûter ton emploi, rétorqua ce dernier. L’homme qui se tenait derrière elle se rapprocha. Elle sentait qu’il la dominait de toute une tête. – Laisse cette jeune femme tranquille, insista calmement le nouveau venu, en articulant plus que nécessaire. Kyle lâcha le bras de Maggie. – Nous réglerons nos affaires plus tard, ma petite. Quant à toi, Cartwright, inutile de te présenter ce soir à mon ranch comme nous en étions convenus. Le Triple G n’a plus besoin de tes services. Et d’ailleurs, si tu ne veux pas d’ennuis, je te conseille de quitter le Wyoming. Sans tarder, et pour de bon. Sur ce, Greeley pivota sur lui-même avant de disparaître. Comme Maggie se retournait pour remercier son sauveteur, elle se prit le pied dans une racine qui la fit trébucher. Elle allait tomber quand deux mains solides la retinrent par la taille et la plaquèrent contre une poitrine aux muscles d’acier. Elle tourna la tête et découvrit un regard sombre, intense, qui la dévisageait par-dessous le rebord d’un Stetson noir. Une barbe de plusieurs jours couvrait les joues de l’homme. De nouveau, elle sentit un frisson incontrôlable lui courir le long du dos. – Heu… Merci pour votre intervention. – Pas de quoi, répondit le cow-boy, laconique, en baissant le menton de manière à ce qu’elle ne puisse pas le dévisager sous son couvre-chef. Vous n’êtes pas blessée ? – Non, merci. – Je vous conseille de partir sans attendre que cette brute ait décidé de revenir… Avant qu’elle ait eu le temps d’ajouter quoi que ce soit, l’homme avait tourné les talons. Elle regarda sa haute silhouette disparaître à la suite de Kyle sans réussir à maîtriser le trouble inattendu qui s’était emparé d’elle. D’un geste brusque, elle rejeta en arrière ses longs cheveux blonds. Qu’est-ce que c’était que cette défaillance ? Elle ferait mieux de rejoindre ses amies… En prenant garde aux racines qui dépassaient du sol. Elle se dirigea vers la plate-forme érigée pour le bal et salua quelques visages connus avant d’apercevoir sa meilleure amie qui dansait avec Willie, un de ses plus fidèles cow-boys. Malgré ses soixante-dix ans, ce dernier paraissait tenir pied sans problème à Racy, qui en avait quarante de moins que lui. Maggie ne put retenir un sourire. Comme tout le monde à Destiny, Willie ne savait pas résister au charme de la superbe jeune femme rousse. A la fin du morceau, son amie la rejoignit.

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– Décidément, Willie est toujours le roi du one-step, je n’en peux plus ! Où est ma bière ? Tu l’as oubliée ? – Excuse-moi, j’ai été distraite en chemin. – Par quoi ? Maggie fit comme si elle n’avait pas entendu la question. Pourquoi évoquer Kyle Greely et ses caprices ? Elle avait décidé qu’il ne lui gâcherait pas la vie. Mieux valait s’intéresser à ses amies. – Où est Leeann ? demanda-t–elle. Je pensais qu’elle devait nous rejoindre ici. – Gage l’a appelée tout à l’heure. – Je croyais qu’il lui avait accordé sa soirée. – Tu connais le shérif Gage Steele. Avec lui, le travail a toujours la priorité. Les années ne l’améliorent pas, il reste un parfait bonnet de nuit ! – Oh, arrête tes commentaires désagréables, Racy ! Si tu faisais la paix avec lui ? Le temps a passé, nous ne sommes plus au lycée. – Tu as raison, l’eau a coulé sous les ponts, inutile de perdre du temps avec de l’histoire ancienne. Au fait, où sont ta grand-mère et Anna ? – Nana est retournée au ranch, et Anna est invitée à dormir chez une amie. – Ce qui fait que tu es libre comme l’air, ce soir, observa Racy avec un grand sourire. Il ne te reste plus qu’à trouver un beau cow-boy sympa pour en profiter. Un éclair sombre traversa la tête de Maggie. Un jean délavé, un regard de braise, un Stetson noir… Son sauveteur avait disparu dans l’obscurité du sous-bois, mais elle reconnaîtrait entre mille ces larges épaules, ces manches retroussées sur des bras musclés, ces longues jambes moulées dans le jean étroit. Avec un haussement d’épaules, elle tenta de se débarrasser de cet encombrant souvenir. – Tu vas abandonner cette rengaine, à la fin ? Je t’ai déjà dit mille fois que je ne suis pas intéressée. Sans compter que j’ai pas mal d’affaires à régler, surtout maintenant que Greeley m’a soufflé Spence et Charley. – Oh ! Tu veux dire qu’ils t’ont quittée ? Toi qui pensais qu’ils étaient réellement intégrés au Crescent Moon ! Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant ? Elle haussa les épaules. Ce qu’elle allait faire ? Elle n’en savait strictement rien. Il lui fallait trouver de l’aide, et vite. Pour l’instant, il lui restait à espérer que les affichettes qu’elle avait placées en ville allaient lui amener quelques nouveaux ouvriers… – Je vais faire comme toujours, conclut-elle. Continuer à continuer. – D’accord, concéda Racy. Mais pas ce soir. Aujourd’hui, il faut faire la fête ! Ton programme est tout tracé : tu vas trouver un beau cavalier qui te fera danser jusqu’à ce que tu cries grâce. Qu’est-ce que tu penses de ça ? – Désolée, rien de bien. Je dois rentrer chez moi. Si tu voyais la pile de formulaires qui m’attend sur mon bureau et les… – Arrête ta litanie. Tu ne vas pas travailler le jour de la fête de l’Indépendance, je te l’interdis. Ce soir, Destiny fourmille de cow-boys plus séduisants les uns que les autres, il faut en profiter. Tu n’as qu’à lever les yeux pour en trouver un à ton goût. – Racy, tu es insupportable. Je t’ai déjà dit que je n’ai aucune envie de m’amuser ! – Eh bien, tant pis pour toi. Moi, je vais me trouver un galant et danser comme une folle. Quand il sera fatigué, j’en chercherai un autre, et puis un autre, jusqu’à demain matin. Tu es bien bête de ne pas en faire autant. Maggie regarda son amie s’avancer vers le cow-boy le plus proche et l’entraîner sur la piste de danse. Délurée comme elle l’était, Racy mettrait ses promesses à exécution, elle épuiserait sans aucun doute trois ou quatre beaux garçons avant de se décider à finir la nuit en bonne compagnie. Et elle, Maggie Stevens ? Combien d’hommes allait-elle rencontrer ce soir ?

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Zéro, comme d’habitude.

*** Landon Cartwright traversait lentement l’espace où la fête se tenait. Le soleil se couchait doucement. Des familles et des groupes d’adolescents s’amusaient avec des cris de joie et des rires aux divers stands ou sur les manèges, dont les néons multicolores rutilaient dans la pénombre. Zéro. Voilà exactement le nombre de chances qu’il avait de trouver du travail dans ce bled perdu au nom bizarre de Destiny. Un nom parfait pour un cow-boy qui jouait de déveine comme lui… Tout en ruminant ces peu agréables pensées, il faillit heurter une petite fille qui courait sans regarder où elle allait, tout occupée à serrer contre elle un chien en peluche qu’elle venait sans doute de gagner à une loterie. Son cœur se serra. Il enfonça une main dans sa poche et saisit le petit objet ovale qui ne le quittait jamais. Un instant, il s’arrêta, les yeux clos, afin de mieux lutter contre le souvenir qui menaçait une fois de plus de le terrasser. Cette bataille dura un moment avant qu’il puisse s’estimer vainqueur. Alors seulement, il inspira profondément et rouvrit les yeux. Apercevant le shérif en grande discussion avec un groupe d’hommes, il fit basculer son Stetson plus en avant sur son front d’un coup d’index. Si la vie lui avait appris quelque chose au cours des derniers mois écoulés, c’était qu’il avait tout intérêt à éviter les représentants de la loi. Comme il longeait l’allée où l’on vendait la nourriture, son estomac se mit à crier famine. Mais il ignora délibérément les hot dogs et les pizzas qui s’offraient à sa convoitise. Toute folie lui était interdite. Les cinquante dollars qu’il avait en poche devaient durer jusqu’à ce qu’il ait retrouvé un emploi, et, après ce qu’il avait fait tout à l’heure, il y avait de forts risques pour que personne ne veuille de lui dans un rayon de deux cents kilomètres. Oui, il avait porté secours à une femme menacée par une brute, et il ne le regrettait pas, même s’il allait le payer cher. Quelle femme, en effet ! Des cheveux couleur de miel, et un parfum de rose ancienne… Quand il l’avait serrée contre lui, il avait senti ses courbes bien féminines juste là où il le fallait, en dépit de la robe floue qu’elle portait. Il n’avait pas prévu qu’elle s’appuierait autant contre lui, mais son poids l’avait entraînée, et il sentait encore la douceur de ses cheveux contre son menton. Et comme elle l’avait regardé ! Malgré la peur et la colère provoquées par son agresseur, il avait nettement aperçu dans ses yeux verts un éclair de quelque chose qui ressemblait à un intérêt tout particulier pour sa personne. C’était si net que la sonnette d’alarme avait retenti dans sa tête. « File ! Tout de suite ! » Il avait attendu suffisamment longtemps pour s’assurer qu’elle n’avait besoin de rien. Ensuite, il avait suivi Greeley pour être bien certain que celui-ci ne reviendrait pas à la charge. Puis, obéissant à l’avertissement qui lui avait été donné, il s’était éloigné. Et maintenant, qu’allait-il faire ? Il lui fallait trouver du travail, et vite. Malheureusement, le ranch de Greeley étant le plus grand de la région, ce dernier jouissait du pouvoir dont disposent les gros propriétaires dans les petites villes. Mieux valait prendre au sérieux la menace qu’il avait proférée tout à l’heure à son encontre et ne pas faire de vieux os dans le coin. Il s’avança vers le parking où il avait garé son camion et le van qui lui servait à transporter son cheval. Ce qu’il pouvait offrir de mieux à son fidèle compagnon, c’était le calme et l’obscurité apaisante des bois. Car Winner était bien son seul et unique ami, désormais. C’est pour lui qu’il avait quitté l’autoroute plus tôt aujourd’hui et postulé aux Trois G dans la matinée. Il s’approcha de l’étalon alezan. – Alors, mon vieux, comment va ton entorse ? Il s’accroupit en continuant à parler à voix basse et se mit à masser l’antérieur de l’animal, qui s’ébroua et s’écarta de son maître. – Oui, je sais que tu n’aimes pas trop ça, mais ça va te soulager.

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Hélas, cela ne suffirait pas, il le savait parfaitement. Il avait remarqué que son cheval boitait le soir où on l’avait remercié dans son dernier emploi. Durant toute la semaine suivante, il était resté sur les routes, ce qui n’avait pas aidé la blessure de Winner à guérir. Maintenant, il lui fallait absolument trouver un endroit où se poser pendant quelque temps afin de prendre correctement soin de son compagnon. A trois reprises déjà, on avait refusé de le garder. La première fois, il avait été assez inconscient pour parler de sa condamnation. Cela avait été fatal et lui avait servi de leçon. Depuis, il faisait son possible pour ne rien révéler de son passé. Hélas, malgré toutes ses précautions, la vérité finissait toujours par être connue, et chaque fois on lui demandait de partir. De nouveau, son estomac émit un grognement pitoyable. Il alla ouvrir la glacière qui se trouvait en tête du van, par acquit de conscience, mais il savait bien qu’elle était vide. – Attends-moi, Winner, je vais chercher quelque chose à manger et je reviens tout de suite. Il referma le van à clé et se dirigea vers le petit supermarché qui se trouvait dans la rue voisine, où il s’acheta un sandwich, un soda et un sac de glaçons. En arrivant à la caisse, une affichette punaisée sur le tableau des petites annonces attira son attention. « Urgent : on demande des cow-boys au Crescent Moon ». Il la détacha et la fourra dans sa poche. Qui savait, peut-être aurait-il un peu de chance cette fois ? Peut-être. Mais avec ses cheveux trop longs et sa barbe négligée, son physique ne plaidait pas en sa faveur. D’ailleurs, le regard suspicieux de la caissière le lui avait bien fait sentir. Elle avait salué aimablement les deux cow-boys qui arboraient des chemises impeccables et une boucle de ceinturon bien brillante, mais elle s’était adressée à lui du bout des lèvres. D’ordinaire, tout au moins depuis qu’il avait été relâché, il ne se laissait pas absorber par ses pensées. A cela, il préférait mille fois une rude journée de travail qui le laissait mort de fatigue, prêt à sombrer dans un sommeil profond. Malheureusement, ce luxe ne lui avait pas été offert depuis une bonne semaine. Une fois de retour au van, il l’ouvrit et fit sortir Winner. Ensuite, il étala le sac de glaçons dans un morceau de tissu qu’il enroula autour de l’entorse. Cela fait, il ouvrit son soda, en but une gorgée et sortit l’affichette de sa poche. Le Crescent Moon. Il irait voir. Après tout, c’était peut-être sa chance… Un bruissement de branches lui parvint aux oreilles sans qu’il y prête attention outre mesure. Puis, tout à coup, une violente douleur explosa entre ses omoplates, et une seconde plus tard sa tête heurtait violemment la paroi de sa remorque.

*** Maggie fit un petit signe d’au revoir à Racy qui se démenait sur la piste de danse avant de s’éloigner à travers la foule. Incapable de trouver Willie, elle avait décidé de rentrer seule et de le laisser se débrouiller. Quant à son sauveteur, elle ne l’avait pas revu. Dommage… En fait, elle avait parfaitement entendu Kyle le congédier, et l’idée qu’il se retrouvait sans travail par sa faute la plongeait dans le malaise. Tout à l’heure, pendant qu’elle regardait Racy danser avec Willie, elle avait eu l’idée de lui proposer de venir travailler au Crescent Moon en compensation. Elle s’était donc promenée à travers la foule, l’œil aux aguets. Mais, hélas, elle ne l’avait pas retrouvé. Les arguments de Kyle lui revinrent à la mémoire. Un bel appartement en ville, du temps pour s’occuper de sa fille, un homme… Elle secoua la tête. Non, ce n’était pas un homme qu’il lui fallait, mais des ouvriers. Pour le reste, elle n’avait ni le temps ni l’énergie nécessaires. Plus maintenant. Elle se hâta vers le parking, bien décidée à profiter de l’absence de sa fille pour mettre à jour les dossiers en retard. Malgré tout, elle ne put retenir un soupir. Quel sinistre programme pour une belle nuit d’été !

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La promesse de pluie en fin de journée ne s’était pas concrétisée, l’air était lourd et poisseux. En fait, elle aurait aimé aller prendre un bain dans l’étang qui se trouvait derrière la maison. Sans maillot, évidemment. Et en bonne compagnie, si possible. Une fois de plus, la silhouette sombre d’un certain cow-boy lui traversa l’esprit. Cette fois, elle accepta de la laisser flotter dans son imagination, prenant plaisir à lui donner un tour sensuel. Allons, Racy devait avoir raison, elle avait besoin d’un peu de compagnie masculine. Un hennissement aigu la fit sursauter. Puis un second, tout aussi violent, parvint à ses oreilles. Cela lui suffit pour comprendre que l’animal était terrorisé. Que se passait-il ? Elle s’avança vers le fond du parking d’où provenait ce désordre et découvrit un superbe étalon alezan attaché à un van, les yeux écarquillés de panique, qui tirait de toutes ses forces sur sa longe pour tenter de se libérer. S’avançant pour essayer de le calmer, elle aperçut alors trois hommes qui luttaient à quelques pas de là. En fait, il s’agissait plutôt de deux brutes occupées à rouer de coups un homme qui se défendait de son mieux mais difficilement, car les deux autres le maintenaient solidement par les bras. En voyant un poing s’abattre sur le visage de la victime, elle se mit à hurler : – Vous allez laisser cet homme tranquille ! Les deux bandits levèrent les yeux vers elle, le visage caché par leur Stetson. Après un instant d’hésitation, ils abandonnèrent leur proie et disparurent dans l’ombre, laissant le blessé s’écrouler au sol. Elle se précipita vers lui. – Comment allez-vous ? L’homme s’efforça de se mettre debout en émettant un grognement de douleur. Elle se mordit la lèvre. – Quelle question idiote ! Pardonnez-moi. C’est évident que vous n’allez pas bien. Attendez un instant, je vais appeler du secours. – Non, répondit l’homme d’une voix déterminée. Elle s’accroupit à côté de lui et posa la main sur son avant-bras. – Laissez-moi vous aider… – Non, répéta l’homme en roulant sur le dos. Il détourna le visage et laissa échapper un chapelet de jurons entrecoupé de gémissements. Ses cheveux noirs retombaient sur son visage. Un filet de sang coulait au coin de sa bouche. Elle défit le bandana qu’elle avait noué autour de son cou. – Je ne sais pas pourquoi vous vous bagarriez avec vos copains, mais… – Ce ne sont pas mes copains ! – Alors, il nous faut appeler le shérif, dit-elle en commençant à tamponner sa lèvre tuméfiée. – Inutile. – Je vous assure que… – Assez ! Il se tourna pour lui écarter la main. Un regard noir comme le jais rencontra le sien. – Vous !

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- 2 - – Vous ! répéta Maggie en écho. Son cœur s’était mis à battre à toute allure, de trouble et d’inquiétude mêlés. L’homme gisait à terre. Sa chemise en jean, déchirée, ouverte jusqu’à la taille, était couverte de poussière et tachée de sang. Son Stetson noir gisait sur le sol un peu plus loin. Mon Dieu… L’obscurité l’avait empêchée de distinguer le visage des agresseurs, mais maintenant qu’elle avait reconnu la victime la situation lui paraissait parfaitement claire. – Vous avez été attaqué par les hommes de main de Greeley parce que vous avez pris ma défense tout à l’heure ! – Mais non, murmura le blessé, agacé. Comme s’il ne supportait pas le contact de sa main sur son visage, il s’empara de son foulard et essuya lui-même son front ruisselant de sueur. – Bien sûr que si, j’en suis certaine, insista-t–elle. L’homme réussit à s’asseoir et secoua la tête comme pour s’éclaircir les idées. – Je me moque complètement de vos certitudes. Sur ce, il se mit debout, chancelant encore sur ses jambes. – Où est mon Stetson ? Elle s’était levée elle aussi, prête à le soutenir en cas de malaise. Voyant qu’il réussissait à se maintenir debout, elle ramassa le chapeau et le lui tendit. Il le saisit, le posa sur sa tête avec une grimace. Comme le cheval continuait à hennir, il marcha vers l’animal en vacillant quelque peu. – Tout doux, Winner, tout doux. Maggie se rapprocha d’eux. – Ils ont blessé votre cheval ? – Non, il va bien. Calmement, il flatta l’encolure de l’alezan, posa un instant son visage contre la crinière sombre, puis il se tourna vers elle. – Je n’ai pas besoin de vous, partez maintenant. Ces paroles brutales la surprirent désagréablement, mais elle insista tout de même. – Je suis ravie que votre cheval aille bien, mais vous, en revanche, vous avez besoin de secours. Sans prêter attention à ses paroles, il défit la longe de l’animal et le fit monter dans le van. Elle s’appuya contre la paroi métallique agréablement fraîche contre sa joue pendant que le cow-boy continuait à chuchoter à l’oreille de son compagnon, qui s’apaisait peu à peu. Elle écoutait la musique des mots murmurés pour l’animal, et comme par magie elle sentait qu’ils avaient sur elle le même effet calmant. L’alezan ne piétinait plus. Seul le flot de paroles continuait, de plus en plus bas, de plus en plus étouffé, jusqu’à ce que, finalement, plus aucun son ne lui parvienne. Ce silence l’inquiéta. L’homme aurait-il eu un malaise ? Les hommes de Greeley l’avaient frappé avec tant de violence que cela ne l’étonnerait pas. Elle s’avança vers la porte entrouverte du van et jeta un coup d’œil à l’intérieur. – Vous êtes encore là ? demanda le blessé sur un ton excédé. Elle s’écarta un peu pour le laisser sortir et la rejoindre sur le parking. Le bord du Stetson lui frôla le visage, puis son interlocuteur se redressa, le visage de nouveau dissimulé par le rebord de son chapeau. Sa grande taille obligea Maggie à relever la tête pour s’adresser à lui. Cette haute stature l’impressionnait mais lui procurait en même temps un sentiment de sécurité tout à fait inattendu. – Il y a un dispensaire en bas de la rue. Vous devriez aller y faire soigner vos blessures. – Quelle idée !

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Elle mit ses poings sur ses hanches. – Mais enfin, vous avez besoin de… – Je n’ai besoin de r… Il vacilla. De crainte qu’il ne s’écroule, elle le retint en lui posant une main sur la poitrine. La chaleur qui émanait de sa peau lui brûla les doigts. Elle les retira vivement. – Désolée, mais je ne vous quitterai que lorsque je serai certaine que vous êtes tout à fait bien. – Je suis tout à fait bien. Il mentait, c’était évident. – Votre lèvre a arrêté de saigner, mais l’un de vos yeux est déjà si enflé que vous n’y voyez sûrement pas grand-chose. Et, en plus, vous avez un énorme hématome sur la tempe. – Apparemment, vous aimez bien jouer au docteur ? Elle se sentit rougir. – Moquez-vous de moi si ça vous plaît, mais je vais appeler un médecin. – Non, je vous l’interdis. Quel orgueil ! Et quelle arrogance… Elle commençait à se lasser de jouer les âmes charitables pour un macho pareil. Mais, en le voyant s’avancer vers la cabine de son camion d’un pas traînant, elle revint à la charge. – Vous ne devriez pas conduire dans cet état. Si jamais vous avez un malaise, vous risquez de vous tuer, et de tuer votre cheval par la même occasion. Sans parler des blessures que vous pouvez occasionner à d’autres personnes. – Rassurez-vous, grommela l’homme, ce n’est pas la première bagarre à laquelle je participe, je m’en remettrai. Sur ce, il ouvrit la portière et s’installa au volant. – De toute manière, je ne vais pas loin. Je m’arrête dès que j’ai trouvé un endroit où dormir. Cette voix grave, cet accent du Sud… Elle se sentit bouleversée comme cela ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps. – Ce qui vous est arrivé est ma faute. Laissez-moi vous aider. L’homme secoua la tête, puis il ferma les yeux. Ses mains retombèrent sur ses genoux tandis qu’il s’affaissait contre le dossier de son siège. Il était visiblement épuisé. – Hé ! Ça va ? Silence. Il serrait toujours dans sa main le bandana rose pâle qu’elle lui avait prêté et qui paraissait tout à fait déplacé dans sa grande main calleuse. Elle hésita un instant puis se pencha pour repousser doucement le Stetson, de manière à mieux apercevoir le visage du blessé. A cet instant, un profond soupir souleva la poitrine de celui-ci, mais les yeux du cow-boy demeurèrent clos. C’était inquiétant. Elle avait vu suffisamment d’accidents à son ranch pour comprendre que cet homme avait besoin d’être soigné. – Je vais chercher du secours au dispensaire, murmura-t–elle. Je reviens tout de suite. – Non. Je vais bien, souffla le cow-boy. Elle sursauta de surprise en sentant qu’il lui prenait la main pour la retenir et emmêlait ses doigts aux siens avant de répéter d’une voix lasse : – Non, je vous en prie. Cette fois, elle percevait quelque chose de désespéré dans la voix rude et âpre. Une sorte de prière qui ne voulait pas dire son nom. Pour quelle raison refusait-il avec autant d’obstination qu’on lui porte secours ? – Mais qu’est-ce que tu fais ici à une heure pareille ? demanda une voix éraillée dans son dos. Elle sursauta, lâcha la main du blessé et se retourna. Un regard clair qu’elle connaissait bien lui faisait face. – Willie ! Tu peux te vanter de m’avoir fait une belle peur.

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– Quand j’ai aperçu ta voiture sur le parking, je me suis dit que tu pourrais me ramener au ranch. Et puis, voilà que je te trouve en train de flirter avec un étranger ! Le regard acéré de Willie scruta l’intérieur du pick-up. – Avec un étranger ivre mort par-dessus le marché ! – Cet homme n’est pas ivre, corrigea-t–elle. Il a été agressé. Mais j’ai beau lui proposer de l’aide, il continue de refuser. – Tu es sûre qu’il n’a pas bu un coup de trop ? – Sûre et certaine. Viens jeter un coup d’œil toi-même. Willie, qui était plus un membre de la famille qu’un simple ouvrier, s’approcha tandis qu’elle-même s’écartait pour le laisser examiner le blessé. Le vieux cow-boy tâta doucement les côtes de l’homme évanoui, souleva ses paupières, puis le considéra longuement. – Alors, qu’est-ce que tu en penses ? demanda-t–elle enfin, impatiente d’avoir un avis plus autorisé que le sien. – Il n’est pas mort, c’est déjà ça ! – Tu penses qu’il faut le conduire à l’hôpital ? – Il a pas mal de bleus et un sacré gnon sur l’œil gauche. A mon avis, il ne sera pas beau à voir demain matin. Mais à part ça, rien de cassé. Ses côtes sont intactes, autant que je puisse dire. Ses pupilles sont normales. Reste à savoir pourquoi il a tourné de l’œil. – Je me demande si ce n’est pas d’épuisement. Il disait qu’il avait besoin de se reposer. Il n’est pas d’ici, il cherchait un endroit où s’arrêter pour dormir. – Seigneur ! Nous y voilà, soupira Willie. Inutile de demander comment ça va se terminer. – Willie… – Maggie, je te connais depuis que tu es haute comme trois pommes, et je sais très bien que tu n’as jamais pu t’empêcher de ramasser tous les chiens perdus que tu as croisés sur ta route. Et, quand je dis « chiens perdus », je peux ajouter toute créature à deux ou quatre pattes ayant besoin d’un repas chaud et d’une paillasse pour se reposer. – Ça leur permet de repartir du bon pied. De toute façon, étant donné l’état dans lequel se trouve cet homme, nous ne pouvons pas l’abandonner ici. Willie se croisa les bras. L’âge l’avait légèrement voûté, mais il arrivait encore à la regarder droit dans les yeux. – Toi, ma petite, tu ne me dis pas tout. Comment cacher quoi que ce soit à quelqu’un d’aussi perspicace, qui la connaissait depuis si longtemps ? Elle haussa les épaules. Malgré sa réticence à évoquer cet épisode désagréable, elle lui raconta donc son affrontement avec Kyle Greeley à propos de l’embauche de Spence et Charlie, et comment le nommé Cartwright lui était venu en aide. Les traits de Willie se durcirent. – Si je comprends bien, ils lui ont rendu la monnaie de sa pièce ? – Oui. Le moins que je puisse faire, c’est d’abriter cet homme pour la nuit et de lui offrir un bon petit déjeuner demain matin, tu ne crois pas ? – Tu vas informer le shérif ? – Non. Il a été catégorique, il ne veut recevoir d’aide de personne. Willie émit un grognement. – Bon, comme tu voudras. Va voir si le van est bien accroché. Je vais faire glisser ton invité à la place du passager avant de prendre le volant, et nous rentrerons tous les trois bien gentiment au Crescent Moon. – Parfait. Je viendrai récupérer mon pick-up demain matin. Willie fit comme il l’avait dit. Le cow-boy toujours inconscient se retrouva calé contre la portière du passager, Willie au volant, et Maggie assise au milieu entre les deux hommes. Elle était si proche de leur protégé qu’elle sentait la chaleur qui émanait de lui pénétrer son propre

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corps à travers sa robe en cotonnade. Elle en éprouva un trouble délicieux. En silence, elle regarda la poitrine de l’inconnu se soulever régulièrement au gré de sa respiration, et, malgré ses efforts pour y résister, une émotion de plus en plus violente prit possession d’elle, encore augmentée par la douceur de la nuit d’été. Au moment où ils quittaient le parking, le feu d’artifice qui couronnait comme chaque année la journée de fête commença à illuminer le ciel, mais ils ne prirent pas le temps de l’admirer, pressés d’offrir au blessé une situation plus confortable. Ils prirent aussitôt la route et arrivèrent au bout d’une demi-heure dans la cour du Crescent Moon. Le cow-boy n’avait pas bougé, et elle commençait à s’inquiéter sérieusement. S’il continuait à ne pas s’éveiller, il faudrait qu’elle appelle le Dr Cody. Lorsque les phares éclairèrent la grange et le bâtiment où dormaient les ouvriers, Willie freina, et le camion s’arrêta avec un hoquet brutal. – Excuse-moi pour cette secousse, Maggie, mais les freins ont l’air encore plus vieux que moi. Reste ici avec notre bel endormi pendant que je vais ouvrir.

*** Tout au long du trajet, Landon avait senti sa tête rouler contre le dossier du siège au gré des cahots de la route, un corps féminin aux formes douces pressé contre le sien. Pour la première fois depuis longtemps, il n’était pas seul… Par conséquent, il était en train de rêver, c’était la seule hypothèse possible. Mais, contrairement à ce qu’il lui arrivait d’habitude, il ne s’agissait pas d’un cauchemar, bien au contraire. Il aimait sentir la chaleur de ce corps proche du sien. Il avait envie de se blottir encore plus près, envie de toucher la peau de cette femme, d’en respirer le parfum. Pourvu que ce soit bien la réalité… Mais, au fur et à mesure qu’il reprenait conscience, la sensation de chaleur voluptueuse dont il avait joui passa au second plan, chassée par la douleur violente qui s’éveillait dans son œil gauche, gagnait son cerveau, puis son corps tout entier. Il essaya de bouger, mais ses jambes refusèrent de lui obéir. Une nouvelle tentative de remuer fut soldée par un élancement atroce au creux de sa poitrine. Où était-il ? Etait-ce bien son camion ? Mais alors, que faisait-il à la place du passager ? Des voix confuses lui parvinrent. Un bruit de portière qu’on claque. L’odeur du fourrage stocké dans le van parvint à ses narines, familière, rassurante. Il s’efforça d’arrêter le manège fou qui tournait dans sa tête. C’était difficile, très difficile. Un instant, il renonça. Puis, de nouveau… Que s’était-il passé ? De quoi se souvenait-il ? Il porta la main à son front enveloppé d’un morceau de tissu. Cette fois, c’est un parfum de linge frais et propre qu’il respirait. L’odeur du linge qui a séché au soleil et au grand air. Allons, c’était impossible ! Il y avait plus d’une semaine qu’il n’avait pas dormi dans un vrai lit… Il tâtonna et, lorsqu’il rencontra une épaule douce et délicate, il l’attira contre lui. Le petit cri de surprise qui échappa à sa voisine l’incita non pas à s’arrêter mais à tirer un peu plus encore pour qu’elle se rapproche davantage. Il sentit confusément qu’elle se penchait sur lui, comme pour recueillir son souffle. De la langue, il humecta ses lèvres desséchées. Puis, lorsque le visage de la jeune femme fut tout près du sien, il posa sa bouche sur celle de l’inconnue. Les lèvres souples et pulpeuses s’entrouvrirent sous les siennes, exhalant un souffle tiède et parfumé. Etait-il en train de délirer ? Peu importait, il ne voulait pas le savoir. L’instant était trop magique pour se poser des questions, il fallait le vivre, voilà tout. Il se concentra donc sur son premier baiser depuis quatre longues années. Un léger parfum de menthe s’offrit à lui quand il explora la bouche de la jeune femme, caressa de la langue le rebord de ses dents et amorça la joute délicieuse du baiser. Sa main remonta le long d’un dos mince, glissa sur le tissu léger jusqu’à ce qu’elle rencontre des cheveux longs et soyeux qu’il

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enroula autour de ses doigts. Les lèvres tièdes bougèrent contre les siennes, lui arrachant un grognement qui les fit s’écarter. A regret, il sentit que ses esprits lui revenaient peu à peu, et il s’efforça d’ouvrir les yeux. L’œil droit obéit sans problème, l’œil gauche se contenta d’offrir une légère fente. Il aperçut des doigts fuselés posés sur son poing, qui serrait un foulard rose pâle. Avec un gros effort, il réussit à distinguer la silhouette d’une femme, puis une bouche dont les lèvres tremblaient. – Comment vous sentez-vous ? Il reconnut la voix. Douce, sexy, attentionnée. Celle de la femme qu’il avait rencontrée à la fête. Celle qui l’avait arraché à ses agresseurs et avait obstinément refusé de le quitter. Il devait rêver, sinon il ne l’aurait jamais embrassée ? Un spasme de douleur lui déchirant la poitrine, il décida d’oublier cette question. Il regarda par la fenêtre et aperçut un porche éclairé et les contours d’une maison. – Qui êtes-vous ? Où est-ce que je me trouve ? – Chez moi. – Mais… Qu’est-ce que je fais chez vous ? – Vous aviez besoin d’un endroit où dormir. – Vous m’avez ramené chez vous alors que vous ne me connaissez pas ? – Eh bien, il m’a semblé que je pouvais vous offrir un lit plus confortable que celui de la prison. L’image d’une cellule nue et d’une fenêtre pourvue de barreaux lui traversa la mémoire, rapidement remplacée par une autre, bien différente, qui jaillit de son esprit, toute formée avant qu’il ait réussi à retenir. Ils étaient allongés dans un lit aux draps frais. Elle le tenait par les épaules tandis qu’il pressait ses hanches rondes contre lui. Leurs bouches étaient jointes en un baiser voluptueux, abrité du monde extérieur par le rideau qu’offraient ses longs cheveux blonds dénoués. Cette fois, il délirait carrément ! Il serra très fort les paupières pour faire disparaître ce fantasme. Un élancement lui traversa la tête, qui laissa place à une douleur sourde et obstinée. Sa compagne le regardait, inquiète. – Excusez-moi de vous poser encore la même question, mais je voudrais savoir comment vous vous sentez. – Très bien. C’était un mensonge, mais il était hors de question qu’il lui confie ce qui le préoccupait. Le moteur se remit en marche. Il ouvrit les yeux et vit que la jeune femme s’était installée au volant et faisait reculer le pick-up vers une grande grange. – Willie va ouvrir le portail pour que je puisse y garer votre véhicule. – Je vais l’aider. Il ouvrit la portière et faillit tomber. Il s’efforça de ne pas chanceler ni trébucher avant d’arriver à la hauteur de l’homme qui devait être Willie. Est-ce que ce dernier avait aperçu la scène qui venait de se dérouler dans le camion ? Est-ce qu’il y attachait une quelconque importance ? Pour l’instant, impossible de le deviner. – Je suis content de vous voir debout, déclara le vieil homme. – Merci pour votre aide. Etes-vous Willie ? – C’est bien ça. Ils s’écartèrent pour laisser le van reculer. Winner ! Il l’avait complètement oublié. Avant de se précipiter vers son cheval, il découvrit qu’il tenait à la main un petit bandana rose qui, évidemment, ne lui appartenait pas. Il le fourra dans sa poche et pénétra dans la grange en même temps que sa bienfaitrice. – Allons faire sortir votre cheval de son van, proposa cette dernière en sautant de la cabine. Il la dévisagea, incapable encore de comprendre par quel étrange tour du destin il avait atterri chez

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cette jeune femme et ce vieux cow-boy. La douleur qui lui martelait la tête ne l’aidait pas à avoir les idées claires. Dans l’espoir de l’apaiser un peu, il se pinça l’arête du nez et ferma les yeux un instant. Hélas, cela ne réussit ni à le soulager ni à lui ramener la mémoire. – Heu… Je ne sais plus trop où j’en suis. – Normal, déclara Willie. Avec la raclée que vous avez reçue, le contraire m’étonnerait. – Vous avez refusé que j’appelle le shérif, dit la jeune femme en ouvrant la porte du van. Je ne pouvais pas vous abandonner dans l’état où vous étiez. Willie va installer votre cheval dans un box où il pourra se remettre de ses émotions, ensuite, il s’occupera de vous. Comme la jeune femme s’avançait pour faire sortir Winner, Willie s’interposa. – Laisse. En général, les cow-boys préfèrent s’occuper eux-mêmes de leur monture. Il se tourna vers lui. – Choisissez le box qui vous convient, il y en a deux de libres. Landon hocha la tête et pénétra dans le van. Il caressa l’encolure de Winner et enfouit un moment son visage dans la crinière tiède. Le contact avec cette chaleur familière le réconfortait toujours, et cette fois encore elle lui apporta un peu de calme et de sérénité. Une fois qu’il se sentit mieux, il alla installer son compagnon dans une des stalles qu’on lui avait indiquées. Cela fait, il se baissa pour attraper son sac. Un nouvel étourdissement lui fondit dessus, mais il réussit à le surmonter par un effort de volonté. – De toute façon, elle a toujours été comme ça, grognait le vieil homme qui s’appelait Willie. Landon regarda autour de lui et découvrit qu’ils étaient seuls dans la grange. – Oui, elle ne peut pas s’empêcher d’aider les gens qui sont dans le pétrin. Et pour les bêtes, c’est pareil, ronchonnait le vieux cow-boy tout en versant une ration d’avoine dans la mangeoire de Winner. – Vraiment ? – Oui. Et elle n’attend rien en retour. Tant mieux d’ailleurs, parce que c’est tout ce qu’elle reçoit en général. Mais ça ne la fait pas changer. Willie s’interrompit pour fermer la porte du box. Puis il leva la tête et le regarda droit dans les yeux. – Je suis ici depuis le déluge, et une partie de mon travail consiste à protéger ma patronne. J’ai toujours peur que son bon cœur lui attire des malheurs. Landon dressa l’oreille. Willie avait-il bien prononcé le mot « patronne » ?

