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Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 139-45 © 2009 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 139 Doi : 10.1019/20094024 Revue générale Comment évaluer le bénéfice de la transplantation pulmonaire sur la survie des patients ? G. Thabut 1, 2 , M. Fournier 1 Résumé Introduction Différentes méthodes ont été utilisées dans la lit- térature pour évaluer l’impact de la transplantation pulmonaire sur la survie des patients. L’interprétation de ces méthodes nécessite un minimum de connaissances des modèles utilisés et des hypothèses qui les sous-tendent. État des connaissances La méthode la plus fréquemment employée repose sur l’analyse du devenir de patients placés sur liste de transplantation, en étudiant la modification du risque ins- tantané de décès induite par la transplantation, le plus souvent à l’aide d’un modèle de Cox. Cette approche fait des hypothèses fortes sur la relation entre le risque instantané de décès sur liste et après transplantation pulmonaire. La vérification de ces hypo- thèses est très difficile. D’autres méthodes ont été utilisées, basées sur la comparaison de la survie prédite spontanée (sans transplantation) et de la survie observée après transplantation. Nous avons récemment proposé une nouvelle méthode, basée sur la comparaison de la survie prédite spontanée et de la survie prédite après transplantation. Perspectives L’ensemble des méthodes décrites évaluent uni- quement l’impact de la transplantation sur la survie des patients. La prise en compte conjointe de la survie et d’autres indicateurs, tels la fonction respiratoire ou la qualité de vie, permettrait une évaluation plus fine du bénéfice de la transplantation pulmo- naire. Conclusion L’évaluation du bénéfice conféré par la transplan- tation repose sur des techniques statistiques complexes. Les résultats de ces études doivent être appréhendés avec circons- pection, aucune des méthodes précédemment décrites ne per- mettant de conclusions définitives. Mots-clés : Statistiques • Modèle de Cox • Survie • Transplantation. Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 139-45 1 Service de pneumologie B et transplantation pulmonaire, Hôpital Bichat, APHP, Université Paris-Diderot, Paris 7, Paris, France. 2 Inserm U738, Paris, France. Correspondance : G. Thabut Service de Pneumologie B et transplantation pulmonaire, Hôpital Bichat, 46 rue Henri Huchard, 75018 Paris. [email protected] Réception version princeps à la Revue : 08.04.2008. Demande de réponse aux auteurs : 17.06.2008. Réception de la réponse des auteurs : 22.07.2008. Demande de réponse aux auteurs : 03.09.2008. Réception de la réponse des auteurs : 15.09.2008. Acceptation définitive : 17.09.2008. Les auteurs n’ont pas déclaré de conflits d’intérêt.

Comment évaluer le bénéfice de la transplantation pulmonaire sur la survie des patients ?

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Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 139-45 © 2009 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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Doi : 10.1019/20094024

Revue générale

Comment évaluer le bénéfice de la transplantation pulmonaire sur la survie des patients ?

G. Thabut

1, 2

, M. Fournier

1

Résumé

Introduction

Différentes méthodes ont été utilisées dans la lit-térature pour évaluer l’impact de la transplantation pulmonairesur la survie des patients. L’interprétation de ces méthodesnécessite un minimum de connaissances des modèles utilisés etdes hypothèses qui les sous-tendent.

État des connaissances

La méthode la plus fréquemmentemployée repose sur l’analyse du devenir de patients placés surliste de transplantation, en étudiant la modification du risque ins-tantané de décès induite par la transplantation, le plus souvent àl’aide d’un modèle de Cox. Cette approche fait des hypothèsesfortes sur la relation entre le risque instantané de décès sur listeet après transplantation pulmonaire. La vérification de ces hypo-thèses est très difficile. D’autres méthodes ont été utilisées,basées sur la comparaison de la survie prédite spontanée (sanstransplantation) et de la survie observée après transplantation.Nous avons récemment proposé une nouvelle méthode, baséesur la comparaison de la survie prédite spontanée et de la survieprédite après transplantation.

