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I UNIVERSITE PARIS-EST CRETEIL VAL-DE-MARNE U.F.R DE DROIT « Ecole doctorale Organisation, Marchés, Institutions » - OMI « Laboratoire de Recherche sur la Gouvernance Publique, Territoire et Communication » - LARGOTEC L’AUTONOMIE ADMINISTRATIVE ET FINANCIERE DES COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEES : l’EXEMPLE DU CAMEROUN TOME 1 THESE POUR LE DOCTORAT EN DROIT PUBLIC Présentée et soutenue en Septembre 2010 par Landry NGONO TSIMI MEMBRES DU JURY Christine HOUTEER Maître de Conférences à l‟Université Paris-Est (Directeur de recherche) Monsieur Jean-François PICARD Professeur à l‟Université Paris-Est Madame Laetitia JANICOT Professeur à l‟Université Cergy-Pontoise Monsieur Narcisse MOUELLE KOMBI Professeur à l‟Université de Yaoundé 2-Soa Monsieur Stéphane DOUMBE BILLE Professeur à l‟Université de Lyon III

COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEESdoxa.u-pec.fr/theses/th2010PEST2015.pdf · 8 André Hauriou et Jean Gicquel, Droit constitutionnel et Institution politiques, 7e éd, Editions

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  • I

    UNIVERSITE PARIS-EST CRETEIL VAL-DE-MARNE

    U.F.R DE DROIT

    Ecole doctorale Organisation, Marchs, Institutions - OMI

    Laboratoire de Recherche sur la Gouvernance Publique, Territoire et Communication - LARGOTEC

    LAUTONOMIE ADMINISTRATIVE ET FINANCIERE DES

    COLLECTIVITES TERRITORIALES DECENTRALISEES :

    lEXEMPLE DU CAMEROUN

    TOME 1

    THESE POUR LE DOCTORAT EN DROIT PUBLIC

    Prsente et soutenue en Septembre 2010

    par

    Landry NGONO TSIMI

    MEMBRES DU JURY

    Christine HOUTEER

    Matre de Confrences lUniversit Paris-Est (Directeur de recherche)

    Monsieur Jean-Franois PICARD

    Professeur lUniversit Paris-Est

    Madame Laetitia JANICOT

    Professeur lUniversit Cergy-Pontoise

    Monsieur Narcisse MOUELLE KOMBI

    Professeur lUniversit de Yaound 2-Soa

    Monsieur Stphane DOUMBE BILLE

    Professeur lUniversit de Lyon III

  • II

    REMERCIEMENTS

    Le silence des mots pourrait-il parfois exprimer une profonde

    gratitude,

    Alors, Madame Christine Houteer, MERCI.

  • III

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION GENERALE1

    Titre prliminaire Lmergence historique du concept dautonomie locale dans les Etats

    franais et camerounais8

    Chapitre 1. La dcentralisation-soumission, lex-manire dtre de lEtat unitaire classique..11

    Chapitre 2. La dcentralisation-autonomie, la manire dtre de lEtat unitaire dcentralis..52

    Conclusion du titre prliminaire...91

    Premire partie Recherche sur les lments de dfinition de lautonomie

    administrative et financire des collectivits territoriales

    dcentralises...92

    Titre 1 - La conciliation entre lautonomie administrative et financire

    et les autres principes fondamentaux de la dcentralisation territoriale..94

    Chapitre 1. La conciliation entre lautonomie administrative et financire

    et la personnalit morale de droit public...96

    Chapitre 2. La conciliation entre lautonomie administrative et financire

    et la libre administration des collectivits territoriales dcentralises119

    Conclusion du titre 1...147

    Titre 2 - La notion dautonomie administrative et financire148 Chapitre 1. Lautonomie administrative.150

    Chapitre 2. Lautonomie financire171

    Conclusion du titre 2...212

    Conclusion de la premire partie214

    Deuxime partie Lautonomie administrative et financire, le mythe dune libert

    renforce des collectivits territoriales dans lordre de lEtat

    unitaire dcentralis..216

    Titre 1 - Un mythe producteur dune relative libert dans lordre de lEtat unitaire

    Dcentralis220 Chapitre 1. Lautonomie locale, un cadre de libert ambigu dans lordre de lEtat unitaire

    dcentralis..221

    Chapitre 2. Lautonomie locale de lEtat unitaire dcentralis, un cadre de libert loign

    du modle des Etats rgionaux ou autonomiques252

    Conclusion du titre 1...278

    Titre 2 - Un mythe valoriser dans lEtat unitaire du Cameroun.279 Chapitre 1. Harmoniser la trilogie Comptences-Finances-Hommes281

    Chapitre 2. Moderniser lAdministration dEtat339

    Conclusion du titre 2...395

    Conclusion de la deuxime partie...396

    CONCLUSION GENERALE.397

    BIBLIOGRAPHIE..402

    TABLE DES MATIERES..421

  • 1

    INTRODUCTION GENERALE

    Les Lois constitutionnelles rvises des pays dAfrique noire francophone1 ont singulirement

    boulevers la conception de lautonomie locale en matire de dcentralisation territoriale dans

    un Etat unitaire de type classique. Elles devancent en cela la rvision de la Constitution

    franaise du 4 Octobre 19582, dont on connaissait dj lampleur de linfluence enregistre

    sur le constitutionnalisme africain.

    Ce constat sonne opportunment le glas dune opinion fort rpandue, bien que dcrie par

    certains, selon laquelle ltendue des droits africains, en ce domaine (constitutionnel)

    comme en droit public en gnral, serait de peu dintrt, car ils ne reprsenteraient que de

    simples prolongements des droits des pays industrialiss et plus spcialement des anciennes

    mtropoles. Ces droits ne seraient en outre que le produit dune influence gnrale et

    omniprsente de modles et conceptions labors ailleurs, en ce sens quils auraient la

    1 On peut citer : L. const. du 18 janvier 1996 (Cameroun) - Article 1er (2) La Rpublique du Cameroun est un Etat unitaire dcentralis. - Titre X : Des collectivits territoriales dcentralises- Article 55 (1) Les collectivits territoriales dcentralises de la Rpublique sont les rgions et les communes. Tout autre type de collectivit dcentralise est cr par la loi. (2) Les collectivits territoriales dcentralises sont des personnes morales de droit public. Elles jouissent de lautonomie administrative et financire pour la gestion des intrts rgionaux et locaux. Elles sadministrent librement par des conseils lus et dans les conditions fixes par la loi. L. const. du 14 avril 1996 (Tchad) - Article 2. La Rpublique du Tchad est organise en collectivits territoriales dcentralises dont lautonomie est garantie par la prsente Constitution. - Titre XI : Des collectivits territoriales dcentralises- Article 203. Les collectivits territoriales dcentralises sont dotes de la personnalit morale. Leur autonomie financire, patrimoniale, conomique, culturelle et sociale est garantie par la Constitution. Acte fondamental du 24 octobre 1997 (Congo) - Article 1er. La Rpublique du Congo est un Etat souverain et indpendant, dcentralis, indivisible lac dmocratique et social. - Article 169. Les collectivits locales de la Rpublique du Congo sont dtermines par la loi. - Article 170. Les collectivits locales ont la personnalit juridique. Elles jouissent de lautonomie administrative, patrimoniale, financire, conomique, culturelle et sociale. L. const. du 18 septembre 1992 (Madagascar) Prambule. Le peuple malagasy souverain [] convaincu que lpanouissement de sa personnalit et de son identit est le facteur de son dveloppement harmonieux dont les conditions essentielles sont reconnues comme tant : [] lapplication de la dcentralisation effective, dclare : - Article 2. La Rpublique de Madagascar est organise en collectivits territoriales dcentralises dont lautonomie est garantie par la Constitution. Ces collectivits territoriales concourent avec lEtat au dveloppement de la communaut nationale. - Titre VII : Des responsabilits et des principes dautonomie effective des collectivits territoriales dcentralises- Article 125. Les collectivits territoriales dcentralises, dotes de la personnalit morale et de lautonomie financire, constituent le cadre institutionnel de la participation effective des citoyens la gestion des affaires publiques et garantissent lexpression de leur diversit et de leurs spcificits. - Article 127. Les collectivits territoriales sadministrent librement par des assembles qui rglent par leurs dlibrations les affaires dvolues par la prsente Constitution et la loi leur comptence. Ces dlibrations sont excutoires de plein droit ds leur publication. Toutefois, elles ne peuvent pas tre contraires aux dispositions constitutionnelles, lgislatives et rglementaires. 4 septembre 1992 (Cap-vert). 2 Il sagit de la rvision constitutionnelle du 28 mars 2003.

  • 2

    caractristique dtre sans rel impact, le mimtisme contribuant leur ineffectivit, leur

    principal office tant de remplir des fonctions purement symboliques 3.

    Contre toute attente donc, outre son originalit sur des points tels que la protection des

    minorits et des autochtones, le statut des religions, le constitutionnalisme africain des annes

    1990 est marqu par lexistence d critures de la Constitution propres ces groupes de pays

    qui font que les questions constitutionnelles sont abordes de faon identique : les

    Constitutions sont rdiges selon un mme type de plan, les comptences sont dfinies selon

    une mme grille de rpartition, les institutions communes sy retrouvent systmatiquement,

    les mmes absences et silences sy rptent. Autant dlments qui crent entre les textes

    franais et ceux des Etats de succession franaise un effet de familiarit 4.

    De ces airs de famille, particularismes religieux, sociaux ou juridiques 5, on pourrait

    mme dire, quil se dgage un ensemble cohrent tendant vers un arrimage aux normes de

    droit constitutionnel contemporain dans le monde.

    En effet, linstar de la France depuis 1946, plusieurs pays dAfrique noire francophone et

    Madagascar reconnaissent pour la premire fois dans leurs Constitutions, lexistence des

    collectivits territoriales dcentralises deux ou trois niveaux, comme entits juridiques

    autonomes faisant partie intgrante de leurs territoires. Certaines Lois fondamentales

    rvises de ces pays souvrent en gnral par une disposition liminaire commune qui

    proclame le caractre unitaire et dcentralis de la Rpublique6. Il sensuit un titre

    exclusivement rserv aux collectivits territoriales dcentralises, qui nonce les principes

    juridiques communs toute dcentralisation territoriale, notamment la personnalit morale

    de droit public, la libre administration par des conseils lus et dans les conditions fixes par

    la loi. La grande nouveaut rside dans laffirmation, en plus, du principe de lautonomie des

    collectivits territoriales. Lautonomie (locale) en question varie selon les Etats. Au

    Cameroun, par exemple, elle se dcline en autonomie administrative et financire pour

    3 Jean du Bois de Gaudusson, Le constitutionnalisme en Afrique , in Les Constitutions africaines publies en langue franaise, (Texte rassembls et prsents par Jean du Bois de Gaudusson, Grard Conac et Christine Dessouches) tomes 1 et 2, La documentation Franaise, 1978, p. 3. 4 Ibid. 5 Ces expressions sont de Martine Viallet et Didier Maus, Prface , in Les Constitutions africaines publies en langue franaise, op. cit., p. 2. 6 Cf. Art. 2, Loi constitutionnelle du Cameroun ; Art. 1er (nouveau), Loi constitutionnelle de la France, toutes

    prcites.

