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COLLOQUE DE LORIENT, 15-17 NOVEMBRE 2007 : LA RECHERCHE INTERNATIONALE EN HISTOIRE MARITIME L’outre-mer dans la stratégie des milieux d’affaires français : le point sur les débats et l’historiographie Hubert Bonin, professeur d’histoire économique à l’Institut d’études politiques de Bordeaux ( UMR GRETHA- Université Montesquieu Bordeaux 4) [www.hubertbonin.com] L’histoire ultramarine contemporaine des milieux d’affaires français peut être perçue de façon paradoxale car elle semble à la fois d’une part glorieuse et émergente, puissante et fragmentaire d’autre part. Alors que l’ensemble colonial français était le deuxième du monde et contribuait à « la plus grande France » économique, la recherche académique a connu un passage à vide et manque de l’ampleur que connaît la recherche britannique – marquée en particulier par une immense collection d’histoire ultramarine chez l’éditeur Routledge, par exemple. Certes, elle a échappé au syndrome d’autocensure qu’a connu l’histoire ultramarine économique en Belgique 1 au nom de la défense (nostalgique parfois) du pré carré capitaliste national ; mais la force procurée par l’anticapitalisme et l’anticolonialisme dans les années 1960-1980 s’est étiolée et le recentrage sur une analyse plurielle des stratégies et des performances des milieux d’affaires et des retombées de leur action a dû attendre le tournant du XXI e siècle pour redémarrer avec ampleur : l’école française d’histoire ultramarine économique est donc en plein réveil. 1. La vigueur de l’école française d’histoire ultramarine économique dans les années 1960-1980 Les initiatives pionnières ont fleuri pendant les années 1960-1980 au sein de ce que, rétrospectivement, l’on peut appeler « l’école française d’histoire ultramarine économique » (notamment africaine). Peu d’années après le mouvement d’indépendance, le temps était venu d’un premier bilan, dans le sillage du questionnement de Brunschwig 2 . Catherine Coquery-Vidrovitch 3 , Hélène d’Almeida-Topor 4 , Daniel Hémery (parfois avec Pierre Brocheux 5 ), Jacques Marseille 6 et quelques autres ont constitué un premier corpus de méthodes, de problématiques, de chronologies, à propos 1 Jean-Luc Vellut (dir.), La mémoire du Congo. Le temps colonial , Tervuren, Éditions Snoeck-Musée royal de l’Afrique centrale, 2005. 2 Henri Brunschwig, Mythes et réalités de l’empire colonial français, Colin, 1960. 3 Chantal Chanson-Jabeur & Odile Goerg (dir.), « Mama Africa ». Hommage à Catherine Coquery-Vidrovitch, Paris, L’Harmattan, 2005. Cf. aussi le numéro spécial double Revue française d'histoire d’outre-mer, n°232-233, L'Afrique et la crise de 1930, Actes du colloque de l'Université Paris 7 ; publié en volume distinct par la Société française d’histoire d’outre mer. 4 Hélène d’Almeida-Topor & Monique Lakroum, L’Europe et l’Afrique, un siècle d’échanges économiques, Paris, Armand Colin, 1994. 5 Pierre Brocheux & Daniel Hémery, Indochine, la colonisation ambiguë, 1858-1954, Paris, La Découverte, 1995, réédition en 2001.

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COLLOQUE DE LORIENT, 15-17 NOVEMBRE 2007 : LA RECHERCHE INTERNATIONALE EN HISTOIRE MARITIME

L’outre-mer dans la stratégie des milieux d’affaires français : le point sur les débats et l’historiographie

Hubert Bonin, professeur d’histoire économique à l’Institut d’études politiques de Bordeaux (UMR GRETHA-Université Montesquieu Bordeaux 4) [www.hubertbonin.com]

L’histoire ultramarine contemporaine des milieux d’affaires français peut être perçue de façon paradoxale car elle semble à la fois d’une part glorieuse et émergente, puissante et fragmentaire d’autre part. Alors que l’ensemble colonial français était le deuxième du monde et contribuait à « la plus grande France » économique, la recherche académique a connu un passage à vide et manque de l’ampleur que connaît la recherche britannique – marquée en particulier par une immense collection d’histoire ultramarine chez l’éditeur Routledge, par exemple. Certes, elle a échappé au syndrome d’autocensure qu’a connu l’histoire ultramarine économique en Belgique1 au nom de la défense (nostalgique parfois) du pré carré capitaliste national ; mais la force procurée par l’anticapitalisme et l’anticolonialisme dans les années 1960-1980 s’est étiolée et le recentrage sur une analyse plurielle des stratégies et des performances des milieux d’affaires et des retombées de leur action a dû attendre le tournant du XXIe siècle pour redémarrer avec ampleur : l’école française d’histoire ultramarine économique est donc en plein réveil.

1. La vigueur de l’école française d’histoire ultramarine économique dans les années 1960-1980

Les initiatives pionnières ont fleuri pendant les années 1960-1980 au sein de ce que, rétrospectivement, l’on peut appeler « l’école française d’histoire ultramarine économique » (notamment africaine). Peu d’années après le mouvement d’indépendance, le temps était venu d’un premier bilan, dans le sillage du questionnement de Brunschwig2. Catherine Coquery-Vidrovitch3, Hélène d’Almeida-Topor4, Daniel Hémery (parfois avec Pierre Brocheux5), Jacques Marseille6 et quelques autres ont constitué un premier corpus de méthodes, de problématiques, de chronologies, à propos de l’histoire de ce qui est devenu « les relations Nord-Sud » et de ce qui était plutôt alors l’histoire des impérialismes coloniaux. Leur apport a efficacement complété les recherches menées par la solide école française des africanistes (anthropologues, comme Claude Meillassoux, ethnologues, sociologues, géographes, chercheurs du Musée de l’homme et de ce qui est devenu le Centre de recherches africaines, à Paris, contributeurs à la revue L’Homme et la Société, alors publiée par les éditions Anthropos) concernant l’évolution de l’économie africaine elle-même – en particulier, les formes prises par les échanges, le négoce, les micro-

1 Jean-Luc Vellut (dir.), La mémoire du Congo. Le temps colonial, Tervuren, Éditions Snoeck-Musée royal de l’Afrique centrale, 2005.2 Henri Brunschwig, Mythes et réalités de l’empire colonial français, Colin, 1960.3 Chantal Chanson-Jabeur & Odile Goerg (dir.), « Mama Africa ». Hommage à Catherine Coquery-Vidrovitch, Paris, L’Harmattan, 2005. Cf. aussi le numéro spécial double Revue française d'histoire d’outre-mer, n°232-233, L'Afrique et la crise de 1930, Actes du colloque de l'Université Paris 7 ; publié en volume distinct par la Société française d’histoire d’outre mer.4 Hélène d’Almeida-Topor & Monique Lakroum, L’Europe et l’Afrique, un siècle d’échanges économiques, Paris, Armand Colin, 1994.5 Pierre Brocheux & Daniel Hémery, Indochine, la colonisation ambiguë, 1858-1954, Paris, La Découverte, 1995, réédition en 2001.6 Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d'un divorce, Paris, Albin Michel, 1984.

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sociétés marchandes au coeur même de l’économie africaine de part et d’autre des indépendances.

Nombre de chercheurs de ces décennies était tenaillés par l’analyse historique des forces réelles (car parfois cachées) de « l’impérialisme »7, au sein de ce qu’Immanuel Wallerstein8 appelait « les empires mondes », levier essentiel de la structuration du système économique mondial dans les années 1890-1950 et dont l’application extrême fut la Grande-Bretagne. Ce courant de recherche a défini des pistes de travail concernant surtout le jeu de la concurrence économique inter-européenne autour de la quête de matières premières industrielles, la recherche de nouveaux marchés pour vendre cette production industrielle et l’ouverture de nouveaux champs d’investissement. Les historiens ont débattu du poids respectif des considérations de puissance géopolitique et diplomatique et des considérations de puissance économique ; la Conférence internationale de Berlin (1884-1885) avait une rencontre politique et diplomatique débouchant sur des accords économiques (sphères d’influence, chasses gardées) qui furent complétées notamment par l’accord franco-britannique sur la politique de « porte ouverte » dans l’aire du Niger (entre 1898 et 1936) et, plus tard, avec l’accord d’Algésiras, par l’affirmation là aussi de « la porte ouverte » à propos du protectorat marocain.

