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Clero Jean Pierre - Le Vocabulaire de Lacan

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Le Vocabulaire de Lacan

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Vocabulaire de ...

Collection dirigée par Jean-Pierre Zarader

Le vocabulaire de

Lacan

Jean-Pierre Cléro Professeur de philosophie

Université de Rouen

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Dans la même collection

Le vocabulaire de ...

Aristote, par P Pellegrin Bachelard, par J.-Cl. Pariente Bouddhisme, par S. Arguillère Bentham, par J.-P. Cléro et Ch. Laval Berkeley, par Ph. Hamou Comte, par J. Grange Derrida, par Ch. Ramond Descartes, par F. de Buzon

et D. Kambouchner Diderot, par A. Ibrahim L'école de Francfort, par Y. Cusset

et S. Haber Épicure, par J.-F Balaudé Foucault, par J. Revel Frege, par A. Benmakhlouf Freud, par P.-L. Assoun Goodman, par P.-A. Huglo Hegel, par B. Bourgeois Heidegger, par J.-M. Vaysse Hume, par Ph. Saltel Husserl, par J. English Kant, par J.-M. Vaysse Kierkegaard, par H. Politis Lacan, par J.-P. Cléra Leibniz, par M. de Gaudemar Lévinas, par R. Calin et F.-D. Sebbah Lévi-Strauss, par P. Maniglier Locke, par M. Parmentier Machiavel, par Th. Ménissier Maine de Biran, par P. Montebello

ISBN 2-7298-1082-X

Maître Eckhart, par G. Jarczyk et P.-J. Labarrière

Malebranche, par Ph. Desoche Malraux, par J.-P Zarader Marx, par E. Renault Merleau-Ponty, par P. Dupond Montesquieu, par C. Spector Nietzsche, par P Wotling Pascal, par P. Magnard Platon, par L. Brisson et J.-F. Pradeau Présocratiques, par J.-F. Balaudé Quine, par 1. G. Rossi Rousseau, par A. Charrak Russell, par A. Benmakhlouf Saint Augustin, par Ch. Nadeau Saint Thomas d'Aquin, par M. Nodé-

Langlois Sartre, par Ph. Cabestan et A. Tomes Sceptiques, par E. Naya Schelling, par P. David Schopenhauer, par A. Roger Spinoza, par Ch. Ramond Stoïciens, par V Laurand Suarez, par J.-P. Coujou Tocqueville, par A. Amiel Vico, par P. Girard Voltaire, par G. Waterlot Wittgenstein, par Ch. Chauviré

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Il n'appartient pas à l'auteur, fût-ce d'un vocabulaire, de délimiter à l'avance son public, car il risque, à ce jeu, de se tromper lourdement et de se perdre dans toutes sortes d'inversions inattendues. On peut sim­plement dire que le présent texte ne s'adresse pas directement au psy­chanalyste, au psychologue ou au psychiatre, qui n'en tireront aucun bénéfice clinique immédiat. Il existe déjà d'excellents dictionnaires pour guider chacun d'eux en son métier il n"est ici question ni de les remplacer ni de les imiter. Si, comme il est souhaitable, le présent texte se révèle de surcroît intéressant pour ceux qui ont vocation de soigner, alors qu'il ne leur est pas spontanément destiné, c'est par un détour qui pose alors le problème de l'importance de la philosophie pour la psychanalyse. Toutefois, la question de ce lexique est plutôt inverse c'est celle de la valeur de la psychanalyse pour philosopher. Peut-on se passer de la psychanalyse pour philosopher? À coup sûr non. Quand un philosophe pourrait parler contre elle, il ne pourrait se passer d'elle sans perdre un contenu majeur.

Si étrange que puisse paraître encore, même aujourd'hui, l'idée d'écrire un vocabulaire de Lacan à l'usage des philosophes, la conception de ce lexique est fort classique et, quand bien même elle contredirait, sur un point ou sur un autre, la philosophie de Kant telle qu'elle est traditionnellement enseignée et commentée, elle est fort kantienne. Kant recommandait en effet de n'appliquer la philosophie critique qu'à des sciences qui avaient, par « l'effet d'une révolution subite» autant qu'« inoubliable », pris leur indépendance méthodique, y compris à l'égard de la philosophie c'est ainsi qu'il pensait que la philosophie pourrait tirer avantage de sa critique des mathématiques et de la physique. Elle a largement montré, depuis le XVIIIe siècle, qu'elle pouvait tirer profit d'une interrogation de la biologie. Les sciences humaines posent, il est vrai, un problème particulier, au nom de leur

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grande proximité à l'égard de la philosophie et de leur lien, peut-être indéfectible, avec elle. Il est clair qu'elles ne peuvent pas être interrogées comme le sont les autres sciences. Il serait toutefois absurde d'attendre je ne sais quel moment de « maturité» pour commencer leur critique: D'ailleurs, comme pour se mettre en rè~le avec ce réquisit de la préface de la seconde édition de la Critique de la raison pure, Lacan note que la révolution a eu lieu dans les sciences humaines, lorsque le Cours de linguistique générale de Saussure a commencé à faire son œuvre en leur domaine. L'entreprise critique se révèle toutefois beaucoup plus dialectique qu'il le semblerait à première vue; il faut comprendre les raisons de ce caractère de réciprocité qui fait que la philosophie est autant et peut-être davantage travaillée par la psychanalyse qu'elle ne la travaille.

Dans le livre VII du Séminaire, on peut lire que « nous ne connais­sons rien des processus de pensée si [ ... ] nous ne faisons pas de psycho­logie. Nous ne les connaissons que parce que nous parlons de ce qui se passe en nous, que nous en parlons dans des termes inévitables, dont nous savons, d'autre part, l'indignité, le vide, la vanité. C'est à partir du moment où nous parlons de notre volonté ou de notre entendement comme de facultés distinctes que nous avons une préconscience et que nous sommes capables en effet d'articuler en un discours quelque chose de ce bavardage par lequel nous nous articulons nous-mêmes, nous nous justifions, nous rationalisons pour nous-mêmes, dans telle ou telle cir­constance, le cheminement de notre désir» (p. 76). Pour que la psycho­logie, comme toute autre science d'ailleurs, soit possible, il faut toujours déjà qu'une mise en forme linguistique de notre expérience ait eu lieu. Mais, peut-être plus en psychologie, et par conséquent en psychanalyse, qu'ailleurs, on utilise, pour cette mise en forme, des concepts philoso­phiques. Lacan le dit très bien dans Encore, lorsque, s'apprêtant à reprendre la question de l'amour, il note qu'il « serait dédaigneux de ne pas au moins faire écho à ce qui, au cours des âges, s'est élaboré sur l'amour, d'une pensée qui s'est appelée - je dois dire improprement­philosophique» [SXX, 88]. S'ils sont moins indignes que les produc­tions du sens commun, les concepts philosophiques n'ont toutefois pas la sorte de dignité que l'on attend d'une expression correcte des proces-

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sus psychiques la philosophie tend à « infini tiser » ses concepts, à ne pas leur assigner de limites assez précises, et à les libérer d'une détermi­nation trop directe et trop astreignante de l'expérience. La reprise par la psychanalyse lacanienne de concepts philosophiques est celle d'un retour à l'expérience il s'agit de soigner des individus et de considérer des cas susceptibles de faire l'objet de propositions en contradiction avec les énoncés généraux. Dans quel état ces concepts sont-ils rendus à la philosophie?

Il vaut la peine de parcourir les déplacements de concepts entre la psychanalyse et la philosophie précisément parce que, en dépit des illu­sions que nous pouvons nous faire sur le chapitre, il n'y a pas de retour possible à quelque sol ou fondement originaire que toute compréhension et même toute expérience ne s'effectuent jamais qu'à travers ces déplacements. Quand un philosophe lit Lacan, il reconnaît, en ses text~s, un très grand nombre de notions auxquelles il est habitué par ses lectures de Platon, d'Aristote, de Kant, de Hegel, de Kierkegaard, de Schopenhauer, de Nietzsche; il apparaît que Lacan, plus ou moins explicitement, se réfère à ces auteurs qu'il «lit », interprète et soumet à toutes sortes de transformations. Dans la mesure où il est absurde de vouloir saisir les auteurs dans leur « vérité ultime », il n'est pas inutile, pour bénéficier de vues et de perspectives nouvelles sur ces auteurs, de parcourir les «lectures» qu'en fait Lacan. La philosophie est l'une des façons déjà très élaborées, pour le psychanalyste, de mettre en forme ce que lui-même va saisir de façon mieux déterminée à travers son prisme. Ainsi a-t-il pu, parfois parler contre la philosophie, mais, comme il a souvent été noté, jamais sans elle.

Lire, comme le fait Lacan, un auteur, surtout s'il est philosophe, c'est se rendre sensible à des raisons de transformation, à un jeu de figura­iÏons et de défigurations, à des déplacements topiques. C'est la diffé­rence et la comparaison des configurations qui sont significatives, même si elles sont inconfortables; il ne faut pas imaginer la vérité d'un texte dissimulée sous les masques, comme s'il suffisait de les ôter pour la trouver intacte. Ce statut de « lecteur}) que revendique délibérément Lacan - à l'égard de Freud, des philosophes et des écrivains-

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explique que l'on ne trouvera pas beaucoup, dans ce petit lexique, de mots typiquement « lacaniens ». Certes l'un des plaisirs à lire cet auteur est bien d'y découvrir constamment des saillies et des trouvailles verbales (comme l'extimité, désignant par là que le réel est autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du sujet, ou le parlêtre, désignant l'être qui n'existe que par le déploiement de la parole) ; mais elles se distinguent difficilement de leur jaillissement et elles ne font concept que dans un contexte. Ces inventions verbales ne sont pas « lexicalement » la partie la plus riche que l'on puisse tirer de Lacan; d'autant que Lacan lui­même en minimise volontiers la portée ou ne s'en attribue pas la découverte. Si l'on écarte l'invention syntaxique sur laquelle un vocabulaire n'a, par principe, rien à dire, l'originalité de l'auteur se marque mieux dans l'empreinte qu'il impose, sous le masque de la « lecture », à plusieurs notions déjà existantes, qu'elles soient essentiellement philosophiques ou que la philosophie les partage avec la psychiatrie. Il serait intéressant d'ailleurs - et la réponse au problème n'est pas évidente - de se demander pourquoi la philosophie et la psychiatrie ont à ce point échangé leur vocabulaire sur les questions essentielles de l'une et de l'autre alors qu'elles ont si peu pris en compte, l'une et l'autre, cette mise en commun.

On ne saurait trop recommander au philosophe de lire les textes de Freud et de Lacan, pour les mêmes raisons qu'il lui est indispensable de lire des mathématiques ou d'apprendre de la logique, et de se tenir à cette lecture avec la même obstination dans l'un et dans l'autre cas, car les raisons de lire la psychanalyse s'approfondissent au fil des lectures, comme celle de lire les mathématiques ou toute autre science. Les concepts n'existent jamais qu'à travers la longue série de leur élaboration et de leurs usages auxquels il est impossible d'assigner un commencement et une fin. Je ne parle pas seulement de concepts comme la conscience, l'inconscient, le sujet, la loi, le désir, le réel, etc. Je parle aussi des valeurs; l'époque est révolue où le philosophe osait donner à l'historien, au sociologue, au psychanalyste, la leçon de ne pas parler des valeurs du beau, du vrai, du bien, du bonheur. Cet interdit que

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Husserl avait cru pouvoir assigner aux sciences de l'homme' et dont il dénonçait les transgressions sous le nom d'historicisme2 ou de psychologisme3 avait encore, directement ou indirectement, arrêté Freud4 Lacan a passé outre et c'est sans doute en prenant tous les risques qu'il a écrit les pages les plus intéressantes et les plus saisissantes pour le philosophe, qu'elles portent sur le beau, sur le vrai, sur le bien ou sur le bonheur. Si la psychanalyse vaut quelques heures de peine au philosophe, c'est bien parce qu'elle lui parle des choses qui intéressent le plus les hommes. Le philosophe ne peut donc s'installer vis-à-vis d'elle dans un rapport d'extériorité comme s'il devait se contenter de dire in abstracto à quelle condition elle est possible et comment on pourrait limiter son propos. Ce n'est qu'en tournant les interdits husserliens et en parlant des valeurs que la psychanalyse gagne son caractère irremplaçable. Il était interdit, sous peine d'être taxées d'absurdité, aux diverses sciences humaines de s'aventurer à traiter des valeurs autrement que de la façon la plus extérieure et la plus contextuelle; car, en problématisant le vrai, que ce soit en l'historicisant ou en le psychologisant, elles compromettaient, pensait-on, la vérité même de leur propos et s'abîmaient dans le scepticisme. C'est cet interdit qui est absurde, d'autant qu'il pouvait hypocritement s'assortir

Suivi par Scheler en ce qui concerne plus spécifiquement les valeurs morales. C'est généralement à Hobbes et à Nietzsche qu'il réserve ses coups plutôt qu'à Freud dans Le

formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs. Nietzsche est accusé de« réduire à de pures valeurs-d'expérience-vécue les expériences-vécues-de-valeur (qui, en-vertu-des­lois-de-leur-essence, ne peuvent se manifester qu'en de telles expériences)) (NRF Gallimard, Paris, 1955, p. 216).

2. Husserl E., La philosophie comme science rigoureuse, PUF, Paris, 1989, p. 61, ss. 3. Husserl E., Recherches logiques, PUF, Paris, 1959, I, Prolégomènes à la logique pure, voir

en particulier, chap. III-VIII. 4. Lacan le lui a très vivement reproché dans le livre VII du Séminaire «Freud a été là­

dessus d'une prudence singulière. Sur la nature de ce qui se manifeste de création dans le beau, l'analyste n'a, selon lui, rien à dire. [ ... ] Ce n'est pas tout, et le texte de Freud se montre là-dessus [il ne s'agit de rien de moins que de la sublimation] très faible. [ ... ] Il faut bien dire que le résumé que nous donne Freud de ce qu'est la carrière de l'artiste est quasiment grotesque -l'artiste, dit-il, donne forme belle au désir interdit, pour que chacun, en lui achetant son petit produit d'art, récompense et sanctionne son audace» [Le

Séminaire, Livre VII, Le Seuil, Paris, 1986, p. 279].

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du reproche d'inutilité et de platitude des sciences humaines, qui ne parlaient pas de l'essentiel. Le cercle vicieux dans lequel on prétend prendre au piège les sciences humaines dès qu'elles parlent des valeurs n'a pas lieu d'être, ou plutôt, si on peut les y prendre, le philosophe y est aussi pris avec elles et ne peut apprendre qu'à le rendre moins étroit et à en agrandir le diamètre. Si le philosophe veut parler de l' histoire, du psychisme et de la société, ce qu'il dit a aussi un sens historique, psychologique et social; il lui faudrait même prendre l'habitude, pour chaque notion, de regarder ce que l'historien, le psychologue ou le psychanalyste, le sociologue en pensent, sans feindre de se donner le droit de saisir intuitivement l'essence de ce dont ces savants inspectent à tâtons les phénomènes. Comment le philosophe n'aurait-il pas avantage à s'enquérir de ce que les autres disciplines font de ses propres propositions? On ne voit pas comment il pourrait désormais traiter d'un certain nombre de thèmes sans recourir, entre autres savoirs, à la psychanalyse pas seulement parce que la psychanalyse ouvre des champs 1 adicalement nouveaux, malS aussi parce qu'elle donne un contenu véritable à ce qu'il a souvent gagné in abstracto. C'est le cas de la critique du sujet, de celle de l'impératif catégorique, qui, du statut seulement négatif qu'elles revêtaient sous la plume des auteurs des siècles passés, ont acquis, grâce à Freud et à Lacan, une certaine positivité; c'est aussi le cas des types de négations auxquelles elle peut apporter des illustrations concrètes inattendues (par le refoulement, la dénégation, la forclusion) mais c'est surtout par ses approfondissements que la psychanalyse se rend utile, lorsqu'elle enseigne, par exemple, loin de tout dogmatisme, la variabilité des distri­butions de l'intérieur et de l'extérieur (du psychisme ou d'instances du psychisme).

Voilà pourquoi je ne me suis pas laissé arrêter par les lectures, de philosophes comme de psychanalystes d'ailleurs, qui visent à restreindre la portée des textes de Lacan, comme si celui-ci n'avait jamais parlé qu'au public étroit des analystes. Il faut apprendre, de Lacan même, à lire et à le lire imprudemment; s'il fallait considérer, par exemple, le livre VII du Séminaire comme un simple manuel de déontologie à l'usage des psychanalystes dans l'exercice de leur métier, on passerait à

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côté de l'incroyable provocation que constitue aujourd'hui, pour tout homme soucieux de mener et de penser son existence, une éthique du désir. Nul ne peut décider, à la place du lecteur lui-même, s'il est concerné ou doit être concerné par un texte de Lacan. Le texte s'adresse, dans toute son étendue, à quiconque veut bien en faire son miel.

D'ailleurs, quand cette psychanalyse est écrite par Lacan, on pourrait se demander si elle ne devient pas fort proche de la philosophie. Quoi­qu'il s'en défende parfois rudement, l'auteur n'a-t-il pas constitué une œuvre philosophique presque équilibrée? L'équilibre est même telle­ment parfait qu'il semble difficile qu'il n'ait pas été voulu. Une épisté­mologie très fine ; une morale puissante et novatrice; une politique et un droit qui passent par l'utilitarisme, quand bien même celui-ci serait partiellement récusé sous sa forme ancienne, seule connue de l'auteur une esthétique, quand bien même - ce qui est assez ordinaire - elle privilégierait la peinture et l'architecture en faut-il davantage pour compter parmi les philosophes? Et obtient-on lm tel résultat par hasard?

La vraie philosophie se moque de la philosophie ; faute de quoi elle se répète ou s'institutionnalise. Rien de pire qu'une méthode qui confond sa charpente administrative avec la vérité même. Il se pourrait que le véritable intérêt de la psychanalyse en philosophie consistât dans la mise en « événement» d'une partie de ses notions et que la forme du « séminaire » - avec le style si particulier que lui a donné Lacan -correspondît à la meilleure expression possible d'une telle philosophie.

Nous avons eu une grande chance en France, dont n'ont pas bénéfi­cié au même point les Anglo-Saxons et qu'il est peut-être temps de mesurer celle d'assister à une recréation complète de la psychanalyse à une génération de distance de son fondateur autrichien. Chaque mot, chaque concept, chaque méthode, chaque résultat ont été repensés, pesés et repesés, si bien qu'un certain nombre de notions, ainsi rectifiées, appartiennent désormais à la langue française et doivent être pensés en cette langue, même lorsqu'elles ont été reprises de l'allemand (das Ding, der Kern, die Wortvorstellung, die Vorstellungsrepriisentanz, etc.), voire, plus rarement, de l'anglais (non-sense, end et goal). Et pourtant, le paradoxe est que l'on doit l'essentiel des travaux sur le thème de

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« Lacan et la philosophie », si l'on retire quelques heureuses réussites en français l , aux Anglo-saxons. C'est le cas du texte écrit par Robert Samuels en 1992 Between philosophy & psychoanalysis (Routledge, New York, London). C'est aussi le cas de l'ouvrage de Dylan Evans, intitulé An introductory Dictionary of Lacanian Psychoanalysis (Routledge, London, New York, 1996), qui m'a puissamment aidé dans cette tâche lexicale, quoiqu'il ne s'adresse sans doute pas directement au philosophe, mais qui, pour cette raison même, présente un grand intérêt philosophique. Une chose ne laisse toutefois pas d'étonner: le travail de la psychanalyse outre-manche et outre-atlantique n'a guère diffusé, même en Angleterre et en Amérique, sur la réflexion concernant l'éthique, même quand elle est novatrice, et n'y a guère non plus instruit les philosophies du désir qui ont cours dans la mouvance utilitariste, par exemple, et qui continuent à raisonner comme si la psychanalyse n'avait jamais existé. Puisse ce petit ouvrage donner quelque impulsion pour poser un peu différemment les problèmes éthiques et politiques, ou, si la chose s'avère décidément impossible, puisse-t-il contribuer à faire comprendre cette impossibilité! La psychanalyse n'est pas une simple rhétorique pour la philosophie celle-ci ne tirerait aucun avantage d'utiliser métaphoriquement les concepts de celle-là. Le but de ce vocabulaire est de faire apparaître quelques méthodes que la philosophie puisse décrire et mettre en pratique; d'apprendre ou de réapprendre le goût de lire librement. Lire les philosophes sans doute ou ceux qui, du moins, se sont définis ou qui ont été désignés comme tels - sans qu'on ait cherché à vérifier les titres de trop près - ; lire, de Lacan, les Écrits certes, mais aussi le Séminaire, qui est un extraordinaire creuset où la foisonnante culture des années 50 et 60 se réfléchit et se travaille rigoureusement, comme avaient pu l'être, en leur temps et sur des modes différents, la Phénoménologie de l'Esprit et Le monde comme volonté et comme représentation. L'incroyable souplesse méthodique de Lacan, doublée de l'implacable passage au crible de toutes les idées

Lacan et la philosophie, qu'A. Juranville a osé écrire seul alors que la plupart des auteurs affrontent Lacan en s'y mettant à plusieurs et en colloque; les Actes du colloque du Collège de philosophie sur le même thème; les deux dictionnaires (de P Kaufmann et de R. Chemama) et sans doute quelques autres encore.

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essayées, sa facilité d'accueillir et de forger ce qui lui est utile, autant que d'abandonner ce qui avait pu lui paraître, un temps, le plus approprié, constituent un modèle pour tout philosophe, c'est-à-dire pour tout individu épris de vérité. Ainsi mon désir, en écrivant ce petit lexique, a-t-il été, à défaut de pouvoir être complet l , de faire, de chacune de ses entrées, le point de départ, pour chacun, de recherches fort libres.

Il fut un temps, pas très éloigné, où la philosophie prétendait soigner ceux qui l'exerçaient; elle ne le revendique plus à présent et ce projet rendrait ridicule celui qui s'en réclamerait hautement aujourd'hui. N'a-t­elle pas toutefois conservé ce rôle, par l'interposition de la psychanalyse et n'est-ce pas l'un des points de rapprochement entre la philosophie et la psychanalyse? Si la philosophie n'ose plus affirmer par elle-même sa valeur curative ou si nul ne peut plus dire qu'il se soigne par la philoso­phie, il est beaucoup plus acceptable que la psychanalyse laisse entendre qu'elle soigne par la philosophie. Est-ce par là qu'il faut envisager leur véritable alliance ?

Nous aurions aimé pouvoir faire des entrées aux notions d'affect, d'autorité, d'autre et d'Autre, de catharsis, de destin, de destinée, d'écran, d'espace, de fantasme, de fiction, de miroir, de personne, de religion, de tableau. On pourrait faire un excellent dictionnaire - un meilleur? - avec les chutes du précédent.

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Angoisse * La façon de traiter ce concept est typique de la méthode lacanienne des renversements à l'égard des positions de Freud et du discours ordinairement tenu par la philosophie, en particulier depuis le fameux ouvrage de Kierkegaard sur Le Concept d'Angoisse. Elle est aussi caractéristique des rééquilibrages permanents que l'auteur fait subir aux structurations de ses thèses fondamentales sur le désir et la jouissance. Dans ses écrits d'avant-guerre, Lacan avait d'abord référé l'angoisse au « corps morcelé» auquel le sujet est confronté au niveau du stade du miroir; l'unification du corps entier autour du pénis donne lieu à une angoisse de castration. Mais il réfère aussi l'angoisse à la crainte d'être engouffré par une mère dévorante. Dès lors, ce qui angoisse n'est pas tant d'être séparé de la mère que de ne pouvoir s'en séparer. Il est donc faux de dire que l'angoisse se caractérise par l'absence d'objet et de la distinguer par là de la peur. «L'angoisse n'est pas sans objet» [SXI 1] ; simplement, cet objet ne prend son sens que par La Chose - cette Chose que le sujet ne peut ni dire, ni caractériser, ni envisager sans vertige. Plus profondément que l'angoisse, on trouve une détresse (Hilflosigkeit) « où l'homme, dans ce rapport à lui-même qui est sa propre mort - mais au sens où je vous ai appris à la dédoubler- n'a à attendre d'aide de personne» [SVII, 351]. Ainsi, loin d'être l'affect le plus profond, quoiqu'elle nous confronte à quelque chose qui ne se laisse plus dire, l'angoisse est une expression, un signifié imaginaire de cette détresse qui est solitude absolue «Il y a, dans le symbolisme fondamental, une inflexion vers l'imagé, vers quelque chose qui ressemble au monde ou à la nature, et qui donne l'idée qu'il y a là de l'archétypique» [SIl, 246]. Elle ne paraît devenir un affect que lorsqu'elle «joue le rôle d'un signal occasionnel» [SVII, 172]. Elle se présente encore, à l'adresse de l'autre comme une demande d'aide; elle est une couverture [SVII, 351] ; elle participe de cette course à l'objet par laquelle je refuse de voir ma détresse abyssale, qui ne demande plus d'aide

On trouvera une liste des abréviations p. 90.

