Cinema Suisse

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Cinma HelveticaCin-Club Universitairedu 19 janvier au 6 avril 2009 Auditorium Arditi | Av. du Mail 1 | 1205 Genve

Cinma Helvetica, un regard sur le Nouveau cinma suisse (19671985)Lundi 19 janvier Charles mort ou vif, Alain Tanner, 1969 Lundi 26 janvier La Lune avec les dents, Michel Soutter, 1967

O u v e r t

a u x

t u d i a n t s

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Cin-Club Universitaire Lundi 20hAuditorium Fondation Arditi Av. du Mail 1 1205 Genve

n o n - t u d i a n t s

Lundi 2 fvrier Black Out, Jean-Louis Roy, 1970 (en prsence du ralisateur) Lundi 9 fvrier L'Invitation, Claude Goretta, 1973

Lundi 16 fvrier Die pltzliche Einsamkeit des Konrad Steiner (La Soudaine solitude de Konrad Steiner), Kurt Gloor, 1976 Lundi 23 fvrier Les Petites fugues, Yves Yersin, 1979

Sance: 8.Carte 3 entres (non transmissible): 18.Abonnement pour tout le cycle (non transmissible): 50.Vente uniquement lentre des sances ds 19h30 Une fiche filmique est mise disposition des spectateurs avant chaque projection. Complments dinformations disponibles sur www.a-c.ch: analyses dtailles, fiches filmiques, dossier thmatique, liens internet, images de couverture: LInvitation, lundi 9 fvrier dos: La Lune avec les dents, lundi 26 janvier

Lundi 2 mars Das Boot ist voll (La Barque est pleine), Markus Imhoof, 1981 Lundi 9 mars Sauve qui peut (la vie), Jean-Luc Godard, 1981

Lundi 16 mars Carte blanche Freddy Buache (en sa prsence) Lundi 23 mars Hhenfeuer (L'me sur), Fredi M. Murer, 1985 Lundi 30 mars Derborence, Francis Reusser, 1985

dition Magdalena Frei Graphisme Julien Jespersen Renseignements Activits Culturelles Rue de Candolle 4 1205 Genve 022 379 77 05 www.a-c.ch

Lundi 6 avril Dans la ville blanche, Alain Tanner, 1983 (en prsence du ralisateur)

Groupe de travail du Cin-Club Universitaire Lela Amacker, Christophe Chazalon, Nathalie Gregoletto, Sarah Maes et Sandra Rizzello Activits Culturelles de lUniversit de Genve: Magdalena Frei et Vincent Jacquemet. Nous remercions Laurent Baumann, Regina Blsterli (Cinmathque Suisse), Freddy Buache, Olivia Colbeau-Justin (Gaumont), Jean-Luc Godard, Claude Goretta, Markus Imhoof, George Mezfi (Praesens Film), Marcel Mller (SwissFilms), Fredi M. Murer, Luc Palandella (le projectionniste), Yves Peyrot (DNA Films), Francis Reusser, Gilles Robert (Socits JMH), Jean-Louis Roy, Simon Soutter, Miguel Stucky (FVP), Alain Tanner, Patricia Trinca (CAB Productions), Sylvain Vaucher (Swiss Films), Yves Yersin, Olivier Zobrist (Lang Film), Francine Bengui et toute lquipe de la Mdiathque dUni-Bastions, toute lquipe du Service coles-Mdias (SEM), Naussadali Abibo.

Lela Amacker, Christophe Chazalon, Nathalie Gregoletto, Sarah Maes, Sandra Rizzello Cr en 1954, notre Cin-Club est lun des plus anciens de Suisse. Parmi ses fondateurs, on reconnatra les noms dAlain Tanner et Claude Goretta, sans oublier Franois Bardet, Pierre Barde et Jacques Rial, les principaux animateurs. Une dizaine dannes plus tard, Claude Goretta et Alain Tanner, avec Jean-Louis Roy, Jean-Jacques Lagrange et Michel Soutter, fondent le Groupe 5, collectif genevois lorigine de ce quon a coutume dappeler le Nouveau cinma suisse. Cest pourquoi, en hommage, nous vous proposons ici de revenir non seulement sur des uvres issues du Groupe 5, mais aussi sur lensemble du cinma suisse des annes daprs-guerre. Le cycle Cinma Helvetica ne comprend volontairement pas de films danimation ni de documentaires, pourtant abondants et de qualit. Il se focalise uniquement sur les films de fiction. Contrairement un avis convenu dun cinma suisse lent, gris et souvent morne, on trouve ici un cinma fort, violent, trs souvent dissident et engag. Emprunts dune vision politique affirme, les films de ce cycle, stendant de 1967 1985, proposent un regard sans concession sur une socit en pleine mutation. Ils prennent le contre-pied du cinma de dfense spirituelle nationale qui avait cours depuis 1938. Celui-ci

ditoperptuait les schmas dune nation protectrice et pure (reprsente par les Alpes) et unie (reprsente par le village). Que la rupture se fasse avec amertume, telle que dans La Lune avec les dents, Charles mort ou vif et plus tardivement Sauve qui peut (la vie), ou sous le couvert de lamusement et de la drlerie, tels quon les retrouve dans LInvitation ou plus dlicatement dans Les Petites fugues, ou encore sous le mode de la fable avec Black Out, le constat est toujours le mme: il faut avant tout parler dici, sur les gens dici et de maintenant. La mise en avant dune uvre littraire suisse, travers les rcits de Ramuz que reprsente ici Derborence, poursuit indirectement la mme volont. Ce nest que dans un deuxime temps, que lon pourra se tourner vers un ailleurs comme le propose Alain Tanner travers son film Dans la ville blanche. La slection marque ce manque doxygne inhrent la condition de citoyen suisse, toujours dactualit. Le besoin de libert montr par les personnages aboutit, notamment dans le film clturant le programme, une prise de distance physique avec le pays devenue inluctable. De lautre ct du rstigraben, mme si le clivage culturel apparat encore, la volont de dpasser un cinma davant-guerre strotyp et qui ne correspond plus lesprit du temps est aussi manifeste. Du retour sur le pass tout rcent de la Suisse au temps du nazisme que lon retrouve dans Das Boot is voll (La Barque est pleine), une critique virulente de la socit bourgeoise et conservatrice comme le fait Hhenfeuer (Lme sur), film majeur du cinma suisse, ou Die pltzliche Einsamkeit des Konrad Steiner (La Soudaine solitude de Konrad Steiner), voquant la difficile fin de vie dun homme, les cinastes suisses almaniques semblent vouloir atteindre les mmes objectifs, mais de manire diffrente. Aussi nous esprons que les douze films proposs dans ce cycle sauront balayer, sans quivoque possible, les ides convenues et souvent fausses, et redonner au cinma suisse ses lettres de noblesse tant mrites.1

S O M M A I R EDITO HISTORIQUE CASSANT COMME UNE BRANCHE ENTRETIEN AVEC CLAUDE GORETTA SYNOPSIS ENTRETIEN AVEC JEAN-LOUIS ROY PROPOS DE LA VILLE DE GENVE ENTRETIEN AVEC FREDDY BUACHE BIBLIOGRAPHIE

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Les Petites fugues23 fvrier

Sarah Maes Le cinma suisse est, tort, souvent oubli par les historiens du cinma. Malgr la diversit linguistique, lexigut du march et le fait que le cinma ait longtemps t considr comme un mode dexpression mineur, la Suisse fut nanmoins le terreau dune production cinmatographique fascinante, culturellement ancre et souvent contestataire. Pendant la priode du muet, lexception de quelques courts mtrages patriotiques destins vanter la beaut des paysages de montagne, il nexiste pas encore un vritable cinma suisse. Mme si la population montre rapidement un intrt pour ce nouvel art et que de nombreux cinastes trangers choisissent les Alpes comme dcor, il faudra attendre les annes 1930 pour voir lapparition des premiers longs mtrages. Ds le dbut des totalitarismes en Europe, les autorits helvtiques sinterrogent sur la meilleure manire de renforcer lidentit nationale. Le cinma, apte toucher une large population, commence donc intresser le monde politique. Cest grce au soutien de ltat que Leopold Lindtberg, un Autrichien travaillant Berlin et contraint de fuir le nazisme en 1933, ralise, en 1938, Fsilier Wipf (Le Fusilier Wipf). Cette uvre marque le dbut, encore timide, dun rel cinma suisse. Pendant la deuxime guerre mondiale, pour stimuler ce quon appelle la dfense spirituelle du pays, ltat ne cesse de financer des projets. En 1940, est cre la premire revue de cinma, le Cin-journal suisse. La production suisse almanique atteindra une douzaine de longs mtrages par an, la plupart marqus par un certain patriotisme anti-nazi. Mme si en Suisse romande la production est plus faible, il faut nanmoins noter la ralisation de Farinet ou lor dans la montagne de Max Haufler. Les adaptations lcran des uvres de Charles-Ferdinand Ramuz, grce un style original et une capacit raconter des histoires qui transcendent le rgionalisme, constitueront par la suite une tradition importante du cinma helvtique. En 1941, Hans Trommer et Valerian Schmidely ralisent Romo et Juliette au