Le poids respectif de l’impérialisme colonial et de l’impérialisme économique a fait débat, car on s’interrogeait sur la variété des formes prises par l’impérialisme9 pour asseoir sa puissance, et comment le capitalisme européen continental s’insérait dans ce mouvement impérialiste, notamment pour se confronter au capitalisme britannique alors encore dominant ou pour attiser les contradictions internes au monde capitalisme européen, stimulées par l’émergence de l’Allemagne comme grande puissance industrielle (dans le sillage des États-Unis) ; les collègues français ont été rejoints par leurs homologues nord-américains qui avaient rassemblé un dossier pertinent à propos de la cristallisation d’un « parti colonial »10 au Parlement. 7 Cf. Catherine Coquery-Vidrovitch, « Petit essai introductif : Impérialisme et impérialisme colonial », in Hubert Bonin, Catherine Hodeir & Jean-François Klein (dir.), L’esprit économique impérial (1830-1970). Groupes de pression & réseaux du patronat colonial en France & dans l’empire, Paris, Publications de la SFHOM, 2007.8 Immanuel Wallerstein, « L’économie monde », in Connaissance du Tiers-Monde (publication du laboratoire de même titre, Université Paris-7), Paris, 10/18, pp. 97-112.9 Cf. Jean Bouvier, qui a joué un rôle clé dans la réflexion marxiste historienne rénovatrice de l’époque, avec, entre autres, Jean Bouvier & René Girault, L’impérialisme français d’avant 1914, Paris, Mouton, 1976. David Kenneth Fieldhouse, The Theory of Capitalist Imperialism, Londres, Longman, 1967. Jean Stengers, « L’impérialisme colonial à la fin du XIXe siècle : mythe ou réalité », Journal of African History, volume 3, 1962, pp. 469-491. Richard Koerner & G.D. Schmidt, Imperialism. The Story and Significance of a Political Word, 1940-1960, Cambridge University Press, 1964. Henri Brunschwig, « Empires et impérialismes », Revue historique, n°475, juillet-septembre 1965, pp. 111-122.10 Henri Brunschwig, « Le parti colonial français », Revue française d’histoire d’outre-mer, tome XLVI, 1959, pp. 49-83. Bernard Schnapper, La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée, de 1838 à 1871, Paris, Mouton, 1961. Charles-Robert Ageron, France coloniale ou parti colonial ?, Paris, Armand Colin, 1970. Christopher-M. Andrew & A. Sydney Kanya-Forstner, « The French “Colonial Party”: Its composition, aims, and influence, 1885-1914 », The Historical Journal, volume XIV, 1971, pp. 99-128. Christopher-M. Andrew & Sydney Kanya-Forstner, « The “Groupe colonial” in the French Chamber of Deputies, 1832-1932 », The Historical Journal, volume XVII, n°4, 1974, pp. 837-866. Christopher-M. Andrew & A. Sydney Kanya-Forstner, « French business and the French colonialists », Historical Journal, XIX, 1976, pp. 981-1000.Christopher-M. Andrew, « The French colonialist movement during the Third Republic », Royal Historical Society Transactions, XXVI, 1976, pp. 143-166. L. Abrams & D. J. Miller, « Who were the French colonialists? A reassessment of the Parti colonial », The Historical Journal (Cambridge University Press), XIX, 1976, n°3, pp. 685-725. Christopher-M. Andrew & Sydney Kanya-Forstner, « The French colonial party: Its composition, aims, and influence, 1885-1914 », The Historical Journal, Cambridge, volume 19,

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Faut-il rappeler aujourd’hui l’intense débat11 qui tournait autour du lien entre l’accélération de la conquête coloniale et l’accentuation de la grande dépression12 des années 1870/1880-1890 – dans le sillage des réflexions de Paul Leroy-Beaulieu au tournant du XXe siècle ? Un deuxième débat a porté sur ce que l’empire « rapportait » ; J. Marseille a par exemple établi13 que, dans la première phase coloniale, certaines parties de l’empire (telle l’Indochine) rapportent non seulement aux entreprises coloniales mais aussi à l’État ; et François Bobrie a montré en son temps dans un article solide que l’Indochine a remboursé sa conquête sur son propre budget14. Une synthèse magistrale d’origine suisse est venue récemment dresser un bilan macro-économique de haute volée des retombées de l’univers colonial sur la croissance15.

Un troisième débat a porté sur l’entre-deux-guerres ; de façon désormais classique, nombre de textes ont scruté comment l’empire était censé jouer un rôle de protection et de repli économiques, face à la grande crise16 des années 1930. Avant la thèse de J. Marseille, un colloque de 1976 l’a étudié dans le détail pour l’Afrique subsaharienne17. Le débat s’est noué dans ce cadre autour des freins posés à l’industrialisation de l’outre-mer par des industriels métropolitains soucieux de préserver leurs débouchés captifs18. Toutefois, l’on précise aussi que la notion « d’exclusif colonial »19 est un ’’faux ami’’ car il ne prend pas vraiment réalité, même

n°3, 1976, pp. 685-725. Jacques Binoche-Guerda, « La représentation parlementaire coloniale (1871-1940) », Revue historique, 1988, n°586, pp. 521-535. Marc Lagana, Le Parti colonial français. Éléments d’histoire, Montréal, Presses universitaires du Québec, 1990. Charles-Robert Ageron, « Le “parti colonial” face à la question tunisienne (1945-1951) », in La Tunisie de l’après-guerre, Tunis, 1991, pp. 183-207.11 Cf. C. Coquery-Vidrovitch, « De l'impérialisme britannique à l'impérialisme contemporain : l’avatar colonial », L'Homme et la Société, n° 18, 1970, pp. 61-90. Réédité in Michel Margairaz (dir.), Histoire économique, XVIII°-XX° siècles, collection Textes essentiels, Paris, Larousse, 1992, pp. 783-799. 12 Cf. Marie-Hélène Gillman ; « L’empire colonial et la longue stagnation », in Yves Breton, Albert Broder & Michel Lutfalla, La longue stagnation en France. L’autre grande dépression, 1873-1897, Paris, Economica, 1997, pp. 382-420.13 Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, histoire d'un divorce, Paris, Albin Michel, 1984.14 « Finances publiques et conquête coloniale : le coût budgétaire de l’expansion coloniale entre 1850 et 1913 », Annales ESC, no 6, 1976, pp. 1225-124415 Bouda Etemad, La possession du monde. Poids et mesures de la colonisation, Bruxelles, Complexe, 2000. Cf. aussi : Joseph Inikori, Africans and the Industrial Revolution in England. A Study in International Trade and Economic Development, Cambridge University Press, 2002. Nous renvoyons aux comptes rendus de ces livres que nous avons publiés dans Outre-Mers. Revue d’histoire.16 Catherine Coquery-Vidrovitch (et alii, dir.), L’Afrique et la Crise, 1924-1938, Paris, Publications de la SFHOM, tome LXIII, 1976.17 Numéro spécial double Revue française d'histoire d’outre-mer, n°232-233, L'Afrique et la crise de 1930, Actes du colloque de l'Université Paris 7 ; publié en volume distinct par les Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer.18 Jacques Marseille, « L’industrie cotonnière française et l’impérialisme colonial », Revue d’histoire économique et sociale, 1975, pp. 386-412. Catherine Coquery-Vidrovitch, « Vichy et l’industrialisation aux colonies », Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale », avril 1979, n°114. Jacques Marseille, « L’industrialisation des colonies : affaiblissement ou renforcement de la puissance française », Revue française d’histoire d’outre-mer, 1982, premier trimestre, pp. 23-34. Jacques Marseille, « L’investissement privé dans l’empire colonial : mythes et réalités », in Catherine Coquery-Vidrovitch & Alain Forest (dir.), Entreprises et entrepreneurs en Afrique, XIXe et XXe siècles, Paris, Laboratoire Connaissance du Tiers-Monde & L’Harmattan, 1983, premier volume, pp. 43-57. Catherine Coquery-Vidrovitch, « Investissements privés, investissements publics en AEF, 1900-1940 », African Economic History, XII, 1983, pp. 13-31.19 Bernard Schnapper, « La fin du régime de l’exclusif : le commerce étranger dans les possessions françaises d’Afrique tropicale, 1817-1870 », Annales africaines, 1959, pp. 261-

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entre les deux guerres, en dépit de la montée des barrières douanières. Si le concept a été peu ou prou opératoire pendant l’Ancien Régime, il est devenu contradictoire avec le jeu des forces économiques en société capitaliste parce que les rapports de compétitivité y prédominent et donc les exigences d’un approvisionnement à meilleur coût (par exemple les arachides de la côte indienne de Coromandel aux côtés des arachides du Sénégal). Cela explique un autre débat, quant aux limites de l’impérialisme économique : est-ce que le capitalisme avait réellement besoin de l’empire ? est-ce que nombre de territoires n’étaient pas plus ouverts sur d’autres pays pour leurs exportations (phosphates du Maroc, riz de l’Indochine) ? et est-ce que le Japon n’a pas commencé à développer ses exportations vers l’empire français, y compris en Afrique, avant même la Seconde Guerre mondiale ?

Les débats autour de l’impérialisme économique ont revêtu une portée macroéconomique, quand Paul Bairoch20 a démoli les thèses fondant l’histoire du sous-développement sur l’évolution des termes de l’échange pendant la période coloniale, à cause de la pression des firmes industrielles (prix de vente excessifs) et commerciales (prix d’achat des produits trop bas) et sous l’égide de la fameuse « rente coloniale » ; Bairoch a insisté sur la complexité de la réalité car, pendant plusieurs périodes, les termes de l’échange ont été positifs pour l’outre-mer – et J. Marseille l’a démontré pour les années 1930. De telles considérations ont débouché sur un débat désarçonnant à propos de ce qui aurait même constitué une forme d’anticolonialisme au sein du monde des affaires, dans les années 1950 : les divisions au sein du monde de l’entreprise se sont en fait alors avivées quant à la nécessité de préserver des chasses gardées qui risquaient de plus en plus de devenir autant de boulets à la croissance de la compétitivité.

