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Cocteau Travail Final

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  • Maral Mohsenin Travail de validation Cours dIntroduction aux questions desthtique Sous la dir. de Madame Tortajada Dans le cadre du MA Histoire et esthtique du cinma Automne 2013

    Le cinma lencontre des arts

    Le sang dun pote de Jean Cocteau

    Introduction

    En 1930, pote et crivain, Jean Cocteau, ralisa un pome cinmatographique, Le sang dun

    pote, aprs avoir fait ses premiers pas au cinma 5 ans plus tt. Le cinma pour Jean Cocteau

    tait larme des potes par excellence1, et il fallait lui laisser libre cours pour quil puisse

    atteindre le sommet de son potentiel potique. La ralisation du Sang dun pote se fit dans de

    telles circonstances, grce au financement propos par Vicomte de Noailles, qui ne lui

    imposait, en contrepartie, aucune obligation esthtique. Ainsi, le film put tre une descente

    en soi-mme, une manire demployer le mcanisme du rve sans dormir . Vritable

    machine rver, le cinma sembla tre de par sa nature le mdium idal pour traduire les

    rflexions potiques en images. Un homme de mot, Cocteau possda nanmoins un sens

    dimage inn . Pour lui, la posie de cinma rsidait dans le fait que ce dernier fournissait un

    nouveau moyen de crer de la posie dans la langue visuelle2. Lesthtique onirique visuelle

    du Sang dun pote doit alors tant au statut de son auteur en tant que pote, qu laptitude de

    la machine cinmatographique reproduire la posie sous forme dimages.

    Le cinma cohabite cet univers onirique du Sang dun pote avec plusieurs autres arts, tels

    que la peinture, la sculpture et le thtre. En effet, ce film est une vritable scne de la

    coprsence des arts, y compris le cinma, qui partagent tous une caractristique commune,

    lexpression potique. Dans les lignes qui suivent, nous allons nous pencher sur la mise en

    abme artistique chez Cocteau, en nous basant sur le deuxime pisode du Sang dun pote,

    o le pote a plong dans lunivers derrire le miroir.

    La question du regard au cinma

    Dans ce film, lart cinmatographique se prsente deux niveaux. Dabord, il est le moyen

    dexpression choisi par lauteur pour transmettre ses propos artistiques-potique. A ce niveau, 1 Jean Cocteau, La vie dun pote , Le Figaro, 9 novembre 1930, p.9, reproduit dans Christian Lebrat (dir), Sur le sang dun pote, Jean Cocteau, Cahiers de Paris Exprimental, Paris, 2003. 2 Henri Bhar, Le cinma des surralistes, Lge dhomme, Lausanne, 2004, p. 82.

  • 2

    il se trouve en dehors du rcit, mme sil lagence sous forme dimages visuelles qui se

    succdent. Mais, sur un deuxime niveau, le cinma est aussi prsent dans le rcit grce aux

    notions du regard et du voyeurisme, proprets essentielles de lart cinmatographique.

    Le voyeurisme prsente une rflexion sur le cinma en tant que dispositif. Le terme peut

    renvoyer la place du spectateur dans le dispositif cinmatographique, qui voit les images,

    mais nest pas vu ni peru lui-mme. Il peut aussi dsigner la vision de la camra, parce que

    sa prsence est cense normalement rester inaperu pour les personnages dun film3. De la

    mme manire, la question du regard renvoie galement la nature de lappareil

    cinmatographique (ou le spectateur) qui voit les vnements, les personnages lcran

    sans tre vu. La prsence de ces qualits dans un film peut donc se traduire comme une

    rfrence directe lart du cinma, et se qualifier comme mise en abme du dispositif

    cinmatographique.

    Le pote-artiste en tant que voyeur

    Le sang dun pote raconte librement les aventures oniriques dun pote dans un univers

    rejetant toute conformit aux perceptions habituelles du temps et de lespace. Toute lhistoire

    se passe supposment en une seconde, le temps dont la chemine dune usine sur le point de

    tomber a besoin pour tomber. En ce court instant, qui est nanmoins gal 45 minutes de

    rves chez le pote, les arts se croisent au cours de quatre pisodes. Le pote sengage dans

    plusieurs activits artistiques, qui oscillent toutes entre le rve et le rel. A la pense se

    substitue un mcanisme de somnambule 4. Il sagit de la reprsentation visuelle, travers des

    arts, de ltat potique, cest--dire, ltat desprit du pote-artiste (y compris ses rves et ses

    hallucinations), ainsi que le caractre potique des moyens dexpression artistiques qui

    chappe la rationalit.

    La question du regard se pose dans le deuxime pisode. Le pote, aprs avoir franchi le

    miroir, se trouve dans un couloir dhtel avec quelques portes fermes. Pour chaque porte, il

    regarde par le trou de la serrure pour dcouvrir le spectacle cach qui se met en scne derrire.

    Ce quil voit , est une interprtation potique dune scne quelconque, qui renvoie, pour

    chaque porte, un art. En effet, lil du pote, comme lil-camra (lil

    cinmatographique) ne fait pas que simplement voir, mais il manipule ce quil voit, il

    interprte la ralit et la transforme en quelque chose dimaginaire, de potique, dartistique. 3 Susan Hayward, Cinema Studies. The Key Concepts, Routledge, 2000, p. 370. 4 Jean Cocteau, texte du discours prononc la soire de la premire du film au Thtre du Vieux-Colombier, 20 janvier 1932, reproduit dans Christian Lebrat (dir), Sur le sang dun pote, Jean Cocteau , Op.cit., p. 12.

