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COLLECTION M EDICA - Numilogexcerpts.numilog.com/books/9782717806533.pdf · TELLENBACH Hubertus/PELICIER Yves La réalité, le comique et l'humour BUNGENER M./HORELLOU-LAFARGE C

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  • COLLECTION M EDICA CLINIQUE ET SOMMEIL Il

    sous la direction de

    Yves PÉLICIER Professeur à la Faculté de Médecine de Paris

    L A S E R R U R E

    E T L E S O N G E

    L 'activité mentale du sommeil

    ECONOMICA

    49, rue Héricart, 75015 Paris 1983

  • CHEZ LE MEME EDITEUR

    PELICIER Yves Insomnuits

    PELICIER Yves /THUILLIER Guy • Le citoyen et sa santé • Edouard Séguin «l'instituteur des idiots»

    TELLENBACH Huber tus /PELICIER Yves La réalité, le comique et l 'humour

    BUNGENER M . / H O R E L L O U - L A F A R G E C./ LOUIS M.X.V.

    Chômage et santé

    CATRICE-LOREY Antoinette Dynamique interne de la Sécurité sociale

    D O U R Y Jean La Sécurité sociale. Sortir de l'impasse

    G A S P A R D Marcel Economie, médecine et chirurgie dentaire

    H A R I C H A U X Pierre et alii 1 Colloque médical international de gymnastique

    K E R V A S D O U E (Jean de ) /KIMBERLY J . / R O D W I N V. La santé rationnée. La fin d'un mirage

    LEVY Emile et alii • La croissance des dépenses de santé • La santé fait ses comptes • Santé et société (mai 83)

    MAILLET P ie r re /LARDÉ Philippe Pour une politique globale de santé

    S E R A N G E - F O N T E R M E Renée Disparités sociales et consommation médicale (avril 83)

    SURAULT Pierre (Préface d'Alfred Sauvy) L'inégalité devant la mort

    T R U C H E T Didier (sous la direction de) Etudes de droit et d'économie de la santé

    © Ed. ECONOMICA, 1983

    Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution réservés pour tous pays.

  • L I M I N A I R E

    Les textes rassemblés dans cet ouvrage proviennent de deux sources. Les uns sont des conférences prononcées à l'occasion du

    C o l l o q u e sur l'Activité Mentale du Sommeil qui s'est tenu à la F a c u l t é de Médecine Necker (Paris V), le 11 juin 1982, sous la

    présidence du professeur René Tissot. Telles sont les participations de Madame Odile Benoit, Messieurs J. Adès, J.M. Gaillard, E. Hum- bert, D. Koulak, P. Lecomte et Y. Pélicier. Il a semblé également utile de rassembler d'autres textes venant éclairer certains aspects de l'imagerie mentale et je remercie, pour leur collaboration, Messieurs J.Cl. Archambault, J. Charbit, Ph. Grosbois, C. Izard, J. Launay.

    Il ne faut pas perdre de vue que ce deuxième colloque Clinique et Sommeil est essentiellement destiné à faciliter la rencontre entre praticiens, chercheurs et théoriciens du sommeil. L'écart entre les acquis du laboratoire ou de la psychologie et la pratique quoti- dienne demeure considérable. Il n'est pas raisonnable d'accepter une telle situation préjudiciable, en particulier aux modes de traitement des difficultés de sommeil. Le succès du recueil Insomnuits, qui rassemblait les travaux du précédent colloque, nous incite à publier ces nouveaux textes. En quatrième partie, nous reproduisons un chapitre du célèbre ouvrage d'Alfred Maury Le Sommeil et les rêves, publié en 1861 et consacré aux hallucinations hypnagogiques.

    Yves PELICIER

  • LISTE DES COLLABORATEURS

    Jean ADES, Maître de Conférence agrégé (Faculté Xavier Bichat), Hôpital Louis Mourier, 92701 Colombes.

    Jean-Claude ARCHAMBAULT, Psychiatre des hôpitaux , (C.H.S. de Prémon- tré, Aisne), Directeur d'enseignement clinique (Faculté Necker, Paris).

    Odile BENOIT, Maître de recherches au C.N.R.S., Laboratoire d'étude du sommeil, INSERM U3 (CHU Pitié-Salpêtrière,Paris).

    Joseph CHARBIT, Ancien Interne des hôpitaux psychiatriques, Paris.

    J.-M. GAILLARD, Psychiatre, Institutions Universitaires de Psychiatrie, Clinique du Bel Air, Genève.

    Philippe GROSBOIS, Psychologue clinicien, secrétaire général de l'Arbre Vert.

    Paul HOUILLON, Psychiatre des hôpitaux, Plouguernevel (Côtes du Nord).

    Élie G. HUMBERT, Psychiatre, Ancien Président de la Société Française de Psychologie Analytique,Paris.

    C. IZARD, Psychologue, Docteur en théologie, Paris.

    D. KOULAK, Chercheur, Department of Psychology, University of Manitoba, Winnipeg (Canada).

    Jacques LAUNAY, Psychothérapeute, dreicteur de la revue Études psychothé- rapiques (Groupe International du Rêve Éveillé Dirigé).

    Pierre LECOMTE, Professeur de psychologie, Faculté des Sciences Humaines, Lettres et Arts, Université de Lille III.

    Alfred MAURY (1817-1892), Professeur au Collège de France, Membre de l'Institut.

    Yves PÉLICIER, Professeur à la Faculté de Médecine Necker (Université René Descartes), Paris.

    René TISSOT, Professeur de psychiatrie, Institution Unviersitaire de Psychia- trie, Clinique du Bel Air, Genève.

  • Première partie

    LE LABORATOIRE : DE L'ARCHITECTURE

    A LA FONCTION

  • L'HISTOIRE MODERNE DU RÊVE

    p a r Y v e s P É L I C I E R

    Le rêve n'est rien d'autre que l'aspect le plus spectaculaire de l'activité mentale durant le sommeil. Il appartient à toute existence et ainsi sa connaissance est millénaire. Emancipé des contraintes de la réalité, le psychisme rêvant abolit les distances et les délais et, en contournant l'impossible, il nous offre de la vie une nouvelle image plus conforme à nos désirs ou à nos peurs, sans compte à rendre à la logique ou à la cohérence quotidienne au nom même d'une cohérence et d'une logique intérieures à l'être du rêveur et qu'il serait tentant de déchiffrer.