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parce qu'elle sait qu'il n'yen a pas. La castration n'est donc pas ce qui déclenche l'angoisse; elle sauverait bien plutôt le sujet de l'angoisse, en dépit des apparences; de même, la phobie est-elle le destin presque inévitable de l'angoisse, qu'elle permet de dissimuler; car mieux vaut encore une phobie que l'angoisse.

** On reconnaît, dans ce mécanisme, celui du désir lui-même, qui n'a pas d'objet ultime, mais feint néanmoins de s'en donner, inlas­sablement. La crainte, la phobie sont des leurres de l'angoisse, laquelle occupe un poste-frontière, situé juste avant la reconnaissance que le sujet n'a de place nulle part. L'angoisse annonce encore l' Hilf­losigkeit comme un danger c'est là qu'elle se révèle encore trop courte. Même si elle ne ment pas, à la différence des autres senti­ments, elle alerte l'autre, se raccroche à lui, parce qu'elle croit peut­être encore pouvoir attribuer à cet autre son propre surgissement [SVIII, 427] ; elle apparaît dans le sujet quand celui-ci ne sait pas de quel désir il est l'objet de la part de l'Autre. Lacan est allé si loin dans cette direction paradoxale d'une angoisse envisagée comme ultime communication, dernier rempart de la communication, qu'il pose la question de savoir si « entre le sujet et l'Autre, l'angoisse ne [serait] pas le mode de communication si absolu qu'à vrai dire on peut se demander si l'angoisse n'est pas au sujet et à l'Autre ce qui est à proprement parler commun» [L'Angoisse, 1, 127]. C'est l'angoisse qui, comme lien à l'Autre, cette autorité absolue, effectue­rait, d'un homme à un autre, la commensurabilité nécessaire à leur communication.

Voir La Chose, corps morcelé, désir, Imaginaire, jouissance, mort, objet, signe, Symbolique, tyché (chance).

Barre

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* Cette notion mathématique est inséparablement un vocable et un symbole dont la fonction va évoluer tout au cours de l' œuvre. Partant du terrain linguistique où elle est la ligne de séparation qui, dans la linguistique saussurienne, sépare le signifié du signifiant à l'intérieur du rapport qu'est le signe, la barre va prendre un sens algébrique plus

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marqué qui figure toutes sortes d'éclatements et de séparations qui affectent principalement le sujet. On voit clairement ce passage en SXI, 277 (2e partie).

** Anagramme du mot ARBRE, BARRE montre assez que le fameux exemple pris par Saussure, pour expliquer le fonctionnement du signe, n'est pas fortuit, et que le mot arbre est pris dans les plis du symbole qu'est fondamentalement le signe, au moment même où l'auteur du Cours de linguistique générale s'apprête - ô ironie - à opposer l'arbitraire du signe à la motivation du symbole. Le signe est un symbole qui s'ignore et c'est comme symbole que la barre sera retenue, dans le sillage de Heidegger, qui avait « barré» le mot das Sein [être] en 1956, dans son Zur Seinsfrage. Lacan posera volontiers le sujet S comme un $, un sujet barré le sujet est divisé par la barre du langage. De la même façon que le signifiant se pose comme valant pour le signifié qu'il remplace, S sera très vite le signifiant qui pose $, le sujet divisé, autrement dit, le sujet tout court. Loin d'être le support qui donnerait ultimement sens aux signifiants,« c'est en tant que le sujet se situe et se constitue par rapport au signifiant que se produit en lui cette rupture, cette division, cette ambivalence, au niveau de laquelle se place la tension du désir» [SVII, 366]. Quoique les signifiants structurent profondément le sujet, celui-ci paraîtra, en raison de cette barre, « se réaliser toujours ailleurs », sa vérité lui étant « toujours voilée par quelque partie» [SIl, 245]. Le sujet n'est pas seul à être barré par le langage; l'autre l'est aussi en tant qu'il est castré, incomplet, habité par le manque, par opposition à l'Autre complet, consistant, sans castration, sans barre, qui existe dans l'imaginaire du sujet, sans jouir toutefois de l'existence empirique. La barre indique donc l'impossibilité, pour l'autre, de jouer le jeu de la domination absolue dans lequel le sujet aurait tendance à vouloir l'enfermer. Ce point est particulièrement clair lorsque Lacan veut exprimer que l'éternel féminin n'existe pas la femme est un rôle symbolique; elle n'a pas, comme telle, d'existence.

Voir Désir, sexe, Imaginaire, signe, sujet, Symbolique.

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Béance - Déhiscence

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La béance est l'une des multiples façons par lesquelles Lacan énonce le vide. Le terme présente, inséparablement, l'avantage et l'ambiguïté de désigner un vaste trou ou une ouverture - conformément à l'usage qu'en faisaient les phénoménologues comme Sartre et surtout Merleau-Ponty -, et de garder une relation au langage, car le médecin qu'était Lacan savait, en l'utilisant, qu'il désignait par là aussi l'ouverture du larynx. Toutefois, si le mot est parti d'une connotation psychiatrique, il désigne fondamentalement, dès les premiers séminaires, la rupture fondamentale de l'homme et de la nature. «Le rapport imaginaire est, chez l' homme, dévié, en tant que là se produit la béance par où se présentifie la mort» [SIl, 245].

** Cette béance entre l'homme et la nature est évidente au stade du miroir «Il faut supposer, chez [l'homme] une certaine béance bio­logique, celle que j'essaie de définir quand je parle du stade du miroir. La captation totale du désir, de l'attention, suppose déjà le manque. Le manque est déjà là quand je parle du désir du .sujet humain par rapport à son image, de cette relation imaginaire extrê­mement générale qu'on appelle le narcissisme. [ ... ] L'être humain a un rapport spécial avec l'image qui est la sienne - rapport de béance, de tension aliénante. C'est là que s'insère la possibilité de l'ordre, de la présence et de l'absence, c'est-à-dire de l'ordre symbo­lique » [SIl, 371]. La béance, c'est le manque affirmé par le signi­fiant. Dans les Écrits [p. 392}, Lacan note que, « dans l'ordre sym­bolique, les vides sont aussi signifiants que les pleins; il semble bien, à entendre Freud aujourd'hui, que ce soit la béance d'un vide qui constitue le premier pas de son mouvement dialectique ». La fonction de l'imaginaire ne consiste pas à constater la béance, mais à la remplir, ~ la «boucher» [SXI, 301}, en couvrant la division du sujet d'un sens imaginaire d'unité et de complétude. Anticipant sa fameuse formule « il n'y a pas de rapport sexuel» et la rendant pos­sible, Lacan parle, dès le livre IV du Séminaire, de la béance qui reste ouverte entre l'homme et la femme «C'est en cela que l'on ne

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peut pas dire que tout soit assuré de la position relative des sexes et de la béance qui reste de l'intégration de ces rapports» [SIV, 408 id., 374].

*** À vrai dire, c'est toute relation du sujet à l'autre qui met en jeu le processus de la béance, dans la mesure où c'est l'éclatement du sujet et le caractère irréductible de sa scission qui est la béance même. « C'est en ce point de manque que le sujet a à se reconnaître» [SXI, 301]. On notera que, de façon très proche de Hume et de Bentham, quoiqu'il tente de saisir ce point, de préférence, chez Kant, Lacan repère non seulement que l'unité du moi est fictive, mais que la cause l'est aussi en raison de l'inexplicable béance qui se creuse entre la cause et l'effet [SXI, 29]. Lacan utilise aussi, comme Merleau-Ponty d'ailleurs, le terme de « déhiscence» en un sens pratiquement synonyme de celui de « béance ». La déhiscence est un terme botanique qui désigne la déli­vrance des semences lorsque la fleur est parvenue à maturité il y a «une déhiscence vitale constitutive de l'homme» [Écrits, 116]. Cette fente est aussi la division entre culture et nature, qui signifie que la relation de l'homme à celle-ci « est altérée par une certaine déhiscence de l'organisme en son sein, une Discorde primordiale» [Écrits, 96].

Voir Barre, sexe, signe, signifiant, sujet, Symbolique, trou.

La Chose, das Ding * Le terme est particulièrement dominant dans le livre VII du Sémi­

naire où deux chapitres lui sont entièrement consacrés sous le terme allemand das Ding qui, par son caractère syntagmatique, en exprime la neutralité et, pour ainsi dire, la complète imperméabilité aux actes psychiques qui s'organisent autour de La Chose. On pourrait dire de das Ding qu'il ou qu'elle est l'objet qui « aimante» le désir, si le terme d'objet n'était aussi inadéquat en l'occurrence. Tout objet de désir est, par quelque côté, un leurre on ne fait que s'imaginer que l'on désire tel ou tel objet, tel ou tel autre. En réalité, le désir, à tra­vers les objets dont il paraît en quête, ne cherche jamais que das

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Ding, dont il n'a ni n'aura jamais aucune représentation, qui n'est pas un but, puisqu'il ne sera jamais atteint, mais autour duquel tout ne cesse de tourner.

** Lacan, lorsqu'il traite de ce sujet, se réfère explicitement, chez Freud, à la distinction des Wortvorstellungen [représentations de mot] et des Sachvorstellungen [représentations de chose] que l'on trouve dans l'Esquisse d'une psychologie scientifique. Chez l'un comme chez l'autre de ces deux auteurs, il n'y a pas de représenta­tion de das Ding. Mais le déplacement de Lacan par rapport à Freud est évident, en ce que les Wortvorstellungen sont, en quelque sorte indépassables; il n'y a jamais d'accès originaire à quoi que ce soit, si ce n'est illusoirement, car la structuration symbolique, encore qu'elle ne soit pas reconnue spontanément par le sujet, est toujours la plus profonde.

*** Le schème copernicien dont Lacan se sert pour mettre en scène les relations de das Ding avec les Vorstellungen provient évidemment d'une lecture de Kant la Chose lacanienne n'est pas plus connaissable ni plus directement symbolisable que la « chose en soi ». Cette « chose» a connu des résurgences à travers le courant phénoménologique illustré par Heidegger, Sartre et Merleau-Ponty il est possible que Lacan y ait puisé plus directement l'idée de das Ding. L'influence de la philosophie de Schopenhauer, dans laquelle le « vouloir-vivre» aveugle donne lieu, par sa poussée, à toutes sortes de leurres représentatifs, ne saurait non plus être sous-estimée, d'autant que l'œuvre d'art est le moment privilégié d'un contrôle fictif ou imaginaire que l'on s'assure ponctuellement sur le « vouloir­vivre» par les belles représentations. La conception lacanienne de la sublimation fait écho à la conception de la peinture et surtout de l'architecture que l'on trouve dans Le monde comme volonté et comme représentation. Toutefois l'originalité de la psychanalyse de Lacan sur ce point est d'identifier das Ding à la mère, qui fut l'objet, à jamais perdu, de désirs incestueux et dont l'inatteignabilité de la Chose équivaut à l'interdit qui les frappe. Cette conception qui fait de l'inceste à

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l'égard de la mère l'inceste le plus fondamental et lui donne un tour métaphysique est un point de rupture avec Lévi-Strauss, qui n'avait jamais envisagé l'inceste que vis-à-vis du père pour construire les structures de parenté. Est-ce un hasard si l'intérêt du livre VII du Séminaire se porte sur les lignées d'Antigone et d'Œdipe dont les Mythologiques n'ont pas grand chose à dire? La thématique de la Chose sera à peu près abandonnée après le livre VII du Séminaire au bénéfice de la problématique de la jouissance.

Voir Désir, jouissance, Œdipe, sexe, sublimation, Symbolique.

Corps morcelé * Cette notion ouvre une perspective originale et constructive à la conjugaison de deux idées essentielles dans la philosophie classique et moderne. On trouve, en effet, chez Hume et chez Nietzsche, l'idée que l'esprit est divisé et qu'il ne réussit que fictivement à s'unifier on lit aussi, chez l'un et chez l'autre, qu'il n'y a pas lieu de distin­guer l'esprit du corps. Or il semble que la division n'ait jamais été pensée, dans cette veine, que comme étant celle de l'esprit. Lacan prend les choses par l'autre bout. Certes il ne s'agit pas de contester l'éclatement de l'esprit, comme si l'on pouvait lui porter remède; au contraire, une cure peut même consister, au moins durant l'un de ses moments, à désintégrer la rigide unité de l'ego. Est en jeu, à travers le concept de stade du miroir, la contradiction ressentie par le sujet entre l'éclatement vécu de son corps divisé et sans aucune coordina­tion avec l'image unitaire et ordonnée que livre ce même corps dans le miroir. L'image est à la fois l'occasion de la prise de conscience de ce morcèlement et du désir mêlé de l'angoisse de lui mettre fin. L'angoisse est liée à l'impossibilité de la tâche et elle se saisit dans les rêves mêmes des analysants, à des moments privilégiés de leur travail, à travers des « images de castration, d'éviscération, de muti­lation, de démembrement, de dislocation, d'éventrement, de dévora­tion, d'éclatement des corps» [Écrits, 104], dont on trouve des figu­rations dans les peintures de Jérôme Bosch.

Voir Angoisse, désir, Imaginaire, sujet.

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Culpabilité * À l'encontre de ce qu'on pourrait imaginer spontanément, la psy­chanalyse ne cherche pas nécessairement à réduire la culpabilité; une cure peut même avoir pour effet de l'amplifier, pourvu qu'elle soit correctement orientée et qu'elle porte sur les objets adéquats. Jusque-là Lacan se montre profondément en accord avec Kant. Le point où il s'en démarque tient à ce que l'auteur des Fondements de la métaphysique des mœurs réfère la culpabilité à la loi plutôt qu'au désir. Le sujet kantien est coupable devant la loi qui le divise et le tourmente par l'exigence de tâches infinies, donc irréalisables; étrangement, on pourrait dire que, par cette culpabilité, le sujet réus­sit à se démettre de son autonomie en confiant à Dieu ou à quelque autre instance étrangère la possibilité et le soin de porter l'accord des exigences de la loi avec l'existence - tout particulièrement avec l'existence heureuse. Or la tâche de Lacan en éthique consiste, non pas à opposer le désir à la loi, mais à montrer au contraire que c'est le désir même qui est la loi du sujet; dès lors, la culpabilité est référée au désir «qu'as-tu fait de ton désir? » devient la véritable mesure de nos actions, car « la seule chose dont on puisse être coupable, c'est d'avoir cédé sur son désir» [SVII, 370]. Cette éthique ne doit pas être entendue comme un relâchement hédoniste par rapport à la morale kantienne d'une certaine façon, elle est plus terrible qu'elle, puisqu'elle ne laisse plus aucune fuite possible devant ses responsabilités. Le kantisme laissait encore ouverte au sujet l'échappatoire de n'avoir pas eu la chance d'être dans les conditions extérieures ou intérieures qui lui auraient permis de réaliser son devoir ; il était encore une philosophie du bonheur. Paradoxalement, l'éthique du désir n'est pas un eudémonisme et elle ne laisse plus aucune excuse, pas même celle d'avoir eu à faire son « devoir », au sujet qui a cédé sur son désir et qui, de concession en concession, s'est laissé gagner par l'éthique des biens. Le devoir moral, si pénible puisse-t-il sembler, peut être invoqué voire exercé à la façon d'un divertissement par rapport à la règle de son désir.

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** La force du livre VII du Séminaire, où l'on trouve, sur la culpabi­lité, les meilleures formules, c'est de ne pas laisser libre de choisir entre l'éthique du désir et l'éthique des biens, voire entre l'éthique du désir et l'éthique de la loi, mais de trouver le moyen, en un radical dépassement de l'aristotélisme (considéré comme prototype de l'éthique des biens), mais aussi du kantisme, de peser chacune par rapport aux autres; l'expérience analytique permettant d'établir, par son autorité propre, que l'éthique du désir pèse plus lourd que toutes les autres morales. Les hommes s'en veulent plus - même s'ils parviennent à se le voiler - d'avoir trahi leur désir que d'avoir trahi la loi morale; rien ne résiste au poids de cette «expérience» du désir.

*** L'enjeu majeur de la culpabilité est celui de son autorité à peser des éthiques. Lacan a osé ces pesées risquées qui lui ont proba­blement été inspirées par les Pensées de Pascal, dont le texte de « l'argument du pari» est l'un des plus cités du Séminaire et des Écrits.

Voir Désir, expérience, loi, sur-moi.

Demande

* L'usage du mot est caractéristique de la psychanalyse lacanienne. Toute analyse part d'une demande de l'analysant et son déroulement est celui de la transformation de cette demande, dont celui qui l'adresse comprend graduellement qu'elle est une affaire entre lui et lui-même, ou entre lui et son désir. Car, à la plainte dont la demande est l'expression pratique se substitue la reconnaissance d'un désir qui assume de mieux en mieux la situation de n'avoir point d'aide à demander et à recevoir.

** Pour entendre l'évolution de cette formulation, il faut partir de la situation de détresse dans laquelle le sujet humain se trouve dans la petite enfance, alors qu'il est radic~lement dépendant de son entou­rage pour satisfaire ses désirs et ses besoins. L'enfant a appelé sa mère avant de parler; ce qui ne signifie pas que son cri fût quelque

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réaction instinctive il« s'inscrit, au contraire, dans le monde syn­chronique des cris organisés en un système symbolique ». On voit ici au passage que le Symbolique n'est pas synonyme du linguistique. L'inscription dans l'univers symbolique est, pour l'enfant, la condi­tion sine qua non de la satisfaction de ses besoins ; il faut même dire, dans la mesure où il n'est de satisfaction que demandée et que donnée comme preuve d'amour, que l'inscription symbolique se sub­stitue à la satisfaction des besoins et inverse les priorités biologiques. Or, si les besoins biologiques sont relativement faciles à satisfaire, le désir d'aimer et celui d'être aimé ne sauraient l'être; du moins per­sistent-ils une fois que les besoins sont satisfaits. C'est ce manque qui s'entend lointaînement dans la demande de l'analysant «Par l'intermédiaire de la demande, tout le passé s'entrouve jusqu'au fin fonds de la première enfance. Demander, le sujet n'a jamais fait que çà, il n'a pu vivre que par çà, et nous pre­nons la suite» [Écrits, 617]. La suite, c'est l'analyse elle-même, et « à mesure [qu'elle] se développe, l'analyste a affaire, tour à tour, à toutes les articulations de la demande du sujet» [Écrits, 619]. L'ana­lyste ne cherche ni à encourager, ni, à proprement parler, à frustrer la demande; il est «celui qui supporte la demande [ ... ] pour que repa­raissent les signifiants où sa frustration est retenue ~~ [Écrits, 618].

Voir Angoisse, désir, frustration, signe, sujet, Symbolique, transfert.

Dénégation, die Verneinung

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* Ce concept freudien est des plus difficiles à utiliser directement en philosophie, quoiqu'il soit d'une utilité majeure en psychanalyse. Freud avait déjà montré que des négations du sujet avaient valeur de positions absolues. Ainsi lorsqu'un sujet déclare « Ce n'est pas ma mère qui... il faut entendre exactement le contraire «C'est ma mère qui... », quand bien même le sujet aurait le sentiment d'habiter sa négation. Lacan pousse à l'extrême cette conception freudienne de la négation. La négation se constitue sur fond d'une affirmation pri­maire, plus radicale, dont elle est expulsée ~t qu'il désigne en alle-

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mand du terme de Bejahung [Écrits, 381-399, plus particulièrement 386-387].

** Sur ce point, Lacan est en accord avec R. Spitz, qui a montré, à sa façon, dans No and yes (1957), que le oui et le non ne se construisaient pas réellement selon l'opposition réciproque qu'elle paraît avoir en logique. Il y a disjonction réelle entre le oui et le non; le terrain où ils s'affrontent et se limitent réciproquement en logique étant le résultat d'un processus secondaire. Il faut qu'une chose puisse être accueillie dans l'univers symbolique pour qu'elle puisse faire l'objet d'une négation. Le traitement lacanien de la négation, qui paraît se rapprocher de la négation hégélienne, doit pourtant s'en distinguer en ce que la néga­tion, qui n'est pas une affirmation voilée ou refoulée, est un « retranchement» qui a pour effet une « abolition symbolique» [Écrits, 386]. Il va de soi que l'exigence d'argumenter en philosophie ne saurait se contenter d'une réfutation qui prendrait simplement le contrepied de la proposition contestée. Ce qui est une position méthodique ou stratégique du psychanalyste à l'égard du symbole ne serait qu'une intuition aux conséquences désastreuses chez le philo­sophe qui abolirait par là le fondement même de la discussion rationnelle.

*** Toutefois il est un secteur sur lequel ce genre de considération peut attirer l'attention, à la fois en philosophie du langage et en logique Lacan ne manque pas une occasion de repérer l'usage des explétifs et des expressions introduites par « personne », « nul» ou « rien» dans lesquels paraît s'embarrasser une langue comme le français, qui dit à la fois une chose et sa contraire. « Je crains qu'il ne vienne» comprend certes la crainte qu'il vienne, mais aussi celle, opposée, qu'il ne vienne pas. Ainsi, paradoxalement, est-ce bien de là que partent les efforts lacaniens pour formaliser les affirmations, négations, négations de la négation, requises par l'articulation du Réel, de l'Imaginaire et du Symbolique.

Voir Signe, Symbolique.

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Désir

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* Si l'on accepte désormais volontiers en philosophie que le désir se distingue du besoin, si Lacan a été bien entendu quand il a dit que «le désir s'ébauch[ait] dans la marge où la demande se déchir[ait] du besoin» [Écrits, 814], ou quand il le saisit dans «la différence qui résulte de la soustraction de l'appétit de la satisfaction à la demande d'amour» [Écrits, 691], en revanche il est, du même auteur, d'autres points de vue sur le désir qui passent beaucoup plus mal auprès du lecteur-philosophe. D'abord pourquoi ce privilège accordé au désir, parmi toutes les autres «passions» (pour reprendre un terme classique), échapperait-il à l'accusation de dogmatisme? Enfin, comment peut-on prétendre que le désir, s'il est fondamentalement inconscient, puisse avoir la moindre valeur en éthique, au point que - pour reprendre les termes de Lacan - le primat puisse être donné à 1'« éthique du désir» sur les «éthiques du bien» et même sur 1'« éthique de la loi » ? Sur le premier point, il est clair que Lacan se reconnaît sur la même ligne que Spinoza, lorsqu'il dit dans le livre XI du Séminaire « Dans la mesure où Spinoza [affirme que] "le désir est l'essence de l'homme" et où, ce désir, il l'institue dans la dépendance radicale de l'universalité des attributs divins, qui n'est pensable qu'à travers la fonction du signifiant, dans cette mesure, il obtient cette position unique par où le philosophe [ ... ] peut se confondre avec un amour transcendant» [p. 306]. C'est dans ce même Séminaire qu'il oppose l'unicité du désir à la pluralité des pulsions [p. 270] ; si toute pulsion a un objet, le désir n'a guère que «La Chose» pour pôle d'attraction ou, comme il le dira un peu plus tard, 1'« objet petit a », qui est représenté par la diversité des objets partiels des pulsions qui déri­vent de ce désir. Y a-t-il une contradiction entre la position de La Chose, distincte de tout objet, et celle de l'objet a ? Certainement pas si le désir paraît se référer à un objet, c'est toujours au prix d'une illusion; il est, en réalité, relation à ],ln manque. Mais Lacan n'aurait-il pas pu traiter n'importe quelle autre «passion» de la même façon qu'il traite du désir? La seule réponse possible, qui ne calmera sans doute pas toutes les objections sur ce point, consiste à

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en appeler à l'expérience. Ce qui renvoie à la question qu'est-ce qu'expérimenter un désir? Problème qui n'est pas beaucoup plus facile à résoudre. Certes ce n'est pas expérimenter un objet comme on sentirait ce qui paraît provenir de l'extérieur par nos sensations; ce n'est pas non plus une introspection, car le désir dont parle Lacan est inconscient.