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- 3 - – Oui, vous avez bien entendu. C’est elle qui dirige ce ranch. Au fait, je me présente : Willie Perkins, cow-boy et homme de confiance. – Landon Cartwright, répondit Landon en serrant la main que Willie lui tendait. – Suivez-moi, je vais vous montrer où vous pouvez dormir. – Inutile, merci. Je peux très bien rester ici. Les sourcils broussailleux de Willie se haussèrent de surprise. – Dans la grange ? – Oui, j’ai connu des endroits bien pires. Et d’autres bagarres, aussi. – Vous savez, on a assez de problèmes ici avec les gens du cru… – Rassurez-vous, je ne cherche pas les ennuis. – Tant mieux, approuva Willie, visiblement pas tout à fait persuadé cependant. Il le dévisagea un instant, puis, sans doute rassuré par son examen, il conclut : – Comme vous voudrez. Voici les clés de la grange, fermez avant de vous coucher. A demain matin. Landon le suivit et, une fois que Willie se fut éloigné, il rabattit l’un des vantaux du portail. Puis, son regard fut attiré par la lumière qui brillait à l’une des fenêtres de la maison. Qui était la femme qui l’hébergeait si généreusement ? Etait-elle vraiment la propriétaire de ce ranch ? Willie n’avait pas parlé d’un mari, et lui-même ne se souvenait pas d’avoir remarqué si elle portait une alliance. Quant au ranch, la nuit ne lui permettait d’apercevoir que les contours de quelques bâtiments et ceux d’une maison à un étage entourée d’un porche. La tranquillité qui régnait alentour était étonnante. D’après les piaffements qu’il entendait, la grange paraissait pleine de chevaux, mais à part Willie il n’avait aperçu aucun autre cow-boy, et un seul pick-up était garé dans la cour à côté du sien. Pourquoi se poser tant de questions ? Il avait bien d’autres problèmes à résoudre… Résolument, il poussa le second vantail. Son corps n’était qu’une douleur, mais il décida néanmoins d’aller inspecter la foulure de Winner avant de se coucher. L’étalon se laissa examiner sans protester et remua les oreilles en réponse à ses paroles amicales. Avec une certaine satisfaction, Landon put constater que si ce n’était pas mieux, tout au moins, ce n’était pas pire. Hélas, il ne disposait pas de liniment ni de pommade susceptible de soigner cette entorse efficacement… Envahi par un désagréable sentiment de culpabilité, il regarda Winner engloutir la ration d’avoine que lui avait donnée Willie. De toute évidence, après plusieurs jours passés à se nourrir de l’herbe rare qu’il trouvait dans les fossés du bord de la route, Winner appréciait vivement cette aubaine, ainsi que l’eau fraîche mise à sa disposition. Landon s’installa de son mieux dans le box voisin. Au moment où il se penchait pour retirer ses bottes, un vertige le saisit de nouveau. Il dut attendre un moment avant de continuer. Une fois son malaise surmonté, il vida ses poches mais conserva avec lui le petit boîtier ovale en argent terni qu’il n’eut pas le courage d’ouvrir. Il se contenta d’en caresser la gravure et le remit dans la poche de son jean. Il avait eu assez d’émotions pour ce soir. Sa tête lui faisait horriblement mal. Il se massa la tempe, puis il se frotta le dos dans l’espoir d’atténuer la souffrance qui le pliait en deux. Aussi douloureuses soient-elles, ces blessures disparaîtraient bientôt. En revanche, d’autres moins visibles ne cicatriseraient jamais et le tortureraient jusqu’à son dernier jour. Il retirait sa chemise, ou plus exactement les lambeaux de ce qui avait été sa chemise, lorsqu’une clé tourna dans la serrure du portail.

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La jeune femme entra, les bras chargés d’une couverture, d’un oreiller et d’une bouteille d’eau. – Excusez-moi. Je ne veux pas vous déranger, mais Willie m’a prévenue que vous préfériez rester ici. Une onde de chaleur envahit Landon au moment où le regard vert émeraude glissa de son visage sur sa poitrine nue, et le souvenir de leur baiser lui revint à la mémoire. Etait-elle mariée ? Peu importait. L’intensité du regard qu’elle portait sur lui l’enflammait de désir, et cela pour la deuxième fois de la soirée. Rapidement, il jeta ce qui restait de sa chemise sur ses épaules, enchanté d’avoir conservé son Stetson sur sa tête, puis il s’efforça de se détendre. La jeune femme avait dû percevoir son trouble, car elle détourna le regard avant de lui tendre le linge qu’elle avait apporté. – Pourquoi voulez-vous dormir ici ? – Je l’ai déjà dit à votre cow-boy. Cette grange est bien plus confortable que ce que j’ai connu ces jours derniers. Cette fois, ce n’était plus l’odeur du foin et de l’avoine qui parvenait à ses narines, mais celle du linge propre, associée au parfum de rose ancienne qu’il avait déjà respiré auprès d’elle dans le pick-up. – Et puis, poursuivit-il, je sais que les cow-boys qui travaillent régulièrement dans un ranch n’aiment pas partager leur bâtiment avec les gens de passage. Et j’imagine aussi que votre mari n’est pas fou de joie que vous ayez ramené un inconnu chez lui. Moins j’occupe de place, moins je dérange. – Vous avez peut-être raison à propos des cow-boys, mais, en ce qui concerne mon mari, vous vous trompez. Je n’en ai pas. Elle se pencha pour déposer la bouteille d’eau sur le banc qui se trouvait devant le box, puis elle sortit des comprimés de sa poche. – Vous devez avoir une migraine épouvantable, Willie m’a assuré que cela vous soulagerait. Ainsi, elle n’était pas mariée… Désireux d’ignorer la décharge d’adrénaline qui l’avait secoué à l’annonce de cette nouvelle, il considéra les médicaments. – C’est votre ouvrier qui les envoie ? – Willie a étudié la médecine pendant plusieurs années et a été assistant d’un médecin pendant la guerre de Corée. En fait, c’est souvent lui qui soigne les gens dans le coin. Landon avala les cachets avec une gorgée d’eau. – Vous avez tout ce qu’il vous faut ? reprit la jeune femme. Assez de couvertures pour vous ? Du liniment pour votre cheval ? – Pardon ? – Vous m’avez dit que vos agresseurs n’ont pas blessé votre cheval, mais j’ai remarqué qu’il boitait quand vous l’avez fait sortir du van. Décidément, rien ne lui échappait. – Sa blessure remonte à une semaine. Evidemment, la frayeur qu’il a éprouvée ce soir ne lui a pas fait du bien. – Pas plus que le voyage dans la remorque. Il haussa les épaules. – C’est sûr. La jeune femme s’approcha de Winner et lui flatta l’encolure avant d’examiner sa jambe. Un élancement aigu traversa la poitrine de Landon, mais il y avait autre chose aussi, quelque chose de charnel qui remontait en lui du plus profond de lui-même. Il s’écarta et croisa les bras. – Je pense que c’est en voie de guérison. – Oui, mais avec un peu de liniment vous gagnerez du temps. Voyons, il me semble que j’ai des trucs…

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Elle réfléchit un instant. – Attendez, je vais voir dans ma pharmacie. Je reviens tout de suite. Un instant plus tard, elle était de retour avec quelques tubes de pommade qu’elle lui tendit. – Voici. Je pense qu’elles conviennent toutes, mais vous choisirez celle que vous paraîtra la mieux adaptée. Et si vous êtes inquiet, demain matin, nous pourrons appeler Kali Watson, la vétérinaire. – Non ! Le refus avait jailli, bien plus brusque qu’il ne l’avait prévu. Son hôtesse recula d’un pas tandis qu’il contemplait les médicaments que son budget ne lui permettait pas de s’offrir. – Je vous remercie pour ces pommades, je n’en ai pas besoin. – Mais vous m’avez dit que vous n’aviez rien ! – Quand ? – Ce soir, à la fête. Il se frotta la nuque. – Ah… Est-ce que par hasard il aurait parlé plus qu’il ne le souhaitait ? Diable, il serait temps que ses idées s’éclaircissent et que la mémoire lui revienne. – Je vous remercie, mais je n’ai pas d’argent pour vous rembourser ces médicaments. D’un geste de la main, elle balaya son objection. – Aucune importance. Il se redressa. Il n’avait jamais rien demandé à personne. – Je vous dois l’avoine aussi. Winner a bon appétit. Votre hospitalité me… – Arrêtez donc ! Considérez que c’est ma façon de vous remercier pour ce que vous avez fait pour moi. Elle se dirigea vers le portail. – Au fait, depuis le temps que nous parlons ensemble, vous ne m’avez même pas dit votre nom. – Cartwright. Cela lui était sorti de la bouche avant qu’il n’ait eu le temps de le retenir. – Landon Cartwright, acheva-t–il, dépité. – Et moi, je suis Maggie Stevens. Bienvenue au Crescent Moon. Vous êtes invité pour le petit déjeuner demain matin si vous êtes encore ici. Cette fois, elle sortit et referma la porte derrière elle. Avait-il bien entendu ? Il sortit de sa poche l’affichette qu’il avait prise au supermarché. Non, il ne se trompait pas, il lisait bien : « Crescent Moon ».

*** Pan ! Pan ! Pan ! Maggie ouvrit un œil et gémit. Son réveille-matin marquait 6 heures, mais contrairement à d’ordinaire, quand elle se couchait épuisée, elle avait mis beaucoup de temps avant de cesser de se remémorer les événements de la journée et avait mal dormi. La présence du bel étranger dans sa grange lui revint à l’esprit, ainsi que le baiser délicieux et inattendu qu’ils avaient échangé alors qu’il était encore à moitié inconscient. Dire que Racy l’accusait toujours de mener une vie plate et monotone ! Cette fois, elle avait fait bonne mesure côté aventure. Interrompre une bagarre et ramener un étranger au ranch, cela ne manquait pas de sel, c’était le moins qu’on puisse dire. Pan ! Pan ! Pan ! Elle s’étira et sortit de son lit pour aller regarder par la fenêtre. Hank s’était certainement déjà mis au travail. Elle lui avait dit plusieurs fois qu’il pouvait commencer plus tard le dimanche, mais ce n’était pas plus mal. Avec la diminution de sa main-d’œuvre alors que la liste des tâches ne cessait d’augmenter, elle-même devait se lever très tôt chaque jour pour en abattre un maximum. Il veillait d’habitude à travailler loin de la maison tant

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que tout le monde n’était pas levé, mais ce matin il avait apparemment oublié cette bonne habitude, puisqu’il tapait tout près de la fenêtre de sa chambre. Comme les rideaux blancs agités par la brise matinale empêchaient Maggie de voir ce qui se passait dans la cour, elle les tira de côté. Le ciel était d’un bleu intense. La journée à venir s’annonçait aussi chaude que celle de la veille. Elle jeta un coup d’œil sur l’étang où elle irait nager si elle en trouvait le temps et aperçut une silhouette qui s’affairait sur la clôture du corral principal. Ce n’était pas celle de Hank. Impossible de confondre son ouvrier avec l’homme grand et mince qui travaillait là-bas et dont les cheveux noirs attachés en catogan dépassaient du Stetson noir. Landon Cartwright ! Il chercha quelque chose dans sa poche avant de s’accroupir pour ramasser une planche posée à ses pieds. Le tissu de sa chemise se tendit dans son dos. Ses bras musclés soulevèrent le morceau de bois, il le coinça avec son genou, et Pan ! Pan ! Pan ! En trois coups de marteau bien appliqués, il planta les trois clous nécessaires pour le maintenir en place sur la clôture. Eh bien, voilà qui était efficace ! Et fort à propos, puisque ce travail aurait dû être effectué depuis un bon mois pour accueillir Black Jack, l’étalon encore sauvage qui devait arriver au ranch d’ici à quarante-huit heures pour qu’elle s’occupe de son dressage. Landon se redressa et regarda dans la direction de sa fenêtre. Aussitôt, elle lâcha le rideau et se réfugia sur le côté, le cœur battant. C’était un homme ordinaire, en train de faire un travail ordinaire. Pas de quoi se mettre dans un état pareil ! Mais ce n’était pas aussi simple, parce que ce regard de braise et ces grandes mains calleuses au toucher pourtant si délicat l’avaient hantée toute la nuit. Elle rejeta ses cheveux en arrière, fit un effort pour se ressaisir. Willie avait raison. Elle avait une fois de plus ramené au ranch un pauvre hère sans feu ni lieu, délaissé son travail de paperasserie pour s’occuper de lui et lui avait donné des médicaments qu’elle aurait mieux fait de garder pour ses propres chevaux. Et alors ? Elle ne pouvait pas faire autrement, c’était dans sa nature. En plus, l’alezan était une merveille, avec sa crinière brun rouge et ses grands yeux sombres. Quant à son propriétaire, il était sans le savoir en train de lui tirer une belle épine du pied. Au lieu de traîner dans la grange pour se remettre de sa mésaventure de la veille comme elle s’y serait attendue, il avait pris l’heureuse initiative de clôturer le corral. Dans le fond, elle n’avait pas de quoi se plaindre. De nouveau, elle jeta un coup d’œil par la fenêtre. Cet homme l’avait embrassée hier. Avec fougue. S’en souvenait-il aujourd’hui ? Non, sans doute. Et tant mieux. Avec tout ce qu’il s’était passé la veille, elle n’avait pas eu le temps de penser aux conséquences du départ de ses ouvriers chez Greeley. Le désastre lui apparaissait ce matin dans toute son ampleur. Comment allait-elle faire tourner son ranch avec si peu de main-d’œuvre ? Fallait-il qu’elle propose un emploi à cet étranger ? Le fait d’avoir cruellement besoin d’aide ne l’obligeait tout de même pas à employer le premier venu ! Et si, pour une fois dans sa vie, elle se montrait prudente ? Comme le silence était revenu depuis un moment, elle se posta de nouveau devant la fenêtre, juste à temps pour voir Cartwright vaciller et se rattraper de justesse à la barrière. Aussitôt, elle se précipita hors de sa chambre. Lorsqu’elle le rejoignit, il s’était redressé, mais son visage était pâle, et il se massait l’estomac. Surpris de la voir arriver, il la dévisagea des pieds à la tête. Ce fut alors qu’elle se rendit compte qu’elle était sortie en pyjama, sans prendre le temps de s’habiller ni d’enfiler de sandales. Et quel spectacle elle devait offrir avec ses cheveux ébouriffés… Tant pis. Quelle importance s’il la trouvait moche et mal fagotée ? Ils n’en étaient pas à se faire des politesses. – Vous vous sentez mal ? Je vous ai vu chanceler.

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– Tiens, commenta Landon, ironique, je ne savais pas que j’avais un public. Ils échangèrent un long regard. Malgré le Stetson toujours rabattu sur le visage de son invité, elle put remarquer les différentes teintes violacées que son œil avait prises depuis la veille. – C’est votre faute. C’est vous qui m’avez réveillée. D’habitude, tout est calme ici le dimanche matin. – Calme ? C’est vous qui le dites ! Figurez-vous que j’ai été réveillé par un pistolet posé sur ma tempe. – Vous plaisantez ? – Pas du tout. Un de vos cow-boys a été surpris par ma présence et a dégainé avant que j’aie eu le temps de dire « ouf ». Heureusement, quand je lui ai expliqué comment j’étais arrivé ici, il n’a pas eu l’air étonné outre mesure. – Qu’est-ce qu’il a dit ? – Il a marmonné quelque chose à propos d’un ranch qui était la maison du bon Dieu… – Oui, je vois, c’est une des rengaines favorites de Hank. – En tout cas, il a cessé de me menacer et m’a même permis de l’aider à nettoyer les box. Elle croisa les bras, ce qui lui rappela qu’elle ne portait pas de soutien-gorge et la fit rougir. – Au fait, vous pouvez m’expliquer pourquoi vous êtes en train de terminer la clôture de mon corral ? – Eh bien… Etant donné que j’étais réveillé, il m’a semblé que ce serait une façon de vous remercier de votre hospitalité et des médicaments que vous m’avez donnés pour Winner. – Et le meilleur moyen de vous tuer à la tâche, après la volée de coups que vous avez reçue hier soir ! – Margaret Anne Stevens ! cria depuis la maison une voix un peu cassée. Qu’est-ce que tu fais dehors, à moitié nue, en train de discuter avec un étranger ? Maggie sursauta et se retourna. Sa grand-mère se tenait sur le porche, minuscule et furibonde sous ses cheveux blancs. – Nana, tu m’as fait peur ! Elle se tourna vers Landon. – C’est ma grand-mère. Suivez-moi. Dépêchez-vous de venir la rencontrer avant qu’elle n’aille chercher sa carabine ! Landon eut un sourire et lui emboîta le pas. Tandis qu’elle traversait la cour, un picotement brûlant s’installa sur sa nuque puis lui descendit le long du dos. Elle tenta de se persuader que la cause en était le chaud soleil de juillet, mais, en toute honnêteté, elle devait bien s’avouer que le regard de Landon Cartwright fixé sur elle n’y était sans doute pas étranger. Elle le sentait peser sur elle aussi sûrement qu’un fer chauffé au rouge. – Nana, protesta-t–elle, je ne suis pas à moitié nue, et il ne s’agit pas d’un étranger. Enfin, pas tout à fait. D’un geste machinal, elle écarta ses cheveux blonds de son visage. – Je te présente Landon Cartwright. Il avait besoin d’un endroit où faire halte hier soir avec son cheval, alors, heu… – Oui, oui, je te reconnais bien là, soupira la vieille dame. – Landon, voici ma grand-mère, Béatrice Travers. Celle-ci se redressa dans une tentative comique et attendrissante à la fois pour toiser le nouveau-venu. – Ainsi, c’est vous qui avez réveillé toute la maison ce matin ? Cela dit, vous avez l’air de savoir vous servir d’un marteau. Eh bien, mon ami, ça tombe à merveille, car nous sommes à la recherche de… – Nana ! M. Cartwright ne cherche pas de travail. – Je suis simplement de passage, madame, confirma Landon. – Comme vous voudrez. Mais vous ne partirez pas avant d’avoir pris un bon petit déjeuner. Et de

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vous être lavé, bien entendu. Allez, à la douche tous les deux ! « Tous les deux »… Confuse, Maggie se remémora son fantasme de la nuit précédente : un bain de minuit en bonne compagnie… En compagnie de Landon, pour être honnête. Elle rougit et prit une profonde inspiration avant de se tourner vers celui-ci. – Vous trouverez une salle de bains à gauche en entrant dans le hall. Le regard noir se fixa sur sa bouche. Un éclair luisant le traversa. Mais, comme elle sentait ses seins se durcir contre le tissu de son pyjama, Landon releva les yeux. – Il faut que je parte. – Ma grand-mère ne me pardonnera jamais si je vous laisse reprendre la route sans que vous ayez goûté ses muffins au cassis, plaida-t–elle. En plus, votre cheval aura besoin de… – Je sais parfaitement ce dont mon cheval a besoin, coupa-t–il sèchement. – Très bien, répondit-elle sur le même ton. Elle recula et laissa la porte-moustiquaire se refermer brusquement entre eux. Après tout, elle n’allait pas le supplier. Qu’il aille au diable, si c’était ce qu’il voulait ! Elle avait déjà bien assez à faire avec son ranch et sa famille, inutile de chercher des soucis supplémentaires. S’il avait envie de partir, qu’il parte, point final. – Faites comme vous voulez, ajouta-t–elle de l’intérieur. Elle allait monter vers sa chambre sans se retourner lorsque la sonnerie du téléphone retentit dans le séjour. Elle alla décrocher. – Maman ? Une onde de bonheur l’envahit lorsqu’elle reconnut la voix de sa fille. – Bonjour, ma chérie. Tu vas bien ? – Oui. Je t’ai réveillée ? – Pas du tout, j’étais déjà debout. Grâce à un beau cow-boy solitaire qui était certainement déjà en train de plier bagage pour quitter le ranch. – Pourquoi m’appelles-tu si tôt ? – Je voulais être sûre que tout allait bien, répondit la petite voix. Maggie s’appuya contre le mur et posa une main sur son front. Oh, Anna… A peine huit ans, et déjà si soucieuse ! C’était vraiment trop. – Tout s’est bien passé au ranch pendant que vous étiez à la fête ? poursuivit la petite. – Tu sais bien que Hank est resté pour surveiller, il ne faut pas t’inquiéter. Dis-moi plutôt si tu t’es bien amusée avec Julie. Ramenée aux préoccupations de son âge, la petite fille lui raconta pendant un long moment combien elles avaient ri toutes les deux la veille en jouant à se déguiser en sorcières avant de regarder un dessin animé. Le coup de fil terminé, Maggie alla prendre une bonne douche tiède, puis elle regagna sa chambre, tendant l’oreille. Contrairement à ce qu’il se passait d’ordinaire, aucun bruit ne lui parvenait de la cuisine toute proche. Ni la voix aiguë de sa grand-mère, encore marquée par son accent irlandais, ni la voix grave de Hank. Et encore moins, évidemment, celle de son beau rescapé. Oh, et puis elle avait mieux à faire qu’à s’inquiéter pour un cow-boy mal embouché et son cheval boiteux… Par exemple, s’occuper de faire le bilan financier de l’année. Elle referma la porte de sa chambre un peu trop vivement, enfila son jean, ses bottes et une chemise à carreaux, puis elle attacha ses cheveux en queue-de-cheval, des colonnes de chiffres lui dansant déjà devant les yeux. Des chiffres propres à lui donner le cauchemar : il fallait payer le vétérinaire. Le crédit qu’elle avait à la coopérative pour l’achat de la nourriture des bêtes était presque épuisé, il faudrait le renouveler bientôt alors que son compte en banque était déjà dans le rouge. Sans parler de la somme qu’elle devait verser comme chaque mois à son ex-mari pour lui racheter sa part du Crescent Moon.

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En finirait-elle jamais, ou perdrait-elle ce qu’elle aimait le plus au monde ? « Plutôt mourir », se dit-elle en se redressant. Elle attrapa sa ceinture en cuir et quitta sa chambre. Comme elle la glissait dans les passants de son jean tout en marchant vers la cuisine, elle heurta de plein fouet une masse de muscles qui venait dans sa direction.

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- 4 - – Attention ! Chaud devant ! cria Landon. Surprise et déséquilibrée, Maggie se rattrapa à la chemise du cow-boy. Ses réflexes permirent à ce dernier de la rattraper par la taille tout en écartant d’eux la tasse de café brûlant sans en renverser une goutte. – Vous me paraissez bien pressée ! commenta-t–il, une pointe de moquerie dans la voix. Elle leva les yeux. Il n’avait pas encore revêtu son Stetson, ses cheveux étaient nettement tirés en arrière, et pour la première fois elle aperçut son visage autrement que dans l’ombre. Malgré l’œil tuméfié et paré de presque toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, les pommettes hautes et le nez finement découpé de Landon l’émurent plus qu’elle ne l’aurait souhaité. Son cœur fit un bond dans sa poitrine, et elle sentit le feu lui monter aux joues. Mieux valait baisser les yeux, ce qu’elle fit aussitôt. La chemise de son invité portait le nom du Crescent Moon brodé sur la poche de poitrine ! – Où avez-vous trouvé cette chemise ? – C’est moi qui la lui ai donnée, intervint Nana en posant deux assiettes sur la table. Inutile d’attendre Willie, il a sûrement du mal à se lever ce matin après sa nouba d’hier soir ! Commencez à manger tous les deux. Avant de s’asseoir, Maggie lutta encore un instant avec la boucle de sa ceinture. Nana s’agitait autour de la table. – J’ai passé cette chemise à ton invité parce qu’il n’avait plus rien à se mettre. Devant l’expression médusée de Maggie, elle ajouta : – Oui, quand j’ai vu dans quel état était le linge qu’il sortait de son sac, je lui ai tout pris pour le fourrer dans la machine. Franchement, ce n’était pas du luxe ! – Donc, désolé si cela vous contrarie, acheva Landon, c’était cette chemise ou rien. Rien… Aussitôt, le souvenir de la poitrine musclée de Landon, qu’elle avait entrevue la veille, s’imposa à Maggie, et elle rougit de nouveau. – Je suis sur la route depuis une semaine et je n’ai pas eu l’opportunité de faire ma lessive, ajouta Landon à sa décharge. Sur ces entrefaites, Willie fit son apparition et s’installa à table. – Tu ne vas tout de même pas me reprocher d’avoir rendu ce petit service à notre invité, ajouta Nana. D’ailleurs, s’il travaille chez nous… – Mais il ne cherche pas de… – Mais je ne cherche pas de… Tous deux avaient parlé en même temps et s’interrompirent en même temps, aussi gênés l’un que l’autre. – M. Cartwright a fini de clôturer le corral en moins d’une heure, poursuivit Nana en se beurrant un toast. Tu ne trouves pas ça remarquable ? Ça fait un mois que tu demandes à Spence de le faire. Je m’en vais lui frotter les oreilles dès que je le verrai, celui-là ! Maggie se racla la gorge. – Au fait, Nana, je n’ai pas encore eu l’occasion de te le dire, mais il ne travaille plus chez nous. Ni Charlie, d’ailleurs. Ils ont démissionné tous les deux hier au soir pour aller travailler chez Greeley. – Oh, le bandit ! s’exclama la vieille dame, outrée. Qu’est-ce que nous allons… – Nana, nous étudierons cette question après le petit déjeuner, proposa Maggie. Le silence s’installa dans la cuisine ensoleillée. On n’entendit plus que le raclement des couteaux et des fourchettes dans les assiettes et le bruit de mastication de Willie. Le front plissé par la contrariété, Nana mangeait du bout des lèvres, mais soudain ses traits se détendirent, et un sourire vint remplacer son expression morose. Cette transformation soudaine était loin de rassurer Maggie, qui ne connaissait que trop bien la

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capacité d’invention de son imaginative grand-mère. Au bout d’un moment, toutefois, elle se dit que, si Nana avait décidé de retenir Landon au Crescent Moon, elle ne pourrait pas l’en empêcher. En définitive, ce ne serait peut-être pas une mauvaise chose. Etant donné cette altercation avec Greeley la veille, elle était pratiquement sûre que ce dernier allait se débrouiller pour utiliser toute son influence et son argent pour l’empêcher de trouver de la main-d’œuvre. Comment se débrouillerait-elle pour faire tourner le ranch sans ouvrier ? – Dis-nous un peu, cow-boy, intervint Willie, d’où est-ce que tu viens ? – J’étais dans le Colorado. Puis j’ai décidé de venir par ici pour découvrir la région que je ne connais pas. – Combien de temps êtes-vous resté dans le Colorado ? demanda Nana. Le silence qui suivit amena Maggie à se féliciter de ne pas avoir posé la question elle-même. Landon l’aurait sans doute vertement rabrouée. Pourtant, il finit par répondre. – Un mois, à peu près. – Et avant ça ? – Je suis resté dans la région de Las Vegas, puis à Tucson. – Vous bougez beaucoup, commenta la vieille dame. – Oui. J’aime voir du pays. C’était un baroudeur, se dit Maggie. Et elle s’efforça de river ce mot au visage de Landon.

*** Tout en mangeant ses œufs au plat – qui étaient délicieux –, Landon tournait et retournait la question dans sa tête : devait-il rester ici ou partir ? Ce matin, après avoir eu un bon aperçu du ranch, il comprenait sans difficulté pourquoi le désistement des deux ouvriers affectait autant Nana et Maggie. Elles avaient réellement besoin d’aide. De beaucoup d’aide. La plupart des bâtiments auraient dû être repeints. Le petit bâtiment où il avait trouvé les outils pour réparer le corral était sur le point de s’écrouler. Dans la cuisine, le linoléum du sol se décollait par plaques, les portes des placards ne fermaient plus… Il ne savait pas combien de têtes de bétail ni combien d’hectares comportait le ranch, mais il y avait une douzaine de chevaux à l’écurie. Qui les montait ? Le Crescent Moon n’abritait plus que deux femmes et deux vieux cow-boys. Il avait encore en poche l’affichette décrochée la veille au supermarché. Le problème, c’était que tout cela ressemblait un peu trop à une famille. Et de famille, il ne voulait plus entendre parler, quelle qu’elle soit, même si c’était ce qui avait le plus compté dans sa vie autrefois. Cette époque était passée. Terminée. Révolue. – Tu as un autre boulot en perspective ? demanda Willie. – Oui. Du côté de Black Hills, dans le Dakota du Sud. C’était un mensonge. Un collègue lui avait bien parlé de ce ranch, mais il n’avait pas assez d’argent pour se rendre aussi loin. Comme si elle avait lu dans ses pensées, Maggie ajouta : – Il y a au moins deux grosses journées de route jusque là-bas. Landon ne put détacher ses yeux des lèvres de la jeune femme pendant qu’elle parlait. Ni après. Voilà qui représentait une raison suffisante pour plier bagage au plus vite. Il se rappelait confusément ce qu’il s’était passé la veille entre eux. La douceur de sa bouche, son parfum délicat de rose d’autrefois… Et la réaction incontrôlable de son propre corps. Ce matin, il avait éprouvé le même trouble devant son incapacité à maîtriser la virilité que Maggie éveillait en lui. En fait, s’il l’avait attrapée par la taille tout à l’heure, c’était plus pour la serrer contre lui et sentir ses courbes féminines que pour l’empêcher de tomber. Elle produisait sur lui un effet magique. Mais mieux valait ne pas réveiller le désir physique que sa vie errante et solitaire avait endormi. Ils terminèrent leur petit déjeuner en silence, mais il eut tout le loisir de constater que la tenue

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revêtue par son hôtesse aujourd’hui, jean étroit et chemisette moulante, révélait les formes qu’il avait pressenties la veille sous sa robe floue. – Il faut que j’aille au parking récupérer mon pick-up, déclara Maggie en se levant. – Je vais vous y conduire, proposa-t–il. – Mais… Je croyais que vous nous quittiez ? – Oui. Je vous déposerai en partant. – Alors, il vous faudra attendre au moins deux heures que vos vêtements soient secs, intervint Nana. Landon resta un instant muet. L’odeur du linge propre et frais qui avait suscité son rêve la veille lui revenait à la mémoire. Le piège… Ses doigts brûlaient du désir de caresser la peau de la jeune femme, qu’il associait à ce parfum de grand air et de soleil. – Très bien. Je m’en irai dès que ce sera prêt. Willie se leva à son tour et se pencha pour lui serrer la main. – Je pars pour la journée voir le troupeau au fond de la grande prairie. Adieu, fiston, et bonne chance. – J’étais assez mal en point hier, merci beaucoup pour votre aide. – De rien, répondit Willie en baissant la voix et en jetant un coup d’œil à la dérobée en direction de Nana qui se dirigeait vers la machine à laver le linge. Vous avez tiré Maggie des sales pattes de ce Greeley, nous vous avons aidé, c’est la moindre des choses. En voyant le manège de Willie, Landon leva les yeux vers Maggie. – Vous n’avez pas raconté votre dispute avec Greeley à votre grand-mère ? Maggie fit celle qui n’entendait pas et partit ranger le beurre dans le réfrigérateur. Il la suivit. – Vous voulez dire que votre grand-mère accueille un étranger sous son toit sans raison ? – Plus rien ne me surprend de sa part, assura la jeune femme. – Pourquoi ne lui avez-vous rien dit ? – Je ne l’embête pas avec des broutilles, déclara-t–elle en lui faisant face. – Une brute vous menace, vous rudoie même, vous mettez fin à une bagarre entre trois hommes au milieu de la nuit, et vous appelez ça des broutilles ? Le visage de Maggie exprima la surprise, puis la colère. Elle s’avança jusqu’à se trouver visage contre visage avec lui. – Vous ne me connaissez pas. Vous ne connaissez rien de ce ranch. Vous avez affirmé que vous ne vouliez pas y travailler. Alors, de quoi vous mêlez-vous ? Occupez-vous de vos affaires et laissez-moi tranquille ! Elle le repoussa et quitta la cuisine sans se retourner. Il la regarda sortir avec un sourire amusé. Diable ! Maggie Stevens avait du caractère. Et elle était encore plus belle quand ses yeux verts étincelaient de colère. Il était déjà arrivé à la porte quand il se dit qu’il devrait éviter de sortir derrière elle. Quelque chose lui échappait. Il n’aurait pas été capable de dire si c’était le silence de Maggie à propos de Greeley ou le fait qu’elle le traitait comme un membre de la famille alors qu’il était pour elle un parfait inconnu, mais il fallait qu’il tire la situation au clair. Et pourquoi donc ? Il n’avait pas assez de problèmes avec son porte-monnaie vide et son cheval malade ? Tant pis. Il attrapa son chapeau et sortit lui aussi, ne pouvant s’empêcher de suivre Maggie dans la grange. – Un instant… – Je n’ai pas de temps à perdre, répliqua la jeune femme en s’avançant vers les stalles. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, j’ai pas mal de pain sur la planche. Les mots s’échappèrent de la bouche de Landon avant qu’il ait pu les retenir : – Par quoi je commence ? Surprise, elle s’arrêta un instant puis s’empara d’une fourche, avant d’ouvrir la porte du premier

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box. – Par rien du tout. Il se rapprocha d’elle et sortit l’affichette de sa poche. – Je croyais que vous cherchiez du personnel. – Eh bien, vous vous trompiez, rétorqua-t–elle. Ses yeux se portèrent alors sur le bout de papier. – Où est-ce que vous avez pris ça ? – Au supermarché qui se trouve à côté du parking. Juste avant mon agression. – C’est vieux comme Hérode, je l’avais oublié. Il froissa le papier dans ses doigts mais la regarda droit dans les yeux. – Il me semble pourtant que vous avez un besoin urgent de main-d’œuvre. – Pas du tout. Il me suffit d’être plus efficace. Et de m’occuper de mes affaires. Quel fichu caractère, cette Maggie Stevens ! L’envie de tourner les talons s’empara de lui, mais il ne réussit pas à le faire. Voilà une fille qui était dans la mouise jusqu’au cou, mais qui refusait de le reconnaître. Alors qu’elle aurait très bien pu l’abandonner aux mains de ses agresseurs, elle n’avait pas hésité à le ramener chez elle, ce qui ne pouvait que lui attirer encore davantage d’ennuis. Il la regarda en silence un moment jeter la paille dans le box à grands coups de fourche. – Je prends le poste. Elle s’arrêta brusquement. – Pourquoi ? Un hennissement de Winner les fit se précipiter tous les deux vers l’étalon. Le cheval grattait du pied la paille qui recouvrait le sol de sa stalle. Landon se baissa pour défaire le bandage et examiner sa foulure. – Alors, mon vieux, comment ça va ce matin ? Maggie se pencha par-dessus son épaule. Il sentit ses seins le frôler, et son sang ne fit qu’un tour. Il réprima un soupir de plaisir. L’enflure de Winner n’avait pas disparu, il s’en rendit compte tout de suite. Maggie l’avait vu aussi. – Vous m’aviez dit qu’il allait mieux… – C’était ce que je croyais. – Il mérite d’être bien soigné, c’est une merveille de cheval ! Où l’avez-vous eu ? En entendant cette question, Landon se figea instantanément. La colère lui serra la gorge. – Ce cheval est à moi, je l’ai acheté ! Je peux vous montrer les papiers si vous en doutez. – Oh, vous avez cru que je…, bégaya la jeune femme. Sa réaction l’avait surprise. Visiblement, elle n’avait pas pensé un instant mettre en question son titre de propriété. Mais elle ne pouvait pas imaginer que, partout où il avait travaillé ces derniers temps, on l’avait soupçonné d’avoir volé Winner. Il se ressaisit rapidement. Maggie n’était pas un propriétaire comme les autres. Pour commencer, elle lui avait déjà prouvé sa générosité et son désintéressement. Ensuite, c’était une femme douce, séduisante. Debout en face de lui avec sa queue-de-cheval, moulée dans son jean et sa chemisette à carreaux, elle paraissait toute jeune, bien plus qu’elle ne l’était certainement. Une fois encore, il se rendit compte qu’il ne restait pas indifférent à sa séduction. Attention, elle pourrait très bien être la personne qui l’emploie, il ferait bien de s’en souvenir ! Il revint à Winner, qui émit un hennissement très doux. Etait-ce pour le remercier de lui avoir retiré le bandage ou pour signifier sa gratitude à Maggie qui lui flattait l’encolure ? – C’est pour lui, murmura-t–il. – Pardon ? – C’est pour lui que je veux le poste que vous proposez. Vous avez vu vous-même qu’il ne va pas bien. Nous avons traversé une période difficile tous les deux… Il a besoin de repos pour récupérer.

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– Ce qui fait que vous recherchez un emploi temporaire ? Plus ce serait court, mieux ce serait. – Oui. Jusqu’à ce que Winner soit guéri. Maggie eut un sourire pensif. – Je comprends ce que vous éprouvez. Le cheval pie qui se trouve dans le box voisin est Rowdy. Il est né le mois où j’ai passé mon bac, et ça fait douze ans qu’il est mon meilleur ami. Winner était aussi le cadeau que ses parents avaient fait à Landon quand il avait terminé le lycée. Avec lui, il avait tenté de réaliser son rêve de devenir champion de rodéo. Pendant trois ans, ils avaient couru ensemble les compétitions, gagné souvent, jusqu’à ce qu’un coup de fil fasse basculer sa vie. Une douleur trop bien connue l’obligea à cligner des paupières et à détourner la tête. – Bon. Eh bien dans ce cas, considérons l’affaire comme réglée, déclara la jeune femme. Vous pouvez rester le temps que vous… Eh là ! s’interrompit-elle brusquement. Elle atterrit brutalement contre la poitrine de Landon, qui l’attrapa à bras-le-corps et se campa solidement sur ses jambes pour leur éviter à tous les deux de tomber en arrière. Par-dessus l’épaule de Maggie, Winner continuait de secouer la tête pour les bousculer, un petit jeu qu’il affectionnait particulièrement quand il était d’humeur joyeuse. Landon lui sourit avec complicité avant de regarder la femme qu’il tenait dans ses bras. Leurs regards se rencontrèrent. Une vague de chaleur intense passa sur la peau. Il passa la langue sur ses lèvres, les yeux rivés sur la bouche qui le tentait comme un beau fruit. Il ne fallait pas. Il ne devait pas. Elle était sa patronne. En dépit des fantasmes voluptueux qui l’avaient hanté la nuit précédente, ce n’était pas une bonne idée. C’était même une très mauvaise idée. Les lèvres de la jeune femme s’écartèrent. Il abaissa la tête vers elles… – Qu’est-ce qu’il se passe là-dedans ? En entendant cette voix d’homme doucereuse, il sursauta et se rejeta en arrière. Il lâcha Maggie et la fit passer derrière lui. Kyle Greeley, un sourire perfide sur les lèvres, se tenait debout au milieu de l’allée centrale de la grange. – Eh bien, pour un nouveau venu, on dirait que tu n’as pas tardé à te sentir chez toi ? D’après ce que je vois, je ne suis pas le seul à prendre du bon temps avec Maggie Stevens entre deux bottes de foin.

