Claude Torossian - Des Fourmis Et Des Hommes 1983

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Les hommes sont comme des fourmis... mais ils n'en n'ont pas la sagesse ! Avec Claude Torossian, professeur à la Faculté des Sciences de Toulouse, examinons une fourmilière globalement. Cette « micropole » vit avec des milliers quelques fois des millions d'individus. Système clos ? non système ouvert sur d'autres systèmes. Organisation parfaite, trop parfaite pour être comparée à ce que l'homme sait et peut faire. Mais ici encore, l'approche systémique est idéale pour mieux comprendre ce monde fascinant qui a encore beaucoup de choses à nous apprendre et dont les ressources inventives dépassent souvent le simple instinct animal.

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  • 5/17/2018 Claude Torossian - Des Fourmis Et Des Hommes 1983

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    DesFOURMISetdesHOMMES

    parCLAUDE TOROSSIAN(professeur IIla Faculte des Sciences de Toulouse).

    L'etude de l'organisation socialed'une fourmiliere fait mieux compren-dre l'organisation systemique duvivant.Les hommes sont comme des fourmis ... mais ils n'enn'ont pas la sagesse !Avec Claude Torossian, profes-seur it la Faculte des Sciences de Toulouse, examinonsune fourrniliere globalernent. Cette micro pole vitavec des milliers quelques fois des millions d'indivi-dus. Systerne clos ? non systeme ouvert sur d'autressystemes. Organisation parfaite, trap parfaite pouretre comparee it ce que I'homme sait et peut faire.Mais ici encore, l'approche systemique est ideale pourmieux comprendre ce monde fascinant qui a encorebeaucoup de choses it nousapprendre et dont les res-SOurcesinventives depassent souvent Ie simple instinctanimal.

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    [IISTE-T-IL au niveau des insectes unphenomene plus etonnant, plus enig-matique qu'une fourrniliere ? Des mil-liers, voire des centaines de milliersd'individus affaires qui courent a droite et a gau-che, qui envahissent un arbre, une foret, (quandce n'est pas un appartement, ou un garde-manger) ... QuelIes sont les regles qui regissentune telIe societe? Quels mecanismes mysterieuxcommandent les mouvements et les activites detout ce peuple ? Quelle determination regit leurdestin et programme leur devenir ?Autant de questions que l'on se pose depuistoujours. Le roi Salomon lui-rneme n'a-t-il dit va a la fourmi, paresseux, tu y apprendras lasagesse .Notre propos est done clairement trace : nousallons essayer dans cet article de soulever un coin

    du voile d'ombre qui recouvre depuis si long-temps la cite des fourmis. De nombreux auteurset non des moindres ont deja ecrit des traites aleur sujet, C'est done une incitation a etudier lavie des fourmis que nous allons entreprendre ;mais attention les fourmis sont un peu commeune drogue, et quand on commence it les regar-der, il est difficile sinon impossi.ble d' alIer voir ailleurs. Bien au contraire, devant les mysteres de leurs vies , on est tres tented'approfondir.Et alors, les annees passent, et le demon pre-tentieux de la connaissance pousse toujours plusavant vers la grande quete scientifique d'uneinformation tellement captivante ...Que sont done les fourmis : c'est la premierequestion it laquelle il nous faut repondre. Dupoint de vue systematique, les fourmis sont, aumeme titre que les abeilles ou les guepes, desHymenopteres sociaux, et elles vivent en colonies

    de quelques centaines a plus de 1million d'indivi-dus. .On a denombre plus de 6 000 especes differen-tes de fourmis dans le monde. EIles sont connuesdepuis le debut du Tertiaire; c'est dire qu'ellesont precede I'Homme depuis longtemps,puisqu'on peut estimer en premiere approxima-tion a une trentaine de millions d'annees leuranciennete sur la terre. Phylogeniquement leursancetres etaient des guepes primitives et solitai-

    res. De nos jours les fourmis realisent les societesd'insectes les plus complexes, et les plus souples.(Rappelons que si les abeilles sociales ferment desgroupements etonnants, leur societe est beau-Coup plus rigide. Les termites edifient a leurechelle d'immenses megalopoles, mais c'est sansdoute aux fourmis que revient le titre de la societela plus elaboree et la plus complexe). Tous cesinsectcs, abeilles, guepes, fourmis, termites, par-