Historiquevillage, qui restera lun des films les plus aboutis de cette priode jusqu lavnement du Nouveau cinma suisse, dans les annes 1960. Entre 1946 et 1953, une srie dvnements donne un nouvel lan la production cinmatographique: la cration du festival de Locarno, celle de la Cinmathque suisse par Freddy Buache, lintroduction dune nouvelle loi fdrale daide au cinma ainsi que le lancement de la tlvision. Une gnration de cinastes ns autour de 1930 saisit donc lopportunit de faire des films. Michel Soutter ralise son premier long mtrage, La Lune avec les dents, qui marque lirruption inattendue sur la scne helvtique, dun cinma romand de fiction fond sur une dramaturgie moderne1. De nombreux collectifs sont crs dans toute la Suisse. En 1966, ce sont quatre jeunes ralisateurs romands, Claude Champion, Francis Reusser, Jacques Sandoz et Yves Yersin, impressionns par la Nouvelle vague, qui crent lunit de production MilosFilms. Ils ralisent chacun un court mtrage qui, mis bout bout, constituent le long mtrage Quatre dentre elles. Cest la cration en 1968 du Groupe 5, compos dAlain Tanner, Claude Goretta, Michel Soutter, Jean-Jacques Lagrange et Jean-Louis Roy, qui marque lessor du dit Nouveau cinma suisse. Grce une alliance avec la Tlvision Suisse Romande, ces ralisateurs obtiennent les financements pour raliser leurs films en bnficiant dune grande libert artistique. En 1969, Charles mort ou vif dAlain Tanner est ralis dans ce contexte et symbolise vritablement les choix cinmatographiques de ce nouveau cinma: une criture fine et discrte, un refus du conformisme, des personnages en marge de la socit et une reprsentation de la Suisse loigne des vieux clichs. Black Out de Jean-Louis Roy (1970) et LInvitation de Claude Goretta (1973), qui reoit le Prix spcial du Jury au festival de Cannes, tmoignent aussi de loriginalit et de lintelligence de ce nouveau cinma. Seul Jean-Jacques Lagrange ne ralisera pas de films au sein du Groupe 5, en raison dun problme de sant et

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sera remplac en 1971 par Yves Yersin. Ce dernier, qui avait ralis la quatrime partie de Quatre dentre elles, est une figure importante du cinma helvtique. En 1978, il ralise Les Petites fugues, une grande russite artistique et un succs commercial. De lautre ct de la Sarine, une certaine contestation de la socit voit le jour ds le dbut des annes 1960, par le biais du documentaire ou du film exprimental. Ds 1964, une srie de documentaires est ralise portant un regard critique sur le pays. La Suisse sinterroge dHenry Brandt, ensemble de cinq courts mtrages projets lexposition nationale de 1964 Lausanne , entremle des images gaies, charges de strotypes sur le pays, des images choquantes et provocantes sur des problmatiques aussi diverses que la condition des travailleurs trangers, la pollution, le problme du logement ou lamnagement du territoire. Siamo italiani du Zurichois Alexandre J. Seiler dnonce galement les conditions de vie des saisonniers italiens. Le personnage du travailleur immigr est une figure rcurrente dans lesprit des cinastes helvtiques. Richard Dindo, Fredi M. Murer, Kurt Gloor et Markus Imhoof sont quelques artistes parmi les nombreux ralisateurs de documentaires actifs de 1970 1980. Les Suisses allemands ralisent aussi dtonnantes fictions. Il faut noter les uvres de Daniel Schmidt, sans doute lun des plus brillants ralisateurs de langue allemande. Son film La Paloma (1974), aux dcors baroques et surchargs, laisse penser une certaine influence du Nouveau cinma allemand. partir de 1970, certains ralisateurs de documentaires dcident de passer la fiction. Cest le cas de Kurt Gloor, qui aprs quelques documentaires de qualit, ralise Die pltzliche Einsamkeit des Konrad Steiner (La Soudaine solitude de Konrad Steiner), une uvre touchante sur le destin dun cordonnier veuf. Personnalit assez proche de Kurt Gloor, Markus Imhoof passe galement la fiction. Il rencontre en 1980 un accueil chaleureux avec Das Boot ist voll (La Barque est pleine), qui voque lattitude de la Suisse face laccueil de la population juive pendant la seconde guerre mondiale.

Les annes 1980, lgrement moins effervescentes quant la cration cinmatographique, gardent cependant un certain tonus. Jean-Luc Godard, aprs avoir pass plusieurs annes Paris, rentre en Suisse la suite de sa rencontre avec Anne-Marie Miville, qui devient sa collaboratrice et son interlocutrice privilgie. En 1979, il ralise Sauve qui peut (la vie), quil considre comme un premier film, le signe dun renouveau thique et esthtique. Pendant ces mmes annes, des ralisateurs dj remarqus poursuivent sur leur lance, comme Francis Reusser, auteur dun succs commercial sans prcdent dans lhistoire du cinma suisse: Derborence (1984). Inspire du roman ponyme de CharlesFerdinand Ramuz, ce long mtrage met en scne le destin de personnages vivant dans un petit village valaisan, quune avalanche de pierres vient bouleverser. Cette uvre illustre la prominence de la thmatique des montagnes dans le cinma suisse. De son ct, Alain Tanner poursuit son uvre. En 1983, il ralise Dans la ville blanche, portrait dun mcanicien travaillant dans la marine, qui dcide de sarrter Lisbonne et de prendre le temps de laisser les choses venir lui. Fredi M. Murer, quant lui, ralise en 1985 Hhenfeuer (Lme sur), trs remarqu sa sortie, et gagne le Grand prix au festival de Locarno. Il est considr par Freddy Buache comme lun des films les plus remarquables du septime art suisse de langue allemande depuis Romo et Juliette au village.

1 Freddy Buache, Le cinma suisse, Lge dhomme, Lausanne, 1974, p 24

Hhenfeuer (Lme sur)23 mars

Cassant comme une branche pleine de fruits et de mauxUn Monsieur, venu de Freiburg et passionn par le cinma, me demande quelques lignes propos du Groupe 5. Il est difficile de revenir en arrire et de se plonger avec un certain srieux dans les annes de jeunesse o le srieux ctait justement la dsinvolture et linspiration du moment. Mais allons-y, puisquil le faut, puisque jai promis! Chacun raconte lhistoire sa manire, voici donc la mienne, la vraie. cette poque, je parle de 1965 1968, javais tourn mes premiers films, La Lune avec les dents, Haschich, La Pomme, avec une technologie ultra-lgre et des productions extrmement modestes. Chaque film avait cot environ 30000 francs suisses, frais que je partageais trs quitablement avec Anita Oser, une femme de cur et amie des artistes. Une discrte prime fdrale me permit, chaque fois, de faire le gonflage de 16 35 mm. Ces trois films ne firent pas lunanimit, loin de l. Au Festival de Locarno, La Lune avec les dents fut chahute avec violence. Freddy Buache, sa femme Madeleine et Glauber Rocha mentourrent. Ils furent les seuls. Jtais K.O. debout. Je noublierai jamais ces trois amis en cinma, ni le sentiment douloureux davoir t rejet. Encore aujourdhui les invitations des festivals font resurgir en moi, avec force, ce sentiment. Alors jinvente toutes sortes dexcuses pour ne pas y assister. Fermons la parenthse. Lanne suivante, Haschich fut accueilli par un silence glacial. Par bonheur, Michel Cournot tait l. Il sut trouver pour ce film, pour La Pomme et pour les autres qui suivirent, des mots dune grande bont ou parfois dune amicale svrit. Ces mots, je les relis encore aujourdhui quand il sagit, certains jours, de trouver des forces pour continuer ce bizarre mtier. Donc, je fis trois films jusquen 1968. Le cercle des intresss slargissait un peu, mais si peu. Le public et les distributeurs ironisaient sur ce cinma damateur. Je narrivais pas trouver de bonnes raisons davoir confiance en moi. Je repensais au Bureau de tabac de