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- 5 - Les mots prononcés par Kyle Greeley réveillèrent instantanément la brûlure de la cicatrice que Maggie avait dans les cheveux, aussi cuisante et douloureuse que si elle venait d’être blessée à l’instant même. Six mois plus tôt, après un dîner aux chandelles auquel Kyle l’avait invitée, il l’avait emmenée faire le tour de sa propriété. Alors qu’ils se trouvaient dans la grange, il l’avait acculée dans un coin et lui avait fait comprendre de façon plutôt brutale qu’il attendait quelque chose d’elle en retour de ses attentions. Le coup de genou qu’elle lui avait porté au bas-ventre avait coupé le souffle à Greeley. Humilié, il lui avait frappé la tête du poing, et la lourde chevalière qu’il portait au doigt lui avait ouvert le cuir chevelu. Bien sûr, il avait assuré qu’il s’agissait d’un accident. De son côté, honteuse de s’être laissé entraîner dans ce mauvais pas, elle ne l’avait pas contredit, se contentant de mettre fin à leur relation. Elle écarta le désagréable souvenir de son esprit et s’avança vers le nouveau venu. – Qu’est-ce que tu fais ici, Kyle ? – Qu’est qu’il fait ici ? demanda Greeley en écho. Avec une chemise du Crescent Moon sur le dos, par-dessus le marché ! Landon fit un pas en direction de Greeley, mais elle s’interposa. – Qu’est-ce que tu veux ? Kyle jeta un coup d’œil par-dessus sa tête pour s’adresser à Landon. – Désolé, mon cher, il nous faudrait un peu de tranquillité, à cette jeune femme et à moi-même. – Maggie, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? – Rends-toi utile, répondit Greeley sans lui laisser le temps de répondre. Sors ce fumier de la grange, par exemple. Elle dévisagea Landon, qui ne bougeait pas. Sa mâchoire volontaire paraissait dure comme la pierre, mais les teintes violacées qui entouraient son œil et la boursouflure qui déformait encore le coin de sa bouche lui rappelèrent douloureusement que c’était à cause d’elle qu’il avait été agressé par les hommes de main de son visiteur. – Occupez-vous des chevaux, commanda-t–elle doucement. Nous verrons le reste ensemble plus tard. – Parfait, répondit Landon en se dirigeant vers les box. De son côté, elle s’avança vers l’entrée de la grange, suivie par Greeley. Ensemble, ils se dirigèrent vers l’étang, à l’ombre du bosquet de peupliers. – Alors, Kyle, demanda-t–elle une fois loin de Landon, qu’est-ce que tu veux ? Tu sais que j’ai beaucoup de travail et pas de temps à perdre. Greeley la dévisagea d’un air madré. – Quand j’ai entendu dire que tu avais ramené ce vagabond chez toi, j’ai cru que c’était juste pour t’amuser un peu avec lui. Ne me dis pas que tu l’as réellement engagé ? – Qu’est-ce que ça peut te faire ? – Allez, Maggie ! Tu sais comment ça se passe à Destiny. Les langues vont bon train, il suffit d’un rien pour que les commérages démarrent. Comme si elle n’était pas au courant ! Deux ans plus tôt, quand Alan avait compris qu’il ne deviendrait jamais propriétaire du Crescent Moon, il était parti après dix ans de mariage, et elle était restée seule au ranch avec leur fille Anna. La ville en avait fait des gorges chaudes pendant plusieurs mois. Quels ragots couraient-ils déjà sur son compte si quelqu’un l’avait aperçue avec Landon, hier au soir sur le parking ? Malgré son inquiétude, elle arbora un air provocant. – C’est la rumeur publique qui t’a donné envie de passer ici ? Greeley retira son Stetson. – Non. Je suis venu pour deux raisons. La première, c’est pour m’excuser de ce qu’il s’est passé

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hier. Ces belles paroles ne firent pas pour autant disparaître la méfiance de Maggie. Depuis le départ d’Alan, Greeley avait utilisé tous les moyens possibles et imaginables pour essayer d’obtenir ce qu’il voulait, c’est-à-dire le Crescent Moon. Il avait su s’y prendre si habilement qu’elle était même tombée plus ou moins amoureuse de lui avant de découvrir le sinistre personnage qui se cachait derrière le sourire étincelant et le regard bleu ciel de son voisin. – J’en prends bonne note. – La seconde raison, c’est que tu as quitté la fête hier soir avant que soit annoncée une grande nouvelle. Il m’a semblé qu’il valait mieux que tu l’apprennes de ma propre bouche. Elle ne savait absolument pas à quoi Greeley faisait allusion. Elle contempla sa tenue de cow-boy impeccable, ses bottes en cuir dépourvues de la moindre éraflure. L’ensemble coûtait sans doute plus que ce qu’elle avait payé au vétérinaire en six mois de soins à son bétail. Elle afficha un sourire goguenard. – Tu as vendu ta propriété et tu quittes la région ? Le sourire de Greeley s’accentua. – Tu n’y es pas du tout, ma petite. Pas du tout ! Devant l’air satisfait de son interlocuteur, elle commença alors à s’inquiéter sérieusement. – Figure-toi que, à partir de ce matin, je suis membre du conseil d’administration de la First National Bank. Le monde de Maggie s’écroula d’un seul coup. Il lui fallut faire appel à toute sa force de caractère pour ne pas montrer son désespoir. Avec l’influence qui était la sienne, autant dire que Greeley disposait de tout pouvoir pour agir à sa guise. Ce qui revenait à dire qu’il ferait la pluie et le beau temps dans la région et qu’elle allait perdre tout ce qu’elle possédait. Les yeux bleus de Greeley étincelaient malgré les veinules rouges qui attestaient de sa beuverie de la veille. Une envie difficilement répressible de le gifler s’empara d’elle, histoire de se passer les nerfs et de lui faire perdre un peu de son arrogance. Ce serait un tel soulagement ! Par un tour de force dont elle ne se serait pas crue capable, elle réussit pourtant à se contenir. – Il paraît que tu as un rendez-vous cette semaine avec ton conseiller fiscal, poursuivit Greeley. Tu voudrais faire revoir à la baisse les mensualités que tu verses à ton ex, c’est bien ça ? Cette fois, l’air manqua à Maggie. Elle ne pouvait plus respirer, elle étouffait. – Et alors ? réussit-elle à demander, en priant le ciel de ne pas s’étrangler entre les deux mots. – Ta demande a été refusée. La banque ne peut pas se permettre ce genre d’opération. Greeley s’était mis à parler d’une voix traînante. Son regard s’attardait complaisamment sur les divers bâtiments qui entouraient la cour du ranch. Elle suivit son regard, et tout à coup sa propriété lui apparut à travers les yeux de son voisin. Des toitures qui fuyaient, des murs branlants, des peintures négligées, des chemins à refaire, plus tout ce qui ne se voyait pas mais qui demandait néanmoins à être réparé, consolidé ou reconstruit. Greeley émit un petit ricanement. – Personne ne peut parier sur les bénéfices du Crescent Moon. Aucun des membres du conseil n’est d’accord pour prendre ce risque. – Espèce de salopard ! gronda-t–elle, prête à défendre bec et ongles le ranch qui était dans sa famille depuis des générations. Tu sais parfaitement combien le Crescent Moon était florissant autrefois, et tu sais aussi combien il peut le redevenir. Voilà pourquoi tu es si soucieux de mettre le grappin dessus ! – C’est plutôt toi qui me parais soucieuse. – Tu n’es qu’un bandit, un voleur, un… Elle s’arrêta net en voyant sa grand-mère sortir de la maison avec un panier de linge qu’elle allait

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étendre, son chapeau posé sur le dessus. – Nana, lança-t–elle sur un ton enjoué, regarde qui est venu nous saluer ! La vieille dame fronça un peu le nez pour mieux dévisager le nouveau venu. – Mon Dieu, c’est incroyable comme tu ressembles à ton pauvre père. J’espère seulement que tu es moins canaille que lui. La bouche de Greeley se tordit légèrement. – Bonjour, madame Travers. Je vois que vous avez toujours votre délicieux sens de l’humour. – Tu n’as rien oublié, ma chérie ? demanda la vieille dame, malicieuse. – Heu… Si, reconnut Maggie. Sous le chapeau, elle découvrit son téléphone portable sans lequel elle ne sortait jamais. Jamais encore elle ne l’avait oublié. Jusqu’à ce matin… Sa grand-mère lui adressa un petit clin d’œil auquel elle ne répondit rien, se contentant de se coiffer d’un geste brusque. Comme elle rangeait son téléphone dans la poche de son jean, un crissement de pneus sur le gravier de l’allée se fit entendre. Un pick-up rouge métallique et le van assorti s’avançaient vers eux. Sur le siège du passager, elle reconnut Will Harding, le maire de Destiny. Nana posa sa corbeille de linge par terre et arbora un air désolé. – Ma chérie, j’ai oublié de te dire que le maire a appelé pendant que tu prenais ta douche ! C’était pour te prévenir qu’il passerait ce matin plutôt que mardi. Maggie serra les lèvres. Le moment ne pouvait pas être plus mal choisi. Voilà que Black Jack, le mustang qu’elle devait dresser pour la fille de Tucker Hargrove, l’ami de Harding, venait d’arriver au ranch. Et, à entendre les coups de sabot qui résonnaient contre les parois du van, l’animal ne paraissait pas jouir d’un caractère docile ! – Qu’est-ce que Harding vient faire ici ? demanda Greeley. Aurais-tu l’intention d’exercer tes petits tours de magie sur ce cheval qui paraît encore à l’état sauvage ? Elle ne l’écouta pas. En fait, sa seule chance d’offrir un futur au Crescent Moon reposait sur le dressage de ce nouveau pensionnaire. Hélas, il arrivait plus tôt que prévu, alors qu’elle avait pensé consacrer au moins un jour ou deux à se préparer mentalement pour accueillir cet animal difficile. En outre, elle se trouvait dans l’obligation de revoir rapidement son emploi du temps de la journée. Il lui faudrait demander à Nana d’aller récupérer Anna chez son amie, déplacer le rendez-vous qu’elle avait pris chez le vétérinaire… Le bon côté de la chose était que son compte en banque serait approvisionné dès aujourd’hui. Et, une fois que le bouche-à-oreille ferait circuler son succès auprès de Black Jack, elle était certaine d’avoir d’autres clients. Elle s’avança vers le pick-up rouge. Landon la suivait, quelques pas derrière. – Tu es folle d’avoir engagé ce cow-boy, reprit Greeley. Tu sais que je n’en ai pas voulu chez moi ? – Parfaitement. Mais je fais ce que je veux, et tu n’as pas à te préoccuper de ma propriété. – Mais j’en possède la moitié. – Pas du tout. La banque en aura la moitié si je ne paye pas mes dettes, mais nous n’en sommes pas là. Je te jure que ce ranch restera à moi. Cent pour cent à moi. – En attendant, d’après ce que j’ai aperçu tout à l’heure dans la grange, ce cow-boy se sent parfaitement chez lui. Il est allé bien plus vite que moi en besogne ! Finalement, tu n’es peut-être pas aussi glaciale que ce qu’Alan racontait ? Maggie avala péniblement sa salive, se retenant de répondre. Après les aventures extraconjugales de son mari et depuis son douloureux divorce, elle n’avait pas éprouvé le besoin de contact physique avec un homme. Il avait fallu le baiser de cet étranger, la veille, pour que ses sens se réveillent et que sa chair vibre de nouveau. Comme Kyle faisait glisser sa main sur son bras nu, elle le retira vivement. Puis elle baissa le bord de son chapeau et fixa l’importun. – Tu ne crois pas qu’il serait temps de rentrer chez toi ?

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– Nous nous reverrons, ma petite, ricana-t–il. Très bientôt. Elle posa les mains sur ses hanches et regarda Greeley monter dans son énorme pickup. Une fois qu’il fut à l’intérieur, elle leva les yeux au ciel et laissa échapper un soupir de soulagement à l’idée de le voir disparaître de son territoire. Mais, lorsqu’elle regarda de nouveau autour d’elle, ce fut pour s’apercevoir qu’il s’était arrêté un peu plus loin pour parler avec le conducteur du pick-up. Que pouvaient-ils se raconter ? Pas question de le laisser colporter ce qu’il avait appelé tout à l’heure ses « tours de magie ». Elle s’avança résolument, mais Greeley passa sa vitesse sans attendre qu’elle arrive à leur hauteur et quitta le ranch. Ouf. Maintenant, elle pouvait accueillir le maire avec calme. – Bonjour, monsieur Harding. C’est un plaisir de vous voir et de vous féliciter pour la fête d’hier. Elle était encore mieux organisée que les autres années. On peut dire qu’il y avait des distractions pour tous les âges. Pendant qu’elle parlait, Black Jack menait un tapage d’enfer dans son van. – Je pense qu’il faudrait le faire sortir, conseilla le maire. Il est déjà très énervé. Vous allez avoir du mal pour l’amener dans le corral. – Chaque chose en son temps. Si vous alliez prendre une tasse de café avec Nana ? Je crois qu’elle a quelques muffins qui viennent de sortir du four. – Allons, je n’ai pas beaucoup de temps, mais les muffins de Mme Travers sont trop célèbres pour que je rate une occasion de les goûter ! – Je vais laisser Black Jack se calmer un peu avant d’aller m’occuper de lui.

*** Landon considéra le van qui tremblait sur ses roues. Qu’il se calme un peu ? Si le cheval continuait à ce rythme, la remorque allait bientôt voler en éclats. On aurait dit que la fureur de l’animal transpirait au-delà de la paroi qui le contenait et flottait dans l’air comme un nuage prêt à exploser. Un peu plus tôt, quand il avait reconnu Greeley et l’avait vu se rapprocher de Maggie, Landon avait senti sa fureur de la veille renaître de ses cendres. Une fureur mêlée à un sentiment dont il préférait ne pas approfondir la nature. Il secoua la tête. Assez de bêtises ! Tout irait mieux s’il pensait avec sa tête plutôt que de se laisser aller à ses réactions de mâle frustré. Maggie lui jeta un coup d’œil par-dessous le rebord de son chapeau puis entraîna le maire vers la maison. L’homme, qui avait la carrure d’un lutteur plus que celle d’un politicien, accompagna de bon gré Maggie vers la maison. – Kyle Greeley me disait à l’instant que j’étais fou de vous avoir recommandée à mon ami Hargrove pour le dressage de Black Jack. J’avoue que, si je n’avais pas été au courant du travail remarquable que vous avez effectué avec le cheval de ma fille Trish, je ne sais pas si je serais venu vous trouver. De là où il se trouvait, Landon vit s’évanouir le sourire de Maggie. Est-ce que cet homme allait l’ennuyer lui aussi ? Il se rapprocha d’elle au cas où cette éventualité se produirait. Heureusement, il la vit se détendre et relâcher ses épaules. – C’est vrai que c’était un pari que de prendre Hidalgo en charge, reconnut-elle, mais quel beau résultat nous avons obtenu ! – Je suis bien d’accord, et mon épouse a si bien chanté vos louanges à Tucker Hargrove qu’il a tenu à ce que ce soit vous qui vous occupiez du dressage de Black Jack. Au fait, vous savez qu’il a l’intention de s’installer près de Destiny ? Il a beau avoir passé deux décennies à jouer les cow-boys à l’écran, il en est resté un, parfaitement authentique. – Voilà pourquoi il lui faut un excellent cheval, commenta Maggie.

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– Black Jack est le meilleur ! opina Will Harding. – Encore faut-il réussir à le monter, répliqua Maggie. La fille de Hargrove pratique l’équitation depuis qu’elle est toute petite, mais une adolescente a besoin d’un animal fiable, sur lequel elle soit en sécurité. – Et vous pensez détenir la formule magique qui va changer cette créature rétive en une monture docile ? – Oui. L’assurance tranquille qui émanait de la voix de Maggie impressionna Landon. Après que Nana les eut accueillis dans sa cuisine, Maggie laissa la vieille dame en conversation avec le maire et regagna la cour. – Vous avez besoin d’aide ? demanda Landon qui ne cessait de l’observer. – Pas pour l’instant. Il l’accompagna néanmoins, mais elle réagit vivement. – Je sais ce que je fais, cow-boy, laissez-moi ! Il obéit à regret. Elle n’était sans doute pas assez folle pour ouvrir la porte du van et lâcher un animal sauvage dans la nature, mais à quoi pouvait-on s’attendre de la part d’une femme qui l’avait ramené chez elle la nuit dernière sans même lui demander son nom ? Maggie avait ralenti le pas en s’approchant de la remorque. Une fois arrivée à sa hauteur, elle commença à aller et venir lentement à côté du van. Landon n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle faisait, mais dès son troisième passage l’animal avait arrêté ses piaffements déments. Elle paraissait remuer les lèvres comme si elle parlait, mais il ne réussissait pas à entendre ce qu’elle disait. Est-ce qu’elle se parlait à elle-même ? Ou au cheval, peut-être ? Au bout d’un moment, elle s’appuya contre le van, tête baissée comme si elle étudiait le sol, et resta ainsi un moment. Au bout d’une dizaine de minutes, elle fit signe à Landon de s’approcher. – Vous pouvez amener ce pick-up et le van en marche arrière devant le grand corral ? Il fit signe que oui. – Parfait. Allez-y lentement, sans à-coups, et ne vous arrêtez sous aucun prétexte. Vous vous guiderez avec les rétroviseurs. Pendant qu’il effectuait la manœuvre, il vit que Maggie continuait à parler. Après avoir arrêté le véhicule là où elle le lui avait demandé, il en descendit et constata qu’il se trouvait encore à une dizaine de mètres de l’ouverture du corral. Il s’apprêta donc à remonter pour reculer davantage. Mais Maggie, qui avait dû comprendre ce qu’il s’apprêtait à faire, lui fit signe que tout était bien ainsi. Il fronça les sourcils. Le cheval était calmé, certes, mais personne ne savait comment il allait réagir une fois la porte du van ouverte. Préventivement, il se munit d’un lasso, quand la voix de Nana lui parvint depuis le porche où elle se trouvait maintenant avec Harding. – Faites confiance à Maggie, Landon. Elle sait ce qu’elle fait. – C’est au cheval que je ne fais pas confiance ! rétorqua-t–il. – Je me demande comment elle va s’en sortir, renchérit le maire. Il a fallu quatre hommes costauds pour faire entrer Black Jack dans le van ! Landon hocha la tête. Il sentait ses muscles douloureux, mais il était néanmoins décidé à faire tout ce qu’il faudrait pour assurer la sécurité de la jeune femme. Il la regarda ouvrir le loquet, abaisser la rampe qui permettrait à l’animal de descendre du van. Comme il faisait mine de se rapprocher, elle lui adressa un coup d’œil furibond. Il se tint donc à distance, mais aux aguets, le lasso à la main. – C’est bon, Black Jack, tu es libre maintenant, annonça Maggie d’une voix calme. Mis à part le bruit de ses sabots sur la rampe de métal et le frémissement de sa longue queue, le

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cheval descendit, parfaitement silencieux. – Maintenant, tu vas me suivre, Black Jack. Doucement… Landon n’en croyait pas ses yeux : le mustang avançait lentement à la suite de la jeune femme, qui le guida ainsi jusqu’au centre du corral, où il s’arrêta. Elle s’écarta alors de lui et recula jusqu’à la clôture, qu’elle referma soigneusement derrière elle. – C’est bon, tu peux t’amuser maintenant. Galope, saute, détends-toi, tu l’as bien mérité. Le cheval lui répondit par un long hennissement et un balancement de la tête, avant de se mettre à galoper à bride abattue tout autour de l’enclos. Landon était pétrifié d’admiration. – Bravo ! Je n’ai jamais rien vu d’aussi extraordinaire. – Merci, répondit Maggie sans le regarder, les yeux toujours rivés sur le cheval. Vous pouvez ranger votre lasso et déplacer le pick-up. Il s’exécuta, vivement impressionné par cette démonstration. Le maire, très admiratif aussi, revint ensuite prendre possession de son véhicule, tandis que Maggie continuait à parler au cheval qui donnait encore des signes de nervosité. Comme Nana arrivait en tenant une pile de linge soigneusement plié, Landon pensa qu’il valait mieux laisser à Maggie le soin d’annoncer à la vieille dame qu’il avait accepté de travailler au ranch. – Merci infiniment pour votre amabilité, madame Travers, dit-t–il en prenant son linge des mains de la vieille dame. Après avoir déposé ses affaires dans son propre pick-up, il rejoignit Maggie au corral. Là, il appuya comme elle ses coudes sur la clôture et observa le cheval noir qui caracolait à son aise. – C’est une merveille, n’est-ce pas ? demanda Maggie. – Une merveille, mais un monstre aussi. Je ne sais pas comment vous vous y êtes prise pour le faire sortir aussi calmement du van. – C’est tout simple. Je lui ai laissé le temps de se détendre, de se familiariser avec les odeurs qui l’environnaient et de se concentrer sur une seule personne. Cela, plus quelques passes magiques, bien entendu, ajouta-t–elle en riant. Elle dévisageait Landon de son regard vert qui, immanquablement, lui échauffait le sang. De la magie ? Et pourquoi pas ? Il y avait indubitablement quelque chose de sorcier chez cette jeune femme si belle et si mystérieuse. Une envie irrépressible de savoir ce qui se passait sous sa crinière blonde s’empara de lui. – Je ne crois pas à la magie, répliqua-t–il. – Je vous ferai peut-être changer d’avis, qui sait ? – Que pensent vos autres ouvriers de vos talents ? Maggie hocha la tête tristement. – A part Hank et Willie qui sont au ranch depuis toujours, je n’ai guère eu le temps de convaincre les autres, car Greeley s’emploie à les débaucher les uns après les autres. C’était pour cette raison que nous nous disputions, le soir où vous êtes intervenu. – Je comprends pourquoi le ranch est si calme. Est-ce que vous savez au moins pourquoi votre voisin se comporte de cette façon ? – Oh, c’est une longue histoire… Que je vous raconterai une autre fois. Parlons plutôt de votre salaire. Il n’est pas très élevé mais comprend la pension de votre cheval. Et, grâce à Nana, la nourriture des humains est très bonne aussi. Elle pointa du doigt au-delà de l’étang. – Si vous aimez la tranquillité, vous pouvez vous installer dans la maison du contremaître. Elle est vide. – Vous n’avez pas discuté de mon embauche avec votre famille, hasarda-t–il. – C’est moi qui prends toutes les décisions. Je vis seule ici avec ma grand-mère et ma fille. – Qui ? – Ma fille, Anna. Lui aussi avait eu une fille. Sara…

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Il se rappelait ses petites mains et ses grosses larmes quand elle se fâchait. Ce soir-là, il l’avait mise en pyjama et lui avait donné le biberon de lait qu’elle réclamait toujours au moment de se coucher. Puis, après l’avoir installée dans son lit à barreaux au milieu de ses jouets en peluche, il s’était penché sur elle. – Je te promets que je serai toujours là pour toi, mon trésor. Je sais que j’ai été beaucoup absent, mais je rattraperai le temps perdu, tu verras. Mais ce jour-là il avait menti à sa fille, puisqu’il lui avait fait défaut au moment où elle avait besoin de lui. Quelques jours plus tard, en rentrant le soir d’une réunion, il avait vu une grande lueur rouge s’élever dans le ciel par-dessus les arbres. Il avait accéléré comme un fou, mais, à son arrivée, la grande grange était déjà réduite en cendres, et la maison où dormaient Sara et sa mère était en flammes. Son frère et les ouvriers du ranch, démunis devant l’ampleur du désastre, avaient renoncé à pénétrer dans le brasier qui consumait le bâtiment. L’horrible odeur de bois calciné lui brûlait encore les narines. C’était son enfer personnel. Un enfer qui hantait inlassablement ses rêves. Un enfer qui l’avait fait passer pour meurtrier. – Landon ? Ça va ? Qu’est-ce qu’il vous arrive ? Il sursauta en sentant la main de Maggie sur son bras. – Rien. Il lutta pour retrouver une respiration normale. Les yeux fixés sur l’horizon, il s’efforça de rejeter au loin les terribles souvenirs et de les enfermer dans les secrets de son cœur. – Vous êtes blanc comme un linge. – Ce n’est rien. – J’ai dit quelque chose qui vous a déplu ? – Non… Il serra les dents avant de reprendre. – N’y faites pas attention. La sonnerie du téléphone portable de Maggie retentit au milieu d’un silence gêné. – Willie à l’appareil. – Salut, Willie. Tout va bien ? – Non. Nous avons des ennuis, Maggie. – C’est grave ? – Assez… – Explique-toi, Willie ! exigea Maggie qui commençait à s’impatienter. – La remorque de Hank s’est détachée. Il faut venir nous porter secours. – Vous ne pouvez pas attendre que nous ayons déjeuné ? demanda la jeune femme après avoir consulté sa montre. – Non, Hank est coincé dessous.

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- 6 - A ces mots, Maggie bondit comme une flèche en direction de la maison, Landon sur les talons. Elle en éprouva un profond sentiment de réconfort qu’elle ne chercha pas à se dissimuler. Depuis que le cow-boy était au ranch, en effet, on aurait dit qu’il se tenait toujours prêt à l’accompagner partout où elle allait. Sauf tout à l’heure, quand, le visage pétrifié de douleur, il était resté perdu dans ses pensées, isolé dans un monde auquel lui seul avait accès. Inquiétée par cette précipitation, Nana vint à leur rencontre. – Que se passe-t–il, Maggie ? Tu as l’air affolée. – Nous partons rejoindre Willie. Hank a eu un accident. Appelle tout de suite le Dr Cody et demande-lui de venir nous rejoindre avec son ambulance. – Ça m’étonnerait que Hank soit d’accord pour monter dedans, répondit Nana. – Je crains qu’il n’ait pas le choix cette fois. Ce fut alors que Maggie se souvint que son pick-up était resté sur le parking. – Donnez-moi vos clés, ordonna-t–elle à Landon. – Pas question, je viens avec vous. D’ailleurs, vous-même venez de dire que nous y allions. Elle se mordit la lèvre. Elle ne s’était même pas rendu compte qu’elle avait automatiquement associé Landon à ce qu’elle allait faire. – D’accord, mais laissez-moi conduire. Je sais où il faut aller, alors que vous ne connaissez pas les chemins. Landon s’installa donc à la place du passager. Il avait de nouveau revêtu une de ses propres chemises. Ce matin, quand elle l’avait vu arborer celle du Crescent Moon, de pénibles souvenirs lui étaient remontés à la mémoire. C’était son père qui avait fait confectionner quelques années plus tôt ces chemises pour les ouvriers du ranch, et elle les avait d’autant plus prises en horreur que lui les adorait. Allons, pourquoi s’appesantir là-dessus ? Mieux valait revenir au présent et concentrer son attention sur la route poussiéreuse. En arrivant près du croisement signalé par Willie, la vieille bâtisse que Hank restaurait à temps perdu apparut sur le côté de la route. Elle arrêta le pick-up et sauta à terre. – Willie ? – Je suis là, derrière la grange. Hank était allongé sous la remorque qu’il utilisait pour transporter son matériel, le visage crispé de douleur, la respiration haletante. Visiblement, la roue avait cédé pendant qu’il rafistolait quelque chose par-dessous, et il s’était retrouvé coincé, à demi écrasé. Willie pesait de tout son poids sur une poutre qu’il utilisait comme levier pour permettre à Hank de respirer. L’effort énorme fourni par le vieux cow-boy lui retroussait les lèvres et faisait saillir les tendons de ses bras et de son cou de façon si impressionnante qu’on aurait dit qu’ils allaient céder d’un instant à l’autre. On entendait la poutre craquer. Sans doute ne résisterait-elle plus très longtemps à la poussée qui lui était imposée. Landon se précipita. Il se glissa sous la remorque et enjamba le torse de Hank. Ensuite, il se cala les mains sur ses genoux où elles prirent un appui solide et se raidit de manière à soulager la poutre, qui donnait de plus en plus de signes de faiblesse. Lorsque l’inévitable se produisit, la remorque tomba sur Landon, dont les genoux fléchirent de quelques centimètres. – Hank ! – Landon ! Par un ultime effort, Landon réussit à maintenir la remorque à distance de la poitrine de Hank. Les yeux clos, les dents serrées, il murmura : – Tirez-le de là… Vite ! Maggie et Willie se précipitèrent.

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– Et maintenant, glissez des balles de foin à la place de la roue, commanda Landon. – Sortez de là avant d’être écrasé à votre tour, supplia Maggie. Mais Willie avait obéi, créant ainsi un vérin improvisé. Landon se laissa tomber à quatre pattes, épuisé. Son Stetson roula dans la poussière. Maggie s’obligea à détourner les yeux de lui pour regarder Hank, que Willie était déjà en train d’examiner. Il reposait, le visage terreux, la respiration difficile. Elle soupira de soulagement en voyant qu’il lui adressait un hochement de tête. – Hank ! gronda-t–elle. Qu’est-ce que tu étais allé faire sous ce chariot ? – Tu le sais très bien, souffla Hank, les yeux clos pour essayer de maîtriser la douleur. Une promesse est… – … une promesse, acheva-t–elle. Elle savait parfaitement de quoi parlait Hank. Lorsque sa femme s’était trouvée sur son lit de mort, il lui avait promis de restaurer dans les moindres détails la grange de bois qu’ils avaient achetée ensemble quelques mois plus tôt. – Je crois que j’ai quelques côtes cassées, murmura Hank, qui respirait difficilement. – Tu es sûrement dans le vrai, confirma Willie. Il faut faire vérifier ça par le médecin. En attendant, tu dois rester bien à plat. Après avoir refusé la main que Willie lui tendait, Landon se faufila tout seul à l’extérieur du chariot, se mit debout et ramassa son Stetson, qu’il remit sur sa tête. – Nous allons l’allonger à l’arrière de mon pick-up, dit-il. Je vais le rapprocher. Maggie le regarda partir, la démarche raide, mais sans boiter. Ce qu’il venait d’accomplir était à peine croyable. Seigneur, que se serait-il passé s’ils n’étaient pas arrivés à temps ? S’il ne s’était pas trouvé avec elle ? Une fois le pick-up à proximité, Willie aménagea de son mieux le couchage pour le blessé. Landon vint lui prêter main-forte, le Stetson de nouveau baissé sur son visage de telle manière qu’on ne réussissait plus à apercevoir son visage. – Prêt à le soulever ? demanda-t–il à Willie. Hank fit un geste pour essayer de se redresser. – Hé, les gars, je suis blessé, pas mort ! Mais la douleur eut vite raison de lui. – Tu veux bien rester allongé, vieux fou ! gronda-t–elle. – Ce sera plus simple si vous n’essayez pas de nous aider, ajouta Landon qui le souleva par les aisselles, assumant le plus gros de la charge tandis que Willie le prenait par les jambes. A eux deux, ceux-ci installèrent sur le lit de fortune le cow-boy dont le visage était encore plus pâle que quelques instants plus tôt. – Restez près de lui, ordonna Landon à Maggie, je vais prendre le volant pour revenir au ranch. Elle l’attrapa par le bras. – Et vous ? Vous n’êtes pas blessé ? – Non, je vais bien. Il essaya de se dégager, mais elle ne le laissa pas faire. – Ce matin, le corral. Maintenant, Hank. Vous êtes sans cesse en train de me rendre service. Comment vous remercier ? Landon la fixa de son regard noir aussi brûlant qu’une braise, puis il fit un pas en arrière sans un mot et prit le volant. Elle s’installa à côté de Hank tandis que Willie prenait place à côté de Landon. Un peu plus tard, ils avaient regagné le ranch, où Nana les attendait, inquiète. – Il faudrait trouver des bandes pour le maintenir au cas où le médecin voudrait qu’on le conduise à l’hôpital, suggéra Willie. – Je refuse d’y aller ! s’insurgea le blessé. – Hank ! Tu dois être raisonnable, intervint Maggie. Si c’est moi qui conduis, tu accepteras, n’est-ce pas ? – Seulement si c’est absolument nécessaire, bougonna Hank.

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– Tout dépend si vous avez envie de remonter sur un cheval, commenta Landon d’un ton neutre. Elle le dévisagea, incapable de déceler s’il était vraiment inquiet ou s’il cherchait seulement à persuader Hank de la nécessité de se faire soigner. En tout cas, imaginer Hank sans son cheval, c’était impossible. Autant signer tout de suite son arrêt de mort ! Willie revint avec les bandes fournies par Nana. – J’ai vu que Black Jack était arrivé. Il n’est pas en avance ? Hank fit une tentative pour s’asseoir. – Ce cheval sauvage ? Maggie, tu n’aurais jamais dû le prendre en charge toute seule. – Reste allongé, s’il te plaît ! Je… Nous nous en sommes occupés. Comme elle commençait à enrouler les bandes autour de la poitrine de Hank qui grimaçait de douleur, Landon s’interposa. – Laissez-moi faire, j’ai l’habitude. – Mais votre dos ? – Je vous ai déjà dit que j’allais très bien. La réponse était ferme, la voix décidée. Elle prit la main qu’il lui tendait pour l’aider à descendre du pick-up. A ce simple contact, elle se sentit le visage en feu et détourna la tête pour cacher son trouble. Une fois auprès de Nana, elle raconta comment Landon avait réussi à maintenir le chariot au-dessus de la poitrine de Hank au moment où la poutre craquait. – Quelle chance qu’il se soit trouvé là, murmura la vieille dame. Sans lui, Hank ne serait sans doute plus des nôtres. Maggie hocha la tête. Elle était rassurée sur le sort de ce dernier, mais comment allait-elle faire tourner le ranch sans son aide ? La panique commença à s’emparer d’elle à l’idée que Hank devrait se reposer pendant plusieurs semaines. La même pensée avait dû venir à l’esprit de Hank, car elle l’entendit grogner : – Il y a des kilomètres de clôture à installer, et je vais être obligé de rester à me prélasser au lit. Si tu demandais de l’aide à Greeley ? – Jamais ! explosa-t–elle. Je me débrouillerai. – Nous nous débrouillerons, corrigea Landon. Elle leva les yeux vers lui. – Si vous les mettiez au courant ? Résignation et souffrance mêlées traversèrent le regard sombre de Landon. Il n’avait pas envie de travailler au Crescent Moon, elle l’aurait juré. C’était même une sorte de désespoir qui se lisait sur son visage. Quel secret cachait cet homme si attaché à cacher son passé, ses projets, et même son visage ? Le poids des quatre regards qui pesaient sur elle l’obligea à réagir. – Landon a accepté de travailler au Crescent Moon quelque temps. Son cheval est blessé, et il va rester ici en attendant qu’il soit guéri et que j’aie trouvé du renfort pour le ranch. L’expression ravie affichée par sa grand-mère ne la surprit pas le moins du monde. Quant à elle, l’envie d’exprimer une nouvelle fois sa gratitude à Landon l’obligea à se détourner. A quoi bon l’agacer ? Ce n’était pas le genre d’homme à chercher les témoignages de reconnaissance. Et d’ailleurs, pourquoi était-elle toujours à deux doigts de le remercier ? Il n’était qu’un ouvrier comme les autres. Même si elle se sentait attirée par sa séduction et son mystère, elle n’avait pas à compter sur lui pour combler sa solitude affective ou amoureuse. Bien d’autres soucis la rattachaient à la réalité que quelques baisers échangés dans une demi-inconscience. D’ailleurs, un bruit de moteur la ramena définitivement au présent. Une petite fille aux longues nattes sauta de la voiture qui venait de s’arrêter dans la cour du ranch. – Maman ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tu vas bien ? Maggie serra sa fille contre son cœur pendant que le Dr Cody descendait à son tour. – Merci d’être venu si vite, doc. Mais comment se fait-il qu’Anna se trouve avec vous ?

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– J’ai rencontré la mère de Julie en ville avec les deux petites, et je lui ai fait part de l’accident de Hank. Anna a voulu rentrer tout de suite au ranch, alors j’ai proposé de l’amener avec moi, tout simplement. La fillette paraissait bouleversée de voir ce cow-boy qu’elle avait toujours vu accomplir des travaux de force allongé et immobile. – Tu as mal, Hank ? – Oui, un peu. Mais on va bien me soigner, et je recommencerai très vite à galoper avec toi dans la prairie. – Tu sais, reprit Maggie, il y a quelqu’un que tu ne connais pas encore mais que tu peux remercier d’avoir sauvé Hank. C’est Landon Cartwright, notre nouveau cow-boy. Jamais elle n’aurait imaginé que ce soit possible, mais Landon réussit à baisser encore davantage son Stetson sur ses yeux. Comme si une petite fille au visage innocent pouvait représenter pour lui un quelconque danger ! Décidément, cet homme était un parfait sauvage. – Landon, je vous présente ma fille Anna, poursuivit-elle néanmoins. Landon demeura raide comme un piquet. Pas le moindre geste, pas le moindre sourire. Eh bien, voilà qui inaugurait mal de leurs relations ! Anna aurait intérêt à se tenir à distance de la nouvelle recrue. Mais, insensible à cette froideur, Anna se mit à sourire de toutes ses dents inégales et se jeta dans les bras de Landon. – Merci ! Oh, merci !

