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483Dossier thématiqueMicronutriments
Médecine des maladies Métaboliques - Novembre 2009 - Vol. 3 - N°5
RésuméLe chrome trivalent joue un rôle clé dans l’homéostasie glucidique via un effet potentialisateur de l’insuline. Le mode d’action du chrome passe par une augmentation du nombre de récepteurs de l’insuline, une modification de la liaison insuline/récepteur et une augmentation de l’internalisation de l’insuline. L’alimentation des pays occidentalisés est en général pauvre en chrome triva-lent, et les apports recommandés rarement atteints. L’association d’apports insuffisants et de pertes urinaires accrues, dues à une consommation trop importante de sucres d’absorption rapide, conduit à une fuite urinaire, à un statut déficitaire en chrome, et à une baisse de la sensibilité à l’insuline.Le maintien d’un statut optimal en chrome apparaît important pour lutter contre le risque de diabète et de maladies cardiovasculaires. S’il n’existe aucune preuve d’un effet bénéfique d’une supplémen-tation lorsque le sujet n’est pas déficitaire, les effets bénéfiques d’apports complémentaires de chrome chez les patients atteints de syndrome métabolique, associant un statut déficient en chrome et une sensibilité à l’insuline diminuée, sont décrits par de nom-breuses études, mais ces effets restent controversés.
Mots-clés : Chrome – sensibilité à l’insuline – syndrome métabolique – supplémentation.
Correspondance :
Anne-Marie RousselLBFA/INSERM 884Laboratoire de bioénergétique fondamentale et appliquéeUniversité Joseph-FourierB.P. 532280, rue de la Piscine38041 Grenoble cedex [email protected]
Introduction
Le nombre de sujets atteints par le syn-drome métabolique ne cesse de s’ac-croître dans les populations des pays industrialisés, exposant les patients à des risques importants de diabète et de maladies cardiovasculaires. La baisse de la sensibilité à l’insuline est le signe majeur du syndrome métabolique. Celui-ci regroupe, dans sa définition, plusieurs anomalies métaboliques associées, dont l’obésité abdominale, une dyslipidémie, une tension artérielle élevée et une glycé-
mie à jeun supérieure à 1,10 g/L. Cause ou conséquence de l’insulinorésistance, le stress oxydant est élevé chez les sujets au cours d’un syndrome métabo-lique. Parmi les facteurs nutritionnels qui contribuent à l’amélioration de la sensi-bilité à l’insuline, à la régulation de l’obé-sité abdominale et au contrôle du stress oxydant, au côté des polyphénols poten-tialisateurs de l’insuline et antioxydants du thé vert ou de la cannelle, les apports en chrome trivalent (Cr3+) méritent d’être davantage pris en compte. Cependant, en France, les bénéfices d’apports
Chrome et syndrome métaboliqueChromium and the metabolic syndrome
A.-M. RousselLBFA/INSERM 884, Laboratoire de bioénergétique fondamentale et appliquée, Université Joseph-Fourier, Grenoble.
SummaryTrivalent chromium, an essential trace element, acts as a poten-tiating factor of insulin in regulating glucose homeostasis. Chromium increases insulin sensitivity and function by increasing the number of insulin receptors, insulin binding and insulin inter-nalization. Western diets are usually poor in chromium, and do not reach the dietary recommendations. Low dietary chromium intakes are associated with the consumption of high sugar foods and other refined foods that are often not only low in chromium, but also increase chromium losses. An optimal chromium status contributes to decrease risk factors associated with metabolic syndrome, diabetes and cardiovascular diseases. Beneficial effects of chromium supplemental intakes have been reported in patients with the metabolic syndrome, but this effect remains controversial.
Key-words: Chromium – insulin sensitivity – metabolic syndrome – supplementation.
© 2009 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.
484 Dossier thématiqueMicronutriments
Médecine des maladies Métaboliques - Novembre 2009 - Vol. 3 - N°5
en Cr+3 restent mal étudiés et, malgré l’incidence croissante de l’obésité, du syndrome métabolique et des diabètes, peu de travaux ont été consacrés à la détermination de nos besoins.
Chrome et insuline : mode d’action
Le chrome trivalent joue un rôle clé [1, 2] dans l’homéostasie glucidique via un effet potentialisateur de l’insuline. En présence de chrome, la quantité d’insu-line requise pour l’utilisation cellulaire du glucose est beaucoup moins impor-tante. Cette propriété du chrome est pré-cieuse dans les états développant une diminution de la sensibilité à l’insuline, au premier rang desquels on trouve le syndrome métabolique, l’obésité et le diabète.Le mode d’action du chrome (figure 1) passe par une augmentation du nombre de récepteurs de l’insuline, une modi-fication de la liaison insuline/récepteur et une augmentation de l’internalisa-tion de l’insuline. Le chrome agit sur les
réactions de phosphorylation/déphos-phorylation. La liaison de l’insuline à la sous-unité alpha du récepteur est induite par une cascade de réactions de phos-phorylation dues à la tyrosine kinase qui est activée par le chrome. Le chrome, parallèlement, inhibe la phosphotyrosine phosphatase qui, elle, inactive le récep-teur de l’insuline. Comme cofacteur de l’insuline, le chrome intervient également dans le métabolisme lipidique. Le déficit en chrome est associé à une hypertri-glycéridémie et une diminution du HDL-cholestérol.
