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P.70 P.71 HISTOIRE / MÉMOIRE INDUSTRIELLE HISTOIRE / MÉMOIRE INDUSTRIELLE Un lieu figé dans la pierre LA TAILLERIE DE ROYAT UN JOYAU IMMOBILE Un siècle d’histoire industrielle… et d’histoire de Royat ! La taillerie de Royat, qui a fermé ses portes en 2004, a failli disparaître. La municipalité, attachée à ce monument de l’histoire locale, l’a fait acquérir par l’EPF… en attendant sa transformation en musée. Un témoignage industriel exceptionnel. Texte / Arnaud Vernet / Photos / Pascal Chareyron / La taillerie de Royat travaillait des pierres fines ou rares, locales comme la fluorine d’Auvergne, ou importées comme la pierre de jade ou les agates dont la coupe révèle des cercles de couleurs. C’était une pierre utilisée pour faire des presse-papiers, des colliers ou des boutons de manchettes.

comme la pierre de jade ou les agates dont la coupe révèle ... · HISTOIRE / MÉMOIRE INDUSTRIELLE HISTOIRE / MÉMOIRE INDUSTRIELLE ramassées dans la région (améthystes, fluorines,

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P.70 P.71

HISTOIRE / MÉMOIRE INDUSTRIELLEHISTOIRE / MÉMOIRE INDUSTRIELLE

Un lieu figé dans la pierre

LA TAILLERIEDE ROYAT

UN JOYAUIMMOBILE

Un siècle d’histoire industrielle… et d’histoire de Royat  ! La taillerie de Royat, qui a fermé ses portes en 2004, a failli disparaître. La

municipalité, attachée à ce monument de l’histoire locale, l’a fait acquérir par l’EPF… en attendant sa transformation en musée.

Un témoignage industriel exceptionnel. Texte / Arnaud Vernet / Photos / Pascal Chareyron /

La taillerie de Royat travaillait des pierres fi nes ou rares, locales comme la fl uorine d’Auvergne, ou importées comme la pierre de jade ou les agates dont la coupe révèle des cercles de couleurs. C’était une pierre utilisée pour faire des presse-papiers, des colliers ou des boutons de manchettes.

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E n décidant d’acquérir la taillerie de Royat, la ville de Royat (Puy-de-Dôme) a sans doute sauvé un

des grands monuments de la ville, té-moignant d’un siècle d’histoire locale. L’établissement a en effet fonctionné sans interruption de 1900 à 2004, date de la fermeture définitive des portes.Tout avait débuté en 1890 avec le minéralogiste chamaliérois Joseph Demarty, soucieux de relancer l’ex-ploitation de l’améthyste en Auvergne. Fondateur de la Société des pierres précieuses d’Auvergne, il exploitait

plusieurs filons dans la région du Vernet-la-Varenne. Il acheta donc un ancien moulin sur la Tiretaine pour y créer un atelier de pierres de taille. Pour autant, il cédera l’affaire dès 1903 à un Alsacien, M. Staehling, qui fera appel à l’architecte Jean Guillot pour agrandir les ateliers, et y rajouter un espace de vente. Il cédera l’affaire en 1943 à Honoré Fleury, que la famille conservera jusqu’à sa vente l’an dernier. Même si les propriétaires se sont suc-cédés, l’entreprise était assez rentable : on y taillait des pierres semi-précieuses

QUATRE RAISONS

MAJEURES DE CONSERVER

La rareté. – Il y a très peu, voire pas d’exemple en France d’un établissement industriel du type de la taillerie. Les établis-sements de cette époque ont tous été détruits ou dénaturés et ont perdu leur mobilier et leur matériel. La taillerie est ainsi un ensemble unique dans sa catégorie.L’authenticité. – La taillerie n’a pratiquement pas connu de modernisation depuis des décennies et présente un état de conservation exceptionnel. Bâtiments, mobilier, machines, outils, matériel ainsi que toutes les collections minéralogiques sont restées en l’état depuis la fermeture du site.Représentativité architectu-rale. – La taillerie de Royat est particulièrement représentative des constructions industrielles du début du XXe siècle : la pure-té des lignes, le fonctionnalisme et la lisibilité de la structure, l’utilisation de procédés et de matériaux modernes, le jeu de couleur des matériaux… sont exceptionnels. Il s’agit d’une œuvre d’un des meilleurs archi-tectes clermontois de l’époque.Aménagements intérieurs. – Le mobilier, conçu sur mesure par des entreprises locales, est un ensemble de belle qualité. Les vitrines et comptoirs de magasin sont particulièrement remarquables.