*** Quelques instants plus tard, Willie et Landon chevauchaient ensemble jusqu’à l’endroit de la propriété où il leur fallait réparer les clôtures. – C’est une bonne idée de rester bivouaquer sur place, déclara Willie. Nous gagnerons du temps et économiserons de la fatigue. Landon était ravi lui aussi de cette pratique dont il usait souvent autrefois dans son propre ranch, mais ses raisons étaient bien différentes de celles de son compagnon. S’éloigner de la maison lui permettrait de ne pas voir Anna. Ni sa trop séduisante mère. – Bien sûr, Hank sera tout seul pour protéger les trois femmes du ranch, mais il a le coup de fusil sûr, même allongé. – Il y a des raisons de s’inquiéter pour leur sécurité ? Au lieu de répondre à sa question, Willie poursuivit. – Il m’a semblé que tu n’aimes pas tellement les enfants. – Qu’est-ce que vous inventez là ? – A voir ta tête quand Anna t’a sauté au cou, on aurait dit qu’on était en train de te marquer au fer rouge… Landon baissa son Stetson sur ses yeux et talonna la monture que Maggie lui avait désignée en attendant que Winner soit rétabli. Sa fille était morte quatre ans plus tôt, et il était toujours incapable de surmonter sa douleur. Depuis neuf mois qu’il avait recouvré la liberté, il prenait grand soin de se tenir loin des enfants, qui la ravivaient immanquablement. – J’ai été surpris par sa réaction, c’est tout, marmonna-t–il. Ils chevauchèrent côte à côte un instant en silence, puis Willie poursuivit. – Nous allons passer voir si nous avons bien fermé la grange de Hank avant de partir tout à l’heure. – Il y a des risques de vol ? s’enquit Landon. – Avec Greeley dans les parages… – Ah ! Souffler ses ouvriers à Maggie Stevens ne lui suffit pas ? – Tu vas comprendre. Le père de Maggie est mort il y a cinq ans. Paix à son âme, mais c’était un parfait salopard, qui a laissé la moitié de son ranch à Alan Barton, l’ex-mari de Maggie, un incapable notoire, tout simplement parce que ce dernier avait su lui passer la brosse à reluire dans le bon sens. Depuis, Maggie rachète sa part à Alan, ce qui fait un sacré trou dans les finances chaque

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mois. – Je ne vois pas le rapport avec le risque de vols, remarqua Landon. – Greeley est très intéressé par le Crescent Moon, et, sans qu’on sache pourquoi, il y a tout le temps du matériel qui disparaît, des cow-boys qui quittent le ranch pour travailler chez lui, des dégâts inexplicables dans les clôtures… Bref, il nous faut sans cesse être vigilants et réparer quelque chose. – Vous pensez que Greeley est responsable de tout cela ? – Tout ce que je peux dire, c’est qu’il a l’œil sur le ranch et a proposé plusieurs fois à Maggie de le racheter. Plus nous serons affaiblis, plus il a de chances de parvenir à ses fins. Landon réfléchit un moment. – Willie ? – Oui ? – Comment Hank est-il resté coincé sous sa remorque ? – Il avait mis une poutre pour la soutenir avant d’aller vérifier la roue, et la poutre a craqué sous le poids. Pourquoi est-ce que tu me poses cette question ? – Parce que, lorsque j’ai regardé les deux morceaux de la poutre, je me suis rendu compte que les bords étaient lisses, comme s’ils avaient été sciés. La cassure n’aurait pas dû être aussi nette si elle s’était produite naturellement. Willie s’était rapproché, le front plissé, le regard inquiet. – Bigre… Tu as raison, fiston. Maintenant, je sais ce qu’il me reste à faire. – Quoi ? – Prévenir le shérif. Et tout de suite. Pas question de laisser ce genre d’histoire continuer !

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- 7 - Landon prenait ses aises dans la baignoire aux pieds de lion. Quel plaisir de reposer ses muscles fatigués dans l’eau tiède après plusieurs nuits passées à camper à la dure avec Willie ! Ils s’étaient très bien entendus tous les deux et avaient abattu un travail considérable. En arrivant au ranch en fin de journée, Nana leur avait assuré que tout avait été calme et que ni elle ni Maggie n’avaient aperçu l’ombre de Greeley. Soulagé à cette nouvelle et peu désireux d’approfondir pour quelles raisons cela lui faisait autant plaisir, il était allé voir Winner et avait pu constater que celui-ci avait retrouvé son allant et son dynamisme. Quelle chance d’avoir pu l’installer au Crescent Moon ! Le repos était certainement le meilleur des remèdes pour sa foulure. Si seulement il pouvait en dire autant à propos de sa propre blessure… Hélas, elle n’était pas de celles qu’une halte auprès d’une belle jeune femme et de sa délicieuse petite fille pouvait apaiser, bien au contraire. Il se laissa glisser sous l’eau, se redressa et rejeta les cheveux en arrière avant de les savonner. Si seulement il réussissait à effacer de son esprit cette femme dont les yeux verts le fascinaient ! « Loin des yeux, loin du cœur », dit le dicton. Dans son cas, il n’en avait rien été. Malgré l’éloignement à l’autre bout de la propriété et le travail acharné, il n’avait cessé de penser à Maggie. Pourquoi toujours lutter ? Pourquoi ne pas accepter de laisser la douceur le submerger ? Il se laissa aller contre le rebord en émail blanc. Hélas, le risque était trop grand. S’il voulait tenir le coup au Crescent Moon, il lui fallait maintenir une distance respectable entre lui et la belle Maggie. Et plus encore avec la petite Anna aux longues tresses blondes. Cela, au cas où il resterait travailler dans leur ranch. Car depuis que Willie avait appelé le shérif à propos de l’accident de Hank, ce n’était plus très sûr. Il avait tout intérêt à éviter les représentants de la loi, même s’il avait dû répondre lui aussi aux questions que lui avait posées l’envoyé du shérif. Prudents, ni Willie ni lui-même n’avaient mentionné le nom de Greeley, mais Willie avait parlé des problèmes que rencontrait le ranch. Plus tard, il en avait dit davantage encore à Landon : d’après lui, le père de Maggie était un homme peu recommandable. Et son ex-mari ne valait pas mieux. Elle l’avait épousé sur un coup de tête dont elle payait encore les conséquences. Et cher ! C’était à se demander par quel miracle elle était restée la jeune femme optimiste et décidée dont il avait fait la connaissance. Cette force de caractère lui donnait envie de faire tout son possible pour l’aider. Elle le méritait. Soudain, on frappa à la porte de sa chambre. – Landon ! Il faut que je vous parle. Il se redressa à demi pour attraper la serviette de bain posée à côté de la baignoire. – Oui, un instant. La porte s’ouvrit brusquement. – Comment avez-vous osé… Surpris de voir Maggie surgir, il se laissa retomber dans la baignoire, éclaboussant le parquet alentour. Un moment étrange s’écoula. La présence de la jeune femme emplissait totalement la chambre. Il faisait des efforts surhumains pour garder les yeux fixés sur son visage plutôt que sur les longues jambes bronzées qui dépassaient de sa courte jupe en jean. Heureusement, les longs cheveux blonds qui flottaient sur ses épaules et le léger maquillage qui intensifiait le vert de ses yeux étaient des arguments convaincants. Elle avait même mis du rouge à lèvres ! Est-ce qu’elle s’apprêtait à partir en ville ? En le découvrant plongé dans l’eau savonneuse, elle parut tout aussi décontenancée que lui. – Heu… Pardon. Vous êtes en train de prendre un bain ? – Bravo pour votre perspicacité. Il plaça son avant-bras sur le rebord de la baignoire, comme pour créer un écran entre elle et lui.

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Sensible à cet effort pour protéger sa pudeur, Maggie rougit violemment, ce qui ne l’empêcha pas pour autant de s’avancer vers lui, l’air extrêmement mécontent. – Je sais ce que vous avez fait, Landon ! Il sentit le sang se retirer de son visage. De quoi était-elle en train de parler ? Est-ce que par hasard elle aurait eu vent de son incarcération ? Elle brandit sous son nez quelques feuilles de papier. – Qui vous a donné le droit de vendre ces chevaux ? Tout à coup, la lumière se fit dans l’esprit de Landon. – Je ne les ai pas vendus. C’est Hank qui a fait l’affaire. – Inutile de jouer au plus fin avec moi, Landon Cartwright. Je sais très bien que c’est vous qui avez appelé le ranch Still Waters, au Texas. Effectivement, il avait fallu moins de dix minutes à Landon pour convaincre son frère que les chevaux de l’élevage du Crescent Moon conviendraient parfaitement à ses projets. – Ni Hank ni moi n’avions jamais entendu parler de ce ranch, reprit Maggie. Vous croyez que j’allais accepter ce coup de chance sans chercher à comprendre ? Evidemment, il aurait dû s’en douter. Maggie était belle, pas sotte ! Et foncièrement honnête. Dès son arrivée chez elle, il avait remarqué l’excellente qualité des chevaux qui s’y trouvaient. Plus tard, quand Willie lui avait raconté comment Greeley s’employait à empêcher la jeune femme d’obtenir un prix correct sur les marchés locaux, il avait décidé d’intervenir. – Quelles relations entretenez-vous avec le Still Waters ? insista Maggie. J’ai parlé avec un certain Storm Watkins au téléphone. Il m’a assuré qu’un ancien employé leur avait fait cette proposition d’achat. Avez-vous réellement travaillé là-bas ? Landon retint un soupir. Oui, il avait travaillé là-bas. Depuis qu’il tenait debout sur ses jambes, et jusqu’au jour où on l’en avait arraché, menottes aux poignets. Comment aurait-il pu en être autrement ? Le Still Waters était le ranch de sa famille.

*** Maggie avait bien du mal à détacher le regard des muscles puissants de Landon, luisants d’eau savonneuse. – Répondez-moi, insista-t–elle. Est-ce que vous avez travaillé dans ce ranch ? – Quelle importance pour vous ? – La plus grande. Elle aimait les situations claires et nettes. Quand Hank lui avait fait part de cette offre, elle avait d’abord été enchantée, puis très vite suspicieuse. Qui sait si Greeley n’était pas derrière tout cela, en train de combiner quelque chose qui la lui livrerait pieds et poings liés comme il en rêvait depuis si longtemps ? Mais un fax avait suivi le coup de fil confirmant la proposition. C’était alors qu’elle avait téléphoné au contremaître, qui lui avait parlé d’un ancien ouvrier. Evidemment, il ne pouvait s’agir que de Landon Cartwright. Elle n’avait pas été surprise quand Willie lui avait rapporté avec quel sérieux ce dernier avait travaillé et à quel point son expérience et sa compétence leur avaient fait gagner de temps, mais maintenant, avec cette vente, elle ne savait plus trop que penser. Est-ce qu’il la croyait incapable de gérer ses affaires elle-même ? C’était vexant. Est-ce que lui aussi commençait à placer des pions pour s’emparer du Crescent Moon ? C’était inquiétant. Dire qu’elle avait passé les deux semaines précédentes à tenter de se convaincre qu’il n’était qu’un ouvrier temporaire comme les autres et que, une fois sa saison terminée, il empocherait sa paye et disparaîtrait à jamais… Elle avait bien assez de soucis comme ça avec Kyle Greeley d’un côté et son ex-mari de l’autre. La présence dans sa vie d’un troisième homme à problèmes n’était certainement pas ce dont elle avait besoin. – Je veux savoir pourquoi vous êtes intervenu auprès du Still Waters. D’autant plus que le nom de ce ranch ne figure pas sur votre C.V.

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– Et alors ? Aucun de mes ex-patrons ne s’est plaint de mes services, que je sache. – Je n’en sais rien, je n’en ai appelé aucun. Il y a longtemps que je fonctionne à l’instinct. J’écoute ce que me dicte mon intuition. Et franchement, si j’avais suivi cette méthode plus tôt, j’aurais eu moins d’ennuis ! Elle laissa échapper un énorme soupir. – J’avais confiance en vous… Landon plongea ses deux mains jointes dans la baignoire et s’aspergea le visage. – Vous n’aviez pas tort. Je peux même vous parler du propriétaire du ranch. Il s’appelle Chase Cartwright, et c’est mon frère. Elle prit une grande inspiration. Les parfums d’homme propre et de cheveux humides qu’elle respira lui montèrent aussitôt à la tête, aussi efficacement qu’un alcool fort. Elle s’accroupit près de la baignoire et posa sa main sur le bras humide de Landon. – Landon, que se passe-t–il ? – Rien, grommela celui-ci, les yeux clos. – C’est faux. Je veux savoir. – Inutile. Disons simplement que j’ai eu envie de vous aider. – Quelle idée ! Je n’ai pas besoin d’aide. Landon ouvrit les yeux, impassible. – Si vous ne voulez pas vendre les chevaux, pas de problème. Ça m’est complètement égal. – Ce n’est pas vrai. Je veux savoir pourquoi vous êtes intervenu. – Vous avez vraiment besoin que je vous fasse un dessin ? Il lui saisit la main et la porta à ses lèvres. Lentement, il promena celles-ci sur ses doigts, qu’il baisa amoureusement. – Je voulais m’attirer les bonnes grâces de ma patronne, ajouta-t–il avec un petit rire moqueur. Elle se mordit la lèvre au sang. Un feu dévorant s’était installé au creux de son estomac. Aussi intense et ardent que celui que Landon avait déclenché le premier jour en l’embrassant. – Landon, je ne veux… Colère et désir embrasèrent le regard sombre. – Menteuse ! murmura-t–il. Elle se rejeta en arrière, vacilla sur ses jambes qui refusaient de lui obéir. Le désir qu’elle avait de lui était-il donc si évident ? Si jamais il devinait les fantasmes qu’elle nourrissait à son propos le soir, quand elle se retrouvait seule dans sa chambre, elle en mourrait de honte. L’humiliation la fit se précipiter vers la porte, mais, lorsqu’elle l’ouvrit, un bras puissant passa au-dessus de sa tête et la referma. – Maggie, attendez un instant. La voix grave de Landon avait soufflé son nom près de son oreille, et la chaleur humide de son corps la pénétrait. Elle sentait un désir violent courir dans ses veines. La tête lui tournait. Le front appuyé contre la porte, elle ne pensait qu’à une chose : Est-ce qu’il avait passé une serviette autour de ses reins, ou était-il tout nu ? – Laissez-moi sortir ! – Non. – Je refuse de jouer à ce petit jeu avec vous. – De quel jeu parlez-vous ? – Vous le savez très bien. A un moment donné, vous me regardez comme si vous mouriez d’envie de m’embrasser, et la minute suivante vous faites comme si je n’existais plus. Je ne marche pas là-dedans. Laissez-moi sortir. – Pas question. Elle fit brusquement volte-face. L’attendrissement qu’elle avait perçu tout à l’heure dans l’expression de Landon s’était mué en désir sauvage. Le même désir que dans le pick-up, le soir où ils s’étaient rencontrés, quand il l’avait

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embrassée. Ce qui correspondait point par point à ce qu’elle-même était en train d’éprouver. Comment s’y prenait-il pour la bouleverser à ce point ? – Il ne faut pas…, murmura-t–elle. – Je sais, répondit Landon. Elle leva les mains pour le repousser, mais il la saisit par les poignets, les souleva au-dessus de sa tête et la plaqua contre la porte. Elle ferma les yeux. Il se rapprocha encore. Elle sentait la chaleur de son haleine. Lorsqu’il déposa sur son cou des baisers légers d’abord, puis de plus en plus appuyés, ses jambes fléchirent sous elle. Elle était prisonnière. De Landon, certes, mais aussi de son propre désir. Une prisonnière furieuse et heureuse en même temps. – Landon, je vous en prie, laissez-moi partir. – Vous me demandez la permission ? Eh bien, sortez, murmura-t–il tout en promenant sa langue tiède dans son cou. Il avait chuchoté, mais elle comprit qu’il se moquait d’elle. Cette langue affolante de douceur continua sa course entrecoupée de petits baisers furtifs, jusqu’au moment où elle rencontra sa bouche. Malgré elle, elle tourna la tête et entrouvrit les lèvres. Elle était vaincue, consentante. Elle acceptait. L’eau qui dégoulinait des cheveux de Landon atterrit sur ses yeux clos, coula sur ses joues. Un gémissement de plaisir lui échappa. Landon profita de cette invitation muette pour explorer sa bouche offerte. Il chercha sa langue, l’incitant par un jeu aussi savant que délicieux à participer à ce baiser qu’elle avait tant désiré. – Touche-moi, Maggie, je t’en prie. Caresse-moi. Il parlait comme dans un rêve, loin de la réalité, mais un frisson sensuel la parcourut. Tant pis pour ce qui arriverait quand il reviendrait à lui, ils reprendraient leurs distances, voilà tout. Pour l’instant, elle était heureuse d’obéir. Elle commença par passer ses doigts dans les cheveux humides de Landon. Ensuite, elle lui massa amoureusement les épaules, émue de sentir sous ses doigts les muscles bien dessinés frémir sous sa caresse. Mais cela ne lui suffit pas, elle voulait plus. Elle voulait le sentir tout entier contre elle. Nu, puissant, viril. Ses mains coururent le long du dos de Landon, s’incurvèrent pour suivre la ligne de ses hanches… Mais, tout à coup, il la plaqua contre la porte et recula. Elle ne réussit pas à ouvrir les yeux tout de suite, refusant d’abandonner son rêve voluptueux. Lorsqu’elle y parvint, Landon se tenait à trois pas d’elle. La serviette de bain qu’il avait enroulée autour de ses hanches ne réussissait pas à cacher l’éveil de sa virilité. – Je ne peux pas faire ça, souffla-t–il, la respiration haletante. Elle le regarda, incrédule, consternée, furieuse. Elle ne voulait pas en entendre davantage. Elle se précipita dans le couloir, aveuglée par les larmes, humiliée de se sentir rejetée alors qu’elle s’offrait sans réserve.

*** La voix de Racy s’éleva par-dessus la musique assourdissante du Blue Creek House Band. – Tu as bien regardé ce que tu as mis sur ton plateau, Maggie ? C’était un samedi comme les autres dans le petit restaurant de Racy où Maggie travaillait comme serveuse les fins de semaine. Elle détestait abandonner sa fille, mais ce complément de revenu était loin d’être un luxe pour ses finances en piteux état, même avec la vente des chevaux au Still Waters. – Qu’est-ce que tu dis ? demanda-t–elle en se tournant vers son amie. D’un geste du menton, Racy désigna les bouteilles vides qu’elle était en train de transporter. – Il me semble que ton client préférera une bouteille pleine à une bouteille vide, ajouta Racy,

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gentiment moqueuse. – Heu… Bien sûr. Je n’ai pas toute ma tête, ce soir. Racy lui adressa un clin d’œil malicieux. – Moi, si j’avais un séduisant cow-boy en train de m’attendre au ranch, je ne perdrais pas mon temps à servir dans un bar ! Maggie se redressa, piquée. – Landon Carwright n’est pas aussi séduisant que ce que tu imagines, et d’ailleurs il ne m’attend pas, répliqua-t–elle du tac au tac. A sa grande surprise, sa voix et ses mains étaient restées calmes. – Allons donc ! reprit Racy. J’ai rencontré Nana et Anna la semaine dernière en ville, et elles n’ont pas cessé de me chanter ses louanges, l’une aussi bien que l’autre. Maggie haussa les épaules. – Tu fais confiance à Anna ? Elle connaît à peine Landon. Toquade de gamine, voilà tout. Qu’est-ce qu’elles ont bien pu te raconter ? – Plein de choses que tu m’as cachées, répliqua Racy qui remercia un client de son beau sourire avant de poursuivre. Il paraît que cet extraordinaire cow-boy sauve les gens qui se font écraser par leur remorque, répare les clôtures d’un simple coup de marteau et que, pour couronner le tout, il réussit à… – Il n’y a rien à couronner, coupa sèchement Maggie. Landon Cartwright n’est ni un héros ni un saint. C’est un cow-boy comme les autres, un point c’est tout. – Hum. Moi, il me semble qu’il t’a tourné la tête, même si tu ne veux pas le reconnaître. Et, s’il embrasse aussi bien qu’il fait le reste, je le fais passer du rang de super-héros à celui de demi-dieu. Le souvenir de la bouche de Landon contre la sienne, douce et hésitante d’abord, puis passionnée et savante, fit rougir Maggie jusqu’aux oreilles. Demi-dieu ? Racy était bien en dessous de la réalité. Dieu à part entière, voilà ce qu’il était en la matière. Et avec quelle ferveur il lui avait demandé de le caresser ! C’était une vraie prière. Pourquoi avait-il renoncé brutalement à ce qu’elle lui offrait, alors que son corps trahissait son désir de façon si évidente ? Avec un soupir, elle reprit son plateau et se dirigea vers son client. « Au boulot, ma fille ! » Jamais personne ne l’avait embrassée de façon aussi délicieuse, voilà pourquoi elle n’avait plus sa tête. Mais comment expliquer cela à Racy ? Dans un coin du bar, Willie se trouvait à sa place habituelle, entouré de ses amis. Il lui adressa un petit signe de la main auquel elle répondit d’un sourire. En passant à proximité de sa table, elle ralentit et tendit l’oreille quand elle comprit qu’il était question de Landon. Elle l’avait déjà entendu raconter combien ce dernier était dur à la tâche, compétent en matière de bétail et plein d’idées pour optimiser le travail de chacun. – Si cet homme n’a pas déjà mené son propre ranch, je veux bien manger mon chapeau, déclara le vieux cow-boy sur un ton sérieux. Ces mots résonnèrent aux oreilles de Maggie, l’idée faisant son chemin dans son esprit. Landon aurait-il réellement été propriétaire autrefois ? Peut-être avec son frère, au Texas ? Elle retourna au bar où Racy l’attendait en compagnie d’une jeune serveuse qu’elle engageait de temps à autre comme extra. – Jackie, prends le relais de Maggie, s’il te plaît, demanda Racy à la jeune femme. Je dois avoir une petite conversation avec elle. Cela dit, elle entraîna Maggie dans un coin tranquille, derrière la salle. – Allez, ma vieille, raconte-moi tout. – Il n’y a rien à raconter ! – Et moi, je suis sûre que si. Depuis que tu as engagé ce nouveau cow-boy, tu n’es plus la même. Je t’ai souvent recommandé de mettre un peu de piment dans ta vie, n’est-ce pas ? Eh bien, je t’informe que tu as exactement l’homme qu’il te faut. Il s’appelle Cartwright. – Tu es folle ? Tu crois que je vais sortir avec un de mes employés ? Ce serait un exemple

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désastreux pour ma fille. – Qui te demande de faire ça au grand jour ? Tu peux très bien être discrète. Pourquoi hésiter ? En plus, tu m’as dit que le médecin t’avait ordonné de prendre la pilule. – C’est pour régulariser mon cycle, pas pour faire l’amour ! – Ma chérie, l’un n’empêche pas l’autre… – Racy, tu n’as aucune morale ! – Et après ? Ce cow-boy est chez toi juste pour quelques semaines. Il partira dès que Hank sera tout à fait rétabli. Pourquoi ne pas profiter de sa compagnie tant qu’il est sous ton toit ? Le regard de son amie passa par-dessus son épaule, et son sourire se fit carrément malicieux. – Oh, regarde un peu par ici ! Je crois qu’il y a quelqu’un qui te cherche… – Qui donc ? Maggie fit mine de se retourner, mais Racy la retint vivement par le bras. – Qu’est-ce qu’il est beau ! Vêtu de noir des pieds à la tête… – Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Maggie dont le cœur s’était mis à battre trop vite. Racy sourit de plus belle, puis, écarquillant les yeux : – C’est peut-être lui ?

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- 8 - Maggie se retourna d’un bond. Landon se tenait appuyé au mur du fond de la salle, un peu à l’écart des tables et de la clientèle bruyante. Les bras croisés, les jambes négligemment croisées, il la regardait fixement. Qu’est-ce qu’il venait faire ici ? Après la scène embarrassante qu’ils avaient vécue un peu plus tôt, elle avait espéré disposer d’un peu de temps pour réfléchir à l’attitude à adopter en sa présence. Au moins jusqu’au lendemain. Mais apparemment ce court délai lui était refusé. Elle se tourna vers Racy. – Tu as raison, c’est bien lui. Racy émit un petit sifflement d’admiration. – Eh bien ! Je me demande ce que tu attends pour prendre un peu de bon temps. – Mais enfin, grogna Maggie, ce n’est pas un crime que de ne pas faire l’amour ! Je vais finir par croire que tu es obsédée. – C’est tellement bon d’être dans les bras d’un homme… – Je ne te le ferai pas dire deux fois, déclara une voix d’homme dans le dos de Racy. Comme un homme de haute stature s’approchait d’elles, la jeune femme rosit de surprise, dissimulant vite cette rougeur derrière le flot de cheveux roux qu’elle secoua comme pour masquer son trouble. Maggie adressa un sourire amical à Gage, le shérif de Destiny, qui arborait un air amusé. Avait-il entendu leur conversation ? Si c’était le cas, il ne lui restait plus qu’à mourir de honte… – Comment vas-tu, Maggie ? – Très bien, balbutia-t–elle, gênée. Et toi, Gage ? – Rassure-toi, je n’ai pas entendu un traître mot de votre conversation. Il souriait, plein de gentillesse, deux fossettes creusées aux coins de sa bouche. – Dis-moi un peu, comment vont les affaires au Crescent Moon ? – Tout est calme depuis une quinzaine de jours. – Tant mieux. Tu sais que nous nous posons des questions à propos de l’accident dont Hank a été victime. Pour l’instant, nous n’avons rien qui prouve qu’il y a eu sabotage, mais, comme Hank nous a assuré qu’il avait pris toutes les précautions pour assurer sa sécurité, nous continuons notre enquête. – Je vous remercie de prendre cette affaire au sérieux. – Harris a interrogé Kyle Greeley, qui lui a affirmé avoir renvoyé Cartwright parce que son C.V. ne lui convenait pas. Sale menteur ! C’était parce que ce dernier lui avait porté secours ! Néanmoins, elle leva un regard innocent vers Gage. – Vraiment ? – J’imagine que tu n’as rien trouvé à y redire quand il a postulé chez toi ? Elle sentait le regard noir de Landon lui vriller la nuque tandis que Racy la regardait avec un petit sourire taquin. – En effet. Mais Greeley avait peut-être d’autres raisons pour ne pas engager Cartwright. – C’est bien possible. Gage se tourna vers Racy, qui croisa les bras sur son T-shirt noir largement échancré, de manière à révéler davantage la naissance de ses seins, qu’elle avait généreux. – On peut avoir une tasse de café, miss Dillon ? – Bien volontiers, shérif Steele. Est-ce que j’y ajoute une petite goutte d’alcool, histoire d’améliorer votre humeur ? – Mon humeur va très bien, merci. Tout se passe bien, ce soir ? – A merveille. – Au fait, intervint Maggie, je voulais vous demander à tous les deux si vous seriez libres le dernier

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samedi d’août pour l’anniversaire de Nana. Je sais qu’elle serait très heureuse de vous compter parmi les invités. – Désolée, ma chérie, répondit Racy en déposant une tasse de café devant Gage. J’ai déjà des projets pour ce week-end-là. Gage souleva la tasse décorée au logo du Blue Creek. – Moi aussi, Maggie. Je serai en déplacement. Les ongles vernis de bleu électrique de Racy attiraient le regard comme un aimant. La jeune femme essuya le bar en prenant bien soin de laisser sa main frôler celle de Gage. Maggie retint un sourire. Elle se rendait bien compte que son amie jouait avec le shérif, et sans doute ce dernier le savait-il parfaitement. – Dommage, répondit-elle. Où allez-vous ? – A Las Vegas, répondirent-ils en chœur. Les regards surpris de Gage et Racy se rencontrèrent. – Qu’est-ce que tu vas faire là-bas ? demanda la jeune femme. – Assister à un congrès sur les modifications des lois concernant la sécurité publique. – Super ! La ville sera donc pleine de shérifs et de policiers. Je préfère changer de destination, ironisa Racy. – Comme tu voudras. Maggie leva les yeux au ciel, amusée. Ces deux-là ne cessaient de se disputer depuis le collège, c’est-à-dire depuis une bonne quinzaine d’années. – Si vous arrêtiez un peu, tous les deux ? Le shérif fit comme s’il n’avait rien entendu et s’éloigna du bar. Racy se tourna vers elle, les joues en feu. – Gage Steele est l’homme le plus arrogant, le plus condescendant, le plus… – Le plus courageux, le plus sexy, poursuivit Maggie. – Tu trouves Gage sexy ? s’enquit Racy. – Parfaitement. – Arrête de me distraire avec tes bêtises, décréta son amie. Tu ferais mieux d’aller porter une bière à ton beau ténébreux. Allez ! Je suis sûre qu’il ne te mordra pas. Maggie attrapa une bouteille glacée, la posa sur son plateau et prit une profonde inspiration. Allons, c’était un cow-boy comme les autres, se répéta-t–elle en cherchant Landon du regard. La musique continuait à battre son plein. Les clients s’interpellaient les uns les autres. Tout ce tapage lui paraissait pourtant étrangement lointain. Elle se fraya un chemin à travers la clientèle pour arriver au fond de la pièce d’où Landon l’avait observée tout à l’heure. Mais une fois arrivée là, il lui fallut se rendre à l’évidence : il avait disparu.

*** La bière descendait trop vite dans sa gorge. Trop vite et trop facilement. Assis devant la maison du contremaître qu’il occupait au Crescent Moon, Landon en but néanmoins une gorgée de plus. Comme si le liquide frais pouvait réussir à chasser le goût amer qui stagnait dans sa bouche depuis qu’il avait vu Maggie au bar, une bouteille à la main, en train de le chercher des yeux. Dès qu’il avait reconnu l’homme qui parlait à la jeune femme et à son amie rousse, il s’était esquivé, mais une fois sur le pas de la porte il s’était retourné. Juste assez pour apercevoir de la surprise et même de la déception dans le regard de Maggie en ne le trouvant pas là où elle l’avait aperçu un moment plus tôt. Ensuite, il s’était arrêté au petit supermarché du coin et avait acheté un pack de bières bien fraîches avant de rentrer chez lui. Chez lui ? Non, il n’était pas chez lui ici. Il n’avait rien à faire au Crescent Moon, se répéta-t–il tristement. Il saisit son téléphone portable et composa un numéro qu’il connaissait par cœur.

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– Oui ? répondit une voix d’homme. Il frissonna. Chase avait exactement la même voix que leur père. Une voix éraillée par le travail au grand air, calme et posée. – Salut, Chase. – Landon ! Tu vas bien ? – Oui… Mis à part le fait qu’il était fou amoureux de sa patronne. – Je ne te dérange pas ? – Pas du tout. Je suis drôlement content de t’entendre, au contraire. Comment as-tu atterri dans le Wyoming ? – C’est une longue histoire. En quelques phrases, Landon raconta à son frère sa dispute avec Kyle Greeley et sa rencontre avec Maggie. – Ce ranch me paraît différent de ceux où tu as déjà travaillé, conclut Chase. – Tu ne crois pas si bien dire. Landon regarda autour de lui en écoutant d’une oreille les nouvelles que son frère lui donnait du ranch familial. La clarté de la lune lui permettait d’apercevoir aussi distinctement qu’en plein jour la multitude de travaux qu’il aurait fallu exécuter pour que le Crescent Moon retrouve une allure correcte. Dès le lendemain, il s’attaquerait à consolider l’abri des outils, qui menaçait sérieusement de s’écrouler. La brise douce qui soufflait à travers les arbres lui apportait une sensation de confort qu’il n’avait pas éprouvée depuis des années, le sentiment qu’il était chez lui, en famille. Un sentiment qu’il avait connu autrefois, avant que sa vie ne soit bouleversée. A cette heure, Nana et Anna dormaient paisiblement. Hank aussi, dans le bureau où il achevait sa convalescence. Willie ne tarderait pas à rentrer, suivi de peu par Maggie. Oui, tous ici étaient réellement chez eux. Mais lui, il était l’intrus, l’homme venu d’ailleurs. De nouveau, il avala une gorgée de bière. – Ainsi, cette fois, ton employeur est une femme, commenta Chase. Tu dois avoir du mal. D’habitude, tu aimes bien prendre les choses en main. – Non, ça va. Elle connaît son métier. – Tant mieux pour toi. – Je suis content de savoir que tout va bien à Still Waters, reprit Landon. Tu as fait un sacré boulot, Chase. – Tu sais bien que je fais ça pour nous deux. Il savait en effet que son frère souhaitait son retour. Mais il ne pouvait pas rentrer. Ce ranch qu’il avait adoré autrefois l’avait privé de ce qu’il aimait le plus au monde. Depuis, il errait comme une âme en peine, incapable d’envisager d’y remettre les pieds. – Tu es d’accord avec l’achat des chevaux ? – Bien sûr. Storm a été impressionné par ce que tu lui en as dit. Si la propriétaire ne souhaite pas nous les amener elle-même, nous enverrons quelqu’un les chercher d’ici à un mois. Est-ce qu’ils ont besoin d’un complément de dressage ? – Non. Ils sont absolument superbes. Maggie a un don que je n’ai jamais rencontré chez personne. – Elle me paraît en effet tout à fait spéciale. Un long silence suivit cette déclaration. – Ecoute, reprit Chase, je sais que Jenna t’a fait beaucoup souffrir bien avant que tu la perdes avec Sara, mais il te faut aller de l’avant, trouver quelqu’un qui t’aide à guérir, et surtout arrêter de te reprocher de ne pas les avoir sauvées. La main de Landon se crispa sur son téléphone. – Arrête, Chase. Pas ce soir, je t’en prie. – Comme tu voudras. Passe-moi un coup de fil de temps en temps. – D’accord. A bientôt.

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Il raccrocha. Spéciale, Maggie ? Oui, c’était le moins qu’on puisse dire. Mais elle n’était pas pour lui. Il ne méritait pas quelqu’un d’aussi exceptionnel qu’elle dans sa vie. Plus maintenant. Il reposa le téléphone et chercha son paquet de cigarettes dans sa poche. Là, ses doigts rencontrèrent un petit objet lisse et, malgré la voix qui lui conseillait de le laisser tranquille, il le sortit de sa poche. Il contempla longuement le petit médaillon en argent, le tournant et le retournant entre ses doigts. Depuis des semaines il n’avait plus regardé la photo de Sara, mais il connaissait son visage par cœur. Chaque courbe de ses joues, chaque boucle de ses cheveux noirs, chaque paillette de ses yeux pers. Sa petite fille, qui lui avait été ravie à peine quelques semaines après son second anniversaire. Il alluma son briquet et fit jouer le fermoir. La flamme éclaira la photo de sa lueur dansante. Il ferma les yeux dans l’espoir qu’il réussirait à chasser les souvenirs atroces qui émergeaient peu à peu des ténèbres, mais des larmes ne tardèrent pas à lui piquer les yeux. – Vous allez vous brûler ! Il ouvrit les yeux brusquement. Maggie se tenait devant lui, petite silhouette émergeant de l’obscurité de la nuit. Son T-shirt flottait autour de sa taille. Sa courte jupe en jean faisait paraître ses jambes encore plus longues et plus fines. Le regard de Landon descendit lentement jusqu’aux pieds de la jeune femme, qu’il eut la surprise de découvrir nus. – Mes bottes rouges sont neuves. Elles me faisaient horriblement mal aux pieds, alors je les ai retirées, expliqua-t–elle, remarquant son air surpris. Je ne savais pas que vous fumiez, ajouta-t–elle en désignant le briquet. – Je ne fume pas. Ou, plus exactement, j’ai fumé autrefois, mais j’ai arrêté. – Vous m’en avez tout l’air ! s’exclama Maggie en riant. Il referma le médaillon d’un petit geste sec et le cacha dans son poing avant de poursuivre : – C’est une mauvaise habitude que j’avais prise en… Il s’arrêta net. Imbécile ! On ne lui demandait rien, pourquoi est-ce qu’il parlait tant ? Mais, après tout, pourquoi ne pas avouer à Maggie que le meilleur moyen de survivre, quand on était en prison, c’était de fumer ? Pourquoi ne pas lui expliquer que, là-bas, un paquet de cigarettes était un vrai trésor ? Il rangea en soupirant le médaillon dans la poche de son jean. – C’est difficile de se débarrasser des mauvaises habitudes. Maggie se mordit la lèvre. – Ça vous ennuie si je reste un peu avec vous ? Il fit un geste de bienvenue ironique. – Je vous en prie, vous êtes chez vous ! Maggie s’assit à côté de lui et replia ses jambes. Puis, les mains croisées sur les genoux, elle déclara : – Landon, il faut que nous ayons une conversation tous les deux.

