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    Le postulat du dsirmoment existentiel de la subjectivit lacanienne

    Je veux marquer maintenant, si tonnante que la formule puisse vous paratre, que

    son statut dtre, si vasif, si inconsistant, est donn linconscient par la dmarche deson dcouvreur.Le statut de linconscient, que je vous indique si fragile sur le plan ontique, est

    thique. Freud, dans sa soif de vrit, dit Quoi quil en soit, il faut y aller parce que,quelque part, cet inconscient se montre. Et cela, il le dit dans son exprience de ce quiest jusque-l, pour le mdecin, la ralit la plus refuse, la plus couverte, la plus conte-nue, la plus rejete, celle de lhystrique, en tant quelle est en quelque sorte dorigine marque par le signe de la tromperie.

    Bien sr, cela nous a men beaucoup dautres choses dans le champ o nous avonst conduits par la dmarche initiale, par la discontinuit que constitue le fait quunhomme dcouvreur, Freud, a dit L est le pays o je mne mon peuple.

    Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse

    Lintrt pour Lacan au Japon

    Depuis une vingtaine dannes, nous constatons au Japon un certaindsquilibre dans lintrt quon porte la pense lacanienne. Dunepart, les uvres de Lacan ont t bien accueillies par le lectorat japo-nais. Le travail de traduction ayant t entam assez tt, une partie

    importante de ses travaux est aujourdhui accessible en japonais. Lesouvrages de vulgarisation ou ceux dinspiration lacanienne sont large-ment lus, ce qui montre quil existe une certaine demande intellectuelleou culturelle pour sa pense. Celle-ci sinfiltre dailleurs dans la pop-culture, au point que nous avons mme une chanson populaire enjaponais qui porte le titre de lobjet a 1. Mais dautre part, dun point

    1. Cf. Tash a(objet a) , interprt par anNina, parole par interface, sortie chez Frontier

    Works en 2007.

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    de vue pratique, la prsence de la psychanalyse au Japon na jamais taussi importante quen France. Elle na pas pu non plus vraiment pn-trer les milieux universitaires ; elle ny a que peu de place aujourdhui, et

    ce peu de place quelle a gard dans les chaires de psychopathologie, estmenac par lenvahissement de la psycho-pharmaceutique. En bref, onconstate aujourdhui au Japon, une reconnaissance intellectuelle de lapsychanalyse, qui ne se traduit pas ncessairement par le dveloppementde la pratique : il sagit l dun type dtermin de rsistance la psy-chanalyse.

    Cela dit, qui na pas rsist la psychanalyse ? Il ne serait pas sansintrt de comparer les rsistances japonaises avec celles des autres pays,

    mais nous rservons cette tude comparative pour une autre occasion.Nous aimerions simplement rappeler, aprs tant dautres, que, chaquefois, les rsistances ont t pour la psychanalyse une chance de rinven-tion. En France, cest le problme de la transmission de la psychanalysedans des conditions difficiles, aprs la Seconde Guerre mondiale, lenombre limit de psychanalystes en ligne directe et la distance inten-tionnellement prise au standard international , qui ont marqu lepoint de dpart de la rflexion lacanienne au seuil des annes 50,laquelle a dbouch sur la redfinition radicale de la psychanalyse. Sans

    doute, la rsistance japonaise ne peut-elle pas constituer une autrechance de rinvention ?

    Je lespre, mon espoir tant fond sur la prsence des travaux quivont dans cette direction 2, ct desquels je me place dans la positionde ce que Derrida a appel ami de la psychanalyse 3: sans pratiquer

    2. Je pense notamment aux travaux de Koji Togawa. Cf. Koji Togawa, Seshin-bunseki[Psy-

    chanalyse], Iwanami-shoten, Tokyo, 2003, et Kitarubeki Seshin-bunseki no Puroguramu

    [Programme pour une psychanalyse venir], Tokyo, Kdansha, 2008.3. Cette expression implique la fois la proximit et la distance par rapport la psychana-lyse. Cf. Jaime lexpression ami de la psychanalyse . Elle dit la libert dune alliance,

    un engagement sans statut institutionnel. Lami garde la rserve ou le retrait ncessaires

    la critique, la discussion, au questionnement rciproque, parfois le plus radical. Mais

    comme lamiti, cet engagement de lexistence mme, lengagement au cur de lexp-

    rience, de lexprience de pense et de lexprience tout court, il suppose une approbation

    irrversible, le oui accord lexistence ou lvnement, non seulement de quelque

    chose (la psychanalyse) mais de ceux et de celles dont le dsir pensant aura marqu

    lorigine et lhistoire. En aura aussi pay le prix. [/] En un mot, ce oui de lamiti

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    11Le postulat du dsir

    moi-mme la psychanalyse, jai voulu faire quelque chose pour cet amitranger que je tiens en haute estime et qui se trouve dans une diffi-cult particulire dans notre pays, o il risque dtre touff et mme

    oubli au sein mme de sa notorit souvent superficielle. Car, cedfaut de prsence clinique qui laurait vrifie et enracine dans uneexprience concrte, sajoute le fait que mme ceux qui sy intressentse contentent souvent de puiser des sources secondaires. La situationest sans doute comparable celle que Lacan a lui-mme tant dplore,soulignant, en 1953, ce quon gagnerait en sapercevant que, pourcomprendre Freud, la lecture de Freud est prfrable celle de M.Fenichel 4. On aurait pourtant tort de croire quil suffise dappeler

