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CINQUANTE ANS : MÉDECINE ET CHIRURGIE 1900-1950 Ni la Science, ni l'Histoire ne se peuvent isoler en périodes, chro- nologiques trop étroites. La découverte d'un jour est l'épanouisse- ment d'une lente maturation, et le recul du temps est souvent néces- saire pour en apprécier toute la fécondité. Le prince Louis de Bro- glie l'a dit en termes excellents : « Bien des idées scientifiques d'au- jourd'hui seraient différentes de ce qu'elles sont si les chemins suivis par l'esprit humain pour y parvenir avaient été autres ». Rappeler en quelques mots l'état de la médecine au début du siècle est une préface obligée pour comprendre son évolution entre 1900 et 1950. * * * Le xix e siècle finissant laissait sur la médecine française une gloire incomparable. Trois hommes avaient, en vérité, créé la médecine moderne, et ces trois hommes étaient Français : Laënnec, Claude Bernard et Pasteur. Laënnec, en 1819, avait clos vingt-cinq siècles d'empirisme et de balbutiements en inventant une technique et en formulant les règles d'une méthode. La technique tient en un mot : l'ausculta- tion, et la méthode en deux lignes : « I o distinguer sur le cadavre un cas pathologique aux caractères physiques que présente l'alté- ration des organes ; 2° le reconnaître sur le vivant à des signes certains ». Des signes certains. Ces deux simples vocables expriment la plus grande révolution qui se soit produite dans l'histoire médi- cale depuis Hippocrate. Jusqu'à Laënnec, en effet, les médecins LA BEVUE N* 0 5

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CINQUANTE ANS :

MÉDECINE ET CHIRURGIE 1900-1950

Ni la Science, ni l'Histoire ne se peuvent isoler en périodes, chro­nologiques trop étroites. La découverte d'un jour est l'épanouisse­ment d'une lente maturation, et le recul du temps est souvent néces­saire pour en apprécier toute la fécondité. Le prince Louis de Bro-glie l'a dit en termes excellents : « Bien des idées scientifiques d'au­jourd'hui seraient différentes de ce qu'elles sont si les chemins suivis par l'esprit humain pour y parvenir avaient été autres ».

Rappeler en quelques mots l'état de la médecine au début du siècle est une préface obligée pour comprendre son évolution entre 1900 et 1950.

* * *

Le x i x e siècle finissant laissait sur la médecine française une gloire incomparable. Trois hommes avaient, en vérité, créé la médecine moderne, et ces trois hommes étaient Français : Laënnec, Claude Bernard et Pasteur.

Laënnec, en 1819, avait clos vingt-cinq siècles d'empirisme et de balbutiements en inventant une technique et en formulant les règles d'une méthode. La technique tient en un mot : l'ausculta­tion, et la méthode en deux lignes : « I o distinguer sur le cadavre un cas pathologique aux caractères physiques que présente l'alté­ration des organes ; 2° le reconnaître sur le vivant à des signes certains ».

Des signes certains. Ces deux simples vocables expriment la plus grande révolution qui se soit produite dans l'histoire médi­cale depuis Hippocrate. Jusqu'à Laënnec, en effet, les médecins

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se bornaient à noter quelques symptômes évidents et communs aux affections les plus variées ; la toux, la gêne respiratoire, l'ex­pectoration, l'amaigrissement, les vomissements, mais ils n'avaient aucun moyen d'explorer eux-mêmes les organes de façon directe, ni de distinguer entre elles les diverses maladies d'un même organe. En fondant cette « science des signes » ou sémiologie, l'auteur de VAuscultation médiate donnait pour la première fois aux médecins le pouvoir d'interroger la nature et de saisir la maladie dans l'inti­mité de son siège.

En suivant avec rigueur cette méthode, Laënnec a décrit les principales formes de la tuberculose pulmonaire et affirmé leur unité foncière. Il a créé eu quelques années tous les cadres de la pathologie pulmonaire qui sont encore valables aujourd'hui. Il a fait plus : il a introduit en médecine l'idée de rigueur et de pré­cision.

La maladie a désormais deux aspects : un aspect anatomique, la lésion particulière de l'organe ; un aspect clinique, l'ensemble des signes et symptômes morbides qui en sont la conséquence et l'expression. Elle n'est plus cette entité vague, un peu mystérieuse, qu'elle était précédemment. Elle forme un tout cohérent et solide. Une science médicale véritable peut s'édifier sur ces deux bases : l'investigation clinique dirigée, le contrôle anatomo-pathologique.

Quelques années plus tard, entre 1849 et 1878, Claude Bernard enrichit l'apport de Laënnec en faisant pénétrer dans la médecine les conceptions et les méthodes physiologiques. La maladie ne peut-elle pas traduire un trouble des fonctions que la physiologie étudie ? Avec Laënnec nous l'avions vue manifester l'atteinte anatomique, la lésion d'un organe. Avec Claude Bernard nous la verrons exprimer la perturbation physiologique, la viciation fonc­tionnelle. C'est la première fois que l'on distingue aussi nettement la fonction de la lésion, la physiopathologie de l'anatomie patho­logique.

Claude Bernard indique les moyens de réaliser de façon déli­bérée chez l'animal un trouble morbide précis et d'observer de quelle manière, sous son influence, réagit tel organe, et, mieux encore, comment est altérée une fonction déterminée de cet organe. Dans son Introduction à VElude de la Médecine expérimentale (1865), il définit les préceptes de toute expérimentation biologique, ouvrant ainsi à la médecine future une voie royale dont le x x e siècle verra l'aboutissement.

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Aux deux grands noms précédents, un dernier vient s'ajouter : celui de Pasteur. Avec lui, un troisième point de vue est établi. Ce n'est pas ici le lieu de suivre, entre 1847 et 1885, le chemine­ment d'une des pensées qui a le plus contribué à changer notre conception fondamentale des phénomènes morbides. Tout au plus pouvons-nous souligner la triple conclusion qui s'en dégage.

Première conclusion : toute maladie infectieuse relève d'un germe qui lui est propre, d'un agent « spécifique ».

Deuxième conclusion : en employant une technique suffisam­ment précise ce germe peut être vu, coloré, cultivé. Cependant certains virus, comme celui de la rage, tout en se comportant comme les autres agents infectieux, ne peuvent, dans l'état actuel de nos moyens, être directement observés.

Troisième conclusion : cette connaissance des « microbes » en­traînera deux conséquences pratiques : 1° la vaccination, c'est-à-dire la préservation de l'homme ou des animaux par l'adminis­tration préalable de cultures microbiennes atténuées par vieillis­sement ou chauffage ; 2° la stérilisation, c'est-à-dire la destruction par la chaleur des germes qui souillent le matériel des pansements et les instruments chirurgicaux. L'asepsie ainsi réalisée était indis­pensable pour permettre l'essor de la chirurgie dans la sécurité.

