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Droit Déontologie & Soin 9 (2009) 17–35 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Expertise judiciaire en soins infirmiers Chutes et gestion des risques Nathalie Pernot (Cadre de santé, enseignante en Ifsi) Institut de formation en soins infirmiers, centre hospitalier du Bassin de Thau, boulevard Camille-Blanc, 34207 Sète cedex, France Disponible sur Internet le 2 avril 2009 Résumé Les chutes sont l’une des causes principales d’engagement de la responsabilité des établissements de santé. Une analyse de cas, traitée sous forme d’expertise, conduit à identifier la possibilité d’une faute engageant la responsabilité de l’établissement, faute que l’on aurait pu prévenir par une politique de gestion des risques adaptée. © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. 1. Les faits 1.1. Données générales M. JL est un patient âgé de 73 ans autonome, il vit à son domicile avec son épouse, conduit, fait ses courses et s’occupe de ses affaires courantes. Le 23 octobre 2005 à 14 heures, il est admis aux urgences du centre hospitalier, établissement public polyvalent, de 250 lits, suite à un accident de la voie publique (AVP) (voiture contre piéton), sans perte de connaissance. Dès son arrivée, il est pris en charge par un médecin urgentiste. L’examen révèle que M. JL présente une impotence significative avec marche impossible. Ces douleurs sont diffuses et non localisées de fac ¸on précise. Lors de son interrogatoire, M. JL n’est pas en mesure de donner des renseignements complémentaires dit « ne se rappeler de rien ». À la suite de l’examen clinique et d’examens complémentaires, le médecin urgentiste confirme des contusions multiples, notamment aux membres inférieurs sans fracture, ni traumatisme crâ- nien. La décision est prise, en accord avec son épouse, d’hospitaliser M. JL pour surveillance. M. JL est admis à 16 heures 30 dans le service de médecine A, dans une chambre double dont un des lits est occupé par un autre patient et aménagée comme suit : lit à hauteur variable avec commande électrique – potence–matelas standard–adaptable – téléphone et système d’appel (sonnette). 1629-6583/$ – see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.ddes.2009.02.004

Chutes et gestion des risques

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Droit Déontologie & Soin 9 (2009) 17–35

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Expertise judiciaire en soins infirmiers

Chutes et gestion des risques

Nathalie Pernot (Cadre de santé, enseignante en Ifsi)Institut de formation en soins infirmiers, centre hospitalier du Bassin de Thau,

boulevard Camille-Blanc, 34207 Sète cedex, France

Disponible sur Internet le 2 avril 2009

Résumé

Les chutes sont l’une des causes principales d’engagement de la responsabilité des établissements de santé.Une analyse de cas, traitée sous forme d’expertise, conduit à identifier la possibilité d’une faute engageant laresponsabilité de l’établissement, faute que l’on aurait pu prévenir par une politique de gestion des risquesadaptée.© 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.

1. Les faits

1.1. Données générales

M. JL est un patient âgé de 73 ans autonome, il vit à son domicile avec son épouse, conduit,fait ses courses et s’occupe de ses affaires courantes.

Le 23 octobre 2005 à 14 heures, il est admis aux urgences du centre hospitalier, établissementpublic polyvalent, de 250 lits, suite à un accident de la voie publique (AVP) (voiture contre piéton),sans perte de connaissance.

Dès son arrivée, il est pris en charge par un médecin urgentiste. L’examen révèle que M. JLprésente une impotence significative avec marche impossible. Ces douleurs sont diffuses et nonlocalisées de facon précise. Lors de son interrogatoire, M. JL n’est pas en mesure de donner desrenseignements complémentaires dit « ne se rappeler de rien ».

À la suite de l’examen clinique et d’examens complémentaires, le médecin urgentiste confirmedes contusions multiples, notamment aux membres inférieurs sans fracture, ni traumatisme crâ-nien.

La décision est prise, en accord avec son épouse, d’hospitaliser M. JL pour surveillance.M. JL est admis à 16 heures 30 dans le service de médecine A, dans une chambre double

dont un des lits est occupé par un autre patient et aménagée comme suit : lit à hauteur variableavec commande électrique – potence–matelas standard–adaptable – téléphone et système d’appel(sonnette).

1629-6583/$ – see front matter © 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2009.02.004

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1.2. Première phase : prise en charge

• 23 octobre 2005, 16 h 30Le docteur S prescrit un repos strict au lit, une surveillance des constantes et de l’état

de conscience toutes les quatre heures et une prise en charge par un kinésithérapeute dès lelendemain (kinésithérapie passive). Prescription d’un traitement antalgique per os mis en routepar un stagiaire étudiant en troisième année d’école d’infirmier(ère).

Une évaluation avec l’échelle de Waterloo (évaluations des risques d’escarres) est réaliséepour valider la prescription d’un matelas anti-escarres. Le matelas sera changé le lendemainmatin.

• 24 octobre 2005, 11 hM. JL chute dans sa chambre en voulant se déplacer pour aller à la salle de bain. Cet

incident est noté par l’IDE sur la feuille de transmission « chute à 11 heures sans conséquencesapparentes – feuille vigie complétée et transmise – médecin prévenu ». Des prescriptions écritesdu docteur S pour surveillances rapprochées sont établies à 12 heures. La surveillance doit êtrefaite toutes les deux heures pendant 24 heures et puis toutes les quatre heures. Le premier leverest prescrit pour le lendemain en présence du kinésithérapeute et réautonomie à la marche.

• 27 octobre 2005Les paramètres de surveillance sont stables depuis le 25 octobre.

• 30 octobre 2005Le diagramme de soins de prise en charge des actes d’hygiène (toilette, habillage. . .) note

un retour à l’autonomie pour la toilette qui se réalise depuis le 29 octobre au lavabo.L’alimentation est normale. La journée, M. JL reste au lit mais essaie parfois de se lever seul.

Son voisin de chambre appelle le personnel, au moyen de la sonnette, afin de recoucher M. JLdans son lit. À chaque fois, il lui est rappelé la consigne de ne pas se lever. Plusieurs transmis-sions écrites sont faites dans ce sens entre le 25 et 30 novembre. La feuille de surveillance desconstantes ne donne aucun élément pouvant déceler une anomalie.

• 4 novembre 2005La sortie est envisagée pour le 10 novembre, avec prise en charge des soins d’hygiène par le

service de soins à domicile et des séances de kinésithérapies.

1.3. Deuxième phase : après la chute

• 7 novembre 2005À 23 heures 30, le patient est trouvé au sol au pied de son lit par l’aide-soignante (Mme

Geneviève G). À 23 heures 35, à l’arrivée de M. Serge B (interne au service des urgences), aprèsl’appel de l’infirmière, le patient est allongé au sol, il est conscient et répond aux questions. M.JL est recouché dans son lit en présence du médecin. Aucun déficit neurologique n’est retrouvé,il est constaté une position de la jambe droite de M. JL en rotation externe. Des consignes desurveillances et une prescription de traitement antalgique spécifique sont données à l’infirmièrede nuit (Mme Isabelle B) ainsi qu’une demande d’examens radiologiques et sanguins pour lelendemain matin.

• 8 novembre 2005Mme JL est prévenue à 9 heures de la chute de son mari, par le médecin : les radios confirment

une fracture du col du fémur droit et l’intervention est prévue pour le 9 novembre par lechirurgien (M. P). La sortie prévue pour le 10 novembre est différée.

