communio - 19811

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  • 7/25/2019 communio - 19811

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    L a R e v u e c a t h o l i q u e i n t e r n a -t i o n a l e C O M M U N I O e s t p u b l i esix fois par an en franais par Corn-munio , association dclare butnon lucrat if ( loi de 1901), indpen-dante de tout diteur ou mouvement.Prsident-directeur de la publica-tion : Jean Duchesne. Directeur de lardaction : Claude Bruaire ; rdacteur

    en chef : Jean-Luc Marion ; adjoint :Rm i Br ague secrta ire de lardaction : Franoise de Bernis.

    Rdaction, administration etabonnements (Mme S. Gaudefroy) :au sige de l'associat ion (28, rued'Auteuil, F 75016 Paris, tl. : (11527 . 46 . 27 ; CCP Com m un io 1867623 F Paris).

    Librairies et autres points de venteo Communio est disponible : voirpage 69.

    C o n d i t i o n s d ' a b o n n e m e n t :voir page 95 ; bulletin d'abonnementen page 96.

    Une revue n'est vivanteque si elle mcontente

    chaque foisun bon cinquime

    de ses abonns.La justice

    consiste seulement ce que ce ne soient pas

    toujours les mmesqui soient

    dans le cinquime.Aut re me nt,

    je veux direquand on s'applique

    ne mcontenterper sonne,on tombe

    dans le systmede ces normes revues

    qui perdent des millions,ou en gagnent,

    pour ne rien dire,ou plutt ne rien dire.Charles PEGUY, L'Argent,

    OEuvres en prose, tome 2,Pliade, p. 1136-1137.

    Comit de rdaction en franais :Jean-Robert Armogathe*, Guy Bedouelle,o.p. (Fribourg4*, Andr Berthon, Franoise etRmi Brague*, Claude Bruaire*, GeorgesChantraine, s.j. (Namur)*, Eugenio Corecco(Fribourg), Ol iv ier Costa de Beauregard,Michel Costantini (Tours), Georges Cottier,o.p. (Genve), Claude Dagens (Bordeaux),

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    Membres du bureau.

    En collaboration avec :

    ALLEMAND : Internationale katholische Zeitschrift, CommunioVerlag (D 5000 Kttln 50, Moselstrasse 34) Hans-Urs vonBalthasar (Sasse), Albert Grres, Franz Greiner, Karl Lehmann,Hens Maier, Cardirel Joseph Ratzinger, Otto B. Roegele.

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    ITALIEN : Strumento irternazionale per on lavoro teologicoCommunio (Jaca Book, via Aurelio Saffi 19, 120123 Milano) Zoltan ALszeghy, Sante Bagnoli, Carlo Caffarra, GianfrancoDalmasso, Adrian Dell'Asta, Elio Guerriero, Massimo Guidetti,Luigi Mezzadri, Antonio M. Sicari, o.c.d., Guido Semmavilla.

    NERLANDAIS : kdernationaal katholiek Trjdsdvift Communio(Hoogstraat 41, B 9000 Gent)Jan Ambaum (NLI, Jan De Kok,o.f.m. (NLI, Georges De Schrijver, s.j. (B), Jos F. Lescrauwaet (NLI,Klara Rogiers (B), Jacques Sthepens (BI, Peter Schmidt (BI,Alexander EM. Van der Does de Willebois (NLI, Herman P.Vanhgen (NU, Jan H. Walgrave, op. (BI, Grard Wilkens, s.j. (NLI.

    Enprparation : ditions arabe, sud-amricaine (en espagnol etenportugais),polonaise.