Enfin, la transition de l’empire au Tiers-Monde21 a suscité de premières réactions qui ont souvent mêlé histoire immédiate ou proche et idéologies, puisque des historiens (et des économistes) ont tenté de reconstituer les armes discrètes (prises de participation, filialisation, « africanisation ») utilisées par les entreprises pour conserver leur poids économique dans les États nouvellement indépendants, par le biais d’un « néo-colonialisme » dont la dénonciation a ici et là abouti aux nationalisations et au tournant étatiste dans plusieurs pays s’orientant vers un tiers-mondisme militant (Algérie, Madagascar, Bénin, par exemple – après le choc de la nationalisation du canal de Suez en 1956). Jean Suret-Canale représente certainement le plus tenace des historiens économistes désireux de mesurer la force d’un nouvel âge de l’impérialisme économique22. Mais le grand spécialiste anglais de l’histoire de l’impérialisme a livré une mise au point rigoureuse et remarquable sur les rapports de l’Occident et du Tiers-Monde23 pendant la période coloniale – en précisant « le concept de l’économie coloniale » – et après.

282.20 Paul Bairoch, Révolution industrielle et sous-développement, Paris, Société d'édition d'enseignement supérieur, 1963. 21 Le géographe Yves Lacoste, dans son ouvrage de synthèse Unité et diversité du Tiers-Monde (Maspero, 1980), donne l’historique et les définitions de tous les termes utilisés alors : Tiers-Monde, tiers-mondisme, développement, sous-développement, etc. Cf. aussi : Emmanuel Arghiri, L’échange inégal : essai sur les antagonismes dans les rapports économiques internationaux, Paris, François Maspero, 1969.22 Jean Suret-Canale, Afrique noire (occidentale et centrale, tome I, Géographie, Civilisations, Histoire, Paris, Éditions sociales, 1958 (355 pages) ; tomes II et III en 1964 et 1972. Jean Suret-Canale, Afrique et capitaux (deux volumes), Paris, L’arbre verdoyant, 1987.23 David Kenneth Fieldhouse, The West and the Third World. Trade, Colonialism, Dependance , and Development, Oxford, Blackwell, 1999 (réédité en 2000, 20002 et 2004!). Il oppose précisément deux premiers chapitres, l’un consacré à “The Pessimists””, l’autre à: “The Optimists”.

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Loin de ces débats parfois torrides mais toujours passionnants, il convient de ne pas négliger l’apport de l’école de géographie tropicale à l’histoire ultramarine économique. En effet, ce sont bien des géographes qui ont enraciné l’analyse de l’évolution de multiples pans de l’économie ultramarine, notamment aux Caraïbes et en Afrique subsaharienne, puisque, dans le sillage de la « géographie tropicale » (Guy Lasserre, Paul Pélissier, etc.), plusieurs géographes se sont attachés à reconstituer, en amont des parties géographiques de leur thèse, une histoire des mutations antérieures aux faits (alors contemporains) qu’ils analysaient. Cela a été le cas à l’université de Bordeaux, dont on connaît les thèses magistrales de Jean-Claude Maillart sur la géographie de la banane24 et d’Yves Péhaut sur les oléagineux africains25, et toutes deux contiennent d’amples considérations sur ce qui véritablement devenu depuis lors des morceaux d’histoire économique ultramarine. Le dépouillement des fameux Cahiers d’outre-mer, publiés par cette même université, livre nombre de pistes à suivre par les historiens, comme le retrace d’ailleurs le numéro spécial26 publié à l’occasion du cinquantième anniversaire de cette revue en 1997.

Enfin, par souci d’objectivité face aux recherches souvent « anticapitalistes » de nombreux collègues, il faut relever les publications assurées par « les capitalistes » eux-mêmes, car une politique de communication, certes modeste par rapport à l’usage actuel des médias, leur a permis de publier nombre d’ouvrages telles que des plaquettes, des livres anniversaires, des numéros spéciaux de revues27, qui évidemment devaient valoriser les activités des entreprises, en particulier dans l’outre-mer colonial (ou post-colonial). Dans le prestigieux et volumineux Le monde des affaires28, le déploiement ultramarin apparaît ainsi dans plusieurs sections ; et divers ouvrages ont été publiés, par exemple sur la compagnie minière Mokta ou des banques29. Cet ensemble de publications patronales mérite attention car elle procure des chronologies, des faits et un angle de perception de la réalité30.

2. Le renouveau de l’histoire des milieux d’affaires ultramarins

Cependant, l’école d’histoire économique coloniale (et « postcoloniale » 31) française a semblé marqué le pas dans la seconde moitié des années 1980 et pendant les années

24 Jean-Claude Maillart, Le marché internationale de la banane, Pessac, Université Michel de Montaigne-Bordeaux3, 1983.25 Yves Péhaut, Les oléagineux dans les pays d’Afrique occidentale associés au Marché commun, thèse de doctorat d’État, 1973,26 Cf. Cahiers d’outre-mer, numéro spécial n°200, 50e année, 1997, Bordeaux & l’outre-mer, 1948-1997. Notamment : Alain Huetz de Lemps, « Les géographes de Bordeaux & l’outre-mer », pp. 541-573. P. Vennetier, « 50 ans de Cahiers d’outre-mer. Essai de bilan scientifique », pp. 575-605.27 L’Illustration économique et financière. Nos possessions coloniales : l’Indochine, 1925. MAruis-Ary Leblond, Madagascar création française, Paris, Plon, 1934.28 Pierre Mayère, « Les affaires d’outre-mer », livre IX, in Jacques Boudet (et alii, dir.), Le monde des affaires en France de 1830 à nos jours, Paris, Société d’édition de dictionnaires et encyclopédies, 1952, pp. 469-508 (avec des études géographiques – « L’Afrique du Nord », « L’Afrique noire » – et des mini-monographies d’entreprise, telles SCOA, BAO, CNF, CFAO, Société du Haut-Ogooué ou Optorg).29 G. Duménil, La Banque d’Algérie et son rôle économique et financier, Paris, De Boccard, 1927. Ernest Picard, La monnaie et le crédit en Algérie depuis 1830, Alger, collection du centenaire de l’Algérie ; Paris, Jules Carbonnel & Plon, 1930.30 Luc Durand-Réville, Les investissements privés au service du Tiers-Monde, Paris, France-Empire, 1970.31 Emmanuelle Sibeud, « Post-Colonial et Colonial Studies : enjeux et débats », in « Table-ronde : Faut-il avoir peur des Cultural Studies ? », Bulletin de la Société d’histoire moderne & contemporaine, supplément de la Revue d’histoire moderne & contemporaine, 51-4bis, 2004, pp. 87-95.

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1990 ; l’épuisement de certaines formes d’analyse marxisante, la reconsidération32 d’une forme de « pensée unique » ayant insisté sur les « blocages » imposés par l’impérialisme ultramarin33 au profit de réflexions plus incertaines sur la réalité de l’héritage colonial, la mode d’autres courants de recherche historique (socio-culturelle, socio-politique, sociétale), l’éloignement de J. Marseille des thématiques ultramarines au profit d’une histoire plus centrée sur les enjeux de la compétitivité française, le départ à la retraite de nombre de pionniers, la faiblesse des investissements publics pour renforcer des pôles d’excellence en histoire ultramarine, contraints à se cantonner dans une toute petite demi-douzaine d’universités (Toulouse, Aix-en-Provence, Paris, Nantes-Lorient) et à peiner à obtenir des postes de professeur ou de maître de conférences ( d’où l’isolement géographique et humain de plusieurs chercheurs de cette sous-discipline (Le Havre, Bordeaux, etc.), la montée de l’histoire récente, voire immédiate, des pays du Tiers-Monde, les doutes sur la « nécessité » et l’efficacité de « la voie socialiste » choisie par de nombreux pays anciennement colonisés, constituent autant de facteurs d’explication. La France a pu alors paraître perdre pied quelque peu face à la forte montée en puissance des recherches en histoire économique ultramarine en Grande-Bretagne34 et aux États-Unis, avec des débats parfois torrides sur la réalité de l’impérialisme économique et de ses formes35. Quoi qu’il en soit, un mouvement de renaissance s’est déployé au tournant du XXIe siècle, et cette résurrection a été multiforme, grâce à la percée de deux nouvelles générations, l’une modeste quantitativement (les actuels quinquagénaires), mais féconde, l’autre ample et riche de promesses car impulsée par une strate de « juniors » dynamiques et bénéficiant des nouveaux cadres d’organisation de la vie académique (allocations, bourses, politique de centres de recherche). Ces deux générations ont bénéficié également de la percée d’une sous-discipline historique, l’histoire d’entreprise (ou : business history36), dont le corpus de méthodes de questionnement et d’analyse a revitalisé l’histoire économique, ce qui n’a pas manqué de jouer en faveur de l’histoire ultramarine puisque plusieurs historiens économistes ont appliqué à l’outre-mer leurs

32 Stuart Jones, « Economic interpretation of the nineteenth century imperialism », pp. 1-26; John Gallagher & Ronald Robinson, « The imperialism of free trade », pp. 27-44 ; David Kenneth Fieldhouse, « ‘Imperialism’: an historical revision », pp. 45-72; D.K. Fieldhouse, « The role of economics in the expansion of empires, 1830-1914 », pp. 107-123, in Economic Interpretations of Nineteenth Century Imperialism, numéro spécial de : South African Journal of Economic History, volume 4-1, mars 1992.33 Samir Amin, L’Afrique de l’Ouest bloquée : Économie politique de la colonisation, 1880-1970, Paris, 1971. Samir Amin, Impérialisme et sous-développement en Afrique, Paris, Anthropos, 1971. Samir Amin, L’impérialisme ou le développement inégal, Paris, Éditions de Minuit, 1976.34 William Gervase Clarence-Smith (dir.), Business Empires in Equatorial Africa, special issue, African Economic History, XII, 1983. Peter J. Cain & Anthony G. Hopkins, British Imperialism: Innovation and Expansion, 1688-1914, London & New York, Londres, 1993. Peter J. Cain & Anthony G. Hopkins, British Imperialism: Crisis and Deconstruction, 1914-1990, London & New York, Londres, 1993. Seconde édition, British Imperialism, 1688-2000, Harlow & New York, McMillan, 2001.35 Peter J. Cain & Anthony G. Hopkins, « Gentlemanly capitalism and British overseas expansion. I. The old colonial system, 1688-1850 », Economic History Review, XXXIX, 4, novembre 1986. Peter J. Cain & Anthony G. Hopkins, « Gentlemanly capitalism and British overseas expansion. II. The new imperialism, 1850-1945 », Economic History Review, XL, février 1987. Andrew Porter, « Gentlemanly capitalism and imperialism: the British experience since 1750? », Journal of Imperial and Commonwealth History, volume 18, 1990, pp. 265-295. Raymond Dumett (dir.), Gentlemanly Capitalism and British Imperialism: The New Debate on Empire, Londres et New York, Longman, 1999. Shigeru Akita (dir.), Gentlemanly Capitalism, Imperialism anf Global History, London & New York, Palgrave-McMillan, 2002.36 Anthony G. Hopkins, « Big business in African studies. Academic enterprise and business history », Journal of African Studies, 28, 1987, pp. 119-140 [un bilan historiographique].