  • 3

    la gestion des intrts rgionaux et locaux 7. Enfin, la plupart des Lois constitutionnelles

    prcites contiennent des dispositions qui crent de nouvelles institutions ayant entre autres

    missions, des activits rattaches laction des collectivits territoriales : une juridiction des

    comptes publics, une juridiction constitutionnelle, un Snat.

    A ce stade, deux remarques pralables guideront la suite de nos ides. En premier lieu, la

    distinction classique Etat compos ou Etat des Etats et Etat unitaire ou Etat centralis perdrait

    peu peu de son rigorisme. De lEtat unitaire, on savait qu il se ramne un seul centre de

    dcision et dadministration ; une volont se transmet sur le territoire la manire dun fluide

    lectrique 8.

    On sait quune variante de lEtat unitaire a t qualifie par certains auteurs d Etats

    autonomiques ou d Etats rgionaux 9, parce que les Constitutions de ces Etats confrent

    leurs collectivits infra tatiques, le pouvoir dauto-organisation , dune part, et le

    pouvoir ddicter des normes directement sur le fondement de la Constitution de lEtat

    considr 10

    , dautre part. Dautres en revanche ny ont vu quune forme dEtat situe

    quelque part entre lEtat unitaire classique et lEtat fdral11

    .

    A laune des annes 2000, on se perdrait dans lnumration croissante des formes dEtats,

    linstar du nouvel Etat unitaire dcentralis , dont la proclamation conduit naturellement

    rechercher en quoi il diffrerait de lEtat unitaire classique, avec toutes ses variantes

    prcites ? Alors que la rponse cette question semble se dessiner vers le tout nouveau

    principe de lautonomie locale, il surgit une difficult supplmentaire, objet de la seconde

    remarque.

    7 Sur ce point, le texte camerounais est bien prcis. Cf. Art. 55, al. 2 in fine, Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. 8 Andr Hauriou et Jean Gicquel, Droit constitutionnel et Institution politiques, 7e d, Editions Montchrestien, pp. 143 et s. 9 Cf. F. Moderne, LEtat des autonomies dans l "Etat des autonomies", in dix ans de dmocratie constitutionnelle en Espagne (S.dir. D.G. Lavroff), Editions du C.N.R.S, Paris, 1991 ; Du mme auteur, Le Tribunal constitutionnel espagnol et les autonomies rgionales : la constitution de lEtat des autonomies in P. Bon, F. Moderne et Y. Rodriguez, La Justice constitutionnelle en Espagne, Economie, Paris, 1984, p. 163 ; Pierre Bon, Espagne : lEtat des Autonomies in lEtat Autonomique : Forme nouvelle ou transitoire en Europe ?, (Sous-dir. Christian Bidegary), Actes des journes dtudes du Centre dEtudes Politiques et constitutionnelles du Laboratoire Ernees, Facult de Droit, universit de Nice Sophia-Antipolis. 10 Marc Joyau, De lautonomie des collectivits territoriales franaises. Essai sur la libert du pouvoir normatif local, (Prface de Jean-Yves Vincent), Bibliothque de Droit Public, tome 198, p. 1. 11 En ce sens, les travaux de F. Moderne et P. Bon prcits.

  • 4

    En second lieu, on constate que lautonomie locale constitutionnellement proclame varie

    dun Etat un autre. Ainsi parle-t-on dautonomie financire en France12

    et Madagascar,

    dautonomie administrative et financire au Cameroun, dautonomie administrative et

    financire, patrimoniale, conomique, culturelle et sociale au Tchad et en Rpublique

    dmocratique du Congo (Brazzaville). Quelle que soit la formulation adopte a et l,

    lautonomie locale en question signifie-t-elle la libre administration des collectivits

    territoriales ou encore se confond t elle avec leffet de sa personnification ?

    Dans laffirmative, on dira que les Constitutions rformes marquent une volution rebours

    et sont charges de termes redondants. Dans la ngative, il importe alors de dcrypter cette

    autonomie locale qui fait son entre par la grande porte constitutionnelle des Etats unitaires

    classiques.

    On admettra que ltymologique du mot " autonomie" signifie : se gouverner par sa propre

    loi 13

    . La collectivit autonome serait donc celle qui dtermine elle-mme les rgles qui la

    rgissent, sans pour autant tre dans une situation de totale indpendance comme un Etat

    souverain.

    Lautonomie locale est un concept politique la mode dans les Etats unitaires classiques.

    Son origine officielle semble se situer dans la Charte europenne de lautonomie locale

    adopte Strasbourg le 15 octobre 1985 par le Conseil de lEurope14

    . Mais il ne sagissait

    que dune Charte15

    , cest--dire dun document politique susceptible dengager les Etats

    quaprs la double procdure de signature et de ratification par les Parlements nationaux.

    Concept politique mondial et dsormais constitutionnel dans plusieurs Etats unitaires,

    lautonomie locale, qui se dcline en " autonomie administrative et financire " au

    Cameroun, doit tre juridicise et rationalise pour sortir de limpasse ambigu dans laquelle

    elle plonge du fait de sa relativit, car les termes constitutionnels, bien quils soient des

    12 Dans son adoption finale, la Loi constitutionnelle franaise du 28 mars 2003 ne mentionne pas expressment " lautonomie financire". Cette expression est cependant contenue dans les projets et propositions de Lois constitutionnelles et est induite de larticle 72-2 du texte actuel. 13 Cette dfinition ressort des dictionnaires confondus. 14 Larticle 2 de ladite Charte, intitul Fondement constitutionnel et lgal lautonomie locale, dispose que : le principe de lautonomie locale doit tre reconnu dans la lgislation interne et, autant que possible, dans la Constitution . 15 A ce propos, Alain Delcamp la dfinit comme un lan plus qun carcan , La Dcentralisation franaise vue deurope. La France et la Charte europenne de lautonomie locale, colloque organis sous le haut patronage de M. Christian Poncelet, Prsident du Snat et du Conseil dEurope, Paris, Palais du Luxembourg, 26 juin 2001, Snat, p. 20.

  • 5

    documents politiques, ne sont pas des textes froids. Ils sont chargs de rsonances , crivait

    juste titre le professeur Jean-Marie Auby16

    .

    Dans cette optique, laction dcentralisatrice prise par le constituant moderne pose

    concomitamment et principalement les problmatiques de fiscalit locale propre et de libert

    normative locale la fois comme condition et consquence dune relle autonomie des

    collectivits territoriales dans un Etat unitaire dcentralis.

    Sil est admis que lautonomie administrative et financire qui sous-tend les problmatiques

    prcites est une notion relative, et quelle se mesure plus quelle ne se dfinit 17

    ,

    lurgence de dterminer ses critres minima, voire une sorte "dordre public autonomique"18

    savre tre un impratif, surtout dans le contexte nouveau de systmes administratifs

    dcentraliss, o certains excutifs locaux sont habilets saisir directement la juridiction

    constitutionnelle19

    lorsque leurs intrts sont mis en cause20

    .

    Pour y parvenir, cette tude aura recours une double approche : synthtique et comparative.

    La premire filtrera dans un mme panier les interprtations des diverses Lois fondamentales

    consultes et les lois de dcentralisation subsquentes, tout en sinspirant des composantes

    que sont la doctrine, la jurisprudence et lesprit du constituant. De la combinaison de cet

    ensemble rsultera un minimum dlments spcifiques susceptibles de couvrir la notion

    dautonomie administrative et financire des collectivits territoriales dans un Etat unitaire.

    La seconde permettra de rapporter le minimum obtenu sur certaines pratiques

    institutionnelles connues dans dautres pays.

    Nous noterons au passage, que des recherches antrieures ont, entre autres, essay de

    ramasser en un bloc homogne les lments constitutifs de lautonomie administrative et/ou

    financire, dans le but de doter la thorie juridique soit dun baromtre de mesure, soit dun

    16 Cf. Jean-Marie Auby, in La libre Administration des collectivits locales. Rflexion sur la dcentralisation, (sous dir. Jacques Moreau et Gilles Darcy) Economica, Presse universitaire dAix- Marseille, 1984, p. 93. 17 Cf. Vincent Dussart, Lautonomie des pouvoirs publics constitutionnels, prf. Michel Lascombe, CNRS Editions, Paris 2000, p. 13. 18 Pour un approfondissement de cette notion, lire Marie-Jolle Redor (dir.), Lordre public : Ordre public ou ordres publics. Ordre public et droits fondamentaux, Actes du colloque de Caen des jeudi 11 et vendredi 12 mai 2000, Bruylant, 2001, 415 p., et principalement les articles de Etienne Picard, Introduction gnrale : la fonction de lordre public dans lordre juridique , pp. 17 61 et Jean-Manuel Larralde, La constitutionnalisation de lordre public , pp. 213 et s. 19 Cf. Art. 47 al. 2, Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 du Cameroun. 20 Il sagit de la notion d intrt local , elle aussi dsormais constitutionnelle. Cf. Art 55, al. 2, Loi constitutionnelle

    du Cameroun, prcite.

  • 6

    modle dautonomie comparable celui pratiqu dans les rgions ou communauts

    autonomes dEspagne et dItalie. A ce sujet, Marc Joyau, plus que dautres, avait propos

    dadopter une stricte rpartition des comptences entre lEtat et les collectivits territoriales

    pour permettre ces dernires ddicter des normes de nature politique prise non pas "en

    excution" de la loi, mais "en application de la loi"21

    . Lauteur semble cependant avoir

    ignor les limites inhrentes aux lois de rpartition des comptences22

    , do lintrt

    dexplorer dautres voies.

    Partant, le champ de notre tude ne recouvre pas avec la mme ampleur toutes les Lois

    fondamentales rvises des Etats rpertoris. Au-del des diversits, les pays dAfrique noire

    francophone prsentent la double caractristique davoir rdig des Constitutions similaires,

    en particulier dans le domaine de la dcentralisation territoriale, mais surtout de sinspirer

    des institutions de la France. Ce dernier pays et le Cameroun constitueront donc les bases de

    nos dveloppements.