    un certain retour Lacan , puisquune fois entr dans la lecture destravaux lacaniens, on ne tarde pas semptrer dans son criture. Lacanest un auteur rput difficile, et cette rputation nest pas sans raison.Ceux qui cherchent un systme prt--porter dans ses textes, nytrouveront rien qui corresponde leurs attentes ; la difficult de soncriture leur semblera vaine. Car ce que vhicule le style de ses travaux,cest le mouvement de pense qui lamne irrsistiblement laborer un systme extrmement personnel de mots pris dans certains sens 5.En effet, ne peut-on rien faire dautre que de simplifier ou de schma-

    tiser sa pense, pour introduire la lecture de Lacan ? Le meilleur

    suppose la certitude que la psychanalyse reste un vnement historique ineffaable, la

    certitude que cest une bonne chose, et qui doit tre aime, soutenue, l mme o, cest

    mon cas, on ne la jamais pratique en institution, ni comme analys ni comme analyste,

    et l mme o lon cultive les questions les plus graves lendroit dun grand nombre de

    phnomnes dits psychanalytiques , quil sagisse de thorie, dinstitution, de droit,

    dthique et de politique. Lami salue une sorte de rvolution freudienne, il prsume

    quelle a dj marqu et devrait continuer de marquer, toujours autrement, lespace dans

    lequel nous habitons, pensons, travaillons, crivons, enseignons, etc.(Jacques Derrida etElisabeth Roudinesco, De quoi demain., Paris, Librairie Arthme Fayard et EditionsGalile, 2001, pp. 271272).

    4. E260.

    5. Lexpression est de Lucien Febvre, qui soccupait de larticle que Lacan rdigeait pour

    lEncyclopdie Franaise: voici son commentaire cit par Elisabeth Roudinesco : Le style

    du docteur Lacan nest pas un mauvais style cest un systme extrmement personnel

    de mots pris dans certains sens et tel quil faut ou tout rcrire aprs avoir compris ou

    prier lauteur de reprendre encore et de revoir son texte (Elisabeth Roudinesco,Jacques

    Lacan. Esquisse dune vie, histoire dun systme de pense, Paris, Fayard, 1993, p. 194).

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    moyen pour inviter le lire, nest-il pas montrer la constance de soninterrogation et la continuit de sa problmatique, qui a exig de lui unvritable travail conceptuel ?

    Cest dans cette perspective que je vais ici aborder la pense laca-nienne, en mintressant la notion de postulat , qui ne fait pasncessairement partie de la panoplie notionnelle proprement lacanienne,mais dont lapparition marque, me semble-t-il, lun des moments cru-ciaux du dveloppement de sa pense.

    Postulat en 1932 : entre la science et le dlire

    Le titre de mon expos le postulat du dsir sinspire dune expres-sion que Lacan a utilise dans sa Thse en mdecine de 1932, De lapsychose paranoaque dans ses rapports avec la personnalit6. Travail dejeunesse bien ambitieux, puisquil sagissait pour lui dassurer le fonde-ment de la psychiatrie, en tant quelle a un statut part lintrieur dela mdecine. En ce sens, cest comme pistmologue des sciences delhomme que Lacan a entam ses rflexions : si la psychiatrie est dignedu nom quelle porte, si elle est vraiment la science de ce qui est psy-

    chique, il faut dfinir le dterminisme propre cette science, diffrentde la causalit rgissant les phnomnes que nous observons au niveaucorporel et que nous pouvons considrer comme des phnomnesnaturels. Cette causalit proprement psychique est chercher non pasau niveau des relations cause-effet quantitativement reprables, mais auniveau de ce que Lacan appelle relations de comprhension , eninvoquant la notion jaspersienne duVerstehen.

    Les tats psychiques engendrent dautres tats psychiques dunemanire comprhensible. Lindividu attaqu se met en colre, celuiquon a tromp devient mfiant. Cette gense du psychique par lepsychique, nous la comprenons gntiquement 7.

    6. Jacques Lacan,De la psychose paranoaque dans ses rapports avec la personnalit, Paris,Editions du Seuil, 1975 (Thse de doctorat en mdecine, parue initialement chez Le

    Franois Paris, en 1932).

    7. Karl Jaspers, Psychopathologie gnrale, Alcan, trad. Kastler et Mendousse, p. 276.

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    13Le postulat du dsir

    Les relations quon peut ainsi tablir entre les tats psychiques et lescomportements du sujet observ, sur le principe de leur comprhensi-bilit, permettent den reconstituer lunit psychique, qui fait lobjet de

    la psychiatrie proprement dite et que Lacan spcifie sous le terme de la personnalit .

    Or, au lieu de se contenter dans sa Thse dutiliserla mthode jasper-sienne de comprhension , Lacan la soumet un examen critique, ou gnosologique pour employer sa propre expression, afin quelle puissefonder une science au mme titre que les sciences naturelles. Cettemthode est certes menace par de graves dangers dillusion , dans lamesure o il nest pas exclu quon interprte arbitrairement, mais elle

    peut tre objective, lorsquelle fait usage de rapports significatifs, quefonde lassentiment de la communaut humaine : leur application la dtermination dun fait donn peut tre rgie, dit Lacan, par des cri-trespurement objectifs, de nature garder de toute contamination parles illusions, elle-mme repres, de la projection affective 8. Autrementdit, notre comprhension ne seffectue jamais dans labsolu, mais elle estconditionne par les rapports que lon considre communment comme comprhensibles , et il est bien possible dassurer lobjectivit de lacomprhension, en lappuyant constamment sur ces rapports signifi-

    catifs prtablis et partags de chaque membre de la communaut.Mais en poussant plus loin ses rflexions gnosologiques , Lacan

    est amen articuler ce qui conditionne plus profondment la compr-hension dans cette approche psychopathologique. En effet, pour fonderune science, on a beau prtendre sappuyer sur des faits observs, lesfaits nont pas en eux-mmes la valeur quon leur accorde habituelle-ment. Pourquoi ? La rponse de Lacan va dans le sens de ce que nouspouvons appeler aujourdhui constructivisme :

    La preuve est que ces fameux faits soffrent lobservation deshommes depuis Adam, mais quils leur sont apparus, en tant que faits,sous des aspects bien diffrents depuis cette poque lointaine : de nos

    jours mme, le sauvage mlansien prtend lui aussi, nen doutons pas, sen tenir aux faits .