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- 9 - Landon cligna des yeux. Les pieds nus de Maggie, ses chevilles fines, la peau soyeuse de ses mollets découverts attiraient son regard aussi sûrement qu’un aimant. Mieux valait arrêter là son inspection, car sa libido répondait déjà de façon pressante à ce qui n’était de la part de la jeune femme qu’une invite inconsciente. Elle était belle et elle l’émouvait, voilà tout. Inutile de bâtir un roman sur l’attirance qu’il éprouvait pour elle. – Landon ? appela Maggie qui avait remarqué son air absent. Il faut que nous parlions. Ah oui… Il se fit attentif. Tout à l’heure, en rentrant au ranch, il était persuadé que le shérif allait apparaître d’une minute à l’autre et qu’il dormirait derrière les barreaux. Voilà pourquoi il s’était dit qu’une bière de plus ou de moins ne ferait guère de différence. Mais le temps avait passé, et Maggie était venue le retrouver. Seule. Donc, elle n’avait pas décidé de le faire arrêter. Sans doute était-elle venue pour lui demander de plier bagage dans les plus brefs délais, mais, après tout, c’était bien normal. Il s’était comporté comme un goujat tout à l’heure, quand il l’avait coincée dans sa chambre. Pourquoi l’aurait-elle gardé dans son ranch si elle devait sans cesse se méfier de lui ? En tout cas, il savait maintenant qu’il n’avait pas rêvé leur premier baiser. Celui-ci avait bel et bien été réel et non le fruit de son imagination. – Oui, j’ai entendu, Maggie. Je vous écoute. Vous voulez une bière ? – Je ne veux pas vous priver de votre dernière. – Celle que je tiens est ma dernière de toute façon… Il attendait le verdict qui ne manquerait pas de tomber d’ici peu et, tout compte fait, il n’avait pas envie de lui rendre la démarche facile. Si elle voulait se débarrasser de lui à cause d’un baiser qu’elle avait désiré autant que lui, elle allait trouver à qui parler. – Allons, miss Stevens, vous n’avez pas besoin de prendre un peu de courage ? Maggie lui jeta un regard agacé. Visiblement, elle ne s’attendait pas à ce qu’il lui résiste. – Pourquoi pas ? rétorqua-t–elle. Il s’approcha d’elle pour lui passer la dernière bouteille et, ce faisant, il respira une fois de plus ce parfum de rose ancienne qui l’enivrait plus sûrement que tout ce qu’il avait bu. Elle prit une gorgée et se mit à rire. – C’est le monde renversé ! D’habitude, c’est moi qui fais boire les clients. Au fait, pourquoi avez-vous disparu si vite ? – Je n’aime pas la foule. – Et comment avez-vous su que je travaillais au Blue Creek ? – Je n’en savais rien. Hank m’avait dit que c’était le meilleur endroit pour boire une bonne bière le samedi soir. Je ne m’attendais pas à vous y trouver. J’ai même été assez surpris de vous y découvrir avec vos amis. – Pourquoi ne pas nous avoir rejoints ? – Par crainte de vous déranger. Pourquoi avouer qu’il faisait son possible pour éviter les représentants de la loi ? Il avait appris la prudence ces derniers temps. – Et puis, poursuivit-il, je n’aime pas mélanger les relations amicales et les relations professionnelles. – Moi non plus, approuva Maggie. Cette confidence incitait à penser qu’elle allait aborder le sujet délicat. Il avala sa salive, prêt à parer le coup. Mais ce qui suivit n’avait rien à voir avec ses craintes. – Je… Je voulais vous remercier pour la vente des chevaux à votre frère. Il fronça les sourcils. Elle le remerciait avant de le mettre à la porte ?

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– C’est peu de chose. – Si. Pour moi, c’est énorme. A part le dressage de Black Jack, qui s’ajoute bien sûr à la liste déjà bien fournie de mes tâches quotidiennes, il y a longtemps qu’il ne m’était rien arrivé d’aussi heureux. C’est ce qui m’amène à ce dont je voulais vous parler. Vous comprenez, j’ai trop de soucis au ranch pour ajouter quoi que ce soit. On y était, se dit-il, résigné. Elle prenait des gants pour lui annoncer qu’elle ne voulait plus de lui au Crescent Moon. Pourquoi diable avait-il désormais tellement envie de rester sur ce petit bout de terre ? Car il avait au moins la lucidité de reconnaître qu’il ne voulait pas partir. Il ferma les yeux. – Quel genre de soucis, par exemple ? – Eh bien, Anna et le reste de ma famille. – Vous oubliez Kyle Greeley. – Non, hélas. Elle se tut un instant pour mieux l’observer. – J’imagine que Tommy Bailey, l’assistant du shérif, vous a mis au courant de mes déboires avec mon voisin ? – Oui. – Que vous a-t–il dit exactement ? – Il m’a parlé de votre divorce et de l’assiduité de Greeley au ranch depuis ce moment-là. J’imagine que ce n’est pas facile à gérer. – Non. Ce bandit – c’est tout à fait le mot qui convient pour parler de lui – se débrouille depuis six mois pour détourner chacun des ouvriers que j’engage. Et, au cas où cela vous intéresserait, je ne sors pas avec lui. – Pourquoi parlez-vous de sortir ? Je ne m’intéresse qu’à vos chevaux et à votre propriété, pas à vos fréquentations. – Greeley recherche tout cela, mais il n’obtient rien. Il peut toujours rêver, jamais je ne monnayerai le Crescent Moon. Ma famille l’occupe depuis plus d’un siècle. Si je me séparais de ce ranch, je ne serais plus rien, je ne saurais plus où aller. A ces mots, il sentit sa poitrine se serrer. Maggie aurait très bien pu partir de cet endroit si lourd de souvenirs douloureux pour recommencer ailleurs, comme lui l’avait fait. Oui, il avait choisi de quitter Still Waters des années plus tôt, et il ne l’avait pas regretté une seule fois. Mais il n’arrivait pas pour autant à imaginer une seconde que ce ranch ne fasse plus partie de sa famille. Cette idée lui était purement et simplement insupportable. – Kyle Greeley ne peut pas imaginer ça, poursuivit Maggie. Il n’entretient pas du tout le même genre de relation avec sa terre. – Il y a des raisons à cela, sans doute. – Oui, et le je les connais. Richard Greeley, le premier propriétaire du Triple G, était célibataire, mais la rumeur publique lui accorde un nombre généreux d’enfants illégitimes dans les environs. Kyle a fait irruption il y a huit ans, quand Richard est tombé malade. Il a dû faire un test A.D.N. pour que Richard le reconnaisse, et, à la mort de ce dernier, c’est lui qui a repris le ranch. – Et depuis il lorgne sur votre propriété… – Oui. Depuis la mort de mon père et le départ de mon mari, il a tout essayé pour se l’approprier. – Vous pensez que Greeley est la cause de vos soucis ? – Je n’en ai pas de preuve, mais ce qui est sûr, c’est que je ne peux me permettre aucun faux pas, aucune distraction. Voilà pourquoi ce qu’il s’est passé entre nous hier soir ne doit pas se reproduire, même si ce n’est ni votre faute ni la mienne. J’ai besoin de vous, au moins tant que Hank n’est pas tout à fait rétabli. Vous devez me voir comme une pauvre divorcée sexuellement frustrée et prête à tout pour une partie de jambes en l’air, mais ce n’est pas du tout ça. – Je comprends. – Vraiment ? Avait-il aperçu une ombre de déception dans le regard qu’elle lui adressait ? La tirade qu’elle venait

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de lui servir paraissait avoir été préparée et répétée comme la leçon d’un bon élève. Aurait-elle des regrets maintenant de la lui avoir récitée avec autant de conviction ? Il soupira. Aucune importance. De toute façon, elle avait raison. Et puis, il ne pouvait que lui être reconnaissant puisque, grâce à elle et à sa beauté, il avait compris qu’il était toujours capable de désir… Ce qui était loin de suffire pour continuer dans cette voie. Ils étaient trop différents l’un de l’autre, sans parler des raisons plus profondes qui lui imposaient de la laisser tranquille. S’il se laissait aller à l’attirance qu’il éprouvait pour elle, elle serait malheureuse, c’était inévitable. Parce qu’il n’avait rien à lui offrir à part de la souffrance et des larmes. De la passion aussi, sans aucun doute, et de la volupté, mais le mot « toujours » ne pourrait jamais leur être associé. Or, Maggie était le genre de femme pour qui un engagement total était essentiel, il l’avait compris depuis le début. Dommage que son corps ne comprenne pas le langage de la raison et continue à se comporter comme s’il y avait encore de l’espoir. Désolé, il ramassa son chapeau et le riva sur sa tête. – D’accord. Cela ne se reproduira pas, vous pouvez être tranquille. – Plus jamais, souffla-t–elle. L’envie brutale de la faire taire d’un baiser s’empara de lui. Il y résista de son mieux et se mit debout pour échapper à la tentation. Son corps était en feu. Son dos lui faisait mal. Il vacilla sur ses jambes. – Vous vous sentez bien ? – Tout à fait, je vais me coucher. Il mentait. Non, il ne se sentait pas bien du tout, la douleur de son dos avait explosé partout. Perspicace, Maggie lui passa un bras autour de la taille pour le soutenir. – J’aurais pensé qu’il vous fallait plus de deux bières pour vous couper les jambes, murmura-t–elle. Trop heureux de cette occasion imprévue de profiter un peu du parfum de la jeune femme et de la douceur de son haleine, il la laissa imaginer que c’était l’alcool et non la fatigue qui le mettait dans cet état de faiblesse. Elle l’accompagna jusqu’au lit de cuivre, recouvert d’un vieux quilt. Une fois là, il s’assit pendant qu’elle allait lui chercher un grand verre d’eau. – Buvez, cela vous évitera sûrement une mauvaise migraine demain matin. Il obéit, docile. Bien sûr, il était d’accord avec elle. Toute aventure entre eux ne pourrait se solder que par un échec. Mais, tout de même, quelle ironie que de se trouver à proximité d’un grand lit confortable avec cette belle femme qui le faisait mourir de désir ! Voyant qu’il essayait de retirer une de ses bottes avec la pointe de l’autre, Maggie se mit à genoux et entreprit de l’aider. – Vous avez raison. Les vrais cow-boys ne dorment ni avec leurs bottes ni avec leur chapeau ! Enfin, il tira la couverture sur lui. – Partez vite avant que nous oubliions tous les deux les promesses que nous venons de nous faire, grommela-t–il. La main de Maggie hésita un instant au moment d’éteindre la lumière. Puis, la pièce sombra dans l’obscurité. Seule la clarté de la lune qui entrait par la fenêtre et la porte entrouverte dessinait le contour des meubles. Elle s’avança sur le porche, puis se retourna. – Ça va, vous êtes sûr ? Non, ça n’allait pas, mais il avait l’habitude. Il ferma les yeux. – Pars, Maggie. Pars vite.

*** Landon déglutit avec effort. Partout autour de lui, une chaleur d’enfer, qui collait à sa peau comme

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une tunique dont il ne parvenait pas à se défaire et qu’il traînait à chacun de ses pas. Qui lui couvrait les yeux, l’empêchant de voir ce qui se trouvait devant lui. Il se laissa tomber sur le sol, étira les bras devant lui et tenta de ramper. On aurait dit que des heures s’écoulaient, il n’en pouvait plus de crier, de tendre l’oreille en quête du moindre bruit qui lui indiquerait dans quelle direction se diriger. La douleur lui commandait de partir au plus vite, de quitter ce lieu infernal où la folie le guettait. Mais une autre partie de lui-même, irrationnelle, l’incitait à rester, à poursuivre son avancée malgré la douleur qui lui déchirait les poumons, malgré les brûlures qui dévoraient ses membres tendus par l’effort. Il entendait des chuchotements mais ne comprenait pas ce qu’ils signifiaient. Peu importait. Ce n’était pas le moment de raisonner, il fallait continuer à avancer. Encore. Toujours. Peu à peu, centimètre par centimètre, à force de refuser de se laisser aller à l’épuisement, il réussit à se hisser à la force des poignets hors de la fournaise. Enfin, il put emplir ses poumons d’une bienheureuse goulée d’air frais. Ce fut alors qu’un cri terrible retentit de l’intérieur, et la main du diable s’empara de son âme pour le ramener au cœur de la fournaise. Il se redressa d’un bond sur son lit, un cri silencieux sur les lèvres, les doigts cramponnés au drap trempé de sueur. Il cligna des yeux dans l’obscurité, puis, avec peine, il se força à respirer calmement, à essayer de reconnaître le lieu où il se trouvait. Il venait de faire un cauchemar. Un cauchemar qu’il connaissait par cœur mais dont il pensait avoir réussi à se débarrasser. Et pourtant, cette nuit, le rêve abominable avait duré plus longtemps que jamais. Cette fois, il avait nettement entendu les chuchotements, mais il n’avait pas réussi à discerner les mots prononcés. Qu’est-ce qu’elle essayait de lui dire ? D’une main, il se couvrit le visage. Le sommeil ne reviendrait pas, et de toute façon il ne le souhaitait pas, il avait trop peur de replonger dans l’horreur. Il s’assit donc sur le bord du lit après avoir repoussé les couvertures. Au moins la douleur qui irradiait dans le bas de son dos la veille au soir avait-elle maintenant disparu. Hélas, il ne pouvait en dire autant en ce qui concernait sa tête. Il se leva, prit une douche et deux comprimés d’aspirine. Ensuite, il sortit dans la cour et constata que, malgré l’aurore naissante, personne n’était encore debout au ranch. En fait, il savait parfaitement pourquoi le cauchemar était revenu : la pensée qui avait surgi à son esprit juste avant qu’il ne s’endorme exigeait qu’il passe un nouveau coup de fil. Il hésita étant donné l’heure matinale, mais, si son ami Bryce Powers ne répondait pas, il pourrait toujours lui laisser un message. En fait, ce dernier décrocha aussitôt. – Salut, vieux. Quelle surprise ! Tu es de retour ? – Non. – Tu as parlé à ton frère récemment ? – Oui, hier soir. Pourquoi ? Il y a un problème au ranch ? Bryce éclata de rire. – Non. Ma très chère épouse Mary Ann a simplement décidé de présenter Chase à ses meilleures amies, histoire de lui permettre de trouver l’âme sœur… Je pensais qu’il t’en aurait touché un mot. – Pas du tout. – Peu importe. Pourquoi appelles-tu si tôt ? – J’ai besoin que tu me rendes un service. Bryce et lui étaient amis d’enfance. Bryce, qui était devenu un avocat de renom dans l’Etat du Texas, avait toujours refusé de le croire coupable. Il s’était acharné à prouver que l’incendie qui avait causé la mort de Sara et Jenna n’était pas comme il en avait été accusé le résultat d’un acte de malveillance de sa part, mais un terrible accident. C’était son intervention qui lui avait permis de recouvrer sa liberté. Une liberté qu’il continuait à estimer usurpée.

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– Je t’écoute, dit Bryce. Landon lui expliqua rapidement la situation de Maggie et la relation conflictuelle qu’elle entretenait avec son voisin Kyle Greeley. – J’ai besoin de savoir dans quelle mesure Greeley constitue une menace pour le Crescent Moon. Et si tu pouvais garder ton enquête secrète, ce serait encore mieux. – Tu peux compter sur moi. Si je trouve quelque chose, je te joins sur ton portable. D’accord ? – Parfait. Je te remercie beaucoup. Landon se dirigea alors vers la grange, tout en se demandant ce qui l’avait poussé à faire appel à son ami. Etait-ce une façon de manifester sa reconnaissance à Maggie qui ne l’avait pas mis à la porte hier soir ? Ou parce qu’il ne pouvait pas supporter l’idée que, une fois de plus, une femme et sa petite fille souffrent alors qu’elles étaient sous sa garde ? Black Jack se tenait tranquillement dans sa stalle qui communiquait avec le corral. Dès qu’il entendit son pas, l’étalon s’approcha. – Tu viens me dire bonjour ? lui demanda Landon. L’étalon se mit à encenser. Plus Landon se rapprochait, plus il se montrait nerveux. – Du calme, Black Jack. Je ne veux pas te faire de mal. Personne ici ne te veut de mal. Le cheval secoua la tête comme s’il ne croyait pas un mot de ce qu’on lui disait. – Regarde comme tu es bien ici. Tu as tout ce dont tu peux rêver. Pourquoi chercherais-tu à te sauver ? Black Jack émit un hennissement et recula. Un peu plus tard, tandis que Landon sortait les autres chevaux, les mots qu’il venait de prodiguer à l’étalon résonnèrent dans sa tête. En fait, avait-il parlé à Black Jack ou à lui-même ? Il refusa de chercher la réponse à cette embarrassante question et alla retrouver Winner, qu’il examina soigneusement. Son compagnon était tout à fait rétabli et plein d’entrain, ce qui lui causa un vrai bonheur. Ensuite, il commença à nettoyer les box, mais son cauchemar ne cessait de lui revenir. Jenna lui parlait, de sa voix rauque de mourante, mais il entendait mal, les mots se brouillaient avant qu’il ne réussisse à les décoder. Il serra sa fourche à s’en faire mal aux doigts. Suffit ! ce n’était pas sa faute. Il n’avait pas… Il sortit du box et attrapa le médaillon qui se trouvait dans sa poche. Jenna le lui avait offert pour fêter leurs six mois de mariage, la nuit où Sara était née. A ce moment-là, il avait encore l’espoir que leur mariage forcé réussirait à durer. Hélas, quelques mois plus tard, il avait trouvé Jenna au lit avec l’un des cow-boys qui travaillait au ranch. Il n’avait rien dit, mais avait fait chambre à part depuis ce jour-là et s’était tenu aussi loin que possible de sa femme et de sa fille. Jusqu’au jour où il avait compris qu’il punissait Sara pour quelque chose dont elle n’était pas responsable. Aussi, le jour de son deuxième anniversaire, il lui avait fait la promesse de devenir le père dont elle avait besoin, promesse qu’il lui répétait chaque soir en la mettant au lit. Hélas, il n’avait pas tenu parole. – Bonjour ! fit une voix enfantine près de lui. Il fit volte-face. Comme le médaillon lui échappait des mains dans la paille, il lança un juron. Les yeux verts de la gamine s’élargirent. – Oh ! Heureusement que maman ne t’a pas entendu ! Elle a horreur qu’on dise des gros mots. Sur ce, elle fourra les mains dans la poche de sa salopette en jean et le dévisagea d’un air candide qui le laissa totalement désarmé. Il n’avait plus aperçu cette version miniature de Maggie depuis le jour où elle s’était jetée dans ses bras par surprise. – Qu’est-ce que tu fais ici, petite ? – C’est ici que j’habite, tiens ! Décidément, elle avait de la repartie. Mais quoi de plus normal ? Telle mère, telle fille.

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Bien sûr, il savait tout au sujet de la jeune Anna, car Willie n’arrêtait pas d’en parler. Comment Alan, l’ex-mari de Maggie, avait-il pu les abandonner toutes les deux ? Jamais il n’aurait été capable de faire une chose pareille, alors même que son mariage avec Jenna était fini bien avant la mort de cette dernière. Il se baissa et chercha son médaillon dans la paille et la poussière qui recouvraient le sol. – Qu’est-ce que tu cherches ? – J’ai laissé tomber quelque chose. – Je vais t’aider. Maman dit toujours que quatre yeux valent mieux que deux quand on cherche. Une fois de plus, il sentit sa poitrine se comprimer. Anna sentait le talc et l’herbe fraîchement coupée. Quand elle se tourna vers lui pour le regarder à travers le rideau de ses cheveux blonds, qu’elle portait aujourd’hui libres dans son dos, il s’exhorta à détourner le regard, mais il n’y réussit pas. Si Sara avait vécu, elle serait un tout petit peu plus jeune que la fillette qui se tenait devant lui… – Tu sais, poursuivit celle-ci en riant de sa bouche où il manquait deux dents de devant, si tu me disais ce que tu cherches, je pourrais t’aider mieux. Il fixa le sol et s’appliqua à écarter la paille du bout de sa botte. – Je crois que tu ferais mieux de rentrer chez toi. – Pourquoi ? – Parce que ta maman est sans doute en train de te chercher. – Mais non ! – Tu sais, les mamans… – Oh ! Je l’ai trouvé ! Anna se redressa, le médaillon ouvert dans la main. – C’est ça que tu cherchais ? Quelle jolie petite fille ! C’est la tienne ? Comment elle s’appelle ? Il bondit, s’empara du médaillon et le fourra dans sa poche. Quand quelqu’un s’éclaircit la voix derrière eux, il sentit son corps se pétrifier. – Maman ! Anna traversa la grange en courant, tandis que Maggie s’accroupissait pour accueillir sa fille dans ses bras. – Tu n’es pas en train d’ennuyer M. Cartwright avec tes questions ? – Mais non. Je t’ennuie ? demanda-t–elle en adressant à Landon le plus charmeur des sourires. – Pas du tout. Que pouvait-il répondre d’autre ? – Tu ferais bien d’aller aider Nana à préparer le petit déjeuner puisque tu es déjà debout, poursuivit néanmoins Maggie. La fillette fit la moue puis sortit de la grange après avoir reçu de sa mère une tape affectueuse sur les fesses. Maggie la suivit sans un mot et sans adresser un seul regard à Landon.

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- 10 - A l’autre bout du fil, Racy commençait à s’énerver. – Mais enfin, Maggie, tu peux me donner une seule bonne raison pour m’expliquer pourquoi tu n’as pas encore parlé de sa fille à Landon ? Maggie regarda par la fenêtre avec ennui. – Je n’ai pas eu le temps. Il y avait une semaine qu’elle avait surpris la conversation entre Anna et Landon, mais elle n’avait pas osé revenir sur le sujet que tous deux abordaient quand elle était arrivée. – En fait, je ne sais pas exactement ce qu’ils étaient en train de dire. – Menteuse ! Tu as peur, c’est tout. Coince le bonhomme une bonne fois pour toutes et pose-lui la question. – Racy, tu ne te rends absolument pas compte que j’ai autre chose à faire de mes journées. Mener un ranch n’est pas une partie de plaisir, je n’ai pas une minute à perdre ! Là-bas, près de l’étang, elle apercevait Landon occupé à réparer le ponton qui menaçait de s’écrouler. Il portait comme d’habitude un jean délavé et un T-shirt blanc, qui moulait ses larges épaules et faisait ressortir sa peau brune. Et bien sûr, sur la tête, son inévitable Stetson noir… – Allô, Maggie ? Tu es toujours là ? – Oui, je t’écoute. En fait, elle observait Anna qui se tenait debout près de Landon, son gros chat rayé dans les bras. La petite fille avait dû poser une question, car Landon interrompit un instant son travail pour lui répondre, assis sur ses talons. Il profita de cette pause pour caresser le matou, qui se mit à gigoter. Anna déposa l’animal sur le sol, et Landon reprit son ouvrage. Maggie se mit à sourire. Depuis que ce dernier lui avait permis de monter Winner dans le corral après l’avoir questionnée sur ses compétences de cavalière, Anna était devenue l’ombre du cow-boy. Elle le suivait partout comme un petit chien, ne cessant de lui demander des explications ou de faire des commentaires sur son travail. Maggie avait bien remarqué que Landon avait fait son possible au début pour éviter la fillette, mais, lorsqu’elle avait voulu s’excuser de l’insistance de la petite auprès de lui, il avait fait un geste de la main et s’était résigné à subir la présence de l’enfant. Maintenant, il paraissait supporter plus facilement sa compagnie. – Dis donc, tu as fait vœu de silence ? reprit Racy. A moins que ton beau ténébreux de cow-boy ne soit en train de te proposer quelque chose de plus intéressant que mon bavardage ? – Racy, je t’assure que… – Arrête. Je sais que tu es ravie de travailler avec lui. Et l’autre soir, quand je suis venue dîner chez toi, c’est à peine s’il m’a dit bonsoir. Il n’a d’yeux que pour toi, ma chère. Maggie ne put retenir un petit frisson de plaisir. Effectivement, Landon était resté parfaitement insensible au charme pourtant exceptionnel de Racy. – Il suivait chacun de tes gestes avec autant d’attention que si sa vie en dépendait, poursuivait son amie, de plus en plus persuasive. Elle eut à cœur de tempérer cet enthousiasme. – Tu sais, en dehors des repas, nous ne nous voyons pratiquement pas. Depuis que Hank va mieux, ils se débrouillent tous les deux pendant que je consacre mon temps à Black Jack. Elle dirigea le regard vers le corral du mustang. – Il accepte la selle maintenant. J’ai même réussi à le monter hier pour la première fois. Je reconnais que jamais je n’aurais avancé aussi vite si Landon n’était pas là pour travailler dès le lever du jour. On dirait qu’il a décidé de remettre le ranch sur pied. Racy se mit à rire. – Quelle chance que, par-dessus le marché, il soit jeune et beau ! Oui, quelle chance… Elle n’avait pas parlé à Racy du baiser passionné que Landon et elle avaient échangé la semaine précédente, ni de la mise au clair qu’elle avait faite en expliquant à Landon qu’elle n’attendait rien

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d’autre de lui que son travail au ranch. Hélas, combien elle le regrettait, il respectait à la lettre ce qu’elle lui avait demandé et se tenait aussi loin d’elle que possible. Mais il l’observait, elle en avait nettement conscience. Elle sentait souvent son regard posé sur elle, et à vrai dire elle aussi l’observait à la dérobée. Sans parler de ce qu’elle imaginait la nuit… Si jamais quelqu’un devinait le tour que prenaient ses rêveries nocturnes, elle rougirait jusqu’à la pointe des orteils ! Racy devait avoir le don de télépathie, car elle demanda : – Tu n’as jamais imaginé prendre un bain de minuit avec lui dans l’étang par un beau clair de lune ? Ou rouler dans le foin de la grange quand tout le monde est couché ? – Racy ! Je t’interdis d’imaginer des choses pareilles. – D’accord, calme-toi. Parle-moi plutôt de ta dernière vente de chevaux. Comment se fait-il que j’en aie entendu parler au bar plutôt que par toi ? C’est un secret ? – Non. En fait, Maggie s’était montrée discrète pour éviter que Kyle Greeley ne l’apprenne tout de suite, de peur qu’il ne lui joue un mauvais tour. Bien sûr, ce dernier avait dû remarquer que son compte en banque s’était arrondi, car cette vente ajoutée à l’argent qu’on lui versait pour le dressage de Black Jack avait nettement amélioré l’état de ses finances dernièrement. Désormais, pour cela tout au moins, il ne pouvait plus lui mettre de bâton dans les roues. – Comme je te le disais tout à l’heure, j’ai eu beaucoup à faire ces derniers temps. – Et, bien sûr, la présence d’un beau cow-boy dans les parages n’est pas pour te laisser les idées claires… Bon, tu peux venir travailler plus tôt au bar ce soir ? Il y a énormément de monde aujourd’hui. – Tu mériterais que je te réponde non, plaisanta Maggie, mais tu sais comme j’ai bon cœur ! Est-ce que Leeann se joindra à nous ? – J’en doute. Quand je lui ai dit que son copain Bobby serait là, elle est restée parfaitement indifférente. – Voilà qui ne m’étonne guère. J’ai déjeuné avec elle la semaine dernière, et je l’ai trouvée… Comment dire ? J’ai du mal à décrire mon impression. Bref, elle ne ressemble plus du tout à la Leeann qui sortait avec nous autrefois. Elle avait été frappée par le changement qu’elle avait observé chez leur amie depuis son retour à Destiny. Leeann n’était plus l’adolescente rieuse et toujours prête à s’amuser qu’elles avaient connue dix ans plus tôt, mais une jeune femme sérieuse, entièrement préoccupée par son travail. – Nous aussi, nous avons changé, soupira Racy. – Non, pas toi. Tu es toujours la fille adorable que j’ai rencontrée au collège. – C’est bien vrai ! confirma Racy en riant. Mais, pour revenir à notre conversation du début, amène-moi un peu ce cow-boy qui travaille chez toi, et tu verras si je me gênerai pour lui poser quelques questions. Le coup de fil s’acheva sur cette boutade, mais, après avoir raccroché, Maggie estima que Racy avait parfaitement raison : il fallait qu’elle parle à Landon. Le problème était que, étant donné les termes de leur entente, « je suis votre employeur, vous êtes mon employé », elle ne voyait pas trop comment elle s’arrogerait le droit de lui poser des questions concernant sa vie privée. C’était bien ce qu’elle voulait, non ? Chacun dans son registre, elle avait été tout à fait claire là-dessus. Elle payait Landon Cartwright pour son travail, pas pour lui faire la cour. Et quel travail il abattait ! Le bâtiment réservé au matériel agricole avait été totalement remonté et repeint en rouge. Celui des ouvriers et la maison du contremaître avaient été pour leur part repeints en brun. La réfection de la petite grange voisine était en voie d’être terminée. Le projet suivant de Landon était de s’attaquer à la maison principale. Dans ce but, il avait déjà acheté des seaux de peinture blanche qui attendaient leur tour d’être utilisés à l’ombre du porche. Avec l’aide de Willie et Hank, il avait réorganisé la grande grange et ajouté un système d’abreuvoir automatique dans chacun des box des chevaux. On en avait besoin depuis longtemps, mais les

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finances n’en permettaient pas l’achat. Grâce aux plans ultra-économiques de Landon et à son habileté, l’installation était en place, ce qui leur faisait gagner énormément de temps. Qu’est-ce qu’elle deviendrait sans lui ? Elle se mordit la lèvre en représailles. Cette question était taboue. Elle ne devait se la poser sous aucun prétexte. Aucun. Vivre au jour le jour, voilà la clé de sa tranquillité, sinon de son bonheur. Lorsqu’elle pénétra dans l’entrée, elle remarqua la pile de vêtements d’homme soigneusement repassés qui attendait sur la table. Encore une fois, Nana avait fait de son mieux, mais Maggie pinça les lèvres, mécontente. Comment pouvait-elle espérer s’en tenir à son rôle d’employeur vis-à-vis de Landon Cartwright si chacun ici traitait celui-ci comme un membre de la famille ? Nana faisait un apple pie pratiquement chaque soir depuis qu’elle avait découvert que c’était le dessert préféré de Landon. Willie et Hank étaient à ses ordres et lui obéissaient sans lever le sourcil. Anna avait visiblement trouvé en lui le héros de ses rêves. Quant à elle… Eh bien, si elle se laissait aller à son inclination, il en faudrait bien peu pour qu’elle se traîne à ses pieds en le suppliant de la mettre dans son lit ! C’était à désespérer. Le claquement de la porte-moustiquaire la fit sursauter, bientôt suivi du remue-ménage provoqué par quelqu’un qui cherche quelque chose. Elle se dirigea vers la cuisine où elle découvrit Anna, la mine affairée, qui ouvrait les tiroirs les uns après les autres à toute vitesse. – Qu’est-ce que tu cherches, ma chérie ? – Rien du tout. – Et à quoi ressemble ce rien du tout ? – Maman, je suis pressée… Maggie ne put réprimer un sourire attendri en regardant sa petite fille aussi sérieuse. – Racy m’a demandé d’aller travailler de bonne heure ce soir. Je sais que nous devions inaugurer le nouveau deck tous ensemble, mais ça peut attendre demain, tu ne crois pas ? – Bien sûr, maman, ne t’inquiète pas. Anna referma brusquement le dernier tiroir et se précipita hors de la cuisine, ses tresses blondes dansant sur ses épaules. – Chérie, qu’est-ce que tu… Maggie se tut en voyant Anna s’arrêter net dans sa course. – Je fais attention, maman. Regarde, j’arrête de courir, je marche. Anna tenait une paire de ciseaux à la main. Maggie fronça les sourcils. – Qu’est-ce que tu vas faire avec ça ? – Je vais retrouver Landon. La porte-moustiquaire venait de se refermer derrière elle lorsqu’elle ajouta : – Je vais lui couper les cheveux. Maggie mit un moment à comprendre, tant cette réponse paraissait bizarre. Mais cela fait, elle se précipita à la suite de sa fille et la rejoignit au moment où celle-ci arrivait devant la terrasse du cow-boy. – Un instant, ma chérie. Est-ce que j’ai bien compris ce que tu veux faire ? Le visage d’Anna rayonnait de fierté. – Landon m’a dit que ses cheveux étaient trop longs et qu’il fallait qu’il aille chez le coiffeur. Alors je lui ai proposé de faire le coiffeur, et il a dit oui. Sur le coup, Maggie ne pensa qu’à regretter les beaux cheveux noirs qui l’avaient séduite dès le premier jour, sans doute parce que son côté adolescente rebelle n’était pas tout à fait mort comme elle le croyait. Mais sa deuxième réaction fut de gronder sa fille. – Voyons, Anna, tu sais très bien que je ne veux pas que tu racontes des mensonges ! – Mais c’est vrai, maman. Il est d’accord. – Tu as sûrement mal compris. – Pas du tout.

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Landon se tenait sur le pas de la porte, une serviette de toilette sur l’épaule, une chaise de bois à la main et une pile de journaux dans l’autre. – Alors, miss Anna, vous êtes prête à officier ? Anna monta l’escalier. – Fin prête ! Maggie la suivit aussitôt. – Landon, c’est une blague, n’est-ce pas ? Anna ne va pas… – Anna va me couper les cheveux, oui, vous avez bien compris. Il prit les ciseaux des mains d’Anna, et tous deux disposèrent les journaux sur le sol. Ensuite, Landon s’assit sur la chaise pendant que la fillette installait la serviette autour du cou de son client avec des petits gloussements de contentement. Les bras croisés, Maggie observait la scène. En une semaine, cet homme s’était davantage occupé d’Anna qu’Alan en deux ans. – Vous êtes bien sûr que c’est ce que vous voulez ? s’enquit-elle, pleine d’inquiétude pour la belle chevelure brune. Le regard que Landon portait sur Anna était plein de tendresse, la même tendresse que celle qui avait voilé le regard d’Alan lorsque Anna était née, mais qui avait disparu ensuite au fur et à mesure que ses aventures l’avaient éloigné d’elles. Sans doute Landon était-il en train de penser à sa propre petite fille ? – Ce ne sont que des cheveux, répondit celui-ci, philosophe. Ça repousse. Persuadée que, si elle parlait, sa voix se mettrait à trembler, elle se contenta de hocher la tête. Pour la première fois de la semaine, ils se retrouvaient seuls, tout au moins aussi seuls que le leur permettait la présence d’un chaperon en salopette âgé de huit ans. Malgré elle, Maggie sentit son cœur s’affoler. Parfaitement calme, Landon se retourna vers Anna. – Tu es prête ? – Oui. Il lui tendit les ciseaux. – Alors, vas-y. – Je sais faire, ne t’inquiète pas, reprit la fillette. Je regarde tout le temps Hank et Willie quand ils se coupent les cheveux. En silence, elle se mit au travail avec un sérieux de professionnelle. Un bout de langue rose sortait au coin de sa bouche. – Tu vois, maman, je me débrouille très bien ! Une grosse mèche de cheveux noirs atterrit sur le journal, suivie d’une plus courte. – Heu… – Ça va comme tu veux ? s’enquit Landon. Anna demeura silencieuse. – Si tu répondais à ton client ? suggéra Maggie qui dissimulait un sourire derrière ses doigts. Anna la regarda d’un air penaud. – Je… Je crois que j’ai coupé un peu trop court de ce côté. – Tu te sens de continuer malgré tout ? demanda Landon, prêt à tous les sacrifices. Une voix rauque interrompit la séance. – Qu’est-ce que vous faites, tous les trois ? Maggie fit volte-face en reconnaissant la voix de Willie qui arrivait avec Hank. Ce dernier portait une grande boîte de carton qui paraissait dotée d’une vie propre. – Tu vois bien ! répondit Anna fièrement. Je coupe les cheveux de Landon. A qui le tour après lui ? – Merci, ma poulette, ma coiffure me convient très bien pour l’instant, répondit Hank prudemment. – Et moi aussi, ajouta Willie. Mais regarde, nous t’avons ramené une surprise. – D’abord, Hank, raconte-moi comment s’est passée ta visite chez le médecin, demanda Maggie. – Très bien. Je dois simplement continuer à porter ce foutu corset pendant encore une semaine ou deux.

