“Comme Un Papier Tue-mouches Dans Une Maison

8/14/2019 Comme Un Papier Tue-mouches Dans Une Maison

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Commeun papiertue-mouches

dans unemaisonde vacancesferme

Il sagit dedconstruire lalogique

ingalitaire

traverstoutes leslgitimations

progressistes,rvolution-

naires,dmystificatri-ces quelle se

donneJacques Rancire

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A NT I E R

de mai

68 ...

L a

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M o n

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...dconstruire la logique ingalitaire...un article est fait

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Propos recueillispar Pierre Vincent Cresceri

et Stphane GattiRdaction et mise en forme

Benoit Francs


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Entretienavec

JacquesRancire

...dconstruire la logique ingalitaire...


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Dans lbullition de Vincennes, le philosopheJacques Rancire, coauteur de Lire le Capital , com-

mence rvaluer la pense dAlthusser. Lesprincipes de la science marxiste professs par lematre de Normale sup ne rendent pas compte de mai68, de ses bouleversements rels. Ltonnement, l-cart entre la ralit de la rvolte et ce qui devrait entre la thorie ouvrent alors un projet, on pourrait direun tablissement thorique : reconstruire la

gnalogie du rapport entre pense ouvrire etmarxisme, en qute des manques de ce dernier. MaisJacques Rancire dcouvre que la pense ouvrire ,le mouvement ouvrier en tant que tels nexistentpas ; seulement lmancipation ouvrire commeprocessus. Lhistoire de cette mancipation devien-dra La Nuit des proltaires (81), recherche-rcit qui,en se ressaisissant de ce pass fragmentaire, res-saisit aussi, en creux, ce qui sen rejoue en 68 ouvrant une possibilit de raconter mai. Plus tard, Le Matre ignorant (87) dgagera la transmission dusavoir du dterminisme en faisant de lgalit un apriori sur lequel btir et non un but atteindre. Senremettre ainsi, comme le pdagogue Joseph Jacototenseignant ce quil ignore, la crativit de chacun,cest sortir des lgitimations de la logique ingali-taire, y compris de celles qui la perptuent sous cou-vert de dmystifier lordre dominant. Cest aussi unprolongement de lme libertaire de 68, en particulierde celle qui sest exprime Vincennes.

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Il sagit de dconstruirela logique ingalitaire

travers toutes leslgitimations progressistes,

rvolutionnaires,dmystificatricesquelle se donne

Dans quelle mesure la rupture politique de 68 dtermine-t-elleune rupture dans votre trajet philosophique et politique ?

En 68, mon trajet philosophique ntait pas trs avanc. Javaist lve lcole normale suprieure et fortement influencpar Althusser. Au fond, jai dcouvert le marxisme en mmetemps quAlthusser. Layant peine dcouvert, je suis tenu departiciper une laboration nouvelle puisque nous avions trecruts par Althusser pour retrouver la vritable sciencemarxiste et dire quelle tait la vrit du Capital. Ctait une


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sorte de gageure qui nous donnait en mme temps une assur-ance. Nous tions intervenus au sein de lUnion des tudiantscommunistes. Javais, sans trop de problmes, le sentimentdappartenir la vrit dun marxisme dont il fallait rendre

publique la science pure et dure afin quelle puisse profiter aumouvement rvolutionnaire et aux masses. Au cur de cetteentreprise, Althusser avait lanc une polmique trs violente,que lon avait reprise, contre les mots dordre des tudiantsdans les annes 64, 65. Tous ces mots dordre anti-autoritairesapparaissaient Althusser, et du mme coup nous, comme unesorte de protestation de jeunes gens un peu analphabtes quiignoraient quil fallait passer par le grand dtour de la scienceet des reprsentants autoriss de la science avant de se lancerdans des actions et des thories plus ou moins aventureuses.L-dessus arrive 68 que jai vcu, au dpart, comme quelquechose de scandaleux, contre les bons principes de la science,entirement entach didologie. Malgr tout, je me suis retrou-v un peu interloqu. Je ntais pas vraiment convaincu, mais javais le sentiment quil se passait quelque chose de rel. Enparticulier, parce que javais toujours cette ide althussrienneque limportant ntait pas les tudiants, mais cette conjonctiontudiants-ouvriers qui se produisait ce moment-l. Tout unsystme de certitudes se trouvait alors branl. Comment sefait-il que ces mots dordre anti-autoritaires des tudiants unpeu simplistes et idologiques avaient provoqu un tel boule-versement ? Ce ntait pas simplement les tudiants qui seremuaient dans la rue, mais il y avait des drapeaux rouges surtoutes les usines. Tout un pays tait vritablement arrt et il seproduisait une propagation, une sorte de lame de fond anti-autoritaire, tous les niveaux de la socit.Il y a eu cette exprience de quelque chose qui nallait pas par-faitement dans la science marxiste. Puis, il y a eu, la fin de 68,la cration de Vincennes et la discussion de ce que lon allait y