En créant de toutes pièces la Bactériologie, Pasteur jetait les linéaments d'une nouvelle science, qui a pour objet la manière dont l'organisme se défend contre les agressions infectieuses et se comporte à leur endroit : l'immunité.

Partie de ces trois sources : anatomoclinique, physiopatholo-gique, bactériologique et immunitaire, la médecine du x x e siècle se développera de façon prodigieuse. Ce résumé ne peut évidemm-ment prétendre épuiser un sujet très vaste et très varié. Mieux vaut, sans doute, essayer de dégager quelques aspects qui, de haut, s'avèrent les plus caractéristiques de la médecine contemporaine. Nous dirons successivement : l'enrichissement de nos moyens d'ex­ploration, le développement de disciplines nouvelles, la modifica­tion dans la façon de concevoir la maladie, la puissance de notre action thérapeutique, les particularités fondamentales de la chi­rurgie moderne, en quoi l'exercice quotidien de la profession médi­cale a changé.

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Depuis cinquante ans profanes et médecins admirent d'abord l'enrichissement considérable de nos moyens d'investigation. Ce n'est pas en vain que Laennec avait inscrit en épigraphe de son traité de VAuscultation médiate la phrase d'Hippocrate : « Pouvoir explorer est une grande partie de l'art ». Par elle-même ou en faisant appel au secours des sciences physiques et chimiques la médecine contemporaine a enrichi et transformé radicalement l'examen des malades.

La précision clinique apportée, grâce à l'auscultation, par Laennec à l'examen des affections pulmonaires et pleurales s'est étendue peu à peu aux autres appareils. Mais surtout des procédés nouveaux ont modifié profondément la pratique de notre art.

La découverte de Rœntgen est devenue le complément nécessaire de presque tous nos examens. Du jour où l'on sut que les rayons X traversaient les tissus avec une intensité inégale et que ces contrastes d'ombres pouvaient impressionner l'écran fluorescent (radioscopie) ou s'inscrire sur le film radiographique, une sémiologie nouvelle s'ébauchait. Le barrage s'effondrait que la peau, les muscles et les os dressaient entre les viscères profonds et nos sens. Nous pouvions par la vue directe examiner les organes internes et faire, comme on l'a dit, une sorte d'anatomie pathologique sur le vivant. Les lésions initiales, trop légères pour donner à la palpation ou à l'auscultation des signes perceptibles, pouvaient être dépistées. D'ailleurs les perfectionnements de la technique radiologique amélioraient de jour en jour les résultats. Des générateurs de rayons tout ensemble plus puissants et plus simples, des écrans ou des films plus sensibles permettaient d'obtenir des images ou des clichés plus nets. En même temps les médecins apprenaient à lire les documents radiologiques, à reconnaître les anomalies et à les analyser.

Deux procédés récents ont encore augmenté les possibilités de la radiologie : la tomographie et la radiophotographie.

L'objection que l'on peut formuler contre la radiographie est de donner la projection d'un volume (le corps humain) sur un plan (le plan du film). Ainsi se superposent des images situées en réalité dans des plans différents du corps, au risque soit de se confondre, soit de se majorer, soit de se masquer.

La tomographie permet d'impressionner des films sur des plans parallèles situés à des profondeurs différentes. Grâce à elle les ombres parasites de la paroi sont écartées : dans le thorax, par exemple, les côtes et les omoplates s'effacent ; on peut sur un plan

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donné apprécier exactement la configuration d'une anomalie et même, en comparant des clichés tirés de centimètre en centimètre, mesurer l'étendue exacte de l'altération pathologique.

La radiophotographie consiste à photographier sur un film de petit format l'image radioscopique : elle est couramment utilisée au cours des dépistages systématiques effectués sur de grandes collectivités.

Quel que soit le procédé employé les images radiologiques — nous l'avons dit — sont produites grâce au contraste des blancs et des noirs projetés sur l'écran ou le film. Ce contraste tient en définitive à l'inégale absorption du rayonnement X dans les diverses parties du corps interposées entre la source de ce rayonnement et la surface de projection. Il s'agit là des contrastes naturels déter­minés essentiellement par les différences de poids, de densité, d'épaisseur des organes ou segments d'organes considérés. Ces contrastes naturels peuvent se diviser en trois variétés : Contrastes obscurcissants : ceux des os, des concrétions calculeuses,

des corps étrangers métalliques. Contrastes éclaircissants : clartés pulmonaires, bulles d'air gas­

trique, gaz coliques. Contrastes mixtes, à la fois obscurcissants et éclaircissants comme

l'image thoracique, avec l'ombre du cœur et des gros vaisseaux encadrée et rehaussée par les clartés pulmonaires, nous en offre un exemple typique. La constatation de ces divers contrastes naturels devait conduire

les radiologistes à chercher des contrastes artificiels pour étendre le champ du radiodiagnostic.

Des sondes métalliques furent d'abord employées pour rendre vi­sibles certains conduits naturels. Bientôt on eut recours aux mélanges opaques obtenus en mettant en suspension dans un liquide ou en mélangeant des substances pulvérulentes imperméables aux rayons X . On pouvait dès lors remplir les organes creux et obtenir un véritable moulage opaque de leur cavité. Le carbonate de bismuth, puis le sulfate de baryum furent tout à tour utilisés pour examiner le tube digestif. L'argent colloïdal servit à injecter les voies urinaires. Une huile iodée, le lipiodol, permit d'explorer le canal rachidien, les bronches, l'utérus et les trompes.

L'audace crut avec le succès. Devant les résultats admirables obtenus par l'introduction directe des substances de contraste dans les organes creux ou les cavités, on eut l'idée d'injecter par la

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voie sanguine diverses substances opacifiantes bien tolérées. Ainsi naquirent l'injection des artères et des veines. Il est possible désor­mais d'obtenir le dessin des artères des membres et du cerveau, de l'aorte, du cœur, des vaisseaux pulmonaires et d'apprécier non seulement leurs altérations propres mais encore leurs déplacements et leurs modifications sous l'influence des formations pathologiques développées à leur voisinage.

Puis on s'aperçut que certaines substances de contraste injec­tées dans le sang ou absorbées par la bouche s'éliminaient par les voies biliaires ou les reins un temps fixe après leur administration. En prenant à ce moment un cliché de ces organes profonds on peut voir la façon dont ils sont opacifiés et déceler ainsi leurs lésions.

Sans être, d'égale importance les contrastes artificiels éclair-cissants ont fourni leur appoint : l'insufflation d'air dans les viscères creux (estomac, colon), ou dans les séreuses (plèvre, péritoine) a précédé l'injection gazeuse dans les ventricules cérébraux et les espaces qui entourent la moelle. Grâce à ces deux derniers procédés le diagnostic des lésions cérébrales peut souvent être précisé et conduire en temps opportun à une intervention salvatrice.

Aujourd'hui, en combinant ces différentes méthodes peu d'organes restent inaccessibles à l'exploration radiologique.