    Le rêve est ainsi perçu comme un doublement de la vie avec ses lois et ses arcanes. Il suscite une recherche passionnée des clefs. A l'évidence, il est un lieu hors des lieux dans un temps hors des temps. De là, l'espoir extraordinaire que le rêve pourrait dire l'avenir alors que, par un renversement du sens, la clinique moderne lui ferait témoigner surtout du passé...

    Mais le rêve est aussi poésie et irréalité avec un caractère com- pensateur très évident. De là, l'immense prestige séméiologique du mot, mot-signal de toutes les permissions, des manipulations les plus baroques dont le monde puisse être la chose, mot magique dont le charme (au sens de l 'enchanteur Merlin) est à peine entamé à notre époque par l'image cinématographique (« c'est un rêve » versus « c'est du cinéma »).

    Ainsi, entre la fringale de présages et la quête des désirs accom- plis, le rêve assure, en co-production avec le mythe, le remplissage de

  • l ' imaginaire, ce de rn ie r r e n d a n t au cen tup le , à l ' un et à l ' au t re , dans une r é t r o a c t i o n sans fin, les m a t é r i a u x reçus et encore t rans formés . Présages, désirs, rêve, m y t h e son t des é léments t rès chargés affect i-

    v e m e n t de la vie menta le . Ceci exp l ique , q u ' à que lques excep t ions près, l ' é tude sc ient i f ique , ana ly t ique , ob jec t ivan te d u rêve ait été tardive. Le rêve, si c o m p l è t e m e n t investi par les affects pouvait-il ê t re soumis à la législation sc ient i f ique ? Si sa n a t u r e est de l 'o rdre

    du poé t i que et de l ' irréel, qu'a-t- i l à voir avec une mé thodo log ie précise ?

    La r éponse est venue de d e u x côtés mais avec un intervalle d ' u n

    demi-siècle : en 1900, à Vienne , S igmund F r e u d publ ie Die Traum- d e u t u n g , l ' i n t e r p r é t a t i o n d u rêve ; en 1953, a u x Etats-Unis , Aser insky et K le i tman décr ivent la re la t ion en t r e l ' occur rence de m o u v e m e n t s ocula i res r ap ides d u r a n t le sommei l e t l ' o b t e n t i o n d ' u n récit de rêve q u a n d o n éveille le d o r m e u r d u r a n t cet te pér iode. C'est-à-dire que , p o u r la p remière fois, on observe une corré la t ion en t re u n indice phys io log ique e t la p r o d u c t i o n oni r ique . Sans d o u t e serait-il injuste de l imi te r l 'h is toi re m o d e r n e d u rêve à ces deux da tes mais elles r é f è ren t à des é t u d e s fonda t r i ces sur quoi n o m b r e de t r avaux t a n t psycho log iques et cl iniques que phys io logiques von t s ' a p p u y e r j u s q u ' à nos jours .

    Signalons, en par t icul ier , la pa r t prise pa r l 'école française dans le d é v e l o p p e m e n t des é tudes h y p n o l o g i q u e s avec Michel Jouve t ( L y o n ) et P. Passouan t (Montpel l ie r ) .

    L'INTERPRETATION DU REVE

    L 'analyse se f o n d e sur le réci t du rêve, c 'est-à-dire son c o n t e n u manifes te . Ce c o n t e n u est i n c o m p l e t . Il expr ime , sur un m o d e à la fois én igma t ique e t e l l ip t ique, u n ensemble de pensées la ten tes qui , lo rsque nous pouvons les c o n n a î t r e , écla i rent la s ignif icat ion du rêve. Le rêve est en e f fe t « u n e f o r m a t i o n psych ique douée de sens » e t ainsi, q u a n d le travail d ' i n t e r p r é t a t i o n de l ' analys te est achevé, « le rêve se p résen te c o m m e la réal isat ion d ' u n voeu ». L ' e x e m p l e q u ' e n d o n n e F r e u d est le suivant . Le rêve de « l ' in jec t ion faite à I rma » (23 -24 jui l le t 1895) m e t e n scène t rois personnages : F r e u d , son ami m é d e c i n O t t o et I rma. F r e u d avait t ra i té I rma avec un succès part iel . O t t o dit à F r e u d qu ' i l a r e n c o n t r é sa pa t i en te et qu 'e l le n 'a l la i t pas t rès bien. F r e u d rêve qu ' i l r e n c o n t r e I rma : elle souffre mais c 'est parce q u ' O t t o lui a fait une in jec t ion avec une seringue ma lp ropre . . . Ainsi, le rêve annu le la responsabi l i t é de F r e u d et la t ransfère à O t t o . De façon assez di recte , sans t r o p de déguisement , le vœu est assez n e t t e m e n t désigné (voir annexe) .

    Les pensées l a ten tes ( c o n t e n u la ten t ) d u rêve p rov iennen t de dif férentes sources. F r e u d r e c o n n a î t u n e grande i m p o r t a n c e aux

  • restes diurnes, conscients, en rapport avec des événements ou des situations récentes, parfois du jour même. Mais ici, deux possibilités interviennent ; le reste diurne peut être signifiant par lui-même et suffit à justifier le vœu dont le rêve est la réalisation. Ou bien le reste diurne est insuffisant et ne tire sa puissance d'élaboration onirique que de l'éveil d'un autre désir, inconscient et en résonance avec lui. Dans ce dernier cas, il existe une association qui va orienter de façon décisive le travail du rêve. Ce travail lui-même est l'opéra- tion qui transforme les résidus diurnes, les effets des stimuli en provenance de l 'environnement du dormeur, les souvenirs de l'enfance, les expériences. Cette transformation aboutit au contenu manifeste. Le résultat du travail du rêve est à la fois parution d'un scénario et encore codage et cryptage par rapport aux pensées latentes.

    Freud fournit la description des quatre mécanismes par lesquels ce travail s'accomplit :

    1) La condensation (Verdichtung) qui « compacte » des thè- mes, des personnages, des événements et des scènes en un produit manifeste qui est à la fois une présentation réduite mais non réduc- trice, limitée et néanmoins polysémique.