    Ces prcisions tant faites, il est indniable que le concept dautonomie locale vient de faire

    une intrusion remarquable dans le droit constitutionnel de nombreux Etats unitaires

    dinspiration franaise. Partis dune forte centralisation des pouvoirs, o la dcentralisation

    territoriale tait presque synonyme de soumission lEtat des collectivits, les Etats unitaires

    classiques adoptent une nouvelle manire dtre. Les fondements de lmergence du concept

    dautonomie locale dans ces Etats mritent dtre lucids (Titre prliminaire).

    Lautonomie administrative et financire qui en est issue demeure source de confusions, eu

    gard aux autres principes fondamentaux de la dcentralisation territoriale. Lhypothse est

    que lautonomie consacre nest ni la libre administration ni la reconnaissance dune

    personnalit autonome des collectivits territoriales, mais plutt une notion spcifique

    (premire partie).

    Cette spcificit sarticule autour de la distinction entre libre administration et autonomie

    administrative et financire. Alors que la premire sapplique de manire identique toutes

    les collectivits, la seconde peut varier en fonction des intrts locaux. La seconde hypothse

    est que lautonomie administrative et financire est un cadre de libert pos par la

    Constitution, un mythe constitutionnel susceptible de bousculer lordre juridique de lEtat

    21 Cf., la clbre distinction mise en uvre par le professeur Jean-Marie. Lire en ce sens, Marc Joyau, op. cit. 22 Les comptences locales propres peuvent varier tout moment suivant la volont de lEtat. En consquence, les lois de rpartition de comptences sont fluctuantes.

  • 7

    unitaire classique. A travers lexemple du Cameroun, nous montrerons que peu importe le

    contenu et le sens juridique que lon pourrait forger ces expressions, la fonction de

    lautonomie locale consacre peut tre atteinte ds lors que les conditions dexercice de la

    libert daction recherche saccompagnent dun ensemble de rgles et de pratiques

    harmonises qui tendent confrer plus dpanouissement aux collectivits territoriales

    dcentralises dans leurs rapports avec lEtat (deuxime partie).

    Titre prliminaire Lmergence historique du concept dautonomie locale dans les Etats

    unitaires classiques.

    Premire partie Recherche sur les lments de dfinition de lautonomie administrative

    et financire des collectivits territoriales dcentralises.

    Deuxime partie Lautonomie administrative et financire, le mythe dune libert

    renforce des collectivits territoriales dans lordre de lEtat unitaire

    dcentralis.

  • 8

    TITRE PRELIMINAIRE

    LEMERGENCE HISTORIQUE DU CONCEPT DAUTONOMIE

    LOCALE DANS LES ETATS UNITAIRES CLASSIQUES

  • 9

    Le concept dautonomie relve de la catgorie des concepts purement abstraits qui, par-dessus

    tout, semble navoir de signification que par rapport un domaine dapplication bien prcis.

    Le droit franais le dfinit comme une situation qui nest pas celle de la souverainet ou de

    lindpendance.

    Dans la thorie juridique de lEtat o ce concept semble avoir trouv sa meilleure application,

    il dsigne une pseudo libert accorde aux organes infra-tatiques, sous le contrle dun

    pouvoir central. Le constitutionnaliste quant lui explique que, rapport la dcentralisation

    territoriale, lEtat unitaire (dcentralis) est celui qui ralise une autonomie verticale de son

    appareil administratif (autonomie administrative sous tutelle), mais sans jamais atteindre le

    degr dautonomie de lEtat autonome. Lautonomie serait horizontale et plus pousse

    (autonomie lgislative interne) dans ce dernier cas, mais sans jamais atteindre celle de lEtat

    fdral.

    Quel que soit le cas de figure considr, une partie de la doctrine semble dfinir la

    dcentralisation territoriale partir du degr dautonomie accord par lEtat aux collectivits

    infra-tatiques ; ce qui somme toute, diffre fondamentalement de lide pure de

    dcentralisation dveloppe par Charles Eisenmann23

    , qui en fait une question de comptence

    personnelle des organes non centraux, mais surtout, dont la thorie rejoint en substance une

    certaine conception originelle de lide dautonomie locale24

    .

    Au demeurant, la conception dominante de la dcentralisation territoriale peroit lautonomie

    locale comme lattribution de certaines liberts des entits territoriales infrieures lEtat et

    toujours soumises lordre juridique de cet Etat. En ce sens, le Doyen Hauriou, qui lavait

    compris, crivait dj en 1905 que la dcentralisation est une manire dtre de lEtat 25

    .

    La France issue de la Rvolution et de lre napolonienne jusqu la Vme Rpublique avant

    mars 2003, suivie en cela par ses ex-colonies dAfrique noire francophone jusquaux annes

    1990, nont jamais peru la dcentralisation territoriale dans leurs Etats unitaires que comme

    une soumission des collectivits infra tatiques lEtat, avant que cet tat des choses ne

    connaisse un degr de perception plus avanc dans lEtat unitaire moderne (ou dcentralis),

    o la dcentralisation est devenue signe dautonomie locale.

    23 Charles Eisenmann, Centralisation et Dcentralisation. Esquisse dune thorie gnrale, Paris, LGDJ, 1948. 24 Voir infra, chapitre 1, section 1. 25 Cf. Etude sur la dcentralisation. Extrait du Rpertoire du droit administratif, Paris d. P. Dupont, 1992, pp. 1-63.

  • 10

    Afin de mieux prciser ces deux ides, ce titre prliminaire sera dvelopp en deux chapitres.

    Chapitre 1 La dcentralisation soumission, lex-manire dtre de lEtat

    unitaire classique.

    Chapitre 2 La dcentralisation autonomie, la manire dtre de lEtat

    unitaire dcentralis.

  • 11

    CHAPITRE 1

    LA DECENTRALISATION SOUMISSION, lEX MANIERE

    DTRE DE LETAT UNITAIRE CLASSIQUE

    Selon la formule, devenue clbre, dAlexis de Tocqueville et consigne dans son ouvrage

    De la dmocratie en Amrique (1835), Cest dans la commune que rside la force des

    peuples libres. Les institutions communales sont la libert ce que les coles primaires sont

    la science ; elles la mettent la porte du peuple ; elles lui en font goter lusage paisible et

    lhabitue sen servir. Sans institutions communales, une nation peut se donner un

    gouvernement libre, mais elle na pas lesprit de libert 26

    . Cette rflexion qui interpelle au

    plus haut point la dcentralisation territoriale, dont la commune peut-tre considre comme

    linstitution politique librale la plus concrte, na pas chapp ladhsion du doyen

    Hauriou. Ce dernier considrait en effet, que les raisons de la dcentralisation [territoriale]

    ne sont pas dordre administratif, mais bien dordre constitutionnel, en ce que du point de vue

    administratif, la centralisation pouvait assurer au pays une administration habile, impartiale et

    moins onreuse que la dcentralisation. Or, pour lui, les pays modernes nont pas besoin

    seulement dune bonne administration, ils ont aussi besoin de libert politique 27

    .

    Pour essayer de comprendre et cerner un peu plus clairement ce phnomne nous prendrons

    pour rfrence lhistoire des communes franaises (Section 1). Lon constatera que

    contrairement ce modle dinspiration pour les pays dAfrique noire francophone, o la

    dynamique du mouvement communal va de pair avec une certaine ide dautonomie des

    groupements humains vivant dans la cit, la commune africaine et plus particulirement celle

    du Cameroun, na pas bnfici sa naissance de cette adaptation sociologique qui aurait pu

    servir de base sa fondation (Section 2).

    26 Alexis de Tocqueville, De la dmocratie en Amrique, Paris : Gallimard (coll. Ides), 1968, p. 72. 27 Maurice Hauriou, Prcis de droit constitutionnel, 2e d., Pais : Sirey, 1929, (Rd. CNRS, 1965), pp. 189 et s.

  • 12

    SECTION 1

    LE CONCEPT DAUTONOMIE ET LA DECENTRALISATION TERRITORIALE

    EN FRANCE

    A lorigine, la commune nat de lassociation de paix des bourgeois, sorte de groupements

    autonomes, auxquels les seigneurs fodaux consentaient certains privilges par rapport

    lensemble des habitants de la cit. Ce processus permet de poser que les notions dautonomie

    et de commune sont historiquement consubstantielles (1), mme si laspect relatif

    lautonomie va connatre plus tard une mauvaise rception dans lEtat unitaire du fait de sa

    dnaturation (2).

    1. Les notions de commune et dautonomie sont historiquement consubstantielles

    Nous verrons que la commune franaise trouve son origine dans lexistence des communauts

    autonomes de base du XIIme

    sicle qui la crent (A). Comme toute institution, la commune

    originelle connat un apoge jusquau dbut du XVme

    sicle, priode pendant laquelle les

    thoriciens du droit franais saccaparent le concept dautonomie pour en faire une notion lie

    au pouvoir central (B).

    A. Lquation commune gale communaut de base

    Sans reprendre ici toute lhistoire des institutions franaises, et notamment celle de

    linstitution communale, notre objectif est de dmontrer qu lorigine, lide dautonomie est

    consubstantielle la reconnaissance de lentit communale dans le systme gouvernant en

    place. Sur cette base, nous poserons que, lhistoire de la naissance des communes franaises a

    pour point de dpart le serment des bourgeois (1), expression par laquelle ces derniers

    consentaient perdre leurs personnalits individuelles au profit dune personne morale, et ce,

    sur la base du concept d universitas labor par les juristes mdivaux. Le but recherch

    par les bourgeois tait de vivre en paix dans une mme cit et de se porter mutuellement

    entraide, do lavnement et la force des chartes dites communales accordes par le Roi

    ou le Seigneur (2).

  • 13

    1. Le serment juratoire des bourgeois

    Ils ont jur commune 28

    . Ainsi sexprimait-on autrefois dans la France mdivale de la fin

    du XIe et du XII

    e sicle lorsque les bourgeois sunissaient en une communio par serment

    juratoire pour raliser une association de paix29

    . A cette volont de sunir des bourgeois

    suivait, gnralement de facto, la bndiction des seigneurs fodaux comme latteste la charte

    de 1127 (article 12) o le Comte de Flandre dit : Jordonne que leur commune, telle quils

    lont jur, subsiste et je ne permets pas quelle soit dissoute par personne 30

    . Autrement dit,

    par la charte, il tait reconnu non plus seulement lide dun lien personnel unissant les

    bourgeois et leur accordant des franchises collectives, mais aussi lide dun lien rel, lide

    dune entit commune, personne morale, distincte de ses membres.