** Cette dernière position, qui gêne souvent les éthiciens, n'embar­rasse nullement Lacan. Le désir ne sait pas ce qu'il désire; il n'a pas d'objet; ou plutôt son objet est infini et se situe au-delà de tout objet limité imaginable ou concevable. Il veut l'impossible et il est aussi formel que la loi kantienne peut l'être - comment pourrait-on assigner un contenu déterminé à son désir? Dès lors, Lacan n'hésite pas à reverser au compte du désir l'ensemble de ce que Kant fait porter à la loi, alors que l'auteur des Fondements de la métaphysique des mœurs s'était évertué à distinguer le je de l'autonomie des désirs du « cher moi ». Mais si la loi morale kantienne paraît parfaitement claire, on ne sait jamais si on lui obéit ou si on croit seulement le faire. La réalisation de l'autonomie en sa personne, plutôt que celle du désir qui nous habite, ne saurait être assurée ni garantie par aucune expérience; l'autonomie présente même le désavantage par rapport au désir de la certitude qu'elle n'aura jamais aucune réalité. Ne pas céder sur son désir est sans doute un impératif plus réel que faire exister la loi en soi-même, quand on ne saurait pas davantage où cela mène. La sublimation par laquelle nous « voulons» sortir des cercles répétitifs du désir et ne parvenons jamais qu'à élargir les cercles n'est pas finalisée; du moins sa finalité n'est-elle pas moins illusoire que toute autre téléologie passionnelle. La sublimation est une nécessité absolue du désir elle n'est pas le « projet» du désir, quand bien même elle serait vécue sur ce mode. Sur ce point encore, si l'on demandait à Lacan comment il sait que 1'« éthique du désir» vaut mieux que 1'« éthique de la loi », il invoquerait l'expérience, comme on la voit invoquée, dans le livre VII du Séminaire, de façon risquée mais intéressante. [Voir culpabilité]

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*** Enfin, si les commentateurs ont beaucoup insisté, non sans rai­son d'ailleurs, sur l'hégélianisme de la formule tant de fois répétée par Lacan et à laquelle il est donné toutes sortes de sens le désir est désir de l'autre, il convient de prendre garde à ne pas traiter le désir comme une pulsion parmi d'autres, à laquelle il arriverait d'avoir l'autre comme objet. Certes, c'est bien donner sens au manque qu'il est, pour le désir, d'être ce que l'autre désire ;"mais il serait difficile d'accorder cette lecture avec l'idée, classique depuis Hume, que le désir n'est pas une affaire privée qui se jouerait dans les limites du sujet, mais que, au contraire, le sujet est constitué par le désir, comme une de ses déterminations, fragile, événementielle, évanes­cente, toujours à reconstruire. Quand Lacan dit que le désir est désir de l'autre, il ne faut pas s'empresser de l'entendre dans le sens où le désir est un produit social, comme s'il devenait une affaire entre sujets déjà constitués. Lacan a trop lutté contre toute interprétation sociologique de l'inceste, y compris contre celle de Lévi-Strauss, et en faveur d'une interprétation qu'il n'hésite pas à qualifier de « métaphysique» pour qu'il puisse s'en tenir à une conception socio­logique du désir. La société n'est ni plus ni moins réelle que le sujet individuel. Il semble bien que l'éthique lacanienne, loin d'être une éthique de l'autre, soit au contraire celle d'une solitude abyssale, qui a plus à voir avec l'anonymat de ce que Merleau-Ponty appelait un « solipsisme vécu» qu'avec une sorte de sociabilité envahissante. La morale est faite avec quelque chose qui vient de plus profond que le moi. La morale de Kant elle-même est encore trop « socialisée ». Lacan donne la véritable mesure de l'abîme quand il demande d'entendre, dans le désir de l'homme est le désir de l'Autre, l'Autre, non pas comme un semblable, mais comme le lieu symbolique de la loi, et le de comme « la détermination dite par les grammairiens sub­jective, à savoir que c'est en tant qu'Autre qu'il désire (ce qui donne la véritable portée de la passion humaine) » [Écrits, 814]. Le fond abyssal de l'éthique lacanienne, hanté par la chose dans son inconnaissabilité et dans son anonymat, diffuse jusqu'en politique où il semble bien que l'humanitaire ait le dernier mot, ou du moins l'avantage sur l'humanisme. Lacan n'a pas eu beaucoup d'estime

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pour ceux qui, au nom de l'amour des autres, pour les uns, de leur liberté ou de leur libération pour les autres, n'avaient de cesse de les empêcher de produire leur subjectivité. La seule politique qui vaille est celle qui préserve les désirs. La conception lacanienne du désir est donc une conception plus éthique et « métaphysique» que psychologique. Elle fait partie de ces notions que Lacan a tournées contre les philosophies elles­mêmes, qui n'ont pas su en porter l'infinité.

Voir La Chose, culpabilité, désir, expérience, inconscient, loi, Œdipe, pulsion, Réel, sublimation, sujet

Discours (les quatre)

* En 1969, dans le livre XVII du Séminaire, Lacan montre qu'il y a quatre formes fondamentales possibles du discours, qui sont autant de formes possibles de l'intersubjectivité; car il faut entendre le dis­cours dans un sens élargi par rapport à ce qu'en dit le linguiste si l'on veut comprendre la formule que Lacan a forgée dès 1953 «L'inconscient, c'est le discours de l'autre ». Discours n'équivaut ni à langue, ni à parole. Pour comprendre le discours dans ses aspects structurels, il faut mettre en relation quatre termes le signifiant, le savoir, le sujet et le plus-de-jouir. Le discours du maître est la forme fondamentale d'où dérivent toutes les autres formes, soit le discours de l'université (ou de l'universi­taire), le discours de l'hystérique et le discours de l'analyste. Il est, assez conformément à la dialectique hégélienne qui apparaît dans les pages de la Phénoménologie de l'Esprit, celui par lequel le maître met l'esclave au travail et tente de s'accaparer le surplus de jouis­sance qui résulte de ce travail. Son caractère fallacieux tient à ce qu'il donne à l'autre l'illusion que, s'il était maître, s'il parvenait à le devenir, il ne serait plus dans la division. Dans le discours de l'universitaire, c'est le savoir qui occupe la place dominante. Derrière tous les efforts pour inculquer un savoir appa­remment neutre à l'autre, se loge une tentative de maîtriser l'autre

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(par l'intermédiaire de ce qui lui est appris). Le discours de l'univer­sitaire représente l'hégémonie de la connaissance, particulièrement visible sous la forme de l'hégémonie actuelle de la science sur toutes les autres formes culturelles. Il rejoint celui du maître en ce qu'il donne, lui aussi, l'impression à celui qui l'écoute que, s'il savait, il vaincrait, par là-même, la division du sujet. Il se sert du savoir pour atteindre fallacieusement des objectifs de maître que« ça marche» [SXVII, 241 et non pas un savoir quelconque. Pas plus que le discours du maître ne requière un maître en chair et en os (un impératif peut en faire office et se révéler plus efficace qu'un maître sous les traits d'un individu réel), pas plus que le discours de l'université ne nécessite forcément quelqu'un qui a les titres conférés par l'institution, le discours de l'hystérique n'est un discours prononcé par un hystérique. Il est un lien social dans lequel tout sujet peut se trouver impliqué. La position dominante est, cette fois, occupée par le sujet divisé, le symptôme. Le discours est tenu par celui qui cherche le chemin de la connaissance. Lacan distingue nettement le désir de savoir (qui utilise le savoir comme un leurre) du savoir «Le désir du savoir n'est pas ce qui conduit au savoir. Ce qui conduit au savoir, c'est - précisément - le discours de l'hystérique» [SXVII,23]. Le discours de l'analyste, voire l'analyste lui-même, deviennent, en cours de cure, la cause du désir de l'analysant, lequel découvrira que le savoir de son propre désir n'est pas à proprement parler détenu par l'analyste, comme s'il fallait le lui reprendre. L'analyste n'est pas en position de pouvoir ou de savoir universitaire; en ce sens, sa position est subversive.

** Le savant et le philosophe ont leurs discours écartelés entre cha­cun de ces quatre types auxquels ils renvoient partiellement. Ils apprendront, à travers cette répartition à distinguer dans leur quête ce qu'il entre, plus ou moins consciemment, d'administratif et de volonté de puissance dans leur savoir; à se défier de la confusion, quasi-permanente, dans leur travail, du savoir avec la maîtrise.

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*** Cette classification est, à sa façon, un élément majeur d'une théorie des fictions, tel que Bentham a pu en produire une, au début du XIxe siècle. Dans son Manuel des sophismes politiques, Bentham ne s'était guère intéressé qu'au discours de la maîtrise et à ses variantes, depuis les degrés les plus éclatants de pouvoir jusqu'à sa subversion la plus radicale; toutefois son propre discours du Manuel ressemble fort à celui de l'analyste et Chrestomathia est nettement la dénonciation du discours de celui qui a tendance à prendre pour vrai ce qu'il a toujours enseigné. Encore qu'elle soit très proche de ce qu'on peut trouver chez Bentham, la théorie des quatre discours est peut-être la contribution la plus originale de la psychanalyse laca­nienne à ce qu'on appelait, avant elle, la « psychologie collective ».

Voir Désir, sujet, symptôme, transfert.

Expérience * Ce terme est sans doute l'un des plus invoqués par Lacan; encore qu'il soit l'un des moins théorisés de son enseignement. L'auteur se réfère à lui en des moments aussi décisifs qu'inattendus. C'est à l'expérience -« notre expérience» [à nous autres analystes]­qu'il demande de réfuter en morale, l'eudémonisme ou l'hédonisme, accusés de sous-estimer le poids de la culpabilité. S'agit-il du poids des expériences de même structure accumulées par le psychanalyste qui écoute les analysants? Peut-être; mais on trouve aussi que l'expérience est tranquillement invoquée par Lacan dans des condi­tions plus périlleuses encore, lorsqu'il s'agit de prouver que la culpa­bilité n'a pas pour référence essentielle, contrairement à ce que sou­tient Kant, la loi mais le désir qui habite le sujet. Affirmation doublement incroyable du point de vue de Kant, puisque, d'une part, ce qui est moral ne saurait se décider par une expérience quelconque mais seulement a priori, et que, d'autre part, la loi lui paraît infini­ment plus profonde que le désir, lequel n'a guère pour fonction que de fourvoyer la morale.

** Les désaccords très profonds de Lacan avec Kant proviennent d'une radicale différence dans la compréhension de ce qu'il convient

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d'appeler expérience. Sans que l'on puisse dire qu'il soit empiriste, Lacan ne souscrit pas aux interdits de la critique kantienne qui demandait de ne pas s'aventurer par concept au-delà de l'expérience, plus exactement pas au-delà de ce que la critique entendait très étroitement par là. Lacan s'autorise, par l'expérience, des pesées que l'auteur de la Critique de la raison pure eût, sans nul doute, réprouvées comme transcendantes. Or l'expérience à laquelle recourt et renvoie la psychanalyse n'est pas une expérience d'objets construits par les actes repérables et réitérables de la théorie; elle n'est pas non plus l'expérience intime que le sujet fait de soi et qui a toutes les chances d'être fausse ou d'être un mensonge à soi. Le sujet ne peut donner que des informa­tions fausses sur lui-même lorsqu'il prétend se sentir. Le savoir sym­bolique vaut certainement mieux que cette intuition de soi-même; mais la différence avec Kant, c'est que Lacan admet un certain type d'expérience du symbolique. Comment pourrions-nous soutenir que ces surgissements événementiels par lesquels les signifiants sont brusquement rendus conscients ne donneraient lieu à aucune expé­rience? Certes, il ne s'agit pas, à la façon de la phénoménologie de M. Scheler, de faire une place à quelque intuition des essences ou des valeurs qui s'effectuerait comme au-delà du symbolique pour lui donner sens.

*** Si l'expérience prend, chez Lacan, une tout autre signification, c'est que l'auteur enseigne à récuser ce qui semblait bien connu et statutairement admis la distinction de l'intérieur et de l'extérieur, d'un sens intime et d'un sens externe, ainsi que l'idéologie de la coïncidence, de la correspondance et de l'adéquation du sujet et de l'objet. L'expérience ne se répartit pas selon ces découpages; c'est même une expérience que nous faisons que l'expérience ne se dis­tingue pas ainsi. Le symbolique répartit autrement l'intérieur et l'ex­térieur, que nous ressentons de façon intuitive; ou plutôt il en inquiète et dissout la répartition, comme le figure, en topologie, la bande de Moebius. La raison en est que l'expérience n'est pas ce qui est rencontré comme le vis-à-vis de nos constructions, comme ce qui pourrait en

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sanctionner la validité. Ce n'est, du moins, là, qu'une forme d'expé­rience, celle des objets, qui ne saurait se présenter ni comme la seule, ni comme la plus importante même en physique. Le concept d'inconscient n'est pas seul à se caractériser par cette dimension de fiction bien fondée et d'intérêt pratique. Les constructions symboliques ou linguistiques constituent l'expérience même, qui ne se trouve pas en face d'elles comme leur «autre ». L'expérience qui se pose comme 1'« autre» du sujet qui théorise ne définit qu'un type d'expérience, celle à laquelle on s'imaginerait que la théorie s'ajuste; mais la notion d'expérience est beaucoup plus générale et enveloppe une notion de la vérité où la part de la construction est telle qu'elle ne peut jamais être, sinon par illusion, d'une part, le correspondant d'une élaboration théorique, d'autre part, l'extériorité dans laquelle on distinguerait des unités objectives. Mais la généralité dont nous parlons ne signifie pas que l'expérience ne soit pas celle d'événements pris dans leur singularité radicale et sans aucune répétition possible. La théorisation n'est pas productrice d'une abstraction telle que sa généralité renvoie toujours le singulier au rôle de l'opposant objectif; elle est plutôt de l'ordre de l' ecthèse et elle ne prend son sens qu'en comprenant par construction le singu­lier. Lacan osait dire du cas, qui est la seule chose à prendre en compte en analyse, qu'il fait toujours exception par quelque côté à la loi dont il paraît relever. «Dans le cas, prenez garde à ce qu'il contredit ». Ce qui permettait à Lacan d'affirmer que «la psychanalyse est une science dialectique» [Écrits, 216]. La promotion du symbolique chez Lacan n'est, de l'expérience, ni le rejet - ce qui serait absurde -, ni même un amoindrissement de la valeur; elle s'accompagne, au contraire, de son accueil et de sa valo­risation dans des secteurs que Kant avait dévolus à la seule transcen­dance. Une conception symbolique du savoir peut donner des styles assez originaux à l'expérience pour permettre, chez Lacan, d'être invoquée pour renverser une philosophie. La philosophie ne peut pas, par l'infinitisation de ses concepts et par sa réflexion, feindre d'échapper à la sanction de l'expérience; il y a toujours moyen d'évaluer ses concepts par l'expérience: c'est ainsi que l'utilita-

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ris me, le kantisme, 'existentialisme [Écrits, 99] sont jugés par son moyen sur des points décisifs. Plus généralement, alors que sa conception même de la théorie et de l'expérience exclut radicalement l'empirisme, l'expérience est invoquée au moment où il s'agit de justifier ou de trancher une proposition qui paraît le plus évidemment, quoique à tort, a priori. Attendrait-on, par exemple, que ce soit l'expérience qui prouve que «plus il ne signifie rien, plus le signifiant est indestructible» [Sm, 210] ? Ou qu'elle prouve que le phallus soit un symbole dont il n'y a pas de correspondant, du côté féminin? L'expérience est invoquée comme une contingence ultime dont il n'est plus question de rendre raison; elle est une raison sans raison.

Voir Culpabilité, désir, inconscient, interprétation, loi, sexe, signe, signifiant, sujet, Symbolique, tyché, vérité.

Forclusion

* Si Lacan n'a pas inventé le terme, il en a du moins recréé le sens. Dès sa thèse De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité (1932), Lacan considère que la cause psychique de la psychose réside dans l'exclusion du père de la structure familiale, avec la réduction qui en résulte de la famille aux relations mère­enfant. Cette exclusion frappe le père symbolique le sujet fait comme si ce père n'existait pas et n'avait jamais existé. Cette notion intéresse le philosophe en ce qu'il trouve là un des multiples modes de rejet, de refus, de négation vécue, par lesquels le sujet se défend. Si l'on veut toutefois éviter un usage simplement imagé du terme, il convient de noter que ce contre quoi la forclusion défend le sujet, c'est le « Nom-du-père » ou, si l'on préfère, le père symbolique. Il faut alors prendre garde que la forclusion n'est pas le simple refoulement qui enfouit dans l'inconscient une idée et les affects attenants que nous n'acceptons pas; il s'agit d'une exclusion hors de l'inconscient. Elle n'est pas non plus une projection, laquelle provient de l'intérieur vers l'extérieur; la forclusion est un rejet tel qu'il n'a jamais pénétré l'intérieur.

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** Ce type de négation à l'œuvre dans la forclusion peut avoir un effet de Réel. Le Réel est ordinairement saisi par le Symbolique et rejeté comme n'étant pas le Symbolique; mais si la saisie par le Symbolique ne s'effectue pas, cela ne veut pas dire que le rejet ne joue aucun rôle. On peut rejeter ce qui n'a pas été appréhendé sym­boliquement. La méditation sur la forclusion est essentielle à la saisie de ce que la philosophie considère ordinairement sous la forme d'oppositions comme celle du sujet et de l'objet, de la subjectivité et de la réalité, de l'être et de l'objet, voire de la triade être-sujet-objet.

Voir Dénégation, inconscient, sujet, Symbolique, topologie.

Frustration

* Ce terme, galvaudé par le langage courant qui le lie à toutes sortes de retraits de l'objet de désir, reçoit chez Lacan une détermination qui peut aider le philosophe dans ses analyses. Lacan caractérise la frustration, non par le manque d'un objet réel susceptible de satisfaire un des besoins du sujet, mais par le manque qu'il éprouve dans sa demande d'amour. Le sujet peut éprouver cette demande comme insatisfaite alors même que les besoins sont com­blés; après tout, il est ordinaire de satisfaire les besoins de quelqu'un pour éviter de répondre à sa demande d'amour. Dès son plus jeune âge, le sujet peut ressentir un très fort sentiment d'injustice alors même que, en apparence, ce qu'il voulait s'est réalisé, lorsque le désir était effectivement en quête de tout autre chose à travers l'objet manifestement recherché. Un objet de désir peut en cacher un autre; on peut blesser un sujet en lui offrant l'objet qu'il paraissait vouloir et en ignorant l'autre ou en feignant de ne pas le connaître.

** Dès lors, dans le circuit des règles, de la justice et des paiements, la frustration peut être une arme, voire une stratégie. Ainsi ne paie-t­on pas forcément ce qui est réellement demandé ; on peut, par un paiement, faire la sourde oreille à ce qui est réellement demandé. De façon comparable, le psychanalyste, qui est l'objet d'une demande d'amour de la part de l'analysant, ne peut manquer de la frustrer; il a, du moins, tous les moyens de le faire en ne répondant pas à la

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question, en accordant aux paroles de l'analysant un autre sens que celui qu'il leur donne, en recevant avec le plus grand calme les signes d'angoisse de son patient.

*** Il se pourrait que Lacan ait usé des philosophes qu'il lisait avec une stratégie de frustration du lecteur-philosophe. Il lit les auteurs en accordant à leurs signifiants un autre sens que celui qui est ordinai­rement reçu et il pratique ainsi ce qu'on prendrait volontiers quoique à tort pour une fausse lecture ou un « faux dire» sur sa lecture. Est­ee un hasard si frustration traduit ordinairement la Versagung de Freud [SV, 316] ? Comme la frustration de l'analysant par l'analyste soutient et épure une demande qui s'éteindrait trop vite, la frustration, qui résulte, chez le lecteur-philosophe, des textes «relus» par Lacan, casse les stéréotypes, met à l'épreuve ce qu'il croyait savoir et donne à lire ou à entendre autrement ce qu'il n'avait jamais songé à mettre en relief ou à prendre en compte.

Voir Désir, tyché.

Identification

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* Freud avait défini l'identification comme le processus par lequel un sujet adopte comme étant le sien un attribut appartenant à un autre sujet. Cette opération a pris une importance croissante dans son œuvre au point de devenir l'opération par laquelle le sujet se consti­tue lui-même. Ce point n'est pas aussi nouveau qu'il en a l'air, puisque Pascal concevait fort bien que l'esprit, n'ayant pas de nature, se constituait par une suite d'introjections d'objets. L'originalité de Lacan tient à ce qu'il détermine mieux la notion d'identification, en distinguant l'identification imaginaire - « cette transformation pro­duite chez le sujet quand il assume une image» [Écrits, 94] - et l'identification symbolique, qui est, aux yeux de Lacan, l'identifica­tion majeure.

** L'identification imaginaire est le mécanisme par lequel l'ego est créé dans le stade du miroir. C'est en assumant son image Spéculaire que le je se précipite en une forme primordiale, avant qu'il ne

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s'objective dans la dialectique de l'identification à l'autre et que le langage ne lui restitue dans l'universel sa fonction de sujet. Cette forme devrait plutôt être désignée comme je-idéal, comme « socle des identifications secondaires ». Le je apprend, en sa constitution par son image, « sa discordance d'avec sa propre réalité» [Écrits, 94]. Mais l'identification essentielle est l'identification au père, dans le dernier stade du complexe d'Œdipe. Elle est identification à un signifiant. Lacan interprète le simple « trait unique» (trait unaire), emprunté à la personne qui fait l'objet d'une identification, comme un signifiant, dès lors qu'il est intégré à un système de signifiants (SVIII, 413) et il constitue «le fondement, le noyau de l'idéal du moi» (SXI, 285).

*** On voit que ce n'est pas, à proprement parler, avec un autre que le sujet s'identifie; cet autre fût-il son analyste. « Le sujet a une rela­tion à son analyste dont le centre est au niveau de ce signifiant privi­légié qui s'appelle idéal du moi, pour autant que, de là, il se sentira aussi satisfaisant qu'aimé» (SXI, 286). Ainsi la fin de la cure ne sau­rait être marquée par l'identification à l'analyste. La fin de l'analyse est conçue par Lacan comme une destitution du sujet, un moment où les identifications du sujet sont remises en cause sans qu'elles puis­sent, à nouveau, devenir ce qu'elles étaient auparavant. Il n'est pas impossible de dire, dans la mesure où le sujet apprend à reconnaître son désir, que la fin de l'analyse est paradoxalement l'identification avec le symptôme; cette identification prend la forme de l' accepta­tion, par le sujet, de sa division, de ce qu'il est. À la fin du chapitre sur Le stade du miroir, Lacan écrivait «Dans le recours que nous préservons du sujet au sujet, la psychanalyse peut accompagner le patient jusqu'à la limite extatique du "Tu es cela", où se révèle à lui le chiffre de sa destinée mortelle, mais il n'est pas en notre seul pou­voir de praticien de l'amener à ce moment où commence le véritable voyage» [Écrits, 100].

Voir Imaginaire, Œdipe, signe, signifiant, sujet, Symbolique, symptôme, transfert.

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Imaginaire

* Dans le droit fil des conceptions classiques de l'imagination qui insistaient, comme le faisait Pascal (dans le fameux fragment Brunschvicg 82, Lafuma 44), à la fois sur sa puissance trompeuse et sur sa puissance constitutive, Lacan reconnaît la force d'illusion, de fascination, de séduction de l'Imaginaire, qu'il relie à l'image spéculaire et à la constitution de l'ego par identification, d'une part, et son effet dans le Réel, d'autre part. Comme Hume, Lacan voit dans l'Imaginaire l'origine de toutes sortes d'illusions celle d'embrasser la totalité, celle d'effectuer des synthèses, de poser des autonomies, en particulier celle du moi, de croire en des dualités (sujet/objet, extérieur/intérieur, réel/irréel), de repérer des ressem­blances et des similitudes, d'en constituer des associations. Par l'Imaginaire, nous nous figurons et nous dissimulons la réalité. Mais l'Imaginaire ne se suffit pas à lui-même; sa dimension affirmative et constitutive est elle-même arc-boutée sur l'ordre symbolique.

** Lacan envisage le rapport de l'Imaginaire au Symbolique comme, dans le langage, celui du signifié au signifiant. Sans doute, parce que le signifié des signes linguistiques est de l'ordre de l'Imaginaire, à la différence du signifiant; mais aussi en raison du sens très élargi que Lacan donne au terme de « signifiant ». Ainsi un affect peut-il être traité comme relevant de l'Imaginaire, son signifiant le structurant et se tenant en quelque sorte hors de lui. L'Imaginaire est le mode sur lequel nous apparaît cette trame, dont nous ne soupçonnons pas l'existence sans le travail analytique; il est l'inversion spéculaire, quoique jamais immédiatement comprise comme telle, du Symbo­lique.