La pendule s’est arrêtée. Marquant le point final de la vie des ateliers. Seule la lumière extérieure vient encore balayer les établis et éclairer les traces de cette vie industrielle qui n’est plus.

➊ Très belle fluorine, pierre à cristaux bleues.

➋ Améthyste violette dont on façonnait des boutons de manchettes et des presses-papiers.

➌ Des outils souvent conçus pour le geste unique, véritables moutons à cinq pattes, témoins d’un savoir-faire qui n’a pas été transmis.

➌Objets originaux fabriqués par la taillerie,les épingles à chapeaux portées par les élégantes.

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ramassées dans la région (améthystes, fluorines, jaspes, agates, quartz di-vers…) et on y fabriquait des bijoux et divers objets (boutons de manchettes, presse papiers, cendriers, porte-plumes…) qui connaissaient un certain succès. L’entreprise employa jusqu’à 79 ouvriers et ouvrières qui travaillaient là un peu comme on le faisait à Thiers, presque couchés face aux meules, tandis que les ouvrières chargées de la finition étaient assises sur d’immenses tables et fabriquaient les bijoux.

Un atelier figé et conservé

Évidemment, un nombre considérable d’améthystes et autres pierres occupent encore les nombreuses vitrines aban-données de l’établissement. Mais l’inté-rêt du lieu ne se situe pas là, mais plutôt dans cet atelier industriel surgi du passé, conservé quasiment intact depuis les années vingt, n’ayant pratiquement connu aucune modernisation depuis sa création. C’est un ensemble quasi unique en Europe d’atelier conservé dans un état exceptionnel ou rien ne

manque, des machines aux tables de tra-vail, jusqu’aux antiques fils électriques à gaines en tissus. Mais il existe également un intérêt architectural, surtout le se-cond bâtiment (celui du bas) construit par Jean Guillot et qui apparaît comme très emblématique de l’architecture industrielle du début du XXe siècle.

Et demain ? Un musée…

Quel pourrait donc être l’avenir d’un tel ensemble ? Le souhait, un temps, des propriétaires de vendre séparément les bâtiments et le mobilier a failli causer une perte irrémédiable pour le patrimoine local. Bien qu’aucun avenir détaillé n’ait encore été envisagé, il semble évident que cette taillerie de-vrait devenir un musée dont le succès paraît assuré compte tenu de l’engoue-ment actuel pour le patrimoine indus-triel, mais également de la situation de l’ensemble sur une voie passante menant au puy de Dôme.Quoi qu’il en soit, cette évolution de-mandait des concours nouveaux. Il n’y a pas eu, pour l’instant, d’évaluation du

coût de la restauration, ni de la mise en conformité avec l’organisation de vi-sites. Même si le bâtiment semble glo-balement en bon état, ayant été jusqu’à ces dernières années correctement en-tretenu, des travaux seront nécessaires avant une éventuelle ouverture au public. Il faudra donc attendre encore un peu pour visiter la taillerie. Ä

Alors que les propriétaires de l’établis-sement, descendants d’Honoré Fleury, cherchaient à le vendre, la municipalité de Royat s’est émue du risque de dis-persion des collections et de disparition d’un ensemble unique en son genre, témoignant d’un siècle d’histoire locale. Il a ainsi été décidé l’an dernier de l’ac-quérir 525.000 €, avec 375.000 € à la charge de l’Établissement public foncier (bâtiment), et 150.000 € à celle de la ville de Royat (collections, machines). Au-delà de cette transaction, des frais resteront à engager (travaux, aménagements…)

qui nécessiteront l’arrivée de nouveaux partenaires (Département, Région…). Une éventuelle protection au titre des Monuments historiques permettrait de bénéficier d’une aide et de conseils scientifiques et techniques de la Direction régionale des affaires culturelles. La Fon-dation du patrimoine pourrait également apporter son soutien, lancer une sous-cription, solliciter le mécénat, et délivrer une éventuelle subvention. D’autres collectivités (Conseil général, Clermont-Communauté, Europe…) devraient égale-ment être contactées.

Un tour de table financier à organiser

Même si les collections de minéraux n’ont pas de valeur intrinsèque, une protection du bâtiment a été mise en place afin de parer à toute malveillance.

SÉCURITÉ

➍ Un bâtiment typique de l’architecture industrielle du début du XXe siècle construit le long de la Tiretaine; petite rivière d’eau vive qui descend de la chaîne des puys.

➎ - ➏ - ➐ Les ateliers présentent un état de conservation exceptionnelle, les machines ont été arrêtées en plein travail, tous les éléments sont restés sur place.

➏ ➐

Geneviève Schenk, la dernière propriétaire de la taillerie.