Perspectives

L’ensemble des méthodes décrites évaluent uni-quement l’impact de la transplantation sur la survie des patients.La prise en compte conjointe de la survie et d’autres indicateurs,tels la fonction respiratoire ou la qualité de vie, permettrait uneévaluation plus fine du bénéfice de la transplantation pulmo-naire.

Conclusion

L’évaluation du bénéfice conféré par la transplan-tation repose sur des techniques statistiques complexes. Lesrésultats de ces études doivent être appréhendés avec circons-pection, aucune des méthodes précédemment décrites ne per-mettant de conclusions définitives.

Mots-clés : Statistiques • Modèle de Cox • Survie • Transplantation.

Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 139-45

1 Service de pneumologie B et transplantation pulmonaire, Hôpital Bichat, APHP, Université Paris-Diderot, Paris 7, Paris, France.2 Inserm U738, Paris, France.

Correspondance : G. Thabut Service de Pneumologie B et transplantation pulmonaire, Hôpital Bichat, 46 rue Henri Huchard, 75018 Paris.

[email protected]

Réception version princeps à la Revue : 08.04.2008.Demande de réponse aux auteurs : 17.06.2008.Réception de la réponse des auteurs : 22.07.2008.Demande de réponse aux auteurs : 03.09.2008.Réception de la réponse des auteurs : 15.09.2008.Acceptation définitive : 17.09.2008.

Les auteurs n’ont pas déclaré de conflits d’intérêt.

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Assessment of the survival benefit of lungtransplantation

G. Thabut, M. Fournier

Summary

Introduction

Several methods have been reported to assessthe survival benefit of lung transplantation

.

Incorrect use ofthese methods may lead to erroneous conclusions.

Current knowledge

In most cases, assessment of the survi-val benefit of lung transplantation relies on the modification ofthe baseline hazard by lung transplantation, using in mostcases the Cox proportional hazard model. However, thismethod makes stringent assumptions on the relation betweenpre and post transplant survival. Other methods comparingexpected survival without lung transplantation to observed sur-vival after lung transplantation have been developed. Werecently described an approach based on the comparison ofexpected pre and post transplant survival.

Perspectives

Methods combining survival as well as functio-nal and quality of life aspects would better describe the wholeimpact of lung transplantation.

Conclusion

The assessment of the survival benefit of lungtransplantation now relies on complex statistical methods.None of the proposed methods allow definitive conclusions tobe reached on the survival benefit of lung transplantation.

Key-words: Biostatistics • Cox model • Survival analysis • Transplantation.

Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 139-45

[email protected]

Introduction

La transplantation pulmonaire est une option thérapeuti-que reconnue chez les patients présentant une insuffisance res-piratoire terminale [1]. L’objectif premier de la transplantationest l’accroissement de la survie. De nombreuses études ont éva-lué l’impact de la transplantation pulmonaire sur la survie depatients dans différentes indications et ont abouti à des résul-tats parfois discordants. Par exemple, Liou et coll. [2] ontrécemment conclu que la transplantation pulmonaire n’amé-liorait pas la survie de la très grande majorité des enfants souf-frant de mucoviscidose, contredisant ainsi une étude menéequelques années auparavant [3]. En l’absence d’essai rando-misé, ces études sont les seules sources disponibles pour évaluerl’impact de la transplantation sur la survie des patients. Ellesfont appel à des méthodes statistiques dont l’interprétation estsouvent obscure pour le clinicien. L’objectif de cet article estde décrire les différentes méthodes utilisées pour quantifier lebénéfice de la transplantation pulmonaire sur la survie despatients, d’évaluer les hypothèses qui les sous-tendent ainsi queles limites de leur utilisation. Il faut souligner que cette problé-matique est parfaitement transposable aux autres transplanta-tions d’organes, et plus généralement à la comparaison d’unetechnique chirurgicale lourde à une technique médicale.