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faire. Au niveau de ma rvaluation personnelle des choses,plus que les vnements de 68 eux-mmes, ce moment de cra-tion du dpartement de philosophie de luniversit Paris-VIII at dterminant. On crait une universit neuf, une universit

o lon essayait de mettre ce quil y avait de plus nouveau, deplus moderne : du structuralisme, de la psychanalyse, du marx-isme althussrien, de la sociologie la Bourdieu. Il y a eu desdiscussions pour savoir quel serait le programme du dparte-ment de philosophie. Michel Foucault avait demand tienneBalibar de faire un programme. Ctait un programme de sci-ence marxiste, dpistmologie, de thorie de la science et dephilosophie du travail. Une espce de cadre pour remplacerlenseignement vieillot et bourgeois par un enseignementrnov, plus scientifique et plus marxiste. Je me souviensdtre un peu navement parti en guerre contre ce programmeen disant quil tait rvisionniste et quil oubliait le principemaoste de la politique au poste de commandement. partir del, jai commenc rflchir sur Althusser. Je faisais un courssur LIdologie allemande . Petit petit, jai eu de plus en plusle sentiment que le cur de ce que lon pourrait appeler la ver-sion ractionnaire du marxisme tait, prcisment, cettethorie de lidologie. Cette reprsentation des masses bour-geoises, petites-bourgeoises et ouvrires, toutes plus ou moinsenglues dans lidologie, adhrant au systme et victimes dece dernier en raison du brouillard idologique dans lequel ellesvivaient. Dans lalthussrisme et dans le texte que javais critpour Lire le Capital , il y avait ce grand thme des agents de laproduction qui, du fait mme dtre dans une pratique, sontncessairement incapables de comprendre le systme en raisonde la place quils y occupent. Et puis, tout dun coup, je mesuis dit : Cest cela le cur de laffaire et cest contre ce curque jai envie de ragir.


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Est-ce comme cela que le dsir dcrire le livre sur Althusser est n ?

Pas vraiment. Je navais pas programm ce livre. Cest en

faisant ce cours sur LIdologie allemande , en reprenant lagnalogie de toute laffaire, que jai rdig un texte dnoncia-teur sur la thorie de lidologie dAlthusser. Javais en quelquesorte rgl mes comptes et je croyais y voir clair. Par con-squent, javais laiss cela un peu de ct. En ralit, jai crit

La Leon dAlthusser quatre annes plus tard parce que ctaitle moment o commenait dj un certain reflux. Il se constitu-ait alors un althussrisme rnov, rajeuni, qui essayait, commeon le disait lpoque, dintgrer les acquis de mai 68 tout enreconstruisant, au fond, les choses comme si rien ne staitpass. ce moment-l a t publie une nouvelle dition de

Lire le Capital. Javais demand crire une prface montexte afin dexpliquer pourquoi javais de fortes critiques songard. Cela a dabord t accept, puis refus par Althusser. Ilne suffisait pas davoir rgl ses comptes personnellement. Ontait oblig de dire que lon ne faisait plus partie de la famille.Jai d mettre les points sur les i , ce qui nest pas tellementmon habitude. Jai plutt lhabitude de faire le point pour moi-mme et puis de mintresser autre chose. Cest comme celaque La Leon dAlthusser sest crite et que jai pris, du mmecoup, la figure dune espce de polmiste alors que ce nestvraiment pas mon intrt.

Dnouer la leonCe nest sans doute pas pour rien que cela sappelle La LeondAlthusser,et que plus tard vous reprendrez Bourdieu sur la


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leon de la leon , comme sil y avait toujours quelque chose nouer ou dnouer autour du mot leon .