    ticipent a ce que l'on appelle les societes supe-rieures d'insectes .II nous parait temps maintenant d'aborder leprobleme des SOCIETES D'INSECTES sous sonangle le plus general, c'est-a-dire dans une pers-pective evolutive, car le PHENOMENE SOCIALse rencontre dans plusieurs lignees animales . Lessocietes de vertebres et d'invertebres atteignentleurs sommets dans les societes de fourmis et lasociete humaine, aboutissement ultime deslignees protostomienne et deuterostomienne.Nous connaissons quelque peu la societehumaine, mais que salt-on de la societe de four-mis?Analyse des principaux caracteresdes societes superieures d'insectes :A cote de l'homme, I'insecte est un animal

    assez remarquable par ses faibles dimensions. S'ilest vrai que l'intelligence ne se mesure pas auvolume du cerveau, iln'en reste pas moins que lesmilliards de connexions du cerveau humain (quijointes it d'autres caracteres font la superiorite deI'homme sur les autres etres vivants) sont possi-bles parce qu'il existe un nombre tres eleve deneurones.Considerons maintenant Ie cerveau d 'unefourmi : en tant qu'individu il n'excede pas quel-ques mm' (1 a 2). II n'y a done aucune mesureentre la capacite cranienne d'un homme et celIed'une fourmi, et cette derniere ne saurait enaucun cas se poser en concurrent de I'Homme carses connexions existent en nombre extraordinai-rement moindre : c'est le propre des insectes,etres vivants de petite taille compares aux verte-bres superieurs dont I'Homme peut etre consi- idere comme Ie chef de file (1).Les auteurs actuels s'accordent pour caracteri-ser les societes d'insectes par une serie de disposi-tions etonnantes. Parmi celles-ci citons plus par-ticulierement :

    10 L'inter-attraction et I'appetitionsociale:Ce double phenomene est en quelque sorte leciment du groupe. L'insecte social ne peut pasvivre en dehors du groupe (2), il recoit de ce der-nier des informations et une multitude de stimuli.

    II emet a son tour pour le groupe une serie de sti-muli particuliers qui le lient de maniere totale acedernier. A la fois emetteur et cible, l'insectesocial ne peut plus vivre en solitaire. II est facilede verifier ce phenornene de dependance abso-lue : meme si l'on place une ouvriere isolee defourmis dans les meilleures conditions de confortet de nourriture, la fourmi meurt en quelquesheures (ou quelques jours) (2).

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    Dessin schematique du domede brindilles d'une fourrni-liere du groupe FORMICARUFA

    fragments plus ou moinslongs de vegetaux, resine).(3) Materiaux detritiquesplus grossiers (aiguilles +terre + resine).(4) Reseau de POCHES ACOUVAIN.(I)

    + (2) Materiaux de sur-face (aiguilles de coniferes,C'est pourquoi s'est imposee la notion de nom-bre social, c'est-a-dire d'un nombre de fourmisau-dessous duquel la vie des individus est impos-

    sible. Ce phenornene d'APPETITION 80-CIALE (mis en evidence par GRASSE et CHAU-VIN) ne do it pas etre confondu avec l'idee main-tes fois repetee selon laquelle une societe supe-rieure d'insectes est une famille dont la reine estla mere, et les ouvrieres les enfants. S'il est vraique la femelle pondeuse (la reine) a une duree devie de beaucoup superieure a celIe des ouvrieres,permettant ainsi une sorte de perennite dugroupe, la reciproque n'est pas une conditionnecessaire et suffisante pour caracteriser unesociete superieure d'insectes. (Ex. : la femelle deforficule qui eleve sa progeniture jusqu'a unstade larvaire avance, et dont la famille se separeensuite).20 La composition du groupe:La societe de fourmis (et de bien d'autresinsectes sociaux) est le plus souvent caracteriseepar un systeme de castes. C'est ainsi que l'onpeut differencier, tout d 'abord, la caste dessexues. Le male a une vie ephemere, et sa seulefonction est, lors de l'essaimage, la fecondation

    de la femelle-reine.