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• 9 novembre 2005L’intervention de M. JL (arthroplastie droite) s’est bien déroulée.

• 10 novembre 2005Premier lever en présence de l’infirmière et du kinésithérapeute.

• 11 novembre 2005Ablation du Redon et de la sonde urinaire. L’état de M. JL est satisfaisant. Il est levé au

fauteuil une heure par jour.

1.4. Troisième phase : l’aggravation et le décès

• 12 novembre 2005À 6 heures 30 le malade est retrouvé par l’infirmière de nuit dans le coma. Le patient est

intubé à 6 heures 45 par le médecin-réanimateur de garde. M. JL est transféré dans le servicede réanimation à 6 heures 55 pour la mise en place d’une réanimation adaptée. Vers 7 heuresapparaissent une bradycardie et une hypotension avec tension imprenable et mydriase aréactive.Cette situation ne peut être maîtrisée. Le décès est constaté à 7 heures 45.

L’hypothèse retenue sera une embolie pulmonaire avec décompensation cardiaque dans lessuites opératoires d’une arthroplastie chez un patient de 73 ans.

1.5. Les auditions

Les membres de la famille de M. JL (surtout son épouse) ne comprennent pas le décès de leurproche, ils ne comprennent pas les chutes successives et la surveillance qui s’en ait suivie. Ils sedemandent pourquoi, après la première chute, des mesures pertinentes de protection n’ont pas étémises en place. Ils reprochent à l’établissement un manque de surveillance, de ne pas avoir évaluéle risque de chute et de ne pas avoir effectué en ce sens les actions de prévention nécessaires quiauraient évité le décès.

1.5.1. À propos de la nuit du 7 novembreMme Geneviève G, aide-soignanteConfirme être passée à 22 heures et 1 heure : M. JL dormait. Au tour de surveillance de 3 heures,

elle a retrouvé M. JL par terre et appelé immédiatement l’infirmière au téléphone. Elle ajoute queles nuits précédentes M. JL essayait de se lever mais que son voisin de chambre réveillé par lebruit appelait le personnel. Elle précise que cette nuit là, le lit à côté de M. JL était libre.

Mme Isabelle B, infirmièreM. JL était conscient mais avec une jambe en position de rotation externe. Elle a prévenu le

service des urgences. L’interne de garde est arrivé cinq minutes plus tard. Elle précise que M. JLvoulait souvent se lever seul mais que ses jambes ne le portaient pas. Elle lui répétait de ne pas selever mais il répondait toujours « oui » et recommencait.

M. Serge B, interne de garde urgencesÀ 23 heures 45, M. JL était conscient ; il était au sol. Réinstallation de M. JL dans son lit en

présence de l’interne qui donne ensuite ses prescriptions de surveillance et d’examens à faire dèsque possible dans la matinée pour confirmer la suspicion de fracture du col du fémur. N’ayant paseu d’autres appels de la part du service dans la nuit, Serge B a rappelé le service vers 8 heures 30avant de quitter son service de garde – l’état de M. JL était stable et les rendez-vous étaientprogrammés dans la matinée.

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1.5.2. À propos de la nuit du 12 novembreMme Laurence V, infirmièreConfirme être passée avec sa collègue aide-soignante à 22 heures et 2 heures (surveillance :

le patient ne dormait pas, protection changée et prévention escarres faites). À son passage à6 heures 30, M. JL est aréactif, pouls et tension artérielle imprenables. Le médecin-réanimateurest arrivé à 6 heures 45. Elle a demandé à l’aide-soignante (Mme Florence T) d’aller chercher lechariot d’urgence et puis a posé une voie veineuse périphérique (VVP) et a assisté le médecinlors de l’intubation. À la demande du médecin, elle a organisé le transfert dans le service deréanimation.

M. Philippe A, réanimateur de gardePrévenu à 6 heures 40, il est arrivé dans le service à 6 heures 45. M. JL était comateux. Il a

pratiqué les premiers actes de réanimation d’urgence et devant la nécessité d’une prise en chargeplus spécifique, il a fait transférer le patient en service de réanimation.

2. L’expertise

2.1. Organisation des soins

Les soins sont assurés par une équipe composée d’infirmiers(ères) et aides-soignant(e)s répartisde la facon suivante :

• de 7 heures à 14 heures : deux infirmières et deux aides-soignantes ;• de 13 heures 45 à 20 heures 45 : une infirmière et deux aides-soignantes ;• de 20 heures 30 à 7 heures 15 : la continuité des soins est assurée par une infirmière et une

aide-soignante.

Les effectifs du week-end et des jours fériés sont identiques à ceux de la semaine. Le planninget la coordination des soins sont assurés par Mme Z, cadre de santé depuis un an dans cette unité.Un kinésithérapeute vient les matins de la semaine compléter cette équipe.

Des réunions de « collaboration » sont organisées tous les mardis, d’une durée d’une heureenviron en salle de réunion pour trouver une réponse multidisciplinaire à la prise en charge despatients. Le personnel présent se doit d’y assister ainsi que les médecins, le cadre, le kinésithéra-peute, l’assistante sociale et la secrétaire. Durant ce temps, la permanence des soins dans le serviceest organisée. L’ordre du jour est partagé comme suit : les patients qui « posent problème » et lesentrants de la semaine. Un compte rendu global est établi sur un support archivé dans la salle desoins et à disposition des équipes. Il est complété par un rapport individualisé sur chaque dossierde soins.

La directrice des soins infirmiers (DSSI) coordonne l’ensemble des cadres de santé (7), res-ponsables d’unité. Le responsable de la qualité et de la gestion des risques exerce ses fonctions encollaboration avec les équipes pluridisciplinaires. Il relève du directeur bien que placé en positionfonctionnelle auprès de la DSSI.

Un classeur « qualité » regroupant les protocoles et procédures du service, organisé en troissous-chapitres (logistique – soins – administratif) est à la disposition des équipes dans la salle desoins. Sa réactualisation est sous la responsabilité du responsable qualité par l’intermédiaire ducadre du service.

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Le projet de service validé en 2001 et réactualisé en 2003, à disposition dans le service, estbasé sur les valeurs de respect, de compétence et de responsabilité. Il mentionne l’organisationdes soins choisie par l’équipe qui repose sur le cadre de référence des 14 besoins de VirginiaHenderson pour assurer une prise en charge globale des patients. L’équipe a été formée auxtransmissions ciblées en 2004 et en 2005 pour compléter le travail interhospitalier commencé en2000 pour l’amélioration du dossier patient.

2.2. Description de la prise en charge

La gestion de la responsabilité résulte de l’examen de deux problèmes :

• la prise en charge thérapeutique ;• la prise en charge globale.

2.2.1. Prise en charge thérapeutiqueLe protocole au centre hospitalier concernant la prise en charge d’un patient en situation

d’urgence indique qu’il faut appeler, en dehors des heures de présence du médecin du service, leservice des urgences qui évalue la situation et régule l’appel par l’intervention d’un interne oud’un médecin urgentiste/réanimateur de garde. Cette procédure a été respectée par le personnelinfirmier la nuit du 7 novembre et la nuit du 12 novembre 2005. Le service des urgences a régulél’appel dans la nuit du 7 novembre vers l’interne de garde et dans la nuit du 12 novembre vers lemédecin-réanimateur avec un intervalle de cinq minutes.