*** On comprend combien la philosophie de Bentham, que Lacan a largement contribué à faire connaître, pouvait lui être utile; car la théorie des fictions, dans son découpage et dans son jeu des entités réelles, des entités fictives et des entités imaginaires, lesquelles ne coïncident toutefois pas terme à terme avec l'acception qu'il accorde

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lui-même au Réel, à l'Imaginaire et au Symbolique, lui apportait une première esquisse de son schématisme tripartite.

Voir Identification, Réel, signe, signifiant, sujet, Symbolique.

Inconscient * L'inconscient freudien avait pris deux aspects principaux. Dans la première topique, le système inconscient est ce qui se tient hors de la conscience à un moment donné, qui a été radicalement séparé de la conscience par refoulement et qui ne peut plus revenir à la conscience sans subir une distorsion qui le rend méconnaissable. Dans la deuxième topique, l'inconscient n'est pas un lieu à part, mais toutes les instances du moi, du surmoi et du ça en dérivent. Lacan admettra, avec Freud, qu'aucune production psychique n'échappe à l'inconscient «l'inconscient ne laisse aucune de nos actions en dehors de son champ ». Mais la notion subit une relecture et une modification profondes. Alors que le problème de Freud semble avoir été, très longuement, de prouver son existence, Lacan ne s'embarrasse plus guère de ce problème. Inconscient est d'abord traité comme un simple adjectif et lorsque, à partir des années 50, il est pris comme substantif, ce n'est pas pour se leurrer en réifiant ce qui a valeur de fiction utile dans la pratique. La notion d'inconscient n'a pas de vis-à-vis dans l'expérience; elle est une construction qui permet d'élaborer des stratégies dans l'analyse. «L'inconscient est un concept forgé sur la trace de ce qui opère pour constituer le sujet» [Écrits, 830]. Il est le symbolique à partir de quoi se constitue le sujet; en ce sens, il n'est pas une existence cachée quelque part dans l'ombre ou dans les plis d'on ne sait quel moi profond. «Cette extériorité du symbolique par rapport à l'homme est la notion même de l'inconscient. Et Freud a constamment prouvé qu'il Y tenait comme au principe même de son expérience» [Écrits, 469]. Comme le langage, l'inconscient est transindividuel [Sm, 128 ; Écrits, 258]. Ainsi peut-on comprendre les deux fameuses formules de Lacan «L'inconscient est le discours de l'autre» [Écrits, 16] et «l'inconscient est structuré comme un langage» [SIII, 167 ; SXI, 28,

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etc.]. S'affirme essentiellement par là une réalité méthodique on ne peut saisir l'inconscient que par ce qui est articulé, que de ce qui est ramené à des mots [SVII, 76]. Il ne faut pas se contenter de dire que l'inconscient est l'effet du signifiant sur le sujet, encore que cette affirmation ne soit pas fausse; il est constitutif du sujet, qui se fait à partir de la structuration du symbolique. Il est totalement absurde de le chercher «dans» le sujet. Il ne l'est pas moins de traiter l'incons­cient comme un réservoir de pulsions «Ils s'imaginent, dit Lacan à l'adresse des "philosophes anglais" auxquels il dénie le nom de psy­chanalystes, qu'il y a des pulsions, et encore, quand ils veulent bien ne pas traduire pulsions par instincts. Ils ne s'imaginent pas que les pulsions, c'est l'écho dans le corps du fait qu'il y a un dire, mais ce dire, pour qu'il résonne, pour qu'il consonne, [ ... ] il faut que le corps y soit sensible, et qu'il l'est, c'est un fait» [Le sinthome, Bibl. Nat., 4DIMON3217, p. 8]. Ce qui, probablement, donne l'illusion d'un inconscient comme réservoir de pulsions, c'est l'inertie symbolique, caractéristique du sujet inconscient [SIl, 223]. Mais on aurait égale­ment tort d'imaginer que, l'inconscient étant langage, il devient transparent à lui-même par un autre tour, puisque c'est essentielle­ment comme signifiant qu'il est langage; c'est « cette partie de non­sens qui est, à proprement parler, ce qui constitue, dans la relation du sujet, l'inconscient» [SXI, 236]. En ce sens, l'inconscient est de l'histoire non reconnue comme telle par le sujet, mais qui a déjà agi pour que le sujet soit ce qu'il est. La psychanalyse « aide [le sujet] à parfaire l'historisation actuelle des faits qui ont déterminé déjà dans son existence un certain nombre de "tournants" historiques» [Écrits, 261].

Voir Pulsion, signe, sujet, Symbolique.

Interprétation

* Il est une conception illusoire de l'interprétation qui consiste à croire qu'il serait possible de substituer, au discours d'un premier individu, le discours d'un second qui serait plus vrai, dans le sens où il dirait exactement ce que celui-là voulait dire. Ce style d'interpréta-

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tion trouve sa sanction et sa limite. Très vite, le premier individu dont on remplace ainsi le discours sait ce que le second va dire et il se ferme à son discours. L'interprète a alors le choix entre deux attitudes ou bien il diagnostique une « résistance» du sujet à ses interprétations or,« il n'y a alors, en vérité, qu'une seule résistance, c'est la résistance de l'analyste» [à compliquer ses interprétations] [SIl, 267] ; ou bien, comme les chiffreurs de messages, il complique toujours davantage son interprétation et espère, par là, du moins dans le cas d'une analyse, lui assurer ou lui conserver sa valeur curative. Lacan dénonce l'illusion de ce mode d'interprétation qui, sous pré­texte d'un dépassement des données vers un transcendant, « sert» à celui qui produit ses données, c'est-à-dire au « patient devenu bientôt aussi au fait de ce savoir qu'ils [les analystes, en particulier ceux de "l'âge d'or de la psychanalyse"] l'étaient eux-mêmes, toute préparée, l'interprétation qui était leur tâche, ce qui, il faut le dire, est le tour le plus fâcheux qu'on puisse faire à un augure» [Écrits, 462]. La seule façon de sortir du cercle vicieux de ce style d'interprétation est de détourner l'attention du sens et du signifié, comme s'il y avait, de ce côté, une communication possible sur une vérité, pour la porter sur le « non-sens» irréductible des signifiants. Le signifiant précède le signifié; il est plus réel que lui. Penser, c'est tenter de s'emparer de lui, dans ce qu'il a d'abrupt, d'original, sans glisser vers les facilités du signifié. En ce sens, l'analyste et l'analysant sont également au pied du mur l'analyste en n'ayant de cesse de toujours oublier ce qu'il a appris [Écrits, 349] et qui fait obstacle à l'appréhension de l'expérience dans sa singularité, l'analysant en s'efforçant de trouver une attitude à l'égard de cet événement surgissant et inédit. L'inter­prétation ne consiste pas à dévoiler, mais à tenter de réagir, par une construction « aveugle », à un surgissement qui désempare. L'ana­lyste construit et met en mesure de faire cette construction, sans lais­ser croire qu'il y a quelque vérité cachée dont on pourrait s'emparer. C'est pourquoi, il n'a pas grand chose à dire, dans son travail [Écrits, 359], s'il sait se rendre sensible au « choc» de ce qu'il y a à interpré­ter. Quant à l'analysant, il comprend que ce qu'il y a à interpréter n'est pas enfoui en lui, puis présent dans la tête de l'analyste, mais

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qu'il a à construire plutôt qu'à attendre une révélation de l'essentiel. Il s'agit pour lui d'affronter un « Kern » de « non-sens» [SXI, 278]. « Ce qui est essentiel, c'est qu'il voie, au-delà de [la] signification, à quel signifiant - non-sens irréductible, traumatique - il est, comme sujet, assujetti» [SXI, 279].

** Ce qui ne veut pas dire - et là se tient le point de rupture avec un certain nombre de phénoménologues - que « l'interprétation est ouverte à tout sens sous prétexte qu'il ne s'agit que de la liaison d'un signifiant à un signifiant et, par conséquent, d'une liaison folle» [SXI, 278]. C'est bien plutôt lorsqu'on se sert des signifiants pour réfléchir dessus des signifiés que l'interprétation devient folle ou, du moins, indéfiniment capricieuse et ne dit plus rien d'essentiel. «L'interprétation n'est pas ouverte à tout sens. Elle n'est point n'importe laquelle. Elle est une interprétation significative, et qui ne doit pas être manquée» [SXI, 279] ; mais ce qu'elle peut faire de plus essentiel, c'est de « faire surgir des éléments signifiants irréduc­tibles, non-sensical, faits de non-sens» [SXI, 278]. « L'interprétation ne vise moins le sens que de réduire les signifiants dans leur non­sens pour que nous puissions retrouver les déterminants de toute la conduite du sujet» [SXI, 236]. En ce sens, s'attachant scrupuleu­sement à la lettre, elle récuse la compréhension, dans laquelle on a si souvent, en l'opposant à l'explication, vu l'originalité des sciences humaines. « Moins on comprend, mieux on écoute» ; la compréhen­sion consistant à verser le discours de l'autre dans une théorie pré­établie.

*** La psychanalyse a consisté à jouer le désir et son expérience contre le sens « dont chacun se gargarise ». «Je ne crois pas que ce terme [de sens] soit autre chose qu'un affaiblissement de ce dont il s'agit à l'origine [de la découverte freudienne], tandis que le terme de désir, dans ce qu'il noue et rassemble d'identique au sujet, donne toute sa portée à ce qui se rencontre dans cette première appréhen­sion de l'expérience analytique. C'est à cela qu'il convient de revenir si nous voulons [saisir] ce que signifie essentiellement, non

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seulement notre expérience, mais [ ... ] ce qui la rend possible» [SV, 323].

Voir Désir, expérience, signe, signifiant, transfert.

Introjection

* Quoiqu'il admette fort bien que l'introjection soit une opération constitutive du psychisme, Lacan critique, chez Mélanie Klein, en particulier, l'usage « réaliste» qui est fait de la notion, lorsqu'elle tend à se confondre avec une incorporation. Or ce qui est introjecté est toujours un signifiant; « l'introjection est toujours l'introjection du discours de l'autre» [SI, 83]. L'introjection ne s'oppose pas à la projection comme s'opposeraient deux sens dans l'espace, mais plu­tôt comme un phénomène symbolique s'oppose à un phénomène imaginaire. « Introjection, relative au symbolique» [Écrits, 655]. On notera que cette conception de l'introjection, qui accorde peu au réa­lisme, ne compromet pourtant pas la spatialité du psychisme, pourvu qu'on l'entende, non pas comme une res extensa, mais, à la façon leibnizienne qui est aussi celle de Lacan [Le sinthome, 96], comme un ensemble de relations. «Il n'y a aucun espace réel. C'est une construction purement verbale qu'on a épelée en trois dimensions» [l0 fév. 1976].

Voir Identification, Imaginaire, signe, Symbolique, topologie.

Inversion

* Sans doute l'inversion désigne-t-elle, chez Lacan comme chez Freud, l'homosexualité; niais Lacan, depuis sa découverte du stade du miroir, lui donne encore un autre sens. L'inversion est la caracté­ristique de l'image spéculaire; nous saisissons un très grand nombre de phénomène psychiques sous une forme inversée; c'est en particu­lier une des grandes lois de l'affectivité d'inverser sujet et objet des affects. « Il me haït» est une façon méconnaissable, quoique la plus acceptable pour moi, de dire «je le haïs». Le chemin de l'éducation - celui de la cure analytique ne fait pas exception - consiste à

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prendre conscience de cette inversion, car, dans la communication analytique, non seulement les messages de l'autre sont reçus à l'envers de leur production, mais, plus encore que dans les autres communications, celui qui envoie le message le reçoit à l'envers.

Voir Imaginaire, introjection, projection, Symbolique.

Jouissance

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* Le mot français est à peu près intraduisible en anglais et en alle­mand; dans son acception lacanienne, qui a beaucoup évolué, il s'écarte considérablement de sa signification commune. Sans doute Lacan parle-t-il de la jouissance comme du plaisir que l'on tire de l'objet sexuel; mais, sous l'impulsion, d'une part, de la lecture kojèvienne de la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave, lequel travaille à la jouissance du premier, d'autre part, d'une remise en chantier du principe de plaisir, il infléchit profondément la notion. Le principe de plaisir est un principe de limitation du plaisir, puis­qu'il impose de jouir le moins possible; mais, en même temps ql!'il cherche son plaisir en le limitant, le sujet tend, non moins constam­ment, à dépasser les limites du principe de plaisir. Il n'en résulte pas pour autant le « plus de plaisir» attendu, car il est un degré de plaisir que le sujet ne peut plus supporter, un plaisir pénible que Lacan appelle la jouissance (SVII, 218). La jouissance n'est pas le plaisir; elle peut même être la souffrance.

** Ainsi, on comprend que, de son symptôme, qui est une souf­france, le sujet puisse tirer une jouissance paradoxale. « Le maso­chisme est le majeur de la jouissance que donne le Réel» [Le sin­thome, p. 90]. Cette notion de jouissance, ainsi conçue, donne une impulsion à trois types de considérations. La première tient dans la pulsion de mort qui est le nom donné par Lacan, dans le livre VII du Séminaire, au désir constant de dépasser les limites fixées par le principe de plaisir afin de rejoindre La Chose et de gagner, par là, un surplus de jouissance. La jouissance est alors le « chemin vers la mort» [SXVII, 17-18].

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La seconde tient dans le rapport que la jouissance entretient avec la structure symbolique. Sans doute ce rapprochement semble-t-il étrange, surtout si l'on persiste, fautivement aux yeux de Lacan, à comprendre la pulsion comme un instinct ou comme une force natu­relle plutôt que comme un savoir. Or « ce sentier-là, ce chemin-là, on le connaît, c'est le savoir ancestral. Et ce savoir, qu'est-ce que c'est? Si nous n'oublions pas que Freud introduit ce qu'il appelle l'au-delà du principe de plaisir, lequel n'en est pas pour autant renversé. Le savoir, c'est ce qui fait que la vie s'arrête à une certaine limite vers la jouissance. [ ... ] Il y a un rapport primitif du savoir à la jouissance, et c'est là que vient s'insérer ce qui surgit au moment où apparaît l'appareil de ce qu'il en est du signifiant ».

La troisième est extrêmement importante pour parachever le discours sur la différence entre les sexes. Cette différence est fondamentale­ment d'identification. Homme et femme sont des rôles auxquels il s'agit, pour le sujet, de s'identifier mais le concept de jouissance permet d'aller plus loin que ce qui pourrait passer pour un assez banal nominalisme. Sans doute, dans le sillage de Freud, Lacan pose que la jouissance est essentiellement phallique [SXX, 14] toutefois, Lacan reconnaît, chez la femme, une jouissance supplémentaire, qui se tient par-delà la jouissance phallique, une ineffable jouissance de l'Autre [SXX, 71].

Voir La Chose, identification, mort, principe de plaisir, pulsion, pulsion de mort, Réel, sexe, signe, signifiant, sujet, Symbolique, symptôme.

Loi * La Loi reçoit, chez Lacan, une acception beaucoup plus large que celle qu'elle a ordinairement en morale et en droit. C'est en se référant au travail de Lévi-Strauss sur Les structures élémentaires de la parenté que Lacan ouvre la notion «La Loi primordiale est celle qui, en réglant l'alliance, superpose le règne de la culture au règne de la nature, livré à la loi de l'accouplement ». Le sujet vit, sous la forme d'un interdit au fond de lui, l'abomination de « la confusion

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des générations ». Il existe, dans les cultures; une exigence que les lignées soient nettes et respectées, quand bien même leur structure serait inconsciente. La marque propre de Lacan sur le concept de Loi, dans lequel Lévi­Strauss voyait essentiellement l'ordonnancement selon lequel s'opère l'échange des femmes et des prestations réciproques que l'alliance détermine, c'est l'insistance sur le langage. « À l'alliance préside un ordre préférentiel dont la loi impliquant les noms de parenté est, pour le groupe, comme le langage, impérative en ses formes, mais incons­ciente en sa structure» [Écrits, 276]. Ce qui est présenté comme une analogie devient vite une préséance du langage lorsque Lacan repère que « cette Loi se fait suffisamment connaître comme identique à un ordre du langage. Car nul pouvoir, sans les nominations de la parenté, n'est à portée d'instituer l'ordre des préférences et des tabous qui nouent et tressent à travers les générations le fil des lignées» [Écrits, 277]. L'insistance lacanienne sur le langage est une façon d'indiquer que la loi est plus profondément unc revendication symbolique qu'une réalité sociale, constatable empiriquement, comme on le voit chez la malheureuse Antigone, sœur et fille d'Œdipe, sœur de celui dont elle sauvegarde la mémoire, acharnée à défendre la valeur des lignées alors même qu'elles ont été tellement brouillées dans son cas.

** Mais il y a plus dans le décalage avec Lévi-Strauss l'inceste primordial chez Lacan n'est pas celui qui a pour objet le père, mais celui qui concerne plus fondamentalement la mère. Ainsi le ciésir qui nous porte vers La Chose, vers la mère, est-il « l'envers de la loi» [Écrits, 787]. «La loi et le désir refoulé sont une seule et même chose» [Écrits, 782]. Par là, Lacan résume ce qu'il avait établi dans les chapitres du livre VII du Séminaire consacrés à La Chose, où il avait donné à l'ensemble de ces remarques une portée éthique l'éthique du désir, quoiqu'elle se distingue de l'éthique de la loi, qui en est issue par des chemins rendus méconnaissables, n'est pas moins formelle qu'elle et elle donne sensiblement les mêmes devoirs; ce n'est pas parce qu'Antigone se fait une idée du devoir qui n'est pas de ce monde qu'elle défend ses lignées, c'est dans la défense toute

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terrestre de ses lignées qu'elle gagne son héroïsme. Quoiqu'elle apparaisse suspendue au-dessus du désir, le menaçant et prête à fondre sur lui, la Loi n'en est pas moins enracinée dans le désir. Ce qui ne signifie nullement que cet enracinement soit naturel; certes, les règles les plus fondamentales du droit, de la politique et de l'éthique ne se décrètent pas, et c'est bien le point où un grand nombre de philosophes de l'âge classique ont eu raison contre un contractualisme abstrait, mais ils se sont trompés en versant, comme Hume, dans le naturalisme. Le travail de Lacan permet de sauver la plus grande partie de ces analyses si l'on veut bien reconnaître, dans ce que ces anti-contractualistes appellent nature, la figuration d'un social archaïque et inconscient.

Voir La Chose, désir, inconscient, jouissance, Œdipe, structure, Symbolique.

Mathématiques * Les mathématiques sont au cœur de la pensée de Lacan, même quand il n'en est pas explicitement question. Le discours de Lacan tend à l'expression mathématique, même en l'absence des signes de l'algèbre et des figures de la topologie. De deux façons au moins. D'abord, en ce que le désir, l'inconscient et quelques autres notions de la psychanalyse s'énoncent mieux en caractères mathématiques que dans les termes réflexifs du langage ordinaire, qui est aussi le langage philosophique, parce que les signifiants sont la réalité même de leur expression. Si les signifiants du désir s'accommodent d'une traduction en symboles mathématiques, c'est parce que les uns et les autres n'ont pas besoin d'être liés à l'imagination qu'on en réalise le sens pour fonctionner «Le signifiant se passe de toute cogitation, fût-ce des moins rêflexives, pour exercer des regroupements non douteux dans les significations qui asservissent le sujet» [Écrits, 467]. Ensuite, on ne voit pas comment les signifiants, qui relèvent d'un savoir aveugle et symbolique, pourraient se doubler d'autres signifiants il n'existe pas de signifiant qui permette de se signifier lui-même [Séminaire du 9 mai 1962 sur L'identification]. Les signi-

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fiants du désir ne sont pas une expression au sens strict. Ils en sont la structure, le mode de fonctionnement. Les mathématiques offrent le meilleur exemple de ce type de discours qui progresse sans penser, si ce n'est de façon symbolique. Ce sont les mathématiques qui disent le mieux le désir dans sa réalité ultime. Les signes du langage ordinaire le diraient moins bien, quoiqu'on ne puisse jamais « introduire les symboles, mathématiques ou autres, qu'avec du langage courant, puisqu'il faut bien expliquer ce qu'on va faire» [SI, 8]. L'usage des symboles mathématiques a au moins l'avantage de casser les fantasmes identificatoires de l'interprète.

** Mais de quelles mathématiques s'agit-il? Certes, Lacan parle volontiers de « son algèbre» [SXI, 19] et il a tenté de formaliser très loyalement les structures qu'il inspectait. Mais il suit aussi des modèles topologiques quand il utilise la perspective classique, celle de Desargues, et moderne (celle que l'on pourrait trouver chez Car­nap qui utilise un tore dans certains passages remarquables de l'Au} bau) ; la bande de Moebius (pour montrer combien est symbolique­ment fausse, quoiqu'elle soit intuitivement claire, la distinction de l'intérieur et de l'extérieur), les nœuds borroméens (pour représenter l'articulation du Symbolique, de l'Imaginaire et du Réel, de telle sorte qu'on ne puisse rompre l'un des anneaux sans libérer les deux autres). Toutefois la topologie n'est pas au sens strict une représenta­tion ou une expression «elle dit bêtement ce qui est ». C'est ainsi que Lacan l'utilise et pour cette propriété même. Là encore, il nous situe aux antipodes d'une attitude phénoménologique qui prétendrait se saisir de l'essence du phénomène étudié. Les symboles mathéma­tiques sont précisément utilisés parce qu'ils ne pensent pas; ils ne sont ni individualisés ni personnalisés à la façon dont on imagine que le sont les affects, mais ils le sont à la façon des nombres, et parce qu'ils sont matériels, comme peuvent l'être les signifiants. En ce sens, Lacan a parfaitement eu raison de dire que, par sa mathématisation, sa conception des phénomènes psychiques était matérialiste [Écrits, 658]

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*** Ce faisant, sans qu'elle les rejoigne à proprement parler puis­qu'elle est trop peu élaborée, la position de Lacan est consonnante avec des recherches de penseurs utilitaristes contemporains comme, par exemple, Harsanyi, pour qui l'essentiel des processus écono­miques et sociaux s'expriment en règles et en lois mathématiques. « La formalisation mathématique est notre but, notre idéal », dit-il encore dans le livre XX du Séminaire [p. 108]. Lacan n'a d'ailleurs pas ignoré la théorie des jeux ni celle des probabilités auxquelles il se réfère un peu plus qu'aBusivement dans ses recherches. On lit dans les Écrits «Le subjectif n'est pas la valeur de sentiment avec quoi on le confond les lois de l'intersubjectivité sont mathématiques» [p. 472]. Ce point nous mène très loin dans les rapports de Lacan et de la phi­losophie. Quand la philosophie tend à infinitiser ses concepts et à les rendre réflexifs, elle s'éloigne considérablement du discours psycha­nalytique, qui ne peut utiliser la philosophie qu'en ramenant ses thèses à des signifiants; ce qui équivaut pour lui à s'installer en porte-à-faux à son égard. « Pour ce qui est de l'inconscient, Freud réduit tout ce qui passe à portée de son écoute à la fonction de purs signifiants. C'est à partir de cette réduction que ça opère, et que peut apparaître, dit Freud, un moment de conclure - un moment où il se sent le courage de juger et de conclure» [SXI, 40]. Au moins est-ce la lecture que Lacan fait de Freud, caché, pour prendre le maximum de risques, derrière son masque de lecteur. Ainsi, qu'il utilise des signes mathématiques (de son invention ou pas) ou qu'il n'en utilise pas, le style de discours qu'il adopte est plu­tôt mathématique et il tend au mathématique, comme le discours de Bentham a pu tendre sans succès à la recherche du calcul des plaisirs et des peines, dont il faisait une pierre de touche pour juger son sys­tème. Lacan a lui-même joué sa théorisation sur un pari semblable puisqu'il prétend que, « sans une topologie, au sens mathématique du terme, on s'aperçoit bientôt qu'il est impossible de seulement noter la structure d'un symptôme au sens analytique du terme» [Écrits, 689] ; il est visible qu'il n'a pas réussi à le conduire lui-même bien loin; mais il n'est pas impossible que les discours mathématiques du

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dernier demi-siècle sur la « préférence» puissent être reversés au compte d'une théorie du désir. Ces voies, que nous croyons au cœur de l'utilitarisme moderne, mériteraient, en tout cas, d'être creusées.

Voir Désir, Imaginaire, inconscient, interprétation, Réel, signe, structure, sujet, Symbolique.