    FIGURE 1

    (5) Portes du nid (sortie etventilation). .(6) GaJeries de circulation.(7) Souche plus ou moinsdecornposee (presence even-tuelle).

    (8) Zone endogee terri colede la colonie (avec galerie).(9) Zone de transition.(10) Terre avoisinante nonincorporee au nid.

    Par contre la femelle fecondee est l'elementreproducteur de la colonie. Avant l'accouple-ment, la femelle est ailee apres la fecondation elleperdra ses ailes, et durant sa vie entiere vivra enrecluse en pondant des oeufs. La fonction dereproduction est assuree par caste femelle. Sinous parlons exclusivement de fourmis, il est evi-dent que dans les 6 000 especes mondiales toutesles situations se rencontrent. On peut donc direque la ponte est assuree par une femelle unique(colonie monogyne), ou par plusieurs femelles(colonie polygyne) ; a partir de leurs o eu fs fe con-des se developperont en grand nombre les femel-les steriles que l'on appelle les ouvriers ou ouvrie-res.(1) L'inseete est confine evolutivement parlant dansla petite taille que nous lui eonnaissons (les geants II

    du groupe ne depassent guere 30 em pour le Phasmegeant de Malaisie), car la solution insecte utilise larespiration par tube d'air et non le poumon des verte-bres. Le premier type n'est efficace, comme le faitremarquer par exemple JULIAN HUXLEY, que pourun organisme de petites dimensions. II est done haute-ment improbable que la fourmi arrive jamais a lataille du bceuf...(2) Sauf de la f'emelle-reine pendant la phase de fon-dation.

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    REMARQUE : Nous venons d'evoquer Ie casdes femelles steriles que sont les ouvrieres. II fautpreciser que les ouvrieres sont des femelles gene-tiques dont la morphologie et les potentialitesreproductrices sont beaucoup diminuees par rap-port aux femelles a part entiere que sont les rei-nes. En effet les ouvrieres sont caracterisees parl'absence ou la simplicite extreme du receptaclegenital qui ne permet pas l'accouplement avec lesmales. De telles femelles sirnplifiees en quel-que sorte constituent la majoritedes adultes de lacolonie. II faut noter que, pour de nombreusesespeces, les ouvrieres peuvent pondre en certainesconditions des oeufs fecondes qui evolueront (enl'absence de femelle-reine) en male par le classi-que mecanisme de la parthenogenese arrhenoto-que. Ces femelles pretendues steriles pourrontassez souvent pondre des oeufs non fecondes detype abortif.

    II est interessant de noter que la fonction pri-mordiale de ponte des oeufs de la fernelle-reineexiste chez l'ouvriere dans certaines conditions.Parfois meme cette ponte massive d'reufs nonfecondes est une ponte d'oeufs degeneratifs, oud'reufs abortifs. De tels oeufs ne sont evidem-ment pas evolutifs,Ce sont cependant des oeufs a vocation alimen-taire ; on connait tous les interrnediaires chez ces

    ceufs : les oeufs abortifs intra-ovariens, les oeufspondus sans chorion (que nous avons appeleceufs vitello-proctodeaux), les oeufs chorionnespondus et devores sous leur forme ceufs .. II yaurait encore beaucoup a dire sur Ie determi-nisme de ces oeufs, leur formation et leur interetdans Ie flux trophique de la colonie ... (Nous ren-voyons pour de plus amples informations Ie lee-teur interesse a un certain nombre de publica-

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    Figure 2 - Morphologie des trois castes de l'especeFormica lugubris Zett. (Fourmi rousse des bois).

    tions plus specialisees, cf. analyse bibliographi-que).Nous venons d'evoquer la caste ouvriere : c'estde tres loin la plus populeuse. A part la ponted'reufs non fecondes, les ouvrieres assurent tou-tes les fonctions de la colonie.On distingue deux grandes categories: lesouvrieres du service exterieur, et celles du serviceinterieur. Les ouvrieres du service exterieur sontaffectees it la recolte de la nourriture, fonctionvitale pour la societe. Elles sillonnent en tous sensIe territoire de chasse, et ramenent aux nids,proies, graines ou gouttelettes de nectar. Elles

    edifient l'habitacle commun et defendent la colo-nie. Les ouvrieres du service interieur (generale-ment nouvellement ecloses), assurent l 'elevage ducouvain, les soins it la reine et aux larves, lesrefections internes du nid ...Apres quelques jours ou semaines, eIles peu-vent passer au service exterieur.