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problématiques ou ont consacré une partie de leurs ouvrages consacrés à telle ou telle entreprise à la reconstitution du déploiement de celles-ci outre-mer.

A. Les débats sur la « mise en valeur »37 de l’empire

Au-delà des polémiques politiciennes et même parfois académiques, la vaste « mise en scène »38 de l’histoire coloniale depuis une décennie pour reconstituer « la société coloniale », « la culture coloniale », a servi de levier à des débats autour des lacunes, des retards ou des réalisations du colonisateur : alors que la propagande impériale a inondé de publications l’opinion éclairée en multipliant les reportages sur les équipements installés outre-mer, le débat s’est enclenché sur l’éventualité d’un sous-équipement de l’empire  et de ses effets sur le sous-développement. Chaque spécialité de la sous-discipline d’histoire d’entreprise s’est alors appliquée à préciser comment plusieurs branches d’activité se sont implantées outre-mer : stratégie, investissements, performances, efficacité, etc. ont constitué autant de thèmes d’étude. L’on a pu ainsi identifier des « spécialistes » de l’outre-mer (des ingénieurs et techniciens – les futurs « expat » du capitalisme post-indépendance –), des filiales de groupes métropolitains (Grands Travaux de Marseille, Dumez, etc.) ou des sociétés indépendantes (Dragages et travaux publics, pour l’Indochine) bien ancrées outre-mer, notamment dans les travaux publics39, l’équipement électrique40, l’équipement ferroviaire, la production minière, les hydrocarbures, parfois les plantations (Michelin en Indochine, Unilever en Afrique subsaharienne41, etc.), voire le textile, par le biais du grand plan cotonnier lié au fameux plan Bélime42 concernant l’aménagement du Niger et aux schémas d’aménagement des territoires de la boucle du Niger, le Soudan43 et du Tchad. Sans souci d’exhaustivité, l’on peut toutefois affirmer que la réalité des investissements mesurés dans les années 1960-1980 a ainsi pris corps et qu’une histoire (objective) du capitalisme ultramarin est désormais disponible – à travers des livres peu diffusés, convenons en, car l’histoire économique a peu d’adeptes… Même le plan Bélime, tant critiqué44 dans les années 1970 comme preuve de grands projets bousculant les équilibres socio-économiques locaux, a fini par prouver sa réussite, mais dans le cadre d’une maîtrise par les Etats indépendants (et avec plus du riz45 que du coton…). La conclusion est simple : grâce aux commandes publiques souvent, mais aussi grâce à des stratégies autonomes, nombre 37 Albert Sarraut, La mise en valeur des colonies françaises, Paris, Payot, 1923.38 Robert Aldrich, « Imperial Mise en valeur and Mise en scène: Recent works on French colonialism », The Historical Journal, volume 45, n°4, 2002, pp. 917-936.39 L’outre-mer revient au moins une vingtaine de fois dans : Dominique Barjot (et alii), La trace des bâtisseurs. Histoire du groupe Vinci, publication de Vinci, 1 cours Ferdinand-de-Lesseps, 92851 Rueil-Malmaison CEDEX, 2003. Cf. les passages sur l’outre-mer dans : Agnès d’Angio, Schneider & Cie et les travaux publics 1895-1949, Paris, École des chartes, 1995.40 Dominique Barjot (et alii, dir.) L’électrification outre-mer de la fin du XIXe siècle aux premières décolonisations, numéro spécial, Outre-Mers. Revue d’histoire, 1er semestre 2002, n°334-335 (publié en livre en parallèle, Publications de la SFHOM et Fondation Electricité de France, 2002).41 David Kenneth Fieldhouse, Unilever Overseas: The Anatomy of a Multinational, Londres, Crown Helm, 1978.42 Gabriel Angoulvant, Une politique nationale du coton par nos colonies : le projet Bélime, Paris, Éditions de 'Colonies et marine', 1921. AOF, Mission Bélime (1919-1920). Les irrigations du Niger, études et projets. Résumé, Paris, Émile Larose, 1921. Che ibane Coulibaly, Politiques agricoles et stratégies paysannes au Mali, 1910-1985 : le règne des mythes à l'Office du Niger, Collection Histoires rurales. Bamako, Mali, Cauri d'Or, 1997. Monica van Beurekom, African Farmers and Colonial Experts of the Office du Niger, Portsmouth, Heinemann-Oxford, James Currey, 2000.43 Raymond Gervais, « La politique cotonnière de la France dans le Mosi colonial (Haute-Volta) (1919-1940) », Revue française d’histoire d’outre-mer, 1er trimestre 1994, n°302, pp. 27-54. 44 À propos du travail forcé, cf. Amidu Magasa, Papa-commandant a jeté un grand filet devant nous. Les exploités du Niger, 1902-1962, Paris, François Maspéro, 1978 (une enquête d’histoire orale) ; réédition : Fondation Yeredon, 1999.

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d’entreprises ont consacré une partie parfois importante de leur chiffre d’affaires aux investissements ultramarins ; mais c’était généralement en complément de leurs activités métropolitaines (voire internationales), et un tel constat n’est en rien contradictoire avec les remarques de J. Marseille sur le « divorce » progressif entre capitalisme et outre-mer colonial ; l’empire a procuré nombre d’occasions d’affaires à saisir, il a été parfois « une bonne affaire » lors de certaines opérations profitables, parfois grâce aux garanties publiques, souvent grâce au protectionnisme pour les tarifs douaniers ou pour les appels d’offres publics. « La mise en valeur » a par conséquent été une réalité, sa chronologie et ses axes de mise en oeuvre ont été précisés, mais cela n’enlève rien aux lacunes, aux retards, aux inégalités dans ce proto-développement ; et le débat a été relancé sur la véritable contribution du capitalisme ultramarin à la vigueur du capitalisme métropolitain, que ce soit en France46 ou en Grande-Bretagne.

B. L’argent ultramarin enfin soupesé

Nous avouerons que cette sous-section nous concerne directement, en tant que spécialiste d’histoire bancaire… Certes, plusieurs articles avaient déjà paru auparavant sur telle ou telle opération, voire telle ou telle affaire reliant monde de l’entreprise et monde politique et diplomatique – et nous pensons aux publications de Pierre Guillen, à propos du Maroc financier de la Belle Époque47). Mais une véritable histoire des circuits de l’argent outre-mer manquait, et nous y avons apporté notre contribution : nous avons en effet précisé les contours d’un véritable système bancaire transméditerranéen (autour de la Compagnie algérienne48 et du Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie49) ou franco-africain (par le biais des réseaux d’agences et de refinancement du Comptoir national d’escompte de Paris, le parrain des banques coloniales50) ; Marc Meuleau a apporté une remarquable étude du système bâti par la Banque de l’Indochine51 ; Yasuo Gonjo a jaugé sa capacité 45 Pierre Bonneval, Marcel Kuper & Jean-Philippe Tonneau (dir.), L'Office du Niger, grenier à riz du Mali : succès économiques, transitions culturelles et politiques de développement, Montpellier, CIRAD, 2002.46 Patrick O’Brien & Leandro Prados de la Escosura, « Assessing the costs and benefits of the British, Dutch, French, Portuguese and Spanish Empires, 1415-1874 » ; François Crouzet & Jean-Pierre Dormois, « The significance of the French colonial empire for modern French economic development, 1815-1960 », Rivista de Historia Economica, 1998, 16 (1), pp. 323-349. Jacques Marseille (dir.), La France & l’outre-mer (actes du colloque de novembre 1996 ; Les relations économiques & financières entre la France & la France d’outre-mer), Paris, Publications du Comité pour l’histoire économique & financière de la France, 1998.47 Pierre Guillen, Les emprunts marocains, 1901-1904, Paris, Publications de la Sorbonne, 1972. Pierre Guillen, « Les investissements français au Maroc de 1912 à 1939 », in Maurice Lévy-Leboyer (dir.), La position internationale de la France, Paris, EHESS, 1977, pp. 399-412.Jean-Claude Allain, « Les emprunts d’État marocains », in Charles-Robert Ageron (dir.), Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial, 1936-1956, Paris, Institut d’histoire du temps présent & Éditions du CNRS, 1986, pp. 131-145. 48 H. Bonin, « La Compagnie algérienne levier de la colonisation et prospère grâce à elle (1865-1939) », Revue française d’histoire d’outre-mer, n°328-329, second semestre 2000, pp. 209-230. « Une histoire bancaire transméditerranéenne : la Compagnie algérienne, d’un ultime apogée au repli (1945-1970) », in Daniel Lefeuvre (et alii, dir.), La Guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises (En l’honneur de Charles-Robert Ageron), Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer, 2000, pp. 151-176 (seconde édition en 2005).49 . Bonin, Un outre-mer bancaire méditerranéen. Le Crédit foncier d’Algérie & de Tunisie (1880-1997), Paris, Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer, 2004. H. Bonin, « Une banque française maître d’oeuvre d’un outre-mer levantin : le Crédit foncier d’Algérie & de Tunisie, du Maghreb à la Méditerranée orientale (1919-1970) », in Outre-Mers. Revue d’histoire, premier semestre 2004, tome 91, n°342-343, pp. 239-272.50 H. Bonin, « Le Comptoir national d’escompte de Paris, une banque impériale (1848-1940) », Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 78, n°293, 1991, pp. 477-497. 51 Marc Meuleau, Des pionniers en Extrême-Orient. La Banque de l’Indochine, 1875-1975, Paris, Fayard, 1990.