    8. Lacan, op. cit., pp. 309310.

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    Cest le postulat qui cre la science, et la doctrine le fait. Ce qui faitla valeur de notre science, cest la loi dconomie quelle simpose dansles postulats qui la fondent. Cest sur ce plan que nous prtendons

    dfendre notre thse9

    .

    Autrement dit, il ne suffit pas de constater des relations de comprhen-sion, mais nous devons savoir ce que nous faisonsen comprenant,puisquon aurait tort de croire quil existe du comprhensible en soi etque la comprhension ne consiste qu laccueillir. Lacan le dit en effet : notre thse est avant tout une thse de doctrine. Cest de cette doctrineque les faits que nous rapportons tirent non seulement leur sens, mais

    leur relief.

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    Que les relations de comprhension se donnent commeun fait nimplique pas quelles soient sans prsuppos : la comprhen-sion ne seffectue qu partir dune supposition fondamentale. Quelleest alors cette supposition, qui rend les tats psychiques ou les compor-tements comprhensibles ?

    La rponse de Lacan cette question annonce le dveloppementultrieur de sa pense. La clef comprhensive 11quil affirme appliquerau cas dAime, cest ledsir, quil propose tout dabord de dfinir demanire disons behaviouriste, par un certain cycle de comportement

    que lon peut observer objectivement dans lvolution biographique dusujet :

    Il [le dsir] se caractrise par de certaines oscillations organiques gn-rales, dites affectives, par une agitation motrice, qui selon les cas estplus ou moins dirige, par certains fantasmes enfin, dont lintention-nalit objective, sera, selon les cas, plus ou moins adquate ; quandune exprience vitale donne, active ou subie, a dtermin lquilibre

    affectif, le repos moteur et lvanouissement des fantasmes reprsenta-tifs, nous disons par dfinition que le dsir a t assouvi et que cetteexprience est la finet lobjetdu dsir. Peu nous importe que les fan-tasmes aient t conformes ou non limage de cet objet, autrementdit que le dsir ait t conscient ou inconscient. Le concept mme de

    9. Ibid., p. 308.

    10.Ibid., p. 307.

    11.Ibid., p. 311.

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    15Le postulat du dsir

    linconscientrpond cette dtermination purement objectivede la findu dsir 12.

    Cest pour autant quon suppose le dsir de lautre derrire une configu-ration disons cyclique de ses tats psychiques et de ses comportementsquils sont comprhensibles. Plus prcisment, cest en supposant chezAime le dsir dun objet singulier, ou lautopunition, que nous pou-vons comprendreles images qui la hantent, ainsi que ses comportementsorganiss l autour, et surtout leur brusque disparition aprs son empri-sonnement la suite de lagression dune actrice.

    Lacan souligne que tous les pisodes de son dveloppement, inexpli-

    cables isolment, sordonnent naturellement par rapport ce cycle ,et quil est ncessaire dadmettre que ce cycle et ses piphnomnessorganisaient en fait selon la dfinition objective [] du dsir et sonassouvissement 13. Mais bien curieusement, au lieu den conclureimmdiatement la ralit du dsir et du dterminisme fond parcelui-ci et spcifi sous le terme de psychognie (et non pas psy-chogense 14), il insiste sur le point que le dterminisme dont il sagitreste essentiellement hypothtique. Le passage o il laffirme mritedtre cit intgralement, puisquil dmontre dans quel contexte il

    introduit le terme de postulat :

    Pour le fondement dune telle science des faits concrets de la psycho-logie, nous disposons [] dune armature conceptuelle et dun ordrespcifique de phnomnes mesurables. Une condition nous manqueencore, sans laquelle nous ne saurions fonder aucune science dun telobjet, mais seulement nous livrer une sorte de lecture purementsymbolique de ces faits, cest la condition dun dterminisme, qui soit

    spcifiquede ces phnomnes.Cest ici, et ici seulement, que nous faisons une hypothse : si nous

    avons repouss celles des doctrines classiques, nous navons au restejamais prtendu nen pas forger nous-mme. Cette hypothse, cest

    12.Loc. cit.13.Loc. cit.

    14. Lacan a prfr le psychognie au psychogense , parce quil a voulu sloigner de

    la connotation constitutionnaliste de ce dernier. Cf. Roudinesco, op. cit., pp. 7172.

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    quun dterminisme existe qui est spcifique de lordre dfini dans lesphnomnes par les relationsde comprhensibilit humaine. Ce dter-minisme, nous lavons appelpsychognique. Cette hypothse mrite le

    titre depostulat; indmontrable en effet et demandant un assentimentarbitraire, elle est en tout point homologue des postulats qui fondenten droit toute science et dfinissent pour chacune la fois son objet,sa mthode et son autonomie.

    Nous avons montr que, de ce postulat, chacun se sert implicite-ment, ds lors quil tudie les phnomnes concrets de la psychologiehumaine ; que le mdecin, lexpert, le psychiatre, quil le sachent ounon, sy rfrent constamment []. Que si ce postulat exprimait une

    erreur et quil ny et pas de dterminisme psychognique, il seraitinutile de parler autrement quen figures potiques du comportementde lhomme, et par consquent de ceux des phnomnes psychopatho-logiques qui ne sont rien dautre que des atypies de ce comportement 15.