    Traduisant lvolution et la multiplication des communes, les chartes taient devenues si

    nombreuses quelles ont fini par tre considres comme llment essentiel de la dfinition

    des communes et de leurs statuts. A ce propos, Petit Dutaillis dira : Ce qui dsormais

    caractrise la commune, cest moins le serment des bourgeois que la charte 31

    . Cest dire

    combien lintrt de la charte nest plus dmontrer ; elle traduit dans ce contexte

    linstrument de lacte juridique, qui matrialise la volont humaine de faire natre des droits et

    des obligations lgard des tiers, et principalement du pouvoir gouvernant. On nest pas loin

    des prrogatives de la loi, en tant quexpression de la volont gnrale dans un systme de

    dmocratie moderne, pour reprendre des termes chers Jean-Jacques Rousseau.

    2. La force des chartes communales : laffermissement de la Commune

    Les chartes contenaient des clauses relatives aux prrogatives des communes, prrogatives

    dont les caractristiques essentielles mritent que lon sy attarde, tant leur finalit demeure la

    proccupation actuelle des Etats. Ces prrogatives sarticulaient pour lessentiel celles dune

    communaut de droit public. La commune comprenait un territoire, une population et des

    organes de gouvernement.

    28 Voir, J.-F. Lemarignier, la France Mdivale, Institution et Socit, Armand Collin, Collection U, 1970, p. 186. 29 Par opposition aux luttes fodales de cette poque, de lAssociation de paix devait natre une ville nouvelle, quipe, rpondant aux besoins des membres de la communaut. La thse est dveloppe par A. Vermeesch, Essai sur les origines et la signification de la commune, dans le Nord de la France (XIe et XIIe sicle), 1966, cit par J.-F. Lemarignier, op. cit., p. 185. 30 Ibid., pp. 121-160. 31 Charles Petit-Dutaillis, Les Communes Franaises, Albin Michel, 1970, p. 35. Selon lauteur, sans association par serment, il ny avait pas de commune, et cette association suffisait pour quil y ait commune . Voir aussi la dfinition extraite par J.-F. Lemarignier, du mme auteur, dition (volution de lhumanit, n44), 1947, op. cit., p. 185.

  • 14

    Le territoire tait une entit limite par une enceinte : le territoire de la paix. Il comprenait en

    principe les marques de la russite sociale de la ville : la grande place ; le centre des affaires

    avec la halle, la maison commune ; le sige des organes du gouvernement, le beffroi ; le

    centre de lobservation militaire ; lglise, centre de la paroisse.

    La population tait constitue de bourgeois, de manants et de forains. Les bourgeois avaient

    accs aux fonctions municipales, mais ils taient assujettis aux charges fiscales (impts de la

    commune), militaire (service la milice). Les manants taient de simples rsidents nayant

    pas prt serment. Protgs par la commune, ils taient astreints aux services secondaires

    ainsi quau paiement de certaines taxes. Les forains quant eux taient des trangers la

    commune, o ils sjournaient, soumis au contrle des autorits.

    A titre dorganes de gouvernement, on retrouvait des reprsentants du prince (des chevins

    lus, juges et administrateurs) prsids par un maire, dont les pouvoirs taient trs faibles. A

    ct des chevins, se trouvaient des jurs ou notables de la ville dont le rle tait le maintien

    de la paix. Enfin, lassemble des chefs de famille dont le rle tait moins grand.

    En second lieu il tait question de dterminer les prrogatives ainsi que les emblmes les

    symbolisant.

    La commune avait le ban, la puissance publique et disposait aussi des prrogatives dordre

    fiscal. Ses recettes taient constitues des revenus du domaine et des taxes dont taient

    frapps les bourgeois, les forains et les manants. Elle avait ses dpenses : voiries, gages des

    officiers municipaux, dpenses militaires.

    Les prrogatives taient symbolises par des emblmes, tels quils ont encore cours dans nos

    socits modernes. Ainsi, le beffroi, signe de puissance qui tait dautant plus grand quil tait

    plus lev. Egalement les cls, signe dautonomie que lon remettait au prince de la ville, et le

    sceau, signe de puissance publique. Enfin, les communes taient dotes de prrogatives

    comparables celles de la seigneurie banale, lpoque o stablissait la hirarchie

    fodale32

    .

    32 Pour une vue densemble sur ces questions, voir, J.-F. Lemarignier, op.cit., pp. 121 160.

  • 15

    Nes dun mouvement extrieur au monde fodal, elles staient naturellement intgres dans

    cette hirarchie et avaient fini, par suite de russites sociales et conomiques, par simposer

    dans la structure de la socit fodale. Dans son clbre ouvrage - la France mdivale - o il

    tudie la mutation des institutions de la France du moyen ge jusqu la Rvolution, Jean -

    Franois Lemarignier avait dj illustr lhistoire de la naissance du mouvement communal au

    temps de la renaissance des villes du XIIme

    sicle, notamment lorsquil reprend son compte

    la thse de Pirenne consacre lorigine des villes mdivales33

    .

    Ainsi donc, la commune, entit juridique autonome et jouissant de liberts locales, aura

    survcue toutes les tapes de transformation de la socit fodale la socit moderne - non

    sans heurts parfois - au point o tout nouveau pouvoir la constate, lintgre sa manire, dans

    sa politique de gestion de la cit.

    B. La perte du sens originel du concept de lautonomie locale

    On analysera le concept de lautonomie locale suivant deux priodes. La premire se situe

    avant la Rvolution de 1789, priode pendant laquelle ce concept tend vers son sens

    tymologique (1), alors que la seconde, qui va de la Rvolution la Vme

    Rpublique

    lexclusion de lanne 2003, est marque par une certaine rticence lgard du sens originel

    de ce concept (2).

    1. Avant la rvolution de 1789

    Quels enseignements peut-on tirer de la priode fodale qui correspond la naissance des

    premires communes autonomes ? On retiendra volontiers que les traits dominants de la

    socit fodale ne sont pas seulement ceux connus dune socit stratifie o le roi cherche

    affirmer son hgmonie, mais aussi ceux dune socit imprgne de fortes valeurs humaines.

    En effet, de nombreux indices portent croire quil sagit dune socit fortement domine

    par lexpression des groupements humains autonomes rattachs leur territoire (la commune)

    et qui naspirent qu une seule chose, vivre en paix et en solidarit, conformment un

    serment jur, do un certain engouement envers des franchises particulires demandes aux

    Rois de lpoque. Serge Regourd na certainement pas tort, lorsquil souligne que des

    franchises les plus accordes, les trois domaines de la justice, de la dfense et de la fiscalit

    33 Henri Pirenne, Les villes du moyen-ge. Essai dhistoire conomique et sociale , 1927, thse reprise avec dautres travaux dans une publication posthume, les villes et les institutions urbaines , Paris et Bruxelles, 2 vol. (T. I, pp. 303-431).

  • 16

    montrent que lautonomie entendue sous langle contemporain de comptences locales,

    outrepassait alors singulirement le cadre de lautonomie administrative, pour toucher au

    noyau dur des fonctions rgaliennes, que lon dira plus tard de souverainet 34

    .

    Lvocation de ces indices montre dailleurs qu lorigine, lide de commune, personne

    morale, universitas est indissociable du lien de communaut, de lassociation de paix, et

    son approbation par le pouvoir central a pour seul but de permettre, sans contrepartie,

    laccession dune communaut au bien-tre social, do les prrogatives drogatoires qui lui

    sont accordes.

    Est-il besoin dinsister, car cest lobjet mme des prsents dveloppements, sur un fait non

    suffisamment relev par la doctrine : ce stade, lexistence ou la reconnaissance de la

    commune et donc de lautonomie locale, na rien voir avec une quelconque soumission de la

    commune lordre du pouvoir politique rgnant. Il sagit alors singulirement de rsoudre le

    problme dune communaut humaine aspirant vivre en paix et certainement en parfaite

    symbiose avec lordre politique rgnant, ds lors que ses membres en exprimaient une telle

    volont.

    On le voit bien, cette conception de lautonomie locale est fort distincte de celle

    communment admise dans la conception de la dcentralisation territoriale jusquen 2003, au

    regard des incertitudes et des hsitations qui caractrisent lvolution non linaire du

    mouvement communal entre 1789 et la Seconde Guerre mondiale.

    A lorigine, lautonomie locale nest donc pas une expression redoute. Elle le devient

    mesure que les vertus du pouvoir centralis gagnent lopinion dominante et vont sexprimer

    de la Rvolution jusqu la fin du vingtime sicle o elles sont incarnes par la forme de

    lEtat unitaire, dont lEtat franais demeure le modle de rfrence, suivi lexcs par les

    Etats no coloniaux dAfrique noire francophone.

    Lautonomie locale est donc un concept hautement positif. Sa dnaturation peut clairement

    stablir tout au long de la priode rvolutionnaire jusqu la fin de lEtat unitaire

    centralis .

    34 Serge Regourd, De la dcentralisation dans ses rapports avec la dmocratie, gense dune problmatique , RDP, 1990, p. 978.

  • 17

    2. De la Rvolution la Vme

    Rpublique

    On sait que la doctrine avait dj eu sinterroger sur la priode la plus dcentralisatrice de la

    rvolution35

    . Nos dveloppements sintresseront davantage un autre aspect de cette mme

    priode. Il sagit principalement du glissement de la conception positive et originelle de

    lautonomie locale celle redoute et demeure en vigueur jusquen 2003, cest--dire de la

    dcentralisation conue comme une parfaite soumission des collectivits infra tatiques au

    pouvoir politique rgnant.

    a) La Constituante (1789-1791)

    Cette priode est intressante plus dun titre. Dabord, elle exprime les apprhensions

    portes lgard du concept dautonomie des municipalits, ce qui explique par ailleurs que

    ce dernier soit toujours emprunt de connotations pjoratives et mal reu dans les Etats

    unitaires sinspirant du modle franais. Ensuite, elle justifie pourquoi lautonomie locale ne

    se conoit actuellement que par rapport un ordre tatique auquel elle sapplique.