Bien sr, dnouer, ce qui sera dvelopp, plus tard, dans Le

Matre ignorant. Derrire les problmes pratiques de la pda-gogie, il y a un problme plus gnral qui est celui de la visionpdagogique du monde et, en particulier, de la vision pda-gogique du monde en politique. Au fond, cette espce devision qui pense que sil y a domination, sil y a sujtion, cesten raison de lignorance. Ce noyau de la pense progressiste,repris trs largement par la pense marxiste, consiste toujours donner la sujtion, la domination, comme cause de lincapa-cit comprendre, comme cause de lignorance des lois de lamachine. Du mme coup, cest aux savants, aux avant-gardesde donner ces lois. Une fois que les gens les connatront, ilsseront mieux arms dans leur combat. Cest l que se noue laquestion de la leon. Effectivement, je lai reprise plusieursfois autour de Bourdieu, qui en est un peu la figure caricatu-rale. Il essaye dexpliquer que si lcole sert la domination,ce nest pas par ce quelle fait, mais par ce quelle fait croirequelle fait. Lcole slectionne en faisant croire quelle neslectionne pas. Ce nest pas pour des raisons sociales que lesfils douvriers scartent ou ne peuvent pas aller luniversit,cest parce quon leur fait croire quon les accepte. En leurfaisant croire, on leur montre, du mme coup, que sils nar-rivent pas y accder, cest quils nen sont pas capables. Il ya cette logique selon laquelle la domination ne pourrait fonc-tionner que par la dissimulation. Cest une logique confortablepour les savants. En principe, les savants sont l pour rvlerles secrets dissimuls. Ils pensent, par consquent, tre au curde laffaire. Lhumanit peu prs entire est, malheureuse-ment, plonge dans laveuglement, mais, grce eux, lalumire va arriver.


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Vous insistez sur le fait que cette thorie de la dissimulationrelance cette domination. Le pouvoir de la pense et de lathorie redouble une naturalisation de cette hirarchie sociale.

Je pensais quil fallait retourner les choses. Ce pouvoir que lascience se donnait comme pouvoir de librer en instruisanttait, dabord, une faon de consolider une vision hirarchiquedu monde, une sparation entre ceux qui savent et ceux qui nesavent pas, entre ceux qui sont capables et ceux qui ne le sontpas. Cest ce que jai repris plus tard dans Le Matre ignorant .Toute la logique du systme est toujours une logique qui con-siste dabord construire lautre comme ignorant. On promet lignorant de linstruire et, une fois instruit, quil sera notre galet mme nous dpassera. On affirme que lon va supprimer ladistance entre ceux qui ne savent pas et le savoir, mais cettelogique mme la reproduit indfiniment.Pour reprendre un fil chronologique, il y a eu ces annes din-tenses activits militantes et de luttes depuis 69 jusqu 72. Vers73, je me retrouve priv de perspectives militantes construites,organises, claires. Puisque je me trouvais rendu ma vocationdenseignant-chercheur, il sagissait de drouler le fil du malen-tendu auquel javais assist en 68. Ce grand malentendu entrela science marxiste et le mouvement tudiant-ouvrier. Faut-illappeler rvolutionnaire ou pas ? Je nen sais rien. En tout cas,il y avait un mouvement de masse et ce qui devait, en principe,tre sa thorie tait coup de celui-ci. Il fallait faire le bilan de68 et de ce qui avait suivi. La manire dont, malgr tout, lesgroupuscules reprenaient toujours les mmes logiques. Deslogiques de stratgie davant-garde, de gens qui savent o lemouvement et lhistoire vont et pourquoi les gens se trompent.Je me suis dit que jallais essayer de faire cette gnalogie durapport entre thorie marxiste et mouvement ouvrier. Un desmoments fort de mai 68 et des annes militantes qui ont suivi


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tait cette perception dun cart important entre les raisonsconcrtes de ces rvoltes et ce que la thorie en disait traversles thmes de la conscience de classe, de lorganisation delavant-garde. Marx a commenc crire dans les annes

1840. Je vais alors remonter cette date pour voir ce qutait, lpoque, la pense ouvrire et en quoi le marxisme sen taitcart. Ctait un programme qui devait traverser toute lhistoiredes rvolutions et des mouvements ouvriers du XIXe sicledepuis lanarchisme jusqu la naissance du Parti communiste.Je mengageais dans un grand mouvement de dcouverte de lapense ouvrire, de son histoire, de ses transformations et