    2) Le déplacement (Verschiebung) est le processus qui fait passer l'énergie psychique d'une représentation à une autre. La représentation dépossédée peut ainsi paraître comme pauvre et terne, bien loin de son importance réelle dans l'économie psychi- que, alors qu'une représentation proéminente puise ailleurs sa charge affective.

    3) La prise en considération de la figurabilité (Rücksicht auf Darstellbarkeit) résulte de la nécessité de transformer toute pensée latente en image visuelle. Cette figurabilité peut être réalisée par de véritables transferts expressionnels comme dans les rébus, par des symbolisations. Cette figurabilité n'est pas sans évoquer les scéna- rios visuels de l'enfance.

    4) L'élaboration secondaire (sekundâre Bearbeitung) est le travail final qui accorde la présentation du rêve avec les exigences de l'intelligibilité et de la lisibilité. Mais le succès de cette dernière opération est rarement complet : le rêve paraît souvent marqué d'absurdité, ce qui respecte une autre exigence, celle de la censure.

    C'est que le rêve, dans la perspective freudienne, est « mise en scène du désir », essentiellement sexuel, point où Jung se sépare de Freud. La matière première du rêve est une matière contrainte, travestie, transformée de manière déroutante. Mais si le rêve a un sens, il doit être possible par l ' interprétation analytique d'accéder à ce sens. Dans les tableaux du rêve, ce que l'on observe ce sont des transformations de fantasmes, c'est-à-dire « de combinaisons

  • inconscientes de choses vécues et de choses entendues ». Les fantas- mes apparaissent également dans les rêveries diurnes et dans les délires, c'est-à-dire dans des conditions où le moi régresse pour permettre, sous une forme hallucinatoire, une certaine satisfaction du désir.

    La littérature analytique sur le thème du rêve est considérable. Les apports théoriques sont continuels, alimentés en particulier par la description des modes de fonctionnement du langage. La mécani- que du rêve, selon Lacan, est analogue à la rhétorique de la méta- phore et de la métonymie. Pourtant, la rhétorique est au service du sens alors que les mécanismes du rêve le desservent. C'est que tout processus symbolique comporte deux aspects de même que le sum- bolon des grecs apparaît dans deux contextes :

    1) on brise un objet entre les partenaires d'une alliance, 2) le rapprochement ultérieur des débris restitue la figure (et le

    sens), tout en démontrant l'alliance, jusque là cachée, entre les possesseurs des morceaux brisés. La symbolisation commencée par le travail du rêve n'est achevée que par le travail de l'interprétation.

    LA PHASE DES MOUVEMENTS OCULAIRES RAPIDES

    En 1953, dans le journal Science (118, 273-274), une note de Aserinsky et Kleitman signale la corrélation entre les mouvements oculaires rapides (rapid eye movements, REM) observés chez un dormeur, un tracé électroencéphalographique de bas voltage et polymorphe et, lors de l'éveil, la quasi-constance d'un récit de rêve. Les confirmations de ce rapport entre indices physiologiques et production du rêve ne tardaient pas (Dement et Kleitman, Dement et Wolpert, etc.).

    L'observation de Aserinsky et Kleitman peut être considérée comme fondatrice d'un nouveau champ de recherche et de savoir, à l'égal de ce que fut dans l'ordre de la psychologie l'Interprétation du rêve de Freud. Ce qui importe est d'une part la validité suffisante des premiers faits exerçants une stimulation soutenue sur les tra- vaux qui en découlent, d'autre part la générosité conceptuelle amenant une extension progressive et continue des études, quitte à mettre en question le paradigme initial. C'est d'une certaine façon ce que l'histoire moderne des études sur le rêve vérifie.

    En effet, dans un premier état, le sommeil apparaît comme une condition de la vie psychique caractérisée d'une part par la réduction et la disparition de la vigilance, d'autre part par l'alternance de périodes où le dormeur rêve et d'autres où l'écran demeure éteint.

    Avec l'introduction de l'électroencéphalographie, des tracés continus de sommeil, on perçoit clairement l'opposition de trois

  • états de vigilance : éveil, sommeil avec mouvements oculaires rapides (sommeil PMO en français ; REM en anglais) et sommeil non REM. Or, tout semblait indiquer que le sommeil REM est identifia- ble avec le sommeil où se produit l'activité onirique alors que le sommeil non REM est quasiment vide de rêve.

    En première analyse, Dement et Kleitman opposent un sommeil caractérisé par le ralentissement du rythme électroencéphalographi- que qui est le sommeil lent et un sommeil rapide proche des tracés d'éveil, bien que ce soit paradoxalement ce sommeil rapide qui nécessite le stimulus le plus intense pour obtenir le réveil, d 'où le nom de sommeil paradoxal. Dement et Kleitman distinguent quatre stades du sommeil lent, numérotés de 1 à 4, depuis le plus léger au plus profond, ceci en fonction des critères de l'éveil. Le stade 1 répond à la période d'endormissement, le rythme alpha est à la fois diminué dans son amplitude et ralenti. Le stade 2 répond au som- meil léger avec des fuseaux d'ondes rapides mais de grande ampli- tude (12 à 14 cycles/seconde). Quand le sujet est stimulé, on observe de grandes déflexions lentes appelées complexe K. Le stade 3 comporte un ralentissement du tracé avec apparition d'ondes delta (0,5 à 2 es) ; c'est le sommeil moyen. Enfin, le stade 4 correspond au sommeil profond avec de belles ondes delta, lentes, régulières et synchrones. Durant le sommeil lent, il n 'y a pas perte de l'activité motrice : le sujet peut mastiquer, sucer son pouce, présenter des myoclonies mais il n 'y a pas de mouvement des globes oculaires. Le rythme respiratoire, le rythme cardiaque, la tension artérielle et la température centrale sont diminués. Ajoutons qu'au stade 4 on observe des parasomnies, comme le somnambulisme, les terreurs nocturnes, qu'il faut distinguer des rêves anxieux.