    On soulignera au passage, que le systme des franchises avait ouvert la voie une

    prolifration de chartes communales et prcd le retour des corporations et des confrries,

    toutes choses que la Rvolution stait employe bannir ds 1789, en prnant notamment le

    retour aux principes galitaires de tous les citoyens. Mais paradoxalement labolition de tous

    les privilges des villes et communauts dhabitants dans la nuit du 4 aot, ladoption par les

    dputs rvolutionnaires dune loi du 14 dcembre 1789, qui consacrait une municipalit dans

    toutes les grandes agglomrations urbaines ou rurales, semblait mettre en vidence luvre

    dcentralisatrice de la Constituante. En effet, outre la personnalit morale reconnue au profit

    des communes ds le Moyen Age, de nombreuses dispositions de la loi prcite

    consacraient llection des corps municipaux. Elles opraient aussi une distinction entre les

    fonctions propres au pouvoir municipal exerces sous la surveillance et linspection des

    assembles administratives , et les fonctions propres ladministration gnrale de lEtat,

    et dlgues par elle aux municipalits , exerces sous lautorit de ces mmes

    assembles.

    35 Voir en ce sens, larticle de Christine Houteer, Rvolution et Dcentralisation : lgendes et ralits , Les Petites

    Affiches n 12 et 15, respectivement 27 janvier et 3 fvrier 1989, pp. 26.

  • 18

    Dans ce contexte, il nest pas surprenant que la loi du 14 dcembre 1789 ait donn lieu des

    prises de position divergentes dans la doctrine, principalement sur le point de savoir si cette

    dernire correspondait une loi de dcentralisation, eu gard la nature dassociations

    dintrts privs , du reste trs discute, des communes de cette poque ? A cette question,

    nos analyses rejoignent celles dj dveloppes par Christine Houteer pour qui, il importe

    de retirer de la circulation la lgende dcentralisatrice qui [a] aurol la rvolution 36

    . En

    effet, malgr llection des officiers municipaux et la distinction des fonctions propres au

    pouvoir municipal, caractrises par la notion d intrt direct et particulier , la conception

    privatise de la commune de 1789 ne permet pas de rendre pleinement compte dun organe

    qui exerce de vritables fonctions publiques. Par ailleurs, quil sagisse des fonctions propres

    ou des fonctions dlgues par lEtat, les municipalits restaient soumises selon les cas, soit

    la tutelle, soit la subordination hirarchique de lautorit administrative. Au total, on peut

    dire que, lun des traits caractristiques de la Constituante tait moins son administration

    dcentralise, que le statut ambigu dans lequel se trouvait la commune de cette poque. Lide

    dune dcentralisation territoriale, lorsquelle existait, napparaissait que sous langle dune

    parfaite soumission des collectivits infra tatiques lEtat et non point comme une vritable

    intgration de ces dernires dans la gestion des affaires publiques.

    b) La Convention et le Directoire (1792-1795)

    Les difficults dapplication de luvre de la Constituante avait conduit lAssemble

    lgislative lire de nouveaux dputs en vue de llaboration dun nouveau texte

    constitutionnel. Lassemble conventionnelle issue de llection du 2 septembre 1792 stait

    proccupe tablir un gouvernement provisoire et rvolutionnaire rpondant aux ncessits

    du moment, dans un contexte marqu par la lutte entre les girondins, partisans dune

    dcentralisation de lexcution des lois rvolutionnaire, et les montagnards, plus favorables

    une centralisation de laction excutive dEtat. Les montagnards layant emport sur les

    girondins, leur conception du pouvoir va dominer toute la priode rvolutionnaire. Ils

    adoptent la Constitution du 24 juin 1793, dont larticle 1er

    proclame lunit et lindivisibilit

    de la Rpublique , un peu en raction contre le soutien accord par les dpartements aux

    montagnards souponns de fdralisme . Au plan administratif, le dcret du 14 frimaire

    an II (4 dcembre 1793) relatif au gouvernement rvolutionnaire maintien cependant

    lorganisation administrative hrite de la Constitution de 1793 qui, proclamait en son article

    3 que : le peuple franais est distribu, pour ladministration et pour la justice, en

    36 Christine Houteer, LPA 3 fv. 1989, op. cit., p. 25.

  • 19

    dpartements, districts, municipalits . Toutefois, les dpartements furent considrablement

    carts de laction rvolutionnaire. Ainsi, la surveillance des lois et des mesures de sret

    gnrale furent transfres aux districts, tandis que leur application relevait des seules

    municipalits et comits rvolutionnaires institus dans chaque commune.

    On peut dire quen confiant lapplication des lois rvolutionnaires et des mesures de sret

    gnrale de salut public, la Convention stait efforce intgrer les communes dans le

    systme administratif gnral. Il nen demeure pas moins que la nature privatise des

    communes ne permet pas de valider la thse dune relative autonomie de ces collectivits de

    base, sans lesquelles lexcution des lois et leur surveillance pouvaient tre assures et

    surveilles.

    Quant au Directoire (Constitution du 5 fructidor An III (22 aot 1795) et le dcret du 7

    septembre 1795), il consacrait certes, llection des officiers municipaux et une plus grande

    intgration des municipalits dans le systme administratif par une organisation

    administrative distribue en dpartements (circonscriptions administratives) et en cantons

    (administrations municipales), dsormais dtentrices des fonctions administratives dEtat

    prcdemment confies au district qui disparaissait.

    Cependant, cette tendance dcentralisatrice navait pas leve lquivoque sur le statut ambigu

    des municipalits, dune part, et stait de surcrot dilue par les prrogatives de suspension et

    de destitution prvues par la Constitution de lAn III lgard des officiers municipaux,

    dautre part.

    c) Le Consulat et le Premier Empire (1799-1800)

    Le rgime napolonien, n de lan VIII, renforce la centralisation de lpoque rvolutionnaire.

    La Constitution du 13 dcembre 1799 raffirme lunit et lindivisibilit de la Rpublique,

    dont le territoire est divis en dpartements et arrondissements, ces derniers se substituant aux

    cantons. La loi du 17 fvrier 1800 reconduit une administration municipale dans chaque ville.

    Mais linnovation majeure de cette loi rside dans linstitution des prfet et sous-prfet,

    respectivement reprsentants du Gouvernement au niveau du dpartement et de

    larrondissement. Comme pendant la Rvolution, prfet, sous-prfet et maire entretiennent

    des rapports hirarchiques entre eux et avec le pouvoir central. Leur rle se limite

  • 20

    lexcution des fonctions administratives de lEtat, assurant ainsi une parfaite centralisation

    de ladministration.

    d) De la Monarchie de Juillet (1830) la IIIe Rpublique (1944)

    La longue priode de 1830 1944 est considre comme celle du dveloppement de la

    dcentralisation et des ides librales. Malgr ses volutions rebours dues aux variations des

    rgimes politiques qui se sont succd, cette priode se distingue par deux grandes tapes : la

    monarchie de juillet et la IIIe Rpublique.

    La Monarchie de Juillet institue llection des conseils municipaux pour six ans (loi du 21

    mars 1831) et de la mme manire des conseillers rgionaux (loi du 22 juin 1833). La

    personnalit civile des communes est reconnue par la loi municipale du 18 juillet 1837,

    laquelle lui permet de rgler par ses dlibrations la gestion des biens communaux, tandis

    que la loi du 10 mai 1838 reconnat implicitement celle des dpartements, tout en leur

    confrant la libre disposition de leurs biens. Toutefois, ces instances locales ne pouvaient

    dlibrer que sur certains actes (gnralement leurs biens), lemploi des revenus locaux

    restant soumis leurs simples avis.

    Le Second Empire remet en cause le dveloppement de la dcentralisation et les principes de

    dmocratie locale instaurs par la monarchie de Juillet : lautorit municipale redevient

    simplement administrative et le principe de llection est abandonn. Les dpartements et les

    communes sont soumis une forte tutelle organise autour du prfet. Cette tendance la

    centralisation sera cependant tempre vers la fin du Second Empire. En 1865, un ambitieux

    programme dit de Nancy et intitul Un projet de dcentralisation est labor dans le

    but de restaurer lautonomie communale, mais ce dernier demeurera inactif devant la chute de

    lEmpire.

    La IIIe Rpublique est une tape importante pour les collectivits territoriales. Elle se

    caractrise par des rformes qui sont lorigine de deux grandes lois demeures clbres : la

    loi dpartementale du 10 aot 1871 et la loi municipale du 5 avril 1884.

    La loi dpartementale du 10 aot 1871 intervient dans le contexte du mouvement

    insurrectionnel de la Commune de Paris (mars-mai 1871) qui, vise sparer autant que

    possible la gestion des affaires de lEtat, tout en mnageant les intrts et les habitudes des

  • 21

    populations 37

    . Cette loi accrot les pouvoirs propres des conseils gnraux, et le dcret-loi

    du 5 novembre 1926 allge la tutelle sur les dpartements.

    Quant la loi municipale du 5 avril 1884, elle ralise une vritable clause de comptence

    gnrale au profit du conseil municipal, qui dsormais rgle par ses dlibrations les affaires

    de la commune . Ce systme lgislatif ne sera pas remis en cause tout au long de la IIIe

    Rpublique. Il sera en revanche amliorer par des lois ultrieures, notamment celle du 22

    mars 1890 consacre aux syndicats des communes et le dcret-loi du 5 novembre 1926

    largissant le champ dintervention communale dans les domaines sociaux.

    Lvocation de ce long historique montre suffisance qu plusieurs moments de leur vie, les

    collectivits infra tatiques ont pu tre considres comme de vritables collectivits

    territoriales dcentralises dotes de comptences propres et de responsables lus. On

    remarquera toutefois que, quel que soient les lois de dcentralisation adoptes un moment

    donn de lhistoire des institutions franaises, elles ont toujours t concomitamment

    accompagnes dune forte tutelle des prfets bridant les autonomies locales. Le rgime de

    Vichy contribuera dailleurs renforcer cette tendance en nommant tous les responsables

    territoriaux pour mieux les contrler.

    Si la IVe Rpublique ouvre une re nouvelle pour les collectivits territoriales, il nen

    demeure pas moins que la dcentralisation territoriale ait toujours t perue sous langle

    dune mfiance de lEtat lgard de ces collectivits.

    2. La rception rsiduelle du concept dautonomie locale dans les rapports Etat

    collectivits (de la IVme Rpublique mars 2003)

    Le concept dautonomie a t mal reu en France de la Libration aux expriences

    constitutionnelles antrieures mars 2003 (A). Dans cet intervalle, on a pu noter lapparition,

    pour la premire fois dans une disposition constitutionnelle, du mot autonomie , signe

    dune timide amlioration dans lacceptation de ce concept. Les expriences institues sont

    cependant demeures parcellaires, au point de ne pouvoir rendre compte dune pratique

    suffisante de lautonomie des collectivits territoriales dans leurs rapports avec lEtat (B).

    37 V. Michel Verpeaux, Les origines in Les collectivits territoriales en France, Notice 1, p. 7, La documentation

    franaise, Paris, 2005.