Les méthodes d’évaluation du bénéfice de la transplanta-tion pulmonaire peuvent être divisées en deux groupes : cellesqui comparent les risques de décès de patients en attente detransplantation à ceux de patients après transplantation, et cel-les qui comparent la survie observée après transplantation pul-monaire à la survie prédite sans transplantation.

• Aucune étude sur la survie avant et après transplantation pulmonaire n’est randomisée.• Le bénéfice de la transplantation pulmonaire est évalué par deux types d’étude : celles qui comparent les risques de décès de patients en attente de transplantation à ceux de patients après transplantation, et celles qui comparent la survie observée après transplantation pulmonaire à la survie prédite sans transplantation.

Méthodes reposant sur l’analyse du devenir de patients placés sur liste de transplantation

Méthode naïve

Il s’agit de comparer la survie (mesurée à partir de la datede mise sur liste) des patients qui décèdent sur liste ou qui sonten attente de transplantation au moment de l’analyse, à la surviedes patients transplantés (mesurée à partir de la date de trans-plantation). Cette méthode conduit à des résultats biaisés, les

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patients bénéficiant d’une transplantation pulmonaire n’étantpas représentatifs de l’ensemble des patients mis sur liste. Cespatients sont sélectionnés par leur capacité à attendre qu’ungreffon soit disponible, et sont donc

a priori

plus résistants queles patients décédés sur liste. Cette méthode n’est plus utilisée.

Méthodes étudiant la modification du risque instantané de décès induite par la transplantation

Il s’agit d’étudier la modification du risque instantané dedécès induite par la transplantation pulmonaire ; la notion derisque instantané de décès, appelé hazard par les Anglo-Saxons,est détaillée dans le

tableau I

. Lorsque le patient est en attentede transplantation, son risque instantané de décès est à peu prèsconstant au cours du temps. Après transplantation, le risque ins-tantané de décès est multiplié par un facteur appelé hazard ratioquantifiant l’augmentation ou la diminution du risque instan-tané de décès après l’intervention. Le modèle de Cox [4],modèle de survie très largement utilisé dans la littérature, peut

incorporer une variable dépendante du temps, qui servira àquantifier l’effet de la transplantation sur le risque instantané dedécès. En utilisant ce modèle, Aurora et coll. [3] ont montré

Fig. 1.

Risque instantané de décès en fonction du temps avant transplantation pulmonaire (traitplein) et après transplantation pulmonaire (trait discontinu).Panneau A : risques instantanés de décès suivant l’hypothèse des hazards proportionnels.Le modèle de Cox fait l’hypothèse que les risques instantanés de décès sans et avectransplantation pulmonaire sont proportionnels quel que soit le temps écoulé depuis latransplantation pulmonaire. Le patient sur liste a un risque de décès constant (traitcontinu). Après transplantation (trait discontinu), le patient a un risque instantané dedécès plus faible.Panneau B : risques instantanés de décès avant et après transplantation pulmonaire tels qu’ilssont observés dans le registre Nord-Américain (UNOS).Le risque instantané de décès est constant sur liste (trait continu) alors qu’il est augmentéaprès transplantation et décroit lentement ensuite (trait discontinu) [13]. Les risquesinstantanés de décès ne sont clairement pas proportionnels, disqualifiant les modèles àrisques proportionnels pour évaluer le bénéfice de la transplantation (modèle de Coxnotamment).

Tableau I.

Le risque instantané de décès.

Le risque instantané de décès (hazard pour les anglo-saxons), généralement noté λ est défini comme la probabilité de survenue du décès dans un intervalle de temps donné, conditionnellement au fait d’être vivant au début de cet intervalle de temps, ce qui s’écrit :

La plupart des modèles de survie modélisent le risque instantané de décès en fonction du temps. Par exemple, le risque instantané de décès augmente rapidement après une intervention chirurgicale lourde et diminue ensuite. Pour une cohorte de patients, ce paramètre s’interprète comme la proportion de patients décédant à chaque unité de temps (jour par exemple).