    TOME VI (1981) n 1 (janvier-fvrier) DESCENDU AUX ENFERS

    Le Christ est descenduplus profond que l'enfer,et du coup l'a transcend

    et proprement subverti .Saint Grgoire le Grand,Moralia, X, 9 (P.L. 75, 929a)

    Hans-Ursvon BALTHASARPage 2 ..................................................................................Plus loin quela mortProblmati que ________________________________________________

    Wilhelm MAASpage 5 ....................................................................... Jusqu'o est descendule FilsJos-Manuel SANCHEZ-CAROpage 20..........................................................................Lemystre d'une absence

    I ntgrat i on ___________________________________________________Michel COSTANTINIpage 35.................................................................. Giotto : la vie, la mort (sauves)Mgr Giovanni FALLANIpage 48....................................................................................................................................................L'enfer dantesqueCorinne MARIONpage 56 ...........................................................................Une saisonpour l'ternitAttestationAdrienne von SPEYR (textes choisis et prsents par Hans-Urs von Balthasar)page 63 ....................................................................L'expriencedu Samedi SaintPierre-Marie GY, o.p.page 72..........................................LaLex orandidans la liturgie des funraillesSignets

    Andr BERTHONpage 78.................................................................................... Matireet mystreOlivier COSTA de BEAUREGARDpage 80...........................................Cette matire qui n'est peut-trepas une choseGuy BEDOUELLE, o.p.page 82.....................................................Heureux les invitsau festin de l'AgneauJean-Guy PAGEpage 88...............................................L'vque, l'glise particulireet l'EucharistieJean-RobertARMOGATHEpage 92 ...................................................L'exemplaireconversion de Paul Claudel

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    Communio, n VI, 1 janvier fvrier 1981 Plus loin que la mort

    Hans-Urs von BALTHASAR

    Plus loin que la mort

    lieux (receptacula) pour les b ons et les mchan ts ; on peu t a uss i lesconcevoir de faon plus prcise comme une sorte de salle d'attente dans laquelle les morts d'avant l're chrtienne se rassemblaient

    pour att endre la venue du Chr ist , sans lequel per sonne ne peu tparven ir au Pre dans le cie l, car lui seul es t le chemin pour y aller,lui seul nous fraie, travers le grand abme (Luc 16, 26), unevoie , pour nous prparer une place de l'autre ct.

    Il ne faut ni minimiser la descente du Christ aux enfers,ni exercer sur elle une curiosit vaine, maisy reconnatrele fond de la mystrieuse knose rdemptrice du Verbe.

    LA formule descendu aux enfers a d attendre le quatrimesicle pour entrer dans le Credo. Mais, comme c'est le cas pourtous les articles qui composent celui-ci, le contenu de la formuletait ds l'origine familier la foi chrtienne comme un mystre de grce,de salut et de rachat. Si le Pre a donn son Fils pour le monde pcheur,si le Fils, afin de racheter en lui l'humanit, a d prendre sur lui etassumer dans sa Passion tous les tats qui nous distinguent de Dieu, il nelui suffisait pas de mourir avec nous et pour nous le Vendredi Saint etd'tre enterr ; il lui fallait aussi tre mort avec la foule infinie de ceuxqui, du commencement du monde jusqu' sa fin, ont connu etconna tront la mort.

    La mort de l'homme pcheur et non rachet marque la fin de toutecommunication non seulement avec les autres hommes, mais mme avecDieu. C'est ce que savaient les psau me s, Job, l'Ecclsiaste et les

    prophtes. Mais, dans la mesure o Jsus, par amour pour ces hommespe rd us da ns la so li tu de , se so li da ri se av ec eu x, il le ur of fr e un ecommunion plus profonde que la mort. On sait quel point Claudelaimait ce motif. Il suffit pour cela de relire le finale de la dernire desCinq grandes odes : Gotez, Manes, les prmisses de nos mois-

    sons ! .Le mystre du Samedi Saint a pour contenu la faon dont les effets de

    l'vnement du Vendredi Saint se rpercutent dans l'au-del, dans leroyaume immense des morts qui, comme le dit l' ptre aux Hbreux (11,40), doivent tous attendre que la lumire du Christ pntre les tnbreset les ombres de la mort, car ils ne purent pas atteindre la perfectionsans nous qui sommes rachets par le Christ. Gardons cet nonccentral devant les yeux et sachons bien, par ailleurs, qu'il ne nous est pasloisible de projeter dans l'au-del nos concepts de l'espace et du temps.La question de savoir ce que nous entendons exactement sous le mot enfers perd alors son importance. On peut y voir l'ide gnrale d'unroyaume des morts (shol, hads, infernum), sans y distinguer diffrents