  • 3

    Derrire la premire porte, un condamn mort se fait fusiller par des bourreaux (qui se

    trouvent en dehors du cadre, on ne voit que leurs fusils). La scne, en soi, voque le tableau

    de Goya5, Tres do May, dont le thme a t repris plus tard par Edouard Monet et Pablo

    Picasso. De plus, la scne se joue deux fois la suite. Le condamn se lve aprs tre tu une

    premire fois, et se fait encore tuer. Cela peut renvoyer la reproductibilit de lart

    cinmatographique, qui possde le pouvoir de manipuler le temps et les relations causales.

    Une autre interprtation cinmatographique, qui peut aussi savrer valide, est quil sagit du

    tournage dune scne et lcart entre lillusion cinmatographique et la ralit. Ainsi, la scne

    derrire la premire porte peut comporter deux rfrences implicites la peinture et le

    cinma.

    Par le trou de serrure de la deuxime porte, le pote observe les ombres dans une fumerie

    opium. Une premire rflexion porte sur le fait que fumer de lopium met lhomme dans un

    tat onirique, entre le rve et le rel, qui est tant admir par Cocteau et un certain nombre de

    ses contemporains. Dautre part, il y peut avoir une rfrence implicite lart des ombres

    chinoises, qui tait un prcurseur du cinma. Un fait qui renforce cette hypothse, est que

    dans loccident, les fumeries dopium taient gres et frquentes par les chinois.

    Derrire la troisime porte, il ny a quun autre il, qui, lui aussi, regarde par le trou de

    serrure et son regard croise avec celui du pote. Le gros plan de lil thmatise parfaitement

    la question du regard au cinma.

    Dans la quatrime chambre, sur la porte de laquelle est marqu Leons de vol , une jeune

    fille apprend voler. Lide du vol, rcurrent dans les rves, souligne ici encore le caractre

    onirique du film. Dautre part, nous pouvons y dcouvrir une rfrence la danse, le ballet

    comme lart. Cela se manifeste grce deux instants dans la scne. Dabord, nous remarquons

    que devant la porte, o le pote se trouve, il y a une paire de chaussures de ballet. Ensuite, la

    geste de la petite fille, quand elle est colle au mur dans son tat de vol, peut suggrer quelle

    est danse.

    La scne derrire la dernire porte montre lapparition fragmentaire dun hermaphrodite grce

    des bouts de collage, de peinture, de costume, etc. La tte, les mains, et les jambes dune

    personne relle font aussi partie de ce spectacle trange de bricolage. La geste de

    lhermaphrodite allong sur son lit suggre quil pose pour un artiste. De plus, lart de

    5 Cornelia A. Tsakiridou, Reviewing Orpheus: Essays on the Cinema and Art of Jean Cocteau, Bucknell University Press, 1997, p. 35.

  • 4

    bricolage, un aspect du cinma qui fascinait Cocteau6, se manifeste assez explicitement dans

    cette scne.

    Conclusion

    Cette tentative danalyse de cette squence du Sang dun pote montre la coprsence et les

    relations interconnectes des arts dans ce film. Il y a dabord une rfrence gnrale au

    cinma par la figure du voyeur, et celui-ci aperoit les scnes qui renvoient aux autres arts.

    Certes, il faudrait crire des pages et des pages pour relever toutes les rfrences

    intertextuelles dans Le sang dun pote, mais cette petite analyse peut servir comme une

    introduction lunivers esthtique-potique de Jean Cocteau.

    Bibliographie

    Christian Lebrat (dir), Sur le sang dun pote, Jean Cocteau, Cahiers de Paris Exprimental,

    Paris, 2003.

    Cornelia A. Tsakiridou, Reviewing Orpheus: Essays on the Cinema and Art of Jean Cocteau,

    Bucknell University Press, 1997.

    Jean Cocteau, Du cinmatographe, 1973 (posthume), textes recueillis par BERNARD Andr

    et GAUTEUR Claude, Monaco, ditions du Rocher, 2003.

    Cinclub de Caen, http://www.cineclubdecaen.com/realisat/cocteau/sangdunpoete.htm,

    consult le 23 nov.-13.

    Forum des Images, Cours de cinma donn par Dominique Pani sur Le sang dun pote,

    2008, http://www.dailymotion.com/video/x927ks_cours-de-cinema-le-sang-d-un-

    poete_shortfilms?start=60, consult le 22 nov.-13.

    Ouvrages gnraux Susan Hayward, Cinema Studies. The Key Concepts, Routledge, 2000. Henri Bhar, Le cinma des surralistes, Lge dhomme, Lausanne, 2004

    6 Forum des Images, Cours de cinma donn par Dominique Pani sur Le sang dun pote, 2008, 44me minute, http://www.dailymotion.com/video/x927ks_cours-de-cinema-le-sang-d-un-poete_shortfilms?start=60, consult le 22 nov.-13