  • 22

    A. Les incertitudes sur le concept dautonomie (1944 mars 2003)

    Les premiers difices du droit constitutionnel franais nont jamais comport lexpression

    autonomie , les autonomistes tant considrs comme des adversaires de la tradition

    rvolutionnaire jacobine, qui prne lunit nationale et la centralisation du pouvoir politique.

    On se souvient, par ailleurs, que mme dans le cadre de la question des colonies Outre-mer, la

    France de Vichy avait adopt une politique dassimilation et non pas dautonomie , l

    o les Anglais pratiquaient la politique de lindirect rule , cest--dire une politique

    dautodtermination volutive offrant une gamme de statuts coloniaux tels que la colonie de

    la Couronne, la colonie semi-autonome, la colonie autonome, etc.

    Il a cependant exist un mouvement rgionaliste paru sous le rgime de Vichy (1940-1944) et

    effleurant lide dautonomie. Mais ce mouvement na pu prosprer en raison du souvenir

    encore rcent du retour aux Provinces de lAncien Rgime. Si les premires Rgions naissent

    en 1956, ce nest quen 1982 quelles deviennent des collectivits territoriales , mais sans

    autonomie politique, par rfrence aux communauts autonomes et rgions autonomes

    dEspagne et dItalie. Autrement dit, les idaux dunit et duniformit prns par la

    Rvolution jacobine taient peu conformes lide dune autonomie des collectivits infra

    tatiques. Dans un tel contexte, la seule forme dEtat acceptable en France tait lEtat unitaire.

    Ainsi donc, ni le droit constitutionnel, ni la pratique administrative et encore moins les

    thories politiques dominantes nont favoris en France lessor du concept dautonomie.

    B. Des expriences non reprsentatives (1958-2002)

    Sans refaire lhistoire de la dcolonisation franaise, on peut retenir que laprs seconde

    guerre mondiale est la priode phare partir de laquelle la France, sous la pression

    dirrsistibles revendications et rsistances, opte pour ses premires expriences dautonomie.

  • 23

    Aprs les expriences rates sous la IVme Rpublique, notamment celles de lUnion

    franaise38

    et le statut de lAlgrie 39

    , la Communaut franco-africaine institue par

    larticle 77 du Titre XII de la Constitution de 195840

    , actuellement abrog, offrait une

    autonomie temporaire aux pays dAfrique qui lacceptaient, avant daccder lindpendance

    dans les annes 1960.

    Dans le mme contexte, les expriences des Territoires Outre-mer (Polynsie et Nouvelle-

    Caldonie) restent des exemples patents pour qualifier ce que lon peut considrer comme

    lentre de la France dans le concert des Etats unitaires qui conoivent lide dune possible

    autonomie des collectivits infra tatiques. En effet, la NouvelleCaldonie stait vu doter

    dun rgime dautonomie interne par la loi N 88-82 du 22 janvier 1988 portant statut du

    Territoire de la Nouvelle-Caldonie41

    , tandis que quatre plus tt, la loi N 84-820 du 6

    septembre 1984 portant statut de la Polynsie franaise avait dj consacr ce T.O.M. un

    statut dautonomie interne dit de surcrot volutif 42

    .

    Notons enfin le cas atypique de la Corse qui, sans tre ni T.O.M ni D.O.M., est cependant une

    collectivit dote dun statut particulier depuis 1982.

    La situation juridique de ces collectivits situes Outre-mer (anciens D.O.M-T.O.M), tout

    comme celle de la Corse nont cess dvoluer dans le sens dune plus grande adaptation

    leurs spcificits respectives. Cest du reste, la substance de larticle 74 nouveau, alina 7 de

    La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 qui prvoit lintervention dune loi organique pour

    prciser certaines conditions daction des collectivits Outre-mer (COM) dotes de

    l autonomie . Au stade actuel de nos dveloppements, ce qui importe est de montrer qu

    38 Cf. Titre 8 de la Constitution de la IVe Rpublique, 1946-1958. Cette exprience accordait une politique dassimilation aux nouveaux dpartements dOutre-mer savoir : la Martinique et la Guadeloupe (Antilles franaises), la Guyane et la Runion. Voir C. Cadoux, le concept dautonomie en France , RSAMO n 28-Dcembre 1989, op. cit., p. 211. 39 Ds 1947, une loi organisait un statut particulier de dcentralisation largie, et donc dautonomie en Algrie. Ce statut ne fut pas appliqu. 40 Constitution du 4 octobre 1958 : Dans la Communaut institue par la prsente Constitution, les Etats jouissent de lautonomie ; ils sadministrent eux-mmes et grent dmocratiquement leurs propres affaires (Titre XIII, art. 77, abrog par la rvision constitutionnelle daot 1995). 41 Cf. Art. 1, Loi n 88-82 du 22 janvier 1988 portant statut du Territoire de la Nouvelle Caldonie Le territoire de la Nouvelle-Caldonie constitue au sein de la Rpublique franaise, conformment larticle 72 de la Constitution, un Territoire dOutre-mer dot dun statut particulier fond sur lautonomie et la rgionalisation , J.O.R.F. 26 janvier 1986. 42 Cf. Art. 1, Loi n 84-820 du 6 septembre 1984 portant statut de la Polynsie franaise, Le Territoire de la Polynsie franaise constitue, conformment aux articles 72 74 de la Constitution, un Territoire dOutre-mer dot de lautonomie interne dans le cadre de la Rpublique et dont lorganisation particulire et volutive est dfinie par la prsente . Sur cette question, voir Charles Cadoux, laccs de la Polynsie franaise lautonomie interne ; point daboutissement ou nouvelle base de dpart ? , Revue du Droit public et Science politique, n 2, 1989, pp. 345-397.

  • 24

    travers tous ces exemples prcits, lautonomie est un concept progressivement reue en

    France, mme sil ne concerne que des expriences situes Outre-mer.

    x

    x x

    Ainsi donc, le concept dautonomie, appliqu aux groupements humains auto - constitus au

    sein de la socit fodale, aura servi de base la naissance mme de la commune, entendue au

    dpart comme une association dintrts privs, forme en vue de la gestion de droits de

    type patrimonial 43

    , mais qui sera progressivement intgre dans le systme administratif

    gnral. A mesure que ces groupements humains ont t reconnus ou institus comme des

    collectivits territoriales dcentralises dans le contexte de lEtat unitaire, le concept

    dautonomie a subi une forte rpulsion suivie dune rduction dans son entendement

    philosophique, le rapport Etat collectivits, en matire de dcentralisation territoriale, ne

    dsignant plus quune soumission des seconds envers les premiers.

    Il est donc possible de dire que, ni la priode rvolutionnaire ni les expriences

    administratives ultrieures jusqu la rvision constitutionnelle de mars 2003 nont favoris

    en France lessor dune autonomie locale relativement forte, somme toute, contraire

    laffermissement de lunit nationale autour dun pouvoir central puissant. Que lon se

    souvienne combien la longue et clbre controverse entretenue par les thoriciens de la

    personnalit morale des groupements navait eu pour but que de placer lordre du pouvoir

    dominant au cur de la cration, mieux encore de la reconnaissance de tout groupement

    humain tabli, et ceci, non plus dans une optique de dveloppement humain, mais plutt de

    contrle et de soumission du second au premier. Luvre est grandiose et ncessite lillustre

    contribution du Doyen Hauriou pour qui, de la superposition de lEtat sur les institutions

    primaires : lEtat tend se subordonner ces institutions et mme les liminer, cest pendant

    cette priode que nat le rgime administratif. Cest quand les institutions primaires sont

    totalement limines que le rgime dEtat est oblig de reconstituer avec sa propre substance

    un quilibre de superposition en dcentralisant au-dessous de lui 44

    .

    43 Cf. J. Chapuisat, La notion daffaires locales en droit administratif franais , thse Paris II, 1972, p. 294. 44 Hauriou, Principes de droit public, 2e dition, 1919, p. 320, cit par S. Regourd, De la dcentralisation dans ses

    rapports avec la dmocratie , op. cit., p. 980.

  • 25

    Ainsi donc, la controverse doctrinale fiction ralit des groupements ntait autre chose

    que la problmatique de la mainmise par lEtat sur lautonomie et le pluralisme social, dont la

    personnalit morale incarnait lexpression juridique. Le fait collectif tant particulirement

    dcri par les rvolutionnaires, cest tout naturellement que la thorie de la fiction allait

    recevoir en premier un accueil favorable illustr par la loi le Chapelier de 1791, relative aux

    corporations. Cette thorie connatra sans doute ses avatars tout au long du 19me

    sicle, mais

    tout compte fait, la constante dominante et quasiment admise par tous est celle selon laquelle,

    il ne saurait exister de groupements autonomes en dehors de lEtat. Seul ce dernier peut les

    reconnatre dans le cadre dune attribution de comptences pour la gestion des affaires

    publiques. Autrement dit, les rapports entre lEtat et les groupements infra tatiques ne se

    conoivent dsormais que sous langle dune mfiance et de subordination envers lordre

    tatique, do la rception rsiduelle en France du concept dautonomie locale depuis la

    Rvolution jusqu la rvision constitutionnelle de mars 2003.

  • 26

    SECTION 2

    LE CONCEPT DAUTONOMIE ET LA DECENTRALISATION TERRITORIALE

    AU CAMEROUN

    En Afrique noire francophone coloniale et post-coloniale, et singulirement au Cameroun, le

    schma ci-dessus dcrit prsente au fond des similitudes. Celles-ci concernent principalement

    la question de lexistence pralable des communauts traditionnelles de base dont les

    membres avaient en commun le dsir de vivre en paix et de faire prosprer leurs affaires

    propres. Mais l sarrtent les similitudes car, dune manire gnrale, la commune des pays

    dAfrique subsaharienne nat de linitiative du pouvoir colonial et se confine sur laire

    gographique des circonscriptions administratives par lui dcoupes. Ainsi, la diffrence de

    lexpansion communale en France, ce qui caractrise la commune africaine de lpoque

    coloniale nos jours cest la rupture de lquation commune gale communaut traditionnelle

    (1), avec comme consquence une absence manifeste de lide dautonomie dans les rapports

    Etat communauts infra tatiques (2).

