Chroniques d'une petite enfance… · Les Chroniques d’une petite enfance rapportent, en scènes brèves, le cheminement d’un père et de son petit garçon, de sa naissance à

Pierre Bureau

Chroniques d’une petite enfance

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Chroniques d’une petite enfanceLes Chroniques d’une petite enfance rapportent,en scènes brèves, le cheminement d’un père et de son petit garçon, de sa naissance à sa 4e année. Instantanés lumineux du quotidien,les textes reconstituent les différentes phasesde l’évolution de l’enfant, depuis sa totaledépendance de nourrisson jusqu’aux débutsde sa découverte active du monde.

Pierre Bureau esquisse d’une plume légère etdrôle, mais qui sait aussi décrire le drame etl’angoisse, les tribulations d’un petit d’homme;et saisit d’un regard lucide l’expérience dusentiment paternel.

Licencié en histoire, en ethnographie et enlittérature, et depuistoujours passionné devoile, Pierre Bureau ad'abord suivi un parcoursde chercheur commehistorien au parc histori-que de la Forteresse deLouisbourg et commeréalisateur d'inventairespatrimoniaux auministère de la Culturedu gouvernement duQuébec. Par la suite, il sejoint à l'équipe du muséede la Civilisation deQuébec à titre de chargéde projets d'expositions.

À la retraite, il sillonnedésormais chaque été le fleuve et le Golfe St-Laurent à bordde son voilier..

www.hamac.qc.ca

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Extrait de la publication


C H R O N I Q U E S D ’ U N E P E T I T E E N FA N C E

Pierre Bureau


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Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nous reconnaissons également l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Direction et révision : Adeline Corrèze Mise en pages et couverture : Pierre-Louis Cauchon Correction d’épreuves : France Brûlé, Christine Jean L’illustration de l’intérieur de la couverture est tirée de l’ouvrage Cronica de las Indias de Gonzalo Fernandez de Oviedo, publié en 1547.

Si vous désirez être tenu au courant des publications de la COLLECTION HAMAC et des ÉDITIONS DU SEPTENTRION

vous pouvez nous écrire au 1300, av. Maguire, Québec (Sillery) G1T 1Z3

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© Les éditions du Septentrion Diffusion au Canada : 1300, avenue Maguire Diffusion Dimedia Québec (Sillery) 539, boul. Lebeau G1T 1Z3 Saint-Laurent (Québec) H4N 1S2

Dépôt légal : Ventes en Europe : Bibliothèque et Archives Distribution du Nouveau Monde nationales du Québec, 2006 30, rue Gay-Lussac ISBN 2-89448-466-6 75005 Paris France



À ceux et celles qui se souviennent combien il leur était difficile de nouer leurs lacets de chaussure.

Et plus spécifiquement aux pères qui ont appris à accompagner l’enfant.


11

PROLOGUE

Un vif vent d’est dans le dos, une pleine lune argentée au-dessus, nous fonçons voiles ouvertes en ciseaux dans la nuit du grand fleuve vers une quinzaine de vacances. Renée à la barre, moi affalé contre la paroi de la cabine, une bouteille de bière sur le bedon, tous deux lourdauds en combinaisons isothermes. Derrière, nous creusons un sillage scintillant au clair de lune et le clapotis du youyou en remorque scande notre bonne vitesse. À cause du vent qui hurle dans le gréement, aucun bruit riverain ne nous parvient, maintenant que les ponts de Québec rapetissent au loin.

Pourtant, par moments, nous entendons les pulsations sourdes d’une discothèque. Pas la mélodie. Juste les batte-ments.

À force de scruter la nuit, j’arrive enfin à comprendre : le Louis-Jolliet ! Loin derrière, trois étages lumineux se déplacent dans la nuit, l’ancien traversier converti en bateau d’excursion nous rattrape.


12

Il semble devoir nous emboutir.À ma demande, Renée nous éloigne un peu plus,

hors du chenal et de ses bouées lumineuses, et j’allume la lampe du mât qui répand sa clarté sur la blancheur vive des voiles. Mais l’étonnant navire en forme de soucoupe continue à prendre de l’ampleur, jusqu’à ce que je voie qu’il passera légèrement à bâbord.

— Encore un peu plus ? s’enquiert Renée.— Ça va aller.Et alors qu’il s’approche, haut, dominant, illuminé,

et tout en pulsions disco, nous constatons que le pont supérieur, de la proue jusqu’à l’arrière de la promenade tribord, fourmille d’une foule à contre-jour, masse sombre de silhouettes ponctuée de feux rouges de cigarettes et dont la première rangée s’est accoudée au bastingage.

— As-tu vu le monde !Et quand, dans un long bruissement d’eau, le Louis-

Jolliet défile lentement tout à côté, je me mets debout et le salue de ma canette de bière.

À notre surprise, de partout des bras se dressent et une grande clameur de cris et de sifflets retentit. On nous salue longuement.

