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 Commentaire de texte philosophique Spinoza est un philosophe hollandais du XVII ème siècle. Dans la Lettre LVIII à Schuller, il conduit une réflexion sur la liberté, en réponse à une question de Schuller sur la faculté de l’homme de faire des choix libres. La liberté est couramment définie comme étant la possibilité d’agir, de penser, de s’exprimer selon ses propres choix. Nous somme alors libre lorsque nous choisissons nos actions, et remarquons que l’on a l’impression de les choisir la plus part du temps. Cependant, choisissons- nous parmi toutes les actions que nous pouvons accomplir à un moment donné ou parmi une quantité restreinte de possibilités imposées par les différents éléments du monde dans lequel nous évoluons ? Pire encore, ne choisissons nous pas parfois la seule possibilité qui nous est offerte ? Si nous croyons être libres, il est évident que certaines de nos actions sont largement influencées par le monde dans lequel nous vivons. Le simple fait d’aller travailler par exemple peut sembler être le choix délibéré d’un individu libre, qui pourrait éventuellement ne pas y aller, mais les conséquences qui s’en suivraient influencent largement notre choix, jusqu’à presque  nous l’imposer. Nous pouvons alors nous demander s’il s’agit de la liberté ou d’ une illusion de la liberté. Spinoza soutient la thèse de l’illusion de la liberté pour l’homme, dont les actes « sont [tous] [déterminés] par des causes extérieures ». Son argumentation se divise en deux parties : dans un premier temps, le philosophe met en évidence les relations de cause à effet qui lient toute chose et le milieu dans lequel elle se trouve en prenant l’exemple du mouvement d’une pierre (de la ligne 1 à la ligne 14). Dans une deuxième partie, Spinoza extrapole à l’Homme l’absence de liberté ; sans manquer de souligner que l’Homme pense pourtant en être pourvu. Les deux axes de notre commentaire porteront respectivement sur ces deux parties du texte. Le texte de Spinoza nous éclaire sur la véritable nature de la liberté. « Sans liberté, les hommes seroient de purs automates, qui suivroient l’impulsion des causes, comme une montre s’assujettit aux mouvements dont l’horloger l’a rendue susceptible. » Cette citation de l’article liberté de L’Encyclopédie nous permet d’avancer l’idée que la liberté réside peut -être dans la faculté à s’opposer à « l’impulsion des causes » pour ne suivre que notre volonté. Le texte de Spinoza s’attache à nous démontrer que cette faculté est illusoire. Spinoza commence par avancer l’idée d’une entière détermination des actions par des causes extérieures en envisageant les choses créées, quelconques. Le concept est ainsi plus aisément compréhensible , comme le souligne l’auteur : « concevons une chose très simple ». En effet, on peut facilement admettre que toute chose est déterminée par des éléments extérieurs, qu’il s’agisse de sa création même ou de la moindre de ses action. N’est -ce pas là un des défis de la science d’expliquer les causes des nombreux phénomènes qui nous entourent ? Quand on ne connait pas la cause de l’existence, du mouvement, ou de tout autre phénomène lié à une chose, on ne prétend pas qu’elle est inexistante, mais que l’on ne l’a pas encore découverte. Pour illustrer son propos, Spinoza prend l’exemple « très simple » d’une pierre se mettant en mouvement par l’action d’une f orce extérieure. L’auteur souligne ainsi que si le mouvement de la pierre se perpétue, c’est parce qu’il a précédemment été initié par une cause. Pour illustrer cette idée, l’auteur aurait également pu imaginer un objet, dépourvu de toute cause potentielle d’ un éventuel mouvement de cet objet, c'est-à-dire un objet, dans le vide, éloigné de tout corps . On peut alors aisément concevoir d’une part

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Commentaire de texte philosophique

Spinoza est un philosophe hollandais du XVIIème

siècle. Dans la Lettre LVIII à Schuller, il

conduit une réflexion sur la liberté, en réponse à une question de Schuller sur la faculté de l’homme

de faire des choix libres.