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d’influence au sein de la politique indochinoise de la France52, et plusieurs publications ont scruté le déploiement des banquiers français dans l’ensemble de l’Asie53, notamment sur Hong Kong. Enfin, des ouvrages ont précisé les contours de l’émergence d’un système bancaire en Afrique occidentale54.

Nous-même et nos collègues avons précisé comment les banques d’affaires (Banque de l’union parisienne55, Paribas56, Mirabaud57) se sont impliquées dans la mise en valeur des potentialités économiques ultramarines. Là encore, l’on peut dessiner de beaux ensembles de flèches de contrôle ou de participation (comme l’a fait J. Suret-Canale58 ou comme le font certains étudiants), souligner la réalité de véritables stratégies ultramarines, préciser les dossiers clés qui ont ponctué l’histoire de chaque maison, et identifier des opérations de représentation des intérêts à propos de tel ou tel enjeu59. Il n’en reste pas moins que cette histoire bancaire ultramarine n’a constitué qu’un pan parmi d’autres de leur activité et qu’il ne faut pas en faire la clé leur vie (dans les années 1900-1940) ou de leur survie (dans les années 1950-1960) ; et si le goût du lucre et l’avidité impérialistes ont conduit à un engagement dans tel ou tel projet de façon quelque peu « lourde » – d’où des « affaires » quand la presse et l’opposition en rendaient compte (« affaire de l’Ouenza, « affaire du chemin de fer du Yunnan », etc.) –, dans d’autres cas, les investisseurs regardaient à deux fois avant d’engager des capitaux et même restaient « à la traîne »60. Cela dit, on sait

52 Yasuo Gonjo, Banque coloniale ou banque d’affaires. La Banque de l’Indochine sous la IIIe République, Paris, Publications du Comité pour l’histoire économique & financière de la France, 1993.53 H. Bonin, « The French banks in the Pacific area (1860-1945) », in Olive Checkland, Shizuya Nishimura & Norio Tamaki (dir.), Pacific Banking (1859-1959). East meets West, Londres, MacMillan, et New York, St. Martin’s Press, 1994, pp. 61-74. H. Bonin, « L’activité des banques françaises dans l’Asie du Pacifique des années 1860 aux années 1940 », Revue française d’histoire d'outre-mer, 1994, tome 81, n°305, pp. 401-425. H. Bonin, « Les banquiers français à Shanghai dans les années 1860-1940 », in Le Paris de l’Orient. Présence française à Shanghai, 1849-1946, Musée Albert Kahn, Boulogne/Seine, 2002, pp. 113-119. E.W. Edwards, « The origins of British financial co-operation with France in China, 1906-1961 », English Historical Review, 1971, LXXXVI, pp. 285-317. E.W.Edwards, « British policy in China, 1913-1914. Rivalry with France in the Yangtze Valley », Journal of Oriental Studies, 40, 1977, pp. 20-36.54 Yves Ekoué Amaïzo, Naissance d’une banque de la zone franc, 1841-1901. La Banque du Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2001. Jacques Alibert, De la vie coloniale au défi international. Banque du Sénégal, Banque de l'Afrique occidentale, B.I.A.O. 130 ans de banque en Afrique, Paris, Chotard, 1983. Compléter pour l’Afrique de l’océan Indien par : Louis-Bernard Rakotomanga (et alii), Madagascar, cent ans d’expériences bancaires, 1866-1986, Antananarivo, Bankin’ny Tantsaha Mpamokatra, 1987.55 H. Bonin, La Banque de l’union parisienne. Histoire de la deuxième banque d’affaires française (1874/1904-1974), Paris, PLAGE, 2001. En contrepoint : « Eldorado ou Panama ? », in Henri Coston, La Haute Banque et les trusts. Les financiers qui mènent le monde, Paris, La Librairie française, 1960 (livre-pamphlet), pp. 368-380,56 Éric Bussière, Paribas, l’Europe et le monde, 1872-1992, Anvers, Fonds Mercator, 1992.57 Isabelle Chancelier, Messieurs Mirabaud et Cie. D’Aigues-Vives à Paris, via Genève et Milan, Paris, Éditions familiales, 2001. Cf. « Famille Mirabaud », dans le livre-pamphlet d’Henri Coston, Le retour des ’’200 familles’’, La librairie française, 1960, p. 38.58 Jean Suret-Canale, « Les banques d’affaires et l’outre-mer dans les années 1950-1980 », in La France et l’outre-mer. Un siècle de relations monétaires et financières, Paris, CHEFF, 1998, pp. 485-495.59 H. Bonin, « Les réseaux bancaires parisiens et l’empire : comment mesurer la capacité d’influence des ’’banquiers impériaux” ? », in Hubert Bonin, Catherine Hodeir & Jean-François Klein (dir.), L’esprit économique impérial (1830-1970). Groupes de pression & réseaux du patronat colonial en France & dans l’empire, Paris, Publications de la SFHOM, 2007.60 Mohamed Lazhar Gharbi, Le capital français, à la traîne. Ébauche d’un réseau bancaire au Maghreb colonial (1847-1914), Tunis, Université de la Manouba, 2003. Mohamed Lazhar Gharbi, Impérialisme et réformisme au Maghreb. Histoire d’un chemin de fer algéro-tunisien,

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désormais comment fonctionne l’empire bancaire, qui reste durablement un pôle d’attraction puisque les banques de dépôts l’ont rejoint (Crédit lyonnais et Société générale, puis plus tard, BNCI puis BNP-international)61 pour gérer les flux générés par les grandes entreprises et le secteur public, capter l’épargne des colons (puis Européens de souche ou expatriés) aisés et, comme les autres banques, s’insérer dans le financement du négoce international des denrées et des matériaux ultramarins. L’on perçoit aussi que la concurrence interbancaire était une réalité outre-mer – même en Indochine, malgré la domination de la Banque de l’Indochine – et que les banques n’y avaient rien d’archaïque ou de superficiel, même si, à l’évidence, la masse des colonisés n’appartenait pas à leur sphère d’action, malgré l’émergence timide de Caisses d’épargne ou de caisses de Crédit agricole62.

C. La reconsidération des activités du négoce ultramarin

Jusqu’aux années 1980, la pensée dominante quant aux activités du négoce outre-mer en faisait un exploiteur du peuple autochtone, un animateur du processus de « rente » (« la traite »), réduisant au maximum les prix d’achat des « produits », spéculant à la hausse à leur revente sur les ports européens, et accumulant des surprofits à la vente des « marchandises » à l’abri des chasses gardées protectionnistes ; cette vision correspondait d’ailleurs à la fois à l’opinion des anciens administrateurs coloniaux, qui auraient affronté les compagnies – d’où l’opinion transmise ici et là par Robert Cornevin, un ancien administrateur –, et au sentiment tiers-mondiste considérant ces sociétés comme des rentières qui ne se seraient jamais souciées du développement africain ou indochinois et en particulier de l’industrialisation. Le quasi-vide scientifique sur l’histoire du négoce a contribué à alimenter ces fausses évidences, d’autant plus que, pendant longtemps, l’on a perçu ces firmes selon le « modèle » des sociétés concessionnaires prédatrices63 qu’avait remarquablement étudiées C. Coquery-Vidrovitch pour l’Afrique centrale française des années 1880-1910. Nous devons confier que notre livre sur la CFAO64 a été mal perçu par nombre de collègues qui ont eu l’impression d’une réhabilitation hagiographique dans le cadre d’un livre de commande ; or ses quelque 600 pages, appuyées sur des archives exhaustives, citées amplement et non par bribes unilatérales, ont bien prouvé que de telles firmes ont été marquées par un esprit d’entreprise et une stratégie, ont été engagées dans une compétition rudoyante – malgré des ententes locales sur le prix des produits –, sont allées chercher cette concurrence dans les territoires britanniques65, et ont tenté de contribuer au développement en fonction de leur marge de manoeuvre (formation d’une strate d’employés « évolués », africanisation précoce, refus de se soumettre aux diktats colonialistes de certains gouverneurs, élévation du niveau de modernité de l’économie par l’offre de prestations de services après-vente et de biens

Tunis, Cérès Éditions, 1994.61 H. Bonin, « L’outre-mer, marché pour la banque commerciale (1876-1985) ? », in Jacques Marseille (dir.), La France & l’outre-mer (actes du colloque de novembre 1996 ; Les relations économiques & financières entre la France & la France d’outre-mer), Paris, Comité pour l’histoire économique & financière de la France, 1998, pages 437-483.62 « Le problème du Crédit agricole en Tunisie », in Mohamed Lazhar-Gharbi, Le capital français à la traîne. Ébauche d’un réseau bancaire au Maghreb colonial, 1847-1914, Tunis, Université de la Manouba, 2003.63 Catherine Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, 1972 (réédition à Paris, Publications de l’ÉHESS, 2004).64 Hubert Bonin, CFAO (Compagnie française de l’Afrique occidentale). Cent ans de compétition (1887-1987), Paris, Économica, 1987.65 H. Bonin, « Des négociants français à l’assaut des places fortes commerciales britanniques : CFAO et SCOA en Afrique occidentale anglaise puis anglophone », in H. Bonin & Michel Cahen (dir.), Négoce blanc en Afrique noire. Le commerce de longue distance en Afrique subsaharienne du XVIIIe au XXe siècles, Paris, Publications de la SFHOM, Paris, 2001, pp. 147-169.