Mais bien sûr… ils nous observent depuis un moment : tache blanche minuscule dans la nuit, qui grandit, prend forme, soudain s’épanouit en un bateau fantôme, voiles telles d’immenses ailes luminescentes et sillage fourmillant de diamants lunaires… puis cet espèce de pompier en combinaison jaune strident qui se lève et leur porte un toast !

— Ils sont gentils.— Oui, acquiesce Renée, puis, inspirée, elle ajoute tout

bonnement : ça va être de belles vacances.


De fait, ce seront de belles vacances, bien que Renée soit enceinte de six mois — sa première grossesse — et que nous nous préoccupons encore de nos âges avancés et de ce monde trouble où, sans son autorisation, nous y convions un enfant.

Prologue



15

Chapitre ILA VENUE

La « paternité ». Je me souviens de la première fois qu’un homme en a fait état devant moi :

— C’est incroyable ! C’est simple, c’est ex-tra-or-di-naire !

Fébrile, cerné, fripé, veste et pantalon chiffonnés, doigts jaunes de griller des cigarettes alors que d’habi-tude il pose une pipe à la main, l’ennuyeux couche-tôt qu’est Philippe H. nous raconte, tard en soirée, dans un bar où, normalement, il ne pénètre qu’une fois par année à l’occasion du 5 à 7 de Noël de son bureau, les joies de l’accouchement. Il fait penser à ces géniteurs effarés dans les téléséries du genre « Papa a raison ».

— C’est quand il s’est mis à venir, comprends-tu ? (Il s’est tourné vers le barman qui agrée distraitement de la tête, comme s’il songeait « Si j’arrive à fermer la baraque plus tôt, je pourrai peut-être rattraper la p’tite Claudette avant la fermeture du Jules et Jim ».) Peux-tu



16

comprendre ? Ton fils qui vient ? Ton fils ! Pas celui d’un autre ! Pas le fils de ton frère ! Pas le fils d’un bon ami ! Ton fils à toi ! Le fils qui vient de toi, et tu le vois qui s’en vient. C’est ta chair barnac ! Ah la tête de ton fils qui apparaît… Je pensais jamais, ah jamais, que ça me poignerait comme ça. Les enfants, moi, j’ai toujours pensé dans le fond de moi-même que ça me disait pas grand-chose ! Puis là, j’ai vu mon fils qui venait. « Doc ? Doc ? » j’achalais le docteur Gagnon, mais lui, il branlait la tête, tu sais, « ça va, ça va, ça va ». Moi, je tenais plus en place, là, mon fils baptinse ! Puis là, mon fils… naît ! Il naît ! Pas beau, gluant, je le voyais bien, mais c’était mon enfant, comprends-tu ?

— Oui, oui, oui, oui, répliquons-nous machinale-ment autour du bar… car nous en sommes à sa troisième narration de l’épopée.

— Oh ! je sais bien que je radote. Excusez-moi le monde. Mais c’est plus fort que moi. Tout ce que je peux dire, c’est que c’est vrai en maudit : ça existe le sens de la paternité.

— Ben non, ben non, tu radotes pas. Voyons donc, mentons-nous, bailleurs et somnolents. Louis, envoie donc une autre demi-bouteille de champagne à Philippe.

Il me sembla ce soir-là que l’agitation de Philippe H. était excessive, et je la mis au compte de la fatigue.


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La venue

Sur écran géant, le film débute. Les chasseurs F-18 Hornets se succèdent aux catapultes du porte-avions puis décollent soudain dans le vacarme strident des réacteurs et dans un déchaînement musical qui trans-forme nos thorax en caisses de résonance.

Renée s’agite, pose la main sur mon bras.— J’ai mal, dit-elle.Je l’examine. Elle s’est redressée, a placé les mains

sur son ventre.— C’est l’enfant, ajoute-t-elle, il me donne des coups

de pied.Je pose la main sur son ventre. Ça bouge, en effet,

des mouvements le distendent.— On sort ?— Non, ça va aller. Ça va.Les décollages ont cessé, l’as pilote est maintenant

en altitude, photogénique, le sourire frondeur.— C’est mieux ?— Oui, ça va.La vitalité de l’enfant m’impressionne, mais je lui

en voudrais un peu de nous faire sortir : trois chasseurs libyens ont basculé sur l’aile et foncent en piqué sur Tom Cruise !



18

Nous sommes dans la pénombre d’une petite pièce minable, quasi désaffectée, la peinture qui pèle au plafond. La technicienne en échographie, par contre, est attentive, gentille.

Allongée, Renée observe la sonde que celle-ci promène sur son ventre énorme.

— Oh ! fait la technicienne. C’est un garçon. Vous voyez ? Un garçon, et bien. Ses membres sont normaux. Il est très bien.

Nous ne distinguons rien.— Tenez. Voyez.— Oui, fait Renée, absorbée par l’écran.Je n’y vois rien. Juste un continent qui se forme

et se déforme sur fond blanc. Je n’y discerne aucune forme humaine. Encore moins un pénis.