    En fait, lorsquon reconnat dans tel ou tel phnomne la manifestationdu dsir, cela nest pas dtermin dune manire compltement objec-tive: il nous arrive non seulement de considrer par mprise lenon-dsirant comme dsirant, mais aussi de croire que tous les vne-

    ments dans le monde sont des manifestations dun vouloir quelconque(dlire dinterprtation, animisme). Une chose est pourtant de souli-gner le caractre plus ou moins subjectif du reprage de lautre quidsire ; cen est une autre daffirmer quil sagit dune hypothse . Caril apparat clairement dans ces paragraphes que Lacan tient comptedune possibilit extrme, o la supposition du dsir manque le but auniveau le plus radical et quil ny a point de dterminisme fond sur ledsir ; nous voyons partout des manifestations du dsir, cela fait partie

    de notre attitude naturelle vis--vis du monde, mais en dernire ana-lyse, il ny a rien qui puisse assurer le fondement de sa ralit.

    La radicalit de la position o Lacan entend se placer dans ce passagese marque davantage lorsquil affirme que lhypothse dont il sagitmrite le titre de postulat , pour autant quelle est selon lui ind-montrable en effet et demandant un assentiment arbitraire . Une

    15. Lacan, op. cit., p. 314.

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    17Le postulat du dsir

    note dans sa Thse nous permettrait dapprcier pleinement la portede cette formulation, o Lacan se rfre aux Analytiques postrieuresdAristote pour dfinir la notion de postulat. Parmi les propositions

    quon prend pour principe sans dmonstration, Aristote distingue lepostulat (, demande) de lhypothse () en ce que le pre-mier nest pas conforme lopinion de llve et que celui-ci rpugnelaccepter, et de laxiome () en ce quil ne simpose pas comme cedernier lesprit (Anal. Post., I, 10, 76, 23, 24) 16. Autrement dit, lasupposition au sens de postulat doit tre effectue lencontre mmede lopinion et de la volont des autres, et concernant lobjet dpourvude lvidence, cest--dire, dans labsence de tout ce qui peut nous y

    inciter de lextrieur : il faut que l assentiment donn la supposi-tion soit arbitraire , pour que soit constitu un postulat ; il sagitbien dun supposons inaugural, ou de lacte subjectif par excellence.

    Cela ne veut pour-tant pas dire quelle nest pas motive de lint-rieur. De ce point de vue, il est significatif que Lacan propose detraduire par demande dans la note que nous venons de citer.Cette connotation se retrouve dailleurs dans le terme de postulat lui-mme, qui vient du latinposcere, qui signifie demander ou exi-ger . Autrement dit, la supposition du dsir de lautre est ce qui est

    demand , elle est corrlative du dsir du sujet de la connaissance, enloccurrence, psychiatrique : le sujet connaissant ne constatepas le dsirde lautre, mais il dsireque lautre dsire. On pourrait mme arguer quele postulat du dsir constitue une premire articulation de la probl-matique du dsir du dsir , que Lacan va amplement dvelopper dansla suite en sappuyant sur linterprtation par Kojve de laPhnomnologie de lEspritde Hegel.

    Mais une question se pose ici au sujet de la raison de ce dsir du

    dsir avant la lettre. Pourquoi ce postulat, pourquoi cette demande de lautre qui dsire ? Ou autrement dit, en quoi le dsir de lautre est-ilsi dsirable ? La rponse cette question, avec laquelle nous espronsfaire avancer un peu plus loin la problmatique lacanienne de lpoque,sesquisse dans les deux conditionnels de la dernire citation :

    16.Ibid., p. 72.

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    [] si ce postulat exprimait une erreur et quil ny et pas de dtermi-nisme psychognique, il serait inutile de parler autrement quenfigures potiques du comportement de lhomme, et par consquent de

    ceux des phnomnes psychopathologiques qui ne sont rien dautreque des atypies de ce comportement.

    Ce quon voit apparatre en filigrane dans ce passage, cest une logiquede type disjonctif. De deux choses lune : ou bien lautre dsire commemoi, ce qui fait quil y a une possibilit de comprhension imaginairede lautre et on peut en savoir quelque chose, ne ft-ce que partielle-ment, donner un certain ordre sa biographie pleine dpisodes

    inexplicables ; ou bien lautre ne dsire pas, il ny a alors point de dter-minisme qui rgisse ses comportements et ses fantasmes dsordonns,et aucun savoir nen est possible. Il sagit dune alternative que nouspouvons comparer au pari pascalien, condition de souligner que ce quiest en jeu nest plus une infinit de vie infiniment heureuse , mais unsavoir concernant lautre, et le sujet lacanien est invit parier sur lexis-tence du savoir, comme le sujet pascalien sur lexistence de Dieu. Nouspouvons donc rpondre la question que nous nous sommes pose tout lheure, en disant que le dsir de lautre nest pas dsirable en lui-

    mme, mais par le savoir quil rend possible ; mais avec cette rponse,nous ne faisons que remonter dun cran dans notre interrogation surlorigine du postulat du dsir, car une autre question se pose alors desavoir en quoice savoir est dsirable. A ce moment existentiel de la sub-jectivit qui se constitue comme connaissant, quest-ce qui fait que lesujet opte pour le savoir ?