λ t( )Pr t T t Δt+< <( )

Δt-------------------------------------------

Δt 0→lim=

chez des enfants atteints de mucovis-cidose que la transplantation pulmo-naire était associée à un hazard ratio(HR) de 0,31 (95 % CI : 0,13 –0,72). Cela signifie que, d’après cemodèle, les patients transplantés ont àchaque instant, et ce indépendam-ment du temps écoulé depuis la trans-plantation, un risque de décèsdiminué de 69 % (multiplié par0,31) par rapport aux patients enattente de transplantation.

Ce modèle a pour avantage sasimplicité et son implémentationdans la plupart des logiciels statisti-ques, et de nombreuses études l’ontutilisé pour évaluer le bénéfice de latransplantation pulmonaire dans dif-férentes populations [2, 3, 5, 6]. Parrapport à la méthode naïve décriteprécédemment, celle-ci permet deprendre en compte les différences depronostic entre les patients qui vontdécéder sur liste et ceux qui vont pou-voir bénéficier d’une transplantation.

Cette méthode fait cependantune hypothèse forte en supposant quele risque instantané de décès aprèstransplantation est proportionnel aurisque instantané de décès avant trans-plantation

(fig. 1)

. En d’autres termes,en reprenant les résultats de l’étuded’Aurora mentionnée précédemment,

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le modèle employé suppose que le risque instantané de décèsd’un patient transplanté est de 69 % inférieur au risque instan-tané de décès d’un patient sur liste, et ce quel que soit le tempsécoulé depuis la transplantation. Cette hypothèse n’est pas réa-liste. En effet, alors que le risque instantané de décès sur listepeut-être considéré comme grossièrement constant, le risque ins-tantané de décès après transplantation ne l’est à l’évidence pas ;il est élevé dans les suites immédiates de la transplantation (mor-talité à 1 mois de l’ordre de 10 %) et décroît rapidement ensuite.Ce constat disqualifie d’emblée les modèles dits à risques propor-tionnels (dont le modèle de Cox)

(tableau II) (fig. 1)

. Il est à cetitre surprenant que ce type de modèle soit encore utilisé àl’heure actuelle pour évaluer le bénéfice de la transplantation pul-monaire. Des modèles de Cox modifiés peuvent être utilisés pours’affranchir de cette hypothèse de proportionnalité des risques[7]. Bien qu’ils paraissent plus adaptés, ils font eux aussi unehypothèse sur la relation existant entre les risques de décès avantet après transplantation. Ces hypothèses, nécessaires à l’estima-tion des paramètres du modèle sont très contraignantes, difficilesà tester, et possiblement non vérifiées.

• La méthode naïve comparant la survie des patients qui décèdent sur liste ou qui sont en attente de transplantation au moment de l’analyse, à la survie des patients transplantés est abandonnée.• Les méthodes étudiant la modification du risque instantané de décès induite par la transplantation supposent que le risque instantané de décès après transplantation est proportionnel au risque instantané de décès avant transplantation, ce qui est loin d’être le cas.

Méthodes reposant sur la comparaison de la survie prédite spontanée (sans transplantation) et de la survie observée après transplantation

La première étape consiste à modéliser la survie spontanéede patients en fonction de la valeur de facteurs pronostiques pré-déterminés. Ce type de modèle permet de prédire la probabilitéde survie d’un patient à un temps donné, 5 ans par exemple, enfonction de certains paramètres en rapport avec le patient et/ousa pathologie. De très nombreux modèles pronostiques ont étédécrits dans la littérature pneumologique, permettant d’estimerla survie de patients atteints de fibrose pulmonaire idiopathique[8], de mucoviscidose [9] ou de BPCO [10]. La seconde étapeconsiste à comparer la survie observée après transplantation pul-monaire d’un groupe de patients à la survie spontanée (sanstransplantation) prédite par le modèle. Liou et coll. [11, 12] ontutilisé cette approche pour déterminer le bénéfice de la transplan-tation pulmonaire chez des patients atteints de mucoviscidose.Les auteurs ont tout d’abord modélisé la probabilité de décès à5 ans (sans transplantation) des patients souffrant de mucovisci-dose, à partir de l’analyse d’une cohorte Nord-Américaine de