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d’équipement, enfin, investissements dans de petites unités de transformation de matériaux locaux dans le cuir, le coton, etc.).

Certes, des disparités énormes ont marqué cette économie commerciale entre d’innombrables PME souvent spéculatrices et peu soucieuses du droit du travail – d’où le tollé contre l’application d’un Code du travail66 au milieu des années 1950 – et des groupes structurés et attachés à une forme de durable de croissance (certes capitaliste, donc avec des profits…). Mais l’histoire du négoce a franchi désormais une étape, car elle est devenue une sous-discipline reconnue en histoire économique contemporaine67 au-delà de la légitimité qui était la sienne en histoire moderne68, et elle s’inscrit dans ce courant de reconstitution des fonctions des firmes de commerce de gros au sein des univers ultramarins, coloniaux69 ou non, dans le sillage de la percée générale de l’histoire des services. Notre colloque sur l’histoire du négoce à longue distance70 l’a bien montré, tandis que nombre de collègues africanistes, en dessinant les contours de l’économie marchande autochtone en Afrique subsaharienne71, ont confirmé indirectement que le « commerce de traite » n’avait nullement asphyxié le commerce local, contrairement à la perception dominante dans les analyses tiers-mondistes des années 1970 ; d’ailleurs, quand le modèle économique des factoreries72 s’est effondré, les firmes ont cédé leur commerce de détail à des Africains, même si les Syro-Libanais (ou les Indiens à l’Est) ont souvent émergé comme acteurs clés du commerce de demi-gros. Cette histoire du négoce pose la question de savoir comment ont évolué les firmes actives dans les empires73, quel modèle économique elles ont adopté après les indépendances, si elles se sont intégrées au monde du « négoce international »74, comment elles se sont redéployées en France même ou ont réactivé leurs activités ultramarines75, ou enfin si elles se sont étiolées.

D. Les débats sur les réseaux d’influence

66 Cf. le gros chapitre historiographique dans Hélène d’Almeida-Topor, Monique Lakroum & Gerd Spittler, Le travail en Afrique noire. Représentations et pratiques à l’époque contemporaine, Paris, Karthala, 2003. 67 Le livre pionnier et levier est : Geoffrey Jones (dir.), The Multinational Traders, London & New York, Routledge international studies in business history, Routledge, 1998.68 Cf. Le livre passionnant d’Olivier Pétré-Grenouilleau, Les négoces maritimes français, XVIIe-XXe siècles, Paris, Belin, 1997. Il souligne lui-même (p. 252) : « La fin du XIXe et le XXe siècles n’ont guère été étudiés par les historiens. »… Voir aussi : Olivier Pe tre-Grenouilleau, From Slave Trade to Empire: Europe and the Colonisation of Black Africa, 1780s-1880s, Routledge studies in modern European history, 8., London, Routledge, 2004.69 Cf. Carol Matheson Connell, A Business in Risk. Jardine Matheson and the Hong Kong Trading Industry, 2004.70 H. Bonin & Michel Cahen (dir.), Négoce blanc en Afrique noire. Le commerce de longue distance en Afrique subsaharienne du XVIIIe au XXe siècles, Paris, Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer, Paris, 2001 [actes du colloque de septembre 1999 à l’Institut d’études politiques de Bordeaux].71 Cf. Catherine Coquery-Vidrovitch, « African businesswomen in colonial and postcolonial Africa: A comparative survey », in Alusine Jalloh & Toyin Galola (dir.), Black Business and Economic Power, Rochester, Rochester University Press, 2002, pp. 199-211. Jean-Louis Amselle, Les négociants de la savane, Paris, Anthropos, 1977.72 Cf. Raymond Vacquier, Au temps des factoreries (1900-1950), Paris, Khartala, 1986.73 David Kenneth Fieldhouse, Merchant Capital and Economic Decolonization: The United Africa Company, 1929-1987, Oxford, Clarendon Press, 1994. H. Bonin, CFAO (1887-2007). La réinvention permanente d’une entreprise de commerce outre-mer, Paris, Publications de la SFHOM, Livre à sortir en 2007-2008.74 Cf. Le livre pionnier de Philippe Chalmin, Négociants et chargeurs. La saga du négoce international des matières premières, Paris, Economica, 1985, avec de bons développements historiques.75 Elsa Assidon, Le commerce captif. Les sociétés commerciales françaises de l’Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 1989.

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La perception d’une toute-puissance supposée du négoce a négligé la réalité de la division au sein des milieux d’affaires, y compris face au libre échange. Or, depuis les analyses structurées et enrichissantes de nos collègues nord-américains et de C.R. Ageron sur « le parti colonial », la « nouvelle génération » d’historiens français a mobilisé la « boîte à outils » des politologues (Jean Meynaud, Yves Mény, etc.) et des politistes (Jean Garrigues) pour bâtir une histoire à la fois nouvelle (car considérablement élargie) et rénovée (car nourrie de nouvelles problématiques et débouchant parfois sur de nouvelles conclusions) des milieux d’affaires tournés vers l’outre-mer. Catherine Hodeir a ouvert la voie à une réévaluation des groupes de représentation d’intérêts76 au coeur du « système économique impérial » pendant les années 1930-1950, en insistant sur la complexité des stratégies et des opinions. Certes, des hommes d’affaires, des entreprises, des organisations professionnelles ont exprimé une culture impériale, la défense d’intérêts impériaux voire impérialistes, et ont constitué une micro-société dotée de ses réseaux d’influence, de ses cercles de sociabilité, de réflexion et de légitimation, et certaines figures ont commencé à émerger grâce à certains ouvrages, tel André Lebon77. Notre programme de recherche L’esprit économique impérial est venu précisément délivrer une première synthèse de ces percées effectuées par trois douzaines d’historiens (dont beaucoup de juniors)78. Les débats portent notamment sur l’impulsion donnée par les milieux d’affaires au processus d’approfondissement de la colonisation dans les années 1880-1910, sur leurs réseaux au sein de la IIIe République naissante puis mûre, sur les tactiques protectionnistes dans l’entre-deux-guerres avec comme point culminant la première moitié des années 1930, les positions face aux nouvelles conceptions de l’empire pendant le régime de Vichy79 et surtout au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et enfin les attitudes face aux projets de « repli de l’empire »80.

Bien évidemment, à l’occasion de certaines opérations, la mobilisation des jeux d’intérêts a été tentée et même réussie81. Pourtant, globalement, il en ressort que l’appareil économique d’État et le monde des affaires dans son ensemble n’ont pas été tout le temps, sur tous les sujets, systématiquement, soumis à l’influence des 76 Catherine Hodeir, Stratégies d’empire. Le grand patronat colonial face à la décolonisation (1945-1962), Paris, Belin, 2003.77 Joël Dubos, André Lebon. Un homme d’affaires en République (1858-1938), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003.78 Hubert Bonin, Catherine Hodeir & Jean-François Klein (dir.), L’esprit économique impérial (1830-1970). Groupes de pression & réseaux du patronat colonial en France & dans l’empire, Paris, Publications de la SFHOM, 2007.79 Catherine Hodeir, « Le Comité central des groupements professionnels coloniaux, forteresse et pépinière du grand patronat colonial ? », in Hervé Joly (dir.), Les comités d’organisation et l’économie dirigée du régime de Vichy, Caen, Centre de recherche d’histoire quantitative, 2004, pp. 181-189.80 H. Bonin, « La perception de la puissance de la France impériale », in H. Bonin, « Les milieux d’affaires et la perception de la puissance française au tournant des années 1960 », Relations internationales, n°57, printemps 1989, pp. 49-76. Roger Pasquier, « Les milieux d’affaires face à la décolonisation, 1956-1960, d’après quelques publications », in Charles-Robert Ageron & Marc Michel (dir.), L’Afrique noire : l’heure des indépendances, Paris, Éditions du CNRS, 1992, pp. 297-314. En contrepoint : Emmanuel Beau de Loménie, L’Algérie trahie par l’argent, Paris, 1957. Luc Durand-Réville, « La décolonisation et ses conséquences sur les investissements privés français », Revue politique et parlementaire, n°717, novembre 1961, pp. 17-24.81 Par exemple : Marcel Courdurié & Xavier Daumalin, « “Le secret de l’affaire tunisienne” ou le rôle des entrepreneurs marseillais dans la conquête de la Tunisie », in Histoires d’outre-mer. Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Miège, Marseille, Publications de l’Université de Provence, tome 1, 1992, pp. 285-296. Charles Fourniau, « Politique coloniale ou “politique mondiale” : Doumer et le Yunnan », in Histoires d’outre-mer. Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Miège, Marseille, Publications de l’Université de Provence, tome 1, 1992, pp. 49-73.