    CET nonc central devrait nous suffire. Deux erreurs sont donc viter : vouloir en savoir trop, et rester indiffrent. Trop, parce quecertains anciens manuels de dogmatique, et encore mainte-

    eaucoup de croyants, veulent en savoir trop : y a-t-il des damns ? Etcombien ? Que deviennent les enfants morts sans baptme ? Le Christest-il seulement descendu chez les pieux patriarches , ou aussi dansl' enfer proprement dit ? Ou encore : le Christ est-ildescendu seulement en son me ou aussi en son corps ? Laissons dect ce que nous ne pouvons pas savoir. Pour les chrtiens - c'est legrand message de Thrse de Lisieux , l'esprance, l'esprance en lesalut de tous les hommes, n'est pas seulement mieux sa place, mais,tout simplement, meilleure qu'un savoir problmatique et soustrait

    celui qui j uge les vivants et les morts.Trop peu, aussi. On voudrait retirer du Credo cet article de foi, car onle dit mythologique. Non. C'est faux. Il est d'un bout l'autre christo-logiq e et dcoule ncessairement de l'incarnation du Verbe. On nemanquera pas de remarquer, surtout aujourd'hui, de quelle inquitantefaon l'ide de l'enfer comme de la perte totale de Dieu, de la mort deDieu , est devenue pour nous quelque chose de vivant. L o,aujourd'hui, les humanismes plissent et quel rythme ! , partoutse rpandent, si un christianisme authentique n'entre pas en jeu, desvisions toujours plus cruelles de l'enfer. Les cauchemars d'un JrmeBosch semblent bien inoffensifs ct des images de l'Archipel duGoulag.

    LE Samedi Saint, comme jour de la descente aux enfers, est lemil ieu mystr ieux qui spare le Vendredi Saint e t la Rsur-rection au jour de Pques. Comme jour de la mort, il ne peut pasencore tre le jour o Dieu vainc la mort. Et pourtant, n'est-il pas le jouro la vie ternelle s'est montre si vivante qu'elle a pu prendre sur elle lamort elle-mme, pour la dpasser de l'intrieur ? Cette ambigut permet

    (1) Catholicisme, Cerf, Paris, 1938 , coll. Foi vivante n 13, Paris, 1965, p. 295. Cettehomlie se trouve aujourd'hui dans le Brviaire romain, au jour du Samedi Saint, et estcite plus loin dans l'article de Jos-Manuel Sanchez-Caro.

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    Plus loin que la mort Communio, n VI, 1 janvier-fvrier 1981

    de comprendre la grandeur, mais aussi les limites des sermons des Presde l' glise d'Orient, et de ces icnes de la descente aux enfers qui (

    pa rt ir du XIe si c le ) pa ss r en t pour fourni r l' image cent ra le de lardemption. Qu'elle est mouvante, cette tonnante homlie, attribue Epiphane et retrouve par Henri de Lubac (1), dans laquelle le Christentre en disant le Seigneur soit avec vous dans les tnbres de l'enferdu plus profond desquelles Adam lui rpond. Et Jsus de lui dire : Queais-tu ici, image de mon Pre ? Ce n'est pas pour cela que tu as t

    cr . Et le rdempteur conduit toute l'humanit hors des enfers, vers leciel. Les icnes montrent le Christ debout sur les deux vantaux arrachsde la porte des enfers, et tendant la main Adam et Eve ou l'un des

    patriarches pour les relever.

    L'orient reprsente ainsi la descente aux enfers comme un vnementlumineux et victorieux. Est-ce juste ? Ne devons-nous pas inclure le jourde la descente dans la Semaine Sainte, et non le rattacher la gloire dePques ? La victoire sur le pch et la mort n'a-t-elle pas lieu dans le plus

    profond silence ? Le contact entre les morts et la vie ternelle n'est-il pasproduit dans l'absence absolue de tout contact ? Dans l'ultime possibilitd'obissance du Fils, qui, au-del de tout ce qu'il peut comprendre, doitchercher le chemin qui le ramne la vie du Pre l o celui-ci ne peut enaucun cas se trouver dans le royaume intemporel de la mort ? Ce n'estcertes plus le Jsus de Nazareth vivant qui accomplit ce dernier geste

    d'obissance, car celui-l est dj mort. Mais la knose du Verbe, du Filsternel, d'une manire inconcevable, permet la relation qui rgne entrele Fils et le Pre = pur amour reconnaissant qui a, par amour, pris laforme de l'obissance d'aller jusqu' cette fin suprmement para-doxale, qui va plus loin que la mort et l'arrache ses gonds. L'amourest fort comme la mort ( Cantique des cantiques 8, 6) non, il est plusfort.