La liberté est couramment définie comme étant la possibilité d’agir, de penser, de s’exprimer selon

ses propres choix. Nous somme alors libre lorsque nous choisissons nos actions, et remarquons que

l’on a l’impression de les choisir la plus part du temps. Cependant, choisissons-nous parmi toutes les

actions que nous pouvons accomplir à un moment donné ou parmi une quantité restreinte de

possibilités imposées par les différents éléments du monde dans lequel nous évoluons ? Pire encore,

ne choisissons nous pas parfois la seule possibilité qui nous est offerte ? Si nous croyons être libres, il

est évident que certaines de nos actions sont largement influencées par le monde dans lequel nous

vivons. Le simple fait d’aller travailler par exemple peut sembler être le choix délibéré d’un individu

libre, qui pourrait éventuellement ne pas y aller, mais les conséquences qui s’en suivraientinfluencent largement notre choix, jusqu’à presque  nous l’imposer. Nous pouvons alors nous

demander s’il s’agit de la liberté ou d’une illusion de la liberté.

Spinoza soutient la thèse de l’illusion de la liberté pour l’homme, dont les actes « sont [tous]

[déterminés] par des causes extérieures ». Son argumentation se divise en deux parties : dans un

premier temps, le philosophe met en évidence les relations de cause à effet qui lient toute chose et

le milieu dans lequel elle se trouve en prenant l’exemple du mouvement d’une pierre (de la ligne 1 à

la ligne 14). Dans une deuxième partie, Spinoza extrapole à l’Homme l’absence de liberté ; sans

manquer de souligner que l’Homme pense pourtant en être pourvu. 

Les deux axes de notre commentaire porteront respectivement sur ces deux parties du texte.

Le texte de Spinoza nous éclaire sur la véritable nature de la liberté. « Sans liberté, les hommes

seroient de purs automates, qui suivroient l’impulsion des causes, comme une montre s’assujettit

aux mouvements dont l’horloger l’a rendue susceptible. » Cette citation de l’article liberté de

L’Encyclopédie  nous permet d’avancer l’idée que la liberté réside peut-être dans la faculté à

s’opposer à « l’impulsion des causes » pour ne suivre que notre volonté. Le texte de Spinoza

s’attache à nous démontrer que cette faculté est illusoire.

Spinoza commence par avancer l’idée d’une entière détermination des actions par des causes

extérieures en envisageant les choses créées, quelconques. Le concept est ainsi plus aisémentcompréhensible, comme le souligne l’auteur : « concevons une chose très simple ». En effet, on peut

facilement admettre que toute chose est déterminée par des éléments extérieurs, qu’il s’agisse de sa

création même ou de la moindre de ses action. N’est-ce pas là un des défis de la science d’expliquer

les causes des nombreux phénomènes qui nous entourent ? Quand on ne connait pas la cause de

l’existence, du mouvement, ou de tout autre phénomène lié à une chose, on ne prétend pas qu’elle

est inexistante, mais que l’on ne l’a pas encore découverte. Pour illustrer son propos, Spinoza prend

l’exemple « très simple » d’une pierre se mettant en mouvement par l’action d’une force extérieure.

L’auteur souligne ainsi que si le mouvement de la pierre se perpétue, c’est parce qu’il a

précédemment été initié par une cause. Pour illustrer cette idée, l’auteur aurait également pu

imaginer un objet, dépourvu de toute cause potentielle d’un éventuel mouvement de cet objet,

c'est-à-dire un objet, dans le vide, éloigné de tout corps. On peut alors aisément concevoir d’une part

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l’immobilité de l’objet, mais surtout sa pérennité dans le temps. De là nous pouvons en conclure que

si un objet n’est pas immobile ou pérenne, c’est parce qu’il n’est pas dans les conditions

correspondant à l’absence de cause potentielle de mouvement, autrement dit, des éléments

extérieurs agissent sur lui. Et ce raisonnement est valable pour chaque mouvement. C’est

précisément le sens de la phrase de Spinoza qui affirme qu’ils sont tous déterminés « par des causes

extérieures à exister et à agir d’une certaine façon déterminée. »

L’action se produisant étant imposée par la cause, elle n’est pas nécessairement voulue par cet objet,

nous pouvons alors parler de « contrainte ».