dformations au sein de la thorie et de la pratique marxiste. Jeme suis lanc corps perdu dans larchive. Bien sr, cettegrande histoire na jamais eu lieu. Je me suis rendu comptequil y avait l encore fausse donne parce que jallais chercherune pense qui aurait t vraiment ouvrire, qui aurait t vrai-ment une manation de la classe, des pratiques de latelier, descultures populaires. Mais cela ne marchait pas non plus commecela. Une fois de plus, il y avait, dune certaine faon, cetteanticipation. On sattend trouver la classe ouvrire, identi-fier ses pratiques propres, sa culture, sa pense et il ny avait justement pas cela. Je me trouvais devant une srie de manifes-tations clates, divergentes, souvent paradoxales, au sens oelles ne correspondaient vraiment pas lattente. partir de l, il y a eu une nouvelle orientation. Je me suisvritablement dplac dune position qui tait encore dematrise en voulant reprendre la totalit dune histoire etdcrire une classe, une culture, vers une autre position partirde laquelle jai essay de saisir non pas la pense ouvrire,mais lmancipation ouvrire en tant que processus. Quand jaicrit La Nuit des proltaires , au lieu de dfinir la pense ori-ginelle de la classe ouvrire, jai fait tout autre chose. Jaiessay de construire le rseau des rapports et des raisons au


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sein desquels un certain nombre dindividus ouvriers du XIXesicle avaient cherch sortir de leur condition, penser cettesortie. Non pas simplement par le fait de trouver la thorie quiallait les librer, mais par le fait de construire des modes de vie,

de perception et de pense qui soient dores et dj une rupturepar rapport une identit ouvrire impose. Ctait le momento, dans les annes 75, il y avait une grande effervescenceautour des cultures populaires dans la mesure o le marxisme,avec son autoritarisme, son primat de la science, navait pluslair de trs bien marcher. Tout le monde redcouvrait avecivresse les cultures populaires carnavalesques. Ctait la grandepoque de succs de livres comme Montaillou, village occitanou Le Cheval dorgueil . Un retour une culture populaire viveet frache. Avec toujours cette volont de trouver la pensecomme jaillissant dune terre, dune condition, dun mode devie. Ce que je dcouvrais, au contraire, tait le pouvoir de larupture, la construction de lmancipation ouvrire comme rup-ture avec une identit. Lidentit ouvrire telle quelle existaittait, prcisment, lidentit dune condition subie. Le prob-lme pour tous ces ouvriers tait de sortir de celle-ci, par con-squent, de prendre leurs distances avec ce qui tait suppostre leur culture. Ce que lon demandait aux ouvriers quicrivaient, aux potes ouvriers, tait dexprimer les modes devie du peuple, faire de la culture et de la chanson populaires. Ehbien non, ils ne voulaient pas exprimer ces modes de vie, ilsvoulaient construire dautres formes dexistence.

Du mouvement ouvrier aux ouvriers Dans Le Philosophe et ses pauvres , vous parlez des ouvriers de1830 et l'on peut y voir la meilleure dfinition de ce qui s'est

pass en mai 68 : Ces ouvriers qui, dans les annes 1830,


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est rest en dehors de la communaut, mais, le dimanche, il senva avec deux copains, la fois pour prendre le frais la cam-pagne et faire de la propagande partout o ils passent. Ilsarrivent dans une auberge et commencent entreprendre les

gens. Ils tombent sur un boucher qui leur explique que sonmtier dgorgeur est horrible et quil ne lui est pas possible decontinuer ce mtier. Cette faon de lier une promenade dudimanche avec la propagande, de lier la propagande pour la vienouvelle et lmancipation avec une attention tous les gestesde la vie ma, tout dun coup, saut la figure. Jai fait le choixde lire les textes officiels, les textes constitus du mouvement etde la pense ouvrire comme le rsultat de tout un processus quidevait partir de ce dsir de certains individus de changer la vie.Cela a dtermin pour La Nuit des proltaires un mode dcrit-ure plutt droutant pour les gens parce que ce livre racontaitdes histoires. En principe, ctait un livre sur le proltariat, lapense ouvrire, le mouvement ouvrier, et les gens taienteffondrs parce quil ny avait pas un gramme de thorie. Il nyavait que des histoires. Ctait un montage dhistoires quitaient l pour dfinir non plus des ides, mais la texture sensi-ble dun processus de pense.

Il faut commencer par raconter lhistoire avant de la thoriser et quelle soit disponible.