    Le sommeil paradoxal ou rapide est donc défini cliniquement par les salves de mouvements rapides des globes oculaires (phase REM ou PMO). Mais la perte du tonus musculaire et de la motricité est constante. Tous les rythmes végétatifs sont instables et irrégu- liers comme dans les réponses émotionnelles. Enfin, il existe, lors de chaque phase de sommeil paradoxal, une érection sans rapport avec un rêve é r o t i q u e

    Dès 1955, Dement et collaborateurs signalent que, quand on éveille un dormeur avec des mouvements oculaires, on recueille, dans 74 à 92 % des cas, un récit de rêve, alors que cette éventualité n'est plus que de 0 à 7 % quand l'éveil est réellement en période non REM. Dans la première théorie du rêve, on voit très nettement

    1. Michel Jouvet s'est attaché à l'étude des signes phasiques recueillis pendant le sommeil paradoxal, au niveau du pont, du noyau genouillé externe et du cortex occipital. C'est l'activité ponto-géniculo occipitale (PGO) responsable des mouvements rapides des yeux, des moustaches chez le chat. Mais le tonus postural est absent. On a signalé l'hypo- thèse de la reprogrammation du genome durant le sommeil paradoxal.

  • l'assimilation entre sommeil REM et sommeil de rêve. Le mouve- ment oculaire résulte de l'expérience visuelle. Plus le rêve est actif, plus les mouvements sont rapides. Plus la phase REM est longue, plus on observe des chiffres élevés au comptage des mots d'un récit de rêve. L'édifice théorique élevée par Dement et Kleitman, à la suite de l'observation princeps d'Aserinski et de Kleitman est certai- nement d'une importance considérable du point de vue de l'histoire du sommeil et de l'histoire des rêves. Pourtant, des corrections devaient progressivement être apportées, aussi bien par Dement que par des chercheurs comme Foulkes ou comme Moruzzi.

    LA CRITIQUE DE FOULKES

    Dès 1960, Foulkes, à Chicago, aborde le problème des récits de rêve apparaissant à différentes étapes du sommeil mais sa première publication de grande diffusion est de 1962. Ses travaux sont publiés seuls ou avec des chercheurs qui, eux-mêmes, vont prendre une grande place dans la recherche sur le rêve, comme Pivik ou Rechtschaffen. Foulkes remarque que, comme Dement lui-même l'a noté, il y a des rêves dans les périodes non REM, c'est-à-dire qu'il peut y avoir des rêves durant tout le sommeil mais le rêve, qui appa- raît pendant la période non REM, apparaît assez différent du rêve du sommeil paradoxal : le rappel en est plus difficile. Le récit de rêve est plus pauvre, avec un comptage de mots réduit. Il est assez abstrait, semblable à la pensée, moins vivant, moins mouvementé, moins visuel, beaucoup plus près de l'élaboration conceptuelle que de la fantasmagorie. Au contraire, le rêve REM, qui d'abord était le seul pris en compte, est riche, vivant, bizarre, coupé au moins en apparence de la réalité. Il met en scène des actions parfois violentes, émouvantes. L'arrière-pensée finaliste, qui n'est jamais très loin de toute explication scientifique, voit dans la perte de tonus, contem- poraine de cette phase REM, un excellent moyen de protéger le rêveur contre sa gesticulation mentale.

    Ainsi, parler de rêve n'est pas une façon de signifier une phase particulière du sommeil puisque, sous des aspects divers, le rêve peut apparaître à chaque instant du sommeil. Ce nouveau glisse- ment vers la définition électroclinique permet beaucoup mieux, par exemple, de comprendre les faits signalés par Dement dès 1960, quand il montre l'existence d'un besoin de phase REM chez l'indi- vidu. Quand on réalise des expériences de déprivation, où systéma- tiquemeut on supprime chez le dormeur la phase des mouvements oculaires rapides, on observe, au bout de quelques nuits, une aug- mentation considérable de la densité en REM. En même temps d'ailleurs, les expériences dysphoriques avec des rêves anxieux, des réveils pénibles, se multiplient. L'observation de Dement est

  • précieuse car un certain nombre de substances comme les barbituri- que, les amphétamines, les tricycliques tendent à supprimer ou à réduire pharmacologiquement les phases REM. Dès l'arrêt du produit, on observe un rebond avec des nuits pénibles, pour les raisons qui viennent d'être dites, ce qui tend à perpétuer l'usage du produit pharmacologique.

    Dans le même sens que Foulkes, son élève Molinari, reprenant un suggestion de Moruzzi (1963), propose un modèle tonique phasi- que du sommeil. On remarque, en effet, que le sommeil REM est caractérisé par une activation aussi bien des rythmes cardiaques, respiratoires, de la tension artérielle, de la température centrale, de la circulation, etc., alors que dans le sommeil non REM, les aspects statiques sont beaucoup plus marqués. Néanmoins, cette opposition n'est pas absolue puisque, par exemple, il existe une augmentation de la réponse électrodermique, stades 3 et 4, et des phénomènes somnambuliques ou émotionnels, également durant le sommeil lent. D'autre part, à l'intérieur même du sommeil REM, il y a des phases de mouvements oculaires (période phasique) et des phases de calme oculaire (période tonique). Si l'on affine le modèle, le sommeil REM tonique (celui durant lequel les globes oculaires sont en repos) fournit des récits de rêve beaucoup plus proches des rêves du som- meil non REM que du sommeil REM phasique. Quelles que soient en fait les autres caractéristiques du sommeil, Molinari, Pivik, entre autres, montrent que l'éveil en période phasique fournit des rêves avec plus d'hostilité, davantage de mouvements, davantage d'engage- ment personnel, alors que l'organisation de la pensée s'éloigne beau- coup plus de celle de l'éveil. Molinari et Foulkes (1969) associent donc l'éveil durant le sommeil phasique à la production de rêves ayant le caractère d'expériences primaires, alors que, durant les phases toniques (ou statiques), la pensée de rêve comporte des élaborations cognitives secondaires, davantage de tendance à la conceptualisation, à la verbalisation. On voit ainsi le paradigme hérité de Dement, opposant sommeil REM et sommeil non REM, être quelque peu modifié par le modèle phasique tonique. Dans la mesure où activités phasiques ou toniques répondent à des condi- tions physiologiques particulières du système nerveux central, un tel modèle peut débloquer tout un champ de recherches, en susci- tant une production de nouveaux p a r a d i g m e s

    1. Nous n'avons pas envisagé les aspects neurochimiques de la régulation du sommeil. Rappelons simplement que :

    - les noyaux du raphé médian sont sérotoninergiques. Suivant l'hypothèse de Michel Jouvet, ils seraient responsables de l'endormissement et du sommeil lent. On en a pour preuve l'apparition dans le liquide céphalo-rachidien du dormeur d'un métabolite de la sérotonine, le 5-HIAA (acide hydroxy-indol acétique), selon un rythme circadien. La des- truction par stéréotaxie chez le chat, de ces noyaux, ainsi que l'inhibition de la synthèse de