L'examen visuel direct des viscères creux ou endoscopie est une autre acquisition précieuse de la pratique journalière. Intro­duire dans l'œsophage, l'estomac, le rectum, les bronches, la plèvre, le péritoine, un tube de diamètre variable, portant un système d'éclairage et d'optique, explorer ainsi la muqueuse ou la séreuse, prélever au besoin pour l'analyser un fragment de tumeur ou de tissu, sont actuellement des gestes courants qui transforment le traitement et le pronostic de bien des affections en rendant possible leur diagnostic précoce.

Les méthodes électriques tiennent une place importante dans nos moyens actuels d'investigation. Depuis 1868 était connue la réaction de dégénérescence des muscles dont le nerf moteur a été altéré. A partir de 1909 les travaux de Lapicque ont appelé l'atten­tion sur le temps nécessaire pour obtenir une contraction muscu­laire après une excitation galvanique d'intensité déterminée. Ce temps rigoureusement défini, constant pour le groupe nerf-muscle qui fonctionne ensemble, porte le nom de ckronaxie. Sa mesure permet d'apprécier les altérations légères ou initiales des nerfs.

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Non moins intéressante au point de vue théorique et d'un usage pratique encore plus étendu est la possibilité de capter et d'inter­préter les courants électriques physiologiques qui prennent nais­sance dans certains organes.

Tout muscle au travail en produit. Le muscle cardiaque ou myocarde n'échappe pas à cette loi. Il est possible de recueillir, d'amplifier et d'inscrire pour les étudier à loisir ces courants d'ac­tivité cardiaque. En effet l'activité électrique du cœur engendre dans tout le corps un véritable champ électrique, avec des diffé­rences de potentiel perceptibles à la surface des téguments et va­riables d'un point à l'autre. Pour recueillir les courants électriques produits par le cœur il suffit d'appliquer des électrodes en des points déterminés du corps : les poignets, les chevilles, la région précor­diale. Le courant et ses variations sont transmis par ce moyen a Y électrocardiographe qui les inscrit. Le médecin pourra reconnaître grâce à lui toutes les anomalies de la contraction du myocarde et notamment les troubles du rythme cardiaque avec leur origine, comme aussi les altérations dues à l'oblitération des artères nutri­tives du cœur : les coronaires.

En 1928 H . Berger obtenait chez l'homme les premiers élec-iroencephalogramm.es. La corticalité du cerveau engendre, elle aussi, des variations du potentiel périodique, vingt fois plus faibles envi­ron que celles recueillies par l'électrocardiogramme. On peut les détecter à la surface du crâne. A l'état normal il existe deux séries d'ondes : les ondes lentes, de repos physiologique, et les ondes d'ac­tivité. A l'état pathologique on observe des variations dans la fré­quence, le voltage et la morphologie des ondes. Ici encore la nature du trouble pathologique et sa localisation peuvent être préci­sées.

A ces méthodes nouvelles il faut ajouter les innombrables recherches qui se peuvent effectuer sur le sang et les différentes humeurs normales ou pathologiques : numération des globules blancs et rouges ; analyses et dosages des divers constituants du sérum sanguin ; culture du sang pour y découvrir les microbes des septicémies ; pouvoir agglutinant du sérum sanguin sur les germes qui sont responsables de la maladie ; étude des cellules, des bacté­ries, des substances chimiques contenues dans les urines, le liquide céphalorachidien, les épanchements pleureux ou péritonéaux, les crachats. La mesure des échanges respiratoires rapportée à la sur­face corporelle permet d'apprécier le « métabolisme basai » : c'est-

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à-dire l'activité de la nutrition et, pratiquement, l'intégrité ou l'atteinte du corps thyroïde.

Un diagnostic est aujourd'hui un travail complexe et précis où la clinique garde la priorité mais doit s'adjoindre l'apport dirigé, contrôlé et interprété du laboratoire.

Il n'est pas jusqu'aux progrès de la chimie atomique qui ne four­nissent dès maintenant des procédés nouveaux d'investigation biologique. Ainsi, de certains « isotopes », c'est-à-dire de corps ayant des propriétés chimiques identiques mais une structure atomique un peu différente : grâce à leur instabilité on peut détecter la façon dont ils se comportent, se fixent ou se modifient dans des organes donnés. E t dans le domaine des infiniments petits le microscope électronique permet de déceler des germes que leur ténuité faisait jusqu'à présent échapper au microscope habituel.

Enrichissement de nos moyens d'exploration, développement de disciplines nouvelles apparaissent comme des phénomènes com­plémentaires.

L'importance croissante de la chimie biologique en médecine est le trait marquant de ces dernières années. Elle s'avère parti­culièrement nette dans l'endocrinologie et notre connaissance des vitamines. Le vingtième siècle a vu l'essor prodigieux de Yendo-crinologie, cette partie de la médecine qui étudie les glandes à sécrétion interne, leur rôle dans l'équilibre physiologique de l'être, les maladies ou les troubles qui naissent d'une altération de leur texture ou d'un vice de leur fonctionnement.

A u cours du x i x e siècle déjà, les cliniciens avaient reconnu des maladies en rapport avec une lésion de certaines de ces glandes. Basedow en 1840 avait attaché son nom au goitre exophtalmique, dû à une hypertrophie du corps thyroïde. Addison en 1855 avait décrit une cachexie bronzée liée à l'altération caséeuse des capsules surrénales. Reverdin en 1883 attribuait à l'insuffisance thyroïdienne le myxoedème. Pierre Marie en 1889 avait fait con­naître l'acromégalie et sa lésion causale hypophysaire.

En même temps les physiologistes, Claude Bernard, Vulpian, Brown-Séquard introduisaient en biologie la notion de « sécrétion interne », c'est-à-dire d'une sécrétion déversée directement dans le sang pour agir à distance sur le fonctionnement d'autres organes

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et rendre les diverses cellules de l'économie solidaires les unes des autres par un mécanisme humoral. C'est à ce messager chimique que fut donné le nom d'hormone (du grec ormao — j'excite), terme créé par Hardy et repris en 1905 par Starling.

La chimie biologique ne tardait pas à donner un substratum défini à certaines hormones. En 1901 Takamine et Aldrich isolaient pour la première fois une hormone sous sa forme cristallisée : l'adré­naline ou principe médullo-surrénal.

A partir de ces bases cliniques, physiologiques et chimiques l'endocrinologie s'est à la fois enrichie et précisée. Pour chaque glande endocrine le nombre des hormones connues augmente de jour en jour. On en compte 28 pour la seule zone corticale de la surrénale !