Il y a plusieurs niveaux. 75, cest lpoque des dbuts deGlucksmann et de Lvy avec leurs grands discours la main surle cur pour dnoncer les crimes du marxisme, les crimes deHegel derrire Marx et, ventuellement, de Descartes derrireHegel. Ils expliquaient que les crimes du communisme venaientde la Sorbonne, que Pol Pot y avait t lve. un premierniveau, mon ide, qui sest dveloppe aussi travers Les

Rvoltes logiques , est quau lieu de se complaire dans ce genre


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de gnalogie apocalyptique il fallait plutt essayer dentrerdans la texture sensible des mouvements et des contradictionshistoriques qui avaient amen lexistence de masse du marx-isme concentrationnaire. Plutt que de verser des larmes de

crocodile sur les victimes du goulag, essayer de dire commenttout cela est arriv. Penser les choses non pas en termes decrimes originaires, mais en termes de contradictions. lpoque, jtais encore trs marqu par le concept maoste descontradictions au sein du peuple. Ctait une chose trs impor-tante si lon pense tout ce qui se passait autour du fminismeet des mouvements minoritaires. Pour les gens qui ne voulaientpas donner simplement dans la repentance et la dnonciation,il y a lide que lhistoire des rvoltes est traverse par unesrie de logiques en tension et que cest cela qui est intressant.Il y a eu cette volont de dire : Allons voir les archives.Sortons des documents qui permettent de remplacer ces motscreux de conscience de classe, de mouvement ouvrier par desmatriaux effectifs en pointant tous ces lments de tension quiavaient travers lhistoire ouvrire et rvolutionnaire. Il yavait ce recours aux matriaux qui permettent de faire unegnalogie du prsent.Et puis, il y avait ce qui tait plus particulirement mon choixdans La Nuit des proltaires ou dans Le Matre ignorant : lavolont dimposer un certain type de rcit tout fait en cartpar rapport ce qui tait, malgr tout, la norme dans le rcithistorien. Ctait le modle de Labrousse qui, lpoque, taitle grand modle de lhistoriographie marxiste. On part de lasituation conomique, on construit le social partir de lcono-mique, le culturel au-dessus du social et lidologique par-dessus. Il y avait ce modle o la pense ouvrire ne pouvaitapparatre que comme lexpression dune conscience qui taitelle-mme lexpression dune situation et dun mouvementglobal. Ce qui ma import tait de construire un type de rcit


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compltement en rupture par rapport cela. Faire entendre desparoles en tant quelles construisent un monde et non pas refl-tent un monde ou expriment une situation. Cela a t pour moiune chose essentielle de ne pas prendre la mthode historique

traditionnelle qui consiste dire : Voil ce qui se passait dansle capitalisme, dans ses crises. Donc, voil ce qui se passait auniveau des classes sociales. Donc, voil ce qui arrivait aux mal-heureux ouvriers. Donc, voil comment ils y ragissaient . Ehbien non, voil non pas le monde que ces gens subissent, maisle monde que, proprement, ils construisent, cest--dire lesmodes de perception et dinterprtation travers lesquels ils seconstituent en sujet.

Entre luniversit et le militantisme Dans la revue Rvoltes logiques , il y a un article assez trou-blant qui interroge la faon dont les gauchistes ont rflchi lesrapports entre la Rsistance et la classe ouvrire. Cest un arti-cle sur les ouvriers pendant la Seconde Guerre mondiale.Quand on le lit, on se dit que lon a mythifi un aspect de la

Rsistance en en gommant dautres.

Ce que jtudiais dans cet article tait la prose des fractionsissues du syndicalisme ou de lanarchisme rallies Ptain,quand ce nest pas carrment aux formes les plus dures de lacollaboration. Il faut bien voir que ce sont de petites minorits.Ce nest pas la classe ouvrire, ce ne sont pas les syndicats ilstaient dissous qui se sont lancs dans la collaboration, mais,effectivement, des petits groupes qui avaient t marginalisspar le PCF. Ils tenaient, en quelque sorte, leur revanche en 1940en faisant valoir leur lgitimit ouvrire. Cest vrai que, parmi