Méconnaître

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* L'usage que Lacan fait de ce mot est typique du renversement d'un mot ordinairement compris comme négatif en terme positif. En ce sens, le destin de ce mot ressemble à celui du vocable infini, qui marque à la fois une négation du fini et une position de quelque chose qui se distingue radicalement du fini. La méconnaissance est ordinairement entendue comme une ignorance fautive concernant l'objet dont on parle et qu'il faudrait connaître. Or Lacan forge un usage du terme pour montrer qu'il est des objets qui ne peuvent se connaître que sur le mode d'une impossibilité ou d'un refus d'être connus. La méconnaissance est le mode de connaissance d'un certain type d'objets. «Méconnaître suppose une reconnaissance, comme le manifeste la méconnaissance systématique où il faut bien admettre que ce qui est visé soit en quelque sorte reconnu» [Écrits, 165]. Lacan avait déjà fait une analyse comparable dans le premier livre du Séminaire où il insistait moins sur le caractère systématique de ce qu'on méconnaît que sur l'attachement du sujet à cet «objet» « Méconnaissance n'est pas ignorance. La méconnaissance repré­sente une certaine organisation d'affirmations et de négations, à quoi le sujet est attaché. Elle ne se concevrait pas sans une connaissance corrélative. [ ... ] Soit un délirant, qui vit dans la méconnaissance de la mort d'un de ses proches. On aurait tort de croire qu'il le confond avec un vivant. Il méconnaît ou refuse de connaître qu'il est mort. Mais toute l'activité qu'il développe dans son comportement indique qu'il méconnaît qu'il y a quelque chose qu'il ne veut pas recon­naître» [p. 190]. L'homme fabrique une instance pour organiser cette méconnaissance. Pour comprendre la question du moi; Lacan

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propose de « se demander ce qui est la connaissance qui oriente et dirige la méconnaissance ».

** La méprise, le midire donneraient lieu à des analyses très compa­rables à celle de la méconnaissance.

Voir Inconscient, mort, sujet, Symbolique.

Mort - Pulsion de mort

* Lecteur de Hegel, à travers Kojève et Hyppolite, Lacan a d'abord traité de la mort dans les termes mêmes de la Phénoménologie de l'Esprit. De même que le célèbre ouvrage posait que la lutte à mort des consciences était essentiellement symbolique, que le travail de l'entendement, comme celui du langage, était une mise à mort sym­bolique de la chose à laquelle il se référait, de même les Écrits posent-ils un lien intime entre le symbole et la mort «Le symbole est le meurtre de la chose », en ce qu'il se met à sa place et entend tenir lieu d'elle; comme il est plus profond que le sujet lui-même et qu'il en explique le surgissement, il était avant le sujet et lui survi­vra «Le signifiant [ ... ] met [le sujet] au-delà de la mort. Le signifiant le considère déjà comme mort, il l'immortalise par essence» [SIII, 202]. De plus, dans sa lecture de Totem et tabou, Freud fait ressortir que « le père symbolique, c'est le père mort ».

** Ces thèmes ne seraient pas particulièrement originaux si Lacan, recourant à un passage de Sade, tiré de Juliette, ne mettait l'accent sur les « deux morts» et sur ce qu'il a appelé, suivant un de ses audi­teurs du Séminaire, l'entre-deux-morts, notion dont il se sert pour expliquer la tragédie et le sens tragique de l'existence, qui est au cœur des considérations éthiques. Certes, il y a bien une mort de notre individualité vivante, corps et psychisme; mais une survie imaginaire est possible, qui passe cette « première mort », dans le souvenir des autres, par exemple, et il faut accorder à sa suite, une « seconde mort », la fin de cette survie 'imaginaire; cette mort n'exclut pas une survie symbolique, les symboles partageant, avec les écrits, la propriété de ne pas s'effacer. L'idée est donc celle d'une

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pluralité de morts, qui correspond à la distinction du Réel, de l'Ima­ginaire et du Symbolique. Antigone dit, bien avant de mourir emmurée, qu'elle est déjà morte; elle consent à mourir par la volonté de Créon, mais elle le frappe de l'impuissance à la tuer symboliquement. Elle inscrit son propre sou­venir, comme une marque d'infamie, dans la conscience de son meurtrier, qui en deviendra fou. D'une certaine façon, si le livre VII du Séminaire se termine par une longue réflexion sur Antigone, qui renouvelle entièrement l'interprétation de la pièce de Sophocle, c'est parce que le point de vue de l'éthique est celui d'une conception glo­bale de notre existence qui équivaut à prendre sur elle le point de vue, évidemment fictif, d'un moment où nous ne serons plus. Le fan­tasme de notre immortalité est indispensable pour que nous puissions peser ce que nous désirons authentiquement ou, au contraire, les désirs qui nous voueront à la culpabilité si nous ne sommes pas par­venus à les satisfaire.

*** La pulsion de mort s'inscrit dans cette pensée du symbolique et de la pluralité des morts. Freud l'avait distinguée des pulsions éro­tiques, comme la tendance à la destruction et à la désorganisation s'oppose à la tendance à la cohésion, à l'unité. Si Lacan soutient l'idée d'une pulsion de mort, récusée, à tort selon lui, par un très grand nombre de disciples de Freud - « ignorer l'instinct de mort dans la doctrine de Freud revient à en mécomprendre radicalement la doctrine» [Écrits, 301] - il ne l'interprète pourtant pas à la façon du père de la psychanalyse. C'est dans un sens proche de Pascal et de Kant, d'abord, qu'il remarque que le penchant au suicide accom­pagne le narcissisme. Mais la pulsion de mort n'affecte pas seule­ment l'ordre imaginaire; elle concerne l'ordre symbolique. Elle n'est pas seulement liée à un désir de retourner à l'inanimé; « l'instinct de mort n'est que le masque de l'ordre symbolique» [SIl, 375]. C'est l'apparence que prend l'intrusion du symbolique dans notre exis­tence. Elle le fait sous l'aspect de la répétition; mais elle peut le faire aussi sous celui de la création. C'est d'ailleurs une idée du livre VII du Séminaire que la fonction de la beauté consiste à nous révéler notre propre mort [SVII, ch. 18]. Si la pulsion de mort nous pousse à

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nous situer symboliquement en des lieux où nous n'habitons pas, quoique nous puissions, de leur point de vue, y considérer notre vie, il faut dire que toute pulsion est, par quelque côté, pulsion de mort; du moins l'est-elle « virtuellement» [Écrits, 848] parce qu'elle poursuit sa propre extinction, parce qu'elle pousse le sujet à la répétition, parce qu'elle porte au-delà du principe de plaisir, du côté de la jouissance où la satisfaction est souffrance. Paradoxalement, l'instinct de mort est « un ordre symbolique en gésine, en train de devenir, insistant pour être réalisé» [Sn, 375]. On voit, une fois de plus, que nous sommes poussés à la sublimation; que la création ne nous laisse pas le choix.

Voir Culpabilité, désir, Imaginaire, jouissance, principe de plaisir, pulsion, sublimation, sujet, Symbolique.

Œdipe * Le complexe d'Œdipe est la figuration du passage de l'ordre ima­ginaire à l'ordre symbolique par lequel le sujet fait son deuil de la possession de la mère et s'identifie au père. Car, et c'est la première différence avec Freud, Lacan considère que le sujet, quel que soit son sexe, désire toujours la mère et que le père est toujours le rival. Le père, par lequel advient le Symbolique, intervient toujours comme un troisième terme dans une relation d'abord duale. C'est l'évolution de ce troisième terme qui constitue le destin du complexe d'Œdipe. D'abord, ce troisième terme est envisagé par le sujet comme un objet imaginaire que la mère désirerait au-delà de lui. Le sujet désirera alors être cet objet que la mère désire et qui la comblera. Mais le sujet n'est pas seulement confronté à son impuissance de satisfaire le désir maternel il croise, sur son chemin, le père, moins réel qu'imaginaire. La mère parle du père, elle tient compte aussi du père par ses actes et elle le fait exister imaginairement sous la forme d'une sorte de loi. Le sujet se rend compte que c'est le père qui détient réel­lement le pouvoir de satisfaire le désir de la mère; et il lui faudra renoncer à ce pouvoir qu'il voudrait détenir et que le père possède déjà. Il lui reste la possibilité de s'identifier au père, de vouloir être

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ce père dont il n'a pu prendre la place. Le sur-moi se constitue à partir de cette identification au père.

** Par cette dimension symbolique dont il est la conquête, « le com­plexe d'Œdipe est essentiel pour que l'être humain puisse accéder à une structure humaine du réel» [Sm, 224]. « Ce dont il s'agit ici, comme dans Totem et tabou, est une dramatisation essentielle par laquelle entre dans la vie un dépassement intérieur de l'être humain -le symbole du père» [Sm, 244]. Ce symbole du père sera, depuis le début du Séminaire, désigné par « le nom du père », expression qui donne lieu à deux calembours majeurs le« non du père» (pour souligner, à un jambage près, la fonction prohibitrice du père dans son incarnation de la loi) et le fameux « les non-dupes errent », l'errance étant le prix à payer de la reconnaissance du caractère symbolique du père. Quoique Lacan, comme Freud, fût athée, la connotation religieuse du « nom du père » n'aura échappé à personne.

*** Le philosophe peut ici se demander pourquoi il faudrait dire la constitution du psychisme humain sous la forme d'une narration mythico-religieuse. Sans doute s'agit-il de garder et d'indiquer trois choses à la fois le caractère « événementiel» de cette formation; le caractère général, sinon universel, de ces événements constitutifs; la structure des lignées à travers laquelle ils s'expriment. En effet, ce que la psychanalyse peut apporter sur les terrains de la formation du psychisme et de l'éthique, tient dans le souci du caractère « concret» des événements. Il est frappant que les philosophes modernes, même quand ils ont voulu dépasser les abstractions du kantisme, sans pour autant retomber dans une vue purement intuitive de l'éthique, ont souvent traité le jeu des positions réelles et fictives requis par la réflexion sur la pratique comme des marques purement formelles, empruntées dans le meilleur des cas, aux logiques modales et aux logiques du temps qui laissent encore hors d'elles la valeur existentielle des événements. Or la psychanalyse introduit des personnages tragiques concrets et des relations concrètes entre eux, encore qu'ils soient schématisés ou épurés; cette introduction

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fragilise indiscutablement son propos en le particularisant et en le rendant contingent, abrupt; mais il indique aussi l' événementiali té dont l'éthique ne saurait se départir sans perdre de sa crédibilité ni sombrer dans l'abstraction. Cette façon de montrer, avec le maximum de généralité, comment se confectionne un héritage de lignée et comment il contribue à la réflexion éthique est donc essentielle. Le point d'équilibre est sans doute l'un des plus difficiles à trouver. Il faut savoir gré à Lacan d'avoir rappelé, quoiqu'il se situe aux antipodes d'une conception phénoménologique de l'éthique, les exigences d'une conception «tragique» de l'existence, c'est-à-dire qui tienne compte de son caractère événementiel. Peut-être tenons-nous, avec cette présentation « mythique» du com­plexe d'Œdipe, non seulement la figuration du caractère essentiel des lignées dans la constitution du psychisme humain, sur laquelle Lacan insiste dans les Écrits, non sans une pointe de conservatisme [p. 277-278], mais encore l'une des façons les plus plausibles de donner sens à une idée à laquelle tenait particulièrement Freud, tout le long de sa vie et jusqu'à la fin de son œuvre - puisqu'il lui consacre ses der­niers mots - la spatialité psychique. La coïncidence est étonnante avec Leibniz qui, pour expliquer à Clarke que l'espace est un ensemble de relations, prend précisément l'exemple des lignées.

Voir Désir, identification, Imaginaire, loi, scène, sexe, sujet, Symbolique.

Principe de plaisir * Le principe de plaisir ne doit pas être confondu avec la sensation de plaisir. Il est, chez Freud, avec le principe de réalité et le principe de Nirvâna, l'un des grands principes qui règlent l'activité psychique. Le principe de plaisir pose que le psychisme tend à éviter le déplaisir ou la douleur et à rechercher le plaisir. Reprenant ce principe, Lacan l'exprime, en plein accord avec Freud, comme réglant l'homéostasie le psychisme tend à se maintenir à son niveau le plus bas d'excitation [SIl, 85, 102; SVIl, 73]. Le déplaisir est lié à un accroissement des quantités d'excitation; le plaisir, à leur réduction.

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C'est ainsi que Lacan oppose la pulsion de mort au principe de plaisir en ce qu'elle nous pousse au-delà des limites du principe de plaisir. Curieusement, le principe de plaisir, loin de pousser à jouir, nous enjoint plutôt de jouir le moins possible, à la différence de la pulsion de mort qui, nous poussant sans frein au plaisir, tend constamment à rompre les équilibres de notre psychisme et de notre organisme. Le principe « dit ironiquement de plaisir» est, comme le souligne Lacan dans les Écrits [p. 852], un principe d'empêchement et de défense; non pas celui d'un déferlement de plaisir qui aurait l'effet contraire. « La fonction du principe de plaisir est de porter le sujet de signifiant en signifiant, en mettant autant de signifiants qu'il est nécessaire à maintenir au plus bas le niveau de tension qui règle tout le fonctionnement de l'appareil psychique» [SVII, 143]. Dans ce même livre VII du Séminaire, Lacan a rapproché le principe de plaisir de la prohibition de l'inceste, le danger suprême étant représenté par le désir de fusionner avec la mère, das Ding [SVII, 83]. Le principe est dit alors « ce qui règle la distance du sujet au das Ding» [SVII, 84]. Mais si le plaisir est dialectique en ce sens que le principe de plaisir est plutôt sa régulation que sa promotion - ce que le Philèbe de Pla­ton enseignait déjà -, il l'est encore en un autre sens la limitation du plaisir qui s'effectue en réglant le jeu des représentations n'échappe pas à la domination de la répétition, qui est l'un des modes d'affirmation de la pulsion de mort. En faisant du même avec du différent, le sujet se défend contre l'excitation et le danger .de sa nouveauté, mais il méconnaît aussi toute limite en ne prêtant aucune attention à la réalité.

** Le principe de réalité est lié au principe de plaisir, au point de se confondre avec lui chez Lacan. Déjà, chez Freud, il avait été intro­duit, non pas pour contrer le principe de plaisir, mais bel et bien pour le sauvegarder. Spontanément, la recherche du plaisir n'implique aucune reconnaissance de la réalité; il faut, pour la mener à bien, emprunter des voies détournées. C'est l'autorité de ces voies détour­nées ou l'obligation de les emprunter qui fait le principe de réalité. À coup sûr, le principe de réalité n'a rien à voir avec quelque chose qui

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nous serait donné de façon évidente. « Le principe de réalité n'est pas autre chose que le principe de plaisir différé ». Il faut se garder d'opposer la réalité et l'imaginaire. Le sujet n'a pas moyen de les distinguer «La réalité n'est pas là pour nous faire buter le front contre les voies fausses où nous engage le fonctionnement du principe de plaisir. En réalité, nous faisons de la réalité avec du plaisir» [SVII, 265].

Voir La Chose, Imaginaire, pulsion de mort, Réel, signe, signifiant, sujet.

Pulsion * Le terme Trieb se trouve, chez Freud, au centre de la théorie de la sexualité. Il s'oppose à l'instinct en ce sens que la pulsion est liée à l'histoire du sujet. Si le mot de pulsion n'est pas très heureux en ce qu'il suggère une poussée - or « la pulsion n'est pas une poussée» [SXI, 182] -, il est tout de même meilleur que le terme d'instinct qui, signifiant un besoin pré-linguistique que nous aurions en com­mun avec les animaux, dévoie complètement ce que Freud et Lacan apportent sur la question. «La pulsion freudienne n'a rien à faire avec l'instinct» [Écrits, 851]. Freud avait toutefois été équivoque puisqu'il avait identifié la pulsion au moyen de quatre termes «Le Drang d'abord, la poussée. La Quelle, la source. L'Objekt, l'objet. Le Ziel, le but» [SXI, 183]. Lacan reconnaît, qu'« à lire cette énumération », elle paraît « naturelle ». Or tout l'objectif des chapitres XIII et XIV du livre XI du Séminaire est de montrer la spécificité de la pulsion en psychana­lyse par rapport à ce qu'on pourrait parfois trouver sous le même nom, parfois aussi sous les vocables de « force» et d'« énergie », en biologie et même en physique. Lacan souligne que cette notion n'est pas avancée par Freud sans considérations épistémologiques «Le progrès de la connaissance ne supporte aucune fascination des défi­nitions ». Autrement dit, nous n'avons pas à tenir pour réel ce qui paraît désigné par les concepts que nous utilisons. « Freud emploie le mot Konvention - mot carnapien -, convention, [ ... ] et que

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j'appellerai d'un terme benthamien que j'ai fait repérer à ceux qui me suivent, une fiction » ; c'est comme« unefictionfondamentale »que Lacan réinterprète la pulsion. Il note alors que les termes par lesquels Freud la repérait sont problématiques, en particulier le sujet, le se qui est là contenté; l'objet, car « aucun objet ne peut satisfaire la pulsion» [SXI, 188]. Ce que cherche la pulsion, ce n'est pas un objet «Pour ce qui est de l'objet dans la pulsion, il n'a, à propre­ment parler, aucune importance» [SXI, 189] ce qui compte, c'est de tourner toujours dans les mêmes cercles qui consomment les objets, sans s'y arrêter.

** Dès lors Lacan délaisse complètement, chez Freud, le vocabulaire de l'énergétique ou de l' hydraulique, qui était celui des philosophes des passions des XVIIe et XVIIIe siècles (comme Hume) ; la pulsion n'a rien à voir avec une donnée ultime et naturelle. Elle est une construction entièrement culturelle et symbolique que Freud exprime en faisant usage « des trois voies active, passive et réfléchie », telles qu'elles existent au moins dans certaines langues «Beschauen und beschaut werden ; voir et être vu ; quiilen und gequiilt werden, tour­menter et être tourmenté. [ ... ] Dès l'abord, Freud nous présente comme acquis que nulle part du parcours de la pulsion ne peut être séparé de son aller et retour, de sa réversion fondamentale, de son caractère circulaire» [SXI, 199]. Voir et être vu ne croyons pas qu'il s'agisse forcément de deux pôles séparés ou qui pourraient être séparables l'un de l'autre «Ce qu'on regarde, c'est ce qui ne peut pas se voir. Si, grâce à l'introduc­tion de l'autre, la structure de la pulsion apparaît, elle ne se complète vraiment que dans sa forme renversée, dans sa forme de retour, qui est la vraie pulsion active» [SXI, 205]. La véritable activité n'est pas forcément où on la croit et elle peut prendre l'allure de la passivité. Dès lors, on comprendra que Lacan retrouve le monisme de Jung, auquel il s'est pourtant si fondamentalement opposé, par d'autres voies. Certes, dans le livre 1 du Séminaire, Lacan rejette nettement l'idée jungienne d'un simple concept de l'énergie psychique. Il reprend à son compte, contre Jung, le dualisme freudien des pulsions sexuelles et des pulsions du moi, puis des pulsions de vie et des

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pulsions de mort. Mais il ne faut plus comprendre cette opposition comme s'il se fût agi de deux types de pulsions. Toutes les pulsions sont pulsions de vie et pulsions de mort. Les Écrits l'indiquent avec la plus grande netteté «Toute pulsion est virtuellement pulsion de mort» [Écrits, 848]. Les pulsions ne sont que les aspects partiels selon lesquels le désir se réalise; ainsi le désir est-il un et indivis, alors que les pulsions sont ses manifestations partielles.

*** Ce traitement délibérément non-naturaliste de la pulsion permet de comprendre pourquoi Lacan rejette, parfois sans ménagement, la notion d'affectivité [« je crois qu' (affectif) est un terme qu'il faut absolument rayer de nos papiers» (SI, 304)], puis comment il la remplace par des considérations qui l'écartèlent, sans possibilité de lui restaurer la moindre unité réelle, entre les éléments symboliques et imaginaires. La plupart du temps, ceux qui parlent d'affect, n'en saisissent que les aspects imaginaires et délaissent, sans le savoir d'ailleurs, les essentiels aspects symboliques.

Voir La Chose, désir, Imaginaire, pulsion de mort, sujet, Symbolique.

la réalité - le réel * On aurait bien tort de se faire étroitement doctrinaire sur ce point et de vouloir que le mot de Réel ait un sens unique et bien déterminé chez Lacan; d'abord, il a une histoire au sein même de son œuvre, puisque dès 1936, suivant en cela le philosophe des sciences E. Meyerson, il utilise le terme de réel au substantif et il y recourra, certes comme à un concept décisif jusqu'à la fin de sa vie, mais tout en gardant, à chaque étape, une pluralité de sens. Tant que Lacan est hégélien ou se croit tel, il admet et répète que « tout ce qui est réel est rationnel}} [Écrits, 226]. Toutefois, dès 1953, lorsque Lacan oppose le Réel aux deux autres ordres que sont le Symbolique et l'Imaginaire, le Réel prend un sens différent; d'abord, il ne fait pas que s'opposer à l'Imaginaire; il est aussi ce qui se tient au-delà du Symbolique. Il peut bien aimanter le Symbolique

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et n'être appréhendé que par l'intermédiaire du Symbolique [SIl, 122] aucun symbole ne peut s'ajuster à lui. Tandis que le Symbo­lique est composé de termes qui s'opposent les uns aux autres, selon un jeu de présence et d'absence, « il n'y a pas d'absence dans le réel» «il n'y a d'absence que si vous suggérez qu'il peut y avoir une présence là où il n'yen a pas» [SIl, 359]. Tandis que l'opposi­tion de l'absence et de la présence implique la possibilité permanente que quelque chose manque dans l'ordre symbolique, le Réel, « c'est quelque chose qu'on retrouve à la même place, qu'on n'ait pas été là ou qu'on y ait toujours été» [SIl, 342]. À la différence du Symbo­lique, qui est l'ordre de « ce qui peut changer de place », « pour le réel, quelque bouleversement qu'on puisse y apporter, il y est tou­jours et en tout cas, à sa place, il l'emporte collée à sa semelle, sans rien connaître qui puisse l'exiler» [Écrits, 25].

** Tandis que le Symbolique est un ensemble d'éléments discrets et différenciés, le Réel est, en lui-même, indifférencié. «Le réel est absolument sans fissure» [SIl, 122]. Il ne connaît même pas la diffé­renciation de l'intérieur et de l'extérieur -« cette distinction n'a pas de sens au niveau du réel» [II, 122]. C'est le Symbolique qui intro­duit toutes sortes de coupures dans le réel. Ainsi l'objet est le produit du Symbolique. C'est dans un esprit berkeleyeien, d'ailleurs reven­diqué sur l'un des points les plus subtils défendus par l'évêque de Cloyne [SXX, 130], que Lacan déclare «C'est le monde des mots qui crée le monde des choses, d'abord confondues dans l' hic et nunc du tout en devenir» [Écrits, 276].

*** Il déplace ainsi considérablement les analyses classiques et phé­noménologiques qui imposent la distinction sujet-objet. La triade lacanienne (Réel-Imaginaire-Symbolique) modifie cette façon de penser et se substitue avantageusement à elle à partir de 1953, sans se contenter de la critiquer. Le Réel est ce qui résiste absolument à la symbolisation ou, en se référant aux Écrits, « il est le domaine de ce qui subsiste hors de la symbolisation» [p. 388]. Quand bien même Lacan poserait que le Réel est constitué par « l'expulsion hors du sujet» [Écrits, 388], il ne

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faudrait toutefois pas confondre le Réel avec le monde extérieur. Lacan présente le Réel comme « bruit où l'on peut tout entendre, et prêt à submerger de ses éclats ce que le principe de réalité y construit sous le nom de monde extérieur ». Dès lors, on comprend pourquoi la notion de Réel va évoluer dans le sens d'impossible. Le Réel, c'est l'impossible, dit le livre XI du Séminaire, parce qu'il est impossible à imaginer, à intégrer dans l'ordre du Symbolique, à atteindre d'une façon ou d'une autre. Déjà, dans le livre VII du Séminaire, Lacan avait rendu hommage à Kant pour avoir donné comme horizon à l'éthique, non pas la menue monnaie des symboles et des devoirs, mais l'impossible réalisation de la loi. Voulant faire partir l'éthique du Réel, Lacan ne fait pourtant pas une éthique empirique; loin de là alors que Kant avait opposé le devoir-être, impossible à réaliser, à la réalité empirique du désir, Lacan se retrouve du côté de Kant pour tendre le désir tel qu'il le conçoit vers l'impossible et reverser le formalisme kantien au bénéfice de sa propre éthique du désir. Il faut toutefois reconnaître l'équivoque de ce qu'il appelle le Réel, d'autant que, situé par-delà les symboles, aimantant l'éthique du désir, il est aussi au principe d'un matérialisme lacanien, qui n'est pas sans ressembler au matérialisme de Bentham «Le sens, per­sonne ne s'en occupe. Voilà qui souligne bien ce fait sur lequel je mets l'accent, et qu'on oublie toujours, à savoir que le langage, ce langage qui est l'instrument de la parole, est quelque chose de maté­riel» [SIl, 105]. Le substrat matériel du Symbolique et de l'Imagi­naire est moins la réalité biologique, encore qu'elle le soit parfois, que celle du langage. De manière générale, même si le vocabulaire de Lacan est, sur ce point, assez fluctuant, il ne faut pas confondre le Réel avec la réalité du «principe de réalité» «le principe de réalité est en général introduit par cette simple remarque qu'à trop chercher son plaisir, il arrive toutes sortes d'accidents. [ ... ] On nous dit que le principe de plaisir s'oppose au principe de réalité. Dans la perspective qui est la nôtre, cela prend évidemment un autre sens. Le principe de réalité consiste en ce que le jeu dure, c'est-à-dire que le plaisir se renou-

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velle, que le combat ne finisse pas faute de combattants. Le principe de réalité consiste à nous ménager nos plaisirs, ces plaisirs dont la tendance est précisément d'arriver à la cessation» [SIl, 107].