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– Ou trois, ajouta Willie. Peut-être quatre… Bref, Cartwright, nous avons besoin de toi pendant encore quelque temps. Anna s’était penchée sur le carton qui remuait de plus belle. – Qu’est-ce qu’il y a là-de… Willie l’aida à ouvrir complètement la boîte. – Oh, des chatons ! Comme ils sont jolis ! Anna avait crié de joie en apercevant les deux petites boules de fourrure blanche et noire, mais Maggie ne manifesta pas la même allégresse. – Hank ! Mais qu’est-ce qu’il t’a pris de ramener ces bestioles à la maison ? Tu crois que nous n’avons pas assez d’animaux ici ? Le cow-boy arbora un air penaud. – Il faut que j’aille prendre les médicaments que le médecin m’a prescrits. – La bonne blague ! s’amusa Willie, qui savait parfaitement que son collègue battait en retraite afin d’éviter les foudres de Maggie. De son mieux, il essayait de maintenir les chatons dans leur carton. – Le cabinet du vétérinaire se trouve juste à côté de celui du médecin. Son assistante venait de trouver le carton sur le seuil. Ces chatons sont en parfaite santé tous les deux, mais inutile de se demander comment ils auraient fini si on ne les avait pas ramenés ici. – Quels amours de peluche ! murmura la fillette, le nez enfoui dans la fourrure des deux chatons qu’elle avait pris dans ses mains. Tiens, prends-en un ! Elle tendit le chaton noir à Landon juste au moment où il s’apprêtait à lui échapper. Le blanc, plus calme, accepta de rester dans ses mains. – Viens me voir, petit minou. Landon tenait la petite bête dans sa grande main et l’approcha de son cou, où elle se blottit en ronronnant. – Reste à savoir comment ton gros matou va réagir devant cet arrivage, commenta Landon. – Pas de problème, il remplacera leur mère, assura la fillette. – Mais je croyais que c’était un chat ? – Qu’est-ce que ça peut faire ? Je vais tout de suite lui montrer ses enfants adoptifs. Sur ce, elle remit les chatons dans la boîte. – Tu peux m’aider, Willie, s’il te plaît ? – Bien sûr, avec plaisir. Le vieux cow-boy se baissa pour ramasser le carton et disparut à la suite d’Anna. Maggie les regarda disparaître, persuadée que le chat d’Anna ne trouverait qu’un intérêt limité à cette progéniture tombée du ciel et résignée à donner un certain nombre de coups de fil pour leur trouver des familles d’accueil. – Je crois que ma coiffeuse m’a abandonné, constata Landon. Mais je reconnais que je ne peux entrer en compétition avec deux petites choses aussi mignonnes. Maggie était loin d’être de cet avis, mais elle n’avait bien sûr aucune intention de mettre la conversation sur ce sujet. – Il faut excuser Anna, Landon. Vous savez combien les petites filles de son âge sont incapables d’avoir de la suite dans les idées. Le visage de Landon se durcit. – Non, je ne sais pas. Sur ce, il se mit debout. – Je vais faire un saut en ville chercher ce dont j’ai besoin pour terminer l’abri à outils. – Non. Attendez un instant, je vais terminer votre coupe. – Ne vous donnez pas cette peine. – Si. C’est vraiment le moins que je puisse faire, après le courage que vous avez manifesté en vous confiant aux mains d’Anna. Comme Landon s’était brutalement refermé quand elle avait fait son commentaire à propos des petites filles ! Quel âge pouvait bien avoir la sienne ? Où habitait-elle ? Est-ce qu’il avait été

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marié ? A vrai dire, cela n’est plus obligatoire de nos jours pour avoir un enfant. Aurait-elle l’audace un jour de lui poser la question ? Si elle s’occupait de ses propres affaires au lieu de s’inquiéter de celles des autres ? Pour l’instant, l’urgence était de réparer au mieux le désastre perpétré par sa fille. Courageusement, Landon n’avait pas fui devant ses ciseaux en prétextant quelque rendez-vous urgent, mais il était tendu, et elle lui massa doucement les épaules avant de commencer son travail. – Relaxez-vous, je sais me débrouiller. Comme elle commençait à le coiffer, un éclat de rire lui échappa. – C’est si abominable que ça ? demanda Landon. – Pire encore ! Mais, rassurez-vous, je vais arranger ça. Quelle longueur souhaitez-vous ? – Celle que vous voudrez. Je vous fais confiance. Ces derniers mots la laissèrent un instant rêveuse, le peigne en l’air. Allons, idiote ! Il s’agissait seulement d’une coupe de cheveux. Qu’est-ce qu’elle allait imaginer ? Elle se mit au travail, laissant ses doigts glisser dans les mèches brunes douces comme de la soie. La chaleur de la journée exaltait le parfum naturel de Landon, mélange enivrant d’herbe coupée et de transpiration. Elle se laissa envelopper par ces effluves voluptueux tout en maniant avec précision peigne et ciseaux. A un moment donné, alors qu’elle lui époussetait la nuque du bout des doigts, il se mit à chantonner doucement. – Tu as la main douce, Maggie Stevens. A ces mots, elle sentit ses doigts se crisper sur ses outils. « Concentre-toi, Maggie, concentre-toi. » – Tais-toi, Landon Cartwright.

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- 11 - L’air se fit lourd du silence qui s’était installé entre eux. Puis Landon remua sur son siège et croisa les bras sur sa poitrine. – Maggie, j’ai trouvé la chemise qui porte le nom du ranch dans la dernière lessive que m’a rendue ta grand-mère. Rappelle-moi de te la rendre. Une fois de plus, Maggie se sentit envahie par la colère et le chagrin. – Tu peux la garder, la jeter, en faire des confettis, ça m’est complètement égal. – C’est toi, la propriétaire du ranch, qui me dis ça ? – Parfaitement. Willie a dû te raconter les relations conflictuelles que j’entretenais avec mon père. C’est lui qui avait eu l’idée de faire faire ces chemises, qu’il distribuait comme des trophées à ses ouvriers favoris. – Et toi ? Tu en avais reçu une aussi ? – Le jour de mes seize ans, j’en ai trouvé une dans la salle de bains, et j’ai cru que mon père l’avait mise là pour m’en faire cadeau. Elle posa un instant le peigne et les ciseaux et mit les mains sur les épaules de Landon, comme si l’évocation de ce souvenir était trop lourde à porter toute seule. – Je ne l’avais pas sur le dos depuis dix minutes qu’il m’a fait appeler dans son bureau pour m’informer qu’aucune femme ne porterait jamais l’une de ces chemises. Le message est passé, tu peux me croire. Je ne l’ai jamais fait, et je ne le ferai jamais. Je pensais m’être débarrassée de toutes les chemises après sa mort. Elle prit une profonde inspiration et égalisa les pointes de cheveux sur la nuque tout en jetant un coup d’œil sur la camionnette qui s’éloignait avec les deux vieux cow-boys. Que serait-elle devenue sans ces deux pères de substitution si affectueux avec elle ? C’étaient Willy et Hank qui avaient soigné ses genoux écorchés et essuyé ses larmes, jamais son propre père. Sans eux, elle n’aurait jamais connu le réconfort de bras masculins qui vous accueillent quand tout va mal. Avec un soupir, elle continua sa confession. – J’avais quatre ans quand ma mère est partie avec l’un des cow-boys qui travaillaient au ranch. Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que ma présence était pour mon père un rappel constant de la trahison de ma mère. – Est-ce que Nana se trouvait au ranch à ce moment-là ? – Non. Nana est ma grand-mère maternelle, elle n’est venue au Crescent Moon qu’après mon mariage. – Comment ton père s’entendait-il avec elle ? – Au début, assez mal. Mais, dès qu’il a eu goûté à sa cuisine, il s’est radouci et a accepté sa présence. A vrai dire, je suis meilleure avec les chevaux qu’aux fourneaux. Maintenant qu’elle en avait terminé avec la nuque et les côtés, elle se plaça devant Landon pour continuer sa coupe, refusant de lui conter combien son père s’était radouci quand elle avait épousé Alan Barton. Bien sûr, ce dernier représentait le fils qu’il n’avait jamais eu… – Est-ce que tu peux pencher un peu la tête vers la gauche ? Landon obéit. – Comme ça ? Elle plaça les doigts sous son menton. – Un peu plus. Landon fixa sur elle son regard noir qui se posa ensuite sur sa bouche. Elle rougit, incapable de détourner le sien. – Ce n’est sûrement pas facile d’être un parent isolé, reprit-il. Elle se redressa. Elle ne pouvait qu’imaginer ce que Willie avait dit à Landon sur Alan, mais étant donné qu’il avait toujours considéré son ex-mari comme un bon à rien, ce n’était certainement pas un tissu d’éloges.

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Après la naissance d’Anna, Alan avait été un père aimant et attentif, mais très vite ses relations avec la fillette s’étaient espacées au point de devenir inexistantes. Depuis son départ du ranch, elles étaient complètement seules toutes les deux. – Je ne suis pas isolée, corrigea-t–elle en reprenant son travail. Nana m’aide à élever Anna, avec Willie, Hank et tous mes amis. – Tu es une mère formidable, Maggie. Landon avait parlé avec tant de douceur qu’elle sentit des larmes lui monter aux yeux. Elle aurait voulu être moins sensible à ces mots si simples, mais ils la touchaient profondément. Car malgré l’aide que lui apportaient les uns et les autres, c’est bien elle qui organisait l’éducation d’Anna. C’était sa joie et sa fierté la plus grande. Elle fit un pas en arrière et vit que Landon demeurait les yeux clos. – Quelque chose ne va pas ? – Non. Je me relaxe, tout simplement. Au fait, il me semble que Black Jack commence à mieux se comporter ? – Oui, je suis très contente. – Tu as dû trouver les passes magiques qui lui conviennent, s’amusa Landon. Bizarrement, quand c’était lui qui s’exprimait ainsi, elle n’y relevait aucune moquerie. Un certain respect, au contraire. – Ce que je fais n’a rien à voir avec de la magie. Disons que j’essaie de le mettre en sécurité. Il a compris qu’il n’a rien à craindre de moi et qu’il peut me faire confiance. Ces mots résonnèrent étrangement dans sa tête. Parlait-elle de Black Jack ou de Landon ? Franchement, elle n’aurait su trop dire. Landon exhala un gros soupir, ouvrit les yeux et se mit à sourire. Il paraissait rajeuni et détendu. – Je t’ai beaucoup parlé de moi, conclut-elle. A toi maintenant de me parler de toi. – Il n’y a rien à dire. – Impossible ! Tout ce que je sais, c’est que tu as beaucoup voyagé et que Winner est ton meilleur ami. Et ta famille ? Tu en as bien une ? – Mes parents sont morts. – Tu m’as parlé du ranch de ton frère… – Tu as terminé, maintenant ? Elle recula d’un pas. – Oui. – Merci. Landon se leva et rentra dans sa maison. Déconcertée, elle commença à ramasser les journaux qui se trouvaient sur le sol. Allait-elle entrer à son tour ? Après tout, il lui fallait trouver une poubelle pour se débarrasser de ces déchets.

*** Landon se tenait debout devant la glace placée au-dessus de l’évier. Il surprit le regard de la jeune femme dans le miroir puis revint à son propre reflet. – Je te félicite, c’est très bien. Il y a fort longtemps que je n’ai pas eu les cheveux aussi courts. En fait, depuis… Il pressa ses lèvres l’une contre l’autre. – Depuis que je suis parti de chez moi, il y a quatre ans. Maggie se rapprocha de lui. – Il y a quatre ans que tu vas de ranch en ranch ? Les mains posées sur les hanches, il prit appui contre l’évier. – Tu dois avoir du mal à comprendre ça, toi qui aimes tant le Crescent Moon. – Je crois que le Still Waters te manque toujours, murmura la jeune femme. – Pourquoi dis-tu cela ? – Parce que, même si ce ranch appartient à ton frère, c’est le berceau de ta famille.

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– Quelle famille ? demanda Landon brusquement. – Ton frère. Ta fille, aussi ? Il grimaça tandis qu’une souffrance indicible lui étreignait le cœur. – Tu as entendu cette conversation dans la grange avec Anna, l’autre jour ? Maggie se rapprocha de lui. – Je ne voulais pas… Il s’écarta d’elle. – Tu as mal compris, je n’ai pas de fille. – Mais Anna regardait quelque chose. C’était une photo, non ? Elle t’a demandé comment… Il laissa ses épaules s’affaisser d’un coup. – Sara. Elle s’appelait Sara, et elle est morte. Il avait parlé d’une voix étranglée, à peine reconnaissable. – Landon, je suis désolée ! Je ne sais plus quoi te dire. Je ne voulais pas… Mon Dieu, je ne peux pas imaginer pareille tragédie. Il pivota sur lui-même, attira brutalement Maggie contre lui. Sa bouche frôla celle de la jeune femme. – Ne dis plus rien, Maggie. Il avait parlé d’une voix douce, mais où le désespoir perçait malgré lui. La jeune femme prit son visage entre ses mains, et il ferma les yeux. Un instant, il y eut un silence, comme s’ils étaient perchés sur une crête dangereuse. Puis elle posa ses lèvres sur les siennes. A cet instant, un cri aigu retentit. Ensemble, ils sursautèrent. – Anna ! s’écrièrent-ils en même temps.

*** Ils se précipitèrent dehors, scrutant la cour du ranch dans l’espoir d’apercevoir la petite fille. – C’était Anna, j’en suis sûre ! répétait Maggie, cramponnée à la chemise de Landon. Un autre cri aigu retentit, cette fois plus animal qu’humain. Un nuage de poussière s’éleva du côté de la grange. Landon se précipita. Une peur terrible le tenaillait, alourdissait sa démarche, lui donnant l’impression que son avancée était freinée comme s’il avait de l’eau jusqu’à la taille. Lorsqu’ils arrivèrent au corral de Black Jack, ils aperçurent le mustang qui tournait en cercles fous à l’intérieur des planches de clôture. Ses naseaux palpitaient, sa crinière noire volait sur son encolure, ses sabots soulevaient des gerbes monumentales de poussière et faisaient gicler les cailloux dans leur sillage comme autant de projectiles. Affolé par sa propre fureur, le mustang galopait comme si jamais il ne devait s’arrêter. Anna se tenait au milieu du corral, pétrifiée de terreur, le chaton noir dans les bras, celui sans doute qui s’était sauvé et qu’elle avait voulu aller récupérer. En apercevant sa mère, elle se mit à crier. – Maman, j’ai peur ! Comme Maggie s’avançait vers elle, Landon la retint. – Anna, calme-toi ! ordonna-t–il. – J’ai trop peur… La petite voix aiguë, une voix d’enfant, vrillait douloureusement le cœur de Landon. – Je sais, mais il faut que tu restes bien immobile, exactement comme si tu étais une statue. – Mais le cheval va me… – Chut. Plus un mot, plus un geste. D’accord ? Anna secoua la tête pour signifier qu’elle avait compris. Mais, même si c’était le cas, elle ne serait sans doute pas capable de tenir parole longtemps, tant la fureur du mustang était impressionnante. Landon jeta un coup d’œil vers Maggie. Celle-ci était blême. – File de l’autre côté, commanda-t–il. Parle à Black Jack. Invente n’importe quoi, fais une prière,

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jette-lui un sort, hypnotise-le. Ça m’est égal, mais débrouille-toi pour détourner son attention d’Anna. – Qu’est-ce que tu vas faire ? – Je vais chercher Anna. File, fais ce que je t’ai demandé. Il attendit que Maggie soit partie dans l’autre direction. Déjà, il l’entendait chantonner dans l’espoir de calmer l’animal furieux. La voix de la jeune femme était mal assurée, mais la magie commençait à opérer. En effet, Black Jack tourna vers elle ses yeux exorbités et ralentit un instant avant de reprendre son galop fou autour de la fillette. Alors que celui-ci regardait en direction de Maggie, Landon s’accroupit et se rapprocha de la clôture sans se faire remarquer de l’animal. Dès que l’étalon revint vers lui, les naseaux grands ouverts comme s’il cherchait à repérer son odeur, Landon se figea et resta aussi immobile que possible pendant que Maggie continuait son chant, imperturbable malgré sa terreur. Il devait mettre sans attendre à profit la distraction qu’elle offrait à Black Jack pour aller chercher Anna. Il devait la sauver. En prenant bien garde à rester hors du champ de vision de l’animal, il rampa jusqu’à l’entrée du corral et se glissa dans l’ouverture étroite prévue pour permettre aux dresseurs d’y pénétrer. Puis, en trois bonds, il attrapa la petite fille et le chaton et les serra contre sa poitrine. Malheureusement, le cri poussé par Anna attira de nouveau l’attention du mustang, qui fit demi-tour et se rua vers eux, plein de fureur. Landon fixa un instant l’animal dans les yeux, comme pour le clouer sur place, et il se précipita vers la barrière. Il n’y parvint que de justesse, tomba dans la poussière en prenant soin de se recevoir sur l’épaule et la hanche afin de préserver son précieux fardeau. – Anna ! hurla Maggie. – Maman… Quelques secondes plus tard, il se retrouvait les bras vides. Pelotonnée contre sa mère, Anna sanglotait. Elle était sauve ainsi que le chaton, qui venait de lui échapper pour se réfugier auprès de Nana, que le bruit et les cris avaient attirée hors de la maison. Landon avait atrocement mal au dos. Des larmes lui brûlaient les yeux. Il se hâta de les essuyer d’un revers de main en les mettant sur le compte de la poussière. Anna était saine et sauve. Elle, au moins, était vivante. Un voile noir s’abattit devant ses yeux tandis que son cœur se mettait à battre si fort qu’on aurait dit qu’il allait exploser. Les voix des trois femmes lui parvenaient aux oreilles de façon confuse. La panique montait en lui, menaçante, alimentée par le cauchemar qui occupait son esprit. Il fallait qu’il s’éloigne, tout de suite, qu’il se mette à l’abri des regards pour affronter une fois de plus son enfer personnel. D’un pas trébuchant, il alla se réfugier derrière la grange. Déjà, il sentait les flammes lui brûler le dos, il entendait les craquements du bois, la suie l’aveuglait, la fumée l’étouffait… Incapable de se libérer tout seul de sa hantise, il ouvrit le robinet qui se trouvait là. L’eau froide jaillit, dont il s’aspergea abondamment. Il la laissa ruisseler sur ses yeux fermés, sur sa tête et sa nuque en feu. Mais ce n’était pas suffisant, sa peau le brûlait encore. Alors, il arracha sa chemise et s’arrosa tout entier, suffoquant à demi sous la puissance du jet, jusqu’à se sentir isolé du monde environnant. – Pardon, Sara, ma petite fille. Je n’ai pas pu te sauver ! – Landon ! Il entendit qu’on appelait son nom. – Je suis arrivé trop tard. Je n’ai pas pu… Ni toi ni elle. – Landon ! Le contact d’une main sur son bras le fit sursauter. L’eau dégoulinait de ses cheveux sur son visage. Il passa les doigts sur son crâne et ouvrit des yeux

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hagards dont le regard ne voyait rien. – Ne me touchez pas ! cria-t–il. – Mon Dieu, Landon… – Pardon, ma chérie, ma petite chérie, poursuivit-il, luttant pour que les mots franchissent sa gorge incendiée. Je n’ai pas pu. Je n’ai pas réussi… – Landon, de quoi parles-tu ? Tu as sauvé Anna ! Il cligna des yeux. Il ne voyait que le visage noirci de sa femme, ses cheveux brûlés, la lumière qui s’éteignait dans son regard plein de reproches et l’enfant qu’elle tenait dans ses bras. Malgré tous ses efforts, il ne réussissait pas à comprendre ce qu’elle murmurait dans son agonie. – Je n’ai pas réussi. A cause des flammes, de la fumée… Il faisait trop chaud. Je n’ai pas pu, pas pu… – Arrête, Landon ! hurlait Maggie en le secouant par le bras. Anna va bien. Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Qu’est-ce que tu as ? – Anna ? – Oui, Anna, bien sûr. Il cligna des yeux de nouveau. L’image qui s’était imposée à lui vacilla puis disparut. Il aperçut des cheveux blonds et des yeux verts, un grand soleil… Tout à coup, une belle journée d’été avait pris la place de la sinistre obscurité enfumée. – Maggie ? – Oui, c’est moi. Tu as sauvé Anna. – Je n’ai pas pu sauver Sara. – Qu’est-ce que tu racontes ? Il lâcha le tuyau d’arrosage et se dégagea des mains de Maggie. Une profonde inspiration gonfla sa poitrine, le ramenant à la vie. Enfin, son esprit réussissait à chasser le cauchemar infernal. – Laisse-moi seul, commanda-t–il. Au lieu de s’en aller, Maggie s’avança vers lui, les yeux pleins de compassion. – Landon, je t’en prie… Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? Il se détourna. – Il y a eu un feu. Les mots sortaient de sa bouche comme si c’était un autre qui parlait. Il essaya de s’arrêter, mais ils continuèrent à couler malgré lui. – C’était la nuit. Ma femme et ma fille étaient prisonnières des flammes. J’ai essayé de les trouver, mais, quand j’ai réussi, c’était trop tard. Elles sont mortes toutes les deux, par ma faute. Maggie posa les deux mains sur lui. En sentant la douceur de ses cheveux effleurer sa peau, il frissonna et, lorsqu’elle posa ses lèvres sur les siennes, il vacilla et faillit tomber. Incapable de comprendre les mots qu’elle murmurait, il savait pourtant ce qu’elle lui offrait : de la sympathie. De la compassion. Il n’en voulait pas. Il ne la méritait pas. Non, pas maintenant, ni venant d’elle. Bouleversé de s’être ainsi dévoilé, il repoussa la jeune femme d’un geste brusque et partit à grands pas vers les prés. A son coup de sifflet, Winner arriva vers lui au galop, oreilles dressées. – Ne pars pas, cria Maggie. Attends ! Je veux t’aider… – Impossible. Personne ne peut m’aider. Il attrapa Winner par la crinière et sauta sur son dos sans prendre la peine de le seller.

*** Il était minuit passé lorsque Maggie gara son pick-up devant la maison. Tout était noir à part la lumière familière du porche et la clarté de la lune. Au cours de la soirée, elle avait appelé à plusieurs reprises depuis le restaurant pour prendre des nouvelles d’Anna. Chaque fois, Nana l’avait rassurée. Anna se remettait bien de sa grosse frayeur. Apparemment, ce qui la contrariait le plus maintenant, c’était de savoir que Black Jack était puni.

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Quant à Landon, Maggie était sans nouvelles de lui depuis qu’elle l’avait vu disparaître vers les collines. Elle était allée voir s’il était rentré, mais la maison du contremaître était vide. Ni Willie ni Hank ne l’avaient davantage aperçu. Elle était tellement inquiète à son sujet qu’elle avait eu bien du mal à se concentrer sur son travail. Plusieurs fois au cours de la soirée, elle s’était trompée dans ses commandes, et malgré tous ses efforts elle n’avait pas réussi à penser à autre chose qu’à lui. La réaction qu’avait eue le cow-boy après avoir sauvé Anna l’avait épouvantée. C’était à peine si elle avait reconnu Landon dans ce possédé au regard fixe, étranger à tout ce qui l’entourait, qui ne voyait rien d’autre que son propre cauchemar. Il fallait absolument qu’elle le retrouve pour le réconforter. En constatant que le pick-up de Landon se trouvait à sa place dans la cour du ranch, elle éprouva un certain soulagement. C’était déjà énorme de savoir qu’il n’avait pas quitté le Crescent Moon sur un coup de folie. Le plus simple ensuite était d’aller voir si Winner était de retour. Le gravier crissa doucement sous ses bottes pendant qu’elle se dirigeait vers la grange, incapable de maîtriser son inquiétude. Allait-elle trouver Winner dans son box ? Bien sûr, c’était une grosse erreur de se soucier autant d’un cow-boy qui reprendrait la route dans quelques semaines, mais elle n’y pouvait rien. Son cœur refusait de suivre les conseils du bon sens. « Seigneur, faites que Winner soit de retour. » Des larmes de soulagement coulèrent sur ses joues quand elle aperçut la tête de l’alezan par-dessus la porte de sa stalle. Folle de joie, elle lui passa les bras autour du cou. – Winner, comme je suis heureuse de te revoir ! Tu vas bien ? Et ton maître ? Tu sais où il est maintenant ? – Juste derrière toi, Maggie.

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- 12 - Maggie fit volte-face. Landon se tenait dans son dos, la chemise déboutonnée, les mains dans les poches de son jean. – Tu me cherchais ? Sa voix grave résonnait dans le calme de la grange, presque insolente. D’un seul coup, elle passa du soulagement à la colère. – Evidemment ! Qu’est-ce qu’il t’a pris de filer comme ça ? – Ce n’est pas la peine de te mettre dans un état pareil. – Tu crois qu’en te voyant partir au grand galop dans l’état où tu étais, sans même une selle, nous sommes allés nous coucher bien tranquillement ? Comment as-tu pu nous faire une chose pareille ? – Il n’y avait pas de quoi t’inquiéter. J’ai l’habitude de monter Winner à cru. – Ne fais pas l’idiot ! Ce n’est pas de ça que je parle, espèce de crétin. Enfin, elle pouvait laisser libre cours à l’angoisse qu’elle avait refoulée pendant de si longues heures. Furieuse, elle tambourina sur la poitrine de Landon de ses deux poings fermés, ce qui ne paraissait nullement troubler le cow-boy. – Comment as-tu pu disparaître aussi longtemps loin de tout ? Tu étais seul, tu n’avais aucun moyen de nous joindre. Tu sais très bien qu’on peut toujours avoir un accident à cheval ! – Et après ? Qui s’en soucie ? – Moi. Elle le frappa une fois de plus, mais cette fois il la saisit par le poignet. A ce contact, elle fondit en larmes. Elle se libéra d’une secousse, mais ce fut pour se jeter au cou de Landon. – Landon, dis-moi que tu vas bien. J’ai été tellement inquiète pour toi ! Il se raidit, mais elle refusa de le lâcher. Une excitation délicieuse lui parcourait le corps maintenant qu’il était en contact avec celui du cow-boy. Quelle ivresse, après cette abominable soirée passée à se morfondre, de respirer l’odeur de son savon, de caresser ses cheveux mouillés ! La tête lui tournait délicieusement. Elle ferma les yeux, cédant à la voluptueuse faiblesse qui la gagnait. Landon resta un long moment sans bouger, puis elle sentit ses doigts, hésitants d’abord, plus assurés ensuite, lui caresser le dos. Une décharge d’adrénaline la parcourut tout entière. Il dut le percevoir, car il laissa échapper un grognement et resserra les mains autour de sa taille. Sans se soucier des larmes qui ruisselaient encore de ses yeux, elle enfouit le visage dans son cou tandis que les mots se bousculaient sur ses lèvres, inutiles, précipités, dans un chuchotement ininterrompu où son cœur parlait pour elle. – J’ai eu si peur, Landon… Je ne savais pas si tu allais revenir, ni où tu étais, ni si tu avais surmonté ta crise de désespoir. C’était horrible, jamais je n’ai été aussi inquiète. Ses lèvres suivirent la mâchoire de Landon, glissèrent sur la barbe naissante. Cela piquait, mais quelle importance ? Landon était de retour, elle le serrait contre elle. Lorsqu’elle arriva sur la bouche de Landon, elle promena sa langue sur les lèvres qu’il tenait fermées, jusqu’à ce que, enfin, un souffle réponde à son invitation. Aussitôt, aventureuse, avide de volupté, elle se dressa sur la pointe des pieds pour recouvrir de la sienne la bouche de Landon, dont elle se mit à explorer les secrets. Landon lui répondit, et leurs deux bouches demeurèrent soudées en un long baiser qui lui fit fondre le cœur. Ce fut Landon qui l’interrompit. – Assez, Maggie. Elle se laissa retomber sur les talons, surprise et déçue. – Pourquoi ? – Il ne faut pas m’embrasser comme ça. Les yeux levés vers lui, elle le dévisagea sans comprendre.

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– Mais… Pourquoi ? – Je n’aime pas cette façon de me remercier. Cette réplique était un mystère total pour Maggie. – Qu’est-ce que tu veux dire ? – Tu le sais très bien. Tu te sens obligée de faire ça parce que j’ai sauvé ta fille, et je ne… – Stop ! hurla-t–elle en le secouant par les revers de sa chemise. Si je t’embrasse, ça n’a strictement rien à voir avec Anna. Je t’embrasse à cause de ce que j’ai ressenti pour toi aujourd’hui. A cause de ce que j’éprouve pour toi en ce moment. Landon se rapprocha d’elle. – C’est ça que tu veux, Maggie ? Des baisers ? Elle plongea le regard dans ses yeux noirs, où elle lut un tourbillon d’émotions : du désir, de la passion, de l’impatience. Il y avait des années qu’elle n’avait rien vu de pareil chez un homme, un désir aussi nu, aussi violent, aussi pur. Cela n’avait rien à voir avec les obligations conjugales d’Alan ou l’envie de s’approprier son ranch chez Kyle. Landon la désirait, elle, Maggie. Point final. Une peur sournoise s’empara d’elle. Etait-elle prête pour cela ? Un instant plus tôt, c’était l’émotion qui la jetait dans les bras de cet homme. Maintenant, elle avait un peu de recul, et une question la submergeait : comment se regarderaient-ils demain s’ils franchissaient le pas ce soir ? Il l’adossa à l’escalier qui conduisait à l’étage où l’on entreposait les réserves de paille. – Allez, Maggie, parle. Dis-moi ce que tu veux. D’un haussement d’épaules, elle balaya tous ses doutes. – Toi. Je te veux toi.

*** Landon cueillit les derniers mots de Maggie sur ses lèvres. Elle le désirait. Il la désirait lui aussi. Tout était bien. Elle lui retourna le baiser qu’il approfondissait avec passion, se cramponna à ses épaules tandis qu’il la serrait contre lui à l’étouffer. Mais ce n’était pas encore assez. Avec des gestes précipités et incertains, elle s’appliqua maladroitement à défaire les boutons de sa chemise. Mais il ne supportait pas de désunir leurs corps, ne serait-ce qu’un instant. Il ne voulait pas renoncer à la serrer entre ses cuisses, c’était trop délicieux. Alors, la jeune femme prit les deux morceaux du col dans ses mains impatientes et tira, peu soucieuse de déchirer le tout. Le petit cri de surprise qui lui échappa lorsqu’elle sentit le vêtement céder le fit rire. – Oui, ce sont des boutons-pressions. Continue, tu peux tirer tout ton content ! Maggie obéit avec délice, jusqu’à ce qu’il se trouve dénudé jusqu’à la ceinture. – A mon tour maintenant, souffla-t–il, en s’attaquant au chemisier de Maggie. – Attention, chez moi, c’est à de vrais boutons que tu as affaire, avertit la jeune femme en riant. – Ne t’inquiète pas. Ses doigts bataillèrent pourtant un moment avant qu’il ne réussisse à vaincre le premier obstacle, puis le second. Depuis combien de temps n’avait-il pas déshabillé une femme ? Des années… Alors, pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi celle-ci ? Maggie lui évita de chercher une réponse en achevant la besogne elle-même. Impatient, il respirait le parfum délicat exhalé par la peau de la jeune femme lorsqu’il la vit soudain hésiter puis baisser les yeux. – Il y a longtemps, tu sais. Je n’ai plus fait l’amour depuis la fin de mon mariage. En fait, depuis bien avant la fin de mon mariage, corrigea-t–elle. Il s’était demandé si Maggie avait cherché du réconfort dans des bras de passage après le départ de son mari, et il se sentit tout heureux de cette confidence. Même s’il savait qu’il n’avait absolument pas le droit d’éprouver pareil sentiment, son instinct de possession se trouvait comblé.

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Il prit le doux visage dans ses mains, plongea son regard dans les yeux verts, recommença à embrasser Maggie fougueusement, mêlant les mots et les baisers en une bousculade amoureuse. – Oui, c’est pareil pour moi, mon amour… Ma belle, ma douce, ma tendre… Sans cesser de l’embrasser, il fit glisser le chemisier sur les épaules rondes, découvrit la poitrine généreuse moulée dans un soutien-gorge en coton blanc. – Je sais, ce n’est pas très sexy, s’excusa Maggie. Mais c’est pratique et confortable. – C’est parfait, coupa-t–il. Il fit glisser ses mains jusqu’à la taille de la jeune femme et la souleva pour la déposer sur la première marche de l’escalier. – Tu es parfaite, souffla-t–il. Maintenant que Maggie se trouvait juchée sur la marche, la bouche de Landon se trouvait juste à la hauteur des seins de la jeune femme. Comment résister à l’appel de cette peau soyeuse ? Le cœur de Maggie battait vite et fort sous ses lèvres. Quand il prit ses seins dans ses mains, elle poussa un soupir de volupté, qu’il étouffa en posant les lèvres sur celles qu’elle lui tendait. Il devait être en train de rêver. Est-ce que cette femme merveilleuse, belle, courageuse, était réellement abandonnée entre ses bras ? Puis toute pensée s’effaça de son esprit, et il se laissa emporter par le tourbillon de sensations qui le balayait aussi violemment qu’une tempête d’été.

*** Maggie avait envie que Landon la touche partout. Le poids de ses mains sur sa peau, le contact de ses doigts qui glissaient le long des bretelles de son soutien-gorge lui envoyaient des décharges électriques dans tout le corps. Il avait pris ses seins dans ses mains et les caressait pendant que leurs bouches s’étaient de nouveau unies. Mais, quand un sifflotement bien connu lui parvint aux oreilles, elle s’arracha à ses bras. – Tu entends ça ? C’est Willie qui arrive par ici. Effectivement, le grincement de la porte de la grange suivit peu après. Aussitôt, Landon la souleva dans ses bras et gravit l’escalier qui conduisait à l’étage. – Ici, personne ne peut nous voir, souffla-t–il. Ils entendirent le vieux cow-boy parler à Winner, qui se mit à piaffer dans sa stalle. – Je vais descendre, annonça-t–elle. – Mais pourquoi ? protesta Landon en lui glissant une main entre les cuisses. Je t’assure qu’il ne nous découvrira pas. Elle laissa échapper un gémissement de plaisir, qu’il étouffa d’un baiser. Seigneur, pouvait-elle se laisser aller à cette délicieuse folie, ou devait-elle se ressaisir et se comporter raisonnablement ? – Je pense que… – Arrête de penser ! Si tu te contentais de sentir mes mains sur ta peau, mes lèvres sur ta bouche ? Il se pressa contre elle pour lui faire sentir son érection. – Tu sens ce que tu me fais ? Pour toute réponse, elle lui passa la main dans les cheveux, lui caressa le visage. Au passage, il lui mordit le doigt, qu’il lécha ensuite pour apaiser la morsure. Puis un claquement se fit entendre, et tout devint noir : Willie était ressorti. – Nous voici seuls de nouveau, observa Landon. – Tant mieux. Cette fois, elle ne voulait plus réfléchir. Elle voulait se livrer tout entière aux mains et aux lèvres délicieusement inventives de Landon.

*** Landon n’avait plus qu’une idée : Il voulait cette femme désirable entre toutes. Il la voulait tout entière. Il souleva la jupe de Maggie et eut alors la surprise de rencontrer sous ses doigts un minuscule string en dentelle.

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Après le soutien-gorge qu’il avait vu un peu plus tôt, il s’attendait à trouver le même genre de sous-vêtement en coton blanc. Et Dieu savait qu’il n’avait rien à reprocher à ce style, car Maggie rendait sexy tout ce qu’elle portait. Mais la surprise lui fit émettre un petit sifflement. – Maintenant, tu connais mon secret, souffla-t–elle. – Tu portes ça tout le temps ? – Oui. Le jour de mon divorce, j’ai jeté à la poubelle toutes mes culottes, petites et grandes. Ça m’aide à me sentir femme quand je nettoie les écuries ou que je dresse mes chevaux. Elle lui embrassa le cou, les épaules, la poitrine. De la langue, elle se mit à taquiner le bouton de chair que ses lèvres rencontrèrent sur sa poitrine. Il accueillit cette caresse avec un soupir de volupté. – Tu aimes ça ? demanda Maggie. – J’adore ! D’un geste, il dégrafa son soutien-gorge et le jeta. – Tu as froid ? demanda-t–il, voyant Maggie frissonner. – Non. Je suis juste un peu nerveuse. Elle avait parlé doucement, mais ces mots l’inquiétèrent. Il fallait qu’il soit sûr qu’elle voulait elle aussi aller jusqu’au bout. Si elle ne souhaitait pas poursuivre, il respecterait son désir, quoi qu’il lui en coûte. Son hésitation n’échappa pas à Maggie. – Qu’est-ce que tu fais, Landon ? Tu t’arrêtes ? – Non. Je respire un peu, c’est tout. – Tu as changé d’avis, tu ne veux plus de moi, c’est ça ? Qu’allait-elle inventer tout à coup ? Comment pouvait-elle imaginer une chose pareille ? Il la pressa contre elle. – Est-ce que ce corps est celui d’un homme qui ne te désire pas ? Je veux seulement être certain que tu as envie de moi autant que moi de toi. – Je veux faire l’amour avec toi, déclara Maggie. Dans l’obscurité de la grange, à peine trouée par la clarté de la lune, ses cheveux blonds tombaient devant son visage en un rideau soyeux, insuffisant toutefois à cacher la décision qui brillait dans ses yeux. – Je t’en prie, Landon. Cette fois, ce fut lui qui prit dans sa bouche la pointe d’un sein, qu’il taquina longuement du bout de sa langue. Maggie se lova contre lui, se laissa bercer. Lorsqu’il glissa la main entre ses jambes, elle l’accueillit avec un soupir de plaisir. Il écarta doucement la dentelle de son string pour caresser les boucles serrées de sa toison, découvrit avec ravissement la moiteur de son sexe. Enfin, il trouva le creux secret de son plaisir. Cette fois, il fallait qu’ils s’allongent pour poursuivre leur découverte amoureuse. – Tu crois que tu supporteras de te coucher sur la paille ? – Derrière toi, il y a la couverture de mon cheval. Prenons-la et étalons-la par terre. Il obéit aussitôt, et tous deux se laissèrent aller sur la couverture sans se détacher l’un de l’autre.

*** Que se passerait-il ensuite ? Maggie ne voulait pas y penser. Elle avait fermement chassé tout projet de sa tête. Tout ce qu’il importait pour elle, c’était de vivre ici et maintenant ce qu’elle avait à vivre avec cet homme. Landon léchait à petits coups de langue la sueur qui perlait sur sa peau et entre ses seins. Lorsqu’il glissa un doigt au creux de son intimité, elle s’arc-bouta, le corps convulsé de plaisir, prête à exploser. Il y avait si longtemps… Elle ne résisterait pas longtemps aux caresses que Landon lui prodiguait. Elle le força à la regarder. – Non, pas comme ça. – Si. Comme ça.

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Pourquoi le contrarier ? Il avait décidé de choisir le plaisir qu’il lui donnerait, elle y consentait. Elle s’agrippa alors de toutes ses forces aux épaules puissantes de son amant. Son plaisir était trop fort, trop extraordinaire. Elle voulait tout prendre et tout donner en même temps. De la langue, Landon reproduisait dans sa bouche les caresses que ses doigts lui prodiguaient dans la partie la plus secrète d’elle-même, créant ainsi une tension insupportable de volupté, qui augmenta jusqu’à atteindre un pic où elle fut incapable de se maîtriser. Elle poussa un cri rauque, âpre, sauvage. Alors, Landon retira ses doigts, et son sexe dur et gonflé les remplaça. Sans qu’elle sache comment il s’y était pris, il était en elle, avalant de ses baisers les plaintes qu’elle poussait à chacun de ses coups de reins. Elle les accueillait avec des étincelles de joie, jusqu’à ce qu’un hurlement inconnu s’échappe de sa poitrine, bientôt suivi du râle de Landon, qui venait lui aussi d’atteindre le paroxysme du plaisir. Les battements de leurs cœurs ralentirent peu à peu. Elle nicha la tête de Landon au creux de ses bras et déposa un baiser sur son front trempé de sueur. Il luttait pour retrouver son souffle. – Il faut… que je te demande pardon, murmura-t–il.