L’auteur souligne que ce qui est vrai pour l’exemple le plus simple qui soit est également vrai pour

« toute chose singulière, quelle que soit sa complexité ». L’auteur fait ici une anticipation de la fin du

texte en faisant une référence implicite à l’Homme, auquel on pourra extrapoler le principe alors vrai

pour la pierre. L’auteur souligne également que « si nombreuses que puissent être ses aptitudes », ce

principe que toute action, ou création, est engendré par une cause reste valable. L’Homme étant si

complexe que l’on aurait pu imaginer que ce qui est vrai pour une chose quelconque ne le soit pas

pour l’Homme. Si l’auteur assure que sa thèse ne dépend pas de la complexité de l’objet sur lequel s’applique, c’est

également parce que la liaison entre la pierre et l’Homme n’est pas évidente. En effet, une pierre ne

réfléchit pas par exemple, et c’est là une différence importante car concevoir qu’une pierre, qui n’est

pas douée de raison, n’est déterminée dans sa création et dans chacune de ses actions que par des

causes extérieurs est plus aisé que concevoir que nous ne somme responsable d’aucune des actions

que nous accomplissons. Il est cependant exacte de répondre à cette objection qu’avec un léger

effort d’abstraction, on peut concevoir que chaque impulsion cérébrale engageant une action est  

déterminée par une cause perçue par nos sens. Ce qui reste hautement discutable car les causes de

certaines initiatives humaines restent méconnus, et donc imprévisible dans la théorie des jeux par

exemple.

Les actions ainsi engendrées seront des causes potentielles d’autres actions ultérieures, qui pourront

à leur tour constituer des causes. C’est la thèse déterministe, si on connaissait à un instant donné

l’état exact de l’univers, on pourrait prévoir tout ce qu’il se passera ensuite, en déduisant de toutes

les causes toutes leurs conséquences, puis de ces conséquences toutes celles qu’elles vont elles

même engendrer.

De cette notion on peut anticiper l’idée que l’auteur se fait de la liberté sachant que tout peut être

prévu à l’avance, de sa création jusqu’à sa disparition. 

Remarquons cependant que nous pensons être libre, il est évident que chaque être humain pense

choisir en toute libertéce qu’il va faire. Les différences de tout ordre qui existent entre les hommes

en témoignent : nous sommes tous des êtres doués de raison, de constitution semblable, et aucune

vie n’est identique à celle d’un autre. La deuxième partie de notre commentaire s’attachera à

dépasser ce paradoxe.

Par une personnification, l’auteur reprend l’exemple de la pierre en lui attribuant un caractère

humain : elle est désormais douée de raison, « la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, pense

et sache qu’elle fait effort ». La pierre peut donc être associée à l’Homme, car bien que plus simple,

elle en porte le caractère essentiel.

Spinoza nous invite à imaginer qu’elle fait effort, et qu’elle en est consciente, dans le même but quela cause qui détermine son action. Nous pouvons alors en déduire qu’elle ne peut savoir qu’elle est la

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véritable cause de son mouvement : s’il s’agit d’elle-même ou d’une cause extérieure. Mais la pierre

n’a en réalité que conscience de son effort, donc elle croit qu’elle détermine son action, c'est -à-dire

qu’elle est libre. Mais peut-on parler de liberté alors que si elle décidait de mettre fin à son

mouvement elle n’en serait pas capable car les causes qui le détermine lui sont étrangères ?

On pourrait avancer l’idée que la pierre est libre car finalement, sa volonté est exercée, et peu

importe les causes qu’ils l’ont engendré, elle est parvenue à sa volonté. Et elle n’était pas d’y

parvenir en constituant elle-même les causes de sa finalité mais simplement d’y parvenir. 

Remarquons cependant que dans cet exemple, nous considérons le cas précis où la volonté de la

pierre coïncide avec les causes extérieures qui l’engendrent, et c’est là un cas particulier, qui ne peut

être érigé en principe.