5 820 patients. Ils ont validé leur modèle sur 5 810 autrespatients [9]. Cette étape de validation est indispensable, car ellepermet de confirmer les capacités prédictives du modèle. Ils ontétudié la survie observée après transplantation pulmonaire dansdeux sous-groupes de patients transplantés pour une mucovisci-dose : des patients dont la survie prédite sans transplantation étaitinférieure à 50 % à 5 ans, et des patients dont la survie préditeaprès transplantation pulmonaire était supérieure à 50 % à 5 ans[11]. Ils ont pu montrer que les patients ayant une survie spon-tanée prédite supérieure à 50 % à 5 ans avaient une survie obser-vée après transplantation inférieure à ces valeurs, et ne tiraient pasde bénéfice de la transplantation pulmonaire. Cette méthode est

L’évolution du risque de décès au cours du temps en fonction de la valeur de γ est illustrée dans la figure 2.

Tableau II.

Les modèles à risques proportionnels.

Les modèles à risques proportionnels s’écrivent :λ(t) = λ0(t)e

βZ

avec λ0(t) risque instantané de décès de bas, β vecteur de coefficients et Z vecteur de covariables.Dans le modèle de Cox, le risque instantané de décès de base (λ0(t)) est considéré comme un paramètre de nuisance et n’est pas estimé. Les paramètres sont estimés par maximisation d’une fonction de vraisemblance appelée vraisemblance partielle, qui ne tient pas compte de λ0(t).Ce modèle est dit semi-paramétrique.Dans les modèles à risques proportionnels paramétriques, le risque instantané de décès de base (λ0(t)) est modélisé.De nombreuses paramétrisations sont possibles. Un modèle classique est le modèle de Waibull à deux paramétres qui s’écrit :λ0(t) = γλtγ – 1

Fig. 2

Évolution du risque de décès au cours du temps en fonc-tion de la valeur de γ .

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simple dans son concept, mais soulève plusieurs problèmes, leprincipal étant que le modèle prédictif de la survie spontanée estappliqué sur une population sensiblement différente de celle àpartir de laquelle il a été dérivé ; les patients bénéficiant d’unetransplantation pulmonaire n’étant pas représentatifs de l’ensem-ble des patients souffrant d’une mucoviscidose. Il est donc pro-bable que la survie spontanée prédite par le modèle soit sous-estimée. Une autre limite des méthodes décrites précédemmentvient de la comparaison directe de la survie spontanée despatients à leur survie après transplantation. En ce qui concernela BPCO par exemple, si une de ces méthodes met en évidenceun bénéfice de la transplantation chez des patients ayant unVEMS inférieur à 20 %, cela signifie qu’un patient répondant àces critères a un risque instantané de décès moindre lorsqu’il esttransplanté que lorsqu’il ne l’est pas, mais non qu’il faille inscriresur liste les patients porteurs de BPCO lorsque leur VEMS estinférieur à 20 %. En effet, une fois mis sur liste, ces patients peu-vent avoir un temps d’attente prolongé (de l’ordre de 18 moisdans le registre Nord-Américain de transplantation pulmonaire),responsable d’une mortalité importante avant transplantation,réduisant le bénéfice de la transplanta-tion. À l’extrême, les patients les plusgraves tirent un bénéfice maximal dela transplantation, mais la grandemajorité d’entre eux décèdent avantd’avoir pu en bénéficier.