    Pour rpondre cette question, nous pouvons citer une autre occur-rence du terme de postulat . Lacan sest rfr la dfinition

    aristotlicienne du postulat, dans une note ajoure au passage o il envenait mentionner la thorie de son matre, Clrambault, selonlaquelle il existe un lment gnrateur la base des idations etdes comportements anormaux chez les paranoaques, lment queClrambault prfrait dsigner sous le terme plutt de postulat qued ide prvalente , en raison de la valeur d embryon logique (lex-pression est de Clrambault) quil juge convenable de lui accorder.Lacan affirme dailleurs qu [] partir de ce postulat, toutes les anoma-

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    lies dides et dactes dans le dlire se dduisent rigoureusement 17: Le postulat, dans lrotomanie, dit Lacan en citant les arguments deClrambault, cest lorgueil, lorgueil sexuel , cest encore le senti-

    ment d emprise totale sur le psychisme sexuel dune personnedtermine (loc. cit.) 18. Lacan a donc utilis, pour fonder la connais-sance psychiatrique, le mme terme que celui qui permet Clrambaultdarticuler la structure de lrotomanie. Dailleurs, nous pouvons signa-ler dans sa Thse plus dun moment o la connaissance scientifiquesemble simbriquer avec la construction dlirante, mais pour linstant,laissons cela de ct 19. Il nous importe ici de remarquer quen situantla notion de postulat dans le contexte non pas de la psychopathologie

    de la paranoa, mais de la structure paranoaque elle-mme, nous pou-vons nous interroger sur ce qui fait exiger au sujet paranoaque laprsence chez lautre dun dsir dtermin (Lacan parlerait plutt de lintention 20), quil soit amoureux ou malveillant. Dans son articlesur le cas Schreber, qui fait dailleurs partie de la bibliographie de laThse en 1932, Freud voit dans le dlire paranoaque une tentative de

    17.Ibid., p. 72.

    18. Clrambault appelle galement postulat le dlire corrlatif de cet orgueil sexuel .

    Cf. Le Dlire Erotomaniaque a pour base ce postulat : le Roi dAngleterre est amoureuxdelle [la patiente] (Gatan Gatian de Clrambault, Coexistence de deux dlires :

    perscution et rotomanie (1920) in uvres psychiatriques, Paris, Frnsie, 1987,

    p. 325).

    19. Dans ses rflexions dordre gnosologique, Lacan signale le principe didentification

    itrative comme un mode dorganisation prlogique , dune porte trs gnrale

    dans les dlires des psychoses (Lacan, op. cit., p. 296), qui ne se limite pourtant pas aux

    phnomnes pathologiques. Il en souligne non seulement la parent vidente avec les

    productions mythiques du folklore , mais aussi la parent plus inattendue avec certains

    principes gnraux de la science, savoir les principes de constance nergtique (ibid.,

    pp. 296297), qui fournissent le cadre conceptuel aux discussions quil dveloppe danssa Thse, bases sur la thorie freudienne de la libido. Ce rapprochement nous rendra

    claire par ailleurs, poursuit Lacan, ce fait, signal par Ferenczi, de la prdilection mani-

    feste par de nombreux paranoaques et paraphrniques (et aussi dments prcoces),

    pour la mtaphysique et les doctrines scientifiques qui y confinent (loc.cit.). Par ailleurs,

    le terme de prototype , que Lacan a utilis pour spcifier le rle de la sur dAime

    dans la formation de ses dlires, se retrouve lorsquil tente de dfinir le rle du cas Aime

    dans les recherches ultrieures, en disant quil doit servir de prototype dans le classe-

    ment des cas analogues (ibid., p. 267).

    20. Jacques Lacan, Au-del du principe de ralit , in E83.

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    se dfendre dun fantasme de dsir homosexuel 21et cherche arti-culer ses diverses formes comme autant de manires, grammaticalementdduites, de contredire une proposition : je laime (lui, lhomme) 22.

    Mais dans le manuscrit H des Lettres Fliess, que Lacan na pas puconsulter au moment de sa Thse 23, Freud conoit une varit beau-coup plus tendue de ce contre quoi le paranoaque se dfend. Faute,chec, dfaite, impuissance sexuelle, bref tout ce qui est pnible, inac-ceptable pour le sujet, et que Freud appelle reprsentationinconciliable 24, peut faire lobjet de ce mcanisme de dfense, quiinvoque un personnage bien ou mal intentionn, venant se substituer la vritable raison, souvent endogne, de son malheur. Ce personnage

    imaginairement constitu sinterpose entre le sujet et ce qui lui est inac-ceptable en ce que cela peut porter atteinte sa personnalit, pour luipermettre ainsi de le tenir lcart 25. Cest l sa fonction et sa vertuindpendamment du caractre qui lui est attribu par le sujet. Cestpour autant que le dsir suppos de lautre constitue la dfense contre une reprsentation inconciliable , que le sujet est amen en exi-ger la prsence. Do cette formule clbre de Freud : Dans tous lescas, lide dliranteest maintenue avec la mme nergie que celle aveclaquelle une autre ide pnible difficilement supportable est carte

    dfensivement par le moi. Ils aiment donc le dlire comme ils saimenteux-mmes. Voil le secret. 26

    21. Sigmund Freud, uvres compltes, tome X, Paris, PUF, 1993, p. 305.

    22.Ibid., p. 306.

    23. Le manuscrit en question fait partie de la correspondance Fliess-Freud, qui ne fut publie

    quen 1950.

    24. Sigmund Freud, Lettres Wilhelm Fliess. 18871904, Edition complte, Paris, PUF,2006, p. 143.25.Ibid., pp. 144145.

    26.Ibid., p. 145. Car quest-ce quaimer, sinon dsirer la prsence de lautre, telle quelle est

    comprise imaginairement, notre image, cest--dire la prsence dsirantede lautre : en

    dautres termes, aimer, cest du moins une manire de dsirer le dsir de lautre, mais ce

    dsir du dsir de lautre est motiv moins par ce quest le dsir de lautre, que par le souci

    de la dfense contre linconciliable. Il existe bien une dimension narcissique dans cet

    amour du dlire, cela nimplique pourtant pas que le personnage qui y figure ressemble

    au sujet, mais quil y figure en rponse son dsir de contourner linconciliable.