    A. Femelle essaimante ailee (9-10 mm). Avant I'essaimagc,la femelle est ailee. Pendant Ie vol nuptial aura lieu l'accou-plement, a I'issue duquel la femelle perd ses ailes et fondeune nouvelle colonie.B. Male aile (8-9 mm).C. Ouvriere (4-8 mm). C'est l'element de loin Ie plus impor-tant par son effectif tres eleve et par les nombreux travauxqu'il effectue ; I'ouvriere editie un dome (habitacle de lacolonie), dont une partie est souterraine, recolte les proies,assure la nourriture, eleve les larves, defend la colonie ...

    (Des sins C. Torossian)

    L'ESTOMAC SOCIAL DES FOURMIS : Letube digestif des fourmis est constitue de curieusefacon ; apres la bouche et l'oesophage, il existeun premier estomac (Ie jabot ou estomac social),terrnine par une sorte de pompe aspirante et fou-lante qui perrnet, selon le cas, la degurgitation denourriture it l'exterieur ou l'absorption proprevers Ie deuxieme estomac privatif' del'ouvriere. Cette particularite anatomique permetIe comportement tres remarquable de partage dela nourriture : une ouvriere affarnee croisant uneouvriere au ventre plein peut, apres sollicitationsantennaires, obtenir de cette derniere, et it sonprofit, l'emission de goutelettes nutritives.Ainsi l'individu replet partage sa nourritureavec l'affame, Chez les fourmis, les abeilles, lesguepes sociales, les termites, cette pratique estgenerale dans toute la colonie. Elle a beaucoupinspire les auteurs qui sont tentes de faire de lafourmiliere le symbole social que l'ondevine ...

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    LES RELATIONS SOCIALES : II existe chezles fourmis une complexite effarante dans lesrelations sociales. Sans y insister outre mesure,signalons simplement I'odeur commune qui sertde passeport pour une colonie donnee. La ferme-ture du groupe qui en decoule fait habituellementrejeter tout echange d'individus, meme de lamerne espece, Par contre certains insectes, pardes mecanismes speciaux, reussissant it passeroutre cette barriere, se font adopter puis se fontnourrir par les ouvrieres au detriment de leurpropre couvain (parfois). II y a meme des fourmis droguees qui delaissent les fonctions habi-tuelles de leur caste, pour s'abandonner (peut-etre) aux delices de l'extase (?) que procurent cer-taines secretions distillees en microgouttes parquelques parasites sociaux ...Mais il y a plus remarquable encore. La femellefecondee entretient, par ses secretions, un etat de

    sterilite dans I'ensemble de la populationouvriere qui peut retrouver une f'econdite limiteeet speciale en emettant des ceufs parthenogeneti-ques. Que surviennent alors des maladies etla mort de la reine, les ouvrieres delivrees de sonasservissement chimio-sensoriel se mettent it pon-dre ... et la societe decline par production uniquede males; l'ovaire social des ouvrieres est donehabituellement inhibe par l'ovaire roya!... IIdecoule de cela une hlerarchie dans la societe defourmis; l'individu alpha, c'est la (ou les)reine(s), suivi du couvain, des ouvrieres, desmales, et tout it la fin des femelles essaimantesailees non fecondees. II y a lit un phenomene quiparait assez interessant : La fecundation permetle passage de I'individu de rang omega au rangd'individu dominant.LE LANGAGE DES FOURMIS: On doit ausavant allemand K.V. FRISCH Ie decrypt age dulangage des abeilles. En fait, au terme de Iongues