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Pessoa: Non, je ne crois pas en moi. Dans tous les asiles, il existe des gens rendus fous par de telles certitudes Pour donner un sens mes expriences de tournage, je sentais le besoin de transformer mes expriences personnelles en expriences collectives. Jtais sr que mes mthodes artisanales pourraient tre utiles dautres, mais, pour cela, il me fallait trouver une ide de production. Je pensais surtout mes amis Tanner et Goretta dont le travail de pionniers mritait daboutir des films de fiction pour le cinma. Mon ide de production fut simple. Il sagissait de demander la Tlvision Suisse Romande daccepter, aprs lecture du scnario, le principe dune coproduction avec un groupe de ralisateurs, pour un montant de 50 60000 frs. Cette somme tait celle dont javais eu besoin pour faire mes trois premiers films (30000 frs de frais de tournage, plus 20000 frs de gonflage). Avec cette somme, en fait, un prachat, nous pouvions monter la production du film. Cet accord tait conomiquement favorable la tlvision: elle achetait un film qui lui revenait moins cher que les dramatiques quelle produisait lpoque. En plus, elle navait pas la responsabilit de la production. Elle attendait la livraison. Pour le ralisateur, ce prachat lui garantissait la couverture des frais de tournage. Le solde du cot du film lui incombait, mais il pouvait esprer une modeste prime fdrale pour ponger les dpassements de budget. Le ralisateur restait libre dexploiter pendant deux ans son film. Ensuite la tlvision pouvait en disposer pour ses programmes. Il sagissait aussi dassurer au ralisateur une continuit dans son travail dauteur et de viser, pour bnfice, comme la crit Freddy Buache, la qualit du film plutt que lintrt financier. Monsieur Ren Schenker, directeur de la tlvision et ancien violoniste, tait lhomme qui pouvait le mieux comprendre nos envies de cration. Il signa laccord. Le Groupe 5 tait n. Alain Tanner commena le tournage de Charles mort ou vif, Claude Goretta suivit avec Le Fou, Jean-Louis Roy ralisa Black Out. Jean-Jacques Lagrange eut la malchance de tomber, par deux fois, malade juste avant le dbut de

ses tournages. Yves Yersin le remplaa, mais ne se dcida jamais tourner, jugeant les conditions trop alatoires. De mon ct, je mis en chantier James ou pas et Les Arpenteurs. En 1969, Charles mort ou vif, premier film Groupe 5, connut un vrai succs public. Le pari du Groupe 5 tait gagn. Alain Tanner avait trou le mur de lindiffrence. Nous tions lobjet dune curiosit attentive. Ensuite, nos succs firent connatre ce nouveau cinma suisse aussi bien ici, en Suisse, qu ltranger. Et maintenant? Le Groupe 5 nexiste plus. Il a t limpulsion. Aujourdhui, chacun continue son travail en toute libert. Yves Yersin a tourn Les Petites fugues, Jean-Louis Roy et Jean-Jacques Lagrange travaillent pour la tlvision. Je continue davoir une grande amiti pour Alain Tanner et Claude Goretta. Il y a quelques semaines, je me promenais avec Alain sur les crtes du Jura, au Creux-du-Van. Je lui demande: Tu regardes o quand tu te promnes? Je regarde au loin, plutt lhorizon On voyait des tendues de pturages et de forts le long de la France jusqu Ble. Je lui dis: Moi, je regarde autour de moi. Plutt les plantes, les arbres, les fleurs Alain suivait les grands mouvements du ciel, de lhistoire et des nuages. Je regardais les dtails intimes, la botanique. Ainsi allaient nos vies, son cinma et le mien. Il fait chaud, Monsieur de Freiburg, cest lt. Je pose mon stylo comme dautres posent leurs outils. Lanne a t difficile pour le cinma et je mrite comme les autres un peu de repos. Je suis dans le Midi. Je roule dans un chemin creux de terre ocre et sous un toit de chnes verts. Je vais voir, en voisin, mon ami Jean-Louis Trintignant. Je ne lui ai pas tlphon pour lavertir de ma visite. Quand jarrive devant sa maison, je trouve sa porte close. Une voisine me dit quil est parti depuis une semaine. Je suis presque heureux de son absence, elle me laisse libre dimaginer sa vie ici, de deviner ce qui le relie ce pays et le retient le plus souvent possible loin de Paris et du cinma. Je crois comprendre, mon cher ami, toi qui lis si bien les pomes et sais rester sur le bord du texte pour lui souffler la vie:

Je suis n comme le rocher, avec mes blessures. Sans gurir de ma jeunesse superstitieuse, bout de fermet limpide, jentrai dans lge cassant. Cassant comme une branche pleine de fruits et de maux a rajout sur mon livre, le pote Ren Char, cet autre homme du Sud, parti pour les garrigues du ciel, cette anne, et qui repose tout prs dici. Michel Soutter Saussines, aot 1988 Tir de: Cinma suisse: nouvelles approches, publi sous la dir. de M. Tortajada et F. Albera, Lausanne, Payot, 2000, p. 199-201

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Entretien avec Claude GorettaLela Amacker, Christophe Chazalon, Nathalie Gregoletto, Sarah Maes, Sandra Rizzello Quels sont vos souvenirs de la fondation du Cin-Club? En tant qutudiants, nous avions droit deux francs pour les divertissements, mais les gens les utilisaient essentiellement pour aller skier. Ceux qui avaient la possibilit davoir une voiture et un bel quipement allaient apprendre skier aux jeunes filles du Swiss College. Je me suis dit quil manquait dans tout a un domaine intellectuel et artistique. Jai donc propos un cin-club. a a boulevers un peu les choses. Je suis all voir Freddy Buache pour savoir comment a fonctionnait. Jai aussi rencontr Henri Langlois, fondateur de la Cinmathque franaise, qui nous a ensuite envoy du matriel par lintermdiaire de Freddy Buache. Entre temps, dans les couloirs de lUniversit, un gars avec une moustache ma interpell en me disant moi aussi, je mintresse au cinma! Ctait Alain Tanner. Il a fallu tout organiser: acheter un appareil, trouver quelquun qui soit capable de lutiliser Nous avons finalement embauch le concierge. Pour la premire sance, nous avons projet LHomme dAran de Robert J. Flaherty, qui tait un de mes modles. Je pensais quil y aurait une vingtaine de personnes, pour quon puisse parler. Mais ctait plein craquer. Les gens taient assis sur les marches. Nous avons aussi projet Time in the Sun, film de Sergue M. Eisenstein, tourn au Mexique. Javais de vieux bouquins qui indiquaient la liste de films dtenus par les diffrents distributeurs. Grce cet outil, jai trouv des choses formidables, comme Dies irae (Jour de colre) de Carl Theodor Dreyer, Yvan le terrible1 et Francesco, giullare di Dio (Les onze Fioretti de Franois dAssise) de Roberto Rossellini. Nous avons galement invit des ralisateurs, comme Georges Rouquier, pour qui javais une grande admiration. Pour ma part, jtais surtout intress par le documentaire, qui est une ouverture sur le monde et qui me per-

mettait de comparer la ralit filme avec la ralit crite. En effet, je nai pas toujours fait une totale confiance aux mots, aux verbes. Quels sont vos souvenirs concernant le Groupe 5? Un jour, Alain ma parl dun gars trs talentueux qui chantait Paris, o il a pass un certain temps, alors que jtais revenu directement Genve, parce que Malou, ma premire femme, attendait Valrie et que je navais pas assez dargent pour nourrir une famille. Ce chanteur, ctait Michel Soutter. Il est devenu mon assistant lorsque je suis entr la tlvision. Jy suis entr grce un camarade dtudes, Jean-Jacques Lagrange. Nous voulions tous passer au cinma un jour, mais cest Michel Soutter qui nous a prcd, par ignorance de la difficult de trouver de largent, peut-tre! Il avait fait des films avec quatre sous quil estimait tre des films de cinma. Et puis, il y avait la tlvision un jeune garon qui avait des doigts de fes, qui navait jamais appris le montage, mais qui travaillait admirablement bien. Il ma mont un court-mtrage et je me suis dit: ce gars va faire des films formidables. Ctait Jean-Louis Roy. Tout cela est un assemblage damitis et de connaissances. Jai ralis un premier film, Le Fou. Alain Tanner a ralis Charles mort ou vif, avec Franois Simon. Cest un beau film, totalement russi, qui a intress les gens. Il a ensuite ralis La Salamandre, que jaime beaucoup, tandis que jai fait LInvitation. Il ny avait pas vritablement une unit de style. Pour ma part, jexprimais ce que javais envie dexprimer par limage et le contrepoint avec le dialogue, quelques fois limage tant contrario avec le dialogue. Michel et Alain, quant eux, prenaient une distance. Il y avait deux catgories de films: la posie et le discours. Pour le discours, Alain na jamais doubl un film. Donc, quand vous traversez la ville, en faisant dire un texte important votre comdien, il faut quon lentende. Cela donnait une musique assez particulire, la limite de la monotonie, mais ctait quand mme une musique, et ce qui tait dit tait dun intrt suffisant pour quon soit content de lensemble.