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milieux d’affaires ultramarins, ni « conquise »82 par leurs réseaux, mais que ces derniers se sont peu à peu structurés, ramifiés, dotés d’une capacité de légitimation intellectuelle, voire académique et éditoriale. Daniel Lefeuvre, devenu l’une des figures de proue de l’histoire économique ultramarine en France depuis une décennie, a ainsi produit un beau cas d’étude à propos de l’Algérie en jaugeant les politiques des milieux d’affaires à propos de la promotion et de la défense des intérêts français et des débats autour de l’industrialisation83 et donc de la « mise en valeur » de la colonie.

E. La perception d’un modèle décentralisé des milieux d’affaires ultramarins

Enfin, la consolidation de l’histoire des milieux d’affaires ultramarin a permis de vérifier l’idée que l’histoire du capitalisme contemporain ne repose pas entièrement sur les cercles d’action parisiens et que des pôles d’initiative stratégique, financière et relationnelle se sont cristallisés « en province ». L’inégalité des recherches reflète le degré de priorité donnée par telle ou telle université à l’histoire d’outre-mer, et il faut avouer que des terrae incognitae subsistent encore car l’histoire moderne et de la première moitié du XIXe siècle l’a souvent emporté sur celle des périodes plus récentes, comme au sein du pôle Lorient-Nantes,84 malgré quelques percées ; et plusieurs recherches sur ces pôles régionaux ont été impulsées depuis Paris, en particulier la thèse flamboyante de Claude Malon sur Le Havre ultramarin85 où il montre bien comment un « système » économique, socio-mental et bourgeois s’est cristallisé au fil des décennies, en parallèle aux pôles d’influence liés aux activités transatlantiques et industrielles.

La vitalité du pôle de recherches marseillais, durant les années 1980-2000, a permis de bâtir une véritable cathédrale de livres, tant dans le sillage de la Chambre de commerce, qui avait construit une merveilleuse collection d’ouvrages robustes et défricheurs86 que dans diverses publications universitaires ; si le décès du principal animateur de ce pôle à la CCIMP a suspendu ce mouvement, le relais a été fermement assumé par l’université voisine, notamment autour de Colette Dubois87 et désormais de Xavier Daumalin. De même, en ce début du XXIe siècle, c’est à Toulouse qu’a peu à peu émergé un pôle d’excellence en histoire ultramarine contemporaine, au sein de

82 Pour reprendre l’expression concernant l’ensemble de l’opinion publique employée par Pascal Blanchard & Sandrine Lemaire, Culture coloniale. La France conquise par son empire, 1871-1931, Collection Mémoires, n°86, Paris, éditions Autrement, 2003. Tony Chafer & Amanda Sackur (dir.), Colonial Idea: Propaganda and Visions of Empire in France, Londres, MacMillan-Palgrave, 2001.83 « Industrialisation et grand capital », in Daniel Lefeuvre, Chère Algérie, 1930-1962, Paris, Publications de la SFHOM, 1997, pp. 327-329.84 Voir le « beau livre » : Olivier Pétré-Grenouilleau, Nantes, Plomelin, Éditions Palantines, 2003.85 Claude Malon, Le Havre colonial de 1880 à 1960, Le Havre, Publications des Universités de Rouen et du Havre-Presses universitaires de Caen, 2005.86 Par exemple : Xavier Daumalin, « Frédéric Bohn, l’Africain, 1852-1923 », in Marcel Courdurié & Guy Durand (dir.), Entrepreneurs d’empires, Collection de l’histoire du commerce et de l’industrie de Marseille aux XIXe et XXe siècles, tome 13, Marseille, Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence, 1998, pp. 199-268. Xavier Daumalin, « Marseille, l’Ouest africain et la crise », Marcel Courdurié & Jean-Louis Miège (dir.), Marseille colonial face à la crise de 1929, Collection de l’histoire du commerce et de l’industrie de Marseille aux XIXe et XXe siècles, tome 13, Marseille, Chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence, 1991, pp. 167-244. Olivier Lambert, Marseille entre tradition et modernité. Les espérances déçues (1919-1939), Marseille, Publications de la Chambre de commerce & d’industrie, 2000. Olivier Lambert, Marseille et Madagascar. Entrepreneurs et activités portuaires, stratégies économiques et mentalités coloniales (1840-1976), Marseille, Publications de la Chambre de commerce & d’industrie, 2000.87 Cf. Colette Dubois, L’or blanc de Djibouti. Salines et sauniers (XIXe-XXe siècles), Paris, Karthala, 2003.

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l’UMR FRAMESPA, qui développe des programmes de recherche ouverts sur l’histoire économique, en particulier celle du tourisme ultramarin, voire l’histoire des « cultures coloniales »88. De façon étonnante enfin, il est apparu que Lyon, qui n’est pourtant pas un port maritime, avait affirmé une relative stratégie impériale, au-delà des missions catholiques, comme l’a bien prouvé J.-F. Klein à propos des desseins commerciaux des entreprises lyonnaises89.

A contrario, le pôle girondin, réputé en histoire moderne et en géographie tropicale90, a perdu pied en histoire économique ultramarine contemporaine, avant un réveil récent, d’où de multiples lacunes dans l’histoire de l’économie ultramarine contemporaine tant du pôle d’échanges girondin que des économies avec lesquelles il était en relation de domination négociante ou transitaire ou de flux d’import-export. D’ailleurs, le manque d’intérêt de la communauté historienne explique que l’on ait laissé les maisons de commerce détruire toutes leurs archives quand elles se sont effondrées dans les années 1960-1970. L’histoire du rôle joué par Bordeaux (son port91, ses entreprises, ses élites patronales, ses institutions représentatives92, ses groupes de représentation d’intérêts) dans la colonisation économique et dans l’évolution économique ultramarine fournit de nombreuses terrae incognitae ; et ce sont souvent des « horsains », des chercheurs d’autres pôles universitaires, qui ont effectué quelques percées historiques, mais sans ensemble structuré et durable93. Heureusement, plusieurs projets ont permis d’initier une approche du système ultramarin impérial girondin (système bancaire, réseaux d’influence, stratégies familiales94, industrie huilière95, système économique colonial96), appelée à se développer dans la décennie à venir. Le géographe Yves Péhaut, sur la base de sa 88 Colette Zytnicki & Chantal Bordes-Benayoun, Sud-Nord. Cultures coloniales en France (XIXe-XXe siècles), Toulouse, Privat, 2004. Habib Kazdaghli, Colette Zytnicki, Driss Boumeggouti & Alet Valero (dir.), Pour une histoire du tourisme au Maghreb, XIXe-XXe siècles, n° spécial de Revue Tourisme, numéro 15, juin 2006.89 Jean-François Klein, Un Lyonnais en Extrême-Orient. Ulysse Pila vice-roi de l'Indochine (1837-1909), Lyon, Lugd, 1994. Jean-François Klein, « De la Compagnie lyonnaise à l’Union commerciale indochinoise. Histoire d’une stratégie d’entreprises », in Lyon et l’Extrême-Orient, numéro spécial, Les Cahiers d’histoire, tome XL, 1995, n° 3-4, pp. 349-370. Jean-François Klein, « Ulysse Pila, l’âme coloniale de la Chambre de commerce de Lyon (1889-1906) », Revue d’histoire consulaire, n° 12, mai 1997, pp. 12-17. Jean-François Klein, « Lyon, l’exception coloniale : Auguste Isaac défenseur de l’industrialisation indochinoise », in Hervé Joly (dir.), Patronat, bourgeoisie, catholicisme et libéralisme. Autour du journal d'Auguste Isaac, Lyon, LAHRA (Cahiers Pierre Léon n°5), 2004, pp. 91-108. Jean-François Klein, Soyeux en mer de Chine. Stratégies des réseaux lyonnais en Extrême-Orient (1843-1906), Paris, Les Indes savantes, à paraître.90 Cf. Cahiers d’outre-mer, numéro spécial n°200, 50e année, 1997, Bordeaux & l’outre-mer, 1948-1997. Notamment : Alain Huetz de Lemps, « Les géographes de Bordeaux & l’outre-mer », pp. 541-573. P. Vennetier, « 50 ans de Cahiers d’outre-mer. Essai de bilan scientifique », pp. 575-605.91 . Robert Chevet, Le port de Bordeaux au XXe siècle, Bordeaux, L’Horizon chimérique, 1995.92 Paul Butel (dir.), Histoire de la Chambre de commerce et d’industrie de Bordeaux des origines à nos jours (1705-1985), Bordeaux, CCIB, 1987. Le livre consacre peu de lignes aux représentants du négoce africain, asiatique ou antillais.93 Pierre Guillaud, Vie et mort des sociétés commerciales coloniales bordelaises de la côte occidentale d’Afrique : Peyrissac, 1847-1963, thèse de l’Université de Paris 7, 1988 (non publiée). Joan Droege Casey, Bordeaux Colonial Port of 19th Century France, Dissertation in European Economies, New York, Arno Press, 1981. Régis Robin, « La Grande Dépression vue et vécue par une société d’import-export en AOF : Peyrissac (1924-1939 », Revue française d’histoire d’outre-mer, numéro spécial L’Afrique et la crise de 1930 (1924-1938), n°232-233, 1976, pp. 544-554. Alain Simon, Comptoirs et villes coloniales du Sénégal. Saint-Louis, Gorée, Dakar, Paris, Karthala-ORSTOM, 1993. Kham Vorapheth, « Troisième Partie. Denis frères », Commerce et industrialisation en Indochine, 1860-1945, Paris, Les Indes savantes, 2004, pp. 425-515 ; l’auteur se concentre largement sur l’étude du positionnement stratégique de la firme. Jean-Luc Angrand, Céleste ou le temps des signares, Sarcelles, Édition Anne Pépin, 2006.