    etudes, ce chercheur passionne a reussi a mettreen evidence, et it demontrer clairement, l'exis-tence d'un systeme de communications deI'information entre les individus de la ruche. Bienentendu ilne s'agit nullement d'un langage parleidentique au langage humain, mais plutot d'unlangage par gestes, veritables danses fretillantesexecutees au sein du groupe par l'abeiIle (genera-lement sur un rayon de la ruche).Par ce comportement particulier, l'abeille sait

    transmettre une information a ses partenaires, etest susceptible de les diriger vers un point del'espace ou existe une source de nourriture profi-table a la communaute. Un tel pseudo-langage , qui est en fait un rituel bien defini dedanses et de mouvements antennaires, a pu etreretrouve chez plusieurs autres insectes sociaux.Les guepes notamment et les fourmis.Chez ces dernieres, il s'agit essentiellement demouvements antennaires appliques sur les anten-

    nes et la tete du partenaire. Le rythme, l'ampli-tude, la frequence des battements antennairesreciproques, permettent de caracteriser un cer-tain nombre de situations codifiees, stereotypees,qui autorisent la transmission d'une informationrudimentaire.Mais il n'y aurait pas de fin dans la relation desmeeurs des fourmis, et il est temps maintenantd'aborder quelques aspects plus synthetiques de

    leur biologie.Vers une approche systemiquede la societe de fourmis :

    Nous pensons ainsi avoir montre rapidement,dans les lignes qui precedent, qu'une fourrniliereest un assemblage complexe d'individus speciali-ses dans des taches diverses et des fonctionsvariees. Le systeme des castes, veritable supportde la differenciation des fonctions primordiaIes,permet des lors de comprendre qu'il faut pen-ser la fourrniliere comme un systeme complexe.Les preuves en sont multiples, et nous en avonsenumere quelques-unes en decrivant la fourmi-Iiere, et en demontrant son organisation. II appa-rait des lors que la termitiere par exemple, ou lafourrniliere, bien que constituees d'innombrables .individus, n'en realisent pas moins un tout har-monieux ... Nous avons vu qu'il existe des corre-lations sensorielles, des correlations chimiquesqui assurent Ies communications au sein dugroupe.La fonction de reproduction est bloquee dansl'ovaire royal. (Nous avons pu montrer la domi-nation de l'ovaire royal sur l'ovaire social desouvrieres),II faut insister aussi sur la notion d'estomacsocial, car on peut considerer que les echangesreguliers entre les differents individus du groupe

    permettent de parler veritablernent d 'un tel esto-mac social, situe en quelque sorte au dessus de l'estomac privatif de l'individu, cellule-unitaire de base de la colonie. La preuve evidenteen est donnee par la rapidite avec laquelle on voitdans la colonie Ia diffusion d 'une substance mar-quee ajoutee au miel que l'on distribue commenourriture a un petit groupe d'ouvrieres.La substance marquante peut etre un colorant,qui signaIe dans les heures qui suivent la progres-

    sion du partage de la nourriture du petit groupeinitial dans la colonie (1).LE SUPER-ORGANISME : Ainsi il apparaitl'idee d'un systerne social que de nombreuxauteurs ont appele super-organisme. Cette idee alongtemps nourri les chercheurs specialistes desinsectes sociaux.Elle n'a cependant qu'une valeur d'idee, dontIe principal merite est it nos yeux de servir de fil

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    directeur dans I'etude complexe des societesd'insectes. EIle est aujourd'hui un peu passee demode, car elle a ete jugee depuis quelques anneescomme non entierement demontree. II semblebien cependant qu'elle suscite de nos jours un netregain d'interet a travers une approche cyberneti-que du modele insecte social . Nous pouvonscependant avancer avec certitude que, quelle quesoit sa portee reelle, elle souligne et renforcel'approche systemique que nous avons tente demettre en evidence dans cet article qui nous per-met maintenant de com parer ce qui a priori neparaissait pas devoir I'etre.

