CO2 COMEDIE - Yves Garric

Yves Garric

CO2 COMEDIE

Yves Garric – CO2 Comédie

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Du même auteur

Théâtre pour les enfants : Le Trapoulaminet, neuf pièces pour enfants et adolescents ( La Librairie Théâtrale, Paris ) Théâtre de Nuages ( Fil d'Ariane, 1997 ), épuisé Le Marchand de Sable et son apprenti ( Les Ateliers du Tayrac, 2006 )

Contes et nouvelles : Paille, allumette, feu ( F.A.G., 1983 ) Les tigres de Cantagasse ( F.A.G., 1986 )

Témoignages-poèmes : Par ça notre ( F.A.G., 1981 )

Documentaires : L’Aveyron des cinq pierres ( Ed. Loubatières, « Terres du Sud », 1987 ) Les Gorges du Tarn ( Ed. Loubatières, « Terres du Sud », 1987 ) Paroles de burons (Ed. Fil d'Ariane, 2001 )

Théâtre : Une ferme en T.R.O.P. ( Ed. du Rouergue; Ed. Bouffonneries-Contrastes, 1987 ) Le quine de Viadène Perségol (1988 ) Cabridou and communication ... ou le patron médiatique ( Ed. Bouffonneries-Contrastes, 1988 ) L’épicerie (1994 ) Les Résistants de Jean-Petit-qui-danse ( Ateliers du Tayrac, 1996 ) Trial Fontaine ( Ed. Bouffonneries-Contrastes, 1991 ) Pastorale pour le Rouergue ( Ed. Loubatières, 1994 ) Lucienne, omnimal transgenicum ( Fil d'Ariane, 1999 ) La Palme du Vin ( Fil d'Ariane, 2004 ) Défi de filles (2007)

Télévision : Le coup des lapins ( 1990 ) Le site d'Yves Garric:

http://www.yvesgarric.com


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Yves Garric

CO2 COMEDIE

L'EPOQUE : Vers 2060, alors même que le changement climatique est accompli. On ne peut plus circuler au dehors qu'équipé d'un masque à oxygène. Et, on le découvrira au fur et à mesure de la pièce, la manière de vivre a bien changé. LES PERSONNAGES, par ordre d'entrée en scène : - STEVE PONSARDIN, le grand-père. Il va sur ses quatre-vingts ans. Il avait une vingtaine d'années en l'an 2000. Signe caractéristique : il est complètement gâteux. - ALYSON PONSARDIN, la grand-mère, épouse du précédent. Elle a sensiblement le même âge que lui. Elle a gardé sa vivacité d'esprit, sinon physique. On apprendra au hasard d'une réplique qu'elle a exercé la profession d'ingénieur. -ÉRWAN CLOUCADE, le petit-fils des précédents et le fils de Manuéla et Démosthène. Il a dans les vingt-cinq ans. Il est, à sa façon, globe-trotter. Pour des raisons qu'on découvrira, les polices du monde entier le recherchent. - JULES FILOCHARD, inspecteur à la Police Climatique. - MARILYS CROQUIGNOL, inspectrice à la Police Climatique : - MANUÉLA CLOUCADE, une cinquantaine d'années, fille d'Alyson et Steve, épouse de Démosthène, et mère d'Érwan. - DÉMOSTHÈNE CLOUCADE, le mari de Manuéla, père d'Érwan et gendre d'Alyson et Steve. Il est architecte en puits de carbone de son état ; plus


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exactement, il conçoit et réalise, pour le compte de la Société Internationale d'Assainissement des Fluides, des forêts destinées au stockage du CO2. Il est même l’inventeur des forêts à étages, pour optimiser au maximum l’assimilation du CO2. Il a deux grands rêves : recevoir la Citrouille d'Or, la plus haute récompense attribuée par le Ministère de l'Environnement aux pionniers de la lutte contre l'effet de serre, cette nouvelle croisade qui est au centre des préoccupations du temps ; passer cadre de première classe pour pouvoir disposer d’une voiture électrique en remplacement du triporteur avec «chauffeur» de maître auquel il a droit actuellement. Mais la situation de quasi ennemi public n°1 de son rejeton contrarie ces ambitions. - KIMBERLEY, une jeune Australienne de Sydney, même âge qu'Érwan dont elle est la petite amie. - une HÔTESSE DE L'AIR ou un STEWART. LE DECOR : Pour les deux premiers actes, la maison d'habitation des deux familles (qui n'en sont finalement qu'une) Cloucade et Ponsardin. Deux générations y vivent ensemble : les grands-parents Ponsardin, les parents Cloucade plus, occasionnellement comme on le verra, leur fils et petit-fils. L'action se déroule plus exactement dans la salle de séjour de cette maison. Sur la porte du vestibule, une pancarte avec cet avertissement : Attention ! Vous allez sortir de la zone oxygénée. Ajustez votre masque. On s'efforcera d'imaginer un décor qui suggère l'esprit, l'ambiance et les contraintes de cette époque où le gaz carbonique pollue à ce point l'atmosphère qu'on ne peut plus sortir sans masque à oxygène. On mettra au mur un ou plusieurs posters d'automobiles d'aujourd'hui. Pour l'acte III, l'intérieur d'un avion, un Airbus Super Eco A780, sur la ligne Paris-Mexico. Cet appareil de mille huit cents places est entièrement conçu pour économiser l'énergie.


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ACTE I

L'action, donc, se déroule dans la salle de séjour de la maison des deux familles - qui n'en sont finalement qu'une - Cloucade et Ponsardin.

SCENE 1

On entend, provenant des coulisses, la voix de Steve, le grand-père. Il crie à tue-tête, sénile et geignard, Je veux une voiture ! Je veux une auto !, sur un ton qui rappelle irrésistiblement la scène de l’oncle aliéné gueulant « Je veux une femme ! », en haut d’un arbre, dans le film « Amarcord », de Fellini. Après un court moment, il apparaît sur scène, claudiquant et s’appuyant sur une canne.

STEVE, toujours sur le même ton

Je veux une voiture ! Je veux une voiture ! Je veux une auto ! (Il va et vient sur scène, criant de plus en plus fort et de plus en plus geignard) Je veux une voiture ! Je veux une auto ! Tant et si bien que Alyson, l’épouse de Steve, finit par accourir, un volant d’automobile à la main.

ALYSON, tendant le volant à Steve qui s’en empare frénétiquement, avec des gloussements de satisfaction Tiens ! Tiens, mon pauvre homme ! La voilà, ton auto, la voilà ! Et ne fais pas tant de raffut ! (Par-devers elle) Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ça le prend de plus en plus souvent, maintenant ! Et quand il fait sa crise, on l’entend à l’autre bout de la ville ! Le vieillard reste un moment à examiner le volant sous tous les angles, le tournant et le retournant avec des airs de gourmandise. Il a même un sifflement d’admiration.

STEVE, à Alyson La Super Prima Galactica Citroën, la vedette du dernier salon !


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ALYSON, maugréant par-devers elle C'est ça, le dernier salon ! Il remonte à quand, le dernier salon de l'auto !

STEVE Alors là, ma chère Alyson, j’en rêvais ! (Il saute au cou de son épouse et l’embrasse avec effusion) Tu te rends compte : (reprenant son examen du volant) huit cylindres en ligne ! Carburateur à quadruple pipe d’admission, allumage thermonucléaire !

ALYSON, toujours par-devers elle Tout de même, que ça le reprenne pareillement sur ses vieux jours…

STEVE

Ça c’est de la bagnole !

ALYSON Quand ils ont définitivement interdit les voitures, l'année de la grande pollution, et qu'on avait dû l'hospitaliser d'urgence dans une maison de repos spécialisée, on avait bien cru qu'il ne redeviendrait jamais comme avant.

STEVE, qui continue à suivre son idée Je parie que je la monte à cent en moins de six secondes.

ALYSON Et puis il était sorti guéri. Les psychiatres nous avaient assuré qu'il n'aurait pas de séquelles.

STEVE Voyons un peu… Je mets le contact.

ALYSON Jusqu'à ses quatre-vingts ans, il n'a plus parlé de voiture, comme s'il n'avait jamais conduit. Du jour au lendemain, l'année dernière, ça l'a rattrapé. Maintenant, il se relève même la nuit pour réclamer un volant. A ce régime-là, il va finir par nous mettre tous sur les rotules.

STEVE, à Alyson Allez… tu viens, chérie ? On va l'essayer ?

ALYSON (Par-devers elle) Si je lui refuse, je vais avoir droit à une de ces scènes ! (A Steve) D'accord, d'accord, Steve, je t'accompagne faire un petit tour. (Faisant


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mine d'ouvrir la portière de l'auto fictive, côté passager, et de monter à côté de son mari) Mais tu me promets de ne pas foncer ! Tu seras prudent, hein !

STEVE (Faisant ronfler quelques secondes sur place le moteur de sa voiture fictive) Vroum ! Vroum!

ALYSON Tu commences ! Si tu dois faire le fou, je descends !

STEVE Vroum ! Vroum ! Vroum ! Attache ta ceinture. (Enclenchant la première) C'est parti ! Ils se mettent à tourner autour de la scène.

ALYSON La vitesse est limitée à cinquante, en agglomération.

STEVE Et un petit coup de cinquième ! Vroum ! Vroum ! Vroum ! Tut ! Tûûtt ! Ils tournent de plus en plus vite autour de la scène.

ALYSON (Par-devers elle) Il me crève, cet animal ! (A Steve) Tu vas te faire sucrer ton permis !

STEVE Là, on est sur l'autoroute. (Accélérant) Vroum ! Vroum ! Vroum !

ALYSON (Par-devers elle) Il va finir par me tuer ! Mon cœur n'y résistera pas.

STEVE Tenue de route impeccable ! Et quel confort ! Je la pousse encore un poil, pour la tester…

ALYSON Tant pis ! Je n'en puis plus. Je descends en marche. Joignant le geste à la parole, elle va s'affaler dans un fauteuil.


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Steve continue à "rouler" un moment sur la scène, avec forces changements de vitesse, "Vroum ! Vroum ! Vroum !" et "Tut ! Tut ! Tut !"

SCENE 2

Érwan, le petit-fils d'Alyson et Steve, entre sur ces entrefaites. Comme il arrive du dehors, il ôte le masque qui lui couvre le visage, le nez, la bouche, et qui est relié aux bouteilles d'oxygène qu'il porte dans une sorte de sac à dos. Il enlève également la perruque et la fausse barbe dont il est affublé, les lunettes noires qui lui dissimulent le regard. Il prend soin ensuite d'aller verrouiller soigneusement la porte d'entrée, comme un bruitage le laisse entendre. Après quoi, il va embrasser sa grand-mère.

ÉRWAN Bonne respiration, Mamie.

ALYSON, sur un ton de reproche dans la première partie de sa réplique Tu étais encore sorti, Érwan ? Bonne respiration à toi, mon garçon.

ÉRWAN C'est incroyable ce que la ville a changé depuis mon dernier... mon dernier "passage". Au fait... ils ont abattu les platanes des quais ?

ALYSON Ils étaient devenus énormes. Ils empiétaient sur la chaussée.

ÉRWAN Eh ouais... Trop bien nourris au carbone ! Suralimentés et victimes de l'obésité. Engraissés, comme des cochons en batterie, aux fumées polluantes. Phénomène bien connu. Mais je t'avoue que les quais sans ces arbres...

ALYSON Mon petit Érwan, tu es vraiment très imprudent. Tu ne devrais pas sortir ! Surtout pas, comme ça, en plein jour.

ÉRWAN, tout en embrassant de nouveau affectueusement sa grand-mère Ne te fais donc pas tant de mauvais sang, ma pauvre Mamie. Tu ne veux quand même pas que je me terre toute la journée dans ma cachette, comme un rat.


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ALYSON Qui te parle de rester enfermé dans ta... ta "chambre", j'aime mieux l'appeler comme ça. Mais nous préfèrerions que tu ne quittes pas la maison. Occupe-toi, ici. Lis. Regarde la télé. Mais ne va pas te mettre en danger à l'extérieur.

ÉRWAN, sortant ses perruque, fausse barbe et lunettes noires de la poche et les montrant à sa grand-mère

Avec ça, qui veux-tu qui me reconnaisse ? Mimique perplexe d'Alyson.

STEVE, s'arrêtant, avec son auto fictive, près d'Érwan Alors, tu passes ou tu dors, espèce de fossile encroûté ? Tu ne vois pas que tu as la priorité ? Y en a, je vous jure, qui feraient mieux de laisser leur bagnole au garage !

ÉRWAN, montrant son grand-père Dis donc, il n'est pas commode, Papi, aujourd'hui ! Si je comprends bien, ce n'est le moment de l'embrasser ! (Un léger temps.) Alors comme ça, il est toujours sur les routes à nous empoisonner un peu plus l'atmosphère ? Vague geste d'impuissance d'Alyson.

STEVE, chantonnant, sur l'air et le mode du tube bien connu, tout en continuant à "rouler"

Je ne reconnais plus personne en Super Prima Galactica Citroën…

ÉRWAN Tiens donc… Une "Super Prima Galactica Citroën", maintenant. C'est quoi encore, ce prototype-là?

ALYSON Je me demande effectivement où il va les chercher. A ma connaissance, cette voiture-là n'a jamais existé. Chaque jour il nous sort un nouveau modèle ou une nouvelle marque.

ÉRWAN Moi, le Papi, je le verrais plutôt dans un truc du genre… cabriolet Alzheimer grand luxe…

ALYSON Allons !


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STEVE, qui s'est arrêté en fronçant les sourcils

Il me semble que j'entends un bruit anormal, au moteur. Comme un cliquetis qui ne me dit rien de bon… Ça vient peut-être de l'allumage…

ÉRWAN, reprenant ...Cabriolet Alzheimer grand luxe avec allumage incontrôlé, radotage non assisté et toutes les loupiotes qui clignotent au tableau de bord !

ALYSON, à Érwan, sur un ton d'affectueuse et douloureuse réprobation Je t'en prie, Érwan !

STEVE, à Alyson Je pousse une petite pointe jusqu'à Rennes. Il faut que je fasse régler le moteur. Tu veux que je te rapporte quelque chose ? Vroum ! Vroum ! Vroum ! Il démarre en trombe et s'enfuit dans les coulisses.

SCENE 3

ALYSON, criant, à l'adresse de Steve Ne rentre pas trop tard. Et sois prudent sur la route.

ÉRWAN, sur le même ton Et si tu trouves en chemin un autre dingo dans ton genre, n'oubliez pas de faire un concours de tuyaux d'échappement !

ALYSON Érwan, je t'en supplie !

ÉRWAN, qui n'écoute pas sa grand-mère, sur un ton de colère grandissante, toujours à l'adresse de son grand-père

Faites à celui qui crachera le plus de merde de dioxyde de carbone à la con ! A celui qui empoisonnera le plus l'air de ses enfants, de ses petits-enfants, de ses arrière arrière petits enfants, jusqu'à la dixième, jusqu'à la centième, jusqu'à la millionième, jusqu'à la milliardième génération !

ALYSON, sur un ton suppliant Je te le demande : respecte ton grand-père ! Fais ça, au moins, pour moi !


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ÉRWAN, marchant lentement jusqu'à elle, et puis la contre- faisant, après quelques secondes de silence

Respecte ton grand-père ! Respecte le donc, ton grand-père, petit-fils indigne ! Inepte rejeton d'automobiliste ! Ô toi dont les poumons sont inaptes à respirer l'air de tes ancêtres ! Respecte-le, ton héroïque grand géniteur pollueur dérangé des voitures !

ALYSON Vous, les jeunes, vous ne pouvez pas comprendre. (Ton de révolte) Quand vous vous y mettez, votre attitude peut être parfaitement...

ÉRWAN, l'interrompant Parfaitement quoi ?... Pire que la vôtre, qui nous avez menés là ?

ALYSON Érwan, sincèrement, je crois qu'il va falloir qu'on parle...

ÉRWAN, sur le ton nasillard du perroquet de Zazie "Tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire..."

ALYSON, piquée Et en plus tu te moques de moi !

ÉRWAN Non, pas moi. Le perroquet de Zazie.

ALYSON, excédée Quel perroquet ? Et qui est cette... Zazie ?

ÉRWAN Tu ne connais pas "Zazie dans le métro", de Raymond Queneau ? Vague geste d'Alyson pour signifier que cette référence ne lui dit absolument rien.

ÉRWAN (A Alyson, mi-narquois, mi-affectueux) Mamie ! Pour quelqu'un qui a été un brillant ingénieur, comme toi... (Par-devers lui) Décidément, quelle génération d'incultes ! Même leurs classiques, ils ne connaissent pas. (Allant embrasser sa grand-mère) Mais je ne me moque pas de toi, mon petit canard en sucre. Je me sens juste un peu honteux de m'être mis si en colère et d'avoir été désagréable, comme chaque fois qu'on me parle de voiture. "Tu causes, tu causes, c'est tout


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ce que tu sais faire..." Je citais cette réplique fameuse du livre de Queneau... histoire de détendre l'atmosphère. (Parodiant Arletty) "Atmosphère, atmosphère. Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?"

ALYSON, qui affiche une tête de plus en plus ahurie Pourquoi tu me parles d'atmosphère ? C'est encore un de tes incessants reproches sur la pollution ?

ÉRWAN Nous n'en sortirons pas ! Je devrais pourtant être vacciné. Pas de plaisanterie autrement qu'au strict premier degré avec votre génération d'ignares diplômés qui avez perdu toute référence culturelle. Toi, ma Mamie adorée, comme les autres ! Je suis bien forcé de le reconnaître malgré toute la tendre affection que je te porte. (Il l'embrasse de nouveau) Heureusement que tu as d'autres qualités !

ALYSON Encore, si tu le reconnais...

ÉRWAN Donc, pour une fois, non, je ne te parlais de dioxyde de carbone. (Un léger temps) Tu n'as jamais vu et entendu Arletty dire son inoubliable "Atmosphère, atmosphère... " dans "Hôtel du Nord" ?

ALYSON Il y a longtemps que je n'ai pas été au théâtre... ou au concert. J'ignore qui est ton Arletty.

ÉRWAN, embrassant de nouveau sa grand-mère comme du bon pain Ma pauvre Mamie, il va falloir que je fasse ton éducation... (Un temps) Un jour, même, si tu veux, je t'emmènerai en voyage, avec moi, autour du monde !

ALYSON Ne dis donc pas de bêtises !

ÉRWAN, tout en continuant à la cajoler Tu n'aimerais pas voyager ? Je suis sûr que si ! Tiens, on commencera par les Pyramides.

ALYSON, rêveuse Les Pyramides...


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ÉRWAN

(Par-devers lui) Ouf ! J'avais peur qu'elle n'ait jamais entendu parler de l'Egypte et des pharaons... (A sa grand-mère, toujours avec beaucoup de tendresse) Et, puisque tu aimes les pyramides, on continuera par le Mexique. On ira voir le soleil se lever sur Cuzco.

ALYSON, toujours rêveuse Le Mexique, Cuzco...

ÉRWAN Je te ferai survoler la Cordillère des Andes. Tu l'imagineras… telle qu’elle était il y a une cinquantaine d'années encore, avec des glaciers étincelants comme des diamants…

ALYSON, fermant les yeux, et dans un souffle La Cordillère des Andes... Elle se met tout doucement à sangloter.

ÉRWAN, la serrant très fort dans ses bras Je t'emmènerai aussi au-dessus du Cercle Polaire. Je te garantis des aurores boréales à te couper le souffle.

ALYSON, tout en se mouchant et en essuyant ses yeux Quand nous nous sommes connus, avec Steve, nous avions plein de projets de voyages. A l'époque, c'était encore possible de se déplacer aux quatre coins du monde. N'importe qui pouvait prendre l'avion pour aller n'importe où... Et puis nous avons été accaparés par nos études, nos activités professionnelles… Nous avons juste eu le temps d'aller admirer les chutes du Niagara et de faire un safari photo en Afrique avant qu'ils prennent les nouvelles mesures.

ÉRWAN T'en fais pas, Mamie. Le monde est à tes pieds, avec toutes ses merveilles. (Il va l'embrasser, toujours aussi affectueusement) Un jour, je te le promets, tu rattraperas le temps perdu.

ALYSON (Avec un grand soupir) Tu sais bien que c'est impossible. (Sur un ton ferme) Et toi, il faut absolument que tu arrêtes. Tout ça est maintenant devenu trop dangereux. Avec tes parents, nous ne vivons plus.

Là-dessus, on sonne frénétiquement à la porte d'entrée.


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ALYSON, paniquée, à Érwan

Attention ! Prépare-toi à te cacher ! (Par-devers elle) Qu'est-ce que ça va être, ça, encore ! Érwan, manifestement aux aguets, se rapproche des coulisses sur la pointe des pieds

VOIX D'ALYSON, qui a pris son temps pour aller jusqu'à la porte, depuis le vestibule

Qui est là ?

UNE VOIX, forcément nasillarde, à cause du masque, de l'autre côté de la porte

Police du Climat. Ouvrez !

ALYSON, revenant dans la pièce et courant à pas feutrés jusqu'à Érwan, à voix basse

N'oublie pas de bloquer la porte de l'intérieur.

ÉRWAN, à voix basse également Ne t'inquiète pas, petite Mamie. Tu vérifieras que la tapisserie soit bien en place. Et si tu peux juste remettre le fauteuil devant...

VOIX DU POLICIER, accompagnée de coups sourds contre la porte Allons ! Ouvrez !

ALYSON, à Érwan Tu vas me faire mourir !

ÉRWAN, à Alyson, toujours à voix basse Tu fais comme d'habitude. Vous ne savez rien. Il y a trois ans que vous ne m'avez pas vu. Vous avez juste reçu une carte de Sidney, il y a six mois. Chaque fois tu es parfaite ! Ne te fais aucun souci : ils ne me trouveront pas davantage aujourd’hui. Il lui pose un baiser sur le front et disparaît dans les coulisses. Alyson le suit. On entend le bruit d'un fauteuil qu'on déplace discrètement.