La technicienne est radieuse. Renée sourit, confortée. — Vous en voulez une photo ?— Qu’en penses-tu ? me demande Renée.— Comme tu voudras. Moi tout ce que je vois c’est

une mauvaise carte géographique.— Oui, ça pourrait être plus clair. Non merci

madame.Ce sera donc un fils. Ça me plaît, mais pour le reste,

il faudra attendre qu’il veuille bien s’amener.Mon fils…

19

La venue

On pourrait croire au déraillement d’un train passager, d’où ce flot de victimes à l’hôpital, mais seules des victimes enceintes. Très enceintes. Il y en a partout, allongées dans les chambres, dans les corridors. « Les bébés des fêtes », disent les infirmières qui s’affairent calmes et attentionnées auprès de ces mères en devenir. Toutes, elles attendent que le col de l’utérus se soit suffisamment ouvert. Elles geignent un peu, les labeurs sont en cours.

Près de nous, soudain, dans une salle à plusieurs, une jeune femme alitée gémit et sanglote et hurle et crie des mots comme si elle avait une main comprimée par un étau. Son mari, atterré, et les gardes, tentent en vain de la calmer. On l’amène enfin sur un lit roulant vers une salle d’accouchement.

Renée se concentre sur ses efforts, le front perlé. Elle prend de grandes respirations. À intervalles, une vieille garde, douce, maternelle, vient l’examiner. L’ouverture tarde. Il faut 20 millimètres. Elle lui fait une injection pour accélérer le processus, mais cela se fait lentement, et ce n’est qu’en fin d’après-midi que nous nous mettons en route vers une salle d’accouchement.

J’aperçois, par une porte entrouverte, les murs capi-tonnés d’une salle.

— Ce n’est pas là ? Je demande à la garde qui pousse à la tête du lit roulant.

— Non, ça, c’est une salle pour les accouchements naturels…

La garde m’adresse un petit sourire à la Mona Lisa, bienveillant avec une pointe d’ironie.

— Elle est insonorisée, m’explique-t-elle.



20

Dans la grande pièce si froidement clinique et luisante d’appareils et d’outils en inox, l’enfant met du temps à naître. L’interne adjoint, qui manie la ventouse hydraulique, est nerveux, incertain, en sueur, le front ridé, les bras qui tremblent à l’effort. Mais pourquoi lui, néophyte ? Pourquoi pas le docteur R, notre gynécologue ? Soudain la ventouse s’arrache dans un bruit de succion. Le docteur R grimace, marmotte un ordre bref et, forçant un peu son allure nonchalante, se glisse à la place de l’adjoint. Bientôt l’enfant émerge. Il émerge doucement de Renée.

Et, chevilles encore en elle, yeux crispés, il crie et pleure de toute sa force, tendu, bras qui bougent… Oh ! l’ardeur ! L’absolu désir de vivre !

Renée sourit épuisée, notre amie Claire pleure. Et moi, j’observe intensément l’apparition. Pas de meurtrissures ? Juste cette petite ecchymose au crâne et une légère défor mation ? Pas de dommages sérieux ? Pas de séquelles aux tâtonnements de l’apprenti sorcier ? Alerte, tendu, j’aspire tout autant à la vie… à sa vie à lui, et à la nôtre à trois.

Un peu plus tard, collée à ma poitrine, j’ai à trans-porter cette petite masse chaude dans mes mains jusqu’à la chambre de sa mère. Je m’applique, comme jamais, à ne pas trébucher ni donner contre quelque solidité que ce soit.


TABLE

Prologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Chapitre I La venue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

L’envers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Chapitre II À quatre pattes . . . . . . . . . . . . . . 33

L’envers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Chapitre III Debout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

L’envers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

Chapitre IV Des initiations . . . . . . . . . . . . . . 73

L’envers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

Chapitre V Des explorations . . . . . . . . . . . . . 99

Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123


Tous les livres de la collection Hamac sont imprimés sur du papier recyclé, traité sans chlore et contenant 100% de fibres

post-consommation, selon les recommandations d’ÉcoInitiatives (www.oldgrowthfree.com/ecoinitiatives).

L’impression de cet ouvrage a ainsi permis de sauvegarder 5 arbres de 6 à 8 pouces de diamètre et de 40 pieds

de hauteur. En respectant les forêts, le Septentrion espère qu’il reste toujours assez d’arbres sur terre pour accrocher des hamacs.

cet ouvrage est composé en esprit corps 12.5selon une maquette de pierre-louis cauchon

et achevé d’imprimer en mars 2006sur papier enviro 100 % recyclé

sur les presses de marquis imprimeurà cap-saint-ignace

pour le compte de gilles hermanéditeur à l’enseigne du septentrion


Documents

Chroniques d'une petite enfance… · Les Chroniques d’une petite enfance rapportent, en scènes brèves, le cheminement d’un père et de son petit garçon, de sa naissance à