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Voil lorigine de ce mouvement qui a tonn les Franais, parce quils ne reconnaissaient pas les acteurs. LInvitation, par exemple, cest cinq acteurs suisses, cinq acteurs franais. Il est impossible de savoir qui est franais et qui est suisse. Un des plus beaux films suisses, selon moi, cest Les Arpenteurs de Soutter. Cest un humour trs particulier, un ton qui se rapproche de certains crivains anglais. Il y a eu aussi un mouvement en Angleterre, les Angry Young Men qui ont fait un grand travail pour faire autre chose que des films la gloire de la Royal Army et de la Royal Navy il y a mme eu des ouvriers qui ont crit des pices de thtre, comme Archibald Belaney. Ctait trs diffrent de la France. En effet, la Nouvelle vague a surtout produit des films bourgeois, lexception des Quatre cent Coups de Franois Truffaut. Le groupe actif aujourdhui en dAngleterre, cest Ken Loach, Mike Leigh. Ce sont les hritiers de Lindsay Anderson, Tony Richardson et Karel Reisz, tous trs proccups par le social. Nous avions tous cette passion qui nous dmangeait et qui nous rongeait. Elle a fini par trouver une voie, grce la tlvision. Il ne faut pas toujours cracher sur la tlvision, sans elle, nous naurions pas fait de films. Ils nous donnaient un petit pcule, cinquante ou bien septante mille francs. Alain la fait avec cet argent-l; moi, je lai fait avec vingt mille francs de plus que jai trouv chez des industriels. Jean-Louis a fait un film trs intressant sur des personnes ges qui senferment et qui stockent du matriel parce quelles sont persuades que la guerre est proche. Black Out est un film quon pourrait ressortir maintenant et qui marcherait trs bien. Celui qui a perc trs vite en France, cest Alain avec Charles mort ou vif. Moi, jtais connu en France parce quils passaient mes films de tlvision. LInvitation, prim Cannes, na fait que 75000 entres, car mes producteurs, Yves Peyrot et Yves Gasser, navaient pas dargent pour faire de la pub en France. Le Groupe 5, cest une raction contre les films cartes postales. Mme sil ny a aucune raison de ne pas montrer des belles choses dans un film qui dnonce, nos

films taient plus politiss quauparavant. Je ne veux pas dire que je cassais les vitres, mais je disais des choses qui pouvaient gner. La Mort de Mario Ricci, que je nai pas ralis dans le cadre du Groupe 5, mais qui a le mme esprit, est un film contre la xnophobie helvtique. Un jour, alors que jtais dans une auberge vaudoise, un Espagnol est entr; si javais pu capter cette scne Ils disaient tous Ah! lEspagnol Ah! lEspagnol Ctait comme des gentillesses, mais avec un ton de mpris, une sorte de mpris souriant. Et je me suis dit: Il faut pointer a! Le personnage de Fontana a t inspir par mon frre qui marchait avec une canne cette poque. Jai crit le texte avec George Haldas et depuis toujours, je voulais travailler avec Gian Maria Volont que je trouvais tre un grand comdien. Pour dvelopper le personnage dHenri Kremmer, jou par Heinz Bennent, jai rencontr cet crivain qui a consacr toute sa vie parler de la faim en Afrique: Ren Dumont. Je suis all le voir Paris et je lui ai demand: Comment faites-vous pour ne pas tre dprim? Il a tourn la page dun de ses livres, il y avait une photo de ma femme. Il ma rpliqu: Cest elle qui me donne le courage! Ctait beau. Malheureusement, ce film est pass compltement inaperu en Suisse, parce que je pense quil tait en avance. Quelquun qui a beaucoup aim le film, cest lcrivain amricain William Styron, qui a dit: Ce film On tait surpris par ce qui intervenait! Cest un film empli de moments trs forts. Quand Volont rate et quil se sole la gueule, cest touchant! Et puis les histoires damour... Je voulais tout montrer, la vie dans tout ce quelle reprsente. Quels taient vos rapports avec les cinastes doutreSarine? Comment les perceviez-vous depuis Genve? Je trouve que ce sont des cinastes remarquables en ce qui concerne le cinma documentaire. Jen ai vu quelques-uns et ils sont formidables. Celui qui dominait un peu, ctait Fredi M. Murer. Il a fait des films absolument superbes, comme Lme sur. Ctait des films qui provoquaient une gne, qui dveloppaient chez le spectateur un sentiment de solidarit avec les personnages,

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trs bouleversant. Pour Vitus, jai senti une volont datteindre un plus grand public. Ctait un peu trop consensuel. Mais il reste un grand cinaste. Pensez-vous quil reste des influences du Groupe 5 dans le cinma suisse daujourdhui? Cest difficile dire. La situation est tellement diffrente aujourdhui. lpoque, nous ntions pas heureux de la socit comme elle se prsentait aprs la guerre. Nous tions nourris de la guerre, de lhorreur, de lholocauste. Aujourdhui, la situation est bien diffrente. Il existe nanmoins des choses magnifiques, surtout dans les documentaires. Il est vrai quil est plus difficile de trouver son rythme pour la fiction. Les Suisses sont plus talentueux dans le documentaire, respectant le rythme de la vie, que dans la fiction. Prenez lexemple de Jacqueline Veuve, qui est, elle aussi, beaucoup plus laise dans le documentaire que dans la fiction. Moi-mme, jai commenc par le documentaire, puis je me suis dit: Le documentaire est limitatif. Je suis oblig de couper telle chose parce que je nai pas assez le temps dexpliquer et la personne qui vient de formuler cet avis risque dtre mal comprise et dteste. Jai vu aussi le film de Jean-Stphane Bron, qui est un cinaste intelligent, mais cest un film compltement positif, qui na pas de grief exprimer. De plus, je ne pense pas quil ait besoin dautant dargent. Prendre beaucoup dargent pour faire un film, cest se faire prendre dans une trappe. Quand on fait un film avec dix mille francs, sil ne marche pas, on perd dix mille francs. Quand on fait un film avec des centaines de milliers de francs, il faut tenter de rcuprer son argent. Je crois aussi que les jeunes ont une impression de lenteur dans notre cinma. Mais cette lenteur est nourrie par des ides potiques. La posie est trs importante pour moi. Un bon film est un film o il y a des parcelles de posie, o, tout coup, le spectateur est transport ailleurs. Cest pour cela que je travaille aussi beaucoup le son. Jai dailleurs fait un film trs musical, mais o il y avait trs peu de musique. Tout tait dans les sons. Un

gars qui enfilait une veste, il y avait tout le froissement de la veste. Et puis un froissement, ce nest pas simplement fffff, il y a toutes sortes de sons dans un froissement! Mais jaurais d dcouvrir a il y a quarante ans... Pour ma part, je ne trouve pas que les films du Groupe 5 soient lents. Le Jour des noces nest pas un film lent. Je ne peux pas dire que LInvitation soit un film lent non plus. Il y a toujours un vnement drangeant qui arrive. Il parle dune petite bourgeoisie exploite. Lors dun week-end dans la maison dun collgue, les personnages dcouvrent une splendide demeure. Cela dclenche chez eux des ractions positives, mais surtout ngatives, comme de la jalousie. Cest un film dun optimisme dfinitif. Loptimisme est dans cette jeune fille qui rgle son compte avec son patron et qui est vire, et remplace par quelquun dautre, mais il y a une drlerie. Cest un film qui nest pas contre les gens, mais contre le systme. Cest peut-tre a qui diffrencie les choses. Alain na jamais trait des gens antipathiques. Il exprime sa vision du monde, ce qui le gne, les malaises que lhomme peut ressentir face certaines choses. Mais ce nest jamais ngatif contre lindividu, il me semble. Michel, cest compltement autre chose. Son travail est trs proche de certains crivains anglais. Le texte est potique et il est choisi par rapport des acteurs qui font clater ce texte. Et puis il a des ides compltement farfelues, comme lorsque dans Les Arpenteurs, Jean-Luc Bideau prend Armen Godel sur les paules, pour que Godel ne salisse pas ses chaussures. Ou quand une femme caresse son manteau de fourrure et quil rplique: Jentends un cheval qui passe. Ce sont les dcouvertes du langage qui font la qualit potique et puis, le ct absurde des situations qui font la qualit de Michel Soutter! Alain Tanner et Michel Soutter sont des scnaristes qui matrisent admirablement la langue, mme si ce sont deux langues diffrentes. Genve, le 25 octobre 2008 1 Film de Sergue Eisenstein.