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ces gens-l, certains venaient de lanarchisme et de lextrmegauche. Ils se revendiquaient plus ou moins dune tradition dusyndicalisme rvolutionnaire et ils ont mis ce discours ouvrierou ouvririste au service de la rvolution nationale, trouvant

que la charte du travail tait la ralisation des vieux rvesouvriers.Pourquoi me suis-je intress cela ? Par une espce dedplacement, parce que, parmi les grandes penses dses-prantes que lon retrouvait lpoque, il y avait cette ide dela servitude volontaire. Tous ces discours qui se dveloppaienten mme temps que les discours sur la disciplinarisation descorps. Ce thme de la servitude volontaire, avec une masse depsychanalyse dverse l-dedans, servait expliquer commentles masses dsiraient tre, ncessairement, asservies. Ce quimintressait tait de dcrire non pas des formes dasservisse-ment renvoyes une logique psychanalytique diffuse, mais devoir des formes normales , bien lgitimes dasservisse-ment. Ce ntait pas la mme chose que la banalit du maldHannah Arendt, mais ctait plutt tout laspect raisonnableet raisonneur dune certaine collaboration. Comment cela sepassait-il dans la pratique ? Toute une part du ptainisme et dela collaboration avait fonctionn non pas par la terreur, maispar la sollicitation, par lappel collaborer en direction de cesleaders ou ex-leaders historiques. La collaboration avait putre vcue par des gens comme une manire de profiter de loc-casion pour rinvestir autrement de vieilles valeurs ouvrireset, pourquoi pas, socialistes. Jai essay de montrer commenttout cela fonctionnait modestement, sans crainte et sans trem-blements, par des espces de formes daccoutumance. Cela fai-sait partie dune rflexion sur le pouvoir que jai toujoursessay de dvelopper, consistant dire que le pouvoir nest pasla grande disciplinarisation, que la sujtion nest pas le dsir dela servitude enracin dans on ne sait quelle profondeur incon-


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sciente. La participation au pouvoir, la collaboration, sa propresujtion se fait par des formes beaucoup plus ordinaires qui,ventuellement, arrivent se justifier assez facilement. Ctaitun aspect des choses. lpoque de la grande polmique anti-

marxiste et de la valorisation dune vraie tradition ouvrire etpopulaire diffrente du marxisme, il sagissait aussi de montrercomment la tradition syndicaliste rvolutionnaire, anarchistepouvait finalement collaborer au pire. Ctait une manire deremettre en question ce qui avait pu tre une certaine poquema propre croyance. savoir quil y avait une bonne traditionsyndicale, ouvrire, rvolutionnaire, qui avait t pervertie parle marxisme. Il apparat quil ny a jamais de tradition de classepure et dure laquelle il faudrait recourir pour tre libr detous les risques et de toutes les tentations.

Les Rvoltes logiquessont une niche de rflexion la jointurede luniversit et du militantisme. Mais, bientt, il ne va rester que luniversit puisque laspect militant va peu peu se dis-soudre. Comment avez-vous vcu cela ?

Les Rvoltes logiques taient une activit militante dun genreparticulier, qui ntait lie aucun groupe, aucune pratiquepolitique collective. Ctait une pratique dintervention dansune situation politico-idologique globale. Elle ne servait pasune ligne dfinie et ne prtendait pas en crer une. Elle essayaitde contribuer ce que lon pourrait appeler un front de rsis-tance toutes les nouvelles idologies dmobilisatrices et rac-tionnaires, au dpart sous des habits de gauche. Cela sesteffrit par le destin propre du collectif qui portait cette revue, etaussi parce que, malgr tout, cela ntait plus port par lemilieu. Les Rvoltes logiques sont mortes ds larrive dessocialistes au pouvoir. Au moment o un certain hritage de maiet de laprs-mai se trouvait, en ralit, confisqu. On a toujours


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oubli que les congrs socialistes davant 81, que la prose dela gauche du Parti avaient repris une srie de thmes marxistespurs et durs. On avait lair la trane par rapport cela. Unefois les socialistes au pouvoir, tout a disparu trs vite. Cest le

contexte dans lequel Les Rvoltes logiques navaient plus vrai-ment leur place du fait de lessoufflement des mouvementsavec lesquels elles taient en dialogue et de cette espce de liq-uidation acclre qua signifi cette arrive au pouvoir.

Avec des expriences comme Les Rvoltes logiquesdun ct,le Cerfi dun autre, il y avait lide, en tant quintellectuel, de

peser sur les mouvements, tout en tant dans un rapport un peuoblique au militantisme.