Leur nature chimique est de mieux en mieux élucidée, comme aussi leur action sur l'organe récepteur et sur l'organisme tout entier. En fait les hormones contrôlent de façon harmonieuse tous les phénomènes vitaux dès la vie embryonnaire. Elles régissent la croissance et la morphogénèse et donnent ainsi leur individualité à chaque espèce, et, dans chaque espèce, à chaque être. Elles pré­sident au fonctionnement de tout l'appareil organo-végétatif direc­tement ou par l'intermédiaire du système nerveux et, en cela, elles règlent les échanges nutritifs généraux ou particuliers. Elles agissent sur le système animal de la vie de relation, assurent l'ossification, la trophicité du muscle et de la substance nerveuse. Elles influencent le psychisme et la psychologie de chacun, étant le support physio­logique de la personnalité dans ses éléments constitutifs : caractère, tempérament, instincts, émotions. Bien plus, la transmission de l'influx nerveux que longtemps on avait cru être d'ordre physique aboutit en fait à la sécrétion d'un « médiateur chimique » : l'adré­naline pour le système nerveux sympathique, l'acétylcholine pour le parasympathique.

Un véritable humorisme nouveau a surgi de l'endocrinologie. Car les sécrétions de toutes ces glandes n'agissent pas seulement sur d'autres organes. Elles agissent aussi l'une sur l'autre. Pour n'en prendre qu'un exemple l'hypophyse apparaît comme le grand régulateur de cet ensemble complexe. Par les « stimulines » qu'elle secrète elle tient sous sa dépendance la plupart des autres glandes, à telle enseigne qu'on a pu la qualifier de « cerveau endocrinien ». A chaque pas d'ailleurs, les acquisitions faites laissent entrevoir de nouvelles inconnues. Ainsi l'étude d'une des stimulines a con­duit Collip, en 1934, à admettre l'existence d'un mécanisme fréna-

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teur des hormones, auquel il a donné le nom d'antihormones. Dès maintenant la connaissance du sort des hormones dans

l'organisme fournit au médecin des moyens précieux de diagnostic. Leur élimination par l'urine, souvent sous forme dégradée, permet de les y rechercher et d'en faire même le dosage biologique ou chimique.

Non moins étonnant que le développement de l'endocrinologie est celui des avitaminoses.

La connaissance de maladies survenant par suite d'insuffisances alimentaires est fort ancienne. A u x m e siècle Joinville avait observé le scorbut des Croisés et les navigateurs du x v n e et du x v m e savaient qu'on pouvait le prévenir en mangeant des citrons.

A la fin du x i x e siècle en connaissait la nécessité d'une ration alimentaire équilibrée comprenant, en proportions convenables : des protides, des lipides, des glucides, des sels minéraux, enfin des substances minimales indosées et chimiquement méconnues. L'absence de ces dernières provoquait ce que l'on appelait des maladies « par carence ».

Etudiant aux Indes néerlandaises une paralysie spéciale, le béribéri, Eijkman, en 1897, remarqua dans un pénitencier que les poules alimentées, comme les prisonniers, de riz décortiqué, présen­taient des accidents polynévritiques similaires. En 1911 Casimir Funk obtint du son de riz, puis de la levure de bière, une subs­tance cristallisée guérissant à la dose minime de quelques milli­grammes la polynévrite aviaire expérimentale. Croyant avoir isolé une aminé indispensable à la vie il créa pour cette substance le terme de vitamine qui a fait fortune. Ainsi naquirent les avitaminoses.

En 1914-1916, Osborne et Mendel, Max Collum, Davis et Kenne­dy séparent, entre les facteurs accessoires de la croissance et de l'équilibre, un facteur A soluble dans les graisses et un facteur B soluble dans l'eau, indispensable à la vie, qu'ils considèrent comme identique à la vitamine de Funk.

Quelques années auparavant, en 1907, deux savants norvégiens, Holst et Frohlich, avaient réalisé le scorbut expérimental et révélé l'existence du « facteur antiscorbutique » contenu dans le jus de citron. Cette « vitamine C » comme on l'appela plus tard fut assi­milée par Szent Gyorgi à l'acide ascorbique isolé par lui en 1928 et dont Reichstein et Harworth réalisèrent la synthèse en 1933-1934. Comme les hormones les vitamines parcouraient un même chemin en trois étapes : clinique, expérimentale, chimique. Nous ne

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saurions y suivre toutes les vitamines aujourd'hui connues. Mais il convient de s'arrêter à la vitamine D. antirachitique.

Le rachitisme expérimental peut être provoqué chez de jeunes rats en période de croissance en associant le manque de lumière et, un régime alimentaire déséquilibré en phosphore et en calcium. Il peut être empêché ou guéri si l'on ajoute à la ration une bonne huile de foie de poisson, dont la partie insaponifiable, les stérols, renferme la vitamine antirachitique. Il peut l'être aussi en exposant l'animal au soleil ou aux rayons ultraviolets (Hulschindsky, 1918) et même, plus simplement, en irradiant les aliments du régime rachitigène (Hess et Steenbock, 1924).

Dans l'un et l'autre cas l'irradiation a pour résultat de trans­former en vitamine D les stérols de la peau et des aliments, véri­tables « provitamines », dont on sait aujourd'hui qu'il existe au moins deux prototypes : l'un, l'ergostérol, aboutissant à la vita­mine D2, l'autre, le 7 déhydroscholestrol, d'où dérive la vitamine D3 (Windaus), identique au facteur antirachitique. Ce corps est chimiquement voisin d'autres substances d'un grand intérêt biologique, et notamment de certaines hormones. Ainsi se pose le problème des parentés qui existent entre vitamines et hormones. Les unes et les autres, en effet, sont indispensables à la vie normale. Elles agissent à doses infiniment petites et régissent les mêmes processus généraux de croissance, de nutrition, de métabolisme cellulaire, de reproduction.

Sans doute ont-elles une origine différente : les vitamines proviennent d'un apport alimentaire, les hormones sont fabriquées par l'organisme. En réalité cette dualité n'est pas constante. Il n'y a pas de démarcation absolue entre les deux. H . von Euler a proposé de les réunir sous la dénomination commune « d'ergones ». El'e.» concourent ensemble à l'équilibre des fonctions biologiques par une action synergique ou antagoniste. Elles s'apparentent beaucoup aux ferments. Ce sont tous des « biocatalyseurs » dotés d'une spé­cialisation fonctionnelle remarquable, agissant à dose presque infi­nitésimale sur les phénomènes biologiques d'oxydoréduction cellulaire.

C'est probablement à ce niveau, dans l 'intimité de ces processus biochimiques, que l'on cherchera un jour la solution des grands problèmes de la sclérose et de la sénescence.

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L'esprit scientifique se développe toujours sous deux influences : la découverte de faits nouveaux, l'interprétation meilleure ou plus synthétique de connaissances anciennes.

Dans la première moitié du x x e siècle les médecins ont pu réfléchir sur le legs du passé et modifier leur façon de concevoir des maladies déjà connues. Le x i x e siècle avait mis l'accent sur la lésion. Le x x e siècle s'intéressera davantage au trouble de la fonction. En elïet la maladie est plus que la lésion. Ce qui importe pendant la vie du malade, ce n'est pas tant de savoir la nature ou le degré de l'altération des tissus ou des cellules. C'est de savoir s'il reste assez de tissu sain, assez de cellules nobles pour suffire au travail physiologique et compenser ainsi la réduction anatomique de l'organe.