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Die pltzliche Einsamkeit des Konrad Steiner (La Soudaine solitude de Konrad Steiner)16 fvrier

lundi 19 janvier

Suisse, 1969, 93, NB, 35 mm R Alain Tanner Int Franois Simon, Marcel Robert, Marie-Claire Dufour, Andr Schmidt, Maya Simon Lopard dor au festival de Locarno, 1969

Charles mort ou vif

lundi 26 janvier

Suisse, 1967, 78, NB, 35 mm R Michel Soutter Int Michel Fidanza, Nolle Frmont, William Wissmer

La Lune avec les dents

lundi 2 fvrier

Suisse, 1970, 92, 35 mm R Jean-Louis Roy Int Lucie Avenay, Marcel Merminod, Marcel Imhoff

Black Out

Charles D, industriel quinquagnaire, fait le bilan de sa vie. Sa russite lui parait drisoire. Il saperoit quil na pris ni le temps de vivre ni celui de spanouir. Il dcide alors de tout quitter pour aller se loger dans un htel. Il rencontre Paul et Adeline, avec qui il partage une vie de bohme. Ce film lancera le Groupe 5.

Ce long mtrage genevois, prcurseur des films du Groupe 5, relate le refus de la jeunesse de marcher sur les traces prfabriques par leurs ans au sortir de la guerre. Les protagonistes rejettent ici une socit sans fantaisie, sans possibilit de sexprimer, ni dtre soi-mme, et ce, la ville comme qu la campagne.

leur retraite, mile et lise Blummer achtent une maison en banlieue. Ils vivent dans la crainte de lavenir et ne cessent de penser leur fils unique, mort jeune. Un jour, lise dcouvre que le pays possde dnormes rserves de nourriture en prvision dune hypothtique guerre. Prise de panique, elle achte des aliments quelle refuse dutiliser... En prsence du ralisateur.

lundi 2 mars

Suisse, 1981, 100, 35 mm R Markus Imhoof Int Tina Engel, Hans Diehl, Martin Walz, Curt Bois, Ilse Bahrs, Renate Steiger, Mathias Gndinger, Michael Gempart

Das Boot ist voll (La Barque est pleine)

lundi 9 mars

Suisse-France, 1980, 101, 35 mm R Jean-Luc Godard Int Isabelle Huppert, Jacques Dutronc, Nathalie Baye, Roland Amstutz, Ccile Tanner Csar du meilleur second rle fminin pour Nathalie Baye, 1981

Sauve qui peut (la vie)

Carte blanche Freddy Buache en sa prsenceFreddy Buache est une figure incontournable du cinma en Suisse. Fondateur de la Cinmathque suisse en 1950, quil dirige jusquen 1996, il est galement codirecteur du festival international du film de Locarno de 1967 1970. Le Cin-Club Universitaire lui donne carte blanche pour cette soire. Les projections seront suivies dune discussion sur le Nouveau cinma suisse. ne pas manquer!

lundi 16 mars

En 1942, sept juifs venant de divers coins dEurope trouvent refuge dans une petite commune suisse. Aids par quelques villageois, ils tentent de remplir les conditions rigoureuses dobtention du droit dasile. travers ce film, Markus Imhoof dnonce un triste pisode de lhistoire suisse.

Prix OCIC, Prix CIDALC et Ours dargent au festival de Berlin, 1981

Denise Rimbaud quitte son emploi la tlvision pour aller travailler dans une ferme de montagne. Elle a besoin de changer de cadre de vie, mais elle ne simagine pas quel point ce changement sera violent. Sur fond de paysages suisses, ce film se veut une rflexion sur la vie, le sexe, tout autant que sur le cinma. Il marque un tournant majeur dans la filmographie de Jean-Luc Godard.

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Sauf mention particulire les lms s

lundi 9 fvrier

Suisse, 1973, 100, 35 mm R Claude Goretta Int Jean-Luc Bideau, Franois Simon, Jean Champion, Corinne Coderey, Michel Robin, Ccile Vassort, Rosine Rochette, Neige Dolsky, Pierre Collet Prix du jury au festival de Cannes, 1973

LInvitation

Aprs un cong de plusieurs mois, la suite du dcs de sa mre, un modeste employ de bureau invite ses collgues une fte. la stupeur de chacun, son domicile savre tre une vritable maison de matre. Cela va engendrer toute une srie de comportements bien souvent maladroits. Sous des dehors bon enfant, ce film est une critique acerbe de la socit suisse des annes 1970.

Suisse, 1976, 96, 35 mm R Kurt Gloor Int Sigfrit Steiner, Silvia Jost, Ettore Cella, Alfred Rasser, Emil Steinberger, Mathias Gndinger Prix OCIC et Interfilm Award Otto Dibelius Film Award au festival de Berlin, 1976

Die pltzliche Einsamkeit des Konrad Steiner (La Soudaine solitude de Konrad Steiner)

lundi 16 fvrier

lundi 23 fvrier

Suisse, 1979, 140, 35 mm R Yves Yersin Int Michel Robin, Fabienne Barraud, Fred Personne, Dore de Rosa, Mista Prchac, Laurent Sandoz

Les Petites fugues

Prix du jury cumnique et Lopard de Bronze pour lacteur Michel Robin au festival de Locarno, 1979

Devenu veuf, le vieux cordonnier Konrad Steiner doit affronter la dure ralit du monde qui lentoure. Confront une expulsion invitable, puis linternement dans une maison de retraite, il ne lui reste que sa volont pour survivre dans une Suisse alors en pleine mutation.

Dans une ferme suisse o rgne une hirarchie patriarcale, le temps semble stre arrt. Fidle au poste depuis plus de trente ans, Pipe, le garon de ferme, dcide de sacheter un vlomoteur avec sa rente vieillesse. Cette dcision ne fait pas lunanimit. Se prpare alors un bouleversement silencieux, de plus en plus violent, qui remettra en question les rapports de force entre les protagonistes.

lundi 23 mars

Suisse, 1985, 120, 35 mm R Fredi M. Murer Int Thomas Nock, Johanna Lier, Dorothea Moritz, Rolf Illig

Hhenfeuer (Lme sur)

lundi 30 mars

Suisse-France, 1985, 103, 35 mm R Francis Reusser Int Isabel Otero, Jacques Penot, Maria Machado, Jean-Marc Bory, Bruno Cremer Csar du meilleur film francophone, 1986

Derborence

lundi 6 avril

Suisse, 1983, 107, 35 mm R Alain Tanner Int Bruno Ganz, Teresa Madruga, Julia Vonderlinn, Jos Carvalho

Dans la ville blanche

Csar du meilleur film francophone, 1984 Fotogramas de Plata du meilleur film tranger, 1984

Lopard dor et prix du jury cumnique au festival de Locarno, 1985

Belli et son frre sourd de naissance, vivent avec leurs parents dans une ferme isole dans les montagnes. Occups aux travaux saisonniers, la famille communique peu. Dans ce dcor oppressant, o rgne le silence, va prendre racine une histoire damour sans limites

Antoine, tout jeune mari, est parti lalpage en compagnie du vieux Sraphin. Un brutal et terrible boulement emporte hommes et btes. Thrse, qui attend un enfant dAntoine, est dsespre de cette mort inattendue. Pourtant, deux mois plus tard, Antoine rapparait, porteur dun terrible secret. Adaptation de luvre ponyme de Ramuz.

Un marin suisse dserte son poste lors dune escale Lisbonne. Il prouve le besoin de sy arrter le temps de dormir, derrer et de rver. Fascin par la ville et ses habitants, il se drobe lide du retour au pays.

sont en version originale sous-titre.