    Esquisse d'une sociologie animale et d'unecomparaison entre les societesd'insectes et les societes humaines :Constatons preliminairement une troublante

    similitude des deux types de societes qui mar-quent dans les lignees essentielles du regne ani-mal, celIe des invertebres, et celle des vertebres,I'aboutissement ultime du phenomene social.A I'evidence les hymenopteres sociaux etl'homme sont fort eloignes phylogeniquement. Ala reflexion cependant, et apres etude, on voitbien apparaitre des points communs entre Iesdeux types de societes :- constructions collectives (les insectes savent

    construire des abris communs dont la complexitechez certains termites exotiques (Apicotermes parexemple) est proprement fabuleuse (!) et n'a pas,encore ete egalee dans une constructionhumaine.)- Division du travail ..- Hierarchie sociale ...- Systeme des castes ..- Langage ou pseudo-langage ...- Homeostasie (c'est-a-dire equilibre dans la

    composition du groupe social). Dans ce cas, ilestrneme permis d'attirer l'attention sur Ia perfor-mance superieure des insectes qui, dans les socie-tes de termites par exernple, reussissent I'eton-nant prodige des sexues de remplacement fabri-ques par la colonie lorsque le roi ou la reineviennent a disparaitre (naturellement ou artifi-ciellement). Ainsi, on peut rever sur la perennltedes societes d'insectes qui dans certains cas est aurnoins potentiellement et reellement realisee.- Maitrise et integration ecologlque : sur cepoint aussi les fourmis peuvent justifier la paroledu roi Salomon, qui incitait ses contemporains a aller a la fourmi ... .C'est la un probleme bnlIant que nous auronspeut-etre la possibilite d'evoquer dans un pro-chain article.Faut-il pour autant essayer d'expliquer I'unepar I'autre, ou se lancer dans des elucubrations

    seniles visant a rechercher un trait d'union entredeux mondes aussi differents ? En verite ilsemblebien qu'il n'y ait la aucune matiere a confusion,ou a reverie debridee, car rien ne diff'ere autantque Ia societe d'insectes, ffit-elle de fourmis, et lasociete humaine, (ou les societes de vertebressuperieurs).Des evolutions differentes peuvent cependantconduire a des resultats voisins: cela s'observe

    souvent pour Ie naturaliste confronte a I'etude dumonde vivant. On parle alors de convergence deforme, c'est-a-dire d 'une comcidence entre lesdeux types fondamentalement differents que sontles societes de primates et les societes d 'hyrnenop-teres sociaux.Finalement convergence ne signifie pas ega-lite; les societes d'insectes sont basees sur I'ins-tinct, c'est-a-dire l'automatique, alors que lessocietes des vertebres superieurs sont tout a

    l'inverse basees sur le psychique.L'Homme a debouche sur le plan de I'esprit etde Ia reflexion, c'est-a-dire de Ia prise de cons-cience de sa destinee et de I'evolution. Bien quesortie des societes ani males , Ia societe humainebasee sur Ie grand cerveau de l'Hommeatteindra une dimension nouvelle et uniquepourvu que Science marche enfin avec Cons-cience .(1) Cette experience fondamentale, realisee par IeSuisse FOREL ilya plusieurs dizaines d'annees, a eterenouvelee depuis avec succes en utilisant des radio-marqueurs ; on a rneme mis a profit cette habitudedu partage de Ia nourriture pour detruire lesfourmis; en empoisonnant Ientement quelquesindividus, on peut ainsi detruire toute Ia colonie.

    Pour en savoir pius ...- Chauchard P. (1956) Societes animates et Societeshumaines (PUF).- Chauvin R., Vie et Moeurs des jourmis (Pion).- Ferton Ch. (1923), La Vie des abeilles et des gue-pes (Chiron).- Forel A. (1924), Le Monde social des jourmis(Kundig). .- Frisch K.V. (1955), Vie et Mceurs des abeilles (A.Michel).- Grassep.p. (1949-50), Traite de zoologie, t. IX, 1.X (Masson).- Raignier (1952), Vie et Mceurs des jourmis(payot).- Sire M. (1961), La Vie sociale des animaux.- Wheeler W.M., Ants (Columbia Press).- Wheeler W.M. (1936), Les Societes d'insectes(Doin),- Wilson E.O., (1971), Insect's Societies (Harvard).- Structure et Physiologie des societes animates (col-loque XXXIV, CNRS, 1950-1952).