Enfin, l’auteur va clore l’analogie qu’il a conduit tout au long du texte pour revenir à l’Homme, et

nous allons constater que la contradiction que nous venons de soulever pour la pierre n’en est peut-

être pas une pour l’Homme. En effet, nous avons vu que nous pouvions avoir l’illusion de la liberté

dans le cas précis où notre volonté correspondait aux conséquences des causes extérieures. Mais si

elle ne correspondait pas, nous nous rendrions compte que nous ne sommes pas libres, que nous nepouvons pas faire valoir notre liberté et que ce sont des causes extérieures qui déterminent nos

actions. Cependant, ce n’est pas le cas, nous n’avons jamais ce sentiment. Nous pouvons en déduire,

comme les causes extérieures sont indépendantes de notre volonté, que c’est notre volonté qui se

limite aux possibilités qui lui sont offertes compte tenu des éléments extérieurs qui rendent

impossible d’emblée certaines possibilités. Mais nous avons également vu que rien n’était

contingent, que tout était étroitement lié, à tel point que l’action que nous allons accomplir était  

déjà prévu car quelle qu’elle soit, car elle sera engendré par des causes et uniquement par des

causes. Notre volonté n’est donc plus délimitée aux possibilités qui lui sont offertes, mais à la

possibilité que les causes mises en jeu vont engendrer. Notre volonté coïncide donc avec cette

possibilité. L’analogie avec la pierre est donc correcte : nous somme une pierre qui, peu importe la

direction dans laquelle on nous envoie, avons la volonté d’aller précisément dans cette direction.

Quel sentiment de liberté !

Illustrons notre propos par l’exemple suivant : un étudiant peu motivé pour passer un examen fini

par y aller à l’idée des pressions parentales  implicites qui s’exercent sur lui. Après y avoir été, il dirait

que, même si ses parents avaient pesés dans sa décision, c’est une décision personnelle, c’était sa

volonté d’y aller au sens où personne ne l’y a physiquement obligé. Mais cette décision éta it

prévisible si l’on eut connu précisément la faculté de ses parents à influencer leur fils et la faculté du

fils à résister à l’influence de ses parents. Sachant que sa volonté coïnciderait avec la décision qu’il

allait prendre, sa volonté allait obligatoirement se porter sur la volonté d’y aller. C’est pour cela qu’il

n’est pas libre. 

C’est le sens de la phrase qui conclue le texte de Spinoza : « Telle est cette liberté humaine que tous

se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits

et ignorent les causes qui les déterminent. » C’est cette méconnaissance des causes de notre volonté

qui crée « l’illusion de la liberté ».

Par une analogie restée célèbre, Spinoza nous démontre que si notre volonté devient réalité, nous ne

sommes pas pour autant libre, car elle est limitée par le domaine du possible, lui-même entièrement

défini par « des causes extérieures », à tel point qu’il est réduit à une possibilité, correspondant doncà la fois à ce qu’il va se passer et à notre volonté. L’action a donc été uniquement déterminée par des

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causes extérieures, et pourtant il en résulte un incroyable sentiment de liberté. « Telle est cette

liberté humaine » nous dit Spinoza.

Nous pouvons cependant ajouter que si l’action d’une force sur une pierre est aisément

compréhensible, l’action d’une multitude de cause sur un homme est bien plus complexe. Démocrite

disait : « Les mêmes causes qui nous procurent des biens peuvent également nous causer des maux,

tout en nous offrant le moyen de les éviter. » Cette citation illustre le fait que l’action d’une cause

n’est pas prédéfinie, elle dépend en grande partie de la personne sur laquelle elle s’exerce, et

comme ce sont les causes qui déterminent les actions, les actions dépendent donc également de la

personne qui va l’accomplir et donc sa volonté en dépend aussi.

Si ce n’était pas le cas, comment pourrait-on par exemple condamné un homme pour ce qu’il a fait ?

Il ne serait nullement responsable car sa volonté ne dépendrait pas de lui. Ses agissements auraient

même été prévisibles avant qu’il n’existe (perspective déterministe). Au nom de quoi aurait-on pu

alors le condamné ?

Enfin, nous pouvons remarquer que bien que la thèse de l’auteur soit pessimiste, notre liberté

conserve un sens pour l’auteur : « Telle est cette liberté humaine », car même si notre liberté estillusoire, l’illusion nous est nécessaire. Notre plus grande liberté est peut-être de ne pas avoir

conscience que nous en somme démuni.