    LE Samedi Saint est un profond mystre, et il le restera toujours.Mais peut-tre est-il temps, aujourd'hui, non pas de le laisserde ct, mais de laisser la mditation le cerner avec respect etdcouvrir par l quel point sa richesse et sa profondeur sont in-

    puisables.

    Hans-Urs von BALTHASAR(traduit de l'allemand par Pierre Leroux)

    Hans-Urs von Balthasar, n Lucerne en 1905. Prtre en 1936. Membre de la Commis-sion thologique internationale ; membre associ de l'Institut de France. Sa dernire

    bib lio gra phi e, arr t e 197 7, com pte 90 pag es dans Il filo d'Ariana attraverso la miaopera, Jaca Book, Milan, 1980. Derniers ouvrages parus en franais : ouveaux points derepre (textes revus et annots par Georges Chantraine), coll. Communio , Fayard,Paris, 1980, Aux croyants incertains, coll. Le sycomore , Lethielleux, Paris, 1980.

    Wilhelm MAAS

    Jusqu'o

    est descendu le FilsLa descente aux enfers n'es t pas une inven tion de tho-

    logiens tardifs. Elle appartient essentiellement au Credo.La difficult n'est que de concevoir l' inactivit du Christau shol. Mais comme vnement trinitaire , la descenteaux enfers s'actualise dans la manire dont chaque chrtienvit son baptme.

    LE problme thologique central de cet article est contenu dans son sujet :

    Descendu aux enfers ? ou descendu dans le royaume de la mort ?La premire de ces formules a t pendant longtemps util ise par laliturgie dans le Credo. Puis, les efforts des glises chrtiennes de langueallemande pour,parvenir une traduction commune des textes liturgiques ont,il y a environ dix ans, abouti l'utilisation d'une nouvelle formule, la seconde.Le mot enfers fut supprim et remplac par une expression plus neutre, le oyaume de la mort . Cette transformation vraiment profonde (comme nous

    allons le mo trer) n'a eu ce moment que peu d'cho dans le monde deshologiens, si l'on excepte quelques prises de position isoles (mme parmi

    les thologiens protestants). On a pu constater, plutt, un certain soulagement.Pourquoi ? Croyait-on que le mot enfe n'avait plus sa place l'intrieur dece que l'homme d'aujourd'hui, hritier des Lumires, peut comprendre etprouver ? Croyait-on avoir enfin libr le Credo d'un lest mythologique depuislongtemps superflu ? La dmythologisation tait-elle ici le mot magique ?Croyait-on que le mot enfer , si fortement imprgn par les reprsentations quien ont t faites la fin du Moyen Age, ne permettait pas d'accder au sensvritable de l'article de foi descendu aux enfers ? tait-ce pour des raiso spast oral es que l'on car tait l'ex pres sion ? S 'ta it- on r endu comp te q u'el le ne pas sai t plu s et qu' en con sq uen ce il fal lai t ra lis er un aggiornamentothologique en l'adaptant aux destinataires du message chrtien ?

    Quelle que soit la nature des motifs invoqus, on peut, il est vrai, manifesterau premier abord (mais seulement au premier abord) une certaine comprhen-sion pour cette attitude, et la considrer en quelque sorte comme une contre-attitude vis--vis des coles de dogmatique de la premire moiti de notre sicle,qui prtendait tout savoir sur les fins dernires. Mais y regarder de plus prs(et c'est le but de cet article), cette dvaluation et cette interprtation approxi-

    ative de la descente du Christ aux enfers sont extrmement raves et mme

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    Wilhelm Maas Jusqu'o est descendu le Fils

    thologiquement injustifiables : on ne voit plus la dimension en profondeur decet article du Credo ; on capitule inconsidrment devant le caractre insolite(en admettant qu'il le soit et qu'il le reste) de ce mystre de notre foi.