Dans le domaine des néphrites par exemple régnait au début du siècle une grande confusion. L'exploration des fonctions rénales commence avec Achard qui étudie la façon dont le bleu de méthy­lène est éliminé par l'urine. Puis Widal démembre ce que l'on appe­lait jusqu'alors l'urémie et montre la part qui revient dans les symptômes observés à la rétention des chlorures ou de l'azote, et aux phénomènes d'hypertension artérielle si souvent associés. Vers la même époque Ambard précise la manière dont les différentes substances s'éliminent par le rein et formule la relation mathéma­tique liant le débit uréique à la concentration de l'urée dans l'urine et dans le sang.

En pathologie cardiaque l'exclusivité accordée aux lésions des valvules et à leur auscultation cède le pas aux différentes épreuves qui permettent d'apprécier la force contractile du myo­carde. Partout les explorations fonctionnelles prennent une place du premier rang, qu'il s'agisse du foie ou des poumons.

Cette façon physiologique de penser allait attirer l'attention sur un domaine bien peu connu jusque là.

En 1901 Portier et Charles Richet découvrent Vanaphylaxie : l'injection à l'animal de certaines substances à doses faibles ne provoque aucun accident ; refait-on 20 à 30 jours plus tard une injection du même produit, à la même dose, des accidents graves surviennent. Au lieu d'avoir été vaccinante la première injection a été sensibilisante ou « préparante », et la seconde « déchaînante ». Le phénomène est le contraire de l'immunité, d'où son nom d'ana? phylaxie.

Par la suite on a vu que certains sujets sensibilisés ou sus-

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ceptibles, à équilibre humoral et neuro-végétatif instable, pouvaient présenter des manifestations pathologiques à rapprocher des acci­dents proprement anaphylactiques. Tous ces « chocs », dont l'expres­sion clinique peut-être variée : urticaire, asthme, déterminations cutanées, articulaires ou muqueuses, tous ces chocs sont provoqués en définitive par la mise en liberté d'un imidazol : l'histamine. Le bien fondé de cette conception a d'ailleurs été confirmé par l'heureuse action curatrice de produits chimiques de synthèse antagonistes de l'histamine, qui portent pour cela le nom d'anti-histaminiques.

Cette notion de sensibilité a conduit à la pratique des cuti-réactions. Si l'on dépose sur une scarification cutanée une parcelle de la substance à laquelle l'organisme est sensibilisé, on voit se produire à ce niveau une réaction locale rouge et papuleuse. Parmi les substances auxquelles peut être sensibilisé l'individu il faut ajouter les toxines ou les produits constitutifs des microbes et des virus. C'est à cet état que von Pirquet, en 1907, a donné le nom d'allergie, entendant par là que l'organisme sensibilisé réagissait autrement que celui qui ne l'était pas.

Appliquée à l'infection tuberculeuse cette méthode permet de reconnaître les sujets qui ont été tuberculisés, c'est-à-dire qui, sans être pour autant des tuberculeux, ont hébergé à un moment donné quelques bacilles de Koch.

Les maladies infectieuses ont été analysées sous leur double aspect : l'agression microbienne, la réaction organique. La structure chimique des bactéries a été l'objet de nombreux et minutieux travaux qui ont conduit à préciser les substances multiples qui les constituent. Chimiquement définis, ces divers « antigènes » ont pu être étudiés dans leur action propre. Ainsi se sont trouvés élucidés nombre de problèmes. L'infection est apparue plus com­plexe qu'il ne le semblait à l'origine. Tout agent microbien est en réalité le support d'une véritable mosaïque, dont chaque élément joue un rôle spécial dans le déterminisme biochimique du processus infectieux.

E n regard de cette invasion microbienne qui est en réalité l'intervention dans l'organisme contaminé de produits chimiques anormaux apportés ou sécrétés par l'agent contaminateur, le malade réagit, lui aussi, par le jeu physiocochimique de ses tissus et de ses humeurs. Aussi est-il possible d'apprécier parfois certains caractères nouveaux du sérum sanguin des malades modifié par

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l'infection dans sa structure intime ou ses propriétés. Il serait trop long et trop spécial d'insister davantage s^r ces conceptions nouvelles. Au point de vue pratique elles rendent possible certaines méthodes de laboratoire appliquées au diagnostic, par exemple le séro-diagnostic grâce auquel on peut reconnaître, entre autres, les maladies typhoïdes, et la fixation du complément qui permet d'identifier la syphilis.

Un médecin français, de pénétration singulière et d'esprit philosophique étendu, Charles Nicolle, a établi la notion de maladie inapparente, c'est-à-dire d'infection se produisant à bas bruit, sans provoquer aucun symptôme morbide appréciable, mais assez réelle cependant pour déterminer dans les humeurs les mêmes modifications qu'une infection manifeste. Ces états ont une impor­tance considérable dans la transmission des épidémies par des sujets apparemment sains, et dans l'immunité spontanée occulte des individus contaminés sur le mode mineur.

Maurice Nicolle, frère du précédent, a montré l'existence de « germes de sortie », c'est-à-dire de microbes hébergés jusqu'alors comme simples parasites, sans action pathogène, et trouvés dans le sang ou les urines du malade à l'occasion d'une autre infection, sans être aucunement la cause de celle-ci.

Faut-il ajouter, au cours de ce demi-siècle, le rôle attribué aux germes anaérobies, dont le développement n'est possible que s'ils sont privés d'oxygène, celui des virus filtrants, trop ténus pour être décelables à nos moyens optiques, l'affinité reconnue de cer­tains germes pour certains tissus.

La pathologie infectieuse semble aujourd'hui en perpétuel remaniement. Peut être aussi obéit-elle à des lois encore mysté­rieuses modifiant au cours des âges l'aspect clinique et la fréquence de certaines maladies, comme Charles Nicolle l'a indiqué dans son célèbre ouvrage : Naissance, vie et mort des maladies infectieuses.

Conflits d'antigènes et d'anticorps, telles nous apparaissent donc les infections dans l'intimité de leur processus biochimique.

Les maladies de la nutrition elles aussi ne sont en définitive que le retentissement général ou local d'un équilibre humoral perturbé. Le diabète en est un exemple caractéristique. Dû initialement à une insuffisance de la sécrétion pancréatique d'insuline, qui règle la combustion des hydrates de carbone, i l retentit ensuite sur la nutrition générale, n'affectant pas seulement l'utilisation des sucres, mais encore celle des graisses et des matières albumi-

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noïdiques. Contre ce dérèglement l'organisme met en œuvre des moyens de compensation et de défense d'ordre physiologique ou proprement chimique. Us sont aujourd'hui parfaitement connus, au point que l'on peut tirer du dosage de certains corps la mesure même du danger qui menace le malade et les indications de son traitement.

Parmi les affections qui causent la mort, le cancer tend à occuper la première place. Sur 100 hommes vivants 15 au moins sont destinés à en mourir. Longtemps mystérieux ce mal a suscité depuis cinquante ans des travaux d'un telle qualité que son déterminisme commence à être entrevu.