  • ASPECTS CRITIQUES DE L'HISTOIRE DU REVE

    On s'est interrogés sur les raisons d'un certain nombre de contradictions relevées entre les élaborations théoriques initiales et les concepts ultérieurs du rêve. Une première remarque concerne la notion même du r ê v e C'est en fait, un concept assez étroit, hérité de toute une tradition non scientifique et qui doit faire l'objet d'une reformulation. En fait, il serait préférable de parler d'activité mentale du sommeil (sleep mentation). Le rêve, au sens classique, le rêve REM ou le rêve phasique est sans doute l'aspect le plus specta- culaire mais non le seul de cette activité mentale. Le sommeil est, par exemple, traversé d'imageries brutes, sans élaboration, de phé- nomènes affectifs ou émotionnels, vides de représentations, de processus de maturation intellectuelle, tels ceux décrits par Henri Poincaré, de phénomènes de facilitation d'apprentissage qui mon- trent bien l'existence d'une activité cognitive. Ainsi, l'activité men- tale du sommeil est plus que le rêve et, à vouloir se limiter au rêve classique, on doit sans doute perdre beaucoup de richesse psycholo- gique.

    S'agissant de l'assimilation sommeil REM et rêve, on a estimé que l'échantillonnage de Dement était sans doute très petit et sur- tout qu'il comportait une véritable population expérimentale très liée à l 'expérimentateur, donc assez près de choisir, de confirmer ses théories. Cet effet « Charcot » existe inévitablement, quelles que

    la sérotonine, avec la parachloro-phényl-alanine, entraînant l'insomnie. Le sommeil lent n'est d'ailleurs pas seulement sous la dépendance du tronc cérébral. Il existe un contrôle hypothalamique antérieur, limbique, thalamique et néo-cortical.

    - Le sommeil paradoxal serait sous la dépendance du locus coerulus mais également en rapport avec des structures hypothalamo-limbiques et corticales, en particulier avec l'hémisphère droit. Il y aurait alternance entre l'activation de ces deux systèmes réalisant ainsi le cycle du sommeil.

    - L'état d'éveil paraît résulter de l'activation de la formation réticulée bulbo-pontine dont le neuro-médiateur est noradrénergique. Les amphétamines exercent leur effet d'éveil par l'intermédiaire de cette stimulation des neurones de la réticulée.

    Récemment, on a isolé un peptide à 9 acides aminés, le DSIP (delta sleep inducing peptide) dont l'administration intraveineuse provoque le sommeil naturel sans effet secondaire. Il faut ajouter enfin qu'il existe des relations étroites avec les sécrétions hypo- thalamo-hypophysaires : environ une demi-heure après l'endormissement, il existe un pic secrétoire d'hormones somatotropes. Les pics secrétoires de prolactine, ainsi que d'hormo- nes luteotropes, sont en rapport avec le sommeil paradoxal. Ainsi, l'architecture électro- clinique du sommeil correspond également à une infrastructure neuro-chimique et neuro- physiologique très complexe.

    1. Les recherches sur l'étude comparée du sommeil paradoxal dans les différentes espèces sont très stimulantes. Ce type de sommeil apparaît avec l'homéothermie. Comme le remarque Jouvet, on voit mal comment il peut constituer un avantage évolutif puisqu'il ne se produit qu'après isolement total à l'égard du milieu « sourd, aveugle et paralysé, l'animal devient alors très vulnérable ». La condition de survie est donc que les systèmes de sécurité autorisant le sommeil parasocal aient parfaitement fonctionné.

  • soient les précautions qu'on prenne mais il n'explique pas tout, et l'histoire scientifique peut gagner à chercher plus avant les raisons de certaines difficultés des théories initiales.

    Le problème de la définition est certainement très important. Pour Dement, un rêve est ce qui permet un récit vivant et détaillé. Pour Foulkes, c'est une activité mentale, même si l'imagerie est pauvre et fragmentaire. Si le rêve REM, modèle Dement, est le seul authentique, alors il h 'y a pas de rêve dans le sommeil non REM. Un autre biais vient peut-être aussi du mode de questionnement. « Avez-vous rêvé ? », demande Dement. « Qu'avez-vous dans la tête ? » est la question de Foulkes. On voit les possibilités d'induc- tion. D'autre part, le moment du réveil n'est absolument pas indiffé- rent et n'entre pas en compte dans le stade du sommeil. Par exemple, l'intensité du mouvement dans un rêve est corrélée positi- vement avec la densité même du sommeil REM par rapport au sommeil lent. Ainsi, les rêves qui surviennent tard dans la nuit ont beaucoup plus d'images d'activités que les rêves du début, mais c'est aussi dans la deuxième partie du sommeil qu'il y a normalement plus de phases REM.

    Dans un même sens, Pivik et Foulkes (1968) montrent que, quand on réveille un dormeur en stade 2, il y a 14% de récits de rêve au début de la nuit, mais 75 % dans la deuxième partie.

    ACTIVITE MENTALE HYPNAGOGIQUE ET DECATHEXIS

    Gérard Vogel, travaillant chez Foulkes, a étudié l'activité men- tale de sujets réveillés au début du sommeil. Il a constaté la fréquence d'une activité mentale peu différente de celle du rêve ; imagerie sensorielle dotée de significations, imagerie visuelle, image- rie auditive mais jamais gustative et très rarement olfactive. Il n 'y a pas d'affect déplaisant. En fait, on observe une production de rêves substantielle et les contenus sont aussi régressifs que dans le rêve.

    Vogel voit dans le début du sommeil quatre pertes d'intérêt qu'il nomme décathexis.

    1 ) Décathexis du contact avec la réalité. 2) Décathexis du contrôle de l'activité mentale. 3) Décathexis dans la perception. 4) Décathexis de l'épreuve de réalité.

    Vogel remarque une grande inégalité suivant les personnalités dans le style du rêve hypnagogique. Les personnalités anxieuses et rigides sont menacées par la régression alors que d'autres accueillent régression et les fantaisies du rêve. Il estime que l'activité mentale du début du sommeil est positivement corrélée avec la force du

  • moi alors, qu'au contraire, l'excès des fantaisies dans le rêve serait plus en rapport avec la faiblesse du moi, une tendance à la désor- ganisation.