VOIX DU POLICIER

Ouvrez ou nous enfonçons la porte !


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SCENE 4

ALYSON, allant ouvrir la porte en faisant mine de finir de rajuster sa robe, son pantalon ou son chemisier

J'arrive, j'arrive ! Irruption de deux policiers, un homme et une femme, dans la pièce. Ils enlèvent aussitôt leur masque respiratoire.

ALYSON, qui revient derrière eux, tout en continuant à faire mine de se rajuster En voilà, des façons ! Vous permettez quand même aux gens de se présenter aux visiteurs qui sonnent à leur porte en tenue décente ?

LE PREMIER POLICIER, mettant sa carte sous le nez d'Alyson Inspecteur Jules Filochard, du Service de Police Régionale du Climat. Et voici ma collègue, l'inspectrice Marilys Croquignol. Bonne respiration, Madame.

MARILYS CROQUIGNOL, exhibant également sa carte Bonne respiration, Madame.

ALYSON Madame, Monsieur... Bonne respiration. (Un léger temps) Qu'y a-t-il pour votre service ?

JULES FILOCHARD Nous venons pour un contrôle, Madame.

ALYSON, avec un soupir Des contrôles, des contrôles... Il ne se passe pas quinze jours sans qu'on nous contrôle ! (Un temps) D'habitude, c'est une autre équipe qui passe... Je ne voudrais pas dire, mais... vos collègues sont tout de même un peu moins "cow-boys" que vous... Sans répondre, les deux policiers s'avancent au milieu de la pièce. Et ils se mettent à l'inspecter du regard, d'un air soupçonneux.

MARILYS CROQUIGNOL, après un moment Dites donc... Vous chauffez, dans cette maison. On n'est pourtant pas encore au-


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dessous des cinq degrés de température extérieure et il n' y a eu aucun arrêté autorisant l'usage des calorifères.

JULES FILOCHARD, sortant un thermomètre de son sac Voyons... Il fait quinze degrés dans cette pièce. Vous ne me direz pas que c'est naturel.

MARILYS CROQUIGNOL, allant passer la main sur les radiateurs Les radiateurs sont froids. (A Alyson) Vous avez un radiateur électrique caché quelque part ? Ou un poêle à mazout ? L'autre jour, chez un habitant de votre quartier, nous avons saisi un poêle à charbon... Vous en avez peut-être un aussi ? (A Jules Filochard) Je me demande si nous ne sommes pas en présence d'une filière...

JULES FILOCHARD, à Alyson Si on s'en donne un peu la peine, en fouillant cette maison, on va peut-être tomber sur un stock de fuel ou de charbon ? Qu'est-ce que vous en pensez, chère Madame ?

ALYSON Que vous avez beaucoup d'imagination ! Je vous ferai remarquer que cette pièce est située plein Sud et qu'il y a eu du soleil tout cet après-midi. Sans compter que je viens de faire ma petite heure de gymnastique et que mon mari ne tient pas en place. Le tout ajouté...

MARILYS CROQUIGNOL Ouais, ouais... Vous êtes une véritable centrale thermique à vous seuls, il faut croire, dans cette famille. Et pour ce qui est de ne pas tenir en place... A propos, le globe-trotter de service, là, votre petit-fils, le fameux Érwan... vous avez des nouvelles ?

ALYSON, sur un ton de parfait détachement Il y a six mois, comme nous avons déjà eu l'occasion de l'expliquer à vos collègues qui sont venus nous interroger, il nous a vaguement envoyé une carte postale de Sydney.

JULES FILOCHARD Mais depuis... aucun signe de vie ?

ALYSON Non. Et d'ailleurs nous ne nous en portons pas plus mal. Parce que, hein, avec toutes ses histoires, il commence... Bref, il vit sa vie. Nous, on vit la nôtre.


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JULES FILOCHARD, à sa collègue Eh ben ! Bonjour l'ambiance, dans la famille !

ALYSON, poursuivant, sur le même ton détaché Mais vous pensez bien qu'il doit lire les journaux. Et qu'il se sait recherché par toutes les polices du monde. Alors, il a beau ne jamais avoir été très malin, sans doute qu'il se gardera de venir rôder dans la région.

MARILYS CROQUIGNOL Mouais... Vous savez qu' Interpol l'a localisé en Europe, il y a trois semaines ?

ALYSON, l'air très en colère En tout cas, qu'il ne s'avise pas de venir sonner ici. Vous pouvez croire qu'il serait bien reçu ! Avec tous les emmerdements qu'il nous attire. Vous, encore, aujourd'hui...

JULES FILOCHARD Selon nos renseignements, un jeune homme aurait été vu entrer chez vous, il y a quelques jours.

ALYSON (Eclatant de rire) Un jeune homme ? (A voix basse) Ecoutez, je vais tout vous avouer... Mais ne le répétez pas : mon mari pourrait le prendre très mal... Effectivement, j'ai un amant, un tout jeune, qui vient me voir dès que je suis seule. (A un niveau de ton normal) Je ne sais pas qui vous raconte ces salades. Mais comme homme un peu jeune qui vient dans cette maison, je ne vois que mon gendre, Démosthène, avec qui nous vivons. Si vous voulez l'attendre, d'ailleurs, il ne va pas tarder à rentrer de son travail.

SCENE 5

Là-dessus, arrivée de Steve, toujours pétaradant et klaxonnant à bord de sa voiture fictive.

STEVE, prenant Marilys Croquignol à partie Et alors, tu avances, dis, pisseuse ? Regardez-la moi, on croirait qu'elle conduit un camion. Si tu ne veux pas dégager, au moins, laisse doubler !

MARILYS CROQUIGNOL, interloquée Mais... mais... il m'insulte, ce connard !


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Il "double", tourne autour de la scène.

JULES FILOCHARD, sortant sa carte et le poursuivant Police, Monsieur !

STEVE Regarde-moi l'autre, avec son vieux clou, qui veut me dépasser...

JULES FILOCHARD Je vous préviens que nous allons dresser procès-verbal pour injure à officiers de police dans l'exercice de leurs fonctions !

ALYSON Ne faites pas attention, il n'a plus toute sa tête.

STEVE, à l'adresse de Filochard Hé, patate, tu te crois aux vingt-quatre heures du Mans ?

JULES FILOCHARD, l'air ahuri Les vingt-quatre heures du Mans... qu'est-ce qu'il veut dire ?

ALYSON C'était une course de voitures, dans le temps, à l'époque où les autos étaient autorisées à rouler et à disputer des compétitions.

JULES FILOCHARD Ah bon... Des compétitions de voiture...

MARILYS CROQUIGNOL Je ne vois vraiment pas l'intérêt. C'était une drôle d'époque, décidément.

JULES FILOCHARD Ouais... Ils ne savaient pas quoi inventer pour produire de ce putain d'oxyde de carbone qui nous fout la panique maintenant.

STEVE, venant s'arrêter devant Filochard et le prenant à partie Et ce connard, maintenant, qui se gare pile devant mon garage ! Hé, tu sais pas lire, espèce de sans-gêne, ou tu veux que je t'achète des lunettes ? M'en vais t'apprendre, moi, tu vas voir ! T'as trois secondes pour dégager ton tas de ferraille ou j'appelle la fourrière.

JULES FILOCHARD, à Marilys Croquignol


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Il a beau être gaga, le Papi, il commence à bien me chauffer les oreilles avec ses histoires de voiture !

MARILYS CROQUIGNOL Je t'avoue que moi non plus, je ne trouve pas sa chanson rigolote du tout.

ALYSON, à Steve Allez, gare-toi, maintenant. Et viens prendre ta tisane. Il accepte qu'elle le guide jusqu'à un fauteuil.

STEVE, à Alyson Trois-quarts d'heure ! Il ne m'a fallu que trois-quarts d'heure pour aller à Rennes. Ce moulin... une véritable horloge. Et quel confort ! On se croirait dans un lit...

JULES FILOCHARD C'est bien à cause de loustics dans son genre qu'on est dans le pétrin maintenant.

MARILYS CROQUIGNOL On en parlait l'autre jour, au service. Il y a de plus en plus de vieux de cette génération qui font des délires à l'automobile, comme ça.

JULES FILOCHARD Ben oui. Ce n'est pas étonnant. Il a fallu une loi pour les obliger à lâcher leurs putains d'autos puantes.

MARILYS CROQUIGNOL Le climat qui se détraquait autour d'eux, les orages, les tempêtes, les phénomènes extrêmes, les oiseaux qui crevaient, la mer qui montait et qui engloutissait des îles entières, les gamins qui crachaient leurs poumons, non, ça ne leur suffisait pas. Ils ne voyaient que leur auto, leur petite ou leur grosse auto. Aucun politicien n'osait les contrarier. "Les transports, cause numéro un des émissions de gaz à effet de serre…", leur gueulaient sur tous les tons les scientifiques. Mais non ! Ils étaient sourds. L'auto, c'était plus sacré que tout ! L'auto, fallait pas toucher !

JULES FILOCHARD, regardant Steve d'un air assassin L'arbre tombe toujours du côté où il penche. Ce vieux radoteur retrouve les délires qui l'ont nourri. (A voix basse, à Marilys Croquignol) Et quand, en plus, il m'insulte, je ne sais pas ce qui me retient de lui foutre mon poing sur la gueule.


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MARYLIS , sur le même ton Ouais... Moi aussi, il me dégoûte, cet automaniaque sénile...

STEVE, désignant Marilys Croquignol et Jules Filochard à Alyson Ce monsieur et cette dame sont des amis de l'Automobile Club. Ils sont venus pour essayer ma nouvelle voiture.

ALYSON Vous l'essayerez demain. Maintenant il faut que tu te reposes.

STEVE Érwan n'a qu'à les emmener faire un petit tour. (A Marilys Croquignol et Jules Filochard) Vous connaissez mon petit-fils ? Les deux policiers, subitement très intéressés, se rapprochent du vieillard.

JULES FILOCHARD Parce qu'il est là, votre petit-fils ?

STEVE Eh oui ! Bien sûr. Érwan est avec nous.

MARILYS CROQUIGNOL Ici, Papi ? Dans cette maison ?

STEVE Ben oui. Il est arrivé hier soir. Enfin, l'autre soir... Je ne me souviens plus.

JULES FILOCHARD Et en ce moment, il se trouve où ?

STEVE, désignant un point, devant lui Là, mais vous ne le voyez pas ? Vous êtes aveugles ou quoi ? Dans la voiture. Il vous attend. Allez-y. Montez...

MARILYS CROQUIGNOL (A Jules Filochard) Oui, bon, allez... (A Alyson) Pour le chauffage, cette fois, on passe l'éponge. Mais attention, hein. Ne nous prenez pas pour des imbéciles. Ils se rajustent le masque sur le visage et vont pour sortir. MARILYS CROQUIGNOL, se retournant avant de franchir le seuil, à Alyson

Au fait, si vous saviez quelque chose, à propos de votre petit-fils... On vous dit


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ça dans son intérêt, hein. A tout prendre, il vaut mieux que ce soit nous qui le cueillions. Parce que vous savez que, sur le plan international, il n'est pas loin d'être classé ennemi public numéro un. Dans certains pays disons... plus expéditifs que chez nous question démocratie, il ne manquera pas de policiers pour lui tirer dessus à vue, si l'occasion s'en présente. Je puis vous assurer que le genre de plaisanterie auxquelles il s'adonne ne fait plus rire du tout, au jour d'aujourd'hui ! C'est classé dans la catégorie des crimes.

JULES FILOCHARD Comme tout ce qui attente à l'intégrité de l’atmosphère. comme tout ce qui aggrave la pollution. Nous sommes entrés en guerre, ne l'oubliez pas. En guerre contre l'effet de serre. Il y va de la survie de l'humanité que nous remportions cette bataille-là.

ALYSON Bonne respiration !

MARILYS CROQUIGNOL et JULES FILOCHARD, l'un après l'autre Bonne respiration, Madame.

SCENE 6

Sitôt qu'ils sont sortis, Alyson s'empresse de refermer et de verrouiller la porte.

ÉRWAN, surgissant des coulisses Bravo, Mamie ! Quelle comédienne tu nous fais ! Il l'embrasse avec effusion.

ALYSON N'est-ce pas, pour quelqu'un de complètement ignare, comme moi...

ÉRWAN Molière aurait été fier de toi. Mais, évidemment, les gens de ta génération ne savent même pas qui est Molière... Le roi de la comédie !

ALYSON Ce genre de comédie, si tu permets, je préfèrerais ne pas avoir à le jouer trop souvent.

ÉRWAN Au fait... C'est inouï ! Tu as entendu comment s'appellent ces deux flics ? De ma


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cachette, j'ai eu un mal fou à ne pas exploser de rire.

ALYSON Je ne vois vraiment pas ce qui peut t'amuser dans les noms de ces deux policiers. En tout cas, moi j'ai passé un sale quart d'heure. Et tu n'es vraiment pas prudent de sortir de ta cachette si vite. Imagine qu'ils soient derrière la porte.

ÉRWAN, à voix basse Mais enfin, Mamie... Jules Filochard et Marilys Croquignol... ça ne te rappelle rien ?

ALYSON Rien du tout. Et je t'assure qu’en ce moment je n'éprouve pas la moindre envie de me marrer.

ÉRWAN Filochard, Croquignol... les Pieds Nickelés !

ALYSON Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire de pieds ?

ÉRWAN, par-devers lui Même les Pieds Nickelés, de Louis Forton, ils n'ont pas dans leurs bagages. Il n'y a plus qu'à tirer l'échelle.

ALYSON Je tremble encore à l'idée qu'ils aient fouillé la maison...

ÉRWAN Vingt fois, déjà, les flics sont venus la fouiller, la maison. Mais ce n'est pas pour rien que papa est un génial architecte. Jamais ils ne pourront découvrir la cachette qu'il m'a si astucieusement aménagée.

ALYSON Je voudrais en être aussi sûre que toi... (Elle soupire. Un temps. Consultant sa montre) Six heures, déjà. Tes parents vont arriver. Selon nos conventions, nous devons leur dégager la salle de séjour. A demain matin, Érwan (elle va l’embrasser). Inutile de te recommander de ne surtout pas sortir ce soir. Ce serait de la folie !

ÉRWAN, embrassant ses grands-parents


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Bonsoir Mamie, bonsoir Papi. (A songrand-père) On va maintenant sagement rentrer au parking.

ALYSON, entraînant Steve Allez... Comme il dit : au garage !

STEVE Je me demande si j'ai éteint les veilleuses.

ALYSON, à Steve Mais oui, mais oui, elles sont éteintes, les veilleuses. Le frein à main est bien serré. Et tu as fermé les portes à clef.

ÉRWAN Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. (Par-devers lui) A propos de monde, il est grand temps que je prépare le prochain tour que je vais en faire. Mon prochain tour du monde... au nez et à la barbe de toutes les polices. Alyson et Steve sortent.

SCENE 7

Érwan s'absorbe dans l'examen attentif d'une planisphère qu'il a apportée avec lui lors de son retour dans la pièce, après le départ des policiers.

ÉRWAN, soliloquant, penché sur sa carte, et suivant du bout du doigt les tracés qu'il évoque

Alors, cette fois, l'idéal serait de partir de Lisbonne.... et de faire escale... là où Interpol m'attend le moins... par exemple à Singapour ou à Pékin où j'étais il n'y a pas longtemps. Ils me cherchent plutôt sur mes plus anciennes destinations. Ils n'imaginent pas que je puisse revenir tout de suite sur mes pas. Tout l'art est de déjouer leur logique. A Pékin, j'envoie mon bonjour, assorti de ma photo, de ma signature et de mes empreintes digitales, à l'ambassadeur de l'Union Européenne. Mais mieux vaudra quand même qu'il ne reçoive ma lettre qu'une fois que je serai sorti de Chine. Pas question d'aller livrer moi-même l'enveloppe, comme j'avais cru spirituel de le faire la dernière fois, au Dahomey.

SCENE 8


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Là-dessus, arrivée de Manuéla, la mère d'Érwan et fille d'Alyson et Steve. Elle rentre du travail. Elle enlève son masque.

MANUÉLA , embrassant Érwan Bonne respiration, Érwan.

ÉRWAN Bonne respiration, maman.

MANUÉLA Je suis fourbue ! Le pic d'ozone a atteint des records, aujourd'hui. Il a fallu régler les masques sur huit et demi. Et en plus, j'ai failli tomber en panne d'oxygène. Je croyais avoir laissé une bonbonne de secours au bureau. Je me demande si on ne me l'a pas fauchée...

ÉRWAN "Ô tempora , ô mores !"

MANUÉLA Pardon ?

ÉRWAN Je disais : "Ô tempora, ô mores !"... Ça veut dire à peu près : "Quelle époque !", en latin.

MANUÉLA , fronçant les sourcils En quoi ?

ÉRWAN En latin. (Devant la mine de plus en plus perplexe de sa mère) Tu n'as jamais entendu parler du latin ? C'est une langue ancienne qui a donné, notamment, notre français.

MANUÉLA Où est-ce que tu as encore été chercher ça ? J'ai toujours entendu dire que le français venait de l'anglais, ou de l'américain, je ne sais plus.

ÉRWAN (Par-devers lui) On laisse tomber. (A sa mère) A part ça, en dehors du pic d'ozone et de la bouteille d'oxygène que tu t'es faite chourer, la journée a été bonne ?


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MANUÉLA Il y a encore eu un mort dans le bus, tout à l'heure. Une petite vieille a perdu son masque. Le temps qu'on le lui rajuste, elle était partie dans le coma. On n'a pas pu la ranimer. Hier c'est un gamin qui est mort devant moi. Je me demande ce qu'ils attendent pour mettre l'oxygène dans les transports en commun, comme à Paris.

ÉRWAN Décidément ! Tu n'as pas encore une bonne nouvelle à m'annoncer ?

MANUÉLA Que c'était une journée sans moteur, à cause, justement, du pic d'ozone. Et qu'il nous a fallu pédaler, dans le bus. J'ai les mollets en marmelade.

ÉRWAN, riant Quand je pense qu'au siècle dernier des scientifiques prévoyaient la disparition à terme des jambes, chez l'homme, faute d'exercice…

MANUÉLA Au chapitre des choses positives, tout de même... (Fouillant dans son sac) Attends... il faut que je te montre ça. En sortant du boulot, j'ai fait un petit détour par le brocanteur de la Place du Commandant Cousteau. Tu sais, celui qui est à l'angle de l'avenue de la Brise Marine et de la rue du Plein Poumon, là où ils ont construit le nouvel immeuble du Globule Rouge. Et regarde ce que j'ai trouvé ? (Elle sort de son sac une poche d'emballage en plastique. Elle le tient étalé devant elle et elle reste à le contempler quelques secondes en silence avec un air de profonde satisfaction… Poursuivant :) N'est-ce pas, qu'elle est magnifique ? C'est une authentique poche d'emballage en plastique de la toute fin du XXème siècle. Regarde : il y a marqué dessus "Prisunic". Je désespérais de mettre un jour la main sur une telle pièce. Les poches "Prisunic" sont devenues pratiquement introuvables. Surtout que celle-là est en parfait état. Et en plus, tiens, vois... il y a encore le ticket de caisse dedans, ce qui en augmente la valeur. J'ai pu l'avoir à un prix, disons, abordable.

ÉRWAN, tendant la main pour prendre la poche en plastique Voyons un peu cette merveille...

MANUÉLA Attention, hein ! C'est très fragile ! Un ongle qui dépasse et tu peux faire un accroc.


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ÉRWAN, tenant la poche devant lui (Par-devers lui) Authentique poche en plastique de la fin du XXème siècle issue de la pétrochimie polluante, empoisonnante, productrice de C02. Eh bien, moi, cette merde, j'en donne pas trois sous ! (A sa mère) Mouais... elle est magnifique en effet. Et elle me fait penser que... Un instant.... Je reviens... Il sort dans les coulisses. Manuéla va prendre un gros classeur dans un meuble.

ÉRWAN, revenant des coulisses et tendant une enveloppe à sa mère

J'ai oublié de te donner ce petit cadeau que je t'ai rapporté des Etats-Unis...

MANUÉLA , ouvrant l'enveloppe et en retirant une poche en papier Oh ! Par exemple ! Un emballage Mac Donald !

ÉRWAN Une authentique poche des années 1970. Et qui a servi. Tu peux même apercevoir des traces de ketchup à l'intérieur. Avec un peu d'imagination, tu as l'odeur en prime.

MANUÉLA Et avec le clown Ronaldo dessus ! Elle est absolument magnifique ! Tu es adorable ! (Elle l'embrasse avec effusion) Mais tu as dû faire des folies ? Une pièce pareille vaut une fortune chez les antiquaires d'ici !

ÉRWAN Quand on aime, ma petite maman, on ne compte pas. MANUÉLA , entreprenant de loger les deux nouvelles poches dans son classeur Pour le coup, ma collection de poches d'emballages prend de la valeur ! Déjà que j'ai plusieurs pièces rarissimes. Où est-ce que je vais loger celles-ci ? La poche Prisunic... je vais la mettre entre la toute dernière poche en plastique Leclerc, avant qu'ils se lancent dans les grandes poches payantes réutilisables, et la poche recyclable des Galeries Kangourou. La poche Mac Donald... voyons... elle ne serait pas mal avec la poche Harrod's spéciale deuxième millénaire. (Montrant cette page du classeur à Érwan) N'est-ce pas que c'est du plus bel effet ?

ÉRWAN Mais oui, maman, c'est très beau. (Par-devers lui) Je ne sais pas pourquoi mais ces poches m'évoquent irrésistiblement de ces consternants spectacles de marée noire comme on en voit sur les documents d'époque de la fin du siècle dernier.


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MANUÉLA Et toi, mon chéri, tu as passé une bonne journée ? Tu ne t'es pas trop ennuyé ? (Sans même attendre la réponse de son fils)J'espère, au moins, que tu n'es pas sorti ?

ÉRWAN, sur un ton et avec un air ambigus Enfin, maman !...

Là-dessus, on entend des bruits de porte d'entrée.