Dès 1903, Borrel notait le rôle des parasites et soulevait l'hypo­thèse d'un virus. En 1910 Pierre Marie, Clunet et Raulot Lapointe réalisaient chez le rat un sarcome par l'application de rayons X . En 1911, P. Rous montrait l'existence d'une tumeur maligne fdtrable et confirmait ainsi le rôle des virus. En 1917, Yamagiwa et Itschikawa provoquaient le cancer par des badigeonnages de goudron, en même temps que la sensibilité expérimentale de la souris était démontrée.

Depuis 1920 trois notions fondamentales ont été établies. C'est d'abord Vinfluence des substances chimiques cancérigènes.

Plus de 500 sont aujourd'hui connues. Leur étude chimique a per­mis de souligner le rôle de certains carbures qui ont conduit aux stéroïdes, c'est-à-dire vers un groupe de corps dont font partie plusieurs vitamines et les hormones sexuelles. Ainsi l'être vivant porte normalement en lui-même des substances indispensables à sa vie qu'une déviation minime peut transformer en agents cancérigènes. La connaissance de tels corps a éclairci le problème des cancers professionnels comme aussi le rôle de certains régimes alimentaires trop riches ou trop pauvres.

Une seconde acquisition concerne lès facteurs héréditaires du cancer. Expérimentalement on a pu sélectionner, dans une même espèce animale, comme la souris, des lignées sensibles au cancer. On a cherché à expliquer ce fait par une mutation somatique, c'est-à-dire une variation subite et définitive, spontanée ou pro­voquée, qui intéresse avant tout les cellules germinales. En réalité, sur ce plan, i l est probable que des facteurs multiples sont en cause.

Les virus cancérigènes paraissent aujourd'hui à nombre d'auteurs occuper une large place à l'origine des tumeurs malignes. La pré­sence à l'intérieur de cellules jusque là saines de particules viru-

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lentes se multipliant indéfiniment entraînerait la multiplication anarchique des cellules qui les hébergent. Le cancer résulterait de l'association « cellule-virus ».

Les trois conceptions que nous venons de schématiser ne sont d'ailleurs pas exclusives l'une de l'autre. Elles illustrent en tout cas le concours que se portent, dans une même recherche, des disciplines différentes : génétique, biochimie, biophysique, virologie, cytologie.

Les études génétiques, c'est-à-dire l'analyse des facteurs héré­ditaires qui conditionnent la transmission de tel ou tel caractère, ont été appliquées à la médecine. Grâce à elles on a pu recon­naître à plusieurs maladies une filiation héréditaire certaine, selon des lois dûment établies. Et même pour d'autres, qui ne sont pas héréditaires mais acquises, il apparaît vraisemblable que la géné­tique pourrait expliquer la résistance ou la fragilité de certains êtres. Il s'agit là de recherches difficiles dans l'espèce humaine, où man­quent souvent les grandes séries d'individus de même famille et les lignées exactement suivies pendant assez longtemps. Si l'on veut s'efforcer d'expliquer autrement que par un verbalisme pur cette réalité du « terrain », nul doute que la génétique ne soit indispen­sable désormais.

# *

Le demi-siècle écoulé a vu croître dans des proportions jusque là inconnues Vaclivité de nos traitements.

Héritage du siècle précédent vaccins et sérums ont poursuivi leur carrière. Les vaccinations préventives se sont développées et améliorées, par l'association de plusieurs vaccins dans une même injection et par un mode nouveau de préparation : l'adjonction de formol à la culture microbienne (anatoxines de Ramon).

En 1921, Calmette et Guérin avaient fini de mettre au point, après treize ans d'efforts, à partir d'une souche de bacille tuber­culeux bovin, un vaccin prémunisant contre l'infection tubercu­leuse humaine, le B.C.G.

Mais la sérothérapie des maladies infectieuses allait peu à peu céder la place à la chimiothérapie et à la mycothérapie.

Détruire les agents microbiens ou parasitaires par des subs­tances chimiques « antiseptiques » était un vieil espoir de la théra­peutique. Le danger résidait dans le fait que ces substances ris­quaient aussi d'être toxiques pour les cellules normales et pour

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l'organisme tout entier. Il fallait donc trouver des médicaments nocifs pour les microbes, mais assez bien tolérés par l'homme. En éprouvant tour à tour une série de composés arsenicaux organiques, Ehrlich, de 1907 à 1910, réussit à en isoler un, le 606 ou salvarsan, qui avait une action destructrice sur le tréponème, agent de la syphilis, et sur d'autres parasites. Grâce à lui s'ouvrait un chapitre tout nouveau de la chimiothérapie. Quelques années plus tard (1916-1921) le bismuth était lui aussi reconnu tréponémicide.

Et voici que portent leurs fruits les travaux plus anciens d'Ehr-lich (1904), de Maurice Nicolle et Mesnil (1906) sur l'affinité des matières colorantes pour les cellules vivantes, dont les bactéries. Le 15 février 1935, G. Domagk fait connaître que la sulfamido-chrysoï-dine, colorant azoïque relativement peu toxique, est doué de remar­quables propriétés antimicrobiennes vis-à-vis du streptocoque hémolytique.

Presque aussitôt l'école française de l'Institut Pasteur avec Fourneau, Tréfouel, Nitti, Bovet, montre que l'action antibacté­rienne de ce corps n'est pas due à son noyau coloré mais à son autre élément la para amino phénil sulfamide. Il est à la souche d'où dérivent tous les organo-soufrés. Ainsi s'ouvre l'ère si féconde de la sulfamido-thérapie.

D'année en année de nouveaux composés sont trouvés, dont on précise le pouvoir électif contre tel ou tel germe et les modalités d'action. D'une façon générale les sulfamides ne tuent pas les mi­crobes, ils empêchent leur développement. Leur action n'est pas bactéricide, elle est bactériostatique. De ce fait les germes ne se multiplient plus, ils deviennent la proie des moyens habituels de défense de l'organisme. Mais il faut que le produit se trouve en concentration suffisante dans le sang et le tissu malade : d'où la nécessité de répartir les doses au cours de la journée, et, s'il en est besoin, d'appliquer localement le médicament, en solution ou en poudre.

A peine les sulfamides avaient-ils manifesté leur pouvoir éminent qu'une nouvelle médication antiinfectieuse voyait le jour. En sep­tembre 1928, Fleming étudiant des cultures de staphylocoques sur plaques de gélose, observa qu'une de ses boîtes était contaminée par une moisissure, ce qui est un accident banal. Mais i l eut la sur­prise de constater qu'autour de la colonie du champignon, qui appartenait à l'espèce Pénicillium notatum, existait une zone dans laquelle le staphylocoque ne s'était pas développé. Fleming soup-

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çonnn l'application thérapeutique de sa découverte. Au début cependant il ne l'appliqua guère qu'à des tins purement bactériolo­giques. Il fallait, en effet, que le principe actif du champignon fût isolé. D'ailleurs l'apparition contemporaine des sulfamides devait bientôt écarter les chercheurs de la découverte de Fleming. C'est seulement à partir de 1940 que des travaux féconds furent effec­tués par Chain, Florey et leurs collaborateurs de l'école d'Oxford, qui aboutirent à l'isolement et à la purification du corps qui a reçu le nom de pénicilline.