    Cette notion de décathexis vient en quelque sorte rappeler ce que les psychanalystes considèrent comme un deuil de la réalité, nécessaire pour permettre le travail du rêve.

    RECIT ET RAPPEL DU REVE

    Il est évident que le récit de rêve ne peut être traité comme une expérience primaire quelle que soit la méticulosité du recueil. Cette remarque, qui a été faite il y a déjà longtemps par Paul Valéry, est reprise par un chercheur moderne comme John Antrobus. Le récit est un choix, il implique un jugement porté sur son contenu. Tout récit est orienté. Raconter un rêve est aussi « conter ». La relation entre le rêveur et l 'expérimentateur est source de biais. On cherche, par exemple, à éliminer l 'attente pouvant résulter de l'inflexion de la voix de l 'expérimentateur en utilisant, des enregistrements très neutres. Tout compte. On sait, par exemple, que l'éveil se produit plus facilement si on utilise le nom du rêveur comme stimulus au lieu d'un son neutre. Le style même des questions est certainement très important ainsi que leur nombre, leur mode de succession. Il y a aussi à tenir compte de l'histoire de l'expérimentation. Nous avons évoqué ces populations d'habitués liés à l 'expérimentateur et très commodes de ce point de vue. Il y a aussi des rapports avec la succession des nuits d'expérimentation. Par exemple, l'effet de première nuit comporte plus de rêves dans la première partie de la nuit, alors que c'est le contraire habituellement, comme si on était là pour rêver ou comme si la nouveauté constituait un stimulant. Par contre, quand on compte les mots d'un récit de rêve, ils tendent à être plus rares avec le temps passé au laboratoire. Par exemple, un rêve pourra comporter 84 mots dans la première nuit contre 67 dans la seconde. D'autre part, si le mode de recueil est très sensible pour expliquer le rappel des rêves, il faut voir aussi ce que le contenu lui-même comporte de facilitation ou d'inhibition. Il est possible, par exemple, et c'est là la notion de censure, qu'on trouve déjà chez Platon, et qui réapparaît chez Freud, que certains rêves rendent le rappel impossible. D'autre part, on se rappelle d'autant plus un rêve que son contenu est plus nouveau, plus étranger, plus dramatique. C'est ce que l'on constate pour les rêves phasiques. Mais si le rêve est très désorganisé, il est sans doute moins facile à rappeler. D'autre part, ce problème du rappel est quelque peu lié à un problème de mémoire : un événement au moment du réveil peut bloquer le rappel du rêve. Mais il arrive que le rappel du rêve, impos- sible au moment du réveil, devienne très possible un peu plus tard.

  • En fait, pour être au plus près de l'objectif, le comptage des mots et l'atmosphère du rêve ne sont pas des éléments suffisants. Il faut, par exemple, un peu à la manière des analyses de l'iconologie ou du Rorschach, faire une étude psycho-linguistique attentive. Les adjec- tifs visuels, les verbes d'action, les références à l'espace sont des repères précieux pour comprendre en quoi un rêve peut être dit mouvementé. D'autre part, il est intéressant de percevoir dans le rêve la dimension de pensée régressive. Ainsi, cette pensée régressive magique s'exprimera dans des récits comportant des scènes incom- plètes, fragmentaires, des images isolées, inappropriées. Il est intéressant de rapprocher cette analyse des aspects régressifs du rêve avec une hypothèse sur l'origine physiologique de cette pensée et de son expression.

    McCarley de la Harvard Medical School considère que la bizarre- rie des rêves est en rapport avec un changement dans l'origine de l'activation du cerveau. Des systèmes sensoriels et moteurs sont activés de manière totalement différente que durant la veille. Une synthèse des contradictions est nécessaire d'où résulte la bizarrerie. C'est ce que McCarley appelle l 'hypothèse activation-synthèse.

    De la même façon qu'on analyse les représentations, les kines- thésies, la mise en scène, etc., il est important, surtout quand on étudie les rêves dans la pathologie mentale, de rechercher les affects dominants : anxiété, hostilité, désorganisation. On voit ainsi toute l 'importance des précisions méthodologiques qui enrichissent de façon permanente le laboratoire du rêve.

    ACTIVITE COGNITIVE DURANT LE SOMMEIL

    Il n'est pas douteux que l'activité cognitive est surtout liée à l'état de veille. Pour autant, on ne peut nier la possibilité d'acquisi- tion durant le sommeil.

    En premier lieu, le dormeur peut réagir durant son sommeil à certaines stimulations. On sait que la réponse électro-corticale ou le rythme cardiaque peuvent être influencés par la production d'une stimulation douée d'une signification personnelle (par exemple le nom) ou ayant fait l'objet d 'un apprentissage préalable.

    Cela signifie que le dormeur peut reconnaître et trier certaines informations. L'observance durant le sommeil d'instruction donnée durant la veille suit un gradient défavorable depuis le stade 1 jusqu'au stade 4 du sommeil lent et jusqu'au sommeil paradoxal. Par contre, quand la non réponse est sanctionnée (réveil brutal), les performances augmentent pour le sommeil paradoxal mais pas pour les stades 3 et 4 (Williams, 1966, Salamy, 1971).

    Sans aucun doute, les stimuli externes peuvent être transformés dans le rêve et devenir une partie remaniée dans un contenu com-

  • plexe. On se rappelle le rêve de Hervey de Saint-Denis à la suite de la chute de la corniche du lit sur son cou : il crut être condamné et exécuté, durant la Révolution française, sous la guillotine !

    Quant à la possibilité d'effectuer un apprentissage durant le sommeil, elle ne paraît pas reposer actuellement sur des observa- tions probantes.

    Est-ce que les rêves peuvent modifier les conduites des indivi- dus ? Il y a bien longtemps, Régis avait supposé que les délires des alcooliques prenaient leur source dans des résidus post-oniriques. Il est possible que l'intoxication éthylique ne permette pas une bonne discrimination de ce qui est de l'ordre de la réalité et de l'ordre du rêve. Dans ce cas, la difficulté viendrait de l'absence de critique ou d'un certain degré de confusion. Chez le sujet sain, l'événement onirique peut entraîner une réaction émotionnelle désagréable plus ou moins durable : il peut alimenter une inquiétude plus qu'il ne contribue à la créer.