Voir Désir, principe de plaisir, signe, Symbolique.

Scène

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* Ce terme, d'usage philosophique déjà ancien - que l'on songe aux multiples emprunts que lui fait Hume pour exprimer des séquences naturelles, des phases de l'histoire, des moments privilégiés de la vie individuelle, le psychisme lui-même, enfin -, est particulièrement affectionné par Freud, qui désigne par l'autre scène la scène du rêve, laquelle se distingue de la scène de la vie éveillée. La scène du rêve désigne le processus par lequel une instance peut en regarder une autre fonctionner, à travers toutes sortes de figurations, ou se regar­der elle-même par l'intermédiaire d'autres instances, dans une conception « topique» du psychisme. Certes, cela ne veut pas dire que l;esprit comprend des lieux physiques ou anatomiquement déterminés. Hume avait déjà ironisé sur les idées triangulaires ou sphériques, les passions situées à la droite ou à la gauche d'autres passions, elles-mêmes « longues d'un yard, larges d'un pied, épaisses d'un pouce ». L'espace psychique n'est évidemment pas celui de la res extensa cartésienne, mais plutôt ceiui de la topique leibnizienne, qui relève de types de relations, sans considérations métriques. Jus­qu'à la fin de sa vie, Freud a été hanté par cette spatialisation de l'esprit et ses derniers mots publiés porteront encore sur ce sujet.

** Bien entendu, Lacan trouve, dans ces considérations freudiennes, la justification de ses propres recherches topologiques, qui impli­quent une certaine « spatialité psychique» ; il les amplifiera en met­tant l'accent Sur les phénomènes de « bord» ; mais il en fera aussi un usage original. D'abord, en mettant l'accent sur l'Autre de l'autre scène. L'Autre n'existe pas nécessairement en chair et en os et c'est précisément Comme mis en scène qu'il apparaît. Ensuite, en insistant sur le caractère de lisière ou d'entre-deux de la scène «Ce lieu intemporel, qui contraint à poser ce que Freud appelle, en hommage

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à Fechner, die Idee einer anderer Lokalitiit - une autre localité, un autre espace, une autre scène, l'entre-perception et conscience» [SXI, 66]. Dès lors, il faut intégrer la scène à la problématique propre de Lacan la scène désigne le théâtre symbolique et imaginaire s' édi­fiant sur le Réel, qui n'est certes pas seulement le monde extérieur sensible, mais ce à partir de quoi le théâtre prend sens. La scène de la fantaisie est un espace virtuel encadré comme peut l'être la scène d'une pièce par l'arc proscenium au théâtre, tandis que le monde est un espace réel qui s'étend au-delà de toute délimitation et de tout cadre [Séminaire du 19 décembre 1962, dactylographie de la BN, 4-R-16853 (1962, 1963, 1)]. La notion de scène est utilisée par Lacan pour distinguer l'acting out [activation, réactivation], du passage à ['acte. L'acting out (la réactivation), quoiqu'elle reproduise un évé­nement passé refoulé dans la mémoire sous forme d'actions reste néanmoins à l'intérieur de la scène, parce qu'elle s'inscrit dans l'ordre symbolique; alors que le passage à ['acte est une sortie de la scène et passe du Symbolique au Réel. « Cette direction d'évasion de la scène, c'est ce qui nous permet de reconnaître et de distinguer ce quelque chose de tout autre qui est l'Acting out du passage à ['acte dans sa valeur propre» [Ibid., p. 126].

*** Toutefois la distinction de ce qui est sur la scène ou en elle et de ce qui se tient en dehors d'elle n'est pas si simple; comme dans le tableau, les éléments qui s'organisent selon des règles (de perspec­tive, par exemple) et ceux qui ne lui obéissent pas, répartis essentiel­lement sur les bords, dans le ciel ou vers le bas du paysage repré­senté, coexistent assez confusément, ceux-ci envahissant ceux-là, on peut dire que ce qui est en dehors de la scène vient contaminer ce qui est dans la scène, le perturber ou s'y juxtaposer de façon hétérogène. Enfin comment oublierait-on la superbe séance du Il mars 1964 [SXI, 120-135], qui rapproche l'analyse du tableau de celle de la scène, par l'intermédiaire du geste?« C'est par le geste que vient sur la toile s'appliquer la touche. Et il est vrai que le geste y est toujours présent, qu'il n'est pas douteux que le tableau est d'abord ressenti par nous [ ... ] comme plus affine au geste qu'à tout autre type de mouvement. Toute action représentée dans un tableau nous y appa-

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raîtra comme scène de bataille, c'est-à-dire comme théâtrale, néces­sairement faite pour le geste» [SXI, 130].

Voir Imaginaire, mathématiques, Réel, Symbolique.

Sexe

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* Les philosophes n'ont su ajouter, au XXe siècle, pour penser la sexualité, la différence des sexes, la relation entre les sexes, que les analyses mises à leur disposition par les phénoménologues, qui ont traité de façon indifférenciée de la « chair» et ne sont, le plus souvent, parvenus à aucun résultat satisfaisant en recourant à cette image sartrienne ou merle au-pont yenne. Freud ne pouvait guère aider ces philosophes puisqu'il ne leur livrait, sur la question, qu'un schéma très simple. Il partait de la distinction anatomique entre les sexes et en tirait, pensait-il, les conséquences psychiques. Mais, loin d'entrer dans le détail de ces différences, Freud entreprenait une genèse de la façon dont on devient un homme ou une femme. Il montrait comment se nouait le complexe d'Œdipe chez le garçon et chez la fille et comment il se résolvait, le garçon renonçant à son amour pour la mère et en s'identifiant au père, la fille en renonçant à son amour pour le père et en s'identifiant à la mère. Si Lacan retient encore quelques aspects de ce schéma, il le modifie profondément, après en avoir vu les limites et dénoncé les difficultés. D'abord s'il ne s'agit évidemment pas de nier la différence biolo­gique des sexes, il n'est pas non plus question d'accorder à l'anato­mie la détermination des positions sexuelles «Dans le psychisme, il n'y a rien par quoi le sujet puisse se situer comme être de mâle ou être de femelle» [SXI, 228]. Selon Lacan, la masculinité et la fémi­nité ne sont pas des essences biologiques ; ce sont des positions sym­boliques. Il n' est peut-être rien qui indique davantage le manque dans le sujet, ou sa coupure, que la distinction de ces deux sexes, qui est telle que le sujet doit parvenir à s'identifier à l'un d'entre eux pour se construire comme sujet. Le sujet est nécessairement un sujet sexué; or, c'est à un événement relativement aléatoire qu'il doit s'identifier

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et considérer comme faisant intrinsèquement partie de lui-même. « Homme» et « femme» sont deux signifiants qui représentent ou valent pour deux positions subjectives. Lacan l'affirme, en complète rupture avec les conceptions « instinctives» de la différence des sexes, mais aussi en radicale dissidence avec les théories du pré-dis­cursif et de l'immédiateté, en vogue chez les phénoménologues «Il n'y a pas la moindre réalité pré-discursive, pour la bonne raison que ce qui fait collectivité, et que j'ai appelé les hommes, les femmes, les enfants, ça ne veut rien dire COmme réalité pré-discursive. Les hommes, les femmes et les enfants, ce ne sont que des signifiants. Un homme, ce n'est rien d'autre qu'un signifiant. Une femme cherche un homme au titre de signifiant. Un homme cherche une femme au titre de ce qui ne se situe que du discours» [SXX, 44-45]. On com­prendra, au passage, que la relation sexuelle ne soit ni instinctuelle, ni naturelle, ni non plus directe et immédiate; cela parce que le lan­gage de l'Autre s'immisce toujours entre les positions «mâle» et «femelle» [SXX, 88] ; on comprendra aussi que l'hétérosexualité ne soit pas « naturelle» pas plus que ne l'est, dans la conception du complexe d'Œdipe, la prévalence du personnage paternel, laquelle doit être considérée comme « normative» [Écrits, 223]. S'il est encore possible d'accorder les remarques précédentes avec les textes de Freud, les suivantes entrent en conflit avec eux et cas­sent la symétrie en fausse fenêtre que Freud avait essayé d'établir entre le garçon et la fille dans l'évolution du complexe d'Œdipe. Certes, pour l'un des auteurs comme pour l'autre, l'enfant est d'abord ignorant de la différence des sexes et ce n'est qu'après l'avoir découverte qu'il peut entamer, dans la précarité et sans suivre une finalité nettement tracée, le processus d'identification à un rôle plutôt qu'à un autre. Mais la situation de l'enfant, selon qu'il est garçon ou fille, par rapport au père ou à la mère, ne se distingue pas chez Lacan comme chez Freud selon Lacan, le complexe d'Œdipe implique toujours une identification au père et il ne faut donc pas compter sur elle pour expliquer le choix du sexe. La séparation avec la mère, par le moyen du rôle paternel, est une tâche pour l'enfant, quel que soit son sexe.

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Aussi bien n'est-ce pas une simple identification au père ou à la mère, mais la relation à la figure symbolique et fictive du phallus qui est déterminante dans l'évolution vers l'inévitable adoption d'un rôle sexuel. «Le phallus, c'est la conjonction de ce que j'ai appelé ce parasite, qui est le petit bout de queue en question, avec la fonction de la parole» [Le sinthome, p. 5]. Les hommes « ne sont pas sans avoir» le phallus symbolique, tandis que les filles ne l'ont pas. « Mais, comme le souligne Lacan, n'avoir pas le phallus symboli­quement, c'est en participer à titre d'absence, c'est donc l'avoir en quelque sorte» [SIV, 153]. Hommes et femmes sont pris dans ses relations d'absence-présence; simplement, les uns et les autres reçoivent des contraintes différentes par le rôle vers lequel chacun s'achemine plus ou moins clairement; comme la volonté de dessiner en perspective laisse libre du choix et de la disposition des objets et à la fois impose des règles. Les rôles se prennent, se déprennent, s'échangent jusqu'à un certain point dans une « dialectique symbo­lique ». Lacan va plus loin encore la femme n'est pas seulement mystérieuse pour l'homme qui, n'étant pas femme, ne pourrait pas savoir quel est son Autre radical; elle est mystérieuse à elle-même, tout simplement parce qu'elle prise dans cette relation symbolique au même titre que l'homme, quoique différemment de lui et de façon plus compliquée encore que lui. Lacan insiste sur la dissymétrie symbolique liée au fait que « le phallus est un symbole dont il n'y a pas de correspondant, d'équivalent [du côté de la femme]. C'est d'une dissymétrie dans le signifiant dont il s'agit. Cette dissymétrie signifiante détermine les voies par où passera le complexe d'Œdipe. Les deux voies les font passer dans le même sentier - le sentier de la castration» [Sm, 198]. Mais le détour est plus long pour la femme et, en quelque sorte, plus métaphysique que pour l'homme, puisque « la réalisation de son sexe se fait, non par identification à la mère, mais au contraire par identification à l'objet paternel» [Sm, 193].

** Lacan indique, du coup, pourquoi l'identification sympathique et imaginaire ne suffit pas à expliquer le choix « féminin» de la fille «Il n'y aurait certes aucun obstacle si cette réalisation avait à s'accomplir dans l'ordre de l'expérience vécue, de la sympathie de

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l'ego, des sensations. Et pourtant l'expérience montre une différence frappante - l'un des sexes est nécessité à prendre pour base de son identification l'image de l'autre sexe. Que les choses soient ainsi ne peut être considéré comme une pure bizarrerie de la nature. Le fait ne peut s'interpréter que dans la perspective où c'est l'ordonnance sym­bolique qui règle tout» [Sm, 199].

*** Dès lors, lorsque Lacan s'avise de penser la différence des sexes, c'est cette dialectique qui passe par la détention ou l'absence d'un phallus symbolique. Il le fera un certain temps à travers les catégories de l'activité et de la passivité «Freud explique que la référence polaire activité-passivité est là pour dénommer, pour recouvrir, pour métaphoriser ce qui reste d'insondable dans la diffé­rence sexuelle. Jamais nulle part il ne soutient que, psychologique­ment, la relation masculin-féminin soit saisissable autrement que par le représentant de l'opposition activité-passivité» [SXI, 215]. Toutefois, «en tant que telle, l'opposition masculin-féminin n'est jamais atteinte» par là. Un reste apparaît qui compromet la structure et devient plus important que tout. Certes, à peine deux pages plus loin, Lacan fera jouer un rôle à ce qu'il appelle la « mascarade» « En poussant les choses au maximum, on peut même dire que l'idéal viril et l'idéal féminin sont figurés dans le psychisme par autre chose que cette opposition activité-passivité. Ils ressortissent proprement d'un terme dont une psychanalyste épingle l'attitude sexuelle féminine c'est la mascarade» [SXI, 217]. Mais c'est, plus lointainement encore, lorsque le concept de phallus aura été quelque peu déplacé de sa position centrale, à la jouissance que Lacan référera la différence entre les sexes «La femme a rapport au signifiant de l'Autre, en tant que, comme Autre, il ne peut rester que toujours Autre» [SXX, 102]. Et retournant radicalement l'ancienne façon de réduire le mysticisme à la jouissance sexuelle «C'est en tant que sa jouissance est radicalement Autre que la femme a davantage rapport à Dieu que tout ce qui a pu se dire dans le

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spectacle antique en suivant la voie de ce qui ne s'articule manifestement que comme le lieu de l'homme» [SXX, 105]

Voir Expérience, identification, Imaginaire, Œdipe, Réel, signe, sujet, Symbolique.

Signe

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* Lacan doit, en grande partie, sa théorie du signe à Saussure, qui tenait, comme on sait, le signe pour l'association résultant d'un signi­fiant (image acoustique) et d'un signifié (concept) et le représentait sous la forme d'un rapport dont le signifiant est le dénominateur et le signifié, le numérateur. Toutefois cette présentation par Saussure du signe isolé ne correspondait guère à l'essentiel de son enseignement en linguistique, puisque le signe n'existe que par différence avec d'autres signes, en dépit de l'illusion que nous avons spontanément selon laquelle le signe ne peut guère tirer son sens que de son renvoi à des choses hors de lui. La dénonciation de cette illusion permanente, Lacan a pu la trouver chez Bentham, qui tenait la proposition pour plus fondamentale que le mot et qui, du coup, désolidarisait le mot de la chose. Pour comprendre l'usage très particulier qu'il fait du Cours de linguistique générale, il faut partir de cette illusion de transcendance que donnent les mots et de sa dénonciation. L'illusion que nous avons du sens des mots se rattachant à des choses est liée au fondement de la différenciation des signes les uns par rapport aux autres dans le système de la langue. Cette illusion est l'indication d'une illusion plus générale qui me fait attribuer faussement du sens à ce qui fonctionne en moi, en croyant que ce sont les situations et les choses qui me l'imposent; eUe implique, pour être comprise dans toute son étendue, un certain nombre d'inflexions de la doctrine du linguiste genevois, dont Freud ne se sert jamais, mais dont l'usage va néanmoins permettre la lecture originale que Lacan fait de Freud. On peut faire l'inventaire de ces déplacements. D'abord, l'opposition majeure n'est pas celle du signifiant et du signifié, mais celle du signe (qui représente quelque chose pour quel-

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qu'un) [SXI, 231] au signifiant (qui représente un sujet pour un autre sujet) [SXI, 232]. Le signifié est un effet, plus imaginaire que sym­bolique, de la structure des signifiants. Dès lors, la langue est moins un système de signes, comme l'avait définie Saussure, qu'un système de signifiants. Les signifiants sont les unités de base du langage parce qu'ils sont sujets à la double condition d'être réductibles aux éléments ultimes différentiels et de se combiner selon les lois d'un ordre clos [SIV, 289]. Il existe, chez Lacan, un primat du signifiant sur le signifié qui n'existait pas chez Saussure [Écrits, 467]. Ainsi Lacan, tout en rendant hommage à Saussure pour sa formalisation, renverse le fameux rapport du signifié et du signifiant et demande qu'on lise« SIs comme signifiant sur signifié, le sur répondant à la barre qui sépare les deux étapes» [Écrits, 497]. Le jeu de flèches par lequel Saussure représentait le lien entre l'image acoustique et le concept n'a plus lieu d'être, tant il est devenu précaire et glissant le signifié a perdu toute autonomie par rapport au signifiant alors que, par une plaisante inversion, on a tendance à lui accorder l'intégralité du sens. « Le signifiant entre en fait dans le signifié» [Écrits, 500]. Le signifié accompagne le signifiant de la façon la plus flottante et il ne saurait constituer la raison du signifiant comme le signifiant donne la raison du signifié [Écrits, 502-503]. Il est impossible, dans une psychanalyse, de s'en tenir au signifié; la signification est ima­ginaire ; elle est la production et le jouet de l'engrenage symbolique « le signifiant a pour effet, dans le langage, le signifié» [SXI, 278]. C'est dans ce sens et dans la mesure où « le signifiant n'est pas immatériel» [Écrits, 500, 301], que l'on peut parler d'un matéria­lisme de Lacan, revendiqué par l'auteur d'ailleurs. En forgeant les concepts de signifiant et de signifié, Saussure enten­dait rendre compte strictement du signe linguistique; il avait conscience que la linguistique n'était qu'une région du domaine plus étendu d'une science qui étudierait, plus généralement la vie des signes, la sémiologie. Or, chez Lacan, cet appareillage, réinterprété comme nous l'avons vu, permet une généralisation prodigieuse ce ne sont pas, seules, les images acoustiques ou les traces sur le papier qui peuvent devenir des signifiants; tout ce qui est susceptible

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d'entrer dans un système clos et de s'y comporter différentiellement peut devenir signifiant «objet, relation, actes symptomatiques» [SIV, 289]. Sans doute est-ce par le langage que les signifiants sont les mieux suivis à la trace, mais les signifiants dont parle Lacan ne sont ni exclusivement ni essentiellement linguistiques. Toute représentation peut prendre le statut de signifiant; c'est ainsi que les objets du désir, qui nous paraissent être ce qui l'aimante, sont en réalité tramés par des représentations d'une « chaîne signifiante» qui fait que le sujet ne cesse de tourner dans les mêmes cycles sans s'en apercevoir; puis, peut-être, en s'en apercevant; enfin, en essayant, sinon d'échapper au processus circulaire, du moins d'augmenter un peu le rayon des cercles.

** Cela ne veut évidemment pas dire que le désir, ou tout autre acte et mouvement psychique d'ailleurs, est langage; il s'agit plutôt là d'une position de méthode, soulignée par Lacan, qui insiste sur la révolution introduite dans les sciences de son temps par la linguis­tique [Écrits, 496-497]. Mais les signifiants et leur chaîne ne sont pas non plus de simples représentations méthodiques, comme peuvent l'être les fictions topologiques de l'auteur. Ils ont une «réelle» consistance dans le psychisme dont ils constituent la nature; ce qui ne veut pas dire qu'ils signifient quelque chose par eux-mêmes, sans leur opposition aux autres «Tout signifiant est, comme tel, un signifiant qui ne signifie rien» [Sm, 210]. Mais l'ordre symbolique n'épuise pas la réalité des choses et du psychisme, de ce que Lacan appelle le Réel c'est même par l'ordre symbolique qu'apparaît par­tout, dans les choses, ce vide qu'il faut gérer, se dissimuler, créer, recréer, en prenant interminablement, indéfiniment, toutes sortes de figures, toutes sortes de formes subjectives. D'ailleurs, lorsque Lacan parle de « chaîne signifiante », on est en réalité loin du modèle saus­surien quand bien même la langue évolue historiquement chez Saussure, elle ne laisse pas de se comporter globalement, à chaque moment du temps, comme un système clos. Or comment serait-ce le cas de la chaîne signifiante, qui tourne sur elle-même sans doute, mais reste ouverte à chaque instant pour laisser des éléments nou-

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veaux s'y adjoindre, en une suite indéfinie, dont la raison pourtant demeure d'une étonnante stabilité?

Voir Barre, désir, Imaginaire, Réel, structure, sujet, Symbolique.

Structure

* Quoiqu'il ait lui-même revendiqué sa différence à l'égard de l'approche structuraliste, par son insistance sur le Réel et la limite qu'il représente pour le Symbolique, Lacan passe, non sans raison, pour être l'un des plus grands représentants de la mouvance structu­raliste, aux côtés de Jakobson et de Lévi-Strauss (même si une dissi­dence est très tôt patente avec ce dernier [voir Désir, Loi, sublimation]). La notion de structure est d'abord entendue en un sens assez large, puisqu'il s'agit de penser par elle la nature relationnelle du psychisme, contre les théories atomistes; et d'empêcher, par son moyen, une opposition entre ce qui est individuel ou subjectif et ce qui est général ou collectif. Cette première approche permet de commencer une exploration de l'ordre symbolique et de saisir l'inconscient« structuré comme un langage ». La notion va toutefois graduellement s'affiner à partir du moment où Lacan voudra penser de plus en plus précisément le symbolique, en usant de caractères et de méthodes mathématiques.

** On en trouve une remarquable analyse dans le Séminaire [SIII, 207] «La structure est d'abord un groupe d'éléments formant un ensemble covariant ». Lacan fait ressortir lui-même qu'il parle d'ensemble et non de totalité. On voit aussitôt par là que la notion est essentiellement de portée méthodique et qu'elle n'est pas métaphy­sique; que les limites assignées aux éléments sont celles de l'obser­vateur. Il est vrai que la suite du texte rattache la notion de structure à celle de signifiant il n'y a toutefois pas là de contradiction, puisque nous savons que le' signifiant lacanien est susceptible de symbolisation mathématique. « En fait, quand nous analysons une structure, c'est toujours, au moins idéalement, de signifiant dont il s'agit. Ce qui nous satisfait le mieux dans une analyse structurale, c'est le dégagement aussi radical que possible du signifiant» [Sm,

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208]. Dans le même texte, Lacan va plus loin puisqu'il affirme que « la notion de structure est déjà par elle-même une manifestation du signifiant ».

*** Dès lors, il renvoie au statut d'images confuses un certain nombre d'aspects qui semblaient tenir essentiellement à la structure. C'est ainsi qu'il distingue nettement la topologie qu'il recherche, c'est-à-dire les liaisons par lesquelles il pense l'espace psychique, de la Gestalt Theorie, qu'il ressent toujours trop proche d'une concep­tion superstitieuse de la structure et d'une phénoménologie qu'il récuse de plus en plus ouvertement: « Il faut, dans tout ce qui est de la topologie, toujours se garder très sincèrement de ce qui lui donne fonction de Gestalt» [SXI, 165]. De plus, puisqu'il se rapproche d'une conception mathématique du symbolique, il ne peut plus se satisfaire d'une conception linguistique de la structure. L'opposition binaire, qui agit pleinement chez Lévi­Strauss, lui devient un obstacle pour penser la répartition de l' inté­rieur et de l'extérieur, par exemple. La topologie du tore ou de la bande de Moebius permet de penser plus délicatement ces opposi­tions. Ce point de vue est encore plus explicite dans les Écrits. Peut-être succombant à un vertige comparable à celui qui s'était saisi des fondateurs de la théorie des jeux, qui pensaient atteindre, avec les structures qu'ils mettaient au point, les fondements mêmes des socié­tés, il ira jusqu'à dire plus tard que la topologie, loin d'être une simple métaphore de la structure, est la structure même. « Je crois démontrer la stricte équivalence de topologie et de structure» [SXX, 14]. Mais, très critique à l'égard des schémas métaphoriques utilisés par des penseurs phénoménologues, par Freud lui-même, il mettra en garde contre les métaphores intimées par la notion même de struc­ture, en particulier celles qui opposent les effets de surface aux structures profondes, la mythologie des couches psychiques, celles des sphères concentriques, et quelques autres encore. Enfin, il ne faudrait surtout pas regarder les textes concernant la théorie et la pratique de la structure sans se rappeler que Lacan fut un

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clinicien et, par conséquent, un penseur exigeant de l'événement, dans ses ruptures inattendues, dans sa tyché.