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Entretien avec Jean-Louis RoyLela Amacker, Christophe Chazalon, Nathalie Gregoletto, Sarah Maes, Sandra Rizzello Quels sont vos souvenirs du Cin-Club Universitaire de Genve? Mes souvenirs lis au Cin-Club Universitaire sont, par la force des choses, trs nombreux. Grce mes amis Jacques Rial et Franois Bardet, qui en taient, avec Pierre Barde, sinon les fondateurs, tout au moins les animateurs, jai pu, lge de mes 16 17 ans, voir des films extraordinaires que je navais jamais pu voir auparavant et faire ainsi ma culture cinmatographique. Jai vu des films amricains, des films franais qui ne passaient plus dans les salles et qui mont permis de dvelopper un nouveau regard sur le cinma. Jtais dj un grand cinphile puisque javais organis un petit cinma pour les enfants de mon quartier. Je ne manquais aucune des sances du Cin-Club et jaimais beaucoup les prsentations de Pierre Barde. Le CinClub a t lune de mes principales coles de cinma. Ce qui ma form comme cinaste, cest le cinma. Ce ne sont pas les leons. Je nai pas fait de hautes tudes cinmatographiques. Jai travaill sur le terrain ds le dbut. Je suis pass par tous les stades. Jtais petit assistant, puis cameraman, monteur film, assistant ralisateur et enfin ralisateur. Donc, jai une connaissance du mtier par la filire la plus pragmatique qui soit. Pensez-vous quil reste des influences du Groupe 5 dans le cinma suisse daujourdhui? Je pense quil y a des influences, mais, vous le savez, il nexiste pas de vritable industrie du cinma en Suisse. Le cinma suisse, et romand en particulier, est considrablement orient par les moyens dont il dispose. Il y a un certain nombre de paramtres qui taient les ntres, je pense surtout des paramtres de production. lpoque du Groupe 5, nous tournions avec des moyens qui feraient sourire aujourdhui. Ctait la tlvision qui rendait possible lexistence de nos films par un apport

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financier rel. Nous investissions ce que nous avions, notre talent, si on en avait un peu, notre travail, nos peines et souvent nos joies, car ctait quand mme fantastique de tourner des films. Nous ne pouvions pas tourner en 35 mm, car ctait trop cher. On tournait donc en 16 et on gonflait le film aprs en 35. Tous les films qui ont t fait dans le cadre du Groupe 5 ont eu une distribution en salles, et Black Out, le film que vous allez montrer, nchappe pas cette rgle, si ce nest que moi, je lai tourn en couleur, alors qu lpoque, dans le cadre du Groupe 5, ils tournaient plutt en noir et blanc. Le principal avantage du Groupe 5 est que nous avions carte blanche. partir du moment o le scnario ou mme le synopsis taient montrs et que la tlvision tait acquise lide du film, nous tions libres. On avait le chque et puis on tournait. Quelques mois plus tard, nous montrions le film en projection prive, en copie zro. Ctait Ren Schenker, le directeur de la Tlvision Suisse Romande, qui dcidait. Ctait lui qui attribuait les budgets. Il a t le pre du Groupe 5, car cest lui qui a permis que la tlvision sembarque dans cette aventure et qui la soutenue magnifiquement de bout en bout. Aujourdhui, les moyens dont dispose le cinma suisse romand sont plus importants et il faut sen rjouir. La collaboration avec la tlvision sest considrablement accrue. Mme si le Groupe 5 existait lpoque, le budget que la tlvision nous dlivrait reprsente le tiers ou le dixime de ce quelle est prte mettre aujourdhui. Il y a des productions en plus grand nombre quavant et avec des conditions de production totalement diffrentes. La vido change aussi compltement la donne. Elle permet de faire des trucs intressants. Nanmoins, la technique dune petite camra vido, et encore il faudrait en tre sr, ne supplante pas la technique dune camra 35 mm qui fait des images somptueuses. Aujourdhui, il y a la hautedfinition et beaucoup dautres lments La personne qui veut tourner avec trs peu de moyens, avec quelques personnes solides sur le plan du mtier: un vrai cameraman, un preneur de son, une toute petite

quipe, il le peut grce la vido. Nous, on tournait avec une petite quipe, mais ctait sur le fil du rasoir. lpoque du Groupe 5, nous avions des camras films, et quand une bobine de 120 mtres arrivait au bout, il fallait en mettre une autre et chaque bobine cotait cher. Il fallait la dvelopper. Il fallait tirer des rushsOn souffrait des difficults conomiques, mais a a donn aussi des films attachants qui ne seraient pas ns autrement... En fait, pour rpondre cette question, je pense que la vido permet maintenant des gens qui nauraient jamais pu accder au cinma, den faire et cest formidable. Nanmoins, je ne pense pas quun jeune cinaste aujourdhui, qui ralise un long mtrage, quelques soient les conditions de production, puisse tourner compltement le dos ce qui a t fait. Quest-ce qui reliait, du point de vue de la thmatique, les diffrents membres du Groupe 5? Les films du Groupe 5 taient trs diffrents les uns des autres. Je dirais que nous avions chacun notre propre musique. Il est trs dangereux de faire des paralllismes. Claude Goretta, avec LInvitation, et Tanner, avec Charles mort ou vif, ont ralis des films qui ont ouvert le cinma suisse romand une diffusion plus large. Je crois dailleurs que cest avec ce dernier film, qu ltranger, on a commenc sintresser srieusement au Nouveau cinma suisse romand. Nous avions tous envie de parler de certaines ralits de la Suisse, et qui plus est, de la Suisse romande, mme si les chemins emprunts pouvaient diffrer selon la personnalit et le temprament des ralisateurs. Il est bien vident que Charles mort ou vif a un ton, un style qui nest pas celui de LInvitation. Mais ces deux films, par des biais diffrents, par des regards diffrents, par des sensibilits diffrentes, parlent de ce pays, tout comme Black Out. Pour moi, de par son sujet, ce film est une fable sur la Suisse frileuse, une fable un peu baroque, diffrente en cela des autres films, qui taient plutt ralistes.

Quels taient vos rapports avec les cinastes doutreSarine? Comment les perceviez-vous depuis Genve? Pour tre franc, nous connaissions mal le travail de nos collgues suisses allemands, pour la simple raison que les films intressants du Nouveau cinma suisse almanique ntaient pratiquement jamais distribus en Suisse romande. Par contre, il y avait les Journes de Soleure qui nous permettaient de faire le point, une fois par anne, sur les productions souvent intressantes doutre-Sarine. Je pense quelquun comme Fredi M. Murer, dont jai vu des films Soleure. Il y avait l-aussi une envie de faire autre chose, de quitter la pantalonade qui tait souvent lapanage de la production suisse almanique. Puis, il y a eu les films de Lissy. Il y a eu toute une srie de choses qui ont merges, et qui, mon avis, mergeaient un peu de la mme manire en Suisse romande. Mais, je crois que cest plus lpoque et lenvie de faire un autre cinma, un cinma diffrent, qui les amenaient faire les films quils faisaient, plutt quune connivence esthtique concerte: Dornavant, il faut faire des films comme a! Plus les faire comme a! Il ny avait pas, mon avis, de dictat. Comment percevez-vous le cinma suisse actuel? Je vais tre dune grande franchise et vais sans doute vous surprendre: je connais mal le cinma suisse actuel pour une raison. En ce moment je voyage beaucoup, notament en Asie, et donc je vois peu de films suisses et le regrette. Genve, le 30 octobre 2008.

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Dans la ville blanche6 avril

An Unofficial Statement1: Vous vous tes souvent dcrit comme un cinaste des lieux. Comment les choisissez-vous? Alain Tanner: () Je suis inspir par le contemporain, le maintenant, ce que je lis dans les journaux, etc. Jai absolument besoin de filmer un lieu trs prcis, pour tre visuellement et motionnellement matre des personnages. () Ce sont mille dtails: la configuration dun paysage, sa forme. Quand il sagit dun paysage, cela peut tre une rue de la Jonction entre le dpt des trams (TPG) et le Rhne. Cette rue me parle, alors que ce nest pas un beau paysage! Et Genve en tant que lieu pour filmer? Genve, je ne sais pas trop quoi dire sur Genve. Cest infilmable, part un kilomtre carr: le bord du Rhne, la Jonction, Plainpalais. L, il y avait de vrais gens et il y a toujours des traces dune mmoire populaire. Jaime beaucoup la plaine de Plainpalais Je me suis engueul avec des architectes et des urbanistes qui disaient quil fallait faire quelque chose l. () On laisse! Cest un espace libre. On ne touche rien! Souvent, le plus grand problme des villes, ce sont les architectes Oui, cest vrai! Lide ne mest jamais venue de tourner dans la Rade, je trouve a atroce, cest tellement touristique! Non plus sur la rive gauche: Champel, Malagnou Cest atroce ces endroits, cest impossible de tourner. L-bas [il fait un geste vers lONU], il ny a pas de vrais gens. Il ny a que des fonctionnaires internationaux: la chose la plus terrifiante qui existe. Mon affinit pour certains endroits de cette ville reste quelque chose de compltement personnel, li ma vie, li aussi un peu la pense politique, par exemple lpoque o le parti communiste fut le premier parti. Carouge, la Jonction, Plainpalais, taient les quartiers industriels avec des syndicats puissants. Jen connaissais des gens et jai beaucoup film cette poque. Jai fait plusieurs reportages de tlvision sur la disparition de la vie ouvrire Genve. Donc pour moi, cest purement personnel. ()