    REPROGRAMMATION GENETIQUE ET SOMMEIL PARADOXAL

    Michel Jouvet pose deux questions « naïves » :

    1) Puisqu'il y a à la fois des facteurs génétiques et environne- mentaux (épigénétiques) qui sont responsables des différences indi- viduelles dans les comportements, quand et comment interfèrent- ils ?

    2) On conçoit facilement que les facteurs génétiques soient prépondérantes durant l'ontogénèse. Mais si le processus est terminé à la fin de la maturation du système nerveux central, est-ce que les connections synaptiques entre les billions de neurones responsables du comportement restent immuables ou bien, si elles sont altérées par les stimulations du milieu, comment résistent-elles ?

    Ces questions sont, en fait, essentielles car si un organisme n'avait pas le pouvoir de revenir à son état initial, il perdrait pro- gressivement toutes ses caractéristiques génétiques, sous la pression de l'épigénèse.

    Or, Jouvet remarque que le moment où l'organisme est le plus coupé des stimulations de l'ambiance est le sommeil paradoxal. L'organisme est alors sourd, aveugle et atone. C'est un stade dange- reux puisque l'individu est sans défense contre l'extérieur. Est-ce du fait de cette dangerosité que le sommeil paradoxal est protégé par le sommeil lent antécédent qui ne s'approfondit que s'il n'existe aucune stimulation menaçante du milieu ?

    Jouvet considère que l'activité ponto-géniculo-occipitale (PGO) qu'il a mise en évidence au cours du sommeil paradoxal pourrait

  • jouer ce rôle d'appareil de reprogrammation génétique. Durant le sommeil paradoxal, l'individu pourrait retrouver les comportements génotypiques plus ou moins masqués par les effets de milieu. L'hypothèse est très intéressante et demande de nouvelles recher- ches.

    L'activité de circuits dépendant d'un génome et sous-jacente à certains modèles de comportements serait indispensable à la survie de l'espèce, d'autant que ces circuits auraient peu de chance d'être renforcés durant l'éveil. Le renforcement de la mémoire phylogéné- tique viendrait compléter le rôle du sommeil paradoxal dans l'apprentissage.

    LA FONCTION REPARATRICE DU SOMMEIL LENT

    Depuis toujours, le sommeil est considéré comme la forme ma- jeure du repos. L'expression « sommeil réparateur » est employée de façon banale car elle témoigne d'une expérience humaine millé- naire. Pourtant, il n 'y a que quelques années que nous savons un peu mieux ce qui se répare durant le sommeil et pourquoi on peut parler d'une fonction biologique du sommeil.

    Ce sont les travaux de Jan Oswald, du département de psychia- trie de l'Université de Edinburgh, en Ecosse, qui, à partir de 1969, ont attiré l 'attention sur la fonction restauratrice du sommeil à l'égard de la synthèse protéique. Ainsi, cette fonction restauratrice pouvait être rapprochée des mécanismes de croissance. Dormir, grandir, réparer ses tissus devenaient des processus ayant en com- mun quelques phénomènes biochimiques et peut-être une parenté biologique !

    Oswald signale lui-même qu'il a eu des précurseurs dont les travaux n'avaient pas été interprétés : ainsi, dès 1938, Blumenfeld signalait que l'activité mitotique, dans le rein du rat albinos qu'il étudiait, était périodique et rythmique. En particulier, il y avait davantage de mitoses durant la nuit. Cooper (1939) fait la même remarque en ce qui concerne les mitoses dans l'épiderme de l'enfant. Halberg (1965) et Fisher (1968) confirment le phénomène respectivement chez la souris et chez l 'homme : il y a un rythme circadien des mitoses et, depuis les travaux initiaux, on a retrouvé ce rythme dans tous les tissus, quelle que soit l'origine embryon- naire. Les études ont été faites essentiellement chez les rongeurs et aussi chez l 'homme et Kirstine Adam, qui travaille avec Oswald, a donné une revue exhaustive dans le volume 53 de Progress in Brain Research consacré à « Adaptive Capabilities of the Nervous System ».

    Oswald a formulé ainsi sa théorie : quand il y a inactivité mo- trice durant le sommeil, toute la défense énergétique se fait au

  • profit de la croissance et de la réparation. Quant à Kirstine Adam, elle a eu le mérite de proposer un mo-

    dèle cohérent reliant d'une part les demandes d'énergie en fonction du rythme activité/inactivité d'une part et, d'autre part, le rythme dégradation/synthèse. Or, le travail cellulaire (activité motrice, production de chaleur, maintien de l'équilibre ionique, transports enzymatiques) consomme de l'ATP (adénosine triphosphate) qui n'est plus disponible pour la synthèse protéique. La construction ou la réparation des tissus exigent donc une alternance de rythmes activité/inactivité, veille-sommeil mais, elle n'est pas seule ; il y a aussi les variations du rythme des ingestions alimentaires et aussi des sécrétions hormonales qui règlent le rapport catabolisme/anabo- lisme.

    L'activité motrice, la recherche de nourriture provoquent une dégradation de la charge énergétique cellulaire et suppriment ou réduisent la biosynthèse. Le repos renverse le sens du phénomène. On en a des exemples aussi bien chez des êtres unicellulaires que chez des organismes supérieurs.

    Or, si le repos apparaît comme un moyen d'économiser de l'énergie et de la rendre disponible pour la construction et la répara- tion des tissus, le sommeil, suivant l'expression de Kirstine Adam, est plus que le repos. Le degré de non-réponse varie suivant les stades du sommeil. Dans le sommeil lent (sommeil orthodoxe, non REM, NREM), les stades 3 et 4 sont les plus profonds. On les appelle aussi sommeil à ondes lentes (slow wave sleep, SWS). Or, dans le SWS, la consommation en oxygène est la plus basse, ce qui le qualifierait pour exercer la fonction réparatrice la plus efficace.