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- 13 - Maggie se figea, comme victime d’un électrochoc. Puis elle se releva d’un bond, rabattit sa jupe et se baissa pour ramasser son string et son soutien-gorge. – Attends, laisse-moi t’expliquer, plaida Landon, atterré par cette réaction incompréhensible. – Inutile. Ton besoin de me présenter des excuses en dit suffisamment. Diable, comment avait-elle pu se mettre debout aussi vite ? Lui-même sentait ses jambes incapables de le porter. Il réussit tout de même à la retenir par la cheville et la força à s’asseoir à côté de lui sur une balle de foin. – Maggie, je veux m’excuser parce que je n’ai pas utilisé de préservatif. Il se maudissait de cette négligence. Depuis ses premiers rapports, il n’avait jamais omis de prendre cette précaution, mais là, après tant d’années de solitude, il s’était complètement abandonné, sans réfléchir, sans accomplir les gestes de la plus élémentaire prévoyance. Il y avait si longtemps qu’il n’avait pas fait l’amour qu’il avait complètement perdu la tête. – En tout cas, poursuivit-il, je peux t’assurer que tu n’as pas d’inquiétude à avoir à propos de ma santé. Il y a des années que je n’ai pas couché avec une femme, je n’ai aucune maladie susceptible d’être transmise. Puis, comme Maggie le regardait d’un drôle d’air, il reprit : – Tu ne me crois pas ? – Mais si ! Simplement, je croyais que tu t’excusais parce que… Parce que tu trouvais que ce n’était pas bon. – Pour te prouver à quel point tu te trompes, je suis déjà prêt à recommencer. Un regard brillant de désir de Maggie lui répondit. – Tu n’as pas à te soucier d’une grossesse indésirable, ajouta-t–elle, je prends la pilule. A ces mots, il eut l’impression de recevoir un coup de bambou sur le crâne. Maggie, enceinte de leur enfant. D’un enfant de lui… Non. L’horrible leçon qu’il avait reçue à Still Waters avait porté, il n’était pas fait pour être père. Plus jamais il ne voulait être responsable d’une autre vie que de la sienne. Il rouvrit les yeux. Maggie se tenait près de lui, le visage caché par la pénombre. – Tu as entendu ce que je viens de te dire ? reprit-elle. – Oui, tu prends la pilule. Très bien. – Et ne t’inquiète pas non plus pour quelque maladie que ce soit. A notre séparation, comme je savais qu’Alan avait eu de nombreuses aventures, j’ai passé des tests, qui ont tous été négatifs. Je n’ai fréquenté personne depuis. – Quel imbécile, cet Alan ! – Mille fois d’accord. Redis-moi ça une fois, et je me jette de nouveau dans tes bras. – Tout de suite ? – Tout de suite ! Il la serra contre lui. – J’ai envie de toi, murmura-t–il sur ses lèvres. Il aurait dû fuir au lieu de l’embrasser ! Il devait reprendre la route, préserver sa liberté… Pourtant, il s’entendit continuer. – Je meurs d’envie de toi. Je veux sentir ton corps sous le mien, je veux m’allonger avec toi dans le grand lit en cuivre, entre des draps frais, et te pénétrer jusqu’à ne plus savoir où je finis et où tu commences. Maggie lui passa les bras autour du cou. – D’accord, allons-y. Ensemble, ils descendirent les escaliers de la grange et gagnèrent la maison du contremaître.

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*** Maggie enfouit le visage dans l’oreiller et s’emplit les narines du parfum de l’homme qui avait passé la nuit avec elle. Cet homme qui dormait encore, à plat ventre à côté d’elle. Ils avaient fait l’amour dans la grange, et deux fois encore dans le lit de Landon. Le souvenir de leurs étreintes passionnées la fit frissonner. Elle se glissa de nouveau sous les draps, puis se ravisa en constatant que l’aube commençait à poindre. Il fallait qu’elle rentre au ranch. Et, pourtant, elle n’en avait pas la moindre envie. Pas encore, tout au moins. Elle se tourna pour regarder Landon endormi. Du bout des doigts, elle suivit le dessin du muscle de son bras, glissa dans son dos, rencontra des cicatrices qu’elle avait déjà aperçues. Les mots de Landon lui revinrent à la mémoire. Un incendie. Sa femme et sa fille prisonnières des flammes. Mortes toutes les deux. Par sa faute. Il avait été horriblement blessé en essayant de les sauver, elle en avait les preuves sous les doigts. Les larmes lui montèrent aux yeux. Comment avait-il pu survivre à pareille perte ? Des scènes des jours précédents revenaient comme des éclairs à sa mémoire. La faiblesse qui l’avait fait tomber à genoux le jour où il arrangeait le corral. La raideur de sa démarche après le sauvetage de Hank. Son pas chancelant le jour où elle l’avait soutenu, croyant que c’était la bière qui l’affectait ainsi… Depuis combien de temps portait-il les traces physiques et psychologiques de cette nuit terrible ? Elle continua son massage léger du bout des doigts. – Arrête, commanda Landon. – Je te fais mal ? Il secoua la tête mais demeura silencieux. Alors, elle se pencha davantage vers lui et continua de caresser les marques de son calvaire. – Si tu me racontais… Dis-moi ce qu’il s’est passé, ce qu’il t’est arrivé, à toi et à elles aussi. Landon se tut encore longtemps, puis, sans se tourner, il commença à parler. – Après la mort de mes parents, c’est moi qui ai fait marcher le ranch familial. – Still Waters, c’est ça ? – Oui. C’est une très grande propriété, reprit Landon. Une des plus importantes du Texas. Cette responsabilité m’amenait à beaucoup me déplacer. Il y avait des réunions à tenir, des marchés à conclure, des contrats à signer. Bref, je passais plus de temps dans des bureaux qu’au grand air. Et les affaires n’étaient pas si bonnes que ça en définitive. Entre le mauvais temps et une épidémie de fièvre dans le bétail, le ranch commençait à connaître des difficultés. Elle vit ses épaules se soulever, puis se détendre avant qu’il reprenne. – Pour couronner le tout, mon mariage n’était pas heureux. Ce n’était pas l’amour qui nous avait amenés à nous unir, Jenna et moi, mais une erreur de jeunesse. Elle a très vite trouvé à meubler mes absences, ce qui n’était d’ailleurs pas très difficile, dans un ranch plein de cow-boys jeunes et entreprenants. Maggie vit les doigts de Landon se crisper sur l’oreiller à cette évocation. – J’aurais mis fin à notre mariage sans attendre si elle n’avait pas été enceinte. Après la naissance de Sara, j’ai fait mon possible pour que notre union tienne bon, mais Jenna ne se souciait ni de moi ni du bébé. Maggie se sentit remplie de pitié pour Landon et la petite fille. Sans vouloir juger la femme dont il était question, elle ne comprenait pas comment celle-ci avait pu être insatisfaite de vivre avec un homme aussi courageux et travailleur que Landon. – Un soir, en rentrant au ranch, j’ai vu des flammes s’élever au-dessus de la maison. Quand je suis arrivé à retrouver Jenna et Sara au milieu de l’incendie, il était trop tard. Juste après avoir prononcé ces paroles, Landon se leva brusquement, ouvrit un des tiroirs de la commode et en sortit des vêtements propres qu’il commença à enfiler, le visage fermé, le front barré d’un pli profond.

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– Je suis désolée pour toi, hasarda-t–elle, consciente de prononcer des mots trop faibles. – Je me considère comme responsable de leur mort. – Mais enfin, tu n’y es pour rien ! – J’aurais dû être là pour les protéger. Cette obstination de Landon à revendiquer une culpabilité alors qu’il était évidemment innocent creva le cœur de Maggie. La tragédie qu’il venait de raconter apportait une réponse à bien des questions qu’elle s’était posées depuis qu’elle le connaissait. Contrairement à ce qu’elle avait cru, il n’était pas un homme démuni mais le propriétaire d’un ranch cinq fois plus grand que le Crescent Moon, qu’il avait quitté à la suite de cette tragédie. Il en était écrasé, tué à petit feu, il en perdait le goût de vivre. Et elle avait le sentiment qu’il ne lui avait pas tout dit. – Il y a longtemps que c’est arrivé ? – Cinq ans. Sara aurait eu sept ans au mois de novembre. – C’est à cause de cela que tu es parti ? – Oui et non… – Qu’est-ce que tu veux dire ? – Rien. Tout cela appartient au passé. – Landon ? Il considéra longuement le T-shirt qu’il tenait à la main. – Tu voulais connaître la cause de mes cicatrices ? repartit-il brusquement. J’ai satisfait ta curiosité. Maintenant, tu sais tout ce que tu as besoin de savoir.

*** Landon secoua la tête. Les mots lui étaient sortis de la bouche sans qu’il puisse les retenir. Il aurait aimé les arrêter au fur et à mesure qu’ils se présentaient, mais en avait été incapable. Maintenant, il se reprochait d’avoir dévoilé son secret. Pourquoi avoir mis ainsi une partie de sa vie à nu ? Hélas, il connaissait la réponse : Maggie lui était devenue trop proche. Elle, mais aussi sa famille et le ranch tout entier. Il se tourna vers elle, désigna d’un geste les draps froissés par leur nuit d’amour. – Ne crois pas que ce qu’il s’est passé cette nuit change quoi que ce soit à notre relation. Je t’avais avertie dès le début que je ne cherchais qu’un emploi temporaire. Maggie blêmit, ramassa ses vêtements et disparut dans la salle de bains. Il se maudit intérieurement. Jamais il n’aurait dû rester dans la grange avec elle. Jamais il n’aurait dû la toucher. Ce dénouement était inévitable, il avait su dès qu’il avait accepté de travailler au Crescent Moon que quelque chose dans ce genre finirait par arriver entre eux. Mais c’était une chose de rouler dans le foin avec Maggie, parce que ni l’un ni l’autre ne réussissaient à contrôler leurs pulsions, et une autre de lui avoir proposé de venir dans son lit. Ils étaient passés du simple sexe à une relation d’une autre nature, d’où les sentiments n’étaient pas absents. Il l’avait aimée, s’était laissé aimer par elle. Et cela, il ne le méritait pas. Quoi qu’on lui dise, et malgré tous les acquittements de la terre, jamais il ne se sentirait libéré de la culpabilité qui le rongeait. Il n’avait pas su protéger sa famille. Plus jamais il ne courrait le risque que cela se reproduise. Maggie sortit de la salle de bains tout habillée. Elle s’adressa à lui sur un ton distant, le visage dénué de toute expression. – Je ne sais pas pourquoi le fait de parler de ton passé te plonge dans un état pareil, mais je suis d’accord avec toi. Ce que nous avons fait cette nuit ne change rien. D’ailleurs, il n’y avait strictement rien entre nous, alors inutile d’en faire un roman, n’est-ce pas ? Il essayait d’être attentif à ce qu’elle lui disait, mais quelque chose l’en empêchait. Qu’est-ce qui n’allait pas ? – Maggie, arrête de parler ! Furieuse, elle le fusilla du regard.

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– Comment oses-tu… Mais il la fit taire d’un geste autoritaire. Sa tête bouillonnait des souvenirs de sa nuit de calvaire. Le grésillement des flammes emplissait ses oreilles. Une inspiration ramena dans ses poumons une odeur acide de… Fumée ! Il poussa Maggie hors de la maison et se précipita à sa suite pour inspecter du regard la grange et le bâtiment des ouvriers. D’abord, rien ne lui parut anormal. Mais, en jetant un deuxième coup d’œil, il s’aperçut alors que la lueur pâle du lever du jour se fondait avec des volutes grises et blanches qu’il n’avait pas aperçues la première fois. – Le bâtiment où l’on range le matériel a pris feu ! cria-t–il. Il se précipita sur le tuyau d’arrosage qui se trouvait derrière la grange et s’avança vers les flammes. La chaleur commença à lui lécher la peau, le ramenant instantanément à l’enfer d’autrefois. Par un effort de volonté, il revint au présent, mais, fasciné par la danse des flammes qui se tordaient en montant vers le ciel, il les regarda sans bouger dévorer sous ses yeux le moindre centimètre carré de la construction. Il était incapable de faire le moindre geste.

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- 14 - – Willie, hurla Maggie, viens chercher le tuyau pour inonder le devant de l’abri. Elle arracha le tuyau des mains paralysées de Landon, qu’elle repoussa sur le côté d’un coup de hanche. – Hank, va chercher une pelle pour creuser un coupe-feu. Il faut protéger les paddocks. Elle jeta un coup d’œil en direction de Landon. Son regard fixe et ses traits convulsés lui révélèrent qu’il venait de plonger une fois de plus dans la souffrance qu’il avait évoquée pour elle quelques instants plus tôt. – Pars d’ici ! ordonna-t–elle. Landon cligna des yeux et fit un pas sur le côté pour échapper à la contemplation des flammes qui l’hypnotisaient. – Ne t’approche pas, Maggie, cria-t–il. Mouille tes vêtements… Le cœur de la jeune femme s’émut en comprenant qu’il s’inquiétait pour elle. Obéissante, elle retourna le tuyau vers eux pour les asperger avant de diriger le jet vers la base des flammes. Enfin libéré de sa fascination morbide, Landon était redevenu capable d’agir. – Viens avec moi, commanda-t–il à Hank. Allons libérer les chevaux. Ce fut vite fait. Quelques instants plus tard, affolés, hennissant de terreur mais sains et saufs, tous les chevaux du ranch se trouvaient à l’abri dans les pâtures voisines. Ensuite, Hank et Landon se mirent à creuser à grands coups de pelle un fossé destiné à isoler le bâtiment en flammes, de manière à ce que ce soit le seul à être consumé par l’incendie. Sur ces entrefaites, Nana et Anna apparurent sur le porche, toutes les deux en tenue de nuit. Leur visage terrifié bouleversa Maggie. – Va les rejoindre, conseilla Landon, je peux continuer tout seul. – Tu es sûr ? – Tout à fait. Nous contrôlons l’incendie, il n’y aura pas d’autres dégâts. Elle s’écarta donc, le regard rivé sur les flammes qui s’échappaient encore de ce qu’il restait du toit. – File, conseilla Landon. Et n’oublie pas de te changer avant que ta grand-mère comprenne que tu n’as pas passé la nuit dans ton lit.

*** Maggie pesa sur le levier avec rage. Elle éprouvait un véritable soulagement à se débarrasser de cette carcasse calcinée. L’incendie avait eu lieu trois jours plus tôt. Lorsque les pompiers de Destiny étaient arrivés au ranch, le bâtiment réservé au matériel agricole était complètement détruit. Le shérif Steele avait téléphoné dans la matinée pour confirmer les premières hypothèses et lui donner l’autorisation de déblayer le site. C’était bien un court-circuit électrique dans la nouvelle installation qui avait provoqué le désastre. Elle était décidée à commencer tout de suite la reconstruction. Ce serait une dépense supplémentaire, imprévue et lourde à gérer, mais elle n’avait pas le choix. Anna disait que cette vision lui donnait des cauchemars. Quant à elle, si elle avait aussi perdu le sommeil, autant en faire porter la responsabilité à ces poutres calcinées qui offusquaient sa vue. Elle cligna des yeux pour refouler les larmes qui lui montaient aux yeux en pensant à la forteresse de silence en laquelle Landon s’était mué. Non, elle ne pleurerait pas. En tout cas, pas ici, à la lumière du jour. Ce soir, dans son lit, ce serait une autre affaire. Après avoir été son amant passionné, le cow-boy était redevenu en quelques heures à peine un employé distant. Elle ne savait que faire. Devait-elle s’excuser de l’avoir interrogé sur son passé ? De s’être jetée dans ses bras ? Non, la bêtise était d’avoir donné son cœur à un homme qui n’en voulait pas. Une fois de plus, elle était tombée amoureuse d’un homme qui ne lui convenait pas.

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Landon semblait l’avoir rejetée de sa vie. Il ne supportait sa présence que lorsqu’il était question du ranch et du travail qu’il devait y effectuer. Plus jamais il ne la regardait dans les yeux, et il rabaissait systématiquement son Stetson sur son visage avant de s’approcher d’elle. Combien de temps pourrait-elle supporter cela ? Elle murmura un juron en jetant un autre morceau de bois calciné sur le tas déjà haut. – Qu’est-ce que vous dites, miss Maggie ? Levant la tête, elle eut la surprise de découvrir Spence Wilson et Charlie Blain. Leur chapeau à la main, ses anciens employés arboraient tous deux un air gêné et évitaient soigneusement de regarder le tas de décombres noirâtres. – Qu’est-ce que vous voulez, tous les deux ? leur demanda-t–elle en s’essuyant le visage avec son bandana. – Eh bien, nous avons parlé ensemble, commença Spence, et nous aimerions bien revenir travailler au Crescent Moon. – Si vous voulez encore de nous, ajouta Charlie, qui n’osait pas lever les yeux de ses bottes. Elle les considéra, surprise. – Et pour quelle raison ? – On aimait bien le salaire que Greeley nous versait, mais les bruits qui courent sur son compte ne nous plaisent pas. Les gens disent qu’il a décidé de vous briser pour s’emparer de votre propriété. Spence jeta un coup d’œil de biais sur le tas de décombres. – Ce qu’il fait n’est pas bien. Nous ne voulons rien avoir à faire avec lui. – Et en plus, ajouta Charlie avec un sourire, la cuisine là-bas n’arrive pas à la cheville de celle de Nana. Une bouffée d’optimisme gonfla le cœur de Maggie. Spence et Charlie connaissaient par cœur le fonctionnement du ranch, ils auraient vite fait de se mettre au courant des changements que Landon y avait apportés. Ils pourraient aussi le soulager des travaux les plus rudes qu’il se réservait afin d’épargner Hank et Willie. – Nous savons que vous avez un nouveau contremaître, reprit Charlie. Apparemment, il connaît son boulot, le ranch est impeccable à part… De nouveau, il détourna le regard du tas de cendres. Sur ces entrefaites, Hank, Willie et Landon arrivèrent ensemble dans la cour et se dirigèrent vers eux. Maggie s’efforça d’ignorer le bond que fit son cœur quand elle aperçut la silhouette longiligne de Landon, son jean poussiéreux et son Stetson familier. Rapidement, elle présenta les hommes les uns aux autres, essayant de faire comme si cela lui était parfaitement égal que Landon ne lui adresse pas le moindre regard. – Spence et Charlie reviennent travailler chez nous, annonça-t–elle avec un grand sourire. Landon demeura de marbre. Les bras croisés, il toisa les nouveaux arrivants, qui parurent quelque peu mal à l’aise sous son regard insistant. – Si vous alliez en ville avec Willie ? Vous rangerez vos affaires plus tard, suggéra Maggie aux nouveaux arrivants. – Bien, miss Maggie, approuvèrent les deux hommes d’une seule voix. Landon ne bougea pas d’un pas, obligeant ainsi les deux cow-boys à le contourner. Cette attitude arrogante irrita Maggie au plus haut point. – Tu peux m’expliquer ton comportement ? demanda-t–elle enfin. Tout au moins, si tu acceptes de m’adresser plus de deux mots d’affilée ! – Tu es certaine de vouloir embaucher de nouveau ces gens ? Merveille ! Landon venait de la gratifier d’une phrase entière. Elle fit un effort pour contenir sa mauvaise humeur. – Bien sûr. Je les connais depuis longtemps, ils sont sérieux et travailleurs. Grâce à leur présence, je vais pouvoir consacrer davantage de temps à Black Jack. – Je croyais que son dressage avait bien avancé. – Tout allait bien jusqu’à l’incendie. Depuis, il est redevenu craintif et me donne du fil à retordre.

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Une fois de plus, elle se rendit compte que ce qu’elle venait de dire convenait aussi bien à Landon qu’à Black Jack. Le principal intéressé s’en rendrait-il compte ? – Il paraît que tu as eu un coup de fil du shérif ce matin ? s’enquit Landon. – Oui. Gage pense que l’incendie est dû à un court-circuit. Puis, comme elle savait que c’étaient Landon et Willie qui avaient fait l’installation électrique et qu’elle ne voulait pas qu’ils se reprochent quoi que ce soit, elle ajouta : – L’installation avait été approuvée sans problème par les services techniques, il a donc conclu à un accident. – Tu veux le reconstruire tout de suite ? – Oui. Avec trois cow-boys à demeure, je peux envisager cela calmement. – Les ouvriers temporaires ne sont pas ta tasse de thé, c’est ça ? Elle le regarda bien en face. – Non, en effet. Un moteur de voiture se fit entendre, et une jeep portant l’emblème du shérif apparut dans la cour. – Je vois que tu as de la visite, déclara Landon, je te laisse recevoir tes invités. Sur ce, il tourna les talons et partit en direction de sa maison.

*** – Qu’est-ce que tu es en train de fabriquer ? En entendant la voix de Willie, Landon, qui était occupé à bourrer son sac de ses vêtements, suspendit son geste un instant. – Je plie bagage. – Ça, je le vois bien. Mais pourquoi ? – Il est temps que je parte. – Tu pars ? Décidé à ignorer la mine interdite de Willie, Landon se dirigea vers la salle de bains afin d’y rassembler ses affaires de toilette. Désormais, chaque matin et chaque soir, il s’obligeait à prendre une douche glacée dans l’espoir que cela lui ferait oublier les moments qu’il avait passés là avec Maggie, à savonner son corps ravissant dans la vapeur parfumée de savonnette et de transpiration amoureuse. Hélas, cela ne servait à rien. Strictement rien. – Tu crois que c’est une bonne idée ? s’enquit Willie. – Question de point de vue. Sans s’étendre davantage, il continua de bourrer son sac. Son ami Bryce, l’avocat, l’avait rappelé la veille pour lui annoncer qu’il s’était livré à l’enquête demandée quelques jours plus tôt et lui répéter ce que Maggie lui avait déjà dit le soir où ils avaient partagé une bière : Greeley était un personnage rusé qui ne commettait rien d’illégal. En fait, depuis quelque temps, il avait arrêté d’ennuyer la jeune femme. Landon ferma son sac en grosse toile. – Maintenant que vos deux cow-boys sont de retour, vous n’avez plus besoin de moi. – Ça, c’est du baratin, mon ami ! – J’avais pris ce travail de façon temporaire, pour soigner Winner et permettre à Hank de se remettre de son accident. Mission accomplie, puisque les deux se portent maintenant comme un charme. Par conséquent, il est temps que je m’en aille. Tout à coup, il eut la surprise de sentir la main de Willie se poser sur son épaule. – Crois-moi, fiston, tu n’y échapperas pas en fuyant toujours plus loin. – Je ne sais pas de quoi tu me parles. – Bien sûr que si. J’ai fait la même chose que toi quand je suis rentré de Corée. J’ai arrêté mes études et abandonné la jeune fille à laquelle j’étais fiancé. Tout ça à cause des images abominables qui squattaient ma cervelle sans que je puisse tirer un trait dessus. – Et maintenant ? Elles sont parties ? – Non, mais j’ai appris à vivre avec. – C’est justement ce que je suis en train de faire.

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– Eh bien, n’attends pas trop pour y arriver, sinon la vie tournera sans toi. Et, quand tu reviendras, il sera trop tard. – Willie, je peux te demander de me rendre un service ? – Volontiers. – Si tu pouvais accrocher le van à mon pick-up. – D’accord. Mais toi, ne pars pas sans dire au revoir. Elle mérite au moins ça. Elle ? A laquelle des trois femmes Willie faisait-il allusion ? Maggie ? Nana ? Anna ? Toutes les trois avaient su trouver le chemin de son cœur. Maggie, surtout, évidemment. Mais il n’était pas l’homme capable de lui offrir ce qu’elle méritait. Ni maintenant ni jamais.

*** – Qu’est-ce que tu sais exactement au sujet de ton nouvel employé ? La tasse de café que Maggie tendait à Leeann trembla légèrement. Elle avait été très surprise quand son amie s’était déclarée enchantée que Nana et Anna soient parties faire des courses en ville et lui avait annoncé qu’elle était chez elle en mission commandée par le shérif. – Pourquoi me poses-tu cette question ? Je t’ai déjà raconté la semaine dernière quand nous avons déjeuné ensemble à quel point il connaît son métier et me rend service. – C’est vrai, mais ce n’est pas ce que je te demande. Qu’est-ce que tu sais de son passé, des ranchs où il a travaillé avant de venir au Crescent Moon ? – Il m’a remis son C.V. avec toutes les adresses. – Mais, bien entendu, tu n’as rien vérifié. Elle se mordit la lèvre avant de répondre. – Qui te l’a dit ? – Je te connais bien, déclara Leeann avec un soupir. Malgré tout ce que ton père et ton ex-mari t’ont obligée à supporter, tu es restée la femme la plus confiante du pays. Maggie serra sa tasse dans ses mains, comme pour y puiser le courage qui lui manquait. – Parle-moi franchement. – Eh bien, je pense que tu as été menée en bateau. Tu as laissé un étranger prendre ton ranch en main… – Stop ! C’est moi la patronne ici, moi et personne d’autre. – Tu n’as cessé de dire qu’il avait des tas de bonnes idées et qu’il avait changé beaucoup de choses. – Oui, mais jamais sans mon accord. – Et où crois-tu qu’il piochait ces idées géniales ? Leeann sortit de sa sacoche une chemise en carton. – J’ai ici tout ce qui concerne ta déclaration d’incendie, plus un dossier complet sur Landon Cartwright. Est-ce que tu sais qu’il est propriétaire pour moitié d’un ranch immense au Texas ? – Oui. Ce ranch s’appelle Still Waters. – Il t’en a parlé ? – Oui, quand il a organisé la vente de mes chevaux à son frère qui s’occupe de leur ranch. – Et ça ne t’a pas paru bizarre qu’un homme qui possède son propre ranch loue ses services comme journalier à des milliers de kilomètres de chez lui ? – Il m’a dit que… Un coup frappé à la porte interrompit Maggie. Elle se leva pour répondre et eut la surprise de découvrir Kyle Greeley. – Il faut que je te parle, déclara celui-ci. – Si c’est au sujet des deux ouvriers qui t’ont quitté pour revenir travailler chez moi, tu peux considérer la conversation comme terminée. – Non, ce n’est pas d’eux qu’il s’agit, mais de toi et Cartwright. – Toi aussi ? Greeley profita de sa surprise pour pénétrer dans la cuisine. – Qu’est-ce que tu veux dire ?

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– Rien. Et, comme tu le vois, j’ai déjà de la visite. Donc, dépêche-toi, je t’accorde cinq minutes. – J’ai des informations importantes à te communiquer au sujet de Cartwright. – Je sais sur lui tout ce que j’ai besoin de savoir. – Tu sais qu’il a été accusé d’avoir provoqué l’incendie où sa femme et sa fille ont trouvé la mort ? – Tu dis n’importe quoi. Greeley fit un pas en avant. – Non. Je suis venu t’informer que je m’inquiète pour toi depuis l’incendie. Je sais que tu as engagé Cartwright parce que tu as bon cœur, mais c’est un beau parleur. Il m’a embobiné avant toi, mais il faut que tu… – Non ! répéta Maggie en reculant loin de la main que son voisin lui tendait. Je ne peux pas croire ce que tu me dis. – Il a fait de la prison, Maggie. Tu ne peux pas garder quelqu’un de cet acabit dans ton ranch. Pense à ta fille, pense à toi aussi. Laisse-moi m’occuper de lui. Je te promets de faire place nette. Leeann se rapprocha et prit le relais. – Ce que dit Kyle est vrai, Maggie. – Il faut chasser ce bandit du Crescent Moon, répéta Greeley, plein de hargne. Leeann le regarda avec autorité. – Cela suffit maintenant, Greeley. Vous avez dit ce que vous aviez à dire. Laissez-nous, maintenant. – Je souhaite seulement rendre service… – Suffit ! Sortez tout de suite de votre plein gré, sinon j’emploie la contrainte. Maggie secouait la tête, comme pour nier tout ce qu’elle venait d’entendre. – Partez, tous les deux ! Vous me racontez des mensonges. Je ne veux plus rien entendre. Tout ce que vous dites est faux. – Non, Maggie. Elle sursauta et tourna la tête. Landon se tenait sur le pas de la porte, son chapeau à la main. – Désolé, Maggie. Tout est vrai. D’un bout à l’autre.

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- 15 - Maggie se sentait à bout de nerfs. – Leeann, Kyle, je vous prie de bien vouloir sortir de chez moi. Tout de suite. – Pas question, protesta Kyle. – Leeann, reprit-elle, en tant qu’adjointe du shérif, je te demande de faire partir M. Greeley immédiatement. – Allons, dit son amie en prenant Kyle par le bras. Puis, se tournant vers Landon, elle ajouta : – A votre tour maintenant de plaider votre cause. Landon ne répondit rien. Leeann se retourna au moment de quitter la pièce. – Si tu as besoin d’aide, Maggie, n’hésite pas à m’appeler, je reste dans les parages. Maggie approuva d’un signe de tête et se retrouva seule dans la cuisine avec Landon. « Il m’a menti. Il m’a menti… » Les mots résonnaient dans sa tête comme un glas. La pièce se mit à tourner autour d’elle. Elle ferma les yeux et se raccrocha à la table pour ne pas perdre l’équilibre. – Maggie… Landon fit un pas vers elle. Les trois premiers boutons de sa chemise laissaient apercevoir sa peau bronzée. Pourquoi diable faire attention à des détails de ce genre en un moment pareil ? – Arrête, commanda-t–elle. Ne t’approche pas de moi. Ne me touche pas ! Elle voulait connaître la vérité, mais il lui fallait de l’air, tout de suite, car elle étouffait tout à coup dans l’espace confiné de la cuisine. Il lui semblait que Landon la remplissait totalement avec sa haute taille, son parfum de foin coupé et le souvenir de tous les repas qu’ils avaient pris en famille dans cette pièce. Comment allait-elle expliquer tout cela à Nana, à Anna ? – Suis-moi, proposa-t–elle. Elle se dirigea vers le grand tilleul qui ombrageait la cour. Une fois arrivée à l’ombre fraîche, elle s’arrêta et se tourna vers Landon. – Tu me dois des explications. Landon ne se déroba pas. – Ce que t’a dit Greeley est vrai. J’ai été condamné pour incendie volontaire. Une violente nausée souleva l’estomac de Maggie. – Explique-toi davantage. – J’ai été accusé d’avoir provoqué l’incendie au Still Waters. Tout à coup, plusieurs morceaux du puzzle que représentait pour elle la vie de Landon se mirent en place. – C’est pour cette raison que tu as quitté ton ranch il y a quatre ans. Et, au lieu de parcourir le pays comme je le croyais, tu as passé tout ce temps en prison ! Landon hocha la tête. – Comment se fait-il que tu aies été libéré si vite ? C’est une accusation très grave que celle qui a été portée contre toi. Je ne vois pas… Soudain, les mots se bloquèrent dans sa gorge. Elle venait de s’apercevoir que le van de Landon avait été accroché à son pick-up et que Willie y conduisait Winner. Elle s’avança vers le pick-up, jeta un coup d’œil à l’arrière et aperçut les affaires de Landon. Mon Dieu, il quittait le ranch ! Elle se tourna vers lui. – Après tout, quelle importance que je connaisse la vérité ou non ? Tu t’en vas, la page est tournée. – Le moment est venu pour moi de partir, Maggie. Nous avons toujours su l’un et l’autre que je

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n’étais au Crescent Moon que pour quelque temps. – Et ce « quelque temps » vient de se terminer, si je comprends bien ? Elle lui avait jeté les mots à la figure, le cœur tordu de désespoir. Jamais elle n’avait autant souffert. Ni la dureté de son père, ni les infidélités d’Alan ne lui avaient fait autant de peine. Pour la première fois de son existence, elle se sentait complètement démunie face à la dureté de la vie, totalement abandonnée. Allons, après le départ d’Alan, elle avait réagi et avait fini par se persuader que tout était pour le mieux puisqu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre. Elle ferait pareil cette fois-ci, même si cela lui demandait un peu plus de temps. Oui, cette fois, il lui faudrait plus de temps pour retrouver confiance. Toute la vie, peut-être. Elle rejeta ses cheveux en arrière, résolument. Tant pis pour elle si elle avait été assez inconsciente pour permettre à cet homme de prendre autant de pouvoir sur elle. Il fallait payer ? Très bien, elle payerait le juste prix, voilà tout. Elle réussirait. Elle chasserait cet homme de sa tête et de sa vie ! Le meilleur moyen pour y parvenir était de laisser la colère prendre la place de la douleur. Et pourquoi pas la fureur ? La rage ? Autant d’alliées contre les peines de cœur. Une question pourtant lui brûlait les lèvres. – Finalement, tout ce que tu as fait ici, tout ce qu’il s’y est passé, demanda-t–elle en rougissant, cela ne signifie rien pour toi ? – Non. – Alors, fiche le camp, ordonna-t–elle, les dents serrées. Tout de suite. Sans adresser un regard de plus à Landon, elle se détourna et fila vers la grange. Après tout, l’essentiel était qu’il ne sache jamais à quel point elle était blessée. Battre en retraite aussi vite que possible, c’était le seul moyen à sa disposition pour cacher les larmes qui l’aveuglaient. D’un pas ferme, elle se dirigea vers Black Jack qu’elle avait sellé rapidement ce matin en prévision de la leçon de dressage. Elle ouvrit la porte du corral, enfourcha l’étalon et partit tout de suite au grand galop. Landon cria son nom, mais elle ne se retourna pas. Le son de sa voix lui était devenu odieux.