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    Rsurgence du postulat en 1957 : la dfinition du phallus

    Nous voyons donc dans la Thse de 1932 la premire bauche de la

    subjectivit lacanienne, dont la structure est la fois pistmologiqueet existentielle, subjectivit qui est constitue autour du postulat dudsir fondateur du savoir sur lautre, ou encore autour de lassenti-ment accord au fait du dsir chez lautre, apparemment naturel maisen fait arbitraire, issu dailleurs dune logique dfensive et disjonctive Si lautre ne dsire pas, il ny aura aucun savoir sur son psychisme.Donc,il faut quil dsire: dans cette perspective, le sujet psychologique rai-sonne de la mme manire que le sujet paranoaque, qui suppose

    projectivement, imaginairement ou existentiellement une bonne oumauvaise intention lautre, pour pouvoir assumer la situation qui estpour lui difficile accepter comme telle, cette diffrence prs que lasupposition semble porter principalement sur la nature du dsir dans lecas de la paranoa, alors que dans les rflexions critiques sur la person-nalit, cest le fait mme de dsirer qui est dabord hyperboliquementmis en doute, pour tre ensuite raffirm, comme cela a t toujours lecas lorsquil sagissait de fonder le savoir. Sil est relativement ais de sereprsenter lobjet de la dfense paranoaque, il est en revanche difficile

    dimaginer labsence gnrale et complte du dsir de lautre et limpos-sibilit de tout savoir psychologique (contre lesquelles on se dfend en exigeant le dsir de lautre), sinon travers le tmoignage des sujetspsychotiques rapportant la perte de contact avec la ralit 27. Certes,larticulation de cette subjectivit reste ltat desquisse dans le travaildu jeune Lacan 28. Mais ses rflexions ultrieures viennent prolonger ces

    27. Cf. Une fois, je me trouvais au Patronage, et je vis subitement la salle devenir immense,

    et comme claire dune lumire terrible, lectrique, qui ne donnait pas de vraies ombres.Tout tait net, lisse, artificiel, tendu lextrme ; les chaises et les tables me parurent des

    maquettes poses et l. Les lves et les matresses semblaient des marionnettes qui

    voluaient sans raison, sans but. Je ne reconnaissais plus rien, plus personne. Cest

    comme si la ralit stait dilue, vade de tous ces objets et tous ces gens (Marguerite

    et Albert Sechehaye,Journal d'une schizophrne : Auto-observation d'une schizophrne pen-

    dant le traitement psychothrapique, Paris, PUF, 1950, p. 14).28. Dans ses discussions ultrieures, Lacan voque plusieurs reprises sa thorie de la

    connaissance paranoaque quil aurait dveloppe lpoque immdiatement post-

    rieure sa Thse, dont nous navons pourtant que bien peu darticulations concrtes.

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    discussions gnosologiques de 1932.Cest dabord son analyse du temps logique , qui vient articuler la

    temporalit propre au moment de lassomption du postulat du dsir.

    Temporalit qui restait latente dans ses tudes sur la paranoa, du faitque le moment de son assomption y apparat dores et dj dpass,que ce soit dans lobservation psychiatrique ou dans la formation dudlire. En effet, larticle de 1945 met en scne le drame vcu du postu-lat du dsir, sous la forme dun prisonnier qui, dans une situationsoigneusement labore cet effet, est amen conclure logiquementsur la couleur du disque quil porte mais quil ne peut pas voir lui-mme, en se raffirmant soi la prsence dun autre imaginairement

    comprhensible, mise en doute par la nouvelle situation qui sest pr-sente au cours de son raisonnement, de peur que, cet instant pass, ilne puisse plus accder au savoir qui lui donne le droit la libration.Larticulation que Lacan donne ici la temporalit de la logique dis-jonctive, autour de ce quil appelle la fonction de la hte , a ceci despcifique quelle met en relief le statut essentiellementphilo-sophiquedu sujet qui est pos comme celui qui aime savoir , ainsi que lar-rire-plan de cet amour de savoir comme la crainte de resterindfiniment aux limbes du monde de laction (Le prisonnier restera

    incapable dagir ou de ragir, tant quil narrive pas se constituercomme sujet du savoir).

    Et puis, au cours des annes cinquante, Lacan propose deux concep-tions directement issues de cette structure subjective esquisse en 1932,dcisives pour llaboration ultrieure de sa thorie. La premire est lamise au premier plan du signifiant qui, comme tel, ne signifierien 29. En fait, dans linterprtation psychanalytique, il sagit nonseulement de comprendre autrement, mais aussi de comprendre ce qui

    ne soffrait pas ncessairement la comprhension. Cest ce qui arrivelorsque le psychanalyste signale un dsir inconscient derrire les inci-dents apparemment insignifiants de la vie quotidienne. Dunecertaine manire, dans linterprtation psychanalytique, le dsir et lesens, le vouloir et le vouloir-dire se rejoignent comme naturellement.

    (Cf. E180.)

    29. [] [T]out vrai signifiant est, en tant que tel, un signifiant qui ne signifie rien (S.III,

    p. 210, sance du 11 avril 1956).