MANUÉLA Déjà ton père qui arrive ? (Très haut) C'est toi, Démosthène ? Grognement de Démosthène, derrière son masque respiratoire, depuis le vestibule.

MANUÉLA , consultant sa montre Pour une fois, il n'est pas en retard.

SCENE 9

DÉMOSTHÈNE, le mari de Manuéla et père d'Érwan faisant effectivement son entrée, et après avoir ôté son masque respiratoire d'un geste las

Bonne respiration ! Il jette masque et attaché-case sur la table ou sur un siège.

MANUÉLA Bonne respiration !

ÉRWAN Bonne respiration, papa ! De son même air las, Démosthène embrasse Manuéla puis Érwan.

MANUÉLA , à Démosthène Eh bien ? Tu as l'air sinistre ?

ÉRWAN, à son père Oui... Ça n'a pas l'air d'être la grande forme !


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Démosthène se laisse tomber dans un fauteuil avec un profond soupir.

MANUÉLA Avec ces pics d'ozone, tout le monde est plus ou moins sur le flanc.

DÉMOSTHÈNE, entre les dents M'en fous, des pics d'ozone ! (Un léger temps) Si ça pouvait en couper la respiration à certains... qui ne manquent pas d'air !

MANUÉLA Oh ! Toi, tu t'es encore attrapé avec Frimardel, au bureau !

DÉMOSTHÈNE Attrapé ?... Ça serait difficile d'attraper une anguille pareille ! (Un léger temps) D'ailleurs, il y a trois mois qu'on ne s'adresse plus la parole... et que je ne m'en porte pas plus mal.

ÉRWAN Eh ben... bonjour l'ambiance, au bureau ! Finalement, je me sentirais presque bien dans ma peau de clandestin professionnel.

DÉMOSTHÈNE, le foudroyant du regard Y en a, à mon avis, qui perdent des occasions de se taire.

MANUÉLA , à Démosthène Bon, alors, tu te décides à nous le dire, ce qui te met d’aussi excellente humeur ?

DÉMOSTHÈNE, d'un bloc, après avoir pris une bonne goulée d'air Frimardel a eu la citrouille ! Et il s'affaisse dans son fauteuil, complètement abattu.

MANUÉLA , qui manque s'étouffer Oh ! C'est pas possible !

DÉMOSTHÈNE Le chef du cabinet du ministre m'avait pourtant laissé entendre que je tenais la corde. A l'en croire, la Commission des Innovations avait été impressionnée par mon projet de forêts à étages...

ÉRWAN, explosant de rire Des forêts à étage ? Qu'est-ce que c'est encore que cette invention-là ?


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MANUÉLA , sèchement, à Érwan Ton père a mis au point des buildings de quatre cent mètres de hauteur dont les différents étages sont entièrement plantés en différentes essences d'arbres... Placées au coeur des villes, ces constructions feront office de puits de carbonne.

DÉMOSTHÈNE, enchaînant Elles auront pour but, autrement dit, d'absorber le C02 produit par les activités polluantes pour le fixer dans les arbres.

MANUÉLA , toujours sèchement, à Érwan Voilà, ce qu'il a inventé, ton père, pendant que tu... (Elle laisse sa phrase en suspens, d'un air entendu)

ÉRWAN, riant de plus belle Les voilà, les fameuses villes à la campagne dont parlait Alphonse Allais !

DÉMOSTHÈNE Alphonse Allais... connais pas ! C'est un architecte ?

ÉRWAN En quelque sorte... Un architecte en humour, du XXème siècle.

MANUÉLA , maugréant Architecte en humour... et qui construit des villes à la campagne ! Dans quel coin de la Planète tu as encore trouvé ça !

ÉRWAN, toujours rigolard J'espère au moins qu'on pourra aller y chercher des champignons, dans ces forêts à étages-là, contrairement à nos forêts traditionnelles où, depuis bientôt un siècle, les champignons sont rendus impropres à la consommation par la radioactivité. Au fait, papa, je ne doute pas que le brillant architecte de l'environnement de réputation internationale que tu es ait sérieusement réfléchi au problème. Mais je te pose la question quand même : comment tes arbres des étages inférieurs pourront-ils capter les rayons du soleil pour accomplir ce beau travail de photosynthèse sur lequel tu comptes et qui leur fera absorber le gaz carbonique de l'air pour rejeter cet oxygène qui nous fait si cruellement défaut ?

DÉMOSTHÈNE, piqué Ravi de voir que tu peux réfléchir, mon garçon... Ta question est effectivement pertinente. Elle touche même au cœur de mon invention, si je puis en toute modestie me permettre ce terme qui ne me semble pas usurpé. (Tout en parlant,


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il se lève, va chercher dans son cartable des documents qu'il met sous le nez d’Érwan) Figure-toi que, bien que n'ayant pas eu, comme toi, l'occasion d'aller m'instruire sur les cinq continents, je n'en connais pas moins le rôle de la lumière dans la croissance des végétaux en général et des arbres en particulier. Alors, j'ai imaginé pour ma forêt à étages des dalles en verre qui non seulement laissent passer les rayons du soleil mais, par effet de loupe, en accroissent l'effet et le rendement.

ÉRWAN, applaudissant Bravo ! Et que dit de cette idée originale ton patron, (grandiloquent) la fameuse Société Internationale d'Assainissement des Fluides, premier promoteur de puits de CO2 du monde, qui, si je me souviens bien, et sans vouloir être désobligeant, ne s'est pas gênée par le passé pour envoyer au panier un certain nombre de tes projets les plus imaginatifs, voire les plus révolutionnaires...

DÉMOSTHÈNE Le chantier de la toute première forêt à étages vient juste de démarrer à Mexico. Un autre est sur le point d'ouvrir à Singapour. La Société a vendu une dizaine de projets à Paris, New York, Londres, Melbourne, Tokyo... L'Allemagne, l'Italie, la Chine, l'Egypte ont pris des options. (Un léger temps) Peut-être obtiendrai-je un permis spécial pour aller visiter ce premier chantier de Mexico. Mais il semble que, avec l'augmentation récente de la pollution, les dérogations de déplacements aériens doivent devenir de plus en plus rares. A défaut, peut-être que tu iras te rendre compte pour moi, lors d'un de tes prochains voyages clandestins ?

ÉRWAN, avec un petit haussement d'épaules Qui sait ?

MANUÉLA , l'air paniqué Je vous en prie ! Vous ne me faites rire ni l'un ni l'autre ! J'ai encore lu l'autre jour dans le journal que le Comité Intergouvernemental de Lutte contre le Changement Climatique allait présenter un nouveau projet de loi pour juguler la délinquance dans l'environnement. (Se tournant vers Érwan) Ils vont taper, en particulier, sur la fraude au CO2.

DÉMOSTHÈNE J'ai effectivement entendu cette information à la radio. Certaines fautes qui étaient déjà assimilées à des crimes (se tournant, d'un air sinistre, vers Érwan) pourraient être classées désormais crimes contre l'humanité...

MANUÉLA , l'air paniqué


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Tu entends, Érwan ? Érwan se contente de hausser les épaules avec un air vague.

DÉMOSTHÈNE, poursuivant Ils seront féroces, en particulier, sur la question de l'avion. Les transports aériens sont considérés comme dramatiquement pénalisants pour la Planète. Leur usage sera encore plus limité qu'actuellement et strictement réservé aux cas de force majeure.

MANUÉLA , à Érwan qui s'est plongé dans la lecture de quelque livre ou revue, faisant semblant de ne pas écouter

Oh tu peux faire semblant de ne pas entendre !

DÉMOSTHÈNE, poursuivant La fraude aux transports aériens sera passible de la prison à perpétuité !

MANUÉLA , arrachant le livre ou la revue à son fils Tu entends, Érwan ? !

ÉRWAN Vous parliez, je crois d'une citrouille. Une citrouille que Frimardel aurait subtilisée à papa, si j'ai bien compris ?

MANUÉLA Je t'en prie ! Ne fais pas l'idiot. Tu as quand même entendu parler de la "Citrouille d'or" ?!

ÉRWAN, sifflant, toujours faussement candide Mazette ! Une citrouille en or ? Et qu'est-ce qu'il va en faire, l'ami Frimardel, de ce précieux légume ? A moins de se le transformer en carrosse...

MANUÉLA En carrosse ? Une citrouille ? Mais qu'est-ce que tu racontes, mon pauvre garçon?

ÉRWAN Ben oui... Comme dans Cendrillon.

MANUÉLA Cendrillon ?


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ÉRWAN

Oui. Cendrillon. De Perrault.

DÉMOSTHÈNE Qu'ès aco, Cendrillon ? Et qui c'est, ce Perrault ? Encore un de tes architectes de derrière les fagots ? Érwan se contente de lever les yeux au ciel.

MANUÉLA Ecoute, Érwan, ton père et moi, nous te trouvons de plus en plus bizarre...

ÉRWAN, coupant court à ses remontrances Il était une fois, dans une grande forêt à étages, en plein milieu d'une ville immense, un enchanteur nommé Merlin. Un jour, qu'il se promenait au cent cinquante-septième étage de la forêt, il arriva devant le palais tout en sucre et chocolat-praline de la Société Internationale d'Assainissement des Fluides. Deux princes vivaient là : un gentil, qui s'appelait papa ; un très méchant, du nom de Frimardel, qui faisait rien que d'embêter papa. En voyant arriver le vieil enchanteur, Frimardel ricana et se moqua de sa barbe blanche et de sa canne. Le bon prince, lui, eut pitié du vieillard. Il alla au-devant de lui, lui offrir un verre d'eau et un ballon d'oxygène. L'Enchanteur Merlin but et respira un grand coup. Et puis, il frappa le ballon d'oxygène avec sa baguette magique et le transforma en une bonne grosse citrouille tout en or qu' il voulut offrir au généreux prince inconnu pour le remercier de son noble geste. Mais, depuis le bureau voisin, l'ignoble Frimardel n'avait rien perdu de la scène. Il se précipita sur la citrouille d'or, se la mit sous le bras comme un ballon de rugby avant que les deux autres aient pu réagir, et il courut l'enfermer dans son coffre à la banque. L'affaire doit prochainement venir en appel devant le tribunal.

MANUÉLA (A Démosthène avec qui elle n'a cessé d'échanger des regards inquiets pendant la tirade précédente) Eh ben ! Tous ces voyages en avion... ça ne l'a pas arrangé ! (A Érwan) Tu ne le sais peut-être pas, animal, que la Citrouille d'or, c'est la plus haute récompense que décerne chaque année le Ministère de l'Environnement à l'auteur de la meilleure réalisation destinée à lutter contre l'effet de serre !

ÉRWAN, faussement naïf Et c'est Frimardel qui a eu la meilleure idée, cette année ?

DÉMOSTHÈNE, explosant


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Frimardel, la meilleure idée, laisse-moi rire !

ÉRWAN Puisqu'il a eu la Citrouille d'Or...

MANUÉLA , d'un air entendu Ah oui, alors, parlons-en...

DÉMOSTHÈNE Son plan, à Frimardel, c'est une tour à vers luisants ! Il affecte de s'étouffer de rire.

ÉRWAN Une tour à vers luisants ?

DÉMOSTHÈNE Ouais... Une tour sur les parois intérieures de laquelle est aménagé, du bas en haut, une sorte de grand vivarium dans lequel on élève des vers luisants. Ces insectes sont censés fournir assez de lumière pour éclairer tout l'édifice. Lumineux, non ? Il repart à se moquer de plus belle, avec un grand rire forcé.

ÉRWAN Effectivement, c'est original.

DÉMOSTHÈNE Complètement ridicule, oui ! Au stade de la maquette, ça peut encore marcher. Mais en grandeur réelle, je prédis à ce projet le plus retentissant des fiascos. (Un léger temps) Mais Frimardel est un beau parleur, lui. Frimardel ne recule devant aucun argument pour convaincre. (Léger temps) Sans compter que cette idée d'éclairage aux vers luisants, c'est moi qui la lui ai soufflée, un jour, pour plaisanter.

ÉRWAN Tu vois bien que ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée.

DÉMOSTHÈNE, se fâchant Je te dis que c'est ir-ré-a-li-sa-ble ! Tu penses bien que j'aurais moi-même concrétisé ce projet, s'il était viable. Avec ses bêtises, Frimardel va décrédibiliser la Société Internationale d'Assainissement des Fluides. Et nous tous avec. (Un léger temps) En attendant, il tient sa "Citrouille d'Or". Avec sa


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bonne gueule de faux-cul, il a su manoeuvrer auprès de qui il faut. Ce n'est d'ailleurs un secret pour personne qu’il a ses entrées au Ministère.

ÉRWAN, sur un ton déclamatoire "Vous l'avez eu par brigue, étant vieux courtisan !"

DÉMOSTHÈNE, à Manuéla Qu'est-ce qu'il raconte, encore ?

ÉRWAN Le Cid, acte premier, scène 1, Corneille.

MANUÉLA Va me dire en quoi il va encore être architecte, ce Corneille !

ÉRWAN, poursuivant sa déclamation Rodrigue, as-tu du coeur ? Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure !

DÉMOSTHÈNE, à Manuéla, tout en se tapotant le front avec l'index C'est de rester enfermé toute la journée, ou quoi ?

ÉRWAN Bon, tu ne veux quand même pas que j'aille te le passer au fil de l'épée, ce félon de Frimardel qui t'a piqué ta "Citrouille d'Or"...

DÉMOSTHÈNE (Haussant les épaules et par-devers lui) Au fil de l'épée ! Quelle curieuse idée ! On se demande où il va les chercher ! (A Érwan, de plus en plus sèchement) Je ne te demande pas de te mêler, ni de près ni de loin, de mes histoires avec Frimardel. J'aimerais simplement que tu quittes cet air ironique et que tu prennes mes emmerdes un peu plus au sérieux. Surtout quand elles sont de ta faute !

ÉRWAN De ma faute, à moi ?!

DÉMOSTHÈNE Parfaitement !

MANUÉLA


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Je t'en prie, Démosthène !

ÉRWAN Parce que c'est de ma faute à moi, si tu n'as pas eu la "Citrouille d'Or" ?!

DÉMOSTHÈNE, explosant Eh oui ! Eh oui ! C'est de ta faute à toi, si je n'ai pas eu la "Citrouille d'Or" !

MANUÉLA Démosthène, je t'en prie !

ÉRWAN Par exemple ! Celle-là, c'est encore la meilleure !

DÉMOSTHÈNE Parce que tu crois, peut-être, qu' ils ne font pas des recoupements, entre ministères ? Monsieur s'imagine que la police ne donne pas ses renseignements aux autres administrations ? Monsieur croit pouvoir faire le zigoto en prenant illicitement l'avion et en narguant les autorités de tous les pays de la Planète sans que cela ait des répercussions sur la carrière de ses proches !

MANUÉLA (A Érwan) Eh oui ! Je crois que tu ne réalises pas dans quelle situation tu mets ton père. (A Démosthène) Voyons, chéri, calme-toi !

ÉRWAN Moi, c'est moi. Mon père c'est mon père. Il ne doit pas y avoir confusion des genres !

DÉMOSTHÈNE Tiens pardi ! Ça, c'est la théorie ! Dans la pratique, c'est moi qui paie pour tes excentricités ! Et môssieur en rajoute, pour tout arranger. Môssieur prend un malin plaisir à poser devant les principaux monuments du monde entier, puis à envoyer les photos et les cassettes au Ministère de l'Intérieur et aux journaux, aux télévisions... Môssieur joue les voyageurs clandestins... Môssieur est devenu l'ennemi public numéro un de toutes les polices des frontières, de toutes les polices des aéroports... Môssieur fait rire dans les chaumières... Môssieur se fait appeler par les médias l'Arsène Lupin des avions, le gentleman resquilleur des transports aériens...

ÉRWAN, riant Ces surnoms me flattent. Mais ce n'est pas moi qui me les suis attribués.


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DÉMOSTHÈNE

Môssieur court clandestinement les cinq continents. Et pendant ce temps-là, son père piétine, toujours au même poste, dans son éternel petit bureau de médiocre chef de service...

MANUÉLA , à Érwan Il serait temps que tu t'en rendes compte.

DÉMOSTHÈNE Le chef de cabinet du ministre lui-même ne m'a pas caché, l'autre jour, à la remise de la "Citrouille d'Or"...

ÉRWAN Parce que tu étais à la cérémonie de remise ? Sur ton trente et un, je parie, et ton sourire le plus hypocrite aux lèvres...

DÉMOSTHÈNE Bien obligé, d'y assister, à cette saloperie de sauterie !... Je voudrais t'y voir, toi, à ma place...

ÉRWAN Oh pour moi, c'est sûr que ce serait tout vu ! Cocu et maso, c'est peut-être ton genre, pas le mien !

MANUÉLA , sur un ton sévère Je t'en prie, Érwan !

DÉMOSTHÈNE, à Érwan Ne détourne pas la conversation, je t'en supplie ! Le chef de cabinet du ministre donc m'a signifié clair et net qu'on s'était en très haut lieu absolument opposé à ma candidature. Le président de la République lui-même, d’après ce qu’on raconte, aurait exprimé son veto. Pas question de voir la Citrouille d'Or attribuée au père d'un délinquant (et je modère mes expressions) de ton espèce.

MANUÉLA , à Démosthène Dis-lui aussi pour ta première classe...

DÉMOSTHÈNE A quoi bon... (Se tournant vers Érwan) Si tu veux le savoir, et toujours pour les mêmes raisons, la promotion sur laquelle je comptais ferme pour ce mois-ci


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m'est encore passée sous le nez. Normalement, j'aurais dû être nommé cadre de première classe.

MANUÉLA Et les cadres de première classe ont droit à une voiture électrique de fonction au lieu du triporteur à pédales avec conducteur qui est affecté aux déplacements professionnels des cadres de seconde classe. (Un léger temps. Sur un ton de profond regret) Elle nous aurait bien arrangés, la voiture électrique...

ÉRWAN Tout cela est bien regrettable. Mais à chacun sa voie. La mienne est de contester à ma façon une société que vos générations ont rendue invivable.

DÉMOSTHÈNE Tu contestes quoi, au juste ? Et qu'est-ce que tu crois changer avec ces méthodes irresponsables ?

MANUÉLA Oui, qu'est-ce que tu crois changer ?

ÉRWAN, avec un soupir de lassitude Je vous ai déjà expliqué tout ça cent fois... (Un léger temps) En bravant, depuis une bonne dizaine d'années maintenant, les interdits sur les transports aériens, je dénonce l'hypocrisie d'une loi en apparence très rigoureuse mais qui permet encore à toute une nomenklatura de prendre l'avion comme si les textes ne s'appliquaient pas à elle.

MANUÉLA Drôle de façon que de dénoncer ce que tu pratiques toi-même...

ÉRWAN On pourrait effectivement me comparer à Gribouille...

DÉMOSTHÈNE Gribouille ?

ÉRWAN Oui, le Gribouille de la Comtesse de Ségur... Celui qui rentre dans l'eau pour ne pas se mouiller.

DÉMOSTHÈNE


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Gribouille, la Comtesse de Ségur... (A Manuéla) Tu connais, toi ? Moue de dénégation et de perplexité de Manuéla.

ÉRWAN Laissez tomber... (Un léger temps) Je veux dire que je soigne le mal par le mal, en quelque sorte. Le passager clandestin que je suis fournit aux médias des listes complètes et des photos des passagers tout à fait licites, eux, qui encombrent des vols intercontinentaux encore trop nombreux sans aucun motif recevable, du simple fait de leur situation privilégiée ou de leurs relations.

MANUÉLA C'est vrai qu'on entend sans cesse parler de restrictions sur les transports aériens. Et de sanctions aux contrevenants. Et qu'on voit toujours beaucoup d'avions nous passer au-dessus de la tête.

ÉRWAN Tout le monde est bien convaincu aujourd'hui que les transports aériens sont un moyen de locomotion excessivement néfaste pour l'ensemble de la Planète. Mais une classe de privilégiés persiste à croire que les restrictions ne la concernent pas. Sans parler de la pression du lobby des avionneurs qui encourage par tous les moyens les entorses à la loi.

DÉMOSTHÈNE Tu te crois plus fort que ces lobbies !

ÉRWAN Moi, non. Mais l'arme de l'humour que j'utilise, oui. La preuve en est cette popularité dont, sans forfanterie, je crois jouir auprès des médias.

DÉMOSTHÈNE En tout cas, je peux t'assurer que tu n'amuses pas les autorités.

ÉRWAN Ni les lobbies du transport aérien, je sais.

MANUÉLA A la première occasion, ils ne te louperont pas.

ÉRWAN Je le sais aussi. Et j'essaie de ne pas leur donner l'occasion de m'attraper.


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MANUÉLA Comment peux-tu vivre dans cette clandestinité, toujours sur le qui-vive ?

ÉRWAN Ben... il y a tout de même des compensations. Je fais partie des privilégiés qui visitent le monde.

DÉMOSTHÈNE En nous faisant respirer un peu plus de CO2...

ÉRWAN On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs...

MANUÉLA C'est de qui ce proverbe ? De la Comtesse de Ségur, d'Alphonse Allais ou de ce Corneille ?

ÉRWAN, subitement grave, presque agressif Si les générations qui nous ont précédé n'avaient pas abusé, nous pourrions tous profiter des merveilles du monde. C’est une simple question de partage, de limites, d’équilibre, de solidarité par-delà les frontières et les ans... (Un temps. A Manuéla et Démosthène) Rassurez-vous. Je ne compte pas m'incruster indéfiniment chez vous. J'apprécie votre hospitalité et je suis heureux d'être avec vous. Mais je suis bien conscient des problèmes que je vous pose. Le temps de préparer ma prochaine expédition et je reprends mon sac...

MANUÉLA Ici tu seras toujours chez toi. Et nous ne demandons qu'à te garder aussi longtemps que tu voudras.

DÉMOSTHÈNE Oui. Et tu seras toujours notre fils, quoi qu'il arrive. (Soupir) Nous assumons. Érwan les embrasse tous deux et il sort pour gagner sa chambre. Ou sa cachette, on ne sait.