Méthodes reposant sur la comparaison de la survie prédite spontanée (sans transplantation) et de la survie prédite après transplantation

Nous avons proposé unenouvelle méthode faisant appel àdes simulations numériques pourdéterminer le bénéfice de la trans-plantation pulmonaire ainsi que lesfacteurs qui y sont associés [13].Cette méthode a été appliquée à laBPCO. Nous avons développédeux modèles prédictifs de sur-vie : l’un de survie spontanée (enl’absence de transplantation) etl’autre de survie post-transplanta-tion, à partir des données duregistre Nord-Américain de trans-plantation pulmonaire incluantprès de 9 000 patients BPCO.Ces deux modèles sont totalementparamétriques, permettant très

simplement de calculer la survie moyenne ou médiane atten-due d’un patient dont les caractéristiques sont connues, maisaussi la distribution des temps de survie d’une cohorte depatients de taille fixée. À partir de ces modèles, il est aiséde tirer aléatoirement dans ces distributions des temps desurvie de cohortes virtuelles de patients. La

figure 3

décritle processus de simulation. Nous avons ainsi formé descohortes virtuelles de 100,000 patients, tous les patientsd’une même cohorte ayant les mêmes valeurs des variablespronostiques. Pour chaque patient, nous attribuons untemps de survie spontané, un temps de survie post-trans-plantation et un temps d’attente sur liste. Le temps desurvie spontané est tiré aléatoirement de la distributiondes temps de survie sur liste donnée par le modèle de sur-vie sur liste (modèle de Weibull). Le temps de survie post-transplantation est tiré aléatoirement de la distributiondes temps de survie post-transplantation donné par lemodèle de survie post-transplantation. Nous avons utiliséun modèle de Weibull modifié pour modéliser les tempsde survie après transplantation pulmonaire. Dans ce

Fig. 3.

Processus de simulation des 3 premiers patients d’une cohorte virtuelle de 100,000 patients.Tous les patients appartenant à une même cohorte ont les mêmes valeurs des facteurs pro-nostiques. Trois temps sont attribués pour chaque patient : un temps de survie spontané surliste (trait continu), un temps avant de recevoir une transplantation (flèche verticale), untemps de survie après transplantation si une transplantation est réalisée (trait discontinu).Pour le patient 1, le temps de survie attendu avec transplantation est de 4 ans, comparé à3 ans sans transplantation.

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modèle dont la formule est donnée en annexe 1, le risqueinstantané de décès décroît rapidement après la transplan-tation, et augmente à nouveau au cours du temps. Letemps d’attente sur liste est tiré d’une distribution log-normale reproduisant les temps d’attente sur liste tellequ’elle est observée dans le registre Nord-Américain.

Nous sommes en mesure d’évaluer la médiane du tempsde survie spontanée des patients et la médiane du temps desurvie si une transplantation est prévue, la différence de cesdeux médianes reflétant l’impact positif ou négatif de latransplantation

(fig. 3)

. La proportion de patients décédantsur liste peut aussi être calculée. Les résultats de ces simula-tions sont accessibles en ligne : www.copdtransplant.fr.Autant de cohortes virtuelles sont simulées que de combinai-sons de covariables sont testées.

Les avantages de cette méthode sont nombreux : (1)Il est simple d’introduire des facteurs pronostiques diffé-rents pour la survie pré- et post-transplantation ; (2) Il n’ya pas de relation imposée au rapport des risques instanta-nés de décès pré- et postopératoires ; (3) Il est possible desimuler différents temps d’attente, et de calculer le pour-centage de patients décédant avant d’avoir pu obtenir ungreffon, simplement en calculant la proportion depatients dont la survie spontanée sur liste est inférieure àleur survie après transplantation. En revanche, cetteméthode est nettement plus complexe à implémenter quecelles précédemment décrites, et les résultats qui endécoulent doivent, comme avec toute méthode explora-toire, être reproduits par d’autres équipes avant d’êtreacceptés.

• Dans les méthodes reposant sur la comparaison de la survie prédite spontanée et de la survie observée après transplantation, le modèle prédictif de la survie spontanée est appliqué sur une population sensiblement différente de celle à partir de laquelle il a été élaboré.

• Nous avons proposé une méthode reposant sur la comparaison de la survie prédite spontanée (sans transplantation) et de la survie prédite après transplantation permettent très simplement de calculer la survie moyenne ou médiane et la distribution des temps de survie d’une cohorte de patients de taille fixée.