Ainsi créée, la mycothérapie, ou traitement par des produits que sécrètent des champignons, s'avérait bientôt l'un des plus grands enrichissements de nos moyens curateurs. De 1941 à 1943, Schatz et Waksman isolaient à partir d'actinomycés griseus, cham­pignon du groupe streplomyces, une substance dénommée strepto­mycine qui se montrait remarquablement active contre le bacille de Koch et quelques autres bactéries. Le traitement de certaines formes sévères de tuberculose en était immédiatement transformé (Feldman et Hinshaw).

A l'heuie actuelle de nombreuses substances du même type sont à l'étude. Deux d'entre elles ont déjà droit de cité : la chloro-mycétine extraite du Slreptomyces Venezuelae, dont la fièvre typhoïde est la grande indication, et l'auréomycine découverte en 1948 à partir de Slreptomyces aureofaciens.

Dans le temps qu'ils appréciaient les heureux résultats de la mycothérapie, médecins et biologistes s'efforçaient d'en comprendre le mécanisme. Il s'agit essentiellement, comme pour les sulfamides, d'une action bacténostatique antibiotique. Pénicilline et strepto­mycine créent pour les bactéries des conditions de vie précaire. Les germes se développent moins et donnent naissance à des formes anormales accessibles à la destruction par les défenses de l'orga­nisme. Dans certains cas cependant, s'ils sont employés à forte concentration pendant un temps suffisant, on admet que ces « anti­biotiques » ont en outre un rôle bactéricide dû peut-être à des pro­duits voisins des ferments.

On ne saurait se défendre d'une admiration réelle devant de tels progrès. Mais la complexité des phénomènes biologiques est telle qu'une acquisition bénéfique trouve rapidement sa contre­partie. Traitées par ces moyens nouveaux les maladies se modifient dans leur symptomatologie, leur durée, leurs complications plus ou moins lointaines. Le médecin doit connaître une nouvelle patho-

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logie créée par sa thérapeutique. Attaqués de la sorte les microbes réagissent. Après un certain temps d'emploi du médicament les germes deviennent résistants. S'agit-il d'une adaptation défensive ? S'agit-il d'une sélection entre des souches microbiennes inégalement résistantes à l'origine, les plus faibles disparaissant, les plus résis­tantes se développant seules par un processus de mutation provo­quée ? On en discute encore. Mais cette notion de résistance doit nous conduire, avant certains traitements, à mesurer de façon précise la sensibilité des germes. Elle doit guider notre intervention en appréciant au plus juste et la dose du produit et la durée de son application. Des prescriptions trop libérales risqueraient en effet de ruiner à tout jamais l'efficacité d'une méthode sur des germes devenus résistants.

Les maladies infectieuses ne sont pas les seules à avoir bénéficié de thérapeutiques nouvelles. La fin du x i x e siècle avait déjà connu le traitement de l'insuffisance thyroïdienne ou myxoedème par l'extrait de glande thyroïde. Dans la première moitié du x x e siècle nos connaissances sur les extraits d'organes se sont considérable­ment étendus. En 1921, Banting et Best, à Toronto, annonçaient que le diabète et son coma pouvaient être traités par l'insuline, extrait de cette partie endocrinienne du pancréas qui porte le nom d'ilots de Langerhans.

En 1925, Whipple montrait le rôle des extraits de foie sur la régé­nération sanguine. En 1927, Minot et Murphy confirmaient que ces extraits pouvaient guérir l'anémie pernicieuse. L'année suivante Castle trouvait également une action hématopoïétique aux extraits de muqueuse gastrique. Enfin de 1940 à 1947 une équipe de cher­cheurs américains ajoute à l'arsenal thérapeutique une nouvelle substance, de grande puissance sangui-formatrice, capable de sup­pléer les extraits de foie et de muqueuse gastrique, une vitamine du complexe B, l'acide folique.

En même temps, surtout au cours de la dernière guerre, la trans­fusion sanguine connaissait un essor inégalé. La découverte de3 groupes sanguins par Landsteiner dès 1900, leur étude approfondie jusqu'à nos jours, permettaient de reconnaître les incompatibilités sanguines et d'éviter les réactions violentes qui en auraient été la conséquence. L'emploi du citrate de soude comme anticoagulant avait permis la conservation du sang total recueilli plus ou moins longtemps avant son usage et la constitution de stocks. L'utilisa­tion du plasma ou même de ses éléments constitutifs a répondu à

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des applications nouvelles, en particulier dans le domaine des mala­dies infectieuses.

En isolant les hormones à partir des glandes endocrines et en en faisant la synthèse industrielle, la chimie biologique a par là même augmenté nos moyens d'action. A leur administration buc­cale ou sous-cutanée une nouvelle voie s'est ajoutée. On peut au­jourd'hui inclure sous la peau de petits comprimés renfermant une dose exactement pesée de produit actif, qui se résorbe lentement, pendant plusieurs mois, et apporte ainsi à l'organisme le stimulant quotidien qui lui fait défaut.

Il semble même que l'hormonothérapie commence à dépasser l'action purement substitutive qui est la sienne dans les insuffi­sances glandulaires. On peut se servir de certaines hormones pour en freiner d'autres. On peut même agir grâce à elles sur certains cancers comme le cancer prostatique. Sans doute n'y a-t-il pas encore guérison définitive, mais simplement régression, arrêt ou soulage­ment. Pour limités qu'ils soient ces résultats ne sont-ils pas pro­metteurs d'espérance ?

On ne saurait clore ce bref résumé des plus importantes décou­vertes thérapeutiques du demi-siècle sans rappeler tous les agents physiques : rayons X , radium, diathermacoagulation. Par eux les tumeurs bénignes ou malignes peuvent être traitées d'une manière efficace. Que de changements en cinquante ans ! La thérapeutique médicale ne se borne plus à calmer quelques symptômes pénibles. Elle s'attaque à la cause même de la maladie, soit pour la prévenir, soit pour la détruire. Elle s'efforce, souvent avec succès, d'apporter à un trouble ou à une insuffisance des fonctions une restauration totale ou une aide palliative.

La chirurgie étonne le profane plus que la médecine. La solen­nité de l'acte, sa brièveté, le résultat rapide qui paraît en juger sans appel le succès ou l'échec, tout contribue à revêtir le chirurgien d'un prestige admiratif.