propos de la ville de Genve dans le cinma dAlain TannerDans le premier Jonas, tous les noms des personnages correspondent des villages du canton: Satigny, Vernier, Certoux, etc. Est-ce que le nom correspond une position politique du personnage par rapport son quartier? Non, non, non! a, ctait un gag! Parce que je ne veux jamais donner de noms mes personnages. Cest pour a quils ont tous des prnoms qui commencent par M. Pour ainsi dire, ils sont tous des personnages plus emblmatiques que psychologiquement construits. () La ville de Genve na jou aucun rle. On a tourn ici parce que ctait plus simple et moins cher. Mais Genve ne joue aucun rle, part lle Rousseau quon voit au dbut. Pour le reste, on ne voit jamais la ville. Elle nexiste pas. () Vous avez quand mme choisi pour certains films des lieux trs chargs, comme la vieille ville et la cit de Meyrin dans Le Retour dAfrique. Cest dans la thmatique du film. Ctait lpoque o on terminait de transformer la vieille ville de Genve qui tait auparavant un quartier trs populaire. () Dans Le Retour dAfrique, la ville est un repoussoir. Cest la ville comme ennemie La ville comme protagoniste? Oui, comme protagoniste. La raison de Genve comme repoussoir, cest parce que jai vcu toute ma jeunesse l et que je ntais pas heureux. Ctait mon dsir de fuite. Quelquun dautre aurait pu trouver cette ville tout fait charmante, je nen sais rien pourquoi pas? () Mais vous tes quand-mme revenu faire des films ici? Quand jai film Fourbi, ctait en 1996, cela faisait vingt ans que je navais pas tourn Genve. Jai donc fait un peu la paix avec tout a. ()17

Sauve qui peut (la vie)9 mars

Il y a certains lments dans vos films: des utopies mourantes ou bien des personnages qui narrivent jamais aboutir quelque chose. Pourrait-on dire que la ville est propice ces checs? Oui, mais ce ntait pas trs diffrent ailleurs. Ctait plus fort ailleurs, parce que ce sont de plus grands pays ou de plus grandes villes. Ce ntait pas vraiment li Genve, je ne crois pas. Du reste, tous les personnages sont, du point de vue sociologique, autre chose que purement genevois. Par contre, au dbut, si on prend les trois premiers films, les trois en noir et blanc: Le Retour dAfrique, Charles mort ou vif et La Salamandre, il fallait les faire ici parce quil y avait un dbat idologique et polmique. Ce sont vraiment des propos tenir dans le pays dont on est citoyen. Ces films ne pouvaient tre tourns quici. Aprs tre parti, jai fait la paix avec tout a. Jai pu retourner ici, mais dans un certain primtre, pas ailleurs. Enfin, je ne peux absolument pas en faire une thorie gnrale. Je peux simplement dire: Voil, je suis comme a! Je suis n ici par hasard. Je suis parti et puis je suis revenu. Voil mon territoire, mon territoire filmable cest a! Extrait de Genve projete, une conversation avec Alain Tanner Interview ralise Genve, le 17 mars 2003, par AUS (ESBA, Programme CCC)

1 Collectif cr dans le cadre du programme CCC, de lcole Suprieur des Beaux-Arts de Genve.

Derborence30 mars19

Entretien avec Freddy BuacheLela Amacker, Christophe Chazalon, Nathalie Gregoletto, Sarah Maes, Sandra Rizzello Quels sont vos souvenirs lis au Cin-Club Universitaire de Genve? Cest une vieille histoire, parce que le Cin-Club est quasiment contemporain des dbuts de la Cinmathque suisse. Malgr les difficults, il y avait lide, dans les annes 1955-1960, que la Cinmathque tait un lieu o on devait semer des ides pour avoir des films, comme les paysans plantaient du bl pour avoir des rcoltes. Les tudiants de lpoque lavaient bien compris. Le Cin-Club, alors quil y avait dj un Cin-Club non universitaire Lausanne, tait compos de gens comme Pierre Barde, Franois Bardet, Alain Tanner, Claude Goretta et Jean-Louis Roy. Bardet, Roy et Rial avaient eu lide de faire des films et avaient cr, avec un groupe damis, une petite socit qui sappelait Les films de lAtalante (en rfrence au film LAtalante auquel on pensait tous lpoque, mais qui navait pas eu beaucoup de succs). Il a t compltement matraqu par les distributeurs, mais, pour nous, il y avait Michel Simon et puis ctait un film de Jean Vigo! Ce cinma nous faisait rver, beaucoup plus que les films amricains contemporains. Et donc ce groupe damis a t trs important. De leur ct, Alain Tanner et Claude Goretta commenaient sintresser au cinma ce momentl. Ils dcidrent alors de partir Londres car il tait impossible de faire quoi que ce soit en Suisse. Ils y ont un peu tout fait. Ils ont travaill dans des bistrots. Finalement, ils se sont mis daccord avec le British Film Institute qui leur a donn de la pellicule. Ils ont tourn quelques petits films1 et sont revenus. Simultanment, il y a eu larrive de la tlvision. Je ne pourrais jamais dire assez de bien de son directeur de lpoque2, parce quil avait trs bien compris quil y avait quelque chose faire pour les films de tlvision, mais avec des gens nouveaux. Cest grce lui que sest cr le Groupe 5. Il me semble, cependant, que les Suisses al-

maniques sont partis un peu autrement et un peu plus tard. Dun autre ct, il faut peut-tre aussi dire que le Groupe 5 tait plus proche de la Nouvelle vague franaise que les Suisses almaniques. Ceux-ci regardaient certainement encore des films allemands qui ntaient pas ancrs dans lesprit du cinma nouveau. Il me semble que votre programmation illustre lide que lon peut faire un cinma ici, en parlant des choses dici. Lide de parler du cinma et de parler des choses dici par les moyens du cinma tait essentielle. De ce point de vue, Charles mort ou vif est tout fait impeccable. Dans La Lune avec les dents, film trs important du cinma helvtique, le personnage est contre cette espce de duvet tranquille quest la Suisse. un moment donn, il va vers la fentre et dit: Jai de la peine respirer, parce que je ne peux pas respirer quand je me dis quil y a des gens qui ne peuvent pas respirer. Cette manire de regarder le pays allait trs loin et je pense que tous les films de cette poque disaient cela. Pensez-vous quil reste des influences du Groupe 5 dans le cinma suisse daujourdhui? Ce qui est intressant dans tous ces films, cest quils sont assez diffrents du cinma suisse daujourdhui. On avait envie de dire des choses qui nous empchaient de vivre correctement. Ce sont des films o, mme sil y a des scnaristes, ce sont des scnaristes trs proches des ralisateurs, ce qui nest pas le cas aujourdhui. Je pense Home, o Ursula Meier a un scnario, puis elle le met en scne. On tait dans un monde juste aprs la fin de la guerre. On avait le sentiment quen Suisse on ne pouvait pas respirer correctement. Est-ce quon peut respirer correctement aujourdhui? a, cest une autre affaire! Black Out est un film extraordinaire de ce point de vue, puisque ce sont des gens qui ont peur que la guerre revienne. Ils vont se priver, alors que leur maison est pleine de nourriture. Cest un ct trs suisse, extraordinairement suisse. Aujourdhui le cinma a beaucoup chang, on est plus dans ce cinma-l. Il y a des films partout, tout le monde fait des films mon avis, le succs tait diff-