*** Landon dut planter ses pieds fermement dans le sol pour résister à l’envie de courir derrière Maggie. Il venait de la blesser profondément. Sans doute éprouvait-elle la même atroce douleur que lui… Pas de sentimentalisme. Il avait fait pour le mieux. Tout au moins, en ce qui la concernait. Un bruit de voiture qui entrait dans la cour le ramena au présent. C’était Nana qui rentrait des courses. – Seigneur Dieu ! Que se passe-t–il ? demanda celle-ci en apercevant le pick-up au milieu de la cour et Winner prêt à monter dans le van. Vous ne nous quittez pas, tout de même ? – Si, je pars. Le sourire disparut du visage de la vieille dame. – Mais… Pourquoi donc ? – Il me semble que le moment est venu. – Maggie est au courant ? – Oui. Une fusée vivante jaillit alors du véhicule, nattes au vent, pour se précipiter vers lui. Il eut tout juste le temps de s’agenouiller pour accueillir Anna. – Non, Landon, tu ne pars pas ! Nous avons besoin de toi ici. – La vérité sort de la bouche des enfants, déclara Nana, sentencieuse. Les yeux clos, luttant contre une puissante détresse, il serra très fort contre lui la fille de Maggie au lieu de prendre congé de façon mesurée comme il l’aurait dû. Il le savait, l’ombre de Sara et la douleur qui l’accompagnait allaient immanquablement se superposer à l’enfant bien vivante qu’il

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tenait dans ses bras. Il attendit, mais rien ne se produisit. Anna, vive et tiède, l’accaparait tout entier. Au cours des semaines précédentes, il avait remarqué que la souffrance causée par le souvenir de sa propre enfant s’atténuait en présence d’elle jusqu’à ne presque plus se manifester. A ses yeux, cet apaisement était un mauvais signe, car il signifiait qu’Anna et Maggie s’étaient glissées toutes deux dans les failles de son cœur jusqu’à les colmater et éradiquer sa douleur familière. Il ne pouvait pas s’autoriser cet oubli. – Désolé, Anna, il faut que je parte. A contrecœur, il ouvrit les bras pour l’éloigner de lui. – De toute façon, avec Spence et Charlie, vous ne manquez plus de main-d’œuvre, maintenant. – Mais ça m’est égal ! Je veux que tu restes ! Il s’éclaircit la voix. – Tu sais, dans la vie, on ne fait pas toujours ce qu’on veut. – Et parfois on est trop bête pour voir plus loin que le bout de son nez, compléta Nana, le visage sérieux. Il se tourna vers la vieille dame. – Ce que je fais est pour le mieux. – Je ne partage pas votre avis. Nana tendit deux sacs à son arrière-petite-fille. – Anna, rentre ceci, s’il te plaît. Je te rejoins dans un instant. – Landon, tu vas me manquer beaucoup, renifla Anna en obéissant à son arrière-grand-mère. Vraiment beaucoup. Une boule s’était formée dans la gorge du cow-boy, si grosse qu’il eut de la peine à articuler : – Prends bien soin des chatons. – Oui, bien sûr, répondit-elle d’une petite voix. Une fois que la fillette se fut éloignée, Nana reprit la parole. – Je veux vous remercier pour tout le travail que vous avez accompli ici. Et pour la vente des chevaux au ranch de votre frère. Maggie m’a parlé du Still Waters. J’espère qu’entre cette vente et l’argent qu’elle touche pour le dressage de Black Jack il y en aura assez pour satisfaire Greeley. Landon fronça les sourcils. – Je ne comprends pas ce que Greeley a à voir là-dedans. – Maggie ne vous a pas dit qu’il occupe un poste clé à la banque ? – Non. – Je suis peut-être en train de parler plus que je ne devrais, mais après tout ce n’est pas la première fois ! On m’a toujours dit que j’avais la langue trop longue… Sachez donc que Greeley a désormais tout pouvoir pour devenir propriétaire du Crescent Moon si Maggie ne règle pas ses échéances rubis sur l’ongle. Et tout ça, à cause de son bon à rien de mari à qui elle doit racheter ses parts de la propriété ! – Je ne savais pas que Greeley avait acquis cette position à la banque. Elle ne m’en a jamais parlé. – Elle est pourtant très inquiète au sujet des règlements à venir. Mais bon, je comprends que vous ayez vos propres soucis. – Je peux faire quelque chose pour vous aider ? Nana saisit un panier qui se trouvait sur son siège et fit un petit geste de la main comme pour éloigner une mouche importune. – Plus tôt vous partirez, mieux ce sera. Inutile de lui faire encore plus de peine en vous attardant par ici. Il remarqua alors que des larmes brillaient dans les yeux de la vieille dame. Pour l’instant. Elle aurait tôt fait de les sécher quand Maggie lui aurait fait part de ce qu’elle venait d’apprendre sur son compte. A ce moment-là, au contraire, elle remercierait le ciel qu’il soit sorti de la vie de sa petite-fille. – Prenez bien soin d’elle, murmura-t–il. Puis, sans s’attendrir davantage, il attrapa à l’arrière du pick-up les sacs à provision lourdement

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chargés et les amena jusque sur le porche. Nana lui adressa un sourire triste. – Merci, Landon. Et maintenant, filez. – Au revoir, Nana. Merci pour tous vos bons soins. Ces derniers mots prononcés, il se dirigea la gorge serrée vers Winner, mais, avant de le faire monter dans le van, il prit tout de même le temps d’embrasser une dernière fois du regard le ranch où il venait de passer un mois riche en émotions. Le Crescent Moon avait bien changé depuis son arrivée, et son travail acharné n’y était pas pour rien. Il n’en était pas peu fier. Grâce à ce coup de pouce, Maggie aurait moins de mal à se maintenir la tête hors de l’eau – si toutefois Greeley ne lui mettait pas des bâtons dans les roues. Et alors ? Cela ne le concernait pas. Il n’était pas l’homme dont Maggie avait besoin. Elle lui avait demandé elle-même de quitter son ranch. Comme il levait les yeux, il aperçut un nuage de poussière s’élever sur le chemin derrière la maison principale. Quelqu’un galopait très vite. Trop vite, lui sembla-t–il. Ce devait être Maggie qui revenait, furieuse qu’il s’attarde sur sa propriété. Vite, il attrapa la longe de Winner pour l’installer dans le van et disparaître le plus rapidement possible. Mais, troublé, il n’acheva pas son geste. Il se passait quelque chose d’anormal. Maintenant que le cheval s’était rapproché, il apercevait son galop désuni, ses naseaux dilatés, comme si… Une épouvante soudaine s’empara de lui. Tandis que Black Jack continuait son galop fou vers la grange, il se précipita vers le corral et se planta face à l’animal, les bras levés en croix. – Tout doux, Black Jack. Doucement. Doucement…, répétait-il d’une voix aussi calme que possible. Le cheval ralentit. Ses rênes flottaient sur son encolure, la selle était vide. La bouche sèche d’angoisse, Landon continua de lui parler doucement. – Doucement, Black Jack. Tout doux, mon beau. Personne ne te fera de mal… Calme-toi… Le mustang était trempé de sueur, mais il remarqua un filet de liquide sombre qui coulait aussi de dessous la selle. Du sang. Au moment où Black Jack passait à côté de lui, Landon réussit à attraper sa bride, ce qui lui permit de guider l’animal vers le corral. Une fois l’étalon enfermé, il appela. – Nana ! Willlie ! Tous deux arrivèrent aussitôt. – Appelez le shérif, le vétérinaire et le médecin, nous aurons besoin de tout le monde. Black Jack est blessé. Maggie est partie avec lui, mais il lui est arrivé quelque chose. Je pars à sa recherche. – Je t’accompagne, cria Willie. – Non, occupez-vous tout de suite de Black Jack. S’il lui arrivait malheur, Maggie serait désespérée, elle a tout misé sur lui. Sur ce, il sauta sur le dos de Winner, qui démarra comme une flèche dans la direction d’où venait le mustang. Le Crescent Moon s’étendait sur des dizaines d’hectares. Où pouvait-elle bien se trouver ? Tout en suivant de son mieux la trace de Black Jack, il scrutait les fossés et les chemins avoisinants dans l’espoir d’y découvrir une Maggie sur le chemin du retour, dépitée d’avoir été éjectée par sa monture comme une cavalière novice. Mais rien. Nulle part. A un moment donné, il s’aperçut qu’il était arrivé à proximité des contreforts des monts Laramie. Ce nom ramena à sa mémoire une des nombreuses histoires que lui avait contées Willie, selon laquelle Maggie adorait se promener dans ce coin de la propriété quand elle était enfant. Serait-elle allée se réfugier là-bas ? Winner avait ralenti sa course depuis que les buissons avaient laissé la place à d’épais genévriers et

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à des sapins. Ils avancèrent un moment sur un sentier escarpé qui surplombait un ravin, puis le sentier descendit un peu, remonta de nouveau, jusqu’à ce qu’ils atteignent une crête. Et là, il aperçut un chapeau de cow-boy accroché à un rocher. – Maggie ! Il appela plusieurs fois, puis, pénétré d’un mauvais pressentiment, il se décida à descendre de cheval. Afin de mieux explorer le ravin, il se coucha à plat ventre tout au bord. Ce fut de là qu’il repéra Maggie étendue sans connaissance sur une petite plate-forme, plusieurs mètres en dessous. – Maggie, tu m’entends ? Pas de réponse. Maggie ne bougeait pas. Il fouilla dans ses poches à la recherche de son téléphone, mais il les trouva vides et se souvint qu’il l’avait laissé dans son pick-up. Son départ précipité ne lui avait pas permis de le prendre avec lui. Quelle sottise ! De toute évidence, Maggie avait besoin de recevoir des soins, et il n’avait aucun moyen d’appeler des secours. Tout en se maudissant de son étourderie, il tourna le dos au ravin, laissa glisser ses jambes le long de la paroi contre laquelle il plaqua sa poitrine, et il commença à descendre lentement, attentif à ne pas glisser, insouciant des cailloux pointus qui le blessaient. Quelques instants plus tard, il était auprès de la jeune femme, soulagé de sentir sur sa joue son souffle léger. – Maggie, mon amour, je suis là. Je t’en prie, réveille-toi ! Tout doucement, il écarta de la main les cheveux qui cachaient le visage aux yeux clos, puis tâta délicatement le crâne sur lequel il découvrit une énorme bosse. Quand il retira sa main, il s’aperçut qu’elle était tachée de sang. Comment lui porter secours ? Il regarda désespérément autour de lui, puis, en entendant Winner piaffer au-dessus de lui, il se souvint d’un vieux tour qu’il avait appris autrefois à l’étalon, et dans lequel celui-ci excellait. Il émit un sifflement aigu, auquel l’animal répondit par un hennissement. Alors, il cria bien fort : – A la maison, Winner. A la maison ! Après un nouveau sifflement, il entendit le cheval partir au trot, puis au galop. Restait à espérer qu’il retrouverait le chemin du ranch. Sans doute était-on parti à leur recherche maintenant ? Quelqu’un le rencontrerait peut-être en route. Après avoir envoyé Winner en émissaire, il reporta son attention sur Maggie, qui n’avait toujours pas repris connaissance. – Maggie. Maggie chérie… La jeune femme ne bougeait toujours pas. Il se pencha sur elle pour la protéger du soleil. – Je t’en prie, Maggie, mets-toi en colère ! Je suis toujours chez toi, je ne t’ai pas obéi. Malgré son silence, il continua de lui parler. – Maggie, tout le monde a besoin de toi au ranch. Il faut que tu te réveilles. Tes cow-boys sont de retour, tu vas continuer le dressage de Black Jack… Tout ira bien, tu verras. Combien de temps demeura-t–il ainsi, près d’elle, à lui parler, à lui caresser le front ? Il n’aurait su dire. Il se sentait si démuni, si inutile, qu’il avait envie de pleurer. – Tu es l’âme du Crescent Moon. Sans toi, il n’est rien. Et lui ? Sans elle, il n’était rien non plus… C’était la stricte vérité. Leur rencontre l’avait ramené à la vie. Depuis l’incendie de Still Waters, il était comme mort. Son cœur s’était endurci, il n’avait fait que survivre. Jusqu’à ce que son chemin croise celui de cette femme. Elle, sa famille et son ranch en faillite lui avaient rendu le goût de vivre. Un bruit de sabots lui fit lever la tête. Des voix crièrent son nom. Il se releva d’un bond. – Nous sommes ici, en contrebas. Bientôt, trois têtes se penchèrent vers eux : Hank, Willie et le shérif Steele. – Comment va Maggie ? – Elle est inconsciente, mais je crois qu’elle n’a rien de cassé.

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– Je vais descendre avec le médecin qui m’accompagne. – Impossible, cria-t–il. Il n’y a pas assez d’espace pour tout le monde sur cette plate-forme. – Vous n’avez qu’à remonter pour nous laisser la place. – Pas question ! Je reste avec Maggie. Envoyez le toubib, nous attacherons Maggie, et vous la hisserez là-haut. Steele ne discuta pas davantage. Il disparut de la vue de Landon, qui l’entendit crier des ordres. Quelques instants plus tard, une corde descendait vers lui à laquelle était attaché un grand panier, suivie bientôt d’une paire de bottes noires. C’était le médecin qui descendait, muni d’une couverture de survie. Ensemble, ils enveloppèrent Maggie dans la couverture et l’attachèrent dans la corbeille, qu’ils maintinrent en équilibre le plus longtemps possible pendant que Willie et le shérif la remontaient sur la crête. Lorsque la corde redescendit, le médecin s’y agrippa pour remonter, puis ce fut le tour de Landon. En haut, la large main du shérif se tendit pour l’aider à se hisser à son côté. – Merci, dit Landon. Comment va Maggie ? – Le médecin est en train de l’examiner. Depuis combien de temps est-elle évanouie ? – Je ne sais pas. Peut-être une heure. Comment nous avez-vous trouvés ? – Nous avons rencontré votre cheval. – Nous allons pouvoir conduire Maggie à l’hôpital, déclara le médecin. Je viens de lui faire une piqûre qui va l’aider à reprendre conscience. Effectivement, quelques instants plus tard, ils entendirent un gémissement. Tous se tournèrent vers Maggie qui entrouvrit les yeux, les referma, puis les ouvrit de nouveau. Le médecin se pencha sur elle. – Allez, Maggie, réveille-toi ! Cette fois-ci, le regard vert se fit plus stable. – Tu peux me dire comment tu t’appelles ? demanda le médecin. – Oh, ça va, Ronny ! Je m’appelle Maggie, et je t’ai flanqué une sacrée raclée quand nous étions au C. M. 2. – C’est vrai, approuva le médecin en riant. Je vois que tu as recouvré tes esprits. Un soulagement intense pénétrait Landon au fur et à mesure qu’il voyait le regard de Maggie reconnaître les visages qui l’entouraient. Mais, lorsqu’elle arriva à lui, elle fronça les sourcils. – Qu’est-ce que tu fais ici ? Je t’avais demandé de partir. – Du calme, Maggie ! intervint le médecin. Repose-toi, vous réglerez vos comptes plus tard. Pour le moment, nous filons à l’hôpital. Landon sentit son cœur se serrer lorsqu’il vit la jeune femme détourner les yeux sans un mot de plus. – Restez avec moi un instant, dit le shérif, il faut que je vous parle. – A quel sujet ? – Mon assistant vient de me téléphoner pour m’apprendre qu’on a retrouvé une pointe de métal enfoncée dans la selle de Black Jack. Tant que Maggie est restée au grand galop, penchée en avant, il ne l’a pas sentie, mais quand elle s’est assise sur la selle pour ralentir… – La pointe s’est enfoncée dans le dos de Black Jack ! termina Landon, fou de rage. Et vous pensez que c’est moi l’auteur de cette action d’éclat ? – Je n’en sais rien, mais il faut que j’interroge toutes les personnes en relation avec le ranch. A commencer par vous. Landon regarda Maggie partir pour l’hôpital dans le pick-up que le médecin avait amené à proximité, escortée par Willie. Il s’efforça de respirer profondément afin de garder son calme, car l’envie de sauter sur Winner pour les accompagner lui paraissait quasi irrépressible. Lorsqu’il se retourna vers le shérif, il eut la surprise de découvrir que celui-ci avait pris la peine de ramasser son Stetson, et il fut encore plus étonné quand il lui tendit la main en un geste très officiel. – Gage Steele, shérif de Destiny. Landon lui serra la main.

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– Landon Cartwrighy, ancien détenu. – Je sais qui vous êtes, monsieur Cartwright, j’ai eu votre dossier entre les mains. La justice ne revient pas sur une décision sans raison. Si l’on vous a relâché, c’est que vous êtes un homme honnête. Je suis désolé que vous ayez perdu votre famille dans l’incendie. Landon garda un instant la tête baissée tant cette conversation le surprenait. Puis, voyant le shérif enfourcher sa monture, il en fit autant et prit le cheval de Willie par la bride afin de le ramener au ranch. – Est-ce que par hasard vous auriez une idée sur la façon dont ce morceau de métal est allé se loger sous la selle de Black Jack ? demanda Steele. D’un geste de l’index, Landon releva le bord de son Stetson. – Moi, non. Mais vous pourriez peut-être poser la question à Kyle Greeley ?

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- 16 - « Je ne mérite pas que tu m’aimes. » Cette phrase prononcée par Landon quelques jours plus tôt n’avait cessé de hanter Maggie pendant toute la nuit qu’elle avait passée à l’hôpital. Chaque fois qu’elle sombrait dans le sommeil, ces mots lui revenaient avec autant de force que si elle venait de les entendre. Et maintenant qu’elle était de retour chez elle, couchée dans son lit et dorlotée par Nana, c’était encore pire. Elle porta la main au pansement qui lui recouvrait le crâne, puis ferma les yeux pour mieux se remémorer les événements qui avaient précédé son accident. Voyons, elle se rappelait très bien être partie sur un coup de colère, debout sur les étriers pour permettre à Black Jack de galoper plus vite. C’est seulement bien loin du ranch que, un peu calmée, elle s’était assise sur la selle. Black Jack avait alors poussé un hennissement de douleur, s’était cabré avec une violence inouïe, comme pour se débarrasser de quelque chose, et, malgré son expérience de cavalière chevronnée, elle avait été projetée dans les airs. Elle en était là de son évocation lorsque quelqu’un frappa à la porte de sa chambre. Puis, une voix pleine de gaieté lança : – Coucou ! Je peux venir te tenir compagnie un moment ? Maggie ouvrit les yeux et découvrit dans l’embrasure de la porte un énorme bouquet de ballons multicolores qui cachait presque totalement le visage de Racy. – Bien sûr, répliqua-t–elle en souriant. Racy entra et lâcha les ballons, qui s’élevèrent dans la pièce comme autant de joyeux messages d’amitié. Puis elle rapprocha un fauteuil du lit et s’installa à côté d’elle. – Je vois que mon idée t’a plu. – Oui, et Anna va adorer ! – Comment est-ce que tu te remets de ta voltige ? – Très bien. On m’a mis quelques points à la tête, j’ai des bleus et des bosses un peu partout, mais franchement je m’en tire à bon compte. – Et Black Jack ? – Lui aussi va bien. J’espère seulement que le shérif mettra la main sur la personne qui a osé commettre un acte aussi ignoble. – Tu te sens le courage de continuer à t’occuper de lui ? – Bien sûr. Il me faudra sans doute reprendre les bases, mais Tucker Hargrove à qui j’ai téléphoné pour le mettre au courant de l’accident m’a assuré qu’il me faisait entièrement confiance et ne me tenait pas du tout pour responsable de ce qui s’est passé. Heureusement ! Tu sais que je parie gros sur le dressage de ce cheval. – Je crois que pour l’instant sa fille lui cause plus de soucis que Black Jack. Il paraît qu’elle fait les quatre cents coups et lui donne bien du fil à retordre. – Bah, il faut que jeunesse se passe… Tiens, à propos de jeunes filles, voici celle que je préfère entre toutes ! Anna, qui venait d’entrer dans la chambre, se mit à battre des mains en apercevant les ballons multicolores. – Oh, que c’est joli, tous ces ballons ! C’est toi qui as eu cette idée, Racy ? J’adore ! Maggie lui sourit tendrement. – Après le repas, tu pourras choisir ceux que tu préfères et les amener dans ta chambre. – Super ! Merci à toutes les deux. Au fait, maman, Nana m’envoie pour te dire que le dîner est prêt. – Ah. Qui va se trouver à table, ce soir ? – Willie, Hank, Spence, Charlie et Landon. – Landon aussi ? – Oui. – Ecoute, ma chérie, j’ai un peu mal à la tête. Tu peux s’il te plaît demander à Nana de me préparer un plateau que tu me monteras ?

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– Pas de problème, répondit Anna, qui sortit en dansant. Racy considéra Maggie. – Tu évites Landon ? – Oui. Je lui avais demandé de quitter le ranch. Je ne comprends pas pourquoi il est toujours ici. – Peut-être pour les mêmes raisons que celles qui lui ont fait passer la nuit dernière devant la porte de ta chambre d’hôpital ? – Qu’est-ce que tu dis ? – La vérité. Je suis venue te voir après mon travail au bar. Il devait être 2 heures du matin, et j’ai trouvé Landon ratatiné sur une de ces horribles chaises en fer, comme s’il montait la garde devant ta chambre. Après ça, tu ne vas pas me faire croire qu’il n’y a rien entre lui et toi ? Maggie se frotta les yeux. Landon avait passé la nuit à l’hôpital ? Pourquoi est-ce que personne ne le lui avait dit ? Décidément, elle n’y comprenait plus rien. Cet homme lui avait assuré que faire l’amour avec elle ne comptait pas, qu’il ne pouvait pas l’aimer et, malgré cela, après lui avoir sauvé la vie, il avait passé la nuit recroquevillé sur une chaise inconfortable sans rien dire à personne ? Non, elle ne savait plus du tout que penser. – Racy, je t’assure qu’il n’y a rien. En tout cas, que c’est fini. – Ah, voilà pourquoi le van de Winner est attaché à son pick-up dans la cour. – J’ai mis Landon à la porte du Crescent Moon. Il devrait déjà être parti, sauf que… – Un détail, en effet, ironisa Racy : entre-temps, il t’a sauvé la vie. Tu peux m’expliquer pourquoi tu l’as viré ? Sur ces entrefaites, on frappa à la porte, et Nana entra avec un plateau. – Voici ton dîner, ma chérie. Je voulais te dire aussi que le shérif et Leeann viennent d’arriver, et je ne pense pas que ce soit pour une visite de politesse. A ces mots, le visage de Racy se ferma aussitôt. – Bon, eh bien, je file. A bientôt, Maggie. – C’est impossible pour l’instant, reprit Nana. Sa voiture bloque la tienne. – L’animal ! explosa Racy. Il y a suffisamment de place chez vous pour garer vingt voitures, mais il faut qu’il s’arrange pour me coincer ! – Tu as raison, Nana, répondit Maggie, indifférente à la colère de son amie, qui l’avait depuis longtemps habituée à pareilles escarmouches avec Gage Steele. Ils sont sûrement venus pour Black Jack. Je descends tout de suite. – Mais je croyais que tu voulais rester au lit ? – Plus maintenant. A la hâte, elle enfila le premier jean et le premier T-shirt qui lui tombèrent sous la main. – Je veux savoir exactement ce qui se dit. D’un geste machinal, elle jeta un coup d’œil dans le miroir pour remettre un peu d’ordre dans ses cheveux avant de quitter sa chambre. Horreur ! Avec cet énorme pansement, inutile de chercher à faire quoi que ce soit des quelques mèches qui s’échappaient du bandage. Elle ressemblait tout bonnement à la fiancée de Frankenstein. Cette réflexion lui donna envie de sourire, mais en même temps lui inspira une inquiétude sournoise. Est-ce que par hasard elle aurait envie de plaire à quelqu’un ? Elle considéra son œil gauche paré d’un dégradé de mauves du plus bel effet et décida finalement que ces questions de coquetterie la laissaient parfaitement indifférente. Et tant pis si elle savait que c’était complètement faux ! Une fois dans la cuisine, elle s’efforça d’éviter de regarder dans la direction de Landon, mais sans succès. Depuis ses bottes jusqu’au Stetson, le cow-boy était entièrement vêtu de noir. Il se tenait debout dans le coin le plus éloigné de la pièce, son attention fixée sur le shérif. Pourtant, il dut sentir la présence de Maggie dans la pièce, car il se tourna vers elle.

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Leurs regards se croisèrent et ne se quittèrent pas jusqu’à ce que Spence brise cette fascination réciproque en passant entre eux pour se rapprocher de Charlie. – Que nous vaut votre visite ? demanda alors Maggie à Gage et à Leeann. – Nous sommes ici en mission, répondit Gage en ôtant son chapeau, et je préférerais vous parler en particulier. Le regard de biais qu’il coula en direction de Racy ne lui échappa pas. – Si ce que vous êtes venu me dire concerne Black Jack, vous pouvez parler devant tout le monde, nous faisons cause commune dans cette affaire. Maggie avait pris appui sur le dossier d’une chaise pour parler. – Tu ne veux pas t’asseoir ? demanda Racy. Tu as une drôle de tête. – Oui, la tête de quelqu’un qui s’est ouvert le crâne en dégringolant dans un précipice. Mais peu importe, je vous écoute, Gage. Ce fut Leeann qui prit la parole. – Nous avons arrêté Steve Walker et Butch Dickens il y a quelques heures. Les deux hommes travaillaient chez Greeley. – Et pour quelle raison ? – Kali Watson, la vétérinaire, a identifié la pointe de métal enfoncée dans la selle de Black Jack. – Qu’est-ce que c’était ? – La molette en acier d’un éperon fait à la main, particulièrement agressif, qu’on ne trouve pas dans le commerce. Après quelques recherches sur Internet, j’ai pu remonter jusqu’au fabricant, qui nous a assuré n’en avoir vendu que trois paires dans la région. L’une d’entre elles avait été achetée par Butch Dickens. Dès que j’ai montré la pièce à conviction à ce dernier, il a accepté de me donner des renseignements si nous lui assurions une certaine indulgence devant la justice. Maggie se cramponnait à son dossier de chaise. Le regard de Landon ne la quittait pas, comme s’il craignait de la voir s’évanouir. Et il n’avait peut-être pas tort. Leeann lui jeta elle aussi un regard circonspect. – Il a avoué que lui-même et Stevens étaient les auteurs des dégradations perpétrées à l’encontre du Crescent Moon, reprit Gage. Depuis la détérioration des clôtures jusqu’au sabotage de la selle de Black Jack. En revanche, tous deux ont nié être responsables de l’incendie et de l’accident de Hank. Mais Gage et moi avons l’intention de rouvrir ce dossier, car ils ne sont pas les seuls cow-boys à travailler au Triple G. Il est fort possible que Greeley ait joué sur plusieurs tableaux. Chaque personne présente dans la cuisine arborait maintenant un air consterné. Maggie fit pivoter la chaise sur le dossier de laquelle elle s’appuyait pour s’y laisser tomber. – Mais pourquoi ont-ils fait tout cela ? – Ils obéissaient aux ordres de Greeley, que nous venons d’arrêter. Les charges qui pèsent contre lui sont lourdes, puisqu’elles vont jusqu’à la tentative d’homicide. Elle avait peine à croire à tant de méchanceté. Bien sûr, Kyle Greeley ne lui avait jamais caché qu’il voulait mettre la main sur le Crescent Moon, mais de là à commettre autant d’horreurs… La tête lui tournait, il lui semblait qu’un étau lui serrait les tempes, elle avait du mal à respirer. Comment avait-elle été assez naïve pour refuser de voir que les malheurs qui lui arrivaient n’étaient pas dus à la malchance mais à un plan abominable ? La voyant mal en point, Leeann lui prit une main et Racy l’autre. Maggie ferma les yeux et prit une profonde inspiration. – Ça va aller, murmura-t–elle, ne vous inquiétez pas. Effectivement, elle commençait déjà à se sentir mieux. L’espoir renaissait en elle peu à peu. Greeley était sous les verrous, tout irait bien désormais. Pour le ranch, tout au moins… Grâce à Landon qui avait su le remettre sur pied au cours de son séjour. Des yeux, elle fit le tour de la pièce, mais elle évita de s’attarder sur la haute silhouette sombre appuyée contre la porte. – Et pendant que nous jacassons, intervint Willie, nous laissons refroidir le bon repas que Nana a préparé pour nous ! Pendant que Hank appelait Nana, qui avait emmené la petite Anna dans le jardin pour lui éviter

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cette pénible conversation, Maggie insista pour que Gage et Leeann se joignent à eux. Ce ne fut qu’après le repas que Leeann s’approcha d’elle. – Tu peux me consacrer un moment ? Maggie opina, et toutes deux passèrent dans la pièce voisine. – Je n’ai rien voulu dire devant tout le monde parce que je ne sais pas exactement quelles informations tu as données, mais je suis en mesure de t’assurer que Greeley avait l’intention d’utiliser ce qu’il avait appris sur le passé de Landon Cartwright pour répandre les pires horreurs sur son compte. Heureusement que tu as gardé Landon chez toi, sans cela tu ne serais sûrement pas en vie à cette heure-ci ! L’estomac de Maggie se serra. – En fait, je l’ai mis à la porte. – Tu plaisantes ? – Non. S’il est encore ici, c’est uniquement parce que Black Jack est rentré tout seul à l’écurie juste avant son départ. – Tu veux dire que tu lui avais demandé de quitter le Crescent Moon après avoir appris qu’il avait fait de la prison ? – Oui. – Il ne t’a pas dit autre chose aussi ? – Non. Leeann soupira. – Ah, les hommes et leurs secrets ! Elle ouvrit le dossier qu’elle tenait à la main, en sortit un feuillet et le lui tendit. – Tiens, lis. Tu as besoin de connaître toute la vérité sur Landon Cartwright.

*** Landon se forçait à marcher en direction de son pick-up alors que ses jambes n’avaient qu’une envie : retourner vers la maison de Maggie. Il lui avait déjà fallu beaucoup de force pour résister à son envie violente de réagir quand le shérif et son assistante leur avaient raconté les événements des dernières vingt-quatre heures. Maggie était si faible encore, si pâle, et il avait une telle envie de la serrer dans ses bras ! Mais c’était impossible, il n’avait pas le droit. Maintenant que Greeley était en prison, elle allait reprendre son ranch en main, et tout irait pour le mieux. En entendant son coup de sifflet, Winner se rapprocha du portail du corral. Landon l’amena jusqu’au van, dans lequel il monta sans opposer de résistance. – Allez, mon vieux, c’est le moment de partir… – Sans dire au revoir ? Il se figea, la main sur le loquet. – Après avoir reçu mon congé deux fois dans la même journée, je ne vois pas pourquoi je traînerais ici plus longtemps. – Et la vérité ? Qu’est-ce que tu en fais ? demanda Maggie en lui brandissant une feuille de papier sous le nez. Comment peux-tu me quitter en me laissant croire que ce que tu m’as raconté est vrai ? Il retint un juron en reconnaissant le tampon du Texas sur l’en-tête du papier. – Parce que c’est vrai, tout simplement. Ma femme et ma fille sont mortes toutes les deux parce que je n’ai pas réussi à les sauver. – Mais enfin, tu ne peux pas te tenir pour responsable d’un accident ! J’ai la preuve ici que la justice a reconnu que cet incendie est bien un accident. Tu ne peux pas éternellement vivre dans le passé ! Il monta dans son pick-up et s’installa au volant. – Maggie, tout ira bien au Crescent Moon désormais. Je ne peux plus rien pour toi. – Si, tu peux rester. L’envie de céder à cette invitation lui traversa l’esprit à la vitesse de l’éclair, mais il la repoussa tout aussi vite. Il avait choisi la meilleure solution. Pour tout le monde. – Non, c’est impossible.

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Il mit le moteur en marche, desserra le frein à main. Maggie recula d’un pas. Le pick-up fit un bond en avant puis s’engagea sur le chemin qui menait à la grand-route. Landon jeta un coup d’œil dans le rétroviseur. Maggie se tenait debout devant le corral, les bras croisés. Incapable de détacher son regard, il poursuivit lentement sa route, et la dernière chose qu’il distingua d’elle, ce fut le pansement blanc qui surmontait son visage.

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- 17 - La quarantaine de convives rassemblés dans le jardin entonnèrent tous en même temps un « Joyeux Anniversaire » plein d’entrain en l’honneur de Nana. Très émue, Maggie regarda la petite Anna aider son arrière-grand-mère à souffler les bougies de son gâteau. En fait, étant donné le nombre de convives, il y avait deux gâteaux, et Anna avait d’abord demandé qu’il y ait autant de bougies que d’années. Mais Nana avait refusé, prétendant qu’une seule suffirait. Finalement, après de longues négociations, elles étaient arrivées à un accord leur convenant à toutes les deux : une bougie pour deux années. Au moment où Maggie s’avançait pour découper les gâteaux, une guitare et un violon commencèrent à jouer, ce qui n’était que le prélude à une longue soirée de fête. Elle ne dormirait pas beaucoup cette nuit. Mais, en fait, cela ne changerait guère depuis que… Elle soupira. Allons, elle savait ce qu’il lui restait à faire, et elle allait le faire très bientôt. Willie s’était rapproché d’elle. – Maggie, il est grand temps que tu réagisses. Le ranch n’est plus le même depuis que ton cow-boy est parti. – Ce n’est pas mon cow-boy ! Ni l’un ni l’autre n’avaient prononcé le nom de Landon, mais ils savaient tous deux fort bien de qui ils parlaient. – J’ai décidé d’aller au Still Waters à la fin de la semaine pour y amener les chevaux qui ont été vendus. – Tâche de ne pas revenir les mains vides. Elle secoua la tête, le couteau à la main, sans penser à le planter dans le glaçage en sucre. – Je n’aurais jamais dû le laisser partir sans lui dire ce que j’éprouvais pour lui… – C’était sans doute trop tôt. Et lui aussi avait besoin d’un peu de temps pour remiser ses mauvais souvenirs. – Peut-être. Elle soupira. – Je vais dans la cuisine chercher les glaces. Tu veux continuer à ma place ? Willie s’empara du couteau et se mit en devoir de faire des parts pendant qu’elle retournait à l’intérieur. Sur la porte du réfrigérateur, une note fixée par un aimant lui rappela que, d’ici à trois semaines, elle devait faire sa déposition contre Greeley. Quel soulagement ce serait ! Comme elle se réjouissait à cette perspective, un bruit de moteur la fit regarder dans la cour, où un camion noir dernier cri auquel était fixé un van pour deux chevaux venait de s’arrêter. Qui était-ce ? La réponse lui fut vite donnée, car la portière s’ouvrit et un homme de haute taille en descendit. Un pantalon noir, des bottes noires allongeaient encore sa silhouette élancée. Une chemise blanche mettait en valeur sa large carrure. Landon. Il était revenu ! Anna, qui l’avait reconnu elle aussi, se précipitait déjà vers lui pour se jeter dans ses bras. Après l’avoir embrassée et lui avoir gentiment tiré sur les nattes, il s’avança vers Nana, à qui il parla un instant. Maggie ne pouvait pas l’entendre, mais elle vit très bien le sourire heureux qui s’épanouit sur le visage de la vieille dame. Elle posa les glaces sur la table de la cuisine, perturbée. Qu’allait-elle faire ? Elle n’était pas prête. Selon les plans qu’elle avait faits, les choses ne devaient pas se passer ainsi. C’était elle qui devait aller le surprendre dans son ranch ! Elle décida de s’accorder un temps de réflexion avant de rejoindre les autres. – Tu as besoin d’un coup de main ?

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Elle pivota sur elle-même. Landon se tenait devant elle, superbe, un sourire malicieux sur les lèvres. Ce fut sans doute ce qui réveilla l’agressivité de Maggie. – Qu’est-ce que tu viens faire ici ? – Je suis venu apporter un cadeau d’anniversaire à ta grand-mère. – Et tu penses que cela suffit pour tout arranger entre nous ? persifla-t–elle. – Pourquoi es-tu si… A ce moment-là, ils entendirent Anna pousser un cri aigu, puis battre des mains. Maggie regarda par la fenêtre et vit sa fille danser de joie autour de Willie, qui faisait descendre du van une petite jument baie du plus beau brun cuivré. – Tu peux m’expliquer ? – Volontiers. Elle s’appelle Sunshine, et c’est la jument la plus douce dont on puisse rêver pour une petite fille. C’est mon frère lui-même qui l’a dressée, mais je suis persuadé que tu peux opérer sur elle la même magie que celle dont tu as usé pour Black Jack. Il prit Maggie par les épaules et la tourna vers lui. – Et pour moi. Anna pénétra en trombe dans la cuisine. – Maman, maman, viens voir Sunshine ! C’est ma jument à moi, rien qu’à moi ! – Il me semble que tu dois un grand merci à quelqu’un. Anna se jeta dans les bras de Landon, qui la souleva et la fit tourner autour de lui jusqu’à ce que la fillette crie grâce. Maggie se mordit la lèvre. Il pensait certainement à sa propre petite fille avec qui il n’avait jamais pu jouer ainsi. Elle s’attendait à lui voir le visage malheureux qu’il arborait chaque fois qu’il s’approchait d’Anna, mais cette fois il n’en fut rien. Elle n’y lut que paix et sérénité. – Heureusement que tu es venu aujourd’hui, déclara Anna. Si tu étais arrivé deux jours plus tard, tu aurais manqué maman. – Vraiment ? Et où a-t–elle prévu de partir ? – Au Texas, poursuivit la fillette. Elle doit livrer les chevaux au Still Waters, mais Nana dit que c’est surtout son cœur qu’elle doit y amener. Et à elle, tu lui as apporté un cadeau ? – Anna, tu vas te taire à la fin ? se fâcha Maggie, rougissant jusqu’aux sourcils. – Bien sûr, répondit calmement Landon. J’ai aussi un cadeau pour elle. Tout en parlant, il avait sorti un petit écrin noir de sa poche. – Je peux voir ? demanda Anna en se rapprochant. – Attends un peu. Retourne avec les invités. Je montre d’abord le cadeau à ta mère, et, si elle l’apprécie, tu le verras ensuite. Anna obéit sans se faire prier, tout à la joie d’aller retrouver Sunshine, pendant que Landon prenait Maggie par la main et l’entraînait vers le porche, à l’écart des conversations et des rires des invités. Là, il la fit asseoir sur la balancelle où elle avait passé au cours du mois dernier tant de nuits à rêver à cet homme. Cet homme qui se tenait devant elle en ce moment. – Ne crois pas que je compte sur ce cadeau pour tout arranger entre nous, Maggie. Elle baissa la tête, honteuse de ce qu’elle lui avait dit tout à l’heure. – Te quitter a été le plus gros sacrifice de ma vie, reprit Landon. Mais, au moment où je l’ai fait, j’étais persuadé de faire mon devoir. Pourtant, après avoir passé deux semaines au Still Waters, j’ai compris que… – Tu es rentré chez toi ? – Oui. Pas tout de suite, toutefois. Mais, comme partout où j’allais je ne cessais de penser à toi, je me suis dit que tu avais raison et que je devais d’abord régler mes comptes avec mon passé pour pouvoir regarder la vie en face. Elle leva les yeux. – Et maintenant ? Tu crois que tu peux le faire ?

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– Oui. Landon prit place à côté d’elle, contrôlant le balancement avec ses longues jambes, tandis qu’elle s’efforçait de ne pas regarder la petite boîte qu’il tenait entre ses doigts. – De retour chez moi, mon cauchemar familier a continué à venir me hanter chaque nuit, mais, au lieu de lutter pour le faire disparaître, je l’ai accepté, et pour la première fois j’ai enfin compris les mots que ma femme murmurait. En fait, c’était à elle-même qu’elle adressait des reproches. – Landon… Il la regarda dans les yeux. – Je t’aime, Maggie, et je veux vivre avec toi. Epouse-moi. A ces mots, il défit le fermoir, et un trio d’émeraudes serties sur un anneau d’or apparurent à ses yeux émerveillés. Eperdue, elle quitta la bague du regard pour fixer le visage de Landon. – Mais… Ton ranch du Texas ? – Mon frère se débrouille très bien avec. Il a toute l’aide dont il a besoin. Moi, je veux rester au Crescent Moon avec toi. Je sais tout ce que cette propriété représente pour toi et pour Anna, quel lien avec le passé elle incarne, et aussi quel futur tu souhaites y vivre. Je n’ai qu’un souhait à formuler désormais : celui de partager tout cela avec toi. Comme elle demeurait interdite, il répéta : – Marions-nous, Maggie. – J’ai déjà une fille… – Que j’adore ! Dans mon cœur, il y aura toujours la place de Sara, mais il est assez grand pour accueillir aussi Anna et les enfants que nous aurons ensemble si tu le désires aussi. – C’est mon vœu le plus cher ! Oui, Landon, marions-nous. Il cueillit la réponse sur ses lèvres, puis il s’écarta un peu, prit sa main gauche et lui glissa la bague à l’annulaire. – Tu sais ce qui rendrait ce moment absolument parfait ? – Non… – Ce serait que tu me dises que tu m’aimes, toi aussi. Elle entoura de ses mains le visage de Landon et regarda dans les yeux l’homme qui allait désormais l’aimer, travailler avec elle et la soutenir jusqu’à la fin de ses jours. – Landon, je t’aime plus que les mots ne sauraient le dire, et je vais employer le restant de ma vie à te le prouver. – On commence tout de suite ? demanda Landon avec un sourire plein de sensualité. Elle lui passa les bras autour du cou. – Dès que nos invités seront partis et que j’aurai réussi à persuader Anna de ne pas dormir dans le box de Sunshine ! Landon l’attira contre lui. – Voilà un plan qui me convient à merveille, Maggie Cartwright, lui chuchota-t–il à l’oreille.