La lecture des auditions et des pièces du dossier montre une prise en charge rapide de M. JL,ainsi qu’une surveillance régulière des suites de la chute, aussi bien pendant les heures qui ontsuivi que lors du coma. Chaque soin réalisé par les infirmières l’a été en regard d’une prescriptionmédicale et selon le protocole établi par le médecin.

Dans ces conditions, on peut dire que la prise en charge immédiate de M. JL, lors de seschutes et de son coma, a été conforme aux données actuelles de la science et dans le respect de laréglementation qui régit la profession.

2.2.2. Prise en charge globale2.2.2.1. Éléments à prendre en compte. M. JL présente de nombreux facteurs prédisposant auxaccidents, notamment :

• déficits physiques liés à son AVP motivant son hospitalisation et ayant pour répercussions unedépendance à la mobilité ;

• troubles du comportement notifié par l’équipe soignante – amnésie des circonstances de l’AVPjusqu’à son arrivée aux urgences et avec non respect des consignes réitérées régulièrement.

M. JL a été admis avec une impotence fonctionnelle et au cours du séjour un comportementqui s’est révélé « inadapté » (non respect des consignes malgré leur répétition) qui aurait puconduire à une évaluation de la part du médecin mais également par l’infirmière comme le décretde compétence le prévoit, aux termes de l’article R. 4311-2 du Code de la santé publique : « lessoins infirmiers [. . .] ont pour objet, dans le respect des droits de la personne [. . .] de participer àl’évaluation du degré de dépendance des personnes ». L’identification des besoins de la personne,la mise en place d’actions de prise en charge adaptées ainsi que leur évaluation relèvent du rôlepropre.

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2.2.2.2. Références professionnelles.2.2.2.2.1. La dépendance. La définition de la dépendance a été donnée en 1998 par le Comité

des ministres du Conseil de l’Europe : « état dans lequel se trouvent des personnes qui pour desraisons liées au manque ou à la perte d’autonomie physique, psychique ou intellectuelle ontbesoin d’une assistance et/ou d’une aide importantes afin d’accomplir les actes courants de lavie ».

La dépendance est définie comme le besoin d’aide des personnes de 60 ans ou plus pouraccomplir certains actes essentiels de la vie quotidienne. Elle est liée non seulement à l’état desanté de l’individu mais aussi à son environnement. Il existe de nombreuses grilles d’évaluationpour mesurer la dépendance. Elles permettent de classer les personnes en groupes isoressources enfonction de leur perte d’autonomie à un moment donné. Elles permettent une réelle évaluation desbesoins de prise en charge, notamment en termes de moyens et de soins médicaux et paramédicaux.

2.2.2.2.2. Les chutes. La chute est un risque potentiel chez les personnes âgées ou cellesdont la santé est altérée par une maladie ou des facteurs environnementaux inhabituels. C’est unévénement indésirable fréquent dans le cadre des traitements médicaux infirmiers ou thérapeu-tiques. Il n’est pas rare que les chutes et leurs répercussions entraînent la nécessité d’une prise encharge définitive, voire même un décès. Statistique nationale en 2002 : 2 % des chutes entraînentun décès chez les personnes âgées de plus de 65 ans hospitalisées en établissement.

Les chutes sont la première cause de mortalité chez les personnes hospitalisées de plus de65 ans. Une personne qui a chuté une fois présente 20 fois plus de risque de retomber.

La prévention des risques de chute se fonde sur l’étude de la littérature scientifique et surl’expérience clinique de spécialistes (Recommandation de bonnes pratiques et recommandationsHaute Autorité de santé [HAS]).

2.2.2.2.3. Processus de gestion des risques.

• identification et évaluation des risques : établir une liste des facteurs de risque et créer des outilsd’évaluation ;

• prévention et intervention : mesures correctives pour diminuer, voire supprimer les chutesévitables ;

• évaluation : déterminer les indicateurs ;• réaction aux chutes : état de santé – environnement – traitement – locaux – action d’amélioration

– matériel - protéger les personnes contre tout autre dommage - analyse des données (fiches designalement et mise en œuvre des mesures d’amélioration (prioriser - démarche qualité).

2.2.2.3. Analyse. L’étude du fonctionnement et de l’organisation du service, permet de trouverdes éléments pour l’étape 1 : il existe bien un protocole de conduite à tenir en cas de chute, validéen 2001, et un taux de signalement des chutes de 98 %.

En revanche, en ce qui concerne les autres étapes, il n’existe pas dans le service d’outild’évaluation des facteurs de risque de chute. Le protocole de conduite à tenir en cas de chuten’a pas été réactualisé depuis 2001. Il n’existe pas de grille d’audit et aucune évaluation despratiques professionnelles n’a été réalisée dans ce domaine. Les données statistiques des fichesde signalement n’ont pas été analysées (analyse qualitative) par le service qualité en vue deproposition de mesure d’amélioration.

En conclusion : la prévention et la gestion du risque de chute n’est pas conforme au référentieldes pratiques professionnelles. M. JL n’a pas bénéficié d’une évaluation et d’une prise en chargeindividualisée du risque de chute.

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2.3. Conséquences

Lors de son hospitalisation, M. JL est victime de chute dont l’une d’elle entraîne une fracturedu col du fémur droit et nécessite une intervention. Les personnes âgées sont fragiles et nécessitentune prise en charge particulière dans un environnement sécurisé. En corrigeant ces facteurs derisques prédisposants et précipitants, la chute de M. JL aurait pu être évitée.

Une évaluation du risque de chute par le médecin et l’équipe soignante aurait permis :

• de prévenir cette chute car « la chute est rarement liée à une étiologie unique. Elle résultele plus souvent de l’interaction de facteurs de risque intrinsèques ou prédisposants en partieréversibles et de facteurs de risque précipitants occasionnels ou liés à l’environnement. » ;

• de proposer, après une appréciation multidisciplinaire, si nécessaire, des moyens de contentionjustifiés, adaptés, limités et codifiés, complétés d’une surveillance programmée « la contentiondoit être réalisée sur prescription médicale. Elle est motivée dans le dossier de soins despatients », comme le précise le rapport des Recommandations de bonnes pratiques de soins ;

• de limiter le risque de chute.

On ne retrouve aucun compte rendu de réunion « de collaboration » sur l’évocation du cas deM. JL, ni sur le support du service, ni dans le dossier infirmier.

Une étude du responsable « prévention et gestion des risques » et du cadre de santé auraitpermis :

• d’informer le personnel soignant sur la prévention et la gestion du risque de chute ;• de mettre en place des outils d’évaluation du risque de chute validés et conformes ;• de créer, de diffuser et d’évaluer des protocoles en rapport avec le risque de chute ;• de former à l’utilisation de matériel adapté et d’évaluer leur efficacité.

Le médecin du service, le responsable qualité, le cadre de santé et le personnel soignant n’ontpas assuré la prévention et la gestion du risque de chute. Ils ont exposé M. JL à un risque, pourn’avoir pas pris les mesures permettant de l’éviter.

La prise en charge de M. JL a été inadaptée et la chute est due à une insuffisance de surveillanceliée à une négligence du personnel soignant majorée par une négligence du personnel responsablede la prévention et gestion des risques.