MANUÉLA Cette voiture électrique, tout de même, quel dommage !

DÉMOSTHÈNE A qui le dis-tu !


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RIDEAU

ACTE II

Même lieu et même décor que l'acte précédent.

SCENE 1 Alyson et Steve disputent (fictivement, on s'en doute) un rallye automobile. Ils se tiennent côte à côte à l'avant-scène, face au public, les jambes légèrement fléchies. Ils sont affublés d'un casque. Steve, agrippé à son inséparable volant, est le pilote. Il remue la tête d'un côté à l'autre de manière saccadée pour observer la route qui défile devant lui à une allure vertigineuse et il gesticule, enchaîne virage sur virage, changement de vitesse sur changement de vitesse tout en imitant le son d'une voiture en course : changements de régime, mugissements du moteur, crissement des pneus, etc. Alyson, elle, joue le jeu du co-pilote, c'est à dire qu'elle fait semblant de consulter ses notes pour annoncer


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les virages à Steve.

ALYSON, sur le ton fébrile de circonstance Gauche, 80 !... Droite, 60, à fond !... Droite, 80 à fond ! Gauche, 90 puis droite 120 !, etc. etc.

STEVE Sur cette spéciale, on devrait mettre trois secondes dans le cul à William Moussarou !

ALYSON Droite 120, à fond !... Droite, 120 ! Attention, bosse ! Droite 80 ! Fourche à gauche 60 !

STEVE Je suis sûr qu'on a déjà repris deux secondes...

ALYSON Gauche, 80 !... Attention, bosse ! Droite se resserre !... Droite, 95 à fond !... Droite, 105 !... Gauche, 80 !...

STEVE Allez, allez ! Il nous la faut, cette putain de troisième seconde ! Il nous la faut !

ALYSON Droite, 110 !... Droite se resserre !... Gauche, 90 !...

STEVE Ce sont ces saloperies de pneus qui vont pas ! J'avais pourtant demandé à l'assistance des XZ PLUS 3000... Ils vont m'entendre, à l'arrivée !

ALYSON Droite, 120 !... Gauche 60, droite 100 !... Droite, 100 ! Droite se resserre !

STEVE Allez, allez ! Putain de moulin qui veut rien donner. On se traîne !

ALYSON Gauche, 80 ! Droite, 120 ! Et c'est la ligne !

STEVE C'est pas trop tôt !... (Il mime l'action de freiner, d'enlever son casque. A


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Alyson, fébrile) Combien, à ton chrono ?

ALYSON, faisant mine de consulter un chronomètre Six minutes, quarante-cinq secondes et six dixièmes... C'est pas mal, comme temps, non ?

STEVE Ce ne sera pas mal si William Moussarou est trois secondes en dessous. Bon. T'as le temps d'aller prendre une douche, si tu veux, avant la prochaine spéciale. Moi je file au stand me faire changer les pneus. Et je te prie de croire qu'ils ne vont pas avoir froid aux oreilles, à l'assistance ! Il "démarre" en trombe, en "faisant crisser les pneus".

ALYSON, demeurée seule, avec un sourire triste Et dire que nous avons fait ça pour de vrai... Pauvre Steve ! Son rêve était de devenir pilote professionnel. Il lui a quand même fallu cinq rallyes, trois voitures et deux côtes cassées, plus mon nez à moi en marmelade, pour s'apercevoir qu'il était mieux à sa place avec les spectateurs, sur le bord de la route. (Se laissant tomber dans un fauteuil) Mais qu'est-ce qu'on a pu en avaler, des circuits et des spéciales et des grands prix de ci, et des critérium de là ! Chaque année il prenait quinze jours de vacances pour aller voir passer le Monte-Carlo. Et cette crise qu'il n'a pas faite lorsqu'ils ont interdit les courses automobiles ! Là-dessus retentit la sonnette de la porte d'entrée.

ALYSON, interdite A cette heure-ci, qui ça peut bien être ? (Tout en se dirigeant vers le thermostat de la pièce) Sûrement encore un de leurs fichus contrôles-surprise pour voir si on ne dépasse pas notre quota de CO2... Ah ce CO2 ! On en aura entendu parler sur nos vieux jours ! Voyons ce que nous dit le thermostat (lisant le thermostat) : tout est normal. On se gèle en toute légalité. Et qu'est-ce que ça serait si on n'avait pas droit à notre petit supplément "vieillesse"de deux degrés ! (Nouveau coup de sonnette.) Et si je ne leur ouvrais pas ? (Léger temps) Ils seraient capables d'enfoncer la porte. (Léger temps) A moins que ce soit Érwan qui rentre et qu'il ait oublié sa clef ? Celui-là ! Pourvu qu'il n'ait pas la bonne idée d'arriver pile au moment où les contrôleurs sont là !

VOIX FEMININE OFF, à fort accent anglo-saxon, depuis le pas de la porte et avec l' "effet masque respiratoire"


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Bonne respiration, Madame.

VOIX D'ALYSON Bonne respiration, Mademoiselle. Vous désirez ?

VOIX OFF Puis-je entrer ?

ALYSON De toute façon, si ce n'est pas vous, c'est le CO2. (Réapparaissant) Et si je reste trop longtemps sur le pas de la porte sans masque, je risque de me retrouver aux urgences.

SCENE 2

Alyson est suivie par une jeune femme brune, de type hispanique très prononcé, qui porte un sac de voyage.

LA JEUNE FEMME, après avoir ôté son masque Je m'appelle Kimberley... Et vous, vous êtes la grand-mère d'Érwan ?

ALYSON, l'air soupçonneux Vous connaissez Ewan ?

KIMBERLEY Il m'a tellement parlé de vous ! Il vous adore ! (Un temps, pendant lequel elle fixe Alyson) Vous avez les mêmes yeux. Le même regard à la fois têtu et rêveur...

ALYSON

A mon âge, on est de moins en moins têtu...

KIMBERLEY , enchaînant, rieuse ... et de plus en plus rêveuse !

ALYSON (Par-devers elle) Ouais... Et c'est peut-être bien cette saloperie de C02 qui m'a


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rendue comme ça... Nous sommes devenus la génération esclave du C02. Le rêve, c'est tout l'oxygène sauvage qui nous reste pour nous permettre de respirer ... (A Kimberley) Vous ne m'avez toujours pas dit qui vous étiez...

KIMBERLEY Quand est-ce que vous nous accompagnez pour voir la Grande Pyramide ?

ALYSON Tiens ! Vous savez ça aussi ! (Un temps. Fronçant les sourcils) Que je vous accompagne, vous, en Egypte ?

KIMBERLEY Moi... et Érwan.

ALYSON Parce que vous aussi, vous...

KIMBERLEY Yes ! Enfin, il m'arrive, de temps en temps, de participer aux voyages clandestins d'Érwan.

ALYSON, mi-figue, mi-raisin Eh ben... félicitations ! (Un temps) Vous êtes sa...

KIMBERLEY Sa petite amie, comme vous dites en français, oui.

ALYSON Re- félicitations !

KIMBERLEY J'habite à Sydney. C'est là-bas que nous nous sommes connus. (Un temps) Permettez que je vous embrasse... (Elle joint le geste à la parole) Depuis qu’Érwan me dit tellement de bonnes choses sur vous, j'ai l'impression que vous êtes devenue ma propre grand-mère. Ma "Mamie", comme il dit, lui. Joignant le geste à la parole, elle embrasse Alyson avec effusion.

ALYSON

C'est ma foi toujours agréable de se découvrir une nouvelle petite-fille. Mais ce grand cachottier ne nous avait rien dit.

KIMBERLEY Sans doute pour des problèmes de sécurité...


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ALYSON

Donc, vous êtes australienne.

KIMBERLEY Oui. Et de descendants anglo-saxons... comme vous ne l'imaginez peut-être pas à première vue. Elle ôte alors la perruque très brune qu'elle porte et se découvre en blonde.

ALYSON Si je comprends bien, vous êtes venue clandestinement...

KIMBERLEY J'ai un excellent professeur.

ALYSON Et qui n'a pas si mauvais goût. Je vous trouve très jolie, vous savez... pour une blonde.

KIMBERLEY , fronçant les sourcils Comment ça, pour une blonde ? Pourquoi vous dites ça ?

ALYSON, riant Probablement parce que je suis brune. Et jalouse que vous m'ayez pris mon gentil petit-fils. (Serrant affectueusement le bras de Kimberley) Je plaisantais. Ne soyez pas vexée. C'était pour envoyer un petit coup de griffe au mythe éternel des belles femmes qui sont forcément blondes. Blondes aux yeux bleus, naturellement. (Scrutant, l'air inquisiteur, les yeux de son interlocutrice) J'espère que vous avez les yeux bleus ?

KIMBERLEY , riant Mieux que ça ! Si j'enlevais les lentilles de contact sous lesquelles je dissimule, pour mieux tromper la police, la couleur réelle de mes pupilles, vous vous rendriez compte que j'ai hérité d'un aïeul irlandais des yeux du plus beau vert.. Là-dessus on entend des bruits provenant de la porte d'entrée.

ALYSON Ah ! Je crois bien que voilà votre chevalier servant qui rentre de son petit tour clandestin en ville. (Soupir) Peut-être que vous, vous serez plus convaincante que moi et que vous arriverez à le convaincre que c'est très imprudent de sortir


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ainsi, comme il s'y risque quotidiennement dès que ses parents ont quitté la maison. Mais au fait... il sait que vous devez venir ? Il vous attend ? Nous, il ne nous a rien dit !

KIMBERLEY , à voix basse Non, non ! Il n'est au courant de rien. J'ai voulu lui faire la surprise. Mais pour qu'elle soit encore plus grande, on va la lui envelopper dans une petite mise en scène. Vite ! Cachez-moi !

ALYSON, poussant Kimberley dans les coulisses Alors, passez dans cette chambre. Et ne faites pas attention au désordre.

SCENE 3

ÉRWAN, entrant dans la pièce et enlevant son masque respiratoire Bonne respiration, ma petite Mamie chérie ! Il l'embrasse tendrement.

ALYSON Bonne respiration, mon grand. (Un temps) Ton affection pour ta vieille grand-mère me va droit au coeur. (Un temps encore. Soupir) Quel dommage qu'un garçon aussi tendre et aussi délicat que toi s'obstine à ne pas avoir une bonne amie !

ÉRWAN, tout en enlevant ses lunettes noires, sa perruque et sa fausse barbe Qu'est-ce que tu sais de ma vie intime, ma pauvre Mamie !

ALYSON Oh ! Je le sais bien que, tout à tes voyages, tu n'as pas le temps de regarder les jolies filles. Et que tu finiras dans la peau d'un vieux garçon. (Affectant de soupirer) Ça ne m'aurait pourtant pas déplu, d'être arrière-grand-mère. Érwan se contente d'éclater de rire.


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ALYSON, poursuivant Parfois je me demande si... si...

ÉRWAN, toujours riant Si quoi, ma bonne Mamie ?

ALYSON Si... si... Enfin, c'est délicat...

ÉRWAN Si je suis attiré par les femmes ? Hein, c'est ça, la question qui te tracasse ?

ALYSON Ben, c'est à dire...

ÉRWAN Et si des fois, n'est-ce pas, je ne préfèrerais pas...

ALYSON Tu sais, je suis prête à tout accepter. Du moment que tu es heureux...

ÉRWAN Eh bien, sans pouvoir te garantir un arrière-petit-enfant pour le futur proche, je t'assure que je suis parfaitement hétéro.

ALYSON Voyons... quel peut être ton type de femme ? Blonde ? Non, certainement pas. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne t'imagine absolument pas avec une blonde...

ÉRWAN, piqué Et qu'est-ce qui te permet d'être aussi formelle ?

ALYSON Mon intuition. Mon intuition de grand-mère qui a de l'expérience. (Se penchant vers lui, sur un ton de fausse confidence, avec une feinte gravité) Si je puis te donner un conseil, mon garçon, évite les blondes. Evite-les comme la peste. Surtout les blondes aux yeux verts.

ÉRWAN Tu n'aurais pas des préjugés, des fois, Mamie ? (Plissant brusquement les narines et humant l'air autour de lui) Tu sens ce parfum, Mamie ?


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ALYSON Un parfum ? Ma foi, non. Tu sens quelque chose, toi ?

ÉRWAN, de plus en plus troublé Il me semble... il me semble... (Un léger temps) Quelqu'un est venu, aujourd'hui ? Vous avez eu une visite ?

ALYSON Non. Qui veux-tu qui soit passé... (Un temps) Ah ! Mais j'avais oublié… (Se passant le dos de la main sur les joues puis la humant) C'est mon nouveau parfum que tu sens ! Il te plaît ? C'est ta mère qui me l'a offert…

ÉRWAN, rêveur C'est drôle...

ALYSON Qu'est-ce qui est drôle ?

ÉRWAN Rien, rien, Mamie. (Son regard tombe subitement sur le sac de voyage que Kimberley a laissé dans la pièce. A sa grand-mère, fiévreusement) C'est toi qui pars en voyage ?

ALYSON En voyage ? Quelle question ! (Un léger temps) Ah ! Tu veux parler de ce sac ? C'est ta mère qui l'a rapporté hier du Nouveau Baobab. Tu sais que ton père a espoir d'aller voir son chantier à Mexico... Et qu'il est en train de manoeuvrer pour l'emmener...

ÉRWAN, de plus en plus troublé, par-devers lui C'est curieux, tout de même...

ALYSON Quelque chose qui te chiffonne, Érwan ? Je te trouve très bizarre. C'est mon histoire de blonde aux yeux verts qui te reste en travers de la gorge, je le vois bien.

ÉRWAN, d'un air las Mais non, Mamie. Mais non... Qu'est-ce que tu vas encore t'imaginer !

ALYSON Hum !... Je te crois ! Je lis en toi comme dans un livre ouvert... (Un temps) Tu


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sais, les conseils des vieilles radoteuses dans mon genre, il faut en prendre et en laisser. Et après tout, si c'est une blonde aux yeux verts qui peut faire ton bonheur... (Un léger temps encore. Se penchant vers lui, sur un ton de confidence) Quand tu as un rêve dans la tête, penses-y. Penses-y fort. Très fort. Tu verras comme il se réalise. Érwan ferme alors les yeux, un moment. Quand il les rouvre, Kimberley se tient devant lui, souriante. Ils se jettent dans les bras l'un de l'autre.

ALYSON Je vous laisse. J'imagine que vous avez plein de choses à vous raconter.

KIMBERLEY Mais non, Mamie, vous n'êtes pas de trop !

ÉRWAN, au comble de l'émotion, et brandissant un index faussement menaçant en direction de sa grand-mère Toi ! Toi !

ALYSON Nous aurons l'occasion de reprendre toutes ces intéressantes discussions un peu plus tard. (A Érwan) Tes parents ne devraient pas tarder à rentrer. (A Kimberley) Je ne sais pas comment les choses se passent en Australie. Ici, la loi oblige les différentes générations de chaque famille à vivre sous le même toit.

ÉRWAN, à Kimberley Ben oui. Toujours ces histoires de limitation de la production de C02. Et en plus la proportion de personnes âgées est devenue telle, aujourd'hui, qu'il n'y a plus assez de travailleurs sociaux pour s'en occuper.

ALYSON Autrefois, nous avions des maisons de retraite pour les personnes âgées. Maintenant, chaque famille garde ses vieux.

KIMBERLEY Mais ce n'est pas plus mal, non ? Surtout quand on a la chance d'avoir une Mamie comme vous à la maison.

ALYSON Ouais... En tout cas, c'est une question d'organisation. Et de répartition de l'espace. Mon mari et moi avons l'usage de cette pièce de huit heures à dix-huit heures. Nous pouvons en disposer comme nous l'entendons, y compris pour y disputer des rallyes automobiles si ça nous chante.


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KIMBERLEY , qui ouvre de grands yeux

Des rallyes automobiles ?!

ÉRWAN, à Kimberley Je t'expliquerai...

ALYSON Il est dix-huit heures. (A Érwan) Si j'étais toi, je ne m'attarderais pas non plus dans cette pièce avec ma dulcinée...

ÉRWAN, l'interrompant Bravo, Mamie, pour l'utilisation de ce terme de "dulcinée" ! Quelle culture ! Tu n'ignores pas, je suppose, que Dulcinée était la dame de coeur de Don Quichotte, le fameux héros de Cervantès.

ALYSON, fronçant les sourcils Cervantès ? C'est une marque de bière, ça ? Et ton Don Quichotte ... quel drôle de nom ! (Un léger temps) J'étais donc en train de te conseiller de ne pas traîner ici avec ta compagne. Amène la chose tout doucettement à tes parents. Sinon, Démosthène va nous en faire une maladie !

KIMBERLEY , l'air réjoui Démosthène ?

ÉRWAN C'est le prénom de papa.

KIMBERLEY Démosthène... comme l'orateur grec ?

ALYSON Mais non. Comme le célèbre joueur de basket camerounais qui jouait dans l'équipe des Philadelphie’s Stars, vers les années 2020. Le grand-père paternel d'Érwan était un de ses fans. Et il a prénommé de son nom son fils premier né.

ÉRWAN, sifflant d'une feinte admiration (A Alyson) Quelle érudition ! (A Kimberley) Quand je te le disais que ma Mamie était un puits de culture.

ALYSON, qui va pour sortir, à Érwan Tu peux te moquer, va ! Tu feras moins le malin quand il te faudra expliquer à ton père qu'il abrite, non plus un, mais deux voyageurs clandestins sous son toit.


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Elle sort.

SCENE 4

Érwan et Kimberley, demeurés seuls, se regardent un moment en silence, amoureusement. Et puis :

ÉRWAN, à Kimberley Toi, alors ! Mais qu'est-ce qui t'as pris ?

KIMBERLEY Tu me manquais tellement !

ÉRWAN Tu aurais dû au moins me prévenir.

KIMBERLEY Pour que tu m'interdises de te rejoindre...

ÉRWAN Tu te rends compte les risques que tu as pris !

KIMBERLEY Tu vaux la peine, non, qu'on prenne des risques pour toi. (Un léger temps) Tu es fâché que je sois là ? Sans répondre, il la prend dans ses bras et l'embrasse fougueusement. Et puis on entend des bruits provenant de la porte d'entrée.

ÉRWAN, à Kimberley Mes parents... Suis moi ! Il l'entraîne vers sa chambre, dans les coulisses.

KIMBERLEY , l'air faussement sévère J'espère que ce n'est pas un prétexte pour m'entraîner dans ta chambre ! Au moment de sortir, Érwan se ravise et vient prendre le sac de Kimberley. Ils sortent.

VOIX OFF DE KIMBERLEY depuis les coulisses


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Tu seras sage !

VOIX OFF D'ÉRWAN Tu peux y compter. D'abord, je n'aime pas les blondes aux yeux verts.

SCENE 5

Entrée de Manuéla et Démosthène. Ils enlèvent leur masque respiratoire et leur manteau

DÉMOSTHÈNE Donc, tu as trouvé que mon exposé n'était pas si mal ?

MANUÉLA Oui, oui. C'était très clair. Et bien dosé. Il y a juste la fin qui était un peu longue.

DÉMOSTHÈNE Il fallait bien que je j'insiste sur les conclusions. D'autant qu'elles sont éminemment positives pour moi. (Humant subitement l'air autour de lui en fronçant les sourcils) Dis donc, mais... tu sens ce parfum ?

MANUÉLA , humant à son tour En effet, oui.

DÉMOSTHÈNE

Ce n'est pas ta mère, quand même, qui se passe un mélange pareil sur les bajoues ?

MANUÉLA


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Je te remercie pour maman. (Un temps. Continuant à humer) Non, ça, c'est plutôt un parfum de jeune femme. Hmm ! En tout cas, ça sent rudement bon.

DÉMOSTHÈNE J'espère que ce n'est pas Érwan qui se met à jouer les cocottes... A force de rester enfermé, il ne faudrait pas que ça lui porte sur le ciboulot. (Un léger temps) Tu crois qu'il aime les femmes ? On ne le voit jamais avec une nana !

MANUÉLA Enfermé toute la journée ici, comme tu le dis toi-même, j'imagine mal comment il pourrait faire des rencontres. Et puis... s'il amenait quelqu'un à la maison, je suppose que tu serais le premier à gueuler et à lui reprocher de manquer de la plus élémentaire des prudences.

DÉMOSTHÈNE Ah ça, oui ! Avec lui comme problème à la maison, ça nous suffit largement ! Qu'il ne s'avise pas en plus d'inviter une fille !

MANUÉLA Pour en revenir à ton exposé... je pense quand même que tu aurais pu te dispenser de ton petit coup de griffe à Frimardel.

DÉMOSTHÈNE Tu parles. Il est tellement con que je suis sûr qu'il n'y a vu que du feu !

MANUÉLA Ah oui ! Quand tu as ironisé : (ton de citation) "sur certains projets lumineux dont les auteurs semblent plus occupés à faire reluire leur propre ego qu'à éclairer sérieusement la lanterne de la lutte contre l'effet de serre"... tu penses vraiment qu'il n'a pas saisi l'allusion ? Autour de moi, en tout cas, les gens pouffaient en se poussant du coude.

DÉMOSTHÈNE Si cet enfoiré de Frimardel en a pris plein les gencives, tant mieux pour lui ! En tout cas, je sais de bonne source qu'avec ses tours à vers luisants, il ne fait plus guère illusion au Ministère...

MANUÉLA Alors raison de plus pour ne pas te mouiller en l'assassinant. Ce serait même plus habile de ta part de faire semblant de compatir à son sort.

DÉMOSTHÈNE


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Eh ! Peut-être que tu n'as pas tort ! J'utiliserai cette stratégie, après-demain, au conseil d'administration.

MANUÉLA N'en fais pas trop, quand même, dans l'autre sens !

DÉMOSTHÈNE, serrant Manuéla amoureusement dans ses bras Tu sais que tu es une fameuse conseillère, toi ? (Un léger temps) Ton assistance me sera précieuse, à Mexico, sur le chantier de ma forêt à étages.

MANUÉLA Ne rêvons pas trop... Ce voyage est loin d'être acquis !