Voir Imaginaire, inconscient, mathématiques, signe, sujet, Symbolique, symptôme, tyché.

Sublimation * Chez Freud, la sublimation est le processus par lequel la libido - soit l'énergie sexuelle - est canalisée vers des activités non sexuelles telles que la création artistique ou le travail intellectuel. La sublimation est donc un sas qui permet, à l'énergie sexuelle en sur­croît, d'être mise au service de la société plutôt que de se tourner vers des formes de comportement socialement inacceptables ou de s'exprimer par des traits névrotiques. Lacan modifie profondément cette théorie, après l'avoir soumise à une impitoyable critique [SVII, 279]. D'abord, il insiste sur l'impossibilité pour la sublimation d'être com­plète. En second lieu, Lacan ne fait pas la même analyse de la sexua­lité perverse que Freud. Il serait faux de croire que la sexualité per­verse soit plus directe et emprunte des voies moins compliquées que la sexualité normalement admise par la société elle ne dérive pas davantage que celle-ci de forces biologiques, mais, tout comme elle, d'une libido radicalement symbolisée. Lacan rapproche délibérément la sublimation de la perversion comme deux formes de transgression au-delà des limites du principe de plaisir par le principe de réalité [SVII, 131]. Il y a plus la modification de la sublimation n'atteint pas que les pulsions sexuelles; elle n'est donc pas seulement une « désérotisation ». Il lui arrive même d'en être tout le contraire «Le changement d'objet ne fait pas forcément disparaître, bien loin de là, l'objet sexuel -l'objet sexuel, accentué comme tel, peut venir au jour dans la sublimation. Le jeu sexuelle plus cru peut être l'objet d'une poésie, sans que celle-ci en perde pour autant sa visée sublimante» [SVII, 191]. Dès lors, loin de soutenir que la sublimation est une sorte de dépassement de la pulsion dans ses aspects biologiques, Lacan tire argument de la sublimation pour

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montrer que la pulsion n'est pas instinctive, mais qu'elle s'insère dans les registres imaginaire et symbolique [SVII, 133]. En troisième lieu, comme Freud l'avait déjà vu et comme Lacan le lui reconnaît [SVII, 132], ce n'est pas tant l'objet qui change, dans la sublimation, que sa position dans la structure de l'imaginaire. Il s'agit, pour reprendre l'expression du livre VII du Séminaire, «d'élever l'objet à la dignité de la chose» [SVII, 133] ; ce qui équi­vaut à infinitiser l'objet, à changer, voire à abolir ses limites. En quatrième lieu, si Lacan envisage encore la sublimation dans un contexte esthétique qui lui permet, d'une part, d'en accepter la carac­térisation sociale qui était celle de Freud, d'autre part, de voir en elle un travail de la pulsion de mort, qui conduit le sujet à la fascination et à la destruction, mais aussi à la création ex nihilo (qui relève de la même problématique [SVII, 251-252]), il introduit la sublimation dans la discussion de l'éthique [SVII, 129] et c'est par là que la notion devient tout autre.

** L'éthique, enracinée dans l'inatteignab1e Chose, autour de laquelle gravitent les représentations, permet de découvrir une subli­mation de portée plus métaphysique que sociale. Lacan souligne en effet, contre Lévi-Strauss, qui ne paraît pas s'en être avisé, que l'inceste fondamental est inceste à l'égard de la mère et que l'ethno­logie lévi-straussienne privilégie indûment, pour structurer les échanges sociaux, la prohibition de l'inceste à l'égard du père [SVII, 82-83]. Il voit aussi que la sublimation n'est pas un idéal du désir; et que, si elle se vit sur le mode « héroïque », cet héroïsme est pourtant à la portée de tous, dans la mesure où il est, pour le désir, une issue, pour ainsi dire, nécessaire. Le désir n'a pas d'autre ressource, dans la description de ses cycles, que de les élargir un peu la création est moins un idéal qu'une espèce de destinée qui se joue au pourtour d'une béance que nous n'avons pas choisie.

*** Le coup de maître du livre VII du Séminaire a été de faire la genèse de la morale à partir du désir même et de montrer que c'est de lui que nous tirons tous les devoirs. Freud avait attribué la morale à un Sur-moi entièrement constitué des idéaux sociaux. Du coup, la

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morale apparaissait comme extérieure et en rapport d'hostilité avec le désir d'une certaine façon, Freud partageait avec Kant le préjugé d'un rapport d'extériorité entre le désir et la loi. Or Lacan fait de la morale une exigence infinie du désir, à condition de ne pas entendre la morale comme une tension vers le Bien. En ce dernier sens, Lacan est profondément en accord avec Kant, qui avait enseigné que la morale se distinguait de l'éthique du bien (comme on la trouve chez Aristote, par exemple). Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Lacan situe son éthique sous le signe de Kant. Dès lors, le Sur-moi n'est qu'une simple illusion, une façon pour le désir de se leurrer en refusant de se reconnaître aussi radicalement impliqué dans la morale, une sorte de moyen de défense contre lui-même et destiné plus à soulager sa culpabilité qu'à la constituer; il n'est guère qu'une création sociale de mauvaise foi pour nous empêcher de supporter cette redoutable culpabilité issue du désir même. La culpabilité à l'égard de la loi, si terrible soit-elle, l'est beaucoup moins qu'à l'égard du désir qui, interminablement, éternellement, quoique contradictoirement, mesure notre vie à la certitude que nous allons mourir.

Voir Béance, La Chose, culpabilité, désir, Imaginaire, loi, mort, Œdipe, pulsion de mort, sexe, Symbolique.

Sujet * Le terme suit l'un des parcours les plus sinueux dans l'œuvre de Lacan. Sans doute ne signifie-t-il pas davantage qu'être humain ou désigne-t-il, plus spécifiquement, l'analysant, dans les premiers tra­vaux. Mais dès 1945, Lacan distingue trois sens du mot sujet qu'il fait jouer entre eux. «Le premier, qui s'exprime dans l"'on" de l"'on sait que ... ", ne donne que la forme générale du sujet noétique. Le second [ ... ] introduit la forme de l'autre en tant que tel, c'est-à-dire comme pure réciprocité, puisque l'on ne se reconnaît que dans l'autre» ; il est « le "je", sujet de l'assertion conclusive» ou, comme le dit Lacan, « la forme logique essentielle (bien plutôt qu' existen­tielle) du "je" psychologique ». «Enfin, le jugement assertif se mani-

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feste par un acte» ['Écrits, 207-208]. C'est essentiellement ce troisième sens que Lacan va désormais approfondir, pour lui apporter une première distinction majeure, qui apparaît logiquement dès lors que l'auteur met l'accent sur la division du sujet celle de l'ego et du sujet de l'inconscient.

** Le sujet n'est jamais ce qu'il s'imagine être lui-même; l'ego est le produit de ces illusions imaginaires ou spéculaires. L'être humain ne peut rien subir ni faire sans s'imaginer au principe de ce qu'il subit et fait, comme si cette condition de possibilité imaginaire pou­vait expliquer quoi que ce soit de ce qu'il subit ou fait. L'ego est produit pour se défendre contre une incohérence menaçante et pour lui substituer une cohérence de fiction. Le sujet est la partie symbo­lique, tout à fait insensible et inconsciente, mais réellement active pour produire de l'unité. Le véritable sujet n'est donc pas le fantas­matique ego qui se croit constitutif, mais qui est en réalité produit par les images successives de c~s aliénations; c'est le sujet de l'incons­cient, qui est produit par le langage ou, plus exactement, par les signifiants du langage. Les signifiants ne sont pas produits par le sujet, quoiqu'il puisse se le figurer ils sont ce qui le constituent « Le désir inconscient, c'est ce que veut celui, cela qui tient le dis­cours inconscient» [Conférences de Bruxelles, p. 6] ; et, un peu plus loin, p. 19 «Ce que l'inconscient montre, en effet, c'est que cette structure signifiante est déjà là avant que le sujet prenne la parole et, avec elle, se fasse porteur d'aucune vérité, ni prétendant à aucune reconnaissance ». Ce sujet trouve sa cause dans l'effet de langage. « Par cet effet, il n'est pas cause de lui-même, il porte en lui le ver de la cause qui le refend. Car sa cause, c'est le signifiant sans lequel il n'y aurait aucun sujet dans le Réel. Mais ce sujet c'est ce que le signifiant représente et il ne saurait rien représenter que pour un autre signifiant à quoi dès lors se réduit le sujet qui écoute. Ce sujet donc, on ne lui parle pas. Ça parle de lui, et c'est là qu'il s'appréhende, et ce d'autant plus forcément qu'avant que ça s'adresse à lui, il dispa­raisse comme sujet sous le signifiant qu'il devient, il n'était absolu­ment rien» [Écrits, 835 ; SXI, 142]. La subjectivité est la figure que

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prend ce que Lacan appelle « la passion du signifiant» [Écrits, 688 voir expression comparable, CB, 19]. Pour l'autre sujet, imaginaire, celui que « la psychologie contempo­raine -1' egopsychology - considère comme une fonction de syn­thèse à la fois et d'intégration» [CB, 3], il n'est que trop évident qu'elle fonctionne en miroir et qu'elle ne saurait être le socle d'une éthique «Il est autonome! Celle-là est bien bonne» [Écrits, 421]. Ce n'est pas que l'ego soit inutilisable dans l'analyse; il ne saurait y avoir d'analyse sans ce jeu sur le devenir de l'ego [Écrits, 305] ; mais son autonomie est fallacieuse.

*** Ainsi Lacan fait très peu de cas de l'autonomie, qu'il renvoie à l'imaginaire. Elle crée faussement du sens or il convient «d'observer que, peut-être, c'est à mesure qu'un discours est plus privé d'intention qu'il peut se confondre avec une, la vérité, la pré­sence même de la vérité dans le Réel, sous une forme impénétrable» [CB, p. 7]. Mais alors, si l'autonomie est imaginaire, comment faut-il entendre la fameuse formule de Freud «Wo Es war, solt /ch werden» [Là où était le Ça, le Je doit devenir] ? Lacan souligne, dans ses Écrits [p. 416-417], le caractère topique de la phrase et fait apparaître comme un contresens l'appel à l'autonomie «Il apparaît ici que c'est au lieu Wo, où Es, sujet dépourvu d'aucun das ou autre article objectivant, war, était, c'est d'un lieu d'être qu'il s'agit, et qu'en ce lieu soli, c'est un devoir au sens moral qui là s'annonce, [ ... ]. /ch,

je, là dois-je (comme on annonçait ce suis-je, avant qu'on dise c'est moi) werden, devenir, c'est-à-dire non pas survenir, ni même advenir, mais venir au jour de ce lieu même en tant qu'il est lieu d'être ». Ce sont ces considérations topiques qui seront approfondies un peu plus loin et qui permettront à Lacan de dire, à l'encontre du Cogito philosophique «qui rend l'homme moderne si sûr d'être soi dans ses incertitudes sur lui-même» [Écrits, 517] que «je pense où je ne suis pas» [effet que le langage réalise à tout moment], « donc je suis où je ne pense pas» [l'existence du sujet devenant une sorte de point aveugle du langage].

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L'étrangeté et l'audace de l'éthique du livre VII du Séminaire consis­tent précisément en ce que Lacan a cherché à élaborer une morale au lieu même où se structure le désir. Comment, dira-t-on, est-il pos­sible de constituer une morale avec un désir inconscient? N'est-ce pas de la seule conscience qu'il faut partir et, s'il faut faire une place aux désirs, que des seuls désirs conscients ? À ces inquiétudes, il faut répondre qu'il est plus inquiétant encore, à bien y penser, de pré­tendre faire reposer l'essentiel de notre existence et de ses projets sur une conscience inanalysée, c'est-à-dire dont on n'a pas examiné les rapports qu'elle pouvait entretenir avec l'inconscient. L'ignorance ne saurait, sinon par vanité, se prévaloir d'aucun avantage. Ainsi vouloir bâtir une morale sur quelque chose d'aussi fragile que l'autonomie est simple illusion et, chez les plus malicieux, une imposture. L'intérêt philosophique de suivre la réflexion de Lacan sur le sujet tient en trois choses d'abord l'éclatement du moi y est pensé dans sa nécessité et n'en reste pas à une approche imaginaire. Elle conduit jusqu'au symbolique, c'est-à-dire jusqu'au point où une logique peut prendre le relais. Ensuite, cet éclatement ne conduit ni au scepticisme ni au remplissage imaginaire par un sentimentalisme moral ; puis­qu'il s'agit de faire partir l'éthique de la Chose freudienne, de « ce qui est au centre du désir inconscient» [CB, 11]. Si le fait de deman­der aux bonnes volontés de reconnaître les principes dont elles ont conscience, pour établir la morale, est pour elles un désagrément, y a-t-il un danger quelconque à demander à cette bonté de « rentrer en elle-même» et de revenir sur « les principes d'un certain non-vou­loir» [CB, 9] ? Enfin, le philosophe qui s'intéresse aux passions gagne, avec la dis­tinction de l'Imaginaire, du Symbolique et du Réel, le véritable théâtre nécessaire à une analyse de l'affectivité. Car s'il peut, avec les analyses classiques, celles de Hume par exemple, comprendre que le sujet n'est pas le théâtre des passions, mais plutôt leur production variée et hétérogène, il faut disposer d'une méthode pour sortir du scepticisme, c'est-à-dire pour savoir quel est le statut des passions sont-elles les véritables forces des figures du sujet ou ne sont-elles qu'imaginaires de telle sorte qu'il leur faut encore s'enraciner plus

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profondément en quelque symbolique? C'est là que le sujet lacanien, qui s'identifira à un moment particulier et caractéristique du sujet cartésien, est utile «nous ne désignons [par là ni] le substrat vivant qu'il faut au phénomène subjectif, ni aucune sorte de substance, ni aucun être de la connaissance dans sa pathie, seconde ou primitive, ni même le logos qui s'incarnerait quelque part, mais le sujet cartésien, qui apparaît au moment où le doute se reconnaît comme certitude» [SXI, 142-143].

Voir La Chose, désir, Imaginaire, inconscient, jouissance, Réel, scène, signe, Symbolique, vérité.

Symbolique * À la différence de Freud qui, dans L'interprétation des rêves, avait restreint l'usage et l'interprétation des symboles à une partie très limitée de la psychanalyse et à une fonction lexicale assez pauvre, qui fait correspondre aux symboles des significations très stéréoty­pées, Lacan donne une extension prodigieuse à la symbolique, sui­vant une indication de Lévi-Strauss qui, dans l'Anthropologie structurale, tenait l'inconscient «pour réductible à la fonction symbolique ». «N'est-il pas sensible qu'un Lévi-Strauss en suggérant l'implication des structures du langage et de cette part des lois sociales qui règle l'alliance et la parenté conquiert déjà le terrain même où Freud assoit l'inconscient? » [Écrits, 285]. Le changement d'extension et de modalité est perceptible dans le passage d'un usage adjectif du mot (quand il admet que les symptômes ont une significa­tion symbolique ou, avec Mauss, que les structures de la société sont symboliques) à son usage nominal ou substantif. Le Symbolique devient alors un des trois ordres distingués par Lacan, avec le Réel et l'Imaginaire; peut-être le plus crucial d'entre eux, puisque le Réel ne sera guère qu'un au-delà indicible du Symbolique et l'Imaginaire qu'un en-deçà, en ce que toutes les manifestations de l'Imaginaire sont explicables et déterminées par le Symbolique. Voilà pourquoi la psychanalyse ne saurait se satisfaire d'un bouleversement de l'Ima-

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ginaire, qui est effectif, certes, mais qu'elle entend poursuivre jus­qu'à l'ordre symbolique qui est le fondement du sujet.

** Le Symbolique est de l'ordre du langage, mais c'est dans le sens où Lévi-Strauss pensait que les relations de parenté et les échanges de biens étaient structurés comme un langage. De ce langage, Lacan retient les éléments signifiants et il étend, au-delà des éléments de la langue, la possibilité de traiter comme des signifiants tout ce qui peut se constituer comme un jeu d'oppositions et se caractériser par une sorte d'autonomie.

*** L'ordre symbolique n'est pas fondé dans la nature et il ne se fonde pas non plus dans un sujet. C'est lui qui est fondement de la nature, du sujet, comme de l'Imaginaire, quoiqu'il ne nous apparaisse pas comme tel par une distorsion qui est l'inconscient. Le Symbolique a l'effet du Réel et il est pris pour tel en raison, d'une part, de son caractère systématique et structurel, d'autre part, précisément de son indépendance à l'égard d'un Réel, dont il cherche à s'emparer et qu'il tente de scander, selon son propre rythme et ses propres oppositions. L'effet d'extériorité du Symbolique par rapport au sujet est obtenu par le fait que le Symbolique se rattache radicalement à l'Autre. Comment Lacan n'éveillerait-il pas des échos benthamiens quand il écrit ce texte «Les symboles enveloppent en effet la vie de l'homme d'un réseau si total qu'ils conjoignent avant qu'il vienne au monde ceux qui vont l'engendrer "par l'os et par la chair", qu'ils apportent à sa naissance avec les dons des astres, sinon avec les dons des fées, le dessin de sa destinée, qu'ils donnent les mots qui le feront fidèle ou renégat, la loi des actes qui le suivront jusque-là même où il n'est pas encore et au-delà de sa mort même, et que par eux sa fin trouve son sens dans le jugement dernier où le verbe absout son être ou le condamne - sauf à atteindre à la réalisation subjective de l'être pour la mort» [Écrits, 279 ; même idée, sn, 30-31]? Bentham écrivait déjà «Fait-on des lois autrement qu'avec des mots? Vie, liberté, propriété, honneur, tout ce que nous avons de plus précieux dépend du choix des mots» (Traité

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de législation civile et pénale, ed. Dumont, 3 vol., Paris, 1802, l, 363). Chez l'un comme chez l'autre, il n'y a rien avant le langage et il est inutile de spéculer sur une réalité qui serait atteinte sans les mots. Il ne faut toutefois pas dire que le Réel est entièrement langagier comme envers du symbolique, il ne saurait se qualifier ainsi sans leurre. Simplement, comme Berkeley et Bentham, Lacan pense qu'il y a une sorte d'illusion du Symbolique qui pousse le sujet à attribuer l'existence à ce qu'il imagine à travers les mots, qui enferme le sujet dans un univers auquel il ne peut échapper [SIl, 43], parce qu'il est clos et paraît sans histoire, et qui semble le faire tourner dans des cycles bordés par la mort, le vide, le manque. «L'erreur - comme la qualifie Lacan - [est] de croire que ce que la science constitue par l'intervention de la fonction symbolique était là depuis toujours, que c'est donné ». Or le donné n'est que l'ombre projetée du symbolique sur le Réel. «Cette erreur existe dans tout savoir, pour autant qu'il n'est qu'une cristallisation de l'activité symbolique, et qu'une fois constitué ill' oublie» [SIl, 29]. Lacan note subtilement qu'il est sans dommage de l'oublier dans la plupart des sciences «mais nous autres, analystes, nous ne pouvons l'oublier, qui travaillons dans la dimension de cette vérité à l'état naissant» [id.].

Voir Imaginaire, inconscient, pulsion de mort, Réel, signe, structure, vérité.

Symptôme - Sinthome

* Lacan a généralisé un terme médical. En médecine, on oppose les manifestations sensibles d'une maladie à la structure profonde que l'on saisit par elles. En ce sens, la fin d'une analyse ne saurait consis­ter en une simple cure des symptômes; si l'on se contentait de vou­loir les changer, on ne ferait qu'organiser leur déplacement sans fin. La psychanalyse a une autre ambition elle veut agir sur les struc­tures mêmes. Lacan suit Freud quand il affirme que les symptômes névrotiques sont des formations de l'inconscient et qu'ils résultent d1un com-

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promis entre des désirs contradictoires. Mais Lacan change la portée de l'affirmation précédente en faisant cette « lecture» de Freud « Le symptôme est le signifiant d'un signifié refoulé de la conscience du sujet. Symbole écrit sur le sable de la chair et sur le voile de Maïa, il participe du langage par l'ambiguïté sémantique que nous avons soulignée dans sa constitution. Mais c'est une parole de plein exer­cice, car elle inclut le discours de l'autre dans le secret de son chiffre .. C'est en déchiffrant cette parole que Freud a retrouvé la ligne première des symboles, vivant encore dans la souffrance de l'homme de la civilisation» [Écrits, 280-281]. De fàçon plus subtile, il identi­fie le symptôme à un mot, montrant par là qu'il noue un nombre considérable de signifiants [Écrits, 226].

** Traiter le symptôme comme signifiant, c'est affirmer d'abord qu'il faut distinguer le symptôme de la pure indication d'un état sous-jacent ou d'une structure profonde auxquels on n'accèderait qu'indirectement. « Le symptôme se distingue de l'indice naturel par ceci qu'il est déjà structuré en termes de signifié et de signifiant, avec ce que cela comporte, soit le jeu des signifiants. [ ... ] Le symptôme est l'envers d'un discours» [SIl, 368]. C'est affirmer ensuite que le symptôme est, non la chose morte par laquelle se diraient des pensées secrètes, mais l'événement par lequel se nouent, d'une certaine façon, le Symbolique, l'Imaginaire et le Réel. Ce qui veut dire deux choses; l'une qui ne sera jamais remise en cause que le symptôme est radicalement singulier et qu'il ne saurait y avoir de nomenclature toute faite pour en décoder la signification; l'autre, qui le sera, quand Lacan abandonnera l'hégélianisme. C'est, en effet, encore de façon très hégélienne que Lacan affirme que l'existence événementielle du symptôme ne cache rien, à proprement parler qu'elle est aussi vraie que le phénomène qui manifeste la chose «Le symptôme est, en lui-même de bout en bout signification, c'est-à-dire vérité, vérité mise en forme. [ ... ] À l'intérieur même du donné concret du symptôme, il y a déjà précipitation dans un matériel signifiant » [SIl, 368]. C'est encore la même idée qui, en apparence, sera exprimée en 1975, dans l'une des séances sur Le sinthome, lorsqu'il dira que «l'existence du

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symptôme, c'est ce qui est impliqué par la position même, celle qui suppose ce lien de l'Imaginaire, du Symbolique et du Réel, énigmatique» [n° de la Bibl. Nationale 4 Dl MON 3217, p. 10]. A vec toutefois une différence considérable, qui risque pourtant d'échapper il s'agit de référer le symptôme non plus seulement à la vérité, mais encore au Réel; ce qui change profondément l'équilibre de la notion. Si la vérité fait plaisir, le Réel pousse au dépassement du principe de plaisir et tend à exiger la jouissance. Le symptôme devient alors un obscur message du Réel et, à titre de jouissance, il ne peut guère être interprété. Le passage de la conception du symp­tôme comme vérité au symptôme comme jouissance est net dans le livre VIII du Séminaire, qui met l'accent sur « les messages [que nous dirons] énigmatiques, ce qui veut dire des messages où le sujet ne reconnaît pas le sien propre» [SVIII, 149]. Lacan relève toutefois que «beaucoup de messages que nous croyons être messages opaques du Réel ne sont que les nôtres propres )) [SVIII, 149]. Mais l'essentiel est que, de message chiffré, le symptôme est devenu le moyen pour le sujet d'organiser sa jouissance. Il aime son symptôme plus que lui-même. La jouissance pénètre de toutes parts cette «satisfaction à l'envers» [SV, 320] et sa stratégie [SV, 473ss.] qu'est le symptôme. Traiter le symptôme comme signifiant, c'est aussi une façon de le « démédicaliser ». Non seulement parce que Lacan enseigne à ne plus être dupe de symptômes qui seraient prétendument typiques de la psychose ou de la névrose; mais dans le sens où l'auteur du Syn­thome peut écrire que « la femme est le symptôme de l'homme )) [p. 108] ; en ajoutant - ce qui confirme que, désormais, le symp­tôme est référé au Réel - que, par conséquent, l' homme ne peut être le symptôme de la femme; car le Réel ne connaît pas les symétries du Symbolique.