    D'autres arguments sont apportés à cette théorie : en 1974, dans un travail consacré à « Sommeil des mammifères, longévité et métabolisme énergétique », Zepelin et Rechtschaffen montrent, dans une analyse comparative portant sur 53 espèces, qu'il y a une corrélation positive entre la durée du sommeil et le taux de la dépense énergétique durant l'éveil. Plus on dépense, plus il faut dormir pour réparer ! La corrélation est particulièrement marquée entre niveau des dépenses d'éveil et durée du SWS, c'est-à-dire des stades 3 et 4 du sommeil lent.

    Chez l 'homme, on a remarqué aussi que le taux d'excrétion urinaire des acides aminés était plus bas la nuit que durant la jour- née, ceci même durant les régimes carencés en protéines.

    Un très fort appui à la thèse de la réparation protidique durant le sommeil est venu à partir des années 1968-1969 des travaux japonais, de Takahashi et de Honda. Ces auteurs ont montré que la sécrétion d'hormone de croissance (Growth hormone, GH) dépen- dait de l'état de sommeil et en particulier du SWS (Sassin, 1969 ; Schuvre, 1971). Or, l 'hormone de croissance augmente les rentrées tissulaires des amino-acides et stimule la synthèse des protéines et

  • de l'acide ribonucléique ainsi que l'érythropoièse : c'est une hor- mone anabolisante. D'autres hormones anabolisantes sont dépen- dantes du sommeil : ce sont la prolactine, la testostérone et la LH (hormone lut éinisante). Par contre, et on pourrait dire symétrique- ment, la sécrétion des catécholamines et des corticostéroïdes qui exercent une action catabolique survient à la fin de la nuit et durant le jour.

    En résumé, à partir des travaux très nombreux sur les cycles veille-sommeil, activité-inactivité, catabolisme-anabolisme, on aboutit à une conception solidement argumentée de la fonction réparatrice du sommeil et en particulier du sommeil lent le plus profond, dans ses stades 3 et 4. L'état de non-réponse aux stimula- tions du milieu permettrait cet effet d'épargne. Par contre, le rôle du sommeil paradoxal paraît moins clair dans ce domaine.

    Les conséquences sont importantes :

    1) Une perturbation durable du sommeil peut entraîner des conséquences métaboliques. On connaît le syndrome biologique de la privation de sommeil mais on sait aussi que des enfants dont les nuits sont mauvaises, pour des raisons socio-économiques, peuvent avoir des retards de croissance. Des études ont été faites à New York chez des enfants porto-ricains.

    2) Le travail de nuit, chez certains sujets, entraîne une rupture du cycle anabolisme-catabolisme, provoquant des désordres physi- ques et une asthénie considérable.

    L'hygiène de vie est donc un élément tout à fait important qu'il faut analyser chez les sujets fatigués, en particulier le cycle veille-sommeil qui représente un élément particulièrement sensible dont nous devons tenir le plus grand compte.

    Ce bref survol de l'histoire moderne du rêve montre les orienta- tions et les directions de la recherche. D'autres aspects concernent non pas le laboratoire mais la clinique ou encore, revenant aux sources freudiennes, la signification du rêve. Le foisonnement, né à la fois de l'ouvrage de Freud et de l'observation initiale d'Aserinski et de Kleitman, est un extraordinaire exemple de la transformation que peut subir un problème anciennement posé mais, si cette trans- formation possède dans certains cas un aspect de rupture, elle est aussi continuation sous une autre forme de problème perçu par l'observation profane et la sagesse populaire. Le champ de la science n'est certainement pas un territoire à part dans le grand mouvement qui pousse l'homme à s'interroger sur sa vie psychologique.

  • ANNEXE :

    LE REVE D'IRMA

    Le rêve de l'injection faite à Irma est à l'origine d'une abondange littéra- ture reprenant, complétant, corrigeant l'interprétation freudienne.

    Il n'est pas inutile de reproduire le texte de ce rêve paradigmatique survenu dans la nuit du 23 au 24 juillet 1895.

    « Une autre salle, de nombreux invités que nous recevons. Parmi eux, il y a Irma. Je l'ai prise à part, à la fois pour répondre à sa lettre et lui reprocher de ne pas avoir accepté ma solution : je lui dis : « si vous avez encore des douleurs, c'est réellement de votre faute ». Elle répond : « si vous saviez seulement à quel point j'ai mal à la gorge, dans l'estomac, dans le ventre ! cela me bouleverse ». Je fus inquiet et la regardai. Elle paraissait pâle et bouffie. Je me mis à penser que j'étais peut-être passé à côté d'un trouble organique. Je l'amenai près d'une fenêtre et regardai au fond de sa gorge ; elle manifesta quelque résistance comme les femmes qui ont un dentier. Je me dis qu'elle n'avait vraiment aucun motif d'agir ainsi. Elle ouvrit alors la bouche convenablement et sur la droite je trouvai une grosse tâche blanche ; ailleurs, je vis de larges croutes grisâtres sur de très remar- quables structures bouclées, modelées, évidemment, sur les cornets du nez. J'appelai alors le docteur M. et il répéta l'examen et le confirma. Le doc- teur M. n'avait pas son apparence habituelle ; il était très pâle, marchait en boitant et son menton était rasé de frais... Mon ami Otto était à côté d'elle et mon ami Leopold, qui pratiqua une percussion à travers son corsage disait : « elle a une aire de matité en bas, à gauche ».

    Il indiqua aussi qu'une zone de peau, à l'épaule gauche était in filtrée (je notais cela en même temps que lui en dépit du vêtement). M. dit : « il n'y a aucun doute qu'il y a une infection mais c'est sans importance. Une diarrhée va se produire et la toxine sera éliminée ». Nous étions tous

  • CouverturePage de titreDu même auteurCopyright d'origineLIMINAIRELISTE DES COLLABORATEURSPremière partie - LE LABORATOIRE : DE L’ARCHITECTURE A LA FONCTIONL’HISTOIRE MODERNE DU RÊVEL’INTERPRETATION DU REVELA PHASE DES MOUVEMENTS OCULAIRES RAPIDESLA CRITIQUE DE FOULKESASPECTS CRITIQUES DE L’HISTOIRE DU REVEACTIVITE MENTALE HYPNAGOGIQUE ET DECATHEXISRECIT ET RAPPEL DU REVEACTIVITE COGNITIVE DURANT LE SOMMEILREPROGRAMMATION GENETIQUE ET SOMMEIL PARADOXALLA FONCTION REPARATRICE DU SOMMEIL LENTANNEXE : - LE REVE D’IRMA

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