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rent. Je ne veux pas parler des films populaires de qualit. Le succs, la qualit intrieure des films, nest valable que dans la mesure o ils parlent des gens dici, de leur vie. Un grand succs est possible ailleurs si le succs est remport auprs de la population dont on parle dans le film. Cela chappe un peu au cinma suisse actuel. Il ne faut pas oublier qu lpoque, pour faire du cinma, il fallait des moyens. Le moment o on a pu tourner en 16 mm, et ventuellement gonfler en 35 mm, a tout chang. Aujourdhui cela parait tout fait normal, mais lpoque ce ntait pas normal du tout! Et si on tournait en 16 mm, il fallait avoir du son, ce qui tait du travail. Aujourdhui nimporte qui peut faire des films facilement avec son tlphone portable, mais lpoque, ctait un peu plus cher, plus compliqu. Le cinma aujourdhui nest pas comparable au cinma que vous allez montrer au Cin-Club. Il fallait se battre comme des fous pour obtenir des moyens. Aujourdhui encore, on entend des cinastes se plaindre des difficults quils ont tourner en Suisse. mon avis, ce nest pas compliqu. Tout le monde peut faire du cinma aujourdhui! Tout le monde peut avoir un porte-plume, comme tout le monde peut avoir une camra. Le problme, cette poque-l, ctait le financement. La tlvision a t utile parce quau minimum, ils ont appris la technique. Ils sont tous passs par la tl avant dessayer de faire leurs films. Ils avaient vraiment envie de sexprimer travers le cinma. Aujourdhui, on filme nimporte quoi. Bien entendu quil y a des qualits diffrentes, mais en gnral, mon avis, cest un autre cinma. Sauve qui peut (la vie) est le grand film de cette srie, cest lpoque o Godard avait t Grenoble, o il pensait quil fallait faire de la vido. Il a vu que ce ntait pas si simple de faire de la vido. Revenu en Suisse, il a dit: Jai fait Sauve qui peut (la vie), cest mon premier film! Ctait un film conu dune toute nouvelle manire. Cela navait plus de rapport avec ce quil avait fait auparavant. Je le trouve extraordinaire pour un tas de raisons et en particulier

pour le son, pour la temporalit, ses ralentis et ses arrts. Quels taient les rapports des cinastes romands avec les cinastes doutre-Sarine? Comment les percevaient-ils depuis Genve? Je trouve que les deux hommes les plus importants dans le cinma nouveau suisse allemand, sont Daniel Schmidt et Fredi M. Murer. Daniel est celui qui a repens les problmes du cinma travers sa propre inspiration. Il avait travaill en Allemagne avec tout ce quavait fait Rainer W. Fassbinder. Il voulait utiliser le feuilleton dune autre manire, ce quil allait faire dans La Paloma, un film plus difficile. Il lutilisera dans Cette Nuit ou jamais, film tourn dans lhtel de ses parents, sans argent avec un autre personnage dont on devrait parler: Renato Berta. Le film est un conte dans la mesure o, un moment donn, les matres de la maison, un soir de lanne, mettent les serviteurs table et font le service. Ce sont les matres qui servent les serviteurs et qui leur apportent manger. Et puis, la fin du repas, les choses retournent dans lordre. La matresse de maison retrouve sa place. Alors un des serviteurs qui avait mang table savance devant elle et se met genou parce quelle est la matresse de maison. ce moment, tout un systme social est dnonc. Je ne veux pas dire que je fais du social, pas ncessairement. Mais mon avis, ce qui sauve le cinma daujourdhui, cest le social. Raconter des histoires damour, vous comprenez, simplement pour les raconter, a na aucun intrt. Lintrt, cest de les mettre en place, de les mettre dans un paysage, dans une situation qui est, quon le veuille ou non, politique. Toutes les bibliothques du monde racontent ces histoires. Bien sr, on peut encore raconter une histoire individuelle, damour Mais encore, faut-il savoir le faire. Sinon, on ne fait que cela, que des films damour ou de violence et puis voil, tout cela na pas dintrt.

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Comment voyez-vous lavenir du cinma suisse? Il me semble que le cancer aujourdhui, cest la tlvision. Les dvd, cela permet aux gens de voir des films muets ou rares. Je suis plutt pour. Je pense cependant que dans les dix ans qui viennent, le cinma va devenir virtuel. Les salles vont tre en numrique. On peut craindre le pire: que cela soit directement envoy par des grandes socits amricaines sur les crans de cinma. On fera du spectacle. Je suis pour le cinma spectacle, mais il faut quil soit fond sur quelquechose de diffrent que le pur spectacle et quil renvoie quelque chose de la socit. Vous pensez certainement que je dis toujours les mmes choses parce que je regarde du cinma politique, mais le cinma cest forcment politique. Le terme politique ne fait pas forcment rfrence un parti politique. Par exemple, un type devant une montagne, cest dj politique. Pourquoi cette montagne? Pourquoi pas la mer? Il y a toujours des choses qui se passent, mais encore faut-il quon puisse les montrer. Les films de votre programme rpondent tous ce problme. Que rpondez-vous un-e jeune de 15 ans qui vous dit: Je veux tre cinaste? Un jour, un homme ma dit: Jai un petit-fils qui termine son gymnase et qui veut devenir cinaste. Est-ce que je peux vous envoyer un petit bout de film quil a fait pour me dire sil a du talent ou pas? Je reois beaucoup de films de ce genre, des gens qui font des diplmes notamment. Pour dire quoi? Ce petit film ressemblait Matrix ou un de ces films amricains. Il y a un garon qui regarde deux types se chahuter avec des pes de lumire. Cela ne suffit pas! videmment, on ne peut pas dire sil a du talent. Cest trs compliqu quand je vois ces films dtudiants... cest difficile de dire pourquoi et comment est le talent! Curieusement, cest une question de sensibilit. On se dit: Tiens, cest curieux la position de la camra L, peut-tre, il y a du talent! Tout le reste, cest de la fabrication de film. On nen voit pas trs bien lintrt. Cependant, malgr la prolifration de ce genre de films, il y a encore des films

qui sont des films. Malheureusement, ce sont ceux qui nont pas de succs. Cannes, le film de Philippe Garrel3, distribu par un Genevois, a t hu lors de sa projection. Ce sont des plans fixes et les gens ne supportent pas, les gens veulent quelque chose qui passe vite. Les gens ne supportent plus la lenteur, parce que la tlvision leur a mis tellement de choses rapides... Il ny a qu regarder le tl-journal, dans lequel on parle des banques qui ne vont pas bien, dun petit enfant perdu dans un canal en France Tout cela, a a la mme valeur. Et le monsieur est content davoir une belle cravate et davoir prsent le journal. a, cest le cancer du monde daujourdhui! Dans 25 ans, que seront devenus les cin-clubs selon vous? Je ne sais pas! Du cinma muet? Je ne me rends pas bien compte de ce qui se fera dans le futur. Il va y avoir certainement des films avec une sensibilit collective qui va peut-tre bouger. Si le cinma doit disparatre, il y aura toujours Chaplin qui dominera la situation, car il est le Shakespeare du cinma. Il dit tout ce quil faut dire et cest en gnral assez drle. Enfin, pas toujours En fait, je ne sais pas ce que sera le Cin-Club de 2090. Esprons que les gens liront encore Flaubert ou Stendhal! Lausanne, le 20 octobre 2008.

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1 Dont le court mtrage Nice time (Un peu de bon Temps ou Piccadilly la nuit) qui reoit le prix du documentaire exprimental la Mostra de Venise en 1957 2 Ren Schenker. Voir linterview de Jean-Louis Roy 3 La Frontire de laube, 2008

Black Out2 fvrier

Bibliographie Freddy Buache, Le cinma suisse francophone (1976-1985), Bruxelles, Association des Professeurs pour la Promotion de lducation Cinmatographique, 1985 Freddy Buache, Le cinma suisse (1898-1998), Lausanne, LAge dhomme, 1998 (2me dition) Cinma suisse: nouvelles approches: histoire, esthtique, critique, thmes, matriaux, sous la dir. de Franois Albera et Maria Tortajada, Lausanne, Payot, 2000 Histoire du cinma suisse (1966-2000), sous la dir. dHerv Dumont et Maria Tortajada, Lausanne, Cinmathque suisse, Hauterive, Gilles Attinger, 2007 Marcel Leiser, Films et cinmas suisses: articles de presse 1964-1975, Lausanne, M. Leiser, 1980 Martin Schaub, Lusage de la libert. Le nouveau cinma suisse, 1964-1984, Lausanne, LAge dhomme, Zrich, Pro Helvetia, (1985) Martin Schaub, Le Cinma en Suisse, Zurich, Pro Helvetia, 1998 Martin Schlappner, Martin Schaub, Cinma suisse: regards critiques, 1896-1987, Zurich, Centre suisse du cinma, (1987) Maria Tortajada, Le regard urbain dans le nouveau cinma suisse: Michel Soutter, Fredi Murer, Alain Tanner, dans Un nouvel art de voir la ville et de faire du cinma: du cinma et des restes urbains, sous la dir. de Charles Perraton et Franois Jost, Paris, LHarmattan, 2003, p. 187-201 Maria Tortajada, Image de la Suisse, image du cinma suisse: le strotype fondamental de lidentit et le statut du cinma suisse des annes 70, dans Home stories: neue Studien zu Film und Kino in der Schweiz = nouvelles approches du cinma et du film en Suisse, Margburg, Schren, 2001, p. 249-264 Maria Tortajada, Cinma suisse: comment chapper au paysage narcissique?, dans Derrire les images, sous la dir. de Marc-Olivier Gonseth, Jacques Hainard, Roland Kaehr, Neuchtel, Muse dethnographie, 1998, p. 27930624

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