Apports nutritionnels conseillés
Pour le sujet sain, un apport nutritionnel conseillé (ANC) de 50 à 70 μg/jour a été proposé en 2001 en France. De plus, il est conseillé un apport de 125 μg/j à partir de 70 ans.Cependant, sur la base de ces recom-mandations, l’apport optimal de chrome est impossible à atteindre pour un apport calorique de 2500 kcal/j. Le rôle
des sucres du régime est également à prendre en compte, car les apports de sucres d’absorption rapide, fréquents chez les sujets présentant un syndrome métabolique, entraînent une augmenta-tion des fuites urinaires de chrome. En France, une étude récente montre que les apports de sujets sains sont seule-ment d’environ 40 μg/j.
Déficits et bénéfices potentiels d’une supplémentation en chrome dans le syndrome métabolique
Le chrome contribue au traitement de l’insulinorésistance et des dyslipidé-mies associées au syndrome méta-bolique.Les déficits en chrome s’accompagnent d’un ensemble de modifications retrou-vées dans le syndrome métabolique : insulinémie élevée, augmentation de la glycémie, de la cholestérolémie, du cho-lestérol LDL, des triglycérides, baisse du HDL cholestérol.Dans le syndrome métabolique, l’asso-ciation d’apports insuffisants et de pertes urinaires accrues va conduire à un statut déficitaire en chrome et à une baisse de la sensibilité à l’insuline. Inversement, la baisse de la sensibilité à l’insuline, qui induit le syndrome métabolique, va aug-menter les besoins en chrome.
Dossier thématique
NO
NOS
AKT
IRS-1
PI3-K
1
2
3
5
4
6
7
8 TRANSLOCATION ++
TRANSPORT D U GLUCOSE ++
GLUT-4
EFFETS DU CHROME
GLUT-4
insuline
insulineRécepteur
Translocation
insuline
Figure 1 : Mécanisme d’action du chrome sur la signalisation de l’insuline [d’après R.A Anderson, Réf. 1]. 1 : activation de la tyrosine kinase ; 2 : inhibition IR Phosphatase ; 3 : augmente l’insuline Binding ; 4 : augmente le nombre des récepteurs à l’insuline ; 5 : augmente la phosphorylation des IR ; 6 : augmente la phosphorylation IRS-1 ; 7 : active le transport du glucose ; 8 : active la translo-cation des GLUT-4.
Les facteurs nutritionnels qui partici-
pent à l’amélioration de la sensibilité
à l’insuline, à la régulation de l’obésité
abdominale et au contrôle du stress
oxydant pourraient agir dans la pré-
vention du syndrome métabolique.
Parmi les nutriments potentiellement
actifs, le chrome trivalent joue un rôle
clé dans l’homéostasie glucidique via
un effet potentialisateur de l’insuline.
L’alimentation occidentale est pauvre
en chrome.
C’est pourquoi l’intérêt des apports
de chrome dans le syndrome métabo-
lique ne doit pas être sous estimé.
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Les points essentiels
485Chrome et syndrome métabolique
Médecine des maladies Métaboliques - Novembre 2009 - Vol. 3 - N°5
L’effet bénéfique d’apports en chrome, permettant de restaurer le statut et d’améliorer la sensibilité à l’insuline, a été rapporté par de nombreuses études. Mais cet effet dépend essentiellement du statut initial en chrome des sujets [3].Seuls les sujets déficitaires sont répondants, ce qui explique, en partie, les résultats décevants de méta-analyses qui ne concluent pas à un effet significatif des supplémentations en chrome sur la sensibilité à l’insuline dans des groupes de sujets d’âge et d’insulinorésistance variables [4], ou qui montrent que le bénéfice de la supplémentation, observé chez le sujet insulinorésistant, n’est pas retrouvé chez les patients modérément intolérants au glucose, ni chez les sujets présentant une tolérance au glucose nor-male [5].L’étude des résultats des essais de supplémentation par le Cr3+ fait ainsi clairement apparaître deux types de populations :
celle (sujet âgé, obèse, syndrome méta-bolique et diabétique de type 2) dont le statut est déficitaire et qui sera répon-dante en fonction de la forme, de la dose et de la durée de la supplémentation ;
celle qui ne souffre pas de déficit de statut en chrome et chez qui on n’ob-servera pas de réponse à la supplémen-tation.