DÉMOSTHÈNE Tout à l'heure, après la réunion, le directeur de cabinet du ministre m'a entraîné quelques minutes à l'écart. Il m'a glissé dans le creux de l'oreille que c'était pratiquement dans la poche ; que notre fiston ne s'étant pas, depuis plusieurs mois, signalé aux autorités par ses frasques, son dossier semblait passé aux oubliettes. Touchons du bois... (Il joint le geste à la parole, allant toucher le bois d'un fauteuil, d'une table ou de tout autre élément) Bref, le ministre ne serait pas du tout opposé à donner sa signature. Il reste juste quelques formalités à régler avant que le dossier arrive sur son bureau...

MANUÉLA C'est peut-être bien parti pour toi. Et tu m'en vois ravie. Mais d'ici à ce que j'obtienne l'autorisation de prendre l'avion avec toi...

DÉMOSTHÈNE Justement. J'en ai aussi parlé au dir cab du ministre. Je lui ai fait ressortir combien ta collaboration me serait précieuse, ne serait-ce que par ta connaissance profonde à la fois des termes techniques et de l'espagnol...

MANUÉLA , l'interrompant Ma fine connaissance de l'espagnol ? Tu plaisantes ! Hablo como una vaca española ! Quant aux termes techniques, moi qui n'ai jamais été fichue d'enfoncer un clou... S'ils apprennent que je suis comptable dans une usine de spaghettis...

DÉMOSTHÈNE Tu penses qu'ils ne vont pas aller jusqu'à vérifier tes connaissances. Le dir cab m'a promis d'intervenir pour te faire avoir un visa. Tu devrais déjà commencer à


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poser un congé sans solde pour cet été.

MANUÉLA , rêveuse et avec un soupir Ce serait trop beau que je puisse t'accompagner au Mexique !

DÉMOSTHÈNE Au mieux, le voyage ne se fera pas avant six mois ; début juillet prochain, peut-être... (Un temps. Serrant amoureusement Manuéla contre lui) Et tu sais ce qui va se passer début juillet prochain ? Nous fêterons quoi, début juillet 2063 ?

MANUÉLA Nos vingt-cinq ans de mariage ! Ils s'embrassent fougueusement.

DÉMOSTHÈNE, après un temps Ce ne serait pas merveilleux de s'offrir un voyage de noces au Mexique, pour cet anniversaire !

MANUÉLA Le Mexique, j'ai toujours rêvé d'y aller !

DÉMOSTHÈNE Pourvu qu'Érwan n'aille pas faire des siennes, d'ici là ! (Un léger temps) Au moins, le temps qu'il se planque à la maison, on ne parle plus de lui dans les journaux.

SCENE 6 Arrivée en trombe de Steve, au volant de sa voiture de rallye fictive. Brusque freinage et tête à queue au milieu de la pièce.

STEVE, sur un ton enfiévré, à Manuéla et Démosthène Vous n'auriez pas vu passer une jeune femme, des fois, par ici ?

DÉMOSTHÈNE, l'air ahuri Une jeune femme ? Quelle jeune femme, Papi ?

STEVE, "démarrant" en trombe Elle va me mettre en retard !


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(Au moment de disparaître dans les coulisses, il se ravise et fait une marche arrière sportive jusqu'à hauteur de Démosthène à qui il lance) Toi, mon pote, te ravise pas de m'appeler "Papi" de nouveau ! Sinon, je te fais une tête au carré, compris ? (Démarrant en trombe) Cette idiote va me faire manquer le départ ! Tout moteur vrombissant, il disparaît dans les coulisses.

DÉMOSTHÈNE, à Manuéla

Une jeune femme, maintenant ! En plus des belles voitures, le Papi, il lui faut des gonzesses ! Ça promet ! Là-dessus, on sonne énergiquement à l'entrée.

MANUÉLA , intriguée, à Démosthène Tu attends quelqu'un, ce soir ?

DÉMOSTHÈNE Absolument pas. En plus, ils ont lancé un bulletin d'alerte à l'ozone. Il est interdit de sortir après vingt heures.

MANUÉLA Moi qui voulais regarder le reportage sur la restauration de la banquise du Groenland. Il paraît qu'ils ont installé des chambres froides impressionnantes pour produire des glaçons géants. Nouveau coup de sonnette.

DÉMOSTHÈNE, à Manuéla Tu vas ouvrir ?

VOIX OFF, derrière la porte Police du Climat ! Ouvrez !

DÉMOSTHÈNE, à Manuéla, à voix basse Je préviens Érwan. Toi, va répondre. Fais un peu durer avant d'ouvrir, que j'aie le temps de bien coller le fauteuil contre la tapisserie.

MANUÉLA , se dirigeant vers l'entrée Voilà, voilà ! (Par-devers elle) Le dossier tombé aux oubliettes... tu parles ! Notre lune de miel à Mexico, ce n'est pas pour demain... On entend des coups sourds frappés contre la porte.


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VOIX OFF, du dehors Ouvrez ou on enfonce la porte !

VOIX DE DÉMOSTHÈNE, bas, depuis les coulisses Érwan, les flics ! Bloque bien la porte. Et pas de bruit ! Arrête de faire de la gymnastique sur ton lit. On entend ton sommier grincer depuis l'autre bout de la ville ! Bruit de fauteuil qu'on déplace. Retour de Démosthène dans la pièce.

SCENE 7

Quelques secondes après, Marilys Croquignol et Jules Filochard, revolver au poing, font irruption dans la pièce, suivis de Manuéla.

DÉMOSTHÈNE En voilà, des façons d'arriver chez les gens ! Je me plaindrai à qui de droit. Les policiers ôtent leur masque respiratoire, sans lâcher leur revolver.

JULES FILOCHARD, exhibant sa carte Inspecteur Jules Filochard, du Service de Police Régionale du Climat. Madame, monsieur, bonne respiration !

MARILYS CROQUIGNOL, montrant également sa carte Bonne respiration ! Je suis l'inspectrice Marilys Croquignol.

DÉMOSTHÈNE C'est ça, bonne respiration ! Mais, apparemment, vous ne manquez pas d'air !

MANUÉLA Bonne respiration à vous. A nous, vous n'avez pas peur de nous la couper, la respiration !

JULES FILOCHARD


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Où elle est, cette jeune femme ?

MANUÉLA , aux deux policiers Quelle jeune femme ?

DÉMOSTHÈNE (Par-devers lui) Décidément, ce soir tout le monde voit des jeunes femmes partout ! (Aux policiers) Si c'est de mon épouse que vous voulez parler, vous l'avez devant vous. Et ravie, j'en suis persuadée, d'être qualifiée de jeune. Si c'est ma belle-mère que vous souhaitez voir, je vous préviens qu'elle n'est pas loin de la date de péremption.

MARILYS CROQUIGNOL Ne faites pas les mariolles ! Une jeune femme brune a débarqué de Sydney à Roissy hier soir. Selon un de nos informateurs, elle s'est présentée chez vous cet après-midi.

DÉMOSTHÈNE, éclatant de rire Votre informateur ne vous a pas dit si cette Australienne se faisait accompagner d'un kangourou pour lui porter ses valises... ou plutôt pour lui servir de sac à main ?

JULES FILOCHARD L'envie de plaisanter pourrait bien vous passer.

SCENE 8

STEVE, qui arrive en trombe au milieu de la pièce en faisant vrombir sa voiture fictive, après un spectaculaire dérapage contrôlé, à Jules Filochard Et vous, des fois, vous n'auriez pas vu une jeune femme passer par ici ?

FILOCHARD, très intéressé

Une jeune femme, Papi ?

MARILYS CROQUIGNOL Quelle jeune femme ?

STEVE Ma femme, pardi ! Ma co-pilote ! Dans cinq minutes on est attendus sur la ligne


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de départ pour la quatrième spéciale et je ne sais pas où elle a disparu ! (Là-dessus, il redémarre en trombe, va pour sortir, se ravise et revient en marche arrière à hauteur de Filochard à qui il lance :) Toi, mon gaillard, tu me cherches, ou quoi ?

FILOCHARD, l'air étonné

Pourquoi vous me demandez ça, Papi ?

STEVE, au comble de la fureur Ah ! Tu recommences à m'appeler "Papi" ! Tu veux que je t'apprenne à jouer les insolents ? Tu le veux, dis, mon poing sur ta grande gueule ? T'as du pot que je sois sur la course ! Et il redémarre sur les chapeaux de roues avec sa voiture fictive, disparaît dans les coulisses.

SCENE 9

FILOCHARD, un tantinet vexé, passé le premier moment de stupeur

Eh ben lui... lui, il a de la chance d'être gâteux ! Parce que, sinon, je te lui collais un de ces p.v pour outrage à officier de police !

MARILYS CROQUIGNOL, à son collègue, riant S'il repasse, il faut lui tirer directement dessus, chef, ou on vise seulement les pneus ?

MANUÉLA , avec un soupir et un sourire triste

Pauvre Papi qui poursuit à fond la caisse les fantômes de sa jeunesse !

DÉMOSTHÈNE Mais, apparemment, il n'est pas le seul à courir après des chimères. (Un léger temps) Comment dites-vous quelle est, cette jeune femme que vous cherchez ? Brune ? Les Australiennes, moi je les imaginerais plutôt blondes.

MARILYS CROQUIGNOL Justement. Peut-être que ce n'est pas vraiment une Australienne...

JULES FILOCHARD Si ça se trouve, ce n'est pas même pas une femme du tout...


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DÉMOSTHÈNE Vous faites la chasse aux extraterrestres, maintenant ?

JULES FILOCHARD En feuilletant l'épais dossier de votre fils, on constate qu'il a le sens du déguisement.

MARILYS CROQUIGNOL Eh oui ! Il a été repéré par le passé sous les identités les plus diverses... et parfois les plus extravagantes.

JULES FILOCHARD On l'a vu en bûcheron au Canada ; en policeman à Londres ; en ambassadeur africain à New York ; en pope à Athènes ; en tireur de pousse-pousse à Delhi... Et j'en passe.

MARILYS CROQUIGNOL Alors... pourquoi n'arriverait-il pas jusque chez vous en brune de Sydney ?

MANUÉLA Vous avez vu, un peu, le gabarit de mon fils ? Vous l'imaginez attifé d'une robe ou d'un chemisier ? Les gens ne manqueraient pas de se retourner, dans la rue, sur son passage. Votre hypothèse est parfaitement...

JULES FILOCHARD, la coupant, d'un air excédé Peu importe... Homme ou femme... vous nous dites où vous le cachez, ce visiteur ?

DÉMOSTHÈNE Ecoutez... Si vous n'êtes pas convaincus, vous n'avez qu'à fouiller la maison. Ce ne sera que la vingt ou vingt-cinquième fois en quatre ans...

MANUÉLA Oui, allez-y... Toutes les portes vous sont grandes ouvertes !

JULES FILOCHARD Nous n'avons pas d'ordre de perquisition du juge d'instruction. Aussi, nous n'allons pas nous mettre en porte à faux avec la loi.

MARILYS CROQUIGNOL Mais vous pouvez être tranquilles qu'on ne va pas vous lâcher. Votre fils non plus. Un jour ou l'autre, on vous aura.


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JULES FILOCHARD Et plus tôt que vous ne pensez. (A Manuéla) En attendant, comme la loi nous autorise à le faire, nous allons opérer quelques petits contrôles chez vous.

MARILYS CROQUIGNOL Voulez-vous, s'il vous plaît, me montrer votre compteur de salle de bains. Manuéla l'accompagne vers la salle de bains, dans les coulisses.

FILOCHARD, vérifiant le thermostat de la pièce Voyons ce thermostat... (Un léger temps. Se retournant vers Démosthène) Dites donc, vous êtes en infraction d'au moins un degré sur l'ensemble de la semaine. (Il note cette infraction sur son calepin électronique. Puis :) Le compteur du C02, s'il vous plaît ?

DÉMOSTHÈNE Dans l'entrée. Filochard disparaît dans les coulisses.

MARILYS CROQUIGNOL, qui revient, suivie de Manuéla livide Eh ben ! On n'a pas lésiné sur les douches et les bains, dans cette maison, durant le dernier trimestre. Vous dépassez votre dotation de près de cinquante pour cent !

JULES FILOCHARD, réapparaissant Cent douze unités de CO2 par personne rien que sur le dernier mois ! Je ne sais pas ce que vous avez fabriqué mais ça va vous coûter cher en surtaxes !

DÉMOSTHÈNE Je suppose que vous voulez voir aussi le dénanocompressurisateur d'oxygène à formulation thermoliquide ?

JULES FILOCHARD Hé !

MANUÉLA Et le filtre à microparticules atmosphériques solides ?

MARILYS CROQUIGNOL J'allais vous le demander.


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MANUÉLA , indiquant un appareil près d'une fenêtre, dans la pièce Le voilà ! Démosthène et Filochard ressortent un moment dans les coulisses.

MARILYS CROQUIGNOL, tout en effectuant sa vérification Ouh là là ! Ouh là là là là ! Et tout en hochant la tête, elle inscrit des chiffres sur son bloc-notes électronique.

JULES FILOCHARD, qui revient, suivi de Démosthène Non, non... Votre appareil n'est pas détraqué. Je l'ai testé. Il fonctionne parfaitement.

MARILYS CROQUIGNOL, finissant de noter sur son bloc-notes Bon...Je ferai le compte des infractions au bureau. Là, on en aurait pour trop longtemps...

JULES FILOCHARD (A sa collègue) Rien qu'avec ce que j'ai relevé de mon côté, il y a au mois dix pages de procès-verbal ! (Regardant sa montre) Déjà vingt et une heures ! Et il faut encore qu'on repasse à la boutique ! (A Manuéla et Démosthène) Bon, eh bien, Madame, Monsieur, à la prochaine. Bonne respiration !

MARILYS CROQUIGNOL Au plaisir de vous revoir. Ce qui ne saurait tarder, comme mon petit doigt me le suggère. Bonne respiration, M'sieur-Dame !

MANUÉLA, DÉMOSTHÈNE

Bonne respiration ! Les deux policiers se rééquipent de leur masque respiratoire et ils sortent, accompagnés jusqu'à la porte par un Démosthène défait.

MANUÉLA , demeurée seule Moi qui me voyais déjà en train de déambuler sous un immense sombrero dans les rues de Mexico !...

DÉMOSTHÈNE, réapparaissant Ah les enfoirés ! Ah les peaux de vache ! Avec ce que la plaisanterie va nous coûter en amendes et en surtaxes on n'a pas besoin de se fatiguer à se préparer


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des vacances compliquées pour cet été !

MANUÉLA , amère Ce n'est pas grave. Du moment qu'on aura été au Mexique en juin.

DÉMOSTHÈNE Ouais... comme tu dis ! Et pourtant, l'affaire semblait sur les rails. Qu'est-ce qu'il a fallu, encore, qu'ils aillent chercher, comme histoire ? Qu'est-ce que c'est que ce conte à dormir debout de jeune femme australienne ?!

SCENE 10

ÉRWAN, entrant dans la pièce Papa, maman, je voudrais vous parler.

DÉMOSTHÈNE, brandissant l'index en direction d'Érwan Toi, toi !... Je me demande si tu réalises dans quelle situation tu nous mets !...

MANUÉLA , à Démosthène, le prenant par le bras Allons, allons...

ÉRWAN, baissant la tête et venant s'asseoir près d'eux. Il faut que je vous dise que... (il s'interrompt, manifestement embarrassé)

DÉMOSTHÈNE, sèchement Que quoi ? Que tu as vu une jeune femme, toi aussi ? Tout le monde, aujourd'hui, dans cette maison, a vu, senti ou cherché une jeune femme. Il paraîtrait même que c'est une Australienne. Une Australienne brune. Sans doute quelque clandestine, elle aussi. Remarque, au point ou on en est : un clandestin de plus ou de moins, sous ce toit... On pourrait même monter un élevage.

MANUÉLA Allons, Démosthène ! Calme-toi, mon chéri. Laisse Érwan s'exprimer.


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DÉMOSTHÈNE Qu'il s'exprime ! Qu'il s'exprime ! Je ne l'empêche pas.

ÉRWAN Ben... justement, papa....

DÉMOSTHÈNE Justement, quoi ? (Ton enjoué) Tu n'as pas vu de brune australienne entrer dans cette maison ?

ÉRWAN Euh... non !

DÉMOSTHÈNE Ah ! Tout de même !

ÉRWAN Pas une brune. (Léger temps) Une blonde ! Avec de magnifiques grands yeux verts !

DÉMOSTHÈNE Hein ? !

MANUÉLA Qu'est-ce que tu nous racontes-là, Érwan ?

ÉRWAN, regardant ses parents droit dans les yeux Que cet après-midi ma fiancée de Sydney est arrivée...

DÉMOSTHÈNE Arrivée... ici ?!

KIMBERLEY , entrant dans la pièce Bonne respiration, Madame, Monsieur. Je m'appelle Kimberley.

RIDEAU


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SCENE 11

Au début de la scène, c'est toujours le noir. On entend tout d'abord Steve et puis, la lumière se rallumant progressivement, on le voit surgir casqué du fond de la salle, parmi les spectateurs, avec une voiture de course fictive, faisant vrombir le moteur et mimant attitude et gestes d'un pilote au coeur de l'action : il dispute le Paris-Dakar, épreuve bien entendu supprimée depuis longtemps, en ces temps de chasse impitoyable au CO2, mais dont il garde la nostalgie. Circulant au milieu du public, sous un éclairage très réduit qui crée une ambiance onirique, il a les répliques suivantes, qu'on répartira sur l'ensemble de son évolution : Putain de désert qui n'en finit pas ! Pourvu qu'on aille pas encore s'ensabler comme hier après-midi ! - C'est pas possible, cette piste. On va finir par casser ! Et si je lève le pied, William Moussarou va me reprendre des secondes ! - Tiens, un autre dégourdi qui a fait des tonneaux ! Ça en fait toujours un de moins à doubler ! - Allez ! Allez ! Il me le faut, ce Paris-Dakar ! L'année dernière, j'avais terminé cinquième. - Attention ! Encore un chameau qui traverse ! Je me demande comment je l'ai évité, celui-là ! - Et ces gamins, dans les villages ! Si j'en écrase un, ce sera bien fait pour sa pomme ! Non mais, sans blague, leurs parents n'ont qu'à les tenir. Ce n'est pas à nous de ralentir. - Allez, allez, c'est le moment de donner tout ce qu'on a sous le capot ! - Il me le faut, ce Paris-Dakar ! Il me le faut ! Il sort. On fait de nouveau le noir dans la salle.

FIN DU DEUXIEME ACTE

On peut enchaîner, dans le noir, par la chanson "Mexico" de Luis Mariano.


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ACTE III

L'action se déroule à bord d'un avion de la Green Flights Universal Company, sur la ligne bi-trimestrielle Paris-Mexico. L'appareil est un Airbus Super Eco A780 de mille huit cents places. Ce n'est donc qu'une toute petite partie de la carlingue que figure la scène. Les sièges sont disposés exactement comme dans les avions de ligne classiques d'aujourd'hui : par rangées de trois de part et d'autre d'une étroite allée centrale. On peut donc imaginer trois doubles rangées représentées sur la scène. Les sièges de devant, tout à l'avant-scène, sont occupés par les acteurs. Des silhouettes sur les sièges derrière eux évoquent les autres passagers. Au fond, un rideau ou une cloison mobile suggère la séparation avec le reste de la carlingue ; un panneau, juste au-dessus, indique : "Area K3 reserved to the passangers provided rainbow ticket - Zone K3 réservée aux passagers munis du billet arc en ciel ". On pourra compléter le décor par des panneaux latéraux portant des hublots,


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avec des inscriptions, lumineuses ou non, "Attachez votre ceinture", etc. On reconnaît, côte à côte sur deux des sièges de l'avant-scène, Démosthène (près du hublot au début de la première scène) et Manuéla. Un mannequin porteur d'un poncho et surmonté d'un imposant sombrero occupe le troisième siège de leur rangée, côté couloir. Sur les trois autres sièges de l'avant-scène, de l'autre côté de l'allée centrale donc, sont assis : près du hublot, Alyson ; au milieu, Kimberley ; Érwan. Tous trois portent un déguisement qui les rend absolument méconnaissables : Alyson s'est composé un personnage de rombière outrageusement maquillée et couverte de (faux) bijoux clinquants ; Kimberley s'est transformée en une austère vieille lady ; Érwan, qui voyage cette fois sous l'identité d'un astrophysicien, porte une barbichette en pointe et une couronne de cheveux longs autour d'un crâne à moitié chauve. Il évoque irrésistiblement quelque professeur Nimbus ou Tournesol. Durant tout cet acte, les temps de dialogues vont alterner entre les deux premières rangées de passagers, d'un côté à l'autre de l'avion. Mais il est bien évident que tous les protagonistes doivent en permanence donner le spectacle de l'échange, y compris lorsqu'ils n'ont pas de répliques à dire.

SCENE 1

MANUÉLA , à Démosthéne Ouf ! Cette fois, on tient le bon bout !

DÉMOSTHÈNE A moins que cet avion ne puisse pas décoller, qu'il se crashe en vol ou qu'il soit détourné...

MANUÉLA , lui décochant un grand coup de coude Arrête ! Déjà que je ne suis pas rassurée !

KIMBERLEY , se penchant vers Alyson Ça va, Mamie ?

ÉRWAN, se penchant à son tour vers sa grand-mère Madame Paméla Clochette est prête pour la conquête du Nouveau Monde ?


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ALYSON Je me demande bien ce qu'il va penser de nous, le Nouveau Monde, quand il va nous voir arriver pareillement accoutrés... Je me trouve mauvais genre à souhait sous mon déguisement de vieille cocotte. Et toi, ma petite Kimberley, en respectable lady anglaise, tu n'as pas gagné au change, toi non plus !

ÉRWAN, posant, à la sauvette, un baiser sur la main de Kimberley Belle Miss Crowney, laissez dire cette mauvaise langue de Paméla Clochette. Pour moi, vous êtes absolument irrésistible ! J'adore les vieilles ladies britanniques en chignon, à la poitrine plate et aux yeux gris !