2.4. Analyse des comportements professionnels

L’infirmière Isabelle B a décrit les habitudes du service en matière de prise en charge despersonnes âgées dépendantes.

L’infirmière répond que « les soins sont adaptés en fonction de l’état d’autonomie des personneshospitalisées, de ses capacités physiques et psychologiques du moment sans une réelle évaluationobjective et chiffrée et qu’il est difficile de surveiller tous les patients du service, tout changementde comportement est noté sur les transmissions ». Elle ajoute que les aides-soignantes effectuaientles soins d’hygiène et de confort de M. JL (toilette complète au lit) sans tenir compte de sescapacités, parce que le soin était plus rapide.

Mme Régine L, cadre de santé, explique « qu’il existe du matériel de prévention des chutesdans le service (barrières – ceinture – planche de transfert), que ce matériel est à disposition dupersonnel mais peu utilisé ». Il a été relevé que les barrières peuvent être positionnées à l’envers

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et que sur chaque modèle de lits s’adapte un modèle de barrière bien spécifique (cinq modèlesdifférents existent dans le service et chaque matériel a son mode d’emploi spécifique). Uneformation est nécessaire pour une utilisation efficace. L’utilisation de ce matériel n’est possibleque sur prescription médicale et, actuellement, il y a peu de prescriptions.

La demande de formation de prévention et gestion des chutes a été faite à la DSSI en soulignantl’importance de ce risque. La solution choisie (dans l’attente de cette formation validée par leresponsable qualité et qui ne pouvait être soumise qu’au plan de formation 2007–2008) a été delimiter l’utilisation du matériel de prévention des chutes.

Il semble important de constater que l’ensemble de l’équipe avait bien intégré l’utilisationraisonnée de ce matériel et l’accident n’est survenu que parce que certaines informations surl’état physique et psychologique de M. JL n’ont pas été prises en compte.

Le médecin explique : « M. JL a chuté de son lit du fait de son impotence fonctionnelle. Lestransmissions de la prise en charge kinésithérapeute ont noté une évolution lente mais favorable ».S’agissant du contenu du dossier infirmier qui contenait des informations sur le comportementinadapté de M. JL, le médecin indique « qu’il n’a pas le temps de lire les transmissions tous lesjours ». Lors des investigations d’expertise, il est relevé le non-respect des consignes de faconsystématique par M. JL. La question a été posée au médecin qui répond : « Ce comportementpeut être expliqué par le traumatisme mais le scanner d’entrée n’a pas retrouvé de signe detraumatisme crânien. ». Nous lui avons demandé, alors, quelle est la prise en charge habituelled’un patient admis en médecine suite à un AVP et présentant un comportement inadapté ? Il nousrépond : « En principe, la prise en charge est faite par le médecin du service qui prescrit desexamens complémentaires. Lors de mes visites dans le service, M. JL était calme et répondaitde facon adaptée à mes questions. Son état était satisfaisant et ne nécessitait pas d’examencomplémentaire. ».

Le responsable qualité, M Vincent H, entendu sur la prévention et la gestion du risque de chutedans le cadre de la démarche qualité et les vigilances explique : « Je suis l’interlocuteur privilégiédes cadre de santé et de la DSSI dans le cadre du suivi qualité. Je suis tenu à une obligationde prévention et de gestion des risques. J’ai pris mes fonctions en janvier 2005, l’accréditationet la visite des experts ayant lieu en septembre 2005. Il m’a été demandé en priorité de prendreconnaissance de tout l’établissement et de faire un important travail d’élaboration de dossier enrapport avec la certification. De ce fait, l’étude statistique des fiches de signalement de 2005 avecanalyse et proposition d’amélioration qui se fait généralement tous les trimestres, a été reportéeenfin d’année. ».

Ce retard a contribué à un déficit de management du risque de chute et a entraîné une majorationdu risque de chute pour M. JL.

2.5. Avis argumenté

La gestion des risques est avant tout une question de culture. Car plus que les moyensfinanciers, c’est l’organisation qui est au cœur du dispositif. En effet la qualité des soins estl’aboutissement d’un processus dans lequel l’ensemble des professionnels joue un rôle complé-mentaire. La gestion des risques est en synergie avec la démarche d’amélioration continue de laqualité.

Dans cette enquête on ne retrouve pas de réelle politique de gestion du risque qui ne se limitepas aux simples vigilances réglementaires, mais qui couvrent l’ensemble des risques (travailler surla qualité des soins pour mettre en œuvre des procédures et amener progressivement le personnelà anticiper le risque).

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Le risque zéro n’existe pas, il est cependant du devoir de l’ensemble du personnel de l’hôpitalde s’en approcher le plus possible. Parmi les méthodes et les outils de la qualité on trouve lesévaluations des pratiques professionnelles (EPP) en vue de l’amélioration et qui peuvent êtrela porte d’entrée des démarches qualité. Pourtant, on constate dans cet établissement que cettedynamique s’implante difficilement, car les professionnels et les équipes ne maîtrisent ni les outilset ni les méthodes d’amélioration des pratiques.

La gestion des risques implique une politique institutionnelle affirmée, avec la mise en placed’un programme de gestion globale et coordonnée des risques sous la responsabilité d’un ges-tionnaire spécifique, en lien avec la direction, et comportant le développement d’un systèmed’information qui permette le partage de l’information avec les différents acteurs au sein del’établissement et avec les structures de l’État et Agences concernées.

Dans cet établissement, le personnel paramédical semble plus impliqué dans la prévention etla gestion des risques (utilisation de matériel) que le personnel médical qui montre une attitudedétachée. Dans la démarche qualité, les référentiels ou recommandations de bonnes pratiquesont pour but de déterminer les critères représentatifs. En effet, il en existe un certain nombre(conférence de consensus, recommandations. . .). Le référentiel devient l’ensemble des exigencesobjectivement légitimes et le support de la valeur éducative et formatrice de l’évaluation.

Mais comme on le voit dans cette enquête, la seule connaissance du risque n’a le plus souventqu’un impact limité. Il manque une formalisation des règles de pratique et d’organisation sous laforme de protocole ou de procédure qui devront être impérativement diffusée et complétée parla mise à disposition de l’information au plus près de la pratique et être évaluée car il s’agit nonseulement de s’assurer que les références sont connues mais aussi qu’elles sont appliquées.

2.6. Conclusions

L’élaboration du projet de service, la satisfaction des patients, la certification montrent incon-testablement que les personnels soignants sont dans une dynamique d’amélioration de la prise encharge des patients hospitalisés dans le service. Il est indéniable que tout est mis en œuvre pourassurer une prise en charge de qualité et garantir la continuité et la sécurité des soins.

Derrière l’acte de soin, c’est en effet toute une organisation qui est pensée et structurée. Lesservices recoivent de plus en plus de personnes âgées et sont aujourd’hui confrontés à un doubleimpératif, d’une part, garantir aux patients un confort et une sécurité accrue au regard des patho-logies traitées et, d’autre part, permettre à ces patients d’être autonomes, leur assurer des droitset le maximum de liberté au regard de leur état.

L’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes), aujourd’hui HAS, publieun guide relatif à la méthodologie de la gestion des risques dans les établissements de santé.Parallèlement les organismes de tutelle soumettent ces établissements à des obligations de sécuritéavec la maîtrise des risques sanitaires.