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thèse pionnière97, a ainsi entrepris une vaste recherche pour reconstituer l’histoire de la maison de négoce girondine Maurel & Prom, de ses origines dans les années 1830-1850 à ses crises du milieu du XXe siècle, grâce au gros fonds d’archives cédé par les gestionnaires de la société défaillante aux Archives départementales de la Gironde dans les années 1980, ce qui permet d’ores et déjà de disposer de réflexions intéressantes98.

Plus novateur encore est le questionnement concernant les activités et l’influence des milieux d’affaires au coeur même de l’empire, sur place outre-mer par conséquent. Après la synthèse passionnante concernant les intérêts français en Égypte99, une percée significative a été réalisée depuis quelques années de façon exemplaire à propos du monde capitaliste en Indochine100, et l’on comprend mieux à la fois les stratégies des firmes et leur capacité à structurer un petit système économique ultramarin. Malheureusement, une floraison d’études manque encore à propos de l’Algérie, où le livre clé de D. Lefeuvre mériterait d’être suivi par de multiples analyses sectorielles – car seule l’économie électrique a été reconstituée, avec quelques ouvertures sur l’économie des hydrocarbures par le biais de l’histoire des compagnies pétrolières et de l’appareil économique d’État, voire la colonisation foncière101. L’histoire des milieux d’affaires au Maroc se livre par quelques aperçus

94 H. Bonin, Les patrons du Second Empire. Bordeaux & en Gironde (dictionnaire), Paris, Picard-Cénomane, 1999.95 Paul Terrasson, L’industrie huilière en France et en Aquitaine de 1945 à 1933. Rappel des origines, Bordeaux, La Mémoire de Bordeaux, 1996.96 Souad Boukarta, Bordeaux, une économie et une société coloniales au début du XXe siècle, numéro spécial du Bulletin de l’Institut aquitain d’études sociales, n°81-82, printemps 2004 (publication du mémoire de maîtrise de 2002, Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3).97 Yves Péhaut, Les oléagineux dans les pays d’Afrique occidentale associés au Marché commun, thèse de doctorat d’État, 1973.98 Yves Péhaut, « Géographie, colonies et commerce à Bordeaux, 1874-1939 », in Michel Bruneau & Daniel Dory (dir.), Géographie des colonisations, Paris, L’Harmattan, 1994, pp. 77-94.99 Samir Saul, La France et l’Égypte de 1882 à 1914. Intérêts économiques et implications politiques, Paris, Publications du CHEFF, 1997. La jeune historienne Caroline Piquet s’affirme comme une spécialiste de l’implantation de la Compagnie du canal de Suez au coeur de l’économie et de la société égyptiennes.100 Pierre Brocheux & Daniel Hémery, Indochine, la colonisation ambiguë, 1858-1954, Paris, La Découverte, 1995. Kham Vorapeth, Commerce et colonisation en Indochine, 1860-1945. Les maisons de commerce françaises, un siècle d’aventure humaine, Paris, Les Indes savantes, 2004. Patrice Morlat, Indochine années vingt. Le Balcon de la France sur le Pacifique, Paris, Les Indes Savantes, 2001. Patrice Morlat, Indochine années vingt : le rendez-vous manqué. La politique indigène des grands commis au service de la mise en valeur, Paris, Les Indes savantes, 2005. Jean-François Klein, Un Lyonnais en Extrême-Orient. Ulysse Pila vice roi de l’Indochine, Lyon, Éditions lyonnaises d’art et d’histoire. Martin Murray, The Development of Capitalism in Colonial Indochina (1870-1940), Berkeley, 1980. Gilles de Gantès, Indochine coloniale et capitalisme français, mémoire de DEA de l’Université Paris VII, juin 1990 ; Coloniaux, gouverneurs et ministres. L’influence des Français du Viet-Nam sur l’évolution du pays à l’époque coloniale (1902-1914), thèse de doctorat de l’Université Paris VII, 1994. 101 Claude Lützelschwab, La Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif (1853-1956). Un cas de colonisation privée en Algérie, Berne, Peter Lang, 2006. Xavier Yacono, La colonisation des plaines du Chérif, Alger, 1956. Julien Franc, La colonisation de la Mitidja, Paris, 1928. Jean Poncet, La colonisation et l’agriculture européennes en Tunisie depuis 1881, Paris-La Haye, Mouton, 1961. Guy Pervillé, « Une terre possédée et cultivée par des Français ? », Pour une histoire de la Guerre d’Algérie, Paris, Picard, pp. 29-35. Ahmed Henni, La colonisation agraire et le sous-développement en Algérie, 1830-1954, Alger, 1982.

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fragmentaires102, en attendant la publication de la thèse de G. Hatton103. Enfin, paradoxalement, une reconstitution globale de l’histoire des milieux d’affaires dans nos « vieilles colonies » manque encore, malgré quelques approches sectorielles104 ou la percée de l’histoire du patrimoine légué par l’économie sucrière ; ainsi, l’économie et la société du rhum, le dualisme des dynasties familiales entre les Antilles et leurs bases d’affaires métropolitaines (Le Havre, Bordeaux, notamment) mériteraient des études.

Conclusion

Au terme de ce parcours historiographique, il nous semble qu’on en est bien revenu de L’Assiette au beurre coloniale105, encore que chacun reste libre de son opinion vis-à-vis de la colonisation, du colonialisme, voire de l’impérialisme ou même du capitalisme. L’utilisation du terme « impérial » par rapport au terme « impérialiste » relève d’un choix, dont chacun garde la responsabilité106. Notre propos a juste désiré scruter les parcours des historiens en deux vagues, dans les années 1960-1980 et dans les années 1980-2000 : désormais, l’on ne peut plus dire que l’histoire des liens entre capitalisme et colonisation est à écrire107, car l’école française d’histoire économique ultramarine histoire s’insère efficacement dans le renouveau de l’histoire coloniale108 ou dans l’histoire des relations économiques Nord-Sud109 ; et elle contribue ainsi efficacement, malgré ses lacunes et la multiplicité des pistes d’enquête encore à suivre, à l’histoire ultramarine en générale.

102 René Galissot, Le patronat européen au Maroc. Action sociale, action politique (1931-1942), Rabat, Éditions techniques nord-africaines, 1964. Samir Saul, « La Banque d’État du Maroc et la monnaie sous le protectorat », dans Jacques Marseille (dir.), La France & l’outre-mer. Les relations économiques & financières entre la France & la France d’outre-mer), Paris, Publications du Comité pour l’histoire économique & financière de la France, 1998, pp. 389-427. Charles-Robert Ageron, « Le ‘parti colonial’ et la crise franco-marocaine jusqu’à la déposition du sultan Mohammed V », in Le Comité France-Maghreb : réseaux intellectuels et d’influence face à la crise marocaine (1952-1955), Cahiers de l’IHTP, n°38, décembre 1997, pp. 45-68.103 Georges Hatton, Les enjeux financiers et économiques du protectorat marocain (1936-1956). Politique publique et investisseurs privés, Paris, Publications de la SFHOM, à paraître en 2008.104 Par exemple: Christian Schnakenbourg, La Compagnie sucrière de la Pointe-à-Pitre (E. Souques & Cie). Histoire de l'usine Darboussier de 1867 à 1907, L'Harmattan, 1997. Christian Schnakenbourg, « La Banque de la Guadeloupe et la crise de change, 1895-1904 », Bulletin de la Société d’histoire de la Guadeloupe, n°87-90, 1991, pp. 31-95. Suite, Ibidem, n°104-105, 1995, pp. 3-100.Alain Buffon, Monnaie et crédit en économie coloniale. Contribution à l’histoire économique de la Guadeloupe, 1635-1919, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1979.105 Paul Tisseyre-Ananké, L’Assiette au beurre coloniale, Paris, Albert-Messein, 1911.106 Anthony G. Hopkins, « Imperial business in Africa. Part I: Sources », Journal of African History, tome LVII, n°1, 1976, pp. 29-48. « Imperial business in Africa. Part II: Interpretations », Journal of African History, tome LVII, n°2, 1976, pp. 267-290.107 Jacques Marseille, « Capitalisme et colonisation : une histoire à écrire », in Patrick Fridenson & André Straus (dir.), Le capitalisme français (XIXe-XXe siècles). Blocages et dynamismes d’une croissance, Paris, Fayard, 1987 (réédité dans : J. Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Paris, Albin Michel, réédition de 2005, pp. 563-578).108 Comme le confirment les nombreuses entrées d’histoire économique dans : Claude Liauzu (dir.), Dictionnaire de la colonisation française, Paris, Larousse, 2007.109 Hélène d’Almeida Topor & Monique Lakroum, L’Europe et l’Afrique. Un siècle d’échanges économiques, Paris, Armand Colin, 1994. Jacques Frémeaux, Les empires coloniaux dans le processus de mondialisation, Paris, Maisonneuve & Larose, 2002.

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