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    Et en interprtant au niveau du signifiant, de ce qui veut dire, et nonpas du signifi, de ce que cela veut dire, le psychanalyste noccupe-t-ilpas la position de celui qui exige le dsir de lautre, exige quil y ait un

    dsir l o lon ny songeait mme pas, ou pour recourir une imagevoque par Andr Breton, la position de celui qui se place dun bonddans la rgion o srige le dsir sans contrainte 30? En un mot, lepsychanalyste ne constitue-t-il pas alors lincarnation mme du pos-tulat du dsir ? Lacan tente de spcifier ce moment proprement signifiant par rapport ce quil appelle signification , en affirmantque cest partir du moment o limportant nest pas leffet du conte-nu du message mais que lon prend acte du message , quil y a

    usage propre du signifiant ou isolement du signifiant : cestlaccus de rception, dit-il, qui est l'essentiel de la communication entant quelle est non pas significative, mais signifiante 31; ce nest quassumer effectivement et explicitement le postulat du dsir comme sonpropre acte, et vivre en quelque sorte la supposition de lautre quidsire dans la temporalit effective, que Lacan a pu reprer ce momentsingulier de signifiant pur, o le sujet est certain davoir devant lui unsignifiant, sans pourtant savoir ce quil veut dire.

    Or il arrive quun tel signifiant sinstitue dans lexprience concrte

    du langage sous la forme du silence de linterlocuteur 32. Le signifiantqui comme tel ne signifie rien, reste indtermin au niveau de ce quilveut dire; il peut alors toutsignifier, de mme que lon peut attendretoutes paroles possibles, de quelquun qui garde le silence le plus com-plet, son silence tant alors lincarnation mme de tous les vouloir-dire ;il dfinit le lieu mme de laudition signifiante, o il sagit pour lesujet davancer dans la structure ramifiante de la chane signifiante, ense livrant au renvoi propre la signification o un signifiant

    entendu est toujours suivi de lensemble des emplois possibles qui30. Andr Breton, Du surralisme dans ses uvres vives (1953), inManifestes du surra-

    lisme,Paris, Folio/Gallimard, 1985, p. 167.

    31. S.III,p. 213, la mme sance. Il serait possible de faire correspondre la signification

    au niveau infrieur et le signifiant au niveau suprieur du graphe du dsir .

    32. De ce point de vue, le sujet et le signifiant ne constituent pas deux niveaux distincts,

    mais ils apparaissent essentiellement interchangeables. Do la possibilit dune anthro-

    pologie , qui consiste envisager ces deux ordres de logoset de anthroposdans lunique

    structure de la chane signifiante .

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    se dessinent et qui soffrent au choix auditif du sujet 33. Un linguistese bornerait les numrer tout tranquillement, comme on le fait dansla lexicographie. Il nest pourtant plus possible pour le sujet de garder

    cette attitude neutre et contemplative, ds quil est subjectivementengag dans cette audition, et quil ne sagit plus pour lui de savoir ceque lautrepeut vouloir dire, mais de savoir ce quil veut dire effective-ment. Lautre occupe alors la position de toute-puissance, pour autantquil apparat infini dans son vouloir dire, et par rapport cet infiniincarn dans la prsence silencieuse de lautre, le sujet de laudition setrouve dans une position dsesprment infrieure et dpendante.Lacan parle plus tard de langoisse provoque par une telle situation,

    dans son sminaire sur lidentification, en empruntant limage de larencontre avec une norme mante religieuse 34. Mais dj en 1957,Lacan a fait intervenir ce moment quil avait pu reprer dans le tempslogique et articuler laide de la notion de signifiant, au point crucialdu dveloppement de la subjectivit quil tentait alors de redfinir entermes de dialectique du dsir, o nous observons une rsurgence biencurieuse du terme de postulat .

    Dans le sminaire sur la relation dobjet, lorsquil sagit de reprendreles donnes apportes par Mlanie Klein et de les intgrer la perspec-

    tive de la structure linguistique o sarticulent la fois le stadeprdipien et le stade dipien, Lacan prsente les premiers momentsde la dialectique prdipienne de la manire suivante. A lorigine decette dialectique, il suppose le dsir de la prsence maternelle. Ce que lesujet prdipien dsire avant tout, cest que la Mre demeure toujoursauprs de lui. (Ou plus prcisment, lautre dont la prsence constanteest dsire par le sujet prdipien, nous le spcifions par le terme de Mre , quil soit biologiquement, corporellement, sociologiquement

    fminin ou non.) Ce dsir primordial reste pourtant insatisfait, puisquilna aucun moyen de matriser sa prsence. La Mre est alors caractrisepar son caprice , dont le sujet se trouve entirement dpendant, dansson bonheur ainsi que dans son malheur. Comment sortir de cetteimpasse o il est la merci de son comportement aussi capricieux que

    33. Voir notre chapitre 5.

    34. Cf. S.IX, sance du 4 avril 1962.

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    tyrannique ? Lacan ne formule pas cette question de manire explicite,mais il prsente clairement ce qui constitue la perce possible et permetau jeune sujet de passer ltape suivante : ce nest rien dautre que lin-

    troduction duphallus, en tant quil est distinct du pnis anatomique.Quel est alors le statut qui lui est propre ? Il sagit du phallus imagi-naire , dit Lacan, mais cela nimplique pas simplement quil esttributaire moins de son existence effective que de limagination. Voicicomment il dfinit le statut de cet lment crucial :

    Le phallus imaginaire est le pivot de toute une srie de faits qui enexige le postulat. Il faut tudier ce labyrinthe o le sujet habituelle-

    ment se perd, et peut mme venir tre dvor. Le fil pour en sortirest donn par le fait que la mre manque de phallus, que cest parcequelle en manque quelle le dsire, et que cest seulement en tant quequelque chose le lui donne, quelle peut tre satisfaite 35.