C’est pourquoi, la chute de M. JL, lors de son séjour hospitalier, aurait pu être évitée. Ce nesont pas les moyens humains ou matériels qui sont en cause parce qu’ils sont au niveau des textesréglementaires et des recommandations.

On constate qu’il n’existe pas de support écrit d’évaluation des facteurs de risque de chutedans le service, ni dans le dossier médical, ni dans le dossier infirmier.

Certes, les recommandations pour la pratique clinique « prévention des chutes accidentelleschez la personne âgée » édictées en novembre 2005 ne s’appliquent qu’aux établissementsd’hospitalisation pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Mais, si on considère qu’en 2004,l’établissement de santé a satisfait à la première procédure d’accréditation, on peut alors affirmer

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qu’un effort a réellement été fait pour initialiser une démarche d’amélioration de la qualité et dela sécurité des soins.

De plus, on peut relever, d’une part, qu’un responsable de la prévention et la gestion desrisques a été recruté début 2005 et, d’autre part, qu’une politique d’information et de formationdu personnel a été planifiée pour 2006–2007. Elle a été organisée, non seulement pour l’acquisitionde connaissances nécessaires à la bonne réalisation du programme de prévention, mais aussi pourfavoriser la dynamique de l’équipe en provoquant des échanges sur l’organisation du travail, lesrésultats obtenus et les axes de progrès à dégager.

Cette nouvelle orientation vers la prévention et la gestion des risques montre un choix pourun positionnement de l’établissement en tant qu’acteur responsable en matière de qualité et desécurité des soins.

Le fait pour les soignants de n’avoir pas pris en compte l’état physique et psychique de M.JL représente incontestablement un facteur important dans la survenue de ses chutes. La chutesurvenue le 7 novembre 2005 lors de son séjour a entraîné une fracture du col du fémur droit etsa prise en charge chirurgicale pour arthroplastie droite.

Les chutes survenues lors de l’hospitalisation de M. JL constituent une négligence indéniable(dont le caractère devra être évalué par la justice). Cette négligence traduit un défaut d’organisationde la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

On note également un dysfonctionnement dans la prévention et la gestion des risques ausein du service. Ce dysfonctionnement est à l’origine de la négligence commise et traduit uneiatrogenèse systémique. Il faut, pour améliorer la qualité et la sécurité des soins, comprendrela complexité du fonctionnement socioorganisationnel d’un établissement de santé, connaître etpartager les informations concernant les situations à risque, les mécanismes de survenue et lescauses racines.

3. La procédure

3.1. Procédure pénale

3.1.1. En droitLes infractions dans le domaine de la santé au regard du nouveau Code pénal sont de deux

types :

• les infractions involontaires ;• les infractions volontaires (avec l’intention de nuire).

Nous limiterons dans le cas présent l’étude aux infractions involontaires, car il n’apparaît pasdans le rapport d’intention volontaire de nuire.

Le texte de référence est l’article 121-123 du Code pénal qui traite des infractions involontaireset expose : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, denégligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi oule règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’ pas accompli les diligences normales comptetenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsique du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

Les personnes physiques n’ayant pas commis directement le dommage, mais qui ont contribuéou créé la situation ayant entraîné le dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettantde l’éviter sont responsables pénalement, s’il est établi qu’elles ont manifestement violé une

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obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. La violation de cetteobligation a exposé autrui à un risque d’une gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

L’article 223-1 et 223-2 du Code pénal relatif à la mise en danger d’autrui : « exposer directe-ment autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure de nature à entraîner une mutilation ouune infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulièrede sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement constitue un homicide involon-taire ». Il faut noter que cette infraction peut être constituée sans établir la preuve d’un préjudice.Le seul fait d’avoir exposé une personne à un risque dangereux peut être condamnable.

L’article 221-226 alinéa 1 du Code pénal, relatif à l’atteinte involontaire à l’intégrité physiqued’autrui et homicide involontaire donne la définition suivante : « le fait de causer. . . par mal-adresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité oud’imprudence imposée par la loi ou les règlements, la mort d’autrui ».

Dans la réalité et depuis la loi du 10 juillet 2000 qui précise les conditions de violation del’obligation particulière de prudence et de sécurité, en particulier dans le secteur hospitalier, lesconséquences sont en général reconsidérées par le juge in concreto, à la lumière de l’analyse de lasituation et des difficultés particulières rencontrées par les professionnels à exercer leurs fonctionsavec un maximum de diligence et de sécurité.

L’analyse de l’expertise dans ce contexte est précieuse et éclaire souvent.

3.1.2. En fait3.1.2.1. La faute. Est en cause un enchaînement de dysfonctionnements qui pourraient être impu-tables à plusieurs personnes, à des niveaux différents et à des fonctions spécifiques : l’équipesoignante, le médecin, les cadres responsables du service (cadre de santé et cadre supérieur) et leresponsable de la prévention et de la gestion des risques.

Il s’avère difficile de séparer les fautes en matière de gestion du risque. Cette responsabilitéauprès du patient ne peut se concevoir que pour une équipe. Même si nous admettons dans lapratique le principe de référence, qui détermine la composition pluriprofessionnelle d’une prise encharge thérapeutique, nous ne pouvons pas extraire de ce groupe constitué, une personne désignée.Aussi, la procédure pénale risque, de ce fait, d’être vouée à l’échec.

3.1.2.2. Le lien de causalité. La responsabilité pénale ne doit pas rester focalisée que sur la faute,la discussion doit également porter sur le lien de causalité, qui doit être certain, direct ou indirect(défini par la présence ou non d’intermédiaire humain entre la victime et l’auteur du dommage).

En l’espèce, M. JL a été exposé à des risques dans sa prise en charge depuis qu’il lui a étéreconnu une impotence fonctionnelle. Il se levait seul dans sa chambre en insécurité puisqu’unechute s’était déjà produite. Cette exposition au risque a entraîné la chute et la fracture du col dufémur suivies de l’intervention et du décès.

Résulte-t-il que le décès de M. JL soit en relation directe, certaine et exclusive avec l’expositionau risque du fait de l’organisation et du fonctionnement du service ?

L’expert médical apportera, par ses conclusions expertales, une précision objective (dossiermédical, rapport d’autopsie) sur les choix médicaux.

3.2. Procédure civile

3.2.1. En droitL’objet de la responsabilité civile est la réparation du dommage causé. Le procès est engagé

à l’initiative de la victime ou de ses ayants droit, soit dans un cadre amiable, soit devant unejuridiction pénale (lorsque le dommage résulte d’une faute) soit devant les juridictions civiles.

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La jurisprudence administrative nous apporte un nouvel éclairage :

• « La chute d’une patiente âgée n’a pas nécessairement pour origine une faute dansl’organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier » (CAA de Versailles, juillet2006, no 04VE00081) ;

• « Une chute n’engage la responsabilité que si le patient prouve l’existence d’une faute infir-mière, laquelle ne résulte pas de la seule circonstance que la chute a eu lieu » (CAA de Paris,5 juillet 2006, no 04PA00886, AP–HP).

3.2.2. En faitLe choix fait par les ayants droit de M. JL est d’introduire une requête devant le tribunal

administratif.La responsabilité civile de l’établissement sera engagée (dès lors qu’il n’est pas retenu de faute

détachable du service de la part de l’auteur de la faute), si une faute est reconnue. Un agent publicn’est pas responsable financièrement des conséquences dommageables de ses fautes, sauf fautedétachable.