    1. La rupture de lquation commune gale communaut traditionnelle de base

    Etudier la communaut traditionnelle de base et son autonomie, comme socle du mouvement

    communal prsente un intrt plusieurs titres. Cet intrt peut tre envisag par deux grands

    aspects. Dabord, la conjonction de la communaut traditionnelle de base et de la politique a,

    nous semble t-il, exist dans toutes les socits de notre plante, bien sr des degrs divers

    et variant selon lhistoire de chaque peuple. Un tel constat impose une succession

    dinterrogations en matire dinstitutions communales en Afrique en gnral et au Cameroun

    en particulier. La commune africaine a t-elle bnfici, sa naissance, dun environnement

    sociologique qui aurait d favoriser son closion ? Le pouvoir colonial avait t-il russi

    oprer une conjonction entre les organisations sacres prexistantes (communaut

    traditionnelle de base) et la politique ? Si oui, comment expliquer lvanescence de

    linstitution communale par rapport aux populations auxquelles elle tait destine ? A ces

    questions, on ne saurait rpondre par laffirmative (A). Il convient de souligner limportance

    de lassise des communes sur des circonscriptions administratives artificielles (B).

  • 27

    A. La question pralable : lexistence des structures traditionnelles antrieures

    linstitution communale

    Dans une tude rcente consacre la Fonction publique en qute de lgitimit dans les Etats

    dAfrique francophone, mais qui cadre parfaitement avec lide que nous voudrions exprimer

    sur linstitution de la commune africaine et particulirement celle du Cameroun, Mose

    Nembot45

    abouti aux conclusions suivantes : Sur la base des structures administratives

    coloniales, les institutions administratives chafaudes en Afrique francophone portaient dj

    les germes de leur propre destruction (). La fonction publique [tout comme la commune]

    est une institution dont lefficacit suppose une adhsion consciente des populations sur

    lesquelles elle exerce une emprise totale. Faute davoir ignor ces donnes fondamentales au

    moment de linstauration de ladministration dans les pays africains, laction administrative

    () se trouve rejete []. Lentreprise coloniale en Afrique a dabord rpudi le sacr en

    sapant les structures traditionnelles qui la vhiculaient et lentretenaient 46

    .

    Lauteur met ici en relief lune des notions cardinales du systme de lorganisation

    administrative des pays dAfrique noire francophone, celle de la communaut traditionnelle

    de base incarne par la chefferie traditionnelle. A linstar des villes ou bourgs franais du

    moyen-ge, la chefferie traditionnelle africaine constituait la communaut de base autonome

    sur laquelle aurait d reposer toute structure communale. Mais en procdant dune vision

    assez simpliste de la socit africaine, il est possible que certains auteurs aient contribu

    semer le doute et la confusion sur lexistence pralable de groupements humains autonomes et

    organiss. lAfrique na pas dhistoire [] Elle est au seuil de sa prhistoire crivait

    encore Ren Dumont47

    , pendant Jean William Lapierre48

    soutenait la non-existence pendant

    des sicles dun minimum dorganisation dans quelques socits africaines.

    Pourtant, mme les tudes les plus critiques, trs souvent menes par les africanistes de

    lcole dite du patrimonialisme , et dont le fondateur Jean Franois Mdard stait lui-

    mme dj activ en exposer les principaux axes dans un article intitul lEtat no-

    patrimonial en Afrique noir , nont pas t aussi catgoriques49

    . En effet, bien que reposant

    45 Mose Nembot, Le Glas de la Fonction Publique dans les Etats dAfrique Francophone. Essai sur la signification dune institution en qute de lgitimit, (prface de Monique Chemilier-Gendreau), lHarmattan, 2000. 46 Op. cit., p. 11-12. 47 Ren Dumont, lAfrique noire est mal partie, Paris, d. Seuil, 1966. 48 Jean William Lapierre, Vivre sans Etat ?, Le Seuil, Paris 1977, p. 73. 49 Voir Jean-Franois Mdard, lEtat no-patrimonial en Afrique noire , pp. 323-335.

  • 28

    moins sur les aspects fonctionnels des administrations tudies que sur leurs aspects

    descriptifs, ces tudes, qui ont caractris de patrimonial des Etats africains, affirmaient

    du mme coup lexistence dans ces Etats dorganisations sociales de types patriarcales pr -

    coloniales : les communauts traditionnelles de base ou mieux les chefferies traditionnelles.

    De mme, il existe toute une srie dtudes historiques consacres aux organisations

    humaines dans lAfrique noire pr coloniale50

    . Louvrage du professeur Donald L. Wiedner

    est cet gard une importante contribution. Son chapitre premier, intitul lAfrique noire et sa

    prhistoire, retrace comment les socits bien organises 51

    des peuples bantous52

    avaient

    propag le travail du fer, des nouvelles cultures, et de llevage travers la plus grande

    partie de lAfrique au sud du Sahara pendant prs de 1200 ans, [] et ce entre lan 300 avant

    J.-C. et les environs de lan 900 aprs J.-C. 53

    .

    En tout tat de cause, luvre de municipalisation camerounaise fut ampute ds le dpart des

    prdispositions naturelles que constituaient les communauts autonomes, incarnes par les

    chefferies traditionnelles. De ce point de vue, lide dune dcentralisation du pouvoir

    politique, et donc de lautonomie locale, na pu procder de la moindre intgration des

    communauts de base dans la gestion des affaires publiques.

    B. Une assise sur des circonscriptions administratives artificielles

    Au Cameroun, comme dans la plupart des pays dAfrique noire francophone, lhistoire du

    mouvement municipal est fort complexe. Elle dbute avec la colonisation et se poursuit

    jusqu la priode post coloniale. Durant ces deux priodes, la commune africaine, et celle du

    Cameroun en particulier nat de la circonscription administrative cre par le colonisateur

    pour les besoins de gestion du territoire, dont elle pouse les contours gographiques. A ce

    constat, il convient dajouter que la circonscription administrative nat elle-mme de la

    destruction des structures traditionnelles prexistantes, par lclatement provoqu des

    membres de sa communaut de base, cest dire sans fondement sociologique, do son

    qualificatif d artificiel . Pour mieux comprendre lvolution du mouvement municipal

    camerounais, il serait judicieux de rappeler celle des circonscriptions administratives,

    auxquelles sagrippe de nos jours, linstitution communale (1), tant entendu quune telle

    50 Voir les travaux de Cheikh Anta Diop, lAfrique noire pr-coloniale (1960) ; Antriorit des civilisations ngres. Mythe ou vrit historique (1967). 51 Donald I. Wiedner, lAfrique noire avant la colonisation, dition abrge, Coll. Nouveaux horizons, pp. 11 33. 52 Peuple noir et dsign par le nom de son groupe linguistique. 53 Donald I. Wiedner, op. cit., p. 25.

  • 29

    tude va de pair avec celle des tribulations des structures traditionnelles de base prexistantes

    (2).

    1. Lorganisation administrative coloniale et post- coloniale

    Lhistoire des institutions du Cameroun regorge dune abondante littrature54

    . Toutefois, le

    souci dclairer la naissance des communes camerounaises nous impose de restituer un aperu

    gnral de lvolution des circonscriptions administratives qui la fonde depuis la colonisation

    jusqu nos jours. Pour ce faire, nous prendrons pour point de dpart lanne 1916. A cette

    date, lAllemagne vaincue de la premire guerre mondiale, est contrainte dabandonner ses

    colonies africaines au profit dune organisation sans structure administrative, la Socit des

    Nations , conformment au trait de Versailles du 28 juin 1919.

    La socit des Nations donne mandat certaines nations victorieuses (France, Angleterre,

    Afrique du Sud) dadministrer les ex-colonies allemandes dAfrique, do le nom de

    territoires sous mandat . Par le Trait de Londres de 1922, la Socit des nations entrine

    lAccord franco-britannique du 10 juillet 1919, qui partageait lancienne colonie allemande

    du Cameroun raison de 1/4 pour la Grande Bretagne et 3/4 pour la France, formant ainsi

    respectivement le Cameroun occidental et le Cameroun oriental . Les deux portions du

    territoire camerounais seront administres de 1922 1945 sous le rgime de territoire dit

    sous - mandat 55

    , et en 1946, lissue de la premire guerre mondiale, sous le rgime de

    territoire dit sous - tutelle 56

    .

    Le Cameroun oriental (francophone) devient indpendant le 1er janvier 1960, tandis que le

    Cameroun occidental (anglophone), reste administrativement rattach la colonie britannique

    du Nigeria qui en fait une province divise en deux parties ; la partie nord (Northern

    Cameroons) et la partie sud (Southern Cameroons). Lorsque le Nigria accde

    lindpendance le 1er octobre 1960, seule le Northern Cameroons est intgr dans son

    territoire. Par le plbiscite du 11 fvrier 1961, le Southern Cameroons choisi de sallier au

    54 Louis Ngongo, Histoire des Institutions et des faits sociaux du Cameroun, 2 tomes, Berger - Levrault, Paris 1987 ; Voir aussi, Le Vine, Victor T., Le Cameroun : du mandat lindpendance, Prsence Africaine, 1984. 55 Daprs le Trait de Londres de 1922, les puissances mandataires auront plein pouvoir dadministration et de lgislation sur les contres faisant lobjet du mandat ; ces contres seront administres selon la lgislation de la puissance mandataire, comme partie intgrante du territoire . Quant la mention classe B , elle signifiait que les puissances mandataires navaient aucune obligation de prparer les peuples des territoires sous mandat lauto-gouvernement ou lindpendance. Sur ces questions, V. Martin Finkem, Commune et gestion municipale au Cameroun, Groupe Saint-Franois, 1996, p. 28. 56 Le rgime de la tutelle avait pour but damener les peuples sous tutelle lauto-dtermination et lindpendance.

  • 30

    Cameroun occidental (francophone) pour former la Rpublique fdrale du Cameroun,

    compose de deux Etats : un Etat francophone et un Etat anglophone. Onze ans plus tard, le

    20 mai 1972, la Rpublique fdrale du Cameroun devient la Rpublique unie du Cameroun

    par fusion des deux Etats fdrs.

    De 1916 la runification des deux Etats fdrs en 1961, le Cameroun connat linfluence de

    deux modes dadministration diffrentes, selon que lon se trouve dans sa partie anglophone

    ou selon que lon est dans sa partie francophone. LAngleterre pratique ladministration

    indirecte ou indirect rule , dont lessentiel de la politique consiste sappuyer sur les

    structures traditionnelles de base existantes pour crer des institutions communales, en mme

    temps quelle sy rfre pour dcouper le territoire en circonscriptions administratives. La

    France, fidle la tradition jacobine, opte pour ladministration directe , mthode trs

    centralise, qui consiste placer le territoire soumis sa domination sous ladministration

    directe du colonisateur. Cette mthode a eu pour consquence, peut-tre par souci de bonne

    gestion, de faire prcder le dcoupage des circonscriptions administratives de linstitution

    communale, en ignorant du mme coup, les structures traditionnelles.