KIMBERLEY (A Érwan) Allons, professeur Lazimuth, un peu de retenue ! (A mi-voix, à Érwan toujours) Ce n'est pas toi qui nous as fait la leçon sur la discrétion que nous devions observer entre nous ? Nous sommes bien censés ne pas nous connaître et voyager séparément, non ?

ALYSON, à Kimberley Ton Érwan, en revanche, il ne manque pas d'allure en professeur Nimbus. Tu ne trouves pas ?

KIMBERLEY Oui. Il a l'air assez inspiré.

ÉRWAN Tu veux dire qu'enfin j'ai une mine intelligente ?

KIMBERLEY , à mi-voix, à Érwan Te voilà pour le coup encore plus méconnaissable que d'habitude !

ÉRWAN, à Kimberley, avec la voix du vieil astrophysicien qu'il incarne Ma chère Miss Crowney, je vous sais gré de ce compliment qui me va droit au cœur.

KIMBERLEY (A Érwan, avec la voix de Miss Crowney) Cher professeur Lazimuth, il n'y a vraiment pas de quoi. (Reprenant sa voix, bas, à Alyson) C'est exactement comme nous deux, n'est-ce pas, Mamie : qui irait nous soupçonner sous nos airs godiches ? Qui irait, je vous le demande un peu, chercher notre adorable petite Mamie sous la défroque de cette "Paméla Clochette" ! Alyson se contente de hocher la tête et les épaules en soupirant et levant les


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yeux au ciel.

ÉRWAN, riant, à Alyson "Paméla Clochette" ! Je ne sais pas où tu as trouvé ce pseudonyme. C'est à la fée Clochette que tu l'as emprunté ? En tout cas, il jure merveilleusement avec ta tenue !

KIMBERLEY C'est vrai : en Paméla Clochette, vous êtes impayable !

ALYSON, le regard noir et les sourcils froncés, à Érwan C'est qui, ça, encore, la "fée Clochette" ? Kimberley et Érwan se contentent de lever les yeux au ciel. Alyson secoue la tête de plus belle, le regard de plus en plus noir et l'air accablé.

. ÉRWAN, après quelques secondes, à Alyson

Allons, Paméla Clochette… euh, je veux dire : ma petite Mamie… Ne prends pas cet air de chien battu !

KIMBERLEY Oui ! Relevons la tête ! Bombons le torse ! (Ton affecté) Nous sommes les clandestins !

DÉMOSTHÈNE, à Manuéla Ça ne t'ennuierait pas de changer de place ? J'ai déjà le vertige, près du hublot !

MANUÉLA En avion, il paraît qu'on n'a plus la notion du vide. Enfin, si tu y tiens... Ils se lèvent donc pour changer de place, en présentant leurs excuses (- Pardon, Monsieur - ; - Excusez-moi, Monsieur...- ; - Merci, Monsieur - ) au mannequin-passager assis côté couloir.

ÉRWAN, à voix basse et donnant un coup de coude à Kimberley dès qu'il voit ses parents se lever pour opérer ce changement de place

Attention ! Occupe-toi de Mamie, qu'elle ne regarde surtout pas de ce côté !

KIMBERLEY , à Alyson, en lui mettant brusquement une revue sous le nez Tenez, vous avez lu cet article ?


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Alyson s'absorbe un moment dans la lecture de l'article en question.

ÉRWAN, à voix basse à Kimberley J'ai peur de sa réaction si elle les voit.

KIMBERLEY , à Érwan, à voix basse D'ici Mexico, elle va forcément les reconnaître. (Un léger temps) Je me demande comment elle a pu les louper, en arrivant. Il faut dire qu'elle était tellement occupée à s'installer.

ÉRWAN, à voix basse à Kimberley Figure-toi que, sitôt que je les ai aperçus, j'ai fait écran entre elle et eux avec mon sac et j'ai détourné son attention comme j'ai pu.

KIMBERLEY , toujours à Érwan à voix basse Moi, j'ai failli tomber à la renverse ! Ce n'est quand même pas de chance, dans un si grand avion, de se retrouver placés pile sur la même rangée qu'eux !

ALYSON, rendant la revue à Kimberley Pourquoi, au juste, il fallait que je lise cet article sur le bouturage des géraniums maintenant ?

KIMBERLEY Ben parce que... à cause de... enfin, c'est... Elle est interrompue à point nommé par l'annonce qui suit.

VOIX OFF, sur les haut-parleurs du bord Mesdames et messieurs, le commandant Justin Toqueboeuf et son équipage vous souhaitent la bienvenue à bord de cet Airbus Super Eco A780 de la Green Flights Universal Company qui assure les deux vols trimestriels autorisés sur la ligne Paris-Mexico. La température au sol est actuellement de trente-cinq degrés. Notre décollage est prévu dans dix minutes, à 17h35. Nous atteindrons Mexico au terme d'un vol d'environ vingt-sept heures qui, pour des raisons d'économies de carburant, empruntera tout d'abord les courants aériens en train de s’établir vers vingt-sept mille pieds sur l'Atlantique Nord. Nous rejoindrons ensuite le grand jet nord-sud du Pacifique. Nous nous laisserons enfin dériver vers le Mexique et tout doucement porter par des courants locaux en ce moment assez peu actifs. Nous vous souhaitons une agréable traversée et vous informons que notre personnel de bord se tient à votre disposition pour vous rendre ce voyage agréable. Suit la même annonce en anglais, shuntée au bout d'un assez court moment.


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ALYSON, à Kimberley et Érwan Vingt-sept heures d'avion sans escale ! A l'époque, avec Steve, nous avions été aux Etats-Unis en sept heures...

ÉRWAN En rejetant une tonne et demi de C02 dans l'atmosphère chacun, pour l'aller-retour.

KIMBERLEY Là, nous en produirons cinq fois moins, ce qui reste encore catastrophique, compte tenu de l'état d'asphyxie dans lequel se trouve notre pauvre vieille Terre.

ÉRWAN, à Alyson Mais tu verras la différence avec les vols de ta jeunesse, ma petite Mamie ! On va aller planer comme des oiseaux au-dessus de la banquise. Et puis on se laissera glisser comme des mouettes portées par le vent le long des côtes canadiennes et des Etats-Unis avant d'aller louvoyer au-dessus du désert mexicain.

ALYSON, à Érwan et Kimberley Vous croyez que cet engin est capable de s'envoler et de tenir en l'air ? (Tournant la tête dans tous les sens) Je me demande bien combien nous sommes, là-dedans ? Près de cinq cents, si ça se trouve !

ÉRWAN, éclatant de rire Ma pauvre Mamie, tu peux multiplier par trois et même presque par quatre...

ALYSON Ce n'est pas possible !

KIMBERLEY , riant elle aussi L'Airbus A780 embarque 1800 passagers. Et inutile de dire que chaque vol est complet. Mimique de stupéfaction d'Alyson.

ÉRWAN, à Kimberley Je peux t'assurer que ça y va, en ce moment, les dérogations de complaisance ! Sur le nombre de passagers de ce vol, il y en a bien trois ou quatre cents qui n'ont rien à y faire ! A l'embarquement, j'en ai repéré au moins une vingtaine qu'on voit sur toutes les lignes. En particulier un ancien ministre avec sa femme et deux de ses petits-enfants. Quand je vais sortir mon bouquin, ça va faire du


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bruit...

KIMBERLEY , l'embrassant discrètement Tu crois que nous on a quelque chose à dire ?

ÉRWAN Nous, au moins, on le fait pas à l'hypocrite. On demande pas des autorisations de complaisance. On prend le risque d'être des pirates. Et c'est pour mieux dénoncer la saloperie du système.

KIMBERLEY Et tu raconteras, dans ton livre, que tu as voyagé avec ta mémé déguisée en mère maquerelle ?

ÉRWAN Bien sûr ! Je ne vais pas me priver de faire rire le lecteur !

DÉMOSTHÈNE, à Manuéla Heureusement que le dir cab du ministre s'en est mêlé ! Jusqu'à Frimardel, cette espèce d'ordure, ce grand fumier, qui au dernier moment a essayé de me mettre des bâtons dans les roues. Je n'ai pas voulu t'en parler pour ne pas te saper le moral, mais... tu sais qu'il s'est proposé comme assistant pour m'accompagner, à ta place ! On n'imagine pas le culot de ce type !

MANUÉLA Ecoute, chéri... On ne va pas se gâcher tout le voyage avec Frimardel !

DÉMOSTHÈNE Tu as raison, ma bichette ! (L’embrassant fougueusement dans le cou) Je t'avais promis une lune de miel sous le soleil du Mexique. (L’embrassant de nouveau) Eh bien la lune de miel commence à cet instant précis ! (Se penchant vers son voisin de droite, autrement dit le mannequin au poncho et au sombrero) Pardon ? Vous disiez, Monsieur ? (Il écoute avec un froncement de sourcil ce que lui répète son interlocuteur. Puis, riant :) No, señor. Estamos casados desde hace mucho tiempo. Y viajamos puesto que lo necesita nuestra tarea. (Se tournant vers Manuéla, toujours rieur) Ce monsieur demande si nous sommes de nouveaux mariés et si nous partons en voyage de noces.

MANUÉLA , poussant Démosthène du coude, à voix basse Tu vois bien qu'on se fait remarquer. Je veux bien que le Mexique te donne des idées. Mais sois quand même un peu plus discret !


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DÉMOSTHÈNE, se penchant de nouveau vers son voisin Pardon ? (Il écoute quelques secondes l'inconnu. Puis :) A, si ! Encantado ! (Il échange une poignée de main avec l’inconnu) Y yo me llamo Démosthène Cloucade. Y le presento a mi esposa, Manuéla ! (Se tournant vers Manuéla et lui désignant son voisin de droite) Monsieur Ramon Olivares Quiñones y Ventanas !

MANUÉLA , serrant la main d'Olivares Quiñones y Ventanas Bonas… buenos … euh… buonas dias, señor… (À Démosthène) Zut ! Moi qui suis censée être ton interprète, je ne sais même pas dire "bonjour" en espagnol !

DÉMOSTHÈNE (A son voisin) Le saluda, mi esposa. (Après avoir écouté Olivares Quiñones y Ventanas quelques secondes, à Manuéla) Ce Monsieur te présente à son tour ses plus respectueux hommages et il te souhaite un excellent voyage. Hochement de tête et sourire de Manuéla à l'adresse d'Olivares Quiñones y Ventanas.

DÉMOSTHÈNE, poursuivant (A l'adresse de son voisin, après l'avoir écouté quelques secondes) Si, señor. (Se tournant ensuite vers Manuéla) Monsieur est Mexicain… (Se tournant vers Ramon Olivares) No es Mejicana, mi esposa. Manuéla es su nombre francès. (Se tournant vers Manuéla) Il me demande si, avec un prénom pareil, tu es d'origine mexicaine. (Un léger temps, à Manuéla toujours) Quel dommage, vraiment, que tu ne piges pas un mot d'espagnol !

ALYSON, rêveuse, de la tristesse dans la voix C'est mon pauvre Steve qui aurait été impressionné par cet avion ! Lui, tout ce qui touchait à la mécanique...

KIMBERLEY , prenant affectueusement la main d'Alyson, doucement Il ne faut pas remuer des idées noires, Mamie. Papi a eu sa vie et vous vous êtes bien occupée de lui jusqu'au bout.

ALYSON Jusqu'au bout, malheureusement non.

KIMBERLEY Mais enfin, il ne faut pas culpabiliser.

ÉRWAN Kimberley a raison, Mamie. Tu ne pouvais pas constamment, à chaque seconde, être derrière Papi.


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ALYSON

Si je l'avais empêché de sortir, il serait toujours parmi nous. (Un temps) Depuis qu'il s'était mis à disputer son "Paris-Dakar", comme il disait, il était devenu intenable. La maison ne lui suffisait plus.

ÉRWAN Ce n'est quand même pas de ta faute s'il a profité de ce que la porte était mal fermée pour s'échapper.

ALYSON Et il a fallu que ce soit l'un des jours les plus pollués de l'année. Sans masque, il n'a pas résisté cinq minutes...

KIMBERLEY Mamie, tout le monde est d'accord pour dire que vous avez dorloté votre mari. Vous avez veillé sur lui d'une manière admirable, au-delà même de vos forces. (Un léger temps) Maintenant, il faut penser à vous. Vous avez le droit d'être heureuse, vous aussi. Vous vous rendez compte : vous allez découvrir le Mexique !

ALYSON Tu es absolument adorable, ma petite Kimberley. Elle esquisse un mouvement pour l'embrasser.

KIMBERLEY , l'arrêtant dans son élan Chut, Mamie ! Moi aussi, je vous fais la bise. Moralement. N'oubliez pas que nous sommes, tous les trois, censés voyager chacun de notre côté. Nous venons de lier connaissance. Rien ne nous empêche de bavarder... (par-devers elle) à condition de ne pas parler trop fort, qu'ils (regard de côté vers Manuéla et Démosthène) ne nous entendent pas. (A Érwan, à voix basse) Il vaut mieux la mettre au courant tout de suite, en douceur.

ÉRWAN (A Kimberley) En douceur, ça être coton ! Mais tu as raison : mettons-la au parfum tant qu'on est sur le plancher des vaches. Des fois qu'il faudrait appeler le SAMU. (Se penchant vers sa grand-mère) Alors comme ça, Mamie, toi qui vois tout, d'habitude, tu n'as rien remarqué, en arrivant ?...

ALYSON, fronçant les sourcils Qu'est-ce qu'il fallait que je remarque ?


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KIMBERLEY , à Alyson, avec un petit clin d' œil à Érwan Ben qui est assis, là, sur les sièges à côté... Là-dessus, Alyson se penche pour regarder qui se trouve sur la rangée voisine. Elle pousse un "oh !" de stupéfaction et se laisse retomber en arrière.

ÉRWAN, riant, à voix basse à Alyson Tu te souviens, la fois où j'avais parié à mes parents qu'un jour ils prendraient l'avion avec moi ?

ALYSON, à voix basse, furieuse et paniquée Tu es complètement fou ! On va tous se faire attraper. Et si ta mère et ton père nous reconnaissent...

ÉRWAN Il n'y a pas de danger ! Tiens, tout à l'heure maman t'a dévisagée en donnant un coup de coude à papa. Je n'ai pas entendu ce qu'elle disait mais je crois bien que ton rouge à lèvres pétard, ta quincaillerie et tous tes falbalas lui ont inspiré sur ta personne quelques commentaires assez peu obligeants.

ALYSON C'est toi qui as voulu que je me déguise en vieux cageot !

ÉRWAN En vertu du même raisonnement que tout à l'heure : toi, si distinguée d'habitude, personne n'ira te chercher sous cette tenue qui, je te l'accorde, injurie le bon goût le plus élémentaire. Pas plus mes parents que la police.

ALYSON Tu ne m'avais pas dit qu'on voyagerait dans le même avion que Manuéla et Démosthène !

ÉRWAN Ç'avait déjà été assez difficile de te décider à nous suivre. (Un léger temps) Mais en me procurant les billets... par les voies, disons, habituelles... je ne pensais quand même pas qu'on nous placerait si près les uns des autres. (Un léger temps) Après tout, tant mieux. Mon pari n'en est que mieux réussi. Quand mes parents verront la photo que je ne manquerai pas de faire, d'ici la fin de ce vol...

ALYSON, détachant sa ceinture et se levant de son siège Oui, eh bien moi je descends immédiatement ! Laissez-moi passer !


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UNE HÔTESSE (ou UN STEWART), survenant sur ces entrefaites pour vérifier que tout est en place, à Alyson

S'il vous plaît, Madame, veuillez vous asseoir et attacher votre ceinture. Alyson obtempère avec un grand soupir.

ÉRWAN, à Alyson Ah ! Tu vois... Là, tu ne peux plus t'échapper.

ALYSON C'est bien la dernière fois que je te suis ! L'HÔTESSE (ou LE STEWART), à un des passagers-mannequins de l'arrière

Monsieur, je vous prie... nous allons mettre votre masque respiratoire dans le coffre à bagages... Vous n'en avez pas besoin à bord. (Léger temps) En cas de brusque dépressurisation ? Ne vous inquiétez pas. Nous avons ce qu'il faut.

KIMBERLEY , à voix basse, à Alyson Mais ne vous faites aucun souci, Mamie ! Avec Érwan, tout ira bien ! Comme à chaque fois...

VOIX OFF, sur les haut-parleurs du bord Préparez-vous au décollage !

ALYSON, subitement de nouveau inquiète, à Érwan Tu n'as pas oublié, au moins, de fermer le robinet d'oxygène ?

ÉRWAN Oui, Mamie ! Pour la centième fois : avant de quitter la maison, j'ai bien fermé les arrivées d'eau, de gaz de ville, d'oxygène et coupé l'électricité, comme tu me l'avais recommandé. Et je t'ai vue, de mes yeux vue, fermer la porte d'entrée à double tour. Tu peux donc être tranquille et voyager en paix.

ALYSON, avec un grand soupir Voyager en paix, avec toutes les polices du monde qui ne demandent qu'à nous tomber dessus ! Je vois déjà nos binettes à la première page des journaux !

ÉRWAN Dans une quinzaine de jours, quand tu retrouveras tes pantoufles, tu pourras dire : "Heureux qui comme Ulysse…"


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ALYSON Ulysse ? Quel Ulysse ? Que vient faire dans cette histoire le chien des Martineau ?

DÉMOSTHÈNE (Après s'être penché quelques secondes vers son voisin de droite pour l’écouter) Si, señor, es la primera vez que viajamos en avion. (A Manuéla) Monsieur me demande si c'est la première fois que nous prenons l'avion.

MANUÉLA , piquée Pourquoi ? Ça se remarque tant que ça ?

DÉMOSTHÈNE (A son voisin) Y usted ? (Il écoute la réponse. Puis, à Manuéla) Il m'explique que lui, il vient en France deux fois par an pour ses affaires.

MANUÉLA , de mauvaise humeur Réponds-lui que nous on va au Mexique une fois dans notre vie, pour nos affaires. (Un temps, regardant à travers le hublot) Oh ! On prend de la vitesse !

DÉMOSTHÈNE, penché lui aussi vers le hublot Ça vaut mieux si on veut décoller.

ALYSON, regardant pensivement à travers le hublot près duquel elle se trouve placée Mon pauvre Steve ! Lui qui rêvait toujours de voyages !

MANUÉLA , subitement pensive de son côté Ça me fait tout de même un peu mal de laisser maman seule alors qu'il y a à peine trois mois que papa nous a quittés...

DÉMOSTHÈNE Ne t'inquiète pas ! Ta mère a de la ressource. Ça a toujours été une maîtresse femme.

MANUÉLA Oui mais là, elle a accusé le coup.

ALYSON J'ai l'impression de l'abandonner !

ÉRWAN, à Kimberley


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C'est étonnant comme les gens ont l'illusion de quitter la Planète sous prétexte qu'ils font un malheureux petit saut de puce de dix mille mètres dans l'atmosphère.

MANUÉLA , poussant un cri A y est ! On a quitté le sol !

DÉMOSTHÈNE Ben ça vaut mieux si on veut voler au-dessus des océans. (Un temps) Ah ! Ils rentrent le train d'atterrissage...

MANUÉLA , lui rendant la pareille Ça vaut mieux si on veut pouvoir le sortir, tout à l'heure, quand on atterrira.

VOIX OFF, sur les haut-parleurs du bord Mesdames et messieurs, conformément à l'article 25 de la loi du 6 juillet 2059 sur les transports aériens et la lutte contre l'effet de serre, nous attirons votre attention sur le fait que l'usage de l'avion est gravement nuisible pour la santé de la Planète. Tout abus est passible d'une peine de cinq à vingt ans de prison et d'une amende de dix mille à trois cent mille euros.

ALYSON C'est bien la première et la dernière fois qu'on m'y prend ! (Regardant par le hublot) Et en plus on ne voit même pas le paysage, en bas. Tout est dans la poisse !

ÉRWAN Justement... On va trouver le soleil, là-haut ! (Un léger temps) Il y a combien de temps, Mamie, que tu n'as plus vu le soleil ? Je veux dire : le vrai soleil, sans un masque de fumée... Geste vague et profond soupir d'Alyson.

MANUÉLA , poussant un cri Oh ! De la neige !

DÉMOSTHÈNE, qui était en grande conversation avec son voisin (Se penchant vers Manuéla et lui donnant un coup de coude) Chut ! Tu vas nous faire passer pour des demeurés. Ta neige, tu ne vois pas que ce sont des nuages ! (Se penchant de nouveau vers son voisin et l’écoutant) Si ! Si ! A ! Qué ganaderia tan prospera ! (Se tournant vers Manuéla) Monsieur m'explique qu'il


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est éleveur de bovins. Il possède une hacienda de cinquante mille hectares au pied de la Sierra.

MANUÉLA , excédée "Monsieur m'explique... Monsieur m'explique..." Dis donc, c'est avec ce señor que tu pars en lune de miel au Mexique ou avec moi ?

DÉMOSTHÈNE, à mi-voix, à Manuéla Il n'arrête pas de me causer ! Il faut bien que je sois poli !

ÉRWAN Dans une petite demi-heure, on devrait arriver au-dessus de l'Atlantique.

ALYSON, On apercevra peut-être Noirmoutier ou l'île de Ré. Enfant, j'y passais mes vacances, avec mes parents…

ÉRWAN Ma pauvre Mamie… Tu n'as pas entendu parler de la montée des océans ? Sein, Belle-Île, l'Ile d'Yeu, Noirmoutier, l'île de Ré, Oléron mijotent depuis plusieurs années déjà sous deux ou trois mètres d'eau…

DÉMOSTHÈNE, sortant des documents du cartable qu'il a gardé avec lui Il faudrait quand même que je me replonge un peu dans mon dossier des forêts à étages. (Un léger temps)Il paraît que le président de la République en personne doit venir visiter le chantier. (Un léger temps encore. A Manuéla) Et toi, ma chérie, tu devrais en profiter pour apprendre deux ou trois mots d'espagnol. (Lui tendant un livre) Cette méthode est remarquablement faite.