L’indemnisation du préjudice, comme la prise en charge du contentieux, se fait parl’intermédiaire de l’avocat de la compagnie d’assurance de la structure publique qui peut exercerun recours, en lieu et place de la victime ou de ses ayants droit.

Au lieu d’entamer une procédure judiciaire, les ayants droit de M. JL peuvent dépo-ser un dossier auprès de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation. Cetteprocédure a de nombreux avantages : gratuit, l’avis de cette commission est rapide (envi-ron six mois). Cette commission va émettre un avis sur les circonstances, les causes, lanature et l’étendue des dommages. Elle va émettre un avis sur le régime d’indemnisationapplicable. Cet avis, d’une commission d’experts sur l’évaluation du dommage subi, va per-mettre aux ayants droit d’envisager une demande d’indemnisation qui sera pris en chargepar l’établissement et ses assureurs, si la faute est qualifiée dans le dommage subi par M.JL.

3.3. Procédure disciplinaire

3.3.1. Instance interne à l’établissementL’attitude des agents est appréciée au regard des règles professionnelles et face à certains

comportements. L’employeur peut, en vertu de son pouvoir de direction, faire usage de sonpouvoir disciplinaire et sanctionner par une sanction disciplinaire.

Le décret no 89822 du 7 novembre 1989 regroupe l’ensemble des procédures concernant lamise en œuvre de cette instance disciplinaire par la fonction publique. Les sanctions disciplinairespeuvent être retrouvées dans la loi no 86-33 du 6 juin 1986 complétée par la lettre-circulaireno 1078 DH/8D du 26 juin 1986 relative à l’inscription des sanctions disciplinaires au dossier dufonctionnaire.

Dans le cas exposé, les mesures disciplinaires seraient imputables à l’équipe présente lorsde l’hospitalisation de M. JL. L’encadrement infirmier ainsi que le responsable de la gestiondes risques pourraient également être mis en cause au regard de l’organisation des soins, despratiques de leur service et de la prévention et de la gestion des risques. Il est peu fréquent quele conseil de discipline soit sollicité pour une faute partagée ou pour des fautes cumulées, dansla mesure où la sanction doit être prononcée individuellement au regard de l’évaluation des actescommis.

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3.3.2. Procédure ordinaleContrairement à l’idée recue, l’engagement de la procédure disciplinaire par l’employeur

n’empêche en rien l’engagement d’une procédure disciplinaire ordinale. L’Ordre a une compé-tence générale, de par la loi, qui ne pourrait être limitée que par une disposition expresse de laloi.

Bien au contraire, le Code de la santé publique rappelle le principe d’indépendance desprocédures disciplinaires.

4. La gestion des risques

4.1. Prendre soin du droit pour défendre le soin

Dans le domaine de la santé, la sécurité est une dimension majeure de la qualité des soins etune attente principale des patients vis-à-vis du système hospitalier. Plusieurs facteurs influent surson efficacité : l’identification des risques, la perception de la complexité des activités de soinsou encore la spécificité des informations.

Ces données classiques sont renforcées dans une logique de fonctionnement cloisonné commecelui des services de santé où les intérêts sont divergents et les hiérarchies parallèles et où lesrevenus, les moyens et les statuts ne sont liés à aucune évaluation qualitative. En effet, d’un côté,une attente de plus en plus exigeante quant à l’efficacité des soins, quelle que soit la nature desaffections et, de l’autre, une intolérance croissante à l’égard des risques que peuvent comporterces gestes.

La société ne se contente plus d’attendre des soins une performance toujours plus grande, elleexige parallèlement une sécurité toujours plus accrue. Le patient attend de l’hôpital un triptyquesécurité – qualité–humanité.

Les missions du service public sont définies et clarifiées autour de trois valeurs centralesà évaluer périodiquement : garantir l’accès de tous à des soins de qualité, respecter l’équité etpromouvoir l’efficience. L’hôpital est devenu un lieu où le risque est permanent. Tous les secteurssont concernés.

Mais dans le domaine de la santé, ne pas prendre de risque conduirait à ne pas soigner. Et laqualité, dans les établissements de santé, ne peut correspondre ni à l’absence de risque, ni mêmeà la réduction complète de la prise de risque.

Comme le définit Jean de Kervasdoué1 : « L’hôpital est par nature une organisation complexede par la multiplication des rôles, des acteurs, des techniques et des attentes souvent contradictoiredu public, des autorités de tutelles. . . ».

L’établissement de santé a, en effet, bien des similitudes avec le modèle systémique. Le PetitRobert caractérise la « systémique » comme la technique des systèmes. Pour être plus concret,on retrouve à chaque fois une diversité de structure, une coordination de fonctionnement, deséchanges informels avec une finalité commune.

Dans ce contexte, la complexité croissante des soins n’a pas effacé une donnée inhérente àtout système comportant une forte composante humaine, à savoir une certaine faillibilité des indi-vidus, mais elle y a ajouté la fragilité propre aux activités complexes : le risque de défaillancesystémique. La gestion des risques dans un établissement de santé est assez logiquement sourcede tension – l’essentiel est bien maîtrisé mais il n’en reste pas moins qu’à tout moment peut

1 L’hôpital, collection Que sais-je ? PUF, 2004.

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surgir un « événement indésirable », ce qui conduit à analyser avec soin les défaillances systé-miques.

Dans le domaine hospitalier, chaque agent, chaque individu, chaque catégorie de personnel estdétenteur d’informations que l’on peut qualifier de spécifiques.

Comment créer de la complémentarité et si possible de la responsabilisation ?

4.2. La spécificité des informations

Le système d’information hospitalier coordonne les activités de l’organisation autour du patientet permet ainsi, à l’établissement, d’atteindre ses objectifs. La qualité des soins n’est pas effec-tive sans une circulation de l’information accessible et compréhensible par tous, basée sur unecomplémentarité des organisations et des processus.

Les processus, procédures, les données de terrain, basés sur le principe de retour d’expériencevont dessiner une « sécurité » hospitalière. Son efficience dépend de la compétence profession-nelle, de l’implication des acteurs qui analysent, évaluent, contrôlent et adaptent en permanenceleurs pratiques et s’engagent dans le cadre d’une démarche qualité.

Les protocoles, procédures, référentiels et processus sont construits à partir des informationsproactives, ils sont proposés, élaborés et rédigés à partir des lois, décrets, circulaires et de recom-mandations. Cette documentation est indispensable pour être capable d’assurer, envers le patient,la responsabilité d’une prise en charge personnalisée de qualité par une équipe pluridisciplinaire.

Tout d’abord, les protocoles décrivent des techniques à appliquer et/ou des consignes à observerdans certaines situations de soins ou pour l’administration d’un soin. Puis, ils sont des outils deréférence pour rassembler les soignants dans un dispositif commun garantissant la continuité dessoins au patient même dans le cas de changement d’équipe ou de service.

Les vigilances se sont imposées dans des domaines sanitaires spécifiques (hémovigilances,pharmacovigilances, matériovigilances, biovigilances. . .) tout comme dans les autres secteurs del’hôpital, mais ce système de surveillance n’est pas managé de la même facon que pour les outilsévoqués précédemment.