Chrome, insuline et obésité abdominaleLe Cr3+ pourrait réguler l’obésité abdomi-nale par plusieurs mécanismes [6] :
le contrôle de l’insulinémie,les relations avec les glucocorticoïdes,les mécanismes de satiété,le maintien de la masse maigre,la modulation du TNF-α (Tumor necro-
sis factor-α), car l'importance de l'obé-sité abdominale est corrélée à ce facteur, qui favoriserait l'insulinorésistance des cellules.
Chrome et stress oxydantLe rôle des micronutriments antioxydants dans la prévention des complications du syndrome métabolique et du diabète est important. Paradoxalement, bien que la résistance à l’insuline soit une des prin-cipales causes de stress oxydant, le lien entre stress oxydant et résistance à l’in-suline est peu pris en compte. Le chrome
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agissant comme potentialisateur de l’in-suline et comme antioxydant pourrait être un élément clé de cette relation. Les complications oxydatives du syndrome métabolique sont un problème dans l’évolution de la maladie, et l’intervention nutritionnelle précoce, en apportant du chrome, pourrait prévenir chez les sujets à risque l’installation d’un stress oxydant non contrôlé et lié à l’hyperinsulinémie.
Chrome et dépressionL’insulinorésistance, le syndrome métaboli-que et le diabète sont des facteurs qui favo-risent l’incidence de l’état dépressif. Des travaux encore peu nombreux ont rapporté l’effet bénéfique des supplémentations sur l’humeur et la dépression chez des patients atteints de dépression atypique [7].
Formes et doses utilisées
L’optimisation des formes d’apport et des doses reste un problème non encore com-plètement maîtrisé. Des formes de biodis-ponibilité plus efficaces que les formes minérales, comme les levures enrichies en chrome ou les chélates devraient être soumises à réévaluation. Les bénéfices des supplémentations sur la sensibilité à l’insuline et les altérations du système insuline/glucose rencontrées chez l’obèse et dans le syndrome métabolique sont rapportées, pour des doses allant de 400 à 800 μg/j, ce qui place ces traitements plus proches de doses pharmacologiques
que d’apports nutritionnels. Ces bénéfices restent toutefois controversés [7], en raison de l’hétérogénéité des études qui sont dif-ficilement comparables. L’intérêt d’apports à doses supranutritionnelles (1,5 à 2 ANR) de 150 à 200 μg/j ne doit pas pour autant être exclu d’une stratégie de prévention nutritionnelle du syndrome métabolique.
Toxicité de la supplémentation
Si la toxicité du chrome VI est bien connue, le chrome III est un oligoélément qui sem-ble dépourvu de toxicité, même à doses élevées. Cependant, la controverse est grande quant à la toxicité potentielle d’une supplémentation au long cours à doses pharmacologiques. Le picolinate de chrome, en particulier, est accusé par certains auteurs d’exercer des effets mutagènes. Cependant, ces études sont réalisées in vitro, et sur plasmide isolé, à des doses qui ne peuvent être comparées à celles utilisées dans la supplémentation chez l’homme, ce qui limite considérable-ment la portée des résultats. En France, à ce jour, seuls sont autorisés 25 μg/j de Cr3+ dans les compléments alimentaires.
Conflits d’intérêtL’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt
relatif au contenu de cet article.
Références[1] Anderson RA. Chromium and insulin resis-tance. Nutr Res Rev 2003;16:267-75.
[2] Vincent JB. Elucidating a biological role for chromium at a molecular level. Acc Chem Res 2000;33:503-10.
[3] Cefalu WT, Hu FB. Role of chromium in human health and diabetes. Diabetes Care 2004;27:2741-51.
[4] Althuis MD, Jordan NE, Ludington EA, Wittes JT. Glucose and insulin responses to dietary chro-mium supplements: a meta analysis. Am J Clin Nutr 2002;76:148-55.
[5] Balk E, Tatsioni A, Lichtenstein A, et al. Effect of chromium supplementation on glucose metabolism and lipids. A systematic review of randomized controlled trials. Diabetes Care 2007;30:2154-63.
[6] Anton SD, Morrison CD, Cefalu WT, et al. Effects of chromium picolinate on food intake and satiety. Diabetes Technol Ther 2008;10:405-12.
[7] Davidson JR, Abraham K, Connor KM, Mc Leod MN. Effectiveness of chromium in atypi-cal depression: a placebo controlled trial. Biol Psychiatry 2003;53:261-4.
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Le maintien d’un statut optimal en
chrome apparaît important pour lutter
contre le syndrome métabolique, le ris-
que de diabète et de maladies cardio-
vasculaires. Il doit être restauré chez
les sujets associant un statut déficient
et une sensibilité à l’insuline diminuée,
tels que les sujets atteints de syn-
drome métabolique, les sujets obèses
insulinorésistants et les diabétiques
de type 2. L’alimentation occidentale
est pauvre en chrome. C’est pourquoi
l’intérêt des apports de chrome sous
forme de compléments ne doit pas être
sous estimé.
Conclusion