On travaillait le tissu commun aux personnes hritires desmouvements des annes 68. Il sagissait de mener une rflexionrtrospective et, en mme temps, de lutter contre toutes lesformes de liquidation thorique, idologique et politique. Onavait la plus grande rserve par rapport ce qui se faisait auCerfi, parce que cela me semblait participer, dune part, de toutun discours psychanalytique sur la politique. Dautre part, tra-vaillant sur des commandes ministrielles, ils dveloppaient,naturellement, ces discours sur la disciplinarisation. Ils consti-tuaient une pense du pouvoir omniscient et tout puissant. Il yavait aussi, lpoque, les discours de Foucault sur la positi-vit du pouvoir. Le fait que le pouvoir rprimait moins quil neproduisait, quil ne faisait pas tellement taire, mais, au con-traire, quil faisait parler. Je me sentais un peu en porte fauxparce que ces discours consistaient dire que lon est toujoursdtermin, manipul par un pouvoir tout puissant qui contrlenos corps et nos penses.Dans mon travail darchive, jai toujours essay de mettre enlumire tout ce qui tait de lordre de lincertitude et de lap-


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proximation dans les stratgies du pouvoir. Par exemple, en cequi concerne les politiques culturelles, les problmes du con-trle du thtre et des chansons, jai essay de mettre en avantle fait que le pouvoir ne sait pas ce quil fait. Les commissaires

de police ne savent pas ce quils font ! La rpression est beau-coup moins savante et moins productive quon ne la dit. Jaitoujours eu cette attitude de distance par rapport dautrestypes de bilan de 68 qui sont inspirs de la psychanalyse, deDeleuze ou de Foucault. Je fus proche de Foucault un certainmoment, mais cest vrai que je me suis, en revanche, loigndun discours se rclamant de lui propos des technologies depouvoir et de la manire dont elles nous rendent sans pouvoir.

Jacotot ou lgalit dcrte Dans ce contexte, Le Matre ignorantva faire valoir une his-toire dun nouveau genre.

Cela ne faisait absolument pas partie de la culture universitaire.Seules des personnes ayant fait de lhistoire de la pdagogieavaient peut-tre entendu parler de Jacotot. Je suis tombdessus par hasard. Il y avait dautres personnes aux Rvolteslogiques qui avaient un peu regard. Javais vu ce personnagependant que je travaillais sur lhistoire ouvrire et je mtais dit

que, lorsque jaurais le temps, jirais voir ce que ce type racon-te. Jai eu du temps vers 85, au moment des grandes polmiquessur lcole et de la publication du livre de Milner, De lcole .Cest le grand moment de la bataille entre les sociologues, dis-ciples de Bourdieu, et les rpublicains. Tout le monde se battaitdans des perspectives de rforme de lducation avec toujoursla mme ide. Comment va-t-on faire pour rduire les ingal-


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its sociales grce lcole ? Dun ct, il y avait les socio-logues expliquant que, pour rduire lingalit, il fallaitexpliciter ses formes et montrer en quoi elles consistaient. Il yavait aussi des rformateurs pour qui cela voulait dire mettre

moins de grande culture lcole, plus de convivialit et deculture populaire. En tout cas, il fallait prendre en comptelorigine sociale et culturelle des gens pour sadapter elle.En face se trouvaient les rpublicains avec ce livre phare,

De lcole . Ils adoptaient ce grand discours affirmant : Non.Il ne faut surtout pas sadapter aux lves, au milieu social etculturel. Ce qui compte, cest le savoir. Lcole rend les gensgaux par la distribution du savoir en se moquant de connatrequi est en face du matre, mais aussi en demandant que celui-ci se taise pour recevoir la science qui le rendra, terme, plusgal. Cest dans ce contexte-l que jai lu Jacotot. Dune part, celafaisait des annes que jtais en polmique avec toute laphilosophie de la reproduction de Bourdieu. Limportant nestpas de renvoyer les deux camps dos--dos. Limportant est deprendre de la distance par rapport ce discours sur lexistencemalheureuse de cet tat dingalit que lon va essayer derduire afin que les gens soient gaux plus tard. Jacotot arrivaitbrutalement en affirmant : On ne part pas de lingalit, onpart de lgalit. Tout le systme pdagogique et tout le sys-tme progressiste construit dessus prsuppose cette ingalit.Il y a lignorant que lon va rendre savant. Jacotot pense quilfaut fonctionner lenvers, quil faut au contraire partir delgalit. Il y a toujours de lgalit et de la capacit qui sontdj donnes. On ne va donc pas partir du manque de savoirou du manque de comprhension. On va partir de toutes lescapacits quune personne suppose ignorante est dj capabledactualiser. Par exemple, celui qui connat simplement uneprire par cur, si on lui montre le texte et si on loblige vri-