La logique de fonctionnement se décline en deux approches bien distinctes mais qui nes’opposent pas : l’approche proactive (ou gestion des risque a priori) et l’approche réactive (ougestion des risques a posteriori).

• Approche proactiveDans l’approche proactive, l’analyse préliminaire des risques est une méthode d’analyse qua-

litative et inductive qui partant d’événements primaires, tente d’établir un scénario pour aboutirà de possibles événements redoutés ou accidents. Cette scénarisation permet la manipulation desconcepts dans une démarche intellectuellement dynamique et de formaliser plus précisémentle processus étudié. Il faut savoir que dans le cadre d’une telle démarche l’identification dessituations dites problématiques suppose, après l’examen de processus, la priorisation d’actionsà mener après élaboration d’une cartographie ou tableau croisé secteur/type de risque. Lesactions priorisées font l’objet d’une fiche de cadrage et de suivi.

• Approche réactiveL’approche réactive exploite des données du terrain (à partir de signalements sur support

spécifique). Ce retour d’expérience entend constituer une boucle qui part du terrain : récupérerl’information, analyser les erreurs, les omissions, les carences pour, après analyse, proposer etmettre en place des actions d’amélioration. Pour fonctionner, il nécessite une réponse rapideaux dysfonctionnements ainsi identifiés.

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La complexité vient de ce que ces approches doivent répondre à une démarche d’analyseadaptée au fonctionnement systémique hospitalier tout en gardant leur spécificité. Ce problèmeest rendu particulièrement complexe par l’évolution des risques intéressant des disciplines etdes secteurs hospitaliers divers. En l’absence de démarche qualité, les défaillances résultent dedysfonctionnements qui apparaissent dans la phase de réalisation directe de l’acte ou dans lesinterfaces de la chaîne d’action collective.

4.3. La gestion des risques comme une réponse à une injonction réglementaire

L’hôpital a fait connaissance avec le terme de gestion des risques dans le Manuel d’accréditationdes établissements de santé élaboré pour la première procédure d’accréditation en mars 1999.

La démarche qualité est l’obligation à laquelle doivent répondre les établissements par la procé-dure d’accréditation, depuis l’ordonnance no 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme hospitalièreet précisé par le décret no 97-311b du 7 avril 1997et aujourd’hui dénommée certification.

La démarche qualité (ou dynamique d’amélioration continue de la qualité) a pour enjeu :

- d’améliorer la qualité et la sécurité des soins ;- de promouvoir des démarches d’évaluation et d’amélioration ;- de renforcer la confiance du public par la communication des résultats.

ation est le moment, ou selon une périodicité définie (tous les quatre ans), la démarche qualité del’établissement de santé est appréciée par des experts visiteurs, en vue d’apporter à l’établissementun regard extérieur et de validation méthodologique.

Chaque établissement de santé doit développer un programme de gestion globale et coordonnéedes risques comme le précise une circulaire de la DHOS du 29 mars 20042. Ce programmecomporte les objectifs à atteindre et les actions à mener en matière de prévention et de maîtrisedes risques, de sensibilisation, d’informations, de formation et d’évaluation du programme.

Cette gestion des risques fait référence au fait que l’établissement est invité à tirer profit de toutesles informations collectées pour mettre en place des mesures d’amélioration. Dans la premièreprocédure d’accréditation (V1), les référentiels sont organisés en trois chapitres, le patient et saprise en charge, le management et la gestion au service du patient, enfin la qualité et la prévention.À partir de ce cadre de référence, les établissements de santé ont plutôt développé une gestionsectorielle des risques, se focalisant sur les risques faisant l’objet d’une obligation réglementaire.

Dans la V2, l’établissement doit faire preuve de l’existence d’une politique formaliséed’amélioration de la qualité et de gestion des risques. C’est l’objet de la référence 6. Trois autresréférences (11, 12 et 13) sont spécifiquement consacrées à la gestion des risques proprement dite.

Dans la version pilote du manuel de la V3, une référence a été crée sur l’item « Utilisation desindicateurs qualité et sécurité dans la démarche d’amélioration » (référence 10).

La démarche de gestion des risques apparaît donc, comme complémentaire de la démarchequalité. Pour Benoît Guimbaud3, son objectif n’est pas l’excellence, mais la sécurité : « C’est-à-dire un niveau de la qualité pour lequel le patient ne sera pas victime d’un dysfonctionnementde l’hôpital ». C’est pourquoi elle s’appuie sur les normes réglementaires de sécurité et sur les

2 Circulaire DHOS/E2/E4 no 176 du 29 mars 2004 relative aux recommandations pour la mise en place d’un programmede gestion des risques dans les établissements de santé.

3 Guimbaud B., L’hôpital à l’heure de la gestion des risques, in La qualité à l’hôpital, Technologie santé, no 32, décembre1997, CNEH, pp. 35–41.

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vigilances. Mais elle nécessite aussi un système de pilotage qui permet d’identifier et d’analyserles événements indésirables qui surviennent au quotidien, afin de traiter ces dysfonctionnements,intégrant la gestion des plaintes et des réclamations. À compter de 2009 : « les indicateurs alimen-teront l’annexe « qualité–sécurité » des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, commedes éléments de suivi des objectifs. . . »4

4.4. Un intérêt pour les interfaces organisationnelles

L’accident, l’incident grave, apparaît souvent en bout de chaîne. Il est alors attribué au der-nier élément de la chaîne, souvent le personnel paramédical. James Reason5 a mis en évidencel’incident systémique qui résulte d’une accumulation d’erreurs ou d’une accumulation de non-rattrapage à différents niveaux de la chaîne d’action. Pour qu’un accident arrive, il faut qu’il y aiteu des « trous » dans les barrières de protection de chaque niveau organisationnel. C’est l’imagedu gruyère suisse.

Cette conception met en évidence la nécessité de travailler sur les processus avec les acteursdirectement concernés par un dysfonctionnement, afin de remonter les différentes barrières pouridentifier celles qui n’ont pas fonctionné. Mais elle permet aussi de comprendre comment touteproduction d’accident relève d’une action collective, que souvent, chaque acte pris isolémenta bien été réalisé ou n’a fait l’objet que d’une légère défaillance, et que ce sont les inter-faces, les coordinations, les transmissions qui sont en cause. C. Vincent met en évidence que« bien qu’une action spécifique puisse être la cause immédiate d’un accident, une analyse pluspoussée révèle habituellement une série d’événements et d’écarts à des pratiques sûres, influen-cés par l’environnement de travail et plus largement par le contexte organisationnel »6. Lescapacités d’amélioration résident bien dans les interfaces et nécessitent une approche transver-sale.

4.5. Méthode

4.5.1. Définir l’objectifLa gestion des risques doit être transversale, basée sur la collaboration et l’échange

d’informations entre tous les acteurs. Il s’agit là d’un prérequis pour initialiser une démarcheglobale de gestion des risques. L’objectif est à la fois de pouvoir identifier les événements, depréciser le traitement approprié (gestion des alertes ou capitalisation) et d’assurer l’évaluation etle suivi. La condition essentielle pour assurer le succès de cette organisation est qu’elle résultede la prise de conscience par tous de sa nécessité, afin qu’elle soit fondée sur l’implication etque tous les intervenants acquièrent la conviction d’une nouvelle responsabilité. À la responsa-bilité personnelle habituelle à l’égard de ses propres fonctions doit s’ajouter une responsabilitécollective à l’égard du bon fonctionnement du système. Loin de diminuer le sens du devoir qu’atout soignant, il doit le renforcer par la conscience que la sécurité du patient dépend de l’actionsolidaire de tous. Dès lors, la coordination des informations est un facteur primordial.