MANUÉLA Des fois qu'il me faudrait tenir le crachoir au presidente Miguel-Federico Mejillones-Almendras y Salazar…

NOIR

Une musique sert à faire la transition avec la scène suivante. Ou la chanson "Mexico", par Luis Mariano.


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SCENE 2 Lorsque la lumière se rallume, au bout d'un assez court moment, tous les passagers de l'avion sont assoupis et ronflent à qui mieux mieux en essayant de trouver la bonne position sur l'étroit espace qui leur est imparti. Manuéla et Démosthène sont amoureusement blottis l'un contre l'autre. Si on en a la possibilité, on rabattra le sombrero du mannequin-Mexicain sur son nez. Après un temps, Érwan vient, dans son sommeil, poser sa tête sur l'épaule de Kimberley.

KIMBERLEY , ouvrant un œil, à voix basse à Érwan, tout en le repoussant doucement

Dites, professeur, il ne faudrait pas profiter de la situation ! Un homme tel que vous, débaucher une innocente lady sans défense, comme moi…

ÉRWAN, ouvrant un œil, avec des grognements Hmm ? Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

KIMBERLEY Chut, professeur ! Vous allez nous faire remarquer !

VOIX OFF, sur les haut-parleurs du bord, sur un ton en dessous, comme il convient de s'adresser à un auditoire endormi

Mesdames et Messieurs, votre attention, s'il vous plaît. Dans deux minutes environ, nous allons survoler le Pôle Nord. Dans deux minutes, le Pôle Nord… Suit la même annonce en anglais. Tous les passagers se réveillent, avec des soupirs, des grognements, des bâillements, en s'étirant, en se frottant les yeux…

DÉMOSTHÈNE, bâillant Et alors, qu'est-ce qu'on va avoir de plus, à passer au-dessus du Pôle Nord ?

MANUÉLA Ben… c'est quand même un point remarquable ! (Se penchant vers le hublot) Ça mérite un petit coup d'œil en bas. (Un léger temps) A quoi on le reconnaît, exactement, leur Pôle Nord ? Ils y ont construit un monument ? Ils ont installé une balise avec un clignotant ?

ÉRWAN, à Kimberley et Alyson, avec qui il observe par le hublot On devine la banquise qui est en train de se reformer avec l'arrivée de l'hiver.


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En été, elle est complètement fondue.

KIMBERLEY C'est pareil pour le Groenland. Il paraît qu'au début du siècle encore il était recouvert par une couche de glace de plusieurs dizaines de mètres…

VOIX OFF, sur les haut-parleurs du bord Mesdames et Messieurs, en ce moment même nous passons très précisément à la verticale du Pôle Nord.

MANUÉLA , fébrile, désemparée, se tournant dans toutes les directions Il faut regarder par le hublot de droite ou le hublot de gauche ? (A Démosthène, visant à travers le hublot avec un petit appareil photo) Je fais une photo quand même, à tout hasard…

ALYSON, avec un bâillement Et les ours blancs, dans tout ça ? Ils restent tous un moment à regarder rêveusement par leur hublot.

ÉRWAN Waouh ! On a droit en prime à une superbe aurore boréale ! KIMBERLEY , applaudissant, tout en continuant à regarder à travers le hublot Beautiful ! Very, very beautiful ! N'est-ce pas, Mamie, que le spectacle valait le déplacement ?

ALYSON Sans doute ! Sans doute ! (A mi-voix) Mais cesse de t'enthousiasmer comme une petite fille ! N'oublie pas que tu es la très respectable vice-présidente de la Ligue Internationale pour la Défense de la Vertu et de l'Environnement qui va tenir son cinquantième congrès à Mexico.

KIMBERLEY , avec la voix de Miss Crowney Pardonnez-moi, chère Madame Clochette. Je crains en effet de m'être un peu laissé emporter par la prodigieuse magie de cet instant.

DÉMOSTHÈNE (Penché vers son voisin, après l'avoir écouté quelques secondes sourcils froncés, sèchement) No, señor ! No suelo jugar a los naipes en avion !

MANUÉLA , à Démosthène Qu'est-ce qu'il te disait ?


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DÉMOSTHÈNE, se tournant vers Manuéla

Des conneries ! KIMBERLEY , qui ne regarde plus à travers le hublot, avec un profond soupir

Plus que sept ou huit heures à vivre recroquevillés…

ÉRWAN (A Kimberley) Si les courants nous sont favorables… (A Alyson) Ça va, Mamie ? Pas trop courbatue ?

ALYSON, grognon Je ne suis pas plus mal en point que le Pôle Nord ! Juste un poil cassée, avec un peu l'impression de perdre un tantinet la boule, comme lui. Après tout, ni lui, ni moi n'avons plus nos vingt ans.

ÉRWAN, prenant sa voix de vieux professeur, à Alyson Vingt ans, mais c'est presque l'âge qu'on vous donnerait, ma chère Madame Clochette ! Et vous avez un petit-fils, m'avez-vous dit ? Cela ne me paraît guère possible ! Vous n'avez pas l'âge d'être grand-mère !

ALYSON, prenant la voix, le ton et le vocabulaire vulgaire du personnage sous l'identité duquel elle voyage

Et dites, mon pauvre Monsieur le professeur Lazimuth, faut pas me prendre pour une grosse bécasse ! C'est pas à moi que vous allez la faire, aussi vrai que je m'appelle Paméla Clochette ! (Un léger temps) Et un peu, que je suis, grand-mère. Et pas que depuis ce matin ! J'ai qu'un petit-fils mais il compte double, tellement il est couillon ! Si je pouvais le fourguer, ce galapiat ! Qu'est-ce que vous voulez, mon pauvre Monsieur le professeur, on choisit ses copines mais pas la famille. Et vous voulez que je vous dise : des fois, le bon sens il saute une génération. Je sais pas ce que vous en pensez, vous qui êtes un savant…

Érwan, à mi-voix, à sa grand-mère, et l'applaudissant discrètement Bravo, Mamie ! J'ai toujours dit que tu étais une fabuleuse comédienne !

KIMBERLEY , avec la voix de Miss Crowney, à Alyson-Mme Clochette Ne désespérez pas, chère Madame. Peut-être que ce garçon s'améliorera en vieillissant…

ALYSON- Mme CLOCHETTE, stimulée par le compliment de son petit-fils Oh ! Lui, je crois pas. A moins qu'il finisse par rencontrer une gonzesse qui le mette au pli... Mais à cette pipistrelle-là, je lui souhaite bien du plaisir !


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ÉRWAN-LAZIMUTH Et donc, si j'ai bien compris, vous allez rendre visite à votre demi-sœur à Mexico ?

ALYSON- Mme CLOCHETTE Cette brave Cyndie ! Il va y avoir cinquante ans cette année (elle renifle, sort son mouchoir, écrase une larme) qu’on s'est pas fait la bise. Elle est partie à Mexico tout de suite après avoir épousé Fernando. (Un temps) Ils ont drôlement réussi là-bas. Ils tiennent un commerce près de la gare centrale. "La casita de las gatitas negras", ça s'appelle, ou quelque chose comme ça. Et ça a l'air de tourner ! Ils sont ouverts la nuit jusqu'à des heures pas possibles !

MANUÉLA , pensive Qui sait où se trouve Érwan, à l'heure qu'il est ? Peut-être dans un avion, comme nous, quelque part au-dessus de la Planète… Si ça se trouve, il pense à nous. Et il est triste.

DÉMOSTHÈNE Si au moins cette Kimberley pouvait lui mettre un peu de plomb dans la cervelle. Mais elle m'a l'air aussi fantaisiste que lui… Dommage parce que, autrement, elle ne serait pas mal, cette fille. ÉRWAN- LAZIMUTH , se tournant brusquement vers le mannequin, son voisin mexicain, qui est assis de l'autre côté du couloir et qui, manifestement, vient de lui adresser la parole Perdon ? (Un temps durant lequel il écoute son interlocuteur, puis :) A, si ! Encantado, señor. Yo soy el professor Yacinthe Lazimuth, de l'Observatoire de Haute Provence. (Un temps, puis :) Si, señor, astrophysician. Soy especialista de las estrellas de la galaxia del Conejito. Y voy a hacer observaciones al muy largo telescopa del monte Palomar.

DÉMOSTHÈNE, à mi-voix à Manuéla Le monsieur qui est assis de l'autre côté du couloir est un astrophysicien. Il explique au Mexicain qu'il est spécialiste des étoiles de la galaxie du Petit Lapin (tiens, jamais entendu parler, de celle-là !)… Il va faire des observations au très grand télescope du Mont Palomar, ce vieux veinard !

ÉRWAN- LAZIMUTH , poursuivant sa discussion avec le Mexicain, tantôt l'écoutant, tantôt lui répondant

A si !… Tiene usted diez mila vacas !

DÉMOSTHÈNE, toujours à mi-voix à Manuéla


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Putain, il a dix mille vaches, cet empaffé !

MANUÉLA Qu'est-ce qu'elles doivent roter comme CO2 !

ÉRWAN- LAZIMUTH , toujours au Mexicain Toda la ganaderia debe llevar el masco respiratorio ?

DÉMOSTHÈNE, toujours à mi-voix à Manuéla Dis donc ! Toutes les bêtes du troupeau doivent porter le masque respiratoire en permanence, tellement l'air est pollué même au milieu de la Pampa !

MANUÉLA Eh ben, c'est gai ! Qu'est-ce que ça doit être en plein Mexico !

DÉMOSTHÈNE, à Manuéla toujours S'il n'y avait pas cet enquiquineur de Mexicain entre nous deux, je lui poserais bien quelques questions, au professeur ! Moi, l'astronomie, ça m'a toujours passionné.

MANUÉLA C'est ça, parle lui des astres ! De toutes façons, pour la lune de miel, le Mexique, ça me paraît bien compromis !

DÉMOSTHÈNE, s'adressant à Érwan-Lazimuth Pardonnez-moi, professeur, mais j'ai cru comprendre que vous étiez astrophysicien…

ALYSON, à mi-voix Kimberley, en la poussant du coude Ah ! J'en étais sûre ! Il va le reconnaître !

ÉRWAN-LAZIMUTH , à Démosthène A qui ai-je l'honneur, cher Monsieur ?

KIMBERLEY , à mi-voix à Alyson Faites donc un peu confiance à Érwan ! Il ne va pas se démonter pour si peu.

DÉMOSTHÈNE, à Érwan-Lazimuth Je suis Démosthène Cloucade. Et je vous présente Manuéla, mon épouse…

ÉRWAN-LAZIMUTH (A Manuéla, en inclinant légèrement la tête) Mes hommages, Madame. (A


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Démosthène, avec un petit signe de tête) Enchanté, Monsieur… (Un léger temps) Seriez-vous le Démosthène Cloucade… l'architecte de l'environnement concepteur des fameuses forêts à étages ?

DÉMOSTHÈNE (A Manuéla, avec un regard de triomphe) Ma parole, ce type me connaît ! (A Érwan-Lazimuth, sur un ton de fausse modestie) Je suis bien le Cloucade des forêts à étages, en effet ! Pourquoi, vous en avez entendu parler ?

ÉRWAN-LAZIMUTH , sur un ton laconique Certainement… Certainement. (Un léger temps) La première tour de ce type est en chantier à Mexico, je crois ?

DÉMOSTHÈNE, à Érwan-Lazimuth Exactement.

ÉRWAN-LAZIMUTH Fort bien. Fort bien.

DÉMOSTHÈNE, subitement inquiet, à Érwan-Lazimuth Mais encore ? Vous êtes au courant de ce projet ?

ÉRWAN-LAZIMUTH (A Démosthène) Oui, vaguement. (Un temps) Moi, vous savez, les forêts, je les préfère en rez-de-chaussée… Mais je ne vous jette pas la pierre : il faut bien vivre. Et tant que ces sortes de fuite en avant auxquelles les architectes d'aujourd'hui croient devoir se livrer ne les amènent pas à pousser leurs étages jusque dans les plus lointaines galaxies, ou à planter des forêts artificielles sur les anneaux de Saturne… (Il a un petit rire, puis, s'adressant au Mexicain) Y entonces, que comen sus vacas ? (Léger temps) Tortillas de celulosa artificial ?

MANUÉLA , à Démosthène Alors… la leçon d'astrophysique est déjà terminée ?

VOIX OFF, sur les haut-parleurs du bord Mesdames et Messieurs les passagers des zones K3, G4 et C5 sont attendus en salle de massage. Même annonce en anglais.

ÉRWAN, à Alyson Allons, Mamie ! En salle de massage !


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ALYSON

Est-ce que c'est bien nécessaire ?

KIMBERLEY Mais oui, ma petite Mamie ! C'est pour éviter les accidents circulatoires.

ÉRWAN A force de rester immobiles, le sang circule mal.

ALYSON-Mme CLOCHETTE, à mi-voix, à Érwan Eh bien moi je puis vous garantir, Monsieur le professeur, que jamais mon palpitant n'a tapé aussi fort que depuis que j'ai mis les pieds dans ce foutu zinc ! Et jamais mon raisiné n'a trotté aussi vite dans la tuyauterie ! (Se levant de son siège d'un air résolu, et à haute voix cette fois) Mais s'il faut aller se faire tâter la couenne, allons-y ! Et j'espère que cette fois, bon sang de bonsoir, ils vont me trouver un masseur croquignolet ! (A Érwan-Lazimuth, en lui administrant une grande claque sur les fesses) Vous, Monsieur l'astronome, je suis sûre que vous ne vous ferez pas prier pour montrer votre lune à la petite masseuse de ce matin !

MANUÉLA , à Démosthène Qu'est-ce qu'elle est vulgaire, cette bonne femme ! KIMBERLEY-MISS CROWNEY, qui s'est levée elle aussi et se dirige vers le fond de l'appareil, précédée par Érwan et suivie par Alyson, grommelant par-devers elle Chocking ! Very chocking !

DÉMOSTHÈNE, riant, à mi-voix à Manuéla En tout cas, elle a choqué la vieille bique anglaise ! A tous les trois, ils font un de ces tableaux !

MANUÉLA On va attendre qu'ils reviennent pour aller se faire masser. Quelque part, ça m'ennuierait qu'on croie qu'on voyage avec eux…

NOIR

Comme précédemment, une musique, ou la chanson "Mexico", servira à faire la transition avec la scène suivante.


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SCENE 3

Quand la lumière se rallume, les passagers se trouvent de nouveau tous assis sur leur siège. Ils sont silencieux, assommés par la longueur du voyage. Manuéla et Érwan somnolent. Alyson est plongée dans la lecture d'un livre ou d'une revue. Kimberley écoute de la musique, un casque sur les oreilles. Démosthène, un dossier ou un ordinateur portable sur les genoux, met la dernière main aux notes qui nourriront ses diverses interventions sur le chantier qu'il doit superviser à Mexico. Manque le mannequin du Mexicain, sur le siège voisin de celui de Démosthène. Après un temps : VOIX OFF, sur les haut-parleurs du bord Mesdames et Messieurs, nous commençons notre descente sur l'Aéroport International de Mexico.

MANUÉLA , que cette annonce tire de sa somnolence, tout en s'étirant et bâillant Eh bien ce n'est pas trop tôt !

ÉRWAN, bâillant et s'étirant de même, à Alyson et à Kimberley qui a retiré le casque de sur ses oreilles Vous allez voir, les filles : les atterrissages à Mexico, à près de deux mille mètres d'altitude et avec les températures qui y règnent maintenant, c'est souvent un peu impressionnant L'avion est obligé de conserver une certaine vitesse pour ne pas décrocher. Il déboule sur la piste comme un météorite.

ALYSON Déjà que je ne suis pas très rassurée !

ÉRWAN Mais non ! C'est amusant ! Il n' y a vraiment pas de quoi paniquer !

KIMBERLEY, Ne me dis plus rien ! Tu vas finir par nous ficher la trouille pour de bon.


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ALYSON, à Érwan, sur un ton inquisiteur Et tu y as déjà fait l'acrobate combien de fois, toi, sur cet aéroport de Mexico ?

Geste vague, ponctué d'un sourire, d'Érwan.

MANUÉLA , avec un nouveau bâillement, à Démosthène, tout en lui désignant le siège vide du Mexicain

Dis donc, ton copain, là, le cow-boy mexicain du dimanche… il n'est toujours pas revenu de sa séance de massage !

DÉMOSTHÈNE Il te manque ? (Un léger temps) Ne t'inquiète pas. Il n'a pas dû sauter en marche.

KIMBERLEY , à Érwan Oui mais… quand tes parents vont l'appeler au téléphone, Mamie ?…

ÉRWAN, à Kimberley C'est pas compliqué : elle leur répondra sur son portable. Et elle leur parlera comme si elle était à la maison.

ALYSON, à Érwan et Kimberley, en leur désignant discrètement le siège du Mexicain

Il n'est toujours pas là, le Mexicain !

ÉRWAN Bah ! Sans doute qu'il apprécie sa séance de massage !

KIMBERLEY Depuis trois heures qu'il y est parti, quand même !

ALYSON Je me demande s'il ne faudrait pas avertir l'hôtesse ou le stewart.

ÉRWAN Mais non ! Ne vous faites pas de souci pour lui ! Si ça se trouve, il a fait une bonne rencontre. Ou il est en train de piquer un petit roupillon au bar.

ALYSON, enchaînant avec ce bout de la fameuse chanson rendue populaire par Marcel Amont "Le sombrero sur le nez…"

Elle pourra poursuivre cette chanson quelques secondes avec Érwan.


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ÉRWAN, enchaînant En tout cas, les sombreros, il y a belle lurette que les habitants de Mexico n'en ont plus besoin. Le nuage de fumée qui recouvre leur ville est encore pire que chez nous !

MANUÉLA , à Démosthène Je voudrais bien qu'on trouve un moment pour aller voir ce collectionneur de poches en plastique qui m'a envoyé un mail, l'autre jour. Il habite à une vingtaine de kilomètres dans la banlieue Sud de Mexico. On doit faire des échanges.

DÉMOSTHÈNE Tu ne sais pas que Frimardel a eu le culot de me demander de lui rapporter une bouteille de téquila ? Il peut toujours l'attendre ! Ou alors, je vais la lui choisir, moi, sa téquila ! Il ne sera pas déçu du voyage !

ÉRWAN, à Alyson et Kimberley C'est marrant ce Mexicain. Il a un petit air du général Tapioca, dans "Tintin et Milou"…

ALYSON, l'air décontenancé Tintin et Milou ?

ÉRWAN (A Kimberley)Même "Tintin et Milou", tu te rends compte ! (A Alyson) Tu ne connais pas Tintin ?

ALYSON Tintin ? Qui c'est, cet aztèque ?

DÉMOSTHÈNE Et tu ne vois pas qu'on me propose un poste au Mexique ? Tu accepterais d'aller vivre là-bas, quelques années ?

MANUÉLA

Pourquoi pas ? (Un temps. Sur un ton de regret) Ouais… mais franchement, je ne m'imagine pas laisser maman seule en France.

DÉMOSTHÈNE Ta mère ne voudra jamais nous suivre en Amérique du Sud…

MANUÉLA C'est vrai que, elle, pour la bouger…


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DÉMOSTHÈNE

La seule idée de monter dans un avion la rendrait folle ! (Imitant sa belle-mère) "Vous ne vous rendez pas compte ! A mon âge, me payer plus de vingt heures d'avion !"

ÉRWAN, désignant par le hublot un point au sol à Kimberley et Alyson

Là-bas, le Popocatépetl ! Enfin, je crois…

ALYSON-CLOCHETTE, récitant, à l'intention d'Érwan et Kimberley qui l'écoutent à la fois étonnés et amusés

" Le Popocatépetl, en langue nahuatl "la montagne qui fume"… Ce volcan, situé à soixante kilomètres au Sud de Mexico, était en permanence couvert de neiges durant la première moitié du XXIème siècle encore…" Kimberley- Crowney et Érwan-Lazimuth l'applaudissent.

KIMBERLEY-CROWLEY Bravo, Madame Clochette !

ÉRWAN-LAZIMUTH Ma chère Paméla, quelle culture !

ALYSON-CLOCHETTE Eh dites, hein, Monsieur le professeur…c'est pas parce qu'on a pas été dans les écoles jusqu’à des vingt ou trente ans et qu'on va pas régulièrement s'aérer les méninges au milieu des étoiles, comme vous, qu'on est pas capable d'apprendre trois pages d'un guide par cœur… Et…

SCENE 4

ALYSON-CLOCHETTE, toujours …et… Oh ! Mon Dieu ! Elle se prend le bas du visage dans la main, dans un geste de surprise horrifiée. C'est que, au moment où elle prononce ces dernières paroles, son regard est capté par l'arrivée soudaine de deux passagers au fond de ce "compartiment" de l'avion : Marilys Croquignol et Jules Filochard !


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JULES FILOCHARD, à haute voix

Bonne respiration, M'sieurs-dames ! Inspecteur Filochard, de la Police Climatique… Sitôt que le policier a commencé à parler, tous se sont retournés. Comme Alyson, Manuéla, Démosthène et Érwan ont marqué leur stupéfaction par des "Oh !", des "Ah !", un mouvement de recul, des gestes ou des mimiques plus ou moins retenus. Profonde surprise aussi de Kimberley qui elle, toutefois, ne connaît pas les deux policiers.

MARILYS CROQUIGNOL M'sieurs-dames, bonne respiration ! Inspectrice Marilys Croquignol, également de la Police Climatique.

KIMBERLEY , se blottissant contre Érwan Mon chéri !

ÉRWAN, à voix basse, à Kimberley et à Alyson Quoi qu'il arrive, surtout ne faites semblant de rien !

MANUÉLA Filochard et Croquignol ! Ça par exemple !

ALYSON, à Érwan et Kimberley, à voix basse Cette fois on est cuits ! Je savais bien que cette histoire tournerait mal !

DÉMOSTHÈNE, à mi-voix, à Manuéla Ça sent le roussi !