*** La démédicalisation du symptôme va si loin que, dans le texte qui traite expressément du sinthome, l'auteur considère l'usage litté­raire du langage - et particulièrement celui qu'en fait Joyce -comme un symptôme. Ce qui lui permet de le faire est précisément que, si toute invention est symptôme, tout symptôme est aussi inven-

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tion, événement irréductiblement singulier. L'ambivalence du symptôme et de l'invention trouve sa raison dans l'impossibilité de distinguer, dans le symptôme, ce qui surgit, de son surgissement même, le signifié du signifiant, la sublimation des pulsions sexuelles auxquelles on prétendait la « réduire ». Enfin le terme de la démédicalisation paraît atteint lorsque Lacan assigne la fin du processus analytique dans l'identification du sujet au symptôme; car il est ce qui fait exister, ce qui, au moins provisoi­rement, met fin à l'errance, permet d'éviter la folie en nous faisant choisir quelque chose plutôt que rien.

Voir Identification, jouissance, Réel, sexe, signe, structure, sublimation, sujet, Symbolique, tyché.

Transfert

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* Le terme est particulièrement intéressant à suivre dans son évolu­tion, à travers l'œuvre de Freud jusqu'à celle de Lacan, pour qui­conque philosophe sur l'affectivité. Le mot signifie d'abord chez Freud le déplacement de l'affect d'une idée à une autre, comme c'est le cas dans les philosophies classiques des passions (par exemple, chez Hume qui utilise beaucoup l'expression to transfer). Toutefois, plus tard, le terme désignera le «remplacement» par l'analysant d'une personne antérieurement connue par la personne de l'analyste, que cette relation soit dite positive (l'analysant développant des affects plutôt amoureux à l'égard de l'analyste) ou négative (par ses affects agressifs ou haineux) c'est encore avec ce sens que la théorie analytique reçoit le terme aujourd'hui où personne ne songe plus guère à traiter le transfert comme un inconvénient de la cure, mais où il est considéré comme un repérage fondamental de l'analysant (qui peut, par son moyen, confronter son histoire au présent de ses relations avec l'analyste, ou se figurer« répéter» avec lui les relations qu'il a eues avec d'autres personnes). Le point majeur, mais paradoxal, que Lacan voit à travers la notion de transfert, qu'il estime être toujours en crise [SXI, 147], c'est qu'elle permet de se débarrasser le plus possible de la notion

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d'affect «Le transfert ne ressortit à aucune propriété mystérieuse de l'affectivité, et même quand il se trahit sous un aspect d'émoi, celui­ci ne prend son sens qu'en fonction du moment dialectique où il se produit» [Écrits, 225]. En d'autres termes, Lacan traverse le carac­tère imaginaire des sentiments pour atteindre les éléments structurels de la relation intersubjective. L'essence du transfert est symbolique, non pas imaginaire. Ce qui importe, ce n'est pas que l'analysant aime ou n'aime pas le psychanalyste, c'est le rôle dont il l'investit à un moment privilégié du processus de la cure essentiellement celui de détenteur du savoir de ce qu'il en est pour lui. Le transfert peut être interprété comme une stratégie de l'analysant pour s'approprier ce savoir censé être détenu par l'analyste. Il ne s'agit pas, contrairement à ce qu'on pourrait s'imaginer, de rejouer avec l'analyste, fût-ce sur un mode imaginaire, des situations qui ont eu lieu naguère «Le transfert n'est pas, de sa nature, l'ombre de quelque chose qui eût été auparavant vécu. Bien au contraire, le sujet, en tant qu'assujetti au désir de l'analyste, désire le tromper de cet assujettissement en se faisant aimer de lui, en proposant de lui-même cette fausseté essentielle qu'est l'amour» [SXI, 282]. Il ne s'agit pas d'être dupe des sentiments au moment où l'on décrit le cœur de l'analyse même dans le transfert, « aimer» reste toujours « essentiellement vouloir être aimé» (ainsi que l'ont toujours su les moralistes qui, comme Pascal, ne voyaient dans l'amour que le jeu de la séduction). D'ailleurs pourquoi l'analysant serait-il davantage dupe de son amour dans la relation de transfert que dans toute autre relation? Il est moins dupe de sa stratégie de séduction que de sa croyance que ce qu'il veut, c'est savoir.

** Le transfert est donc lié, non pas tant à l'illusion de l'amour qu'à celle qu'il existe des sujets qui savent «Dès qu'il y a quelque part le sujet supposé savoir [ ... ], il y a transfert» [SXI, 258]. Dès lors, l'analyste, s'il n'est pas celui qui sait, « tient [au moins] la place, pour autant qu'il est l'objet du transfert », « du sujet supposé savoir» [SXI, 258-259]. Ainsi l'analyste est-il constitué en maître; or la fina­lité de l'analyse est de récuser cette maîtrise, de faire comprendre à l'analysant que c'est lui qui sait et que l'analyste, qui est censé

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savoir, doit simplement amener l'analysant à dire, de son désir, les paroles qu'il aurait dites lui-même, celles «mêmes dans lesquelles il reconnaît la loi de son être» [Écrits, 359]. La fin de l'analyse n'a rien de triomphal, tant du côté de l'analysant que du côté de l'ana­lyste lui-même, qui s'efface, et dont le désir est devenu déchet. Il y a plus comment est-il possible que nous fassions confiance à l'analyste? « Quel crédit pouvons-nous lui faire de le vouloir, ce bien, et qui plus est, pour un autre? » Comment peut-on désirer qu'advienne le désir d'un autre et, ce crédit une fois accordé, quel autre crédit peut-on faire d'une « certaine infaillibilité de l'analyste» [SXI, 260] ? Cette double confiance se distingue de la suggestion parce que l'analyste ne prend ni n'exerce le pouvoir qui lui est conféré par le transfert. Il conduit délibérément le sujet vers un maître qui se tient au-delà de lui, l'analyste, et qui n'est autre que la mort, ce maître absolu. Il s'agit donc d'amener l'analysant à « subjectiviser sa mort» [Écrits, 348] et de le faire en passant par un savoir de l'analyste dont la première propriété est de savoir ignorer ce qu'il sait [Écrits, 349]. D'ailleurs, ce n'est pas là feinte d'une fausse modestie puisque le savoir de ce que l'analysant tient pour réel, imagine, symbolise, n'est jamais su par l'analyste que sur le mode de la méconnaissance. Loin de savoir, le psychanalyste ne doit­il pas lui-même partir du présupposé que c'est l'analysant qui sait d'une certaine façon ce qu'il est en train de dire?

*** Le transfert n'est donc, au bilan, «rien de réel dans le sujet, sinon l'apparition, dans un moment de stagnation de la dialectique analytique, des modes permanents selon lesquels il constitue ses objets» [Écrits, 225]. Il est une fiction qui, finalement, ne dupe per­sonne, mais une fiction utile «Qu'est-ce qu'interpréter le transfert? Rien d'autre que de remplir par un leurre le vide de ce point mort. Mais ce leurre est utile, car même trompeur, il relance le procès» [id.]. Le but de l'analyse comporte toutefois nécessairement la déception de ce leurre. Il serait grave que le psychanalyste profite du transfert pour fixer ce qui doit être tenu pour réel et faire à la place du sujet les partages qui sont les siens. C'est le moment le plus cri­tique de l'analyse qui est saccagé par ceux qui pensent que le trans-

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fert est une sorte d'« alliance avec la partie saine du moi du sujet» et que l'analyse « consiste à faire appel à son bon sens pour lui faire remarquer le caractère illusoire de telle de ses conduites à l'intérieur de la relation avec l'analyste. C'est là une thèse qui subvertit ce dont il s'agit, à savoir la présentification de cette schize du sujet, réalisée ici, effectivement dans la présence. Faire appel à une partie saine du sujet, qui serait là dans le réel, apte à juger avec l'analyste ce qui se passe dans le transfert, c'est méconnaître que c'est justement cette partie-là qui est intéressée dans le transfert» [SXI, 147].

Voir Désir, Imaginaire, interprétation, méconnaître, mort, pulsion de mort, signe, sujet, structure, Symbolique, trou.

Trou

* Une constante de la topologie .lacanienne, c'est-à-dire de la construction d'espaces pour rendre compte des relations qui consti­tuent le psychisme, c'est la mise en évidence de trous. Certes, le corps est lui-même percé de trous et Eryximaque, le médecin mis en scène par Platon dans le Banquet, avait parfaitement exprimé que la médecine, qui est toujours par quelque côté médecine de l'amour, était un savoir des remplissements et des évacuations par ces trous. Lacan en reprend volontiers le thème dans Le sinthome, lorsqu'il fait du trou auditif le plus important des orifices « parce qu'il ne peut pas se boucher, se clore» et ouvre le corps à ce qu'il appelle, d'une notion généralisée, « la voix» [p. 8]. Mais la topologie lacanienne est aussi peu « réaliste» que l' analysis situs leibnizienne et elle met en jeu toute sorte de «troUS» psychiques, qui paraissent généraliser l'usage qu'en faisait la phénoménologie sartrienne. C'est ainsi que le Symbolique est finalement compris comme un trou dans le Réel. «La méthode d'observation ne saurait partir du langage sans admettre cette vérité principielle que, dans ce qu'on peut situer comme Réel, le langage n'apparaisse comme faisant trou. C'est de cette notion, fonction de trou, que le langage opère sa prise sur le Réel» [Le sinthome, p. 21]. Le langage n'est donc pas un message, à proprement parler, puisque sa fonction est de trouer le Réel. Il en va

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de même de la vérité «Il n'y a de vérité comme telle possible que d'évider le Réel ». Le nœud borroméen, qui unit le Réel, l'Imaginaire et le Symbolique, est finalement compris comme s'articulant autour d'un trou, d'un manque fondamental de trois éléments hétérogènes. Ainsi le trou est-il le lieu de l'inconscient; on ne s'étonnera pas qu'il prenne autant de figures, du manque dans l'Autre à la fonction de signifiant.

Voir Béance, Imaginaire, Réel, scène, signe, Symbolique, vérité.

Tyché, tUX'll, Chance

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* Ce concept, qui désigne la chance, le hasard, est paradoxalement lié aux notions de nécessité et de destin, qui lui paraissent les plus contraires. On comprendra que, dans la mesure où ces termes contra­dictoires se côtoyaient, se recouvraient et presque se confondaient dans la tragédie grecque, la psychanalyse freudienne se soit particu­lièrement servie de celle-ci pour exprimer des nœuds événementiels typiques; et que la psychanalyse lacanienne, dans sa revendication du sens tragique de l'existence, soit allée jusqu'à construire, sous le signe d'Antigone, une éthique du désir.

** L'éthique du désir paraît s'opposer à l'éthique de la loi en ce qu'on ne voit pas d'emblée comment le désir pourrait devenir une implacable exigence; et pourtant le désir qui, longuement, nous fait tourner d'objet en objet, finit par nous faire comprendre, si nous le comprenons jamais, qu'il ne cherche que soi à travers les objets. Certes l'éthique du désir n'est pas l'éthique de l'autonomie, puisque c'est le désir qui fonde le sujet sans que l'inverse ne soitjamaispos­sible ; et pourtant l'éthique du devoir peut être entièrement reversée au bénéfice de l'éthique du désir. Nous nous sentons plus coupables de nos lâchetés et trahisons qui compromettent le désir que nous reconnaissons comme le nôtre, que des exactions que nous commet­tons à l'encontre de la loi morale, érigée au nom d'une autonomie que nous n'habitons pas. Le désir nous soumet à une loi plus terrible encore, puisque, loin d'excuser nos fautes en raison de l'autonomie artificielle à laquelle on les réfère, c'est notre vie qui se juge radica-

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lement elle-même par là, sans que nous puissions prétexter d'avoir été placés dans des circonstances impossibles ou trop difficiles. La loi morale kantienne permet encore que l'on puisse demander que nous soient accordées les conditions internes et externes de sa réali­satiùn; l'éthique du désir ne le permet pas. C'est là que nous trou­vons la tyché. L'éthique du désir ne se départit jamais d'un caractère événementiel et accidentel; mais elle ne permet pas non plus que nous divisions et marchandions la part de responsabilité qui nous revient et celle qui relève de l'extérieur de nous, comme si le partage était facile à faire et pouvait, une fois pour toutes, être établi. Le désir fait constamment ce partage, mais il ne peut rejeter hors de sa res­ponsabilité ce qu'il n'a pas voulu. La limite de notre responsabilité ne s'arrête pas au désir dont nous sommes étroitement conscients; ce que nous voulons inconsciemment est aussi nous-mêmes, quand bien même nous ne le reconnaîtrions qu'à travers le miroir des événe­ments aléatoires qui ne nous ressemblent pas d'emblée ou qui, du moins, paraissent ne pas nous ressembler. Il existe un point de vue pour transformer ce qui paraît être une chance ou un hasard chao­tique en tracé parfaitement déterminé, encore que sans finalité, de notre destin. Il ne faudrait pas croire que cet héroïsme fût si excep­tionnel la moindre compagnie d'assurances et les lois civiles et pénales savent nous rappeler que nous pouvons être responsables, être tenus et nous tenir pour responsables de fautes que nous n'avons pas commises volontairement, mais qui n'en sont pas moins ce que nous avons fait et qui doivent être reconnues comme tel. La morale commune s'est montrée, en cela, plus sage que la morale kantienne elle a pris la mesure de la division du moi et elle l'a acceptée. La morale kantienne ne parvient à l'accepter qu'en recourant à une foi faite de l'espérance que les conditions de vie ne nous soient pas rendues trop dures. Kant demande encore une protection symbolique contre les hasards de l'existence. Ce n'est pas le cas de Lacan, qui demande à l'existence en éthique de se grandir au point de revendiquer, comme s'il se fût agi de nous, ce qui paraît nous arriver. L'éthique en doit être une de l'être et du Réel; elle ne saurait viser ni à nous protéger contre l'existence, ni à demander cette protection.

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C'est ainsi que, dans le livre XI du Séminaire, au chapitre V, Lacan, assimilant l'automaton à l'ordre symbolique, lui oppose la tyché, qui est de l'ordre du Réel et qui, dans sa « rencontre du réel» (comme Lacan en propose la traduction chez Aristote), peut être vécue comme un traumatisme, quand elle cesse d'être le simple manque de }' automaton.

*** Il serait bien tentant de rapprocher l'éthique lacanienne du désir de l'éthique qui apparaît chez Bernard Williams lorsque, sans se soucier de Lacan d'ailleurs, il met néanmoins, comme lui, par exemple dans La honte et la nécessité, la tyché au centre de l'éthique. En tout cas, dépassons-nous nettement, avec B. Williams, l'assez faible définition que Lacan donne du héros comme celui « qui peut impunément être trahi» [SVII, 370].

Voir Culpabilité, désir, loi, Réel, sujet, Symbolique.

Vérité

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* La vérité en psychanalyse est évidemment la vérité du désir qu'il s'agit de saisir à travers les masques et constructions erronées et mensongères qui le recouvrent ou le rendent méconnaissable. L'ana­lysant ne dit pas la vérité sur son désir; il peut même avoir le senti­ment de tromper son analyste. Mais à l'analysant qui lui dit «Je te trompe », l'analyste peut répondre «Dans ce '~e te trompe", ce que tu envoies comme message, c'est ce que moi je t'exprime, et, ce fai­sant, tu dis la vérité» [SXI, 157]. L'analyste se sert de ces «mensonges» et «masques» pour faire que l'analysant construise la vérité. Car la vérité de l'analyse, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, n'est pas une réminis­cence; elle n'est pas un ressouvenir ou une découverte elle est de l'ordre de la construction. Toutefois une construction peut, elle­même, être vraie ou fausse, même si elle ne consiste pas en quelque adéquation du discours et de son objet. Lacan a dit, à plusieurs reprises, dans un style benthamien, que « la vérité a structure de fic­tion» et que c'est de la réalité qu'elle recevait cette marque [Écrits, 808]. Comment pouvons-nous dire le vrai autrement qu'en construi-

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sant des fictions? Si une première proposition dit une réalité et si l'on veut dire la vérité de cette proposition, on ne le fera que par une proposition qui s'éloigne de l'objet sur lequel portait la première proposition. Mais l'idée de Lacan, depuis le départ, du moins depuis le premier livre du Séminaire, est que la psychanalyse doit tendre à une expression mathématique qui évite les difficultés de la méta­langue, comme elle est explicite dans les Écrits «Tout ce qu'il y a à dire de la vérité, [c'est] qu'il n'y a pas de métalangage, que notre langage ne saurait dire le vrai sur le vrai, puisque la vérité se fonde de ce qu'elle parle, et qu'elle n'a pas d'autre moyen pour ce faire» [Écrits, 867-868]. Après avoir souligné que les progrès de l'esprit humain relèvent, en mathématiques, « de l'ordre symbolique », non pas « de la puissance de pensée de l'être humain », il ajoute que le psychanalyste est « dans une position de nature différente, plus diffi­cile ». «Mais c'est seulement dans la mesure où nous arriverons à formuler adéquatement les symboles de notre action que nous ferons un pas en avant» [SI, 303]. De même que Bentham jouait sa philo­sophie utilitariste sur les calculs de plaisirs et de douleurs, de même Lacan est-il très proche de jouer sa doctrine sur la valeur de la Sym­bolique qu'il échafaude. Bentham a échoué dans son projet et son discours est resté philosophique; Lacan est-il mieux parvenu à réali­ser le sien ? Certes, devant l'affirmation insistante que « la lettre tue, qu.and l'esprit vivifie », les Écrits ne cessent de demander « comment, sans la lettre, l'esprit vivrait. Les prétentions de l'esprit pourtant demeureraient irréductibles si la lettre n'avait fait la preuve qu'elle produit tous les effets de vérité dans l'homme sans que l'esprit ait le moins du monde à s'en mêler» [p. 509]. Lacan ne s'est pas contenté de promouvoir le symbolique, contre la « pensée» ; il a voulu que ce symbolique prenne forme mathématique. La psychana­lyse ne vise nullement le statut de critique de la philosophie critique, de critique au carré, comme on a osé l'écrire; il ne s'agit nullement, pour elle, de dire la vérité sur la philosophie, moins encore la vérité sur le vrai [Écrits, 867] en ce sens, si la psychanalyse et la philosophie ont à dialoguer ensemble, elles n'ont pas à se confondre l'une avec l'autre ou à se substituer l'une à l'autre.

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* * En l'occurrence, sur la question de la vérité, autant il est néces­saire de laisser la psychanalyse dire ce qu'est le vrai et d'en tenter la genèse comme de toutes les autres valeurs ou notions, autant il serait absurde d'attendre d'elle le dernier mot sur ces questions. Mais, et c'est bien le point où la philosophie reçoit une humiliation de la part de la psychanalyse, la psychanalyse n'attend pas d'elle non plus le dernier mot.

Voir Mathématiques, signe, Symbolique, transfert.

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Bibliographie

[portant l'indication des abréviations utilisées dans le présent vocabulaire]

Œuvres de Lacan citées dans le vocabulaire:

o De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, suivi de Premiers écrits sur la paranoïa, Paris, éd. du Seuil, 1975.

o Écrits, Paris, éd. du Seuil, 1966 (Abr. Écrits, suivi du n° de la page) o Le Séminaire de Jacques Lacan (Abr. S, suivi, en caractères romains, du

n° du volume, quand il est publié, et du n° de la page en chiffres arabes) - Livre 1 Les écrits techniques de Freud, 1953-1954, Paris, éd. du Seuil,

1975. Livre II Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la

psychanalyse, 1954-1955, Paris, éd. du Seuil, 1978. - Livre III Les psychoses, 1955-1956, Paris, éd. du Seuil, 1981.

Livre IV La relation d'objet, 1956-1957, Paris, éd. du Seuil, 1994. - Livre V Les formations de l'inconscient, 1957-1958, Paris, éd. du Seuil,

1998. Livre VII L'éthique de la psychanalyse, 1959-1960, Paris, éd. du Seuil,

1986. - Livre VIII Le transfert, 1960-1961, Paris, éd. du Seuil, 1991. - Séminaire, 1961-1962, L'identification, éd. hors commerce, lisible à la

Bibliothèque nationale sous le nO L1.9 M3 34 et le n04-R-16853 (1961-1962, 1,2).

- Séminaire, 1962-1963, L'angoisse, 2 vol. Paris, éd. du Piranha, 1982. Le texte est lisible à la Bibliothèque nationale sous le n° 4-R-16583 (1962-1963, 1,2).

Livre XI Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1964, Paris, éd. du Seuil, 1973.

- Livre XVII L'envers de la psychanalyse, 1969-1970, Paris, éd. du Seuil, 1991.

- Livre XX: Encore, Paris, éd. du Seuil, 1999.

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• Le Sinthome, 1975-1976, éd. hors commerce, dactylographie lisible à la Bibliothèque nationale sous le n04 Dl MON 3217

• Conférences de Bruxelles, 1960. Le texte dactylographié - de la p. 1 à la p. 23 - est lisible à la Bibliothèque nationale sous le n° PIECE 4-Dl MON-561. (Abr. CB, suivi du n° de la page)

Dictionnaires en français et en anglais qui prennent en compte le vocabulaire lacanien:

• Chemama R. (sous la direction de), Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Larousse, 1993.

• Evans D., An Introductory Dictionary of Lacanian Psychoanalysis, London & New York, Routledge, 1996.

• Kaufmann P (sous la direction de), L'apportfreudien. Éléments pour une encyclopédie de la psychanalyse, Paris, Larousse, 1998.

Quelques textes qui s'intéressent aux rapports de Lacan et de la philosophie :

• Bibliothèque du Collège international de philosophie, Lacan avec les philosophes, (Actes du colloque tenu en août 1990 au Collège international de philosophie), Paris, Albin Michel, 1991.

• Cathelineau P.C., Lacan, lecteur d'Aristote, Paris, éd. de l'Association freudienne internationale, 1998.

• Cléro J.-P., Lacan et les philosophes, Actes du Colloque de Rouen, tenu sous le titre Lacan et la philosophie, en nov. 2001, Presses de l'Université de Rouen, à paraître en 2002.

• Cléro J.-P «Lacan, lecteur de Bentham », in L' Unebévue, École lacanienne de psychanalyse, 1999.

• Cochet A., Lacan géomètre, Paris, Anthropos, Economica, 1998. • Granon-Fafont J. La topologie ordinaire de Jacques Lacan, Paris,Point

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• Milner J.-C., L'œuvre claire, Paris, éd. du Seuil, 1995.

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• Moulinier D., De la psychanalyse à la non-philosophie. Lacan et Laruelle, Paris, éd. Kimé, 1999 .

• Ogilvie B., Lacan. Le sujet, Paris, PUF, 1987. • Ragland-Sullivan E., & Bracher M. (éditeurs du colloque tenu en mai 1988 à

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• Regnault F., Conférences d'esthétique lacanienne, Paris, Agalma, dif. Seuil, 1997.

• Roustang F., Lacan. De l'équivoque à l'impasse, Paris, Les éditions de Minuit, 1986.

• Sipos 1., Lacan et Descartes. La tentation métaphysique, Paris, PUF, 1994. • Samuels R., Between Philosophy & Psychoanalysis, New York & London,

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Sommaire

Angoisse 13 Barre ..................................................................................... 14 Béance - Déhiscence ............................................................. 16 La Chose, das Ding 17 Corps morcelé ....................................................................... 19 Culpabilité ............................................................................ 20 Demande ............................................................................... 21 Dénégation, die Verneinung ................................................. 22 D~ M Discours (les quatre) ............................................................. 27 Expérience ............................................................................ 29 Forclusion ............................................................................. 32 Frustration ............................................................................. 33 Identification ......................................................................... 34 Imaginaire ............................................................................. 36 Inconscient ............................................................................ 37 Interprétation ........................................................................ 38 Introjection 41 Inversion ............................................................................... 41 Jouissance ............................................................................. 42 Loi ........................................................................................ 43 Mathématiques ..................................................................... 45 Mécopnaître .......................................................................... 48 Mort - Pulsion de mort ........................................................ .49 Œdipe .......................... , ......................................................... 51 Principe de plaisir ................................................................. 53 Pulsion .................................................................................. 55 La réalité - Le réel ................................................................ 57 Scène ..................................................................................... 60 Sexe ...................................................................................... 62

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Signe ..................................................................................... 66 Structure 69 Sublimation .......................................................................... 71 Sujet ...................................................................................... 73 Symbolique ........................................................................... 77 Symptôme - Sinthome .......................................................... 79 Transfert 82 Trou 85 Tyché, 'tUXll, Chance ............................................................. 86 Vérité .................................................................................... 88

Aubin Imprimeur L1GUGÉ, POITIERS

Achevé d'imprimer en octobre 2002 N°d'impression L 64188 Dépôt légal octobre 2002 1 Imprimé en France