• Dans ce modèle, le risque instantané de décès décroît rapidement après la transplantation, et augmente à nouveau au cours du temps.

• Les avantages de cette méthode sont nombreux : on peut introduire des facteurs pronostiques différents pour la survie pré- et post-transplantation ; il n’y a pas de relation imposée au rapport des risques instantanés de décès pré- et postopératoires ; on peut simuler différents temps d’attente, et calculer le pourcentage de patients décédant avant d’avoir pu obtenir un greffon.

Conclusion

L’évaluation du bénéfice conféré par la transplantationest une interrogation majeure pour tous les acteurs de la trans-plantation pulmonaire. Cette évaluation repose actuellementsur des techniques statistiques complexes, dont les hypothèsessous-jacentes ne sont pas nécessairement perçues par ceux quiles utilisent, et dont la violation peut être source de biais. Enconséquence, les résultats de ces études doivent être appréhen-dés avec circonspection, aucune des méthodes précédemmentdécrites ne permettant de conclusions définitives.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier le Docteur RaphaëlPorcher (Département de Biostatistique et InformatiqueMédicale, Hôpital Saint-Louis, APHP et Université Paris-Diderot – Paris 7, Paris, France et Inserm U717) pour sescommentaires avisés lors de la relecture de ce manuscrit.

Références

1

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À R E T E N I R

• Les résultats concernant l’impact de la transplantation pulmonaire sur la survie des patients sont parfois discordants.

• Les méthodes étudiant la modification du risque instantané de décès induite par la transplantation sont soit méthodologiquement incorrectes, soit contraignantes à utiliser.

• Dans ces études de survie, il se pose des problèmes d’homogénéité des échantillons, les patients transplantés n’étant pas représentatifs de l’ensemble des patients souffrant d’une pathologie donnée.

• Les méthodes comparant la survie prédite spontanée (sans transplantation) et la survie prédite après transplantation permettent d’évaluer la médiane du temps de survie spontanée des patients et la médiane du temps de survie si une transplantation est prévue, la différence entre ces deux médianes reflétant l’impact positif ou négatif de la transplantation.

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Annexe 1. Modèle de Weibull modifié utilisé dans la référence [13].

λ(t) = e(Zβ)* [λγ(λt)γ – 1 + αt]

La transplantation pulmonaire améliore-t-elle la survie des enfants atteints de mucoviscidose ?L’article de Liou et coll. [2] publié en 2007 dans le New England Journal of Medicine suggère que sur une population de 514 enfants mis sur liste sur une période de 0 ans, seuls 5 avaient une survie améliorée de façon certaine par la transplantation pulmonaire. Les auteurs utilisaient un modèle à risque proportionnel pour estimer l’impact de la transplantation pulmonaire sur la survie. Leur modèle incluait l’âge, l’existence ou non d’un diabète, et la présence ou non d’une colonisation à staphylococcus aureus. Un Hazard ratio était calculé pour chaque patient en fonction de la valeur de ces 3 paramètres.

Cet article est critiquable à plusieurs titres :1) Le modèle à risques proportionnels n’est pas adapté à la transplantation pulmonaire ni a aucune transplantation d’organes. Son utilisation dans des situations ou cette hypothèse est violée aboutit à une sous-estimation franche de l’impact de la transplantation pulmonaire sur la survie des patients.2) La survie enregistrée après transplantation pulmonaire dans cette étude Nord-Américaine était inférieure à celle actuellement observée en Europe dans cette indication, sous estimant le bénéfice que l’on peut escompter aujourd’hui de la transplantation [14].3) L’interprétation de cette étude en terme de nombre de patients tirant un bénéfice certain de la transplantation prête à confusion. Ce nombre dépend de la précision avec laquelle les paramètres ont été estimés et donc de la puissance de l’étude, et non de l’impact effectif de la transplantation pulmonaire sur la survie des patients.