L'infection et l'hémorragie ont été longtemps les deux grands dangers des opérations. Du jour où Pasteur avait nettement formulé la théorie de l'infection par des microbes extérieurs à l'opéré, mais portés par les mains du chirurgien, ses instruments ou ses objets de pansement, une méthode rigoureuse : l'asepsie, permettait de

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s'en défendre. La stérilisation préalable de toute l'instrumentation, le nettoyage des mains, le port des gants de caoutchouc, l'isolement de la plaie opératoire par des champs stériles, toutes ces mesures qui nous paraissent aujourd'hui si naturelles ont été la condition nécessaire d'un acte opératoire enfin sûr. Elles ont autorisé la chi­rurgie, longtemps cantonnée aux membres et aux traumatismes, à s'attaquer aux organes profonds et au péritoine.

Au cours des dernières années la chirurgie a fait d'autres progrès. Elle les doit d'abord à une conception plus physiologique de l'acte opératoire. La virtuosité chirurgicale, qui se manifestait surtout par la rapidité, a fait place à une certaine lenteur et à la douceur. En effet, il n'est pas indifférent de tirer brusquement sur un nerf ou de laisser saigner même de tout petits vaisseaux.

En outre on ne se contente plus de penser' seulement à la région sur laquelle on va opérer. La technique est si bien réglée que, de ce point de vue, il n'est plus guère de hasard. Souvent le succès définitif dépend davantage des conditions générales dans lesquelles se trouve le malade au moment de l'opération. Bilan cardiaque et pulmonaire, état des fonctions hépatiques et rénales, composition du sang, degré possible d'infection, tout cela doit être rigoureuse­ment établi avant l'intervention. Y a-t-il quelque déficience dans l'un ou l'autre domaine ? Il faut la corriger ou y parer avant de songer à opérer. Ne doivent arriver à l'opération que les sujets capables d'en subir le choc au moindre risque.

A une anesthésie meilleure on doit pour une grande part la possibilité de faire à loisir des opérations plus longues et plus déli­cates. Préparation du malade avant l'intervention, substances moins toxiques, dosage précis du mélange anesthésique enrichi d'oxygène par la méthode du circuit fermé, amélioration des conditions respiratoires de l'opéré par l'intubation trachéale, toutes ces précautions font aujourd'hui de la narcose une partie capitale et minutieusement réglée de l'intervention.

Mais il y a plus. \u cours même de l'opération les réactions du sujet sont explorées sans arrêt. Le pouls, la tension artérielle, la respiration, la coloration des téguments sont notés, parfois même un électrocardiogramme peut être pris, un* dosage effectué d'oxygène ou de gaz carbonique. Un choc sera décelé à des signes prémonitoires, et combattu par les procédés modernes de réani­mation : transfusion, administration de sérums ou de toniques cardio-vasculaires. Après l'intervention la surveillance continuera

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et permettra la mise en œuvre de traitements post-opératoires : aspiration bronchique, ̂ transfusions, administration d'oxygène.

Enfin, pour prévenir l'infection, l'emploi général ou local des différents antibiodiques a contribué à ouvrir à la chirurgie des domaines magnifiques. La dernière guerre a montré les résultats dûs à cet ensemble coordonné. En pratique civile ou ne lui doit pas seulement une sécurité plus grande dans la chirurgie classique, mais des chirurgies nouvelles.

On intervient sur le système nerveux pour enlever les tumeurs cérébrales ou médullaires, pour sectionner tel faisceau sensitif, et même sur certaines régions de l'encéphale pour atténuer ou guérir certains troubles psychiques.

Le chirurgien pulmonaire ne se borne plus à sectionner les côtes ou à créer un pneumothorax extrapleural pour collaber des lésions tuberculeuses et compléter le pneumothorax de For-lanini. Il enlève un lobe pulmonaire ou un poumon entier pour supprimer une caverne, un cancer, une suppuration broncho-pulmonaire traînante.

Le cœur, l'aorte, les vaisseaux ne sont plus ces obstacles intan­gibles à toute intervention qu'ils ont été si longtemps. Une chirurgie cardio-vasculaire s'est créée depuis quelques années et se développe chaque jour.

Possibilité infiniment plus étendues, sécurité incomparablement plus grande, tel est le riche bilan de la chirurgie contemporaine.

* *

La médecine n'est pas une science spéculative. Elle est essen­tiellement appliquée, et appliquée à l'homme. Son exercice est fonction pour une part de ses progrès techniques, pour une autre de la place que l'on reconnaît à l'homme dans la société. De ce double point de vue le demi-siècle écoulé aura vu une transformation profonde de nos usages médicaux.

Foncièrement individualiste au début du siècle, la médecine tend à s'intégrer dans une action collective. Elle le doit d'abord à la complexité cfoissante de nos moyens d'investigation, à la mul­tiplicité des analyses qui sont parfois nécessaires pour élucider un cas donné, à la spécialisation de certaines techniques de dia­gnostic ou de traitement. Le spécialiste, peu connu en 1900, prend aujourd'hui une place eminente. Indispensable sur le plan de la

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recherche ou de la technique, la spécialisation trop précoce ou trop exclusive ne serait peut être pas sans quelques désavantages si la culture générale et le bon sens devaient en pâtir.

La nécessité d'installations convenables, les risques de contagion mieux connus, les difficultés domestiques de tous ordres, ont fait naître les cliniques de soins. Seuls les indigents allaient jadis à l'hôpital. De nos jours personne n'a plus l'idée de se faire opérer chez soi. Les futures mamans trouvent naturel d'aller accoucher en maison de santé. Le temps viendra où il apparaîtra paradoxal de soigner à domicile une maladie infectieuse.

La médecine a pris d'autre part dans la vie collective et sociale une importance qu'elle n'avait jamais eue. Vaccinations obliga­toires, dépistages systématiques, surveillance des collectivités scolaires ou professionnelles, médecine du travail, orientation, toutes ces activités se sont développées en même temps que la lé­gislation faisait de plus en plus intervenir l'Etat dans l'hygiène publi­que. Jadis conseiller privé des malades qui lui faisaient confiance, le médecin devient, dans la société contemporaine, une sorte de gar­dien de la santé publique. Cette tendance est plus manifeste encore depuis la généralisation d'une Sécurité sociale d'Etat, ou d'un ser­vice public de la santé comme en Grande-Bretagne.

Que cette évolution ne soit pas toujours sans inconvénients, qu'elle doive être dirigée par des règles morales et sages, tenant compte de la nature des choses et des hommes, ce n'est pas ici le lieu d'en discuter : i l nous suffit de le marquer.

En regard, les médecins ne sont plus restés dans le splendide isolement qui faisait la fierté de nos devanciers. Us se sont unis dans des syndicats, dans un Ordre. Il serait sans doute un peu sim­pliste et injuste de n'y voir que le réflexe de défense d'intérêts maté­riels menacés. Une certaine dignité doit aussi être défendue. Car l'indépendance du médecin reste la vraie sauvegarde du malade. « Rencontre d'une conscience et d'une confiance », telle demeure d'après l'un des nôtres, l'essence même de toute médecine.

PROFESSEUR BARIËTY.