KIMBERLEY , à voix basse, à Érwan Ce n'est peut-être qu'un contrôle de routine...

ÉRWAN, à voix basse, à Kimberley, Non, je ne crois pas. Je n'ai encore jamais vu la Police Climatique effectuer des contrôles en plein vol. MANUÉLA , à Démosthène contre qui elle se serre, à voix basse et geignarde

Ils savent que je ne parle pas l'espagnol et que je ne peux pas être ton interprète ! Ils viennent nous arrêter ! Moi, au moins !


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ÉRWAN, à Kimberley, en la serrant très fort dans ses bras Mon amour ! Dussions-nous être séparés pendant des années, je t'aimerai jusqu'à mon dernier souffle !

KIMBERLEY , à Érwan Je t'attendrai, mon amour ! Alyson s'est pris le visage dans les mains et elle sanglote. Les deux inspecteurs, exhibant leur carte professionnelle remontent lentement le couloir, dévisageant au passage chaque passagers. Ils arrivent à hauteur de nos personnages.

JULES FILOCHARD, se penchant vers Alyson et lui posant doucement la main sur l'épaule

Allons, ma petite dame ! Il ne faut pas avoir peur !

ALYSON, relevant son visage vers lui Faites votre travail !

JULES FILOCHARD, se tournant vers Marilys Croquignol, sourcils froncés Il me semble avoir déjà entendu cette voix...

MARILYS CROQUIGNOL, à Jules Filochard, tout en se grattant le menton Ouais... Moi aussi, il me semble la connaître...

DÉMOSTHÈNE, à mi-voix, à Manuéla J'ai cru entendre ta mère !

MANUÉLA , à Démosthène C'est bien le moment de dire des bêtises ! Dans les moments délicats, y en a qui appellent leur mère. Toi, c'est ta belle-mère ! Si elle te manque à ce point, on n'avait qu'à rester à la maison ! Au moins, on n'aurait pas eu tous ces ennuis ! Ah ! Elle est réussie, notre lune de miel au Mexique, je te jure !

ÉRWAN-LAZIMUTH (A Alyson-Clochette) Remettez-vous donc, ma chère Madame Clochette ! Les honnêtes gens comme vous n'ont rien à craindre de la Police Climatique. Au contraire ! Ce Monsieur et cette dame sont là pour nous protéger. (La prenant à son tour affectueusement par les épaules pour la secouer tout doucement) Allons, allons, ma bonne Paméla ! Je ne vous aurais pas supposée aussi impressionnable ! (Se tournant vers les deux policiers) Sous ses airs, disons, un peu... un peu "brusques", cette brave dame cache une sensibilité à fleur de peau.


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KIMBERLEY-CROWLEY

(A Alyson-Clochette, lui prenant la main) Eh bien, ma pauvre chère Madame ! (Riant) Vous n'avez tout de même pas cru que ces policiers venaient pour vous arrêter ?

ÉRWAN-LAZIMUTH , aux policiers Avec toutes les histoires de pirates de l'air, de prises d'otages, de détournements d'avion qu'on lit dans les journaux, elle a dû s’imaginer le pire ! A un moment, j'ai bien pensé qu'elle allait tourner de l'œil, oui !

MANUÉLA , à mi-voix à Démosthène, en le poussant du coude Si on essayait, discrètement, de filer pendant qu'ils parlent ? Comme si on voulait aller aux toilettes, au bar ou en salle de massage ?

DÉMOSTHÈNE Ah oui ! Et après tu te sauveras en Amérique du Sud en parachute ? Le mieux, c'est de ne pas bouger et d'attendre la suite des événements. Advienne que pourra. N'oublie pas que je dois rencontrer le président du Mexique. Au besoin, je lui demanderai de nous arranger le coup.

MARILYS CROQUIGNOL (A Érwan-Lazimuth) C'est vrai qu'en général les gens ne sont pas spécialement ravis de nous voir arriver... Mais, croyez-moi, si nous n'étions pas là pour faire respecter la loi, l'air serait encore plus irrespirable. (A Alyson-Clochette) Ne vous faites aucun souci, Madame. Nous ne vous voulons aucun mal. Désirez-vous que nous appelions une hôtesse pour qu'elle vous apporte un petit remontant ?

ALYSON-CLOCHETTE, à Marilys Croquignol, en forçant à loisir ton de la voix et caractère de son personnage

Non, non... Vous êtes bien aimable, Madame l'espectrice… (Attrapant le sac à main qu'elle a gardé avec elle, à ses pieds, l'ouvrant et en extrayant des boîtes de pilules et des flacons) J'ai ce qu'il faut pour mes nerfs dans le sac. Pour le palpitant aussi. Et aussi pour mon ulcère à l'estomac. (Montrant plusieurs boîtes ou flacons) Ces cachets-là, c'est pour mes hémorroïdes. Ces gouttes, c'est pour les varices. Ces pilules, c'est pour le cas où j'aurais été malade en avion. Mais j'en ai pas eu besoin. Je suis juste un peu constipée. Ça me fait penser que je vais prendre ces dragées que m'a marquées le toubib. C'est à base de plantes. Et en général, dites, ça me fait effet... Joignant le geste à la parole, elle commence à se médicamenter, buvant au


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goulot d'une bouteille d'eau pour faire descendre cachets et pilules.

KIMBERLEY-CROWNEY, aux deux policiers Moi-même, je dois vous avouer que je me suis demandé ce qui arrivait...

MARILYS CROQUIGNOL, à Kimberley-Crowney C'est vrai que vous êtes toute pâlichonne, vous aussi !

JULES FILOCHARD, à Érwan-Lazimuth Et vous aussi, Monsieur, vous avez l'air tout chose...

ÉRWAN-LAZIMUTH , aux deux policiers Tout compte fait, effectivement... Je joue les fanfarons devant ces dames... Mais je dois avouer qu’en vous voyant débouler, comme ça, sans crier gare, des images de fusillade et d'avion qui explose en plein vol m'ont traversé l'esprit. Sans doute que moi aussi, je vais trop au cinéma.

MARILYS CROQUIGNOL, à Jules Filochard Décidément, il faudra qu'on se surveille ! On n'est quand même pas là pour terroriser les populations. Déjà que nous ne sommes pas spécialement bien vus...

JULES FILOCHARD, à Érwan-Lazimuth et à Kimberley Veuillez nous excuser si nous vous avons donné quelques petites émotions. Et une fois encore, croyez bien que nous sommes là pour aider les citoyens intègres comme vous. Pas pour leur créer des ennuis. J'espère que vous êtes pleinement rassurés, maintenant ?

ALYSON-CLOCHETTE Je crois que finalement, grâce à vous et à la belle trouille que vous m'avez fichue, j'aurai pas besoin de prendre mes dragées pour aller aux cabinets ! Ils rient tous les cinq. Puis :

JULES FILOCHARD, à Alyson-Clochette, Kimberley- Crowley et Érwan-Lazimuth

Vous savez, entre nous, je vais vous dire : nous sommes habitués à juger les individus au premier coup d'œil...

MARILYS CROQUIGNOL, surenchérissant Question d'habitude. C'est notre métier qui veut ça.

JULES FILOCHARD


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Ouais... Et je peux vous assurer qu'en même pas une fraction de seconde, avec vous, on sait à qui on a affaire... Là-dessus, il s'interrompt, son visage se fige cependant qu'il adresse un petit clin d’œil furtif à Marilys Croquignol

MARILYS-CROQUIGNOL, l'air subitement sévère, enchaîne On voit bien que vous êtes les plus grands escrocs que la Terre ait jamais portés! A ces mots, Alyson, Kimberley et Érwan ne peuvent réprimer petit cri et mouvement d'horreur. Après quelques longues secondes durant lesquelles ils gardent l'air sévère, les deux policiers éclatent de rire.

JULES FILOCHARD (A Marilys Croquignol) Arrêtons : on va finir par les tuer ! (A Alyson-Clochette, Kimberley-Crowley et Érwan-Lazimuth) Mais ma collègue plaisante ! Y a pas besoin d'être sorti de l'Ecole Supérieure de la Police pour savoir, juste en vous apercevant, que vous n'avez rien à vous reprocher !

MARILYS CROQUIGNOL Si tous les citoyens étaient comme vous...

JULES FILOCHARD ... notre vie serait un rêve !

MARILYS CROQUIGNOL Tu veux dire qu'on n'aurait plus qu'à se mettre au chômage, oui !

JULES FILOCHARD En tout cas, c'est pas comme avec votre voisin, là... Il se tourne vers la rangée de sièges située de l'autre côté du couloir.

DÉMOSTHÈNE, d'une voix blanche, à Manuéla Cette fois, y a pas de doute : c'est pour nous !

JULES FILOCHARD, poursuivant … ce "Ramon Olivares Quiñones y Ventanas", comme il se faisait appeler, alias "le Mexicain" ! Pas plus mexicain que moi... (s’adressant directement à Manuéla et Démosthène) ou que vous, cher Monsieur et chère Madame Cloucade ! Bonne respiration ! Comme on se retrouve !


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MARILYS CROQUIGNOL, à Alyson et Démosthène Tiens donc, comme on se retrouve en effet !

DÉMOSTHÈNE et ALYSON, tour à tour et d'une voix blanche

Bonne respiration !

MARILYS CROQUIGNOL, à Alyson et Démosthène toujours Pour nous, à vrai dire, ce n'est pas une surprise de vous rencontrer à bord de cet avion. Nous avions repéré vos noms sur la liste des passagers. Et nous vous avons aperçus de loin, à l'embarquement.

DÉMOSTHÈNE Avec toutes les amendes que nous a values votre dernière visite à la maison, vous comprendrez que nous n'ayons pas spécialement envie de vous sauter au cou....

MANUÉLA Je suis bien désolé mais aujourd'hui nous n'avons aucun appareil, pas le moindre compteur, à vous faire contrôler. Mais peut-être qu'avec tous les appareils qui composent cet avion vous avez suffisamment de quoi vous occuper ? Je plains la Green Flights Universal Company ! Tous ces procès-verbaux que vous n'aurez pas eu le temps de lui rédiger pendant cet interminable vol de vingt-sept heures !

MARILYS CROQUIGNOL, piquée Je vais sans doute vous décevoir, Madame Cloucade. Mais nous n'avons pas les compétences requises pour le contrôle des avions. Cette tâche incombe à une section spécialisée de la Police Climatique.

JULES FILOCHARD, enchaînant Et je vais encore plus vous décevoir en vous précisant que nous ne sommes pas du tout à bord de cet avion pour nous intéresser à vous. Alyson et Démosthène répriment à grand peine un soupir de soulagement.

DÉMOSTHÈNE C'est bien dommage !

MARILYS CROQUIGNOL Oh ! Nous aurons sans doute l'occasion de nous rattraper.

JULES FILOCHARD


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J'y compte bien pour ma part. En attendant, nous sommes en plein dans le dossier, disons plutôt dans l'affaire, Ramon Olivares Quiñones y Ventanas...

DÉMOSTHÈNE Ah oui, au fait... ce Mexicain...

JULES FILOCHARD Ce faux Mexicain ! En réalité il s'appelle Etienne Blandard.

DÉMOSTHÈNE

Qu'est-ce que vous en avez fait ? Il y a maintenant près de quatre heures qu'il a quitté son siège, à côté de moi ? Vous ne l'avez pas jeté à la mer, quand même ?

MARILYS CROQUIGNOL Vous nous prêtez de ces méthodes ! Non, non, nous avons profité de sa séance de massage, alors qu'il était en slip (pas sexy pour un sou, d'ailleurs), absolument sans armes et aussi peu que possible sur ses gardes, pour lui passer prestement des bracelets aux poignets.

JULES FILOCHARD A l'heure qu'il est, il se repose, sous la surveillance de deux de nos collègues, dans une cabine en principe réservée à la récupération des personnels navigants.

MARILYS CROQUIGNOL Et il va avoir le temps de se reposer ! Avec l'accord des autorités locales qui marchent la main dans la main avec nous dans cette affaire, il ira directement rejoindre la cellule qu'on a retenue pour lui à la prison centrale de Mexico.

JULES FILOCHARD Ça va sûrement beaucoup le changer des palaces internationaux auxquels il était plutôt habitué. Là-dessus, les deux policiers se mettent à inspecter minutieusement le siège et la place qu'occupait ce fameux Ramon Olivares Quiñones y Ventanas. Ils vont fouiller sous le siège, dans le coffre à bagages.

JULES FILOCHARD, tout en fouillant Veillez nous excuser de vous déranger quelques minutes. Mais nous voulons nous assurer que l'individu n'a rien dissimulé à sa place, ni armes, ni documents...


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ÉRWAN, à mi-voix, à Alyson Dis donc, Mamie, ce n'est pas une raison pour te bourrer de granules même homéopathiques !

ALYSON, à mi-voix, à Érwan Avec la trouille qu'ils m'ont fichue, ce sont des calmants pour les chevaux qu'il me faudrait !

MARILYS CROQUIGNOL, extrayant un revolver de sous le siège où il était fixé avec des bandes adhésives, à son collègue

Qu'est-ce que tu dis de ce jouet-là ?

JULES FILOCHARD, prenant précautionneusement le revolver, et l’examinant

Qu'un simple pruneau de ce calibre-là peut percer un nouveau hublot dans la carlingue ! Vérifions, au moins, qu'il ne soit pas armé...

MARILYS CROQUIGNOL, sortant cette fois une serviette en cuir du "rack" à bagages

Et voilà sa serviette. (Elle l'ouvre, en sort des dossiers qu'elle examine quelques secondes avant de les ranger de nouveau) Rien qu'avec ça, la brigade financière aura de quoi s'occuper pendant plusieurs mois.

JULES FILOCHARD, à Marilys Croquignol Bon, je crois qu'on a tout fouillé. On va aller voir si notre client a un peu plus de conversation que tout à l'heure...

DÉMOSTHÈNE, aux deux policiers Sans être indiscret, qu'est-ce que vous lui reprochez à ce brave homme ? Vous ne l'arrêtez pas simplement parce qu'il joue les faux Mexicains, je suppose ?

MANUÉLA Oui, qu'est-ce qu'il vous a fait, ce pauvre monsieur ? Il a chez lui un compteur qui ne tourne pas comme vous voulez ?

JULES FILOCHARD, à Alyson et Démosthène Tout ce que je peux vous dire sans trahir le secret de l'enquête, c'est que Etienne Blandart, alias Ramon Olivares Quiñones y Ventanas, est à la tête d'un important réseau international de faux tickets de rationnement d'oxygène.

ÉRWAN, à mi-voix, par-devers lui Un trafic des tickets de rationnement d'oxygène : il y en a qui n'ont vraiment


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aucun scrupule !

VOIX OFF, sur les haut-parleurs du bord Mesdames et Messieurs, nous vous prions de regagner votre siège et d'attacher votre ceinture. Notre atterrissage sur l'Aéroport International Benito Juarez de Mexico est imminent. Suivent les mêmes annonces en espagnol et en anglais.

MARILYS CROQUIGNOL Le reste, vous le lirez sûrement dans votre journal favori ces prochains jours.

JULES FILOCHARD Ouais ! Et à la première page, encore !… (Se tournant vers Alyson-Clochette, Kimberley-Crowney et Érwan-Lazimuth) Bon… j'espère que vous ne nous en voudrez pas trop pour… la petite décharge d'adrénaline !

ALYSON-CLOCHETTE Pas du tout ! Au contraire : bravo d'avoir arrêté ce bandit ! Tiens, si ça ne dépendait que de moi, on le lâcherait sans masque dans les rues de Mexico, ce gros malhonnête, pour lui apprendre à pomper l'air des braves gens. Et on le ferait courir à grands coups de cactus sur le derrière.

ÉRWAN-LAZIMUTH , aux deux policiers Vous pouvez partir tranquilles : je crois que cette bonne Madame Paméla Clochette est tout à fait remise de ses émotions.

MARILYS CROQUIGNOL, à Manuéla et Démosthène A bientôt sans doute… Je suis sûre que nous aurons tôt ou tard l'occasion de nous revoir…

JULES FILOCHARD, à Manuéla et Démosthène Quand vous verrez votre fiston, vous lui direz bien des choses de notre part… (Un léger temps) Vous savez, ce faux Mexicain… ça faisait des années qu'on était sur sa trace.

MARILYS CROQUIGNOL Comme quoi, on n'est pas pressés…

ÉRWAN-LAZIMUTH A qui sait attendre, tout vient à point, comme dirait La Fontaine.

JULES FILOCHARD, se retournant vers Érwan-Lazimuth Pardon, Monsieur ? De quelle fontaine parlez-vous ?


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ÉRWAN-LAZIMUTH

Non, non, c'était juste in petto…

JULES FILOCHARD, l'air perplexe (L’air perplexe) In petto ? Connais pas non plus… (Se dirigeant vers le fond du compartiment) Allez… M'sieurs-dames, bonne respiration à tous !

MARILYS CROQUIGNOL Bonne respiration au Mexique !

MANUÉLA, DÉMOSTHÈNE, ÉRWAN-LAZIMUTH, KIMBERLEY-CROWNEY, ALYSON-CLOCHETTE

Bonne respiration ! Les deux policiers sortent.

SCENE 5

Kimberley se jette dans les bras d'Érwan qui l'embrasse sans retenue.

MANUÉLA , à Démosthène Ouf ! (Un temps) Eh ben j'aurais voulu qu'Érwan voit la scène !

DÉMOSTHÈNE, à Manuéla, tout en s'épongeant le front Sûr que ça lui ferait passer l'envie de jouer les chevaliers blancs dans les avions ! (Donnant un coup de coude à son épouse) Dis donc, t'as vu à côté, le vieux satyre qui est en train de débaucher l'Anglaise ?

MANUÉLA Comme ça, il aura pas besoin de lunette pour voir la lune de près. (Se blottissant


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amoureusement contre lui) Et toi, le Mexique, ça ne te donne pas des idées ?

ÉRWAN-LAZIMUTH , à Kimberley-Crowney, tout en continuant à l'embrasser fougueusement

Miss Crowley, prochaine destination : Las Vegas. Là-bas, je vous épouse !

KIMBERLEY-CROWNEY Est-ce bien raisonnable, professeur ?

ALYSON-CLOCHETTE Oui mais… en attendant, je vous rappelle que vous avez charge de grand-mère ! Dans l'immédiat, je me dégourdirais bien les gambettes avant d'aller m'enfiler une tortilla grosse comme ça. Vous m'avez promis qu’un de ces jours on irait voir le soleil se lever sur le Pascunbouxyalpa. Après, vous filerez à Las Vegas si ça vous chante. Moi, je me reprends l'avion, direction : la maison. Je me remets les pieds dans les pantoufles. Et je m'estime pour le reste de mes jours heureuse… comme le chien des Martineau.

ÉRWAN-LAZIMUTH , à Alyson-Clochette, Comme le chien des Martineau ?

ALYSON-CLOCHETTE Oui, comme Ulysse, le chien des Martineau. C'est bien toi qui m'as dit ça : "Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage…"

ÉRWAN, se prenant la tête dans les mains Ma petite Mamie, si je ne te connaissais pas !

DÉMOSTHÈNE, penché vers le hublot, à Manuéla Ma parole, mais… on est en train de reprendre de l’altitude !

MANUÉLA , à Démosthène Ce n’est vraiment pas la meilleure option pour atterrir…

ALYSON, à Kimberley et Érwan, tout en regardant à travers son hublot Je ne voudrais pas dire, mais… ils avaient sorti le train d’atterrissage et il me semble qu’ils viennent de le re-rentrer !

ÉRWAN, se penchant vers le hublot C’est curieux, en effet ! Ils ont remis les gaz et on remonte ! Sans doute que, pour le moment, l’aéroport est saturé. On repart faire un petit tour.


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DÉMOSTHÈNE, à Manuéla

On va peut-être aller atterrir sur un nuage. Qui sait ? Avec la pollution qui règne à Mexico, les nuages du coin sont assez costauds pour servir de pistes…

VOIX OFF, sur les haut-parleurs du bord Mesdames et Messieurs, votre attention quelques instants, s’il vous plaît… Le commandant Toquebœuf et son équipage sont au regret de vous annoncer que, pour des raisons totalement indépendantes de leur volonté, ils sont dans l’impossibilité de finaliser ce vol à bord d’un Airbus Super Eco A780 à destination de Mexico. A ces mots, les passagers poussent des exclamations de déception.

LA VOIX OFF, poursuivant sur les haut-parleurs du bord En raison d’une brusque détérioration de l’atmosphère au-dessus de la Région, l’Autorité Mondiale de Lutte Contre l’Effet de Serre vient en effet d’interdire jusqu’à nouvel ordre tout mouvement d’aéronef au-dessus du continent américain. Cet embargo n’étant pas susceptible d’être levé avant plusieurs semaines, la Green Flights Universal Company a décidé du déroutement de ce vol vers Cuba. Dans trois heures et vingt-sept minutes nous atteindrons l’Aéroport International José Martí de La Havane où nous ferons une escale de deux jours avant de re-décoller pour l’Aéroport International Paris-Roissy-Charles de Gaulle. Mesdames et Messieurs, la Green Flights Universal Company ainsi que le commandant Toquebœuf et son équipage vous remercient de votre compréhension. Ils vous expriment tous leurs plus vifs regrets pour ce fâcheux contretemps absolument, ils tiennent à vous le répéter, indépendant de leur volonté. Et ils vous assurent de tous leurs efforts pour vous faciliter et vous rendre plus confortable la suite de ce vol. Les dernières mesures de la chanson "Mexico" viennent se greffer sur la fin de cette annonce, ou sur son début en anglais, qu’elles couvrent assez rapidement. Au moment où la chanson arrive à son terme, la lumière qui a progressivement baissé s’éteint.


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RIDEAU

Tous droits de traduction, de reproduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tous pays.

Mention d’auteur impérative sur tout document, affiche, annonce dans la presse, etc.

se rapportant à cette pièce. Toute représentation publique doit faire l’objet

d’une déclaration à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (représentée dans les départements par la SACEM).

Documents

CO2 COMEDIE - Yves Garric