4 FHF, Vers la troisième version de certification, communiqué de presse de la FHF, 6 mars 2007.5 Cité par Blondel P. La gestion des risques sanitaires, une démarche systémique, Soins Cadres, no 56, novembre 2005,

pages 20–23.6 Vincent C. et al. Comment enquêter sur les incidents cliniques et les analyser : protocole de l’unité des risques cliniques

et de l’association de la gestion du contentieux et des risques, Annales francaises d’anesthésie-réanimation, 2002, pages509–516.

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À l’hôpital, l’information est un jeu complexe d’implication, de pouvoir et de fonction. Ainsi,l’hôpital est considéré comme une succession de services et comme une entité à part entière.L’information est conditionnée par l’organisation : définir les critères et les flux. Il s’agit de dire« quelles informations et pour qui ? » La multiplication des acteurs et des situations supposeune politique en matière d’information nécessairement transversale, coordonnée et pluridiscipli-naire.

La culture du secret professionnel n’est pas convergente avec la pratique du signalement desévénements indésirables. De même, les soignants se retranchent souvent derrière leur mission« noble » : le soin au patient, pour échapper aux sollicitations qui les dérangent. La crainte dela faute et de la sanction, renforcée par l’idée de délation, n’est pas aisée à remplacer par unevision positive de l’erreur comme participant d’un processus d’apprentissage. La coordination etl’échange d’information avec tous les acteurs deviennent un enjeu fondamental. L’informationqui permet la création de valeur ajoutée peut aussi être une source de dysfonctionnement par samultiplication, sa complexité, sa diffusion non ciblée et son archivage diffus.

Démarche qualité, évaluation des pratiques professionnelles et accréditation, qui visentl’amélioration de la qualité et de la gestion des risques, sont générées par des informations eten produisent de nouvelles qui viennent remplacer ou compléter celles déjà existantes.

Les divers professionnels doivent disposer essentiellement de recommandations pertinentes,réactualisées et validées, mais aussi, de manière participative, les imprégner et se les approprierpour modifier leurs pratiques par des apprentissages.

4.5.2. Rôle du coordinateurPour mettre en place, conduire et suivre la démarche, un pilotage et une coordination sont

organisés. La coordination peut être assurée par un responsable en charge de la fonction « gestiondes risques » ou par une cellule pluridisciplinaire opérationnelle en étroite collaboration avec lesprofessionnels de terrain. Le rôle de l’encadrement de proximité (cadre de santé) est primordialdans l’animation de la démarche. Il initie et maintient la participation définie, diffuse et engagecette culture et assure un climat d’échange et de confiance.

Malgré la mise en œuvre d’une démarche méthodologique aboutissant à la rédaction d’unprogramme d’actions d’amélioration, garant d’une pratique responsable, malgré la compétenceet l’engagement collectif, l’ensemble des processus n’est pas toujours concerné et on retrouvedes cloisonnements de services, de fonctions ou d’échanges, des mauvaises conditions de travailet des risques majorés.

C’est en développant la transversalité, que l’on évoquera un management par projet.

4.6. Le management de la gestion des risques

La culture de sécurité représente un des aspects les plus importants qu’il s’agit de favoriser.La culture de sécurité peut être comprise comme l’ensemble des caractéristiques et attitudesd’une organisation établissant comme priorité la sécurité – celle-ci s’acquiert progressivement,s’appuyant sur les questionnements, sur les erreurs et la pratique renouvelée de méthodes spéci-fiques. C’est aussi et surtout l’engagement de chacun, un engagement éthique, un questionnementquotidien sur ces pratiques.

Dans ce contexte, ni les conseils de service, ni les commissions ne permettent le contrôled’une action qui ne peut, ni ne doit être totalement codifiée. Néanmoins les soignants, dansune démarche pluridisciplinaire, doivent participer à l’élaboration de règles de droit avec deux

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perspectives : l’une, fondamentale, développer la recherche déontologique, l’autre, donner auxjuristes des critères d’analyse des soins.

4.7. Responsabilité : entre droit et éthique

Reconnaître qu’il existe des risques liés aux soins nous amène à poser la question del’engagement de la responsabilité des professionnels et de l’indemnisation face aux risques.

L’évolution sociale de la représentation du risque a été accompagnée d’une évolution juri-dique quant à la réparation, notamment, suite à des accidents médicaux. L’établissement publichospitalier est responsable des agents qu’il emploie et il engage sa responsabilité civile en casde dommage pour un usager, hors des cas de fautes détachables du service. Puis, l’engagementde la responsabilité de l’hôpital s’est effectué sur la base d’une présomption de faute, notam-ment lorsque la faute ne pouvait être mise en évidence, le juge « déduisant son existence desfaits de la cause ». L’évolution jurisprudentielle, sous la forme de l’aléa thérapeutique, a permisd’indemniser les patients de dommages anormalement graves et sans relation avec leur état ini-tial, sur la base de risques connus mais exceptionnels. La charge de la preuve s’est alors trouvéeinversée pour les établissements de santé.

La loi no 2002-303 du 4 mars 2002 a instauré le principe de l’engagement de la responsabilitésur la base de la faute, prévoyant le maintien du renversement de la charge de la preuve pourles infections nosocomiales. Parallèlement, les procédures de gestion des contentieux entre lesmalades et les professionnels ont aussi évolué. Depuis 1986, création des commissions de conci-liation, et avec la loi du 4 mars 2002 mise en place des commissions régionales de conciliation etd’indemnisation (CRCI) facilitant la gestion des contentieux et organisant leur solvabilité par lasolidarité nationale.

La loi no 2000-647 du 10 juillet 2000, dite loi Fauchon, étend la responsabilité pénale pourfaits d’imprudence ou de négligence à toute personne ayant contribué, même indirectement, à laréalisation d’un dommage et non plus seulement à l’auteur direct du manquement. La respon-sabilité de l’encadrement, voire celle des équipes de direction peut ainsi être engagée pour desmanquements à des règles de sécurité.

Les règles de droit fixent la norme, elles jouent une fonction de régulation.De son côté, l’éthique n’entre pas en jeu par le fait du vide juridique mais seulement en raison

d’un silence du droit. La règle de droit, générale et absolue n’a ni à définir toutes les normes,ni à régir toutes les situations. Respectueuse des libertés, elle doit nécessairement ouvrir surl’incertitude. Elle met en jeu la responsabilité individuelle, elle contraint à la prise de risque.

La règle de droit, comme la règle éthique, laisse place au risque. Si le risque est, comme nousvenons de le voir, inhérent à l’action infirmière, c’est l’analyse du risque qui devient primordiale.

Annexe 1. Bibliographie

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ArticlesMinvieille E. Compaqh : développement des indicateurs en matière de qualité et de sécurité

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CoursDevers G. Cours IFROSS, Expertise judiciaire.Rousset G. Cours IFROSS, La responsabilité civile et pénale, janvier–février 2008.