    Lacan poursuit en disant que [c]ela peut paratre littralement stup-fiant . Mais la logique de ce paragraphe lest beaucoup moins, lalumire du terme de postulat qui en marque en quelque sorte le paysdorigine. Autrement dit, Lacan semble supposer que le sujet prdi-

    pien, devant cette Mre capricieuse, est amen occuper une positionanalogue celle quil avait dj articule en 1932, autour des deux plesde la psychiatrie et de la paranoa. Ou bien la Mre dsire comme jedsire moi-mme, cest ce dsir qui lemmne ailleurs, l o il y a sonobjet, et cest par lintermdiaire de cet objet dsir par la Mre, que jepourrai la retenir auprs

    de moi. Ou bien la Mre ne dsire point, il nya aucun dterminisme qui rgisse son va-et-vient, de telle sorte que je nepeux plus que rester sa merci, et cela pour lternit. Et si, dans cette

    alternative, le sujet prdipien est amen parier sur la premire possi-bilit ; son problme est certes loin dtre rgl, mais il est du moins bienarticul, son ignorance nest plus totale, elle ne concerne que lobjet quedsire la Mre, ce qui lui ouvre la possibilit dagir et dorganiser sonaction dans un sens dtermin. La situation tant alors beaucoup moins

    35. S.IV, p. 190, sance du 27 fvrier 1957.

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    pnible 36, cest aussi ce gain immdiat quon obtient non pas en gagnantla partie mais dj en faisant ce pari pistmologique, qui peut inciter lesujet opter pour la Mre dsirante et se constituer comme sujet

    essentiellementphilo-sophique.

    Conclusion

    Ainsi venons-nous de prsenter comment la notion de postulat dudsir , labore dans sa Thse en 1932, a fait sa rapparition en 1957, lun des moments cruciaux de la pense lacanienne o il sagissait de

    redfinir le complexe ddipe, et de marquer le point de dpart de sadialectique. Le phallus nest rien dautre que la forme renouvele de cepostulat du dsir, toujours issu du jugement de type disjonctif, o le

    36. La logique du moins terrifiant, laquelle Lacan recourt dans cette articulation de la

    dialectique prdipienne, semble provenir de celle qui est esquisse par Mlanie Klein,

    lorsquelle situe la mre phallique dans ltape prcoce du dveloppement subjectif,

    cette diffrence prs quelle met les parents combins la place de la mre capricieuse

    chez Lacan, comme ce quil sagit dcarter laide du phallus. Cf. A mon avis, si le

    garon prouve, dans les couches les plus profondes, de son psychisme, une peur aussi

    terrible de sa mre quil considre comme castratrice, et sil entretient lide, troitementlie cette peur, de la femme au pnis , cest quil craint en sa mre une personne dont

    le corps recle le pnis du pre ; ce quil redoute finalement, cest donc le pnis du pre

    lintrieur du corps de la mre. Le dplacement de la haine et de langoisse inspires par

    le pnis du pre, sur le corps de la mre, qui en est le rceptacle, joue selon moi un rle

    trs important dans ltiologie des troubles mentaux ; cest aussi lune des causes pro-

    fondes des perturbations du dveloppement sexuel et de lhomosexualit chez lhomme.

    Or, la crainte du pnis imaginaire de la mre constitue une tape intermdiaire dans ce

    processus de dplacement. De cette manire, le garon attnue la peur que lui inspire le

    pnis contenu dans le corps de la mre ; cest en effet une peur tout fait insurmontable

    car, ce stade du dveloppement, la partie est encore considre comme le tout, et lepnis tient lieu de la personne du pre. Ainsi le pnis contenu lintrieur de la mre

    reprsente le pre et la mre runis en une seule personne, et cette combinaison prend

    une signification particulirement redoutable et menaante. Nous avons vu que lenfant

    concentre son sadisme, au moment o il est le plus intense, sur le cot des parents. Les

    souhaits de mort quil forme contre eux au cours de la scne primitive ou des fantasmes

    qui lentourent sont associs des fantasmes sadiques dont le contenu est dune richesse

    extraordinaire et comporte la destruction la fois simultane et successive du pre et de

    la mre ( Les premiers stades du conflit dipien et la formation du surmoi , in La

    psychanalyse des enfants, Paris, PUF, 1959, pp. 145146).

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    sujet prdipien se confirme comme sujet dsireux de savoir. Or cesujetphilo-sophiquese transforme ensuite ncessairement en sujet scien-tifique, pour autant que lchec invitable de la premire qute du

    phallus le conduit rviser et reformuler son hypothse concernantce qui est dsir par la Mre, tout en conservant le postulat de lautrequi dsire, postulat dailleurs gnrateur de cette science singulire queFreud a dnomme thories infantiles de la sexualit . Faute de pou-voir entrer dans les dtails de la dialectique dipienne que nouspourrons articuler dans cette perspective, jaimerais simplement souli-gner, pour conclure, que cette logique disjonctive constitue uneconstante des rflexions lacaniennes, car Lacan est amen dans la suite

    la thmatiser rgulirement, dabord dans lexamen de la notiondaphanisis (S.VI), pour la reformuler sous la forme du velde lalina-tion (S.XI), quil met finalement au centre de la logique dufantasme (S.XIV), ce qui la amen reprendre le pari pascalien(S.XVI). Nest-il pas possible darticuler lvolution de la pense laca-nienne dans la perspective de cette structure la fois pistmologique,disjonctive et existentielle, qui institue la subjectivit humaine dans unstatut essentiellement philo-sophique ? Voil une piste possible, quenous pourrions explorer en nous interrogeant sur la place de la philo-

    sophie par rapport la psychanalyse telle quelle est labore par Lacan.