    Toutes ces mthodes seront reprises par ladministrateur post-colonial jusqu lunification en

    1972, date laquelle la premire Constitution de lEtat unitaire du Cameroun transfre au

    domaine du lgislateur, lorganisation des collectivits locales. De 1972 nos jours, la

    tendance dominante est la francisation de ladministration du territoire, ce qui explique la

    gestion centralise du pouvoir politique jusqu la rvision constitutionnelle du 18 janvier

    1996.

    a) Evolution du mouvement communal de la priode coloniale (1916) lunification du

    Cameroun (1972)

    Avant lunification en 1972 des deux Etats fdraux du Cameroun, le mouvement communal

    est tributaire de linfluence des deux systmes dadministration prsents dans le pays, savoir

    ladministration coloniale britannique, dune part, et ladministration coloniale franaise,

    dautre part.

  • 31

    a.1. Ladministration coloniale britannique et le systme de lindirect rule

    Lindirect rule, dont la paternit est attribue lancien Gouverneur gnral du Nigeria -

    Frederick Tugard - est un systme qui consiste gouverner par lintermdiaire des indignes

    eux-mmes, ladministration britannique limitant son action au contrle gnral des

    comptences transfres aux autochtones. Ces derniers assurent leur auto - administration

    travers des structures dont les plus importantes sont les suivantes :

    - les native courts ou tribunaux composs des indignes ;

    - les native treasuries ou trsoriers indignes chargs de la collecte dune partie des

    impts et de leur rinvestissement au bnfice de la communaut ;

    - et surtout, les native authorities, vritables piliers de lindirect rule.

    La native authority est en principe un chef traditionnel ou toute autre personne dsigne

    comme telle. A dfaut, cest un conseil de notables indignes. La native authority est dote

    dune comptence territoriale (une circonscription) et dune comptence personnelle (un

    ensemble de personne formant une communaut de base). Il jouit dune assez large

    autonomie pour la gestion des affaires locales (ducation, sant, commerce, police judiciaire,

    prisons municipales, environnement, construction et urbanisme, domaines foncier etc.). De

    mme, son autonomie financire est sans quivoque (inexistence du principe dunicit de

    caisse). Les ressources financires proviennent des impts, des redevances pour service rendu,

    des revenus du domaine, des subventions de lEtat fdral du Cameroun occidental. Une large

    libert daction est accorde en matire de recrutement et de gestion du personnel communal,

    les emplois tant rgis par un statut appel le Local Government Staff Regulations . Enfin,

    les native authorities pouvaient sunir en joint committee - sorte de syndicats de

    communes pour assurer la gestion dlgu dun service public.

    Pour les besoins dadaptation la modernit et aux responsabilits de plus en plus accrues, les

    native authorities seront progressivement mutes en local authorities , sortes

    dassembles locales collgiales composes des chefs traditionnels et des personnalits lues,

    et enfin en local councils ou collectivits locales.

  • 32

    Le systme dindirect rule va rsister jusqu lunification des deux Etats fdrs du

    Cameroun en 1972, la cration des local councils (communes) se limitant autour des

    communauts traditionnelles de base, elles-mmes, devenues pour la plupart des

    circonscriptions administratives. Au total, avant lunification, le Cameroun occidental

    (anglophone) compte prs dune trentaine de communes en 1944. Des reformes dues aux

    mutations de la forme de lEtat rduiront successivement ce chiffre 28 en 1967, puis 24 en

    1969, suite de nombreux regroupements. Cette situation demeure inchange jusqu

    ladoption de la premire Constitution de lEtat unitaire du Cameroun en 1972, et

    principalement, lorsque apparat la loi portant organisation communale de la Rpublique unie

    du Cameroun du 5 dcembre 1974.

    a.2.Ladministration coloniale franaise et le systme de ladministration directe

    Ancienne colonie allemande, place sous - mandat et ensuite sous - tutelle de la

    France, le Cameroun aurait d bnficier dune autonomie plus large conformment aux

    rgles propres tout rgime de tutorat. Mais en pratique, le systme dadministration directe

    dinspiration jacobine avait impos une confusion dans la gestion quotidienne de tous les pays

    confis la France. Autrement dit, par le systme dadministration directe, la France

    transposa, purement et simplement dans ses colonies y compris au Cameroun -, le

    fonctionnement centralis des institutions de lhexagone.

    Ds 1916, la France divisa le territoire camerounais en neuf circonscriptions administratives

    (rgions) ayant leur tte des gouverneurs. En 1935, le Cameroun comptait 19 rgions

    divises en plusieurs subdivisions et postes administratifs. Le dcoupage administratif stait

    fait exclusivement sur la base du critre ethnique. Aucune commune nexiste encore. On note

    cependant lintroduction en 1923 au sein des circonscriptions administratives des conseils de

    notables composs des indignes, bien que ces derniers ne disposent daucun pouvoir

    linstar des native authorities anglais. Lintrt de la question du dcoupage administratif

    rside dans le fait majeur que chacune de ces units administratives servira plus tard de

    squelette la cration, par superposition, des communes.

    Les premires communes du Cameroun oriental (francophone) naissent avec larrt du 25

    juin 1941 du gouverneur franais du Cameroun, qui cre dans les deux plus grandes

    agglomrations du pays les communes mixtes de Douala et de Yaound. Ces deux communes

    sont pourvues chacune dun excutif (le chef de rgion) qui prend le titre dadministrateur

  • 33

    maire pour la circonstance. Elles sont galement pourvues chacune dune commission

    municipale, compose de 4 notables franais et 2 indignes nomms par le gouverneur

    colonial.

    Aprs la deuxime guerre mondiale, un arrt du 21 aot 1952 cre les communes mixtes

    rurales et les tend dans toutes les subdivisions du pays. Trois ans plus tard, la loi franaise

    n 55-1489 du 18 novembre 1955 relative la rorganisation municipale des pays dAfrique

    noire, lexception du Sngal, introduit les communes de plein exercice et les communes de

    moyen exercice. Dans les deux cas, la condition requise par larticle 2 de la loi prcite est

    le niveau de dveloppement suffisant pour disposer des ressources propres ncessaires

    lquilibre de son budget . La diffrence fondamentale entre ces deux entits tient au fait

    que, dans la commune de plein exercice, le maire est dsign au sein du conseil municipal,

    tandis que dans les communes de moyen exercice, il est nomm par le chef de la

    circonscription administrative parmi les fonctionnaires de sa localit. Cest dans ce paysage

    communal fort complexe que le Cameroun accde lindpendance le 1er

    janvier 1960.

    Sept ans plus tard, la loi du 1er mars 1967 cre lintrieur des communes de plein exercice,

    les premires variantes dites rgime spcial dans les grandes villes de Douala, Yaound

    et Nkongsamba. Ces communes deviendront plus tard les communauts urbaines ayant leurs

    ttes des Dlgus de gouvernement nomms par le Prsident de la Rpublique.

    b) De lunification nos jours

    Lunification du Cameroun en 1972 sest accompagne dune srie de reformes, dont lune

    des plus importantes concernait la multiplication et luniformisation des circonscriptions

    administratives par la loi du 24 juillet 1972.

    En pratique, luniformisation sest traduite par un renforcement de lautorit centrale et une

    francisation de la partie anglophone. Les dpartements, arrondissements et districts se sont

    substitus respectivement aux rgions, subdivisions et postes administratifs. La province est

    devenue le premier niveau des units administratives. Au plan local, le dcoupage

    administratif du territoire ayant servi de base la cration des communes, le Cameroun

    comptait 339 communes sous lgide de la loi communale du 5 dcembre 1974 et ses divers

    textes modificatifs.

  • 34

    La Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 cre un nouvel chelon de collectivits

    territoriales (la Rgion) sur la base des dix provinces existantes. A ce jour, il existe donc 384

    collectivits territoriales dcentralises au Cameroun, suite la mise en uvre dispositions

    issues des lois de dcentralisation du 22 juillet 200457

    et aux nombreuses crations

    darrondissements intervenues entre-temps.

    Au total, la lecture du systme communal camerounais est assez complexe. En premier lieu,

    on retiendra que le dcoupage administratif du territoire sur des bases souvent artificielles

    prcde la cration des communes. En second lieu, que sous lgide de la loi nationale du 5

    dcembre 1974 portant organisation communale et ses divers textes modificatifs, la commune

    camerounaise est une collectivit territoriale dpourvue de toute autonomie ; les maires et les

    conseillers municipaux sont, jusqu une priode relativement rcente, nomms par le pouvoir

    central. A lvidence, dans un tel contexte politique, le vent de dmocratisation des annes

    1990 navait pas encore souffl en Afrique avec ses bienfaisantes liberts dexpression et de

    pense.

    2. Les Tribulations des structures traditionnelles de base

    Braque sur lunique objectif dasseoir un pouvoir autoritaire dans les pays hrits de la

    Socit des Nations, ladministration coloniale navait eu dautre ide que de sattaquer en

    premier, aux structures traditionnelles existantes telles que la chefferie. Le rgime colonial a

    adultr toutes nos formes de chefferies. Ces dernires, sexclamait une personnalit

    politique, nont en effet pu rsister sous la triple pression de secousse de ladministration

    coloniale, des glises chrtiennes et de lconomie de march 58

    . Pouvait-il en tre

    autrement ? Seule la chefferie traditionnelle tait susceptible dopposer lgitimement au

    pouvoir colonial son autonomie locale. Les fonctions dvolues au chef traditionnel et

    acceptes par tous les membres de la communaut (direction du commerce direction des

    57 Trois lois de dcentralisation ont t promulgues le 22 juillet 2004 : la premire, n 2004/017 porte Orientation de la dcentralisation ; la seconde, n 2004/018 fixe les rgles applicables aux communes, et la troisime, n 2004/018 fixe les rgles applicables aux rgions. Contrairement la lgislation antrieure (loi communale du ( dc. 1974), larticle 152 de la loi n 2004/017 institue une nomenclature unique pour la commune, supprimant ainsi la distinction commune urbaine - commune rurale. Etant donn que de nombreuses agglomrations taient constitues de zone urbaine et de zone rurale, et donc de commune urbaine et commune rurale dans une mme ville (exemple : commune urbaine de Kribi, et commune rurale de Kribi, dans la ville du mme nom), la mise en application de cette disposition a emport, soit un regroupement de certaines communes au sein dune communaut urbaine, soit la dlocalisation gographique du chef-lieu dune des deux communes. Cest du reste, ce que semble signifier larticle 153 de la loi communale : les communes ayant leur chef-lieu sur le territoire dune autre commune disposent dun dlai de 18 mois pour transfrer le dit chef-lieu sur leur territoire