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fier la correspondance entre ce qui est crit et ce quil y a danssa tte, on pourra alors lamener entrer dans ce domainerserv, interdit et nigmatique de lcriture.Pour moi, cela a t trs important parce que ctait, effective-

ment, une manire de synthtiser des choses autours desquelles je tournais depuis assez longtemps. Tout ce qui tait en jeu danslmancipation ouvrire, je lai mieux compris en lisant Jacotot.Par la suite, cela a t dterminant pour repenser la politiquecomme exercice de la capacit de nimporte qui et non pascomme lutte stratgique organise pour lexercice du pouvoir.Ctait quelque chose de dcisif, prcisment, parce que centait pas une question de mthode pdagogique. Jacotot dittout le temps quil ny a pas de mthode Jacotot ou, plutt, sily a mthode, cest au sens le plus gnral. Quel chemin prend-on ? Est-ce que lon prend le chemin qui part de lgalit, de ceque le savant et lignorant, le matre et llve partagent encommun ? Ou est-ce que lon prend le chemin de lingalit enpartant de ce qui les spare et en promettant de rduire la dis-tance ? Cela a engag, pour moi, non pas simplement une inter-vention dans le dbat sur lcole. Si cela avait t le cas, ctaitrat parce que, finalement, personne ne sest intress la pen-se de Jacotot dans ce contexte. Cela faisait surtout appel unehistoire beaucoup plus longue. Ce ntait pas simplement laquestion de la rforme de lcole qui tait en jeu, mais surtoutla question de lgalit. Quest-ce quon entend par galit ?Comment pense-t-on lgalit ? Comme un point darrive oucomme un point de dpart ? Quest-ce que lon peut tirer de laprsupposition de lgalit ? Il est intressant que ce livre, lpoque, ait t trs peu lu par les enseignants et pas du tout parles gens qui soccupaient de rformer lducation. Il a dabordt lu par des gens qui avaient accs cette problmatique pardautres voies, des artistes, des chorgraphes, et puis,ventuellement, des ducateurs, des psychologues et des psych-


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analystes. Jacotot a fait son chemin non pas par les canaux dela rflexion pdagogique, mais par des canaux beaucoup plusdiffus qui correspondaient, au fond, sa pense. savoir quelon ninstruit pas les institutions. Les institutions ont leur

logique. Cette logique se reproduit, leur suffit et aucune insti-tution na vraiment besoin de rformes. Le problme nest pasla rforme, la question est linsistance sur ce dont chacun estcapable.

Les principes actifs de mai 68 lide de mouvement, le refusdes thories globales, la mfiance vis--vis des gens qui affir-ment des contenus dans le cadre dune institution conduisent une lecture assez libertaire de votre travail, comme s'il yavait l une sorte de jeu de miroir.

Entre lpoque o jtais jeune tudiant althussrien construi-sant la science marxiste rgnre et puis le moment o jaitravaill sur Jacotot, il y a eu tout un processus assez long. Il acommenc par la surprise, lnigme de 68. Il a continu par lesdconvenues de laction militante, la constatation de la repro-duction des mmes types de rapports de pouvoir. Puis il sestpoursuivi par ce travail sur larchive ouvrire qui, l aussi, pro-duisait des surprises, parce que la classe ouvrire ntait pas lo on lattendait, ne parlait pas comme on attendait quelleparle, ne pensait pas comme on attendait quelle pense. Il y aeu un mouvement de dconstruction de toutes les thoriesglobales de la socit et de son intelligence. Cest un mouve-ment qui va de plus en plus vers un noyau premier. Commentse comporte-t-on par rapport la prsupposition que lon a surlintelligence ou linintelligence dune autre personne ? Petit petit, limportant a t cette rupture avec la logique pda-gogique incluse dans la stratgie. Je nai pas cess de me bat-tre contre toutes les grandes thologies historiques supposant


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que lhistoire avait des buts. Buts qui, ventuellement, se retour-nent et deviennent quelquefois des points darrt absolus, lhor-reur dans lhistoire. Je suis arriv inverser le chemin pourretourner vers cette dispersion des paroles qui nest pas simple-

ment considre comme une donne irrductible. L o lonvoulait du tout, il y a du fragmentaire et l o lon voulait desbuts clairement orients, il y a cette grande dispersion desitinraires. Il nest pas intressant dopposer simplement le dis-pers et le fragmentaire au totalisateur. Il est important de voirce qui est en jeu l-dedans en termes dgalit et dingalit. Ilsagit de dconstruire la logique ingalitaire travers toutes leslgitimations progressistes, rvolutionnaires, dmystificatricesquelle se donne.


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“Comme Un Papier Tue-mouches Dans Une Maison