    Mais ce n'est pas seulement pour des raisons d'ordre thologique (surlesquelles nous reviendrons de manire dtaille) que l'on peut faire une critiqueapprofondie de l'attitude de scepticisme ou mme de refus l'gard du dogmede la descente aux enfers. D'un point de vue anthropologique et existentiel, ilconvient galement de rfuter l'objection souvent entendue selon laquelle l'ided' enfer n'apparatrait plus dans le vocabulaire de l'homme moderne ni dans

    son exprience de la vie. Or, c'est justement l o l'exprience humaine se traduiten exemples condenss, c'est--dire dans la posie et la littrature, que le termed' enfer sert peindre la condition de l'homme moderne et constitue le lieupar excell enc e d' une exi ste nce per ue de fa on ng ati ve. Le mot lui ser t exprimer avec prcision la vie o il se situe. On pourrait s'en rendre compte enaisant une lecture dtaille de la grande littrature du XIXe et du XXe sicles

    Nerval, Baud elai re, Rimbaud , Lau tramo nt, Clau del, Kafka, Thom as Mann ,Beckett, Joyce, Bernanos, Soljnitsyne, pour n'en nommer que quelques- ns (1).Or, si l'on veut que la flche de la parole de Dieu touche rellement la conditionhumaine jusque dans le langage utilis pour la rendre, cela implique galementque, pour proclamer aujourd'hui notre foi, la formule qui parle de la descentedu Christ aux enfers est non seulement autorise, mais ncessaire, quelle quesoit dans le dtail la signification de son contenu. Si l'on veut s'adresser l'homme moderne en parlant son langage, alors il faut parler aussi de l'enfer,

    car nul, plus que l'homme moderne, n'en a jamais autant parl.Pour en tudier de plus prs le contenu et la signification thologique, nousallons nous occuper tout d'abord des aspects bibliques, dans une premire partie.Il faudrait vrai dire complter la mthode de critique historique en interpr-ant l' criture avec les yeux de l'Esprit : inventorier la mystique relative au sujet

    qui nous occupe et l 'exploiter sur le plan dogmatique serait une tchehologique aussi urgente que fconde (2). Puis, en seconde partie, nous

    essaierons de donner de la descente aux enfers du Christ une interprtationsuccincte dans la perspective de la thologie systmatique actuelle.

    I. Les do nnes d e la B ib le

    1. Jsus, nouveau Jonas

    Pendant des sicles, la Premire ptre de Pierre (3, 19 et 4, 6) fut considrecomme la rfrence biblique principale pour le dogme de la descente aux enfers.

    Pour diverses raisons, elle est aujourd'hui passe davantage l'arrire- lan,andis que d'autres textes ont t mis davantage en vidence, notamment lalittrature d'entre les deux Testaments ainsi que les Targoums et Midrash, quel'on a valoriss de plus en plus, et auxquels on a fait appel pour expliq er lestextes difficiles de la Bible. Pour la suite de notre expos, Roma ins 10, 7 et

    atthieu 12, 40 nous seront des rfrences particulirement prcieuses.L'analyse des paroles du Christ en Mat thi eu 12, 40, du point de vue de

    l'histoire de la rdaction, montre dj que le signe de Jonas est un symbole de la

    (1) Cf. dans ce numro l'article de C. Marion, Une saison pour l'ternit .

    (2) Cf. dans ce numro les textes d'Adrienne von Speyr, prsents par H.-U. von Balthasar, L'exp-rience du Samedi Saint a.

    Passion et de la descente du Fils de l'Homme (3). Cette interprtation se trouveenforce si l'on tient compte du commentaire midrashique du livre de Jonas

    et des Pir k Rab bi Eli eze r (4) : la descente de Jonas dans les abmes y estrattache la ictoire eschatologique sur Lviathan, personnification du chaos

    onstrueux et menaant que constituait la mer l'origine des temps. Ce qui estd'ailleurs en rapport trs troit avec la reprsentation que l'Ancien Testamentse fait du sjour des morts (shol).

    Encore plus nette est la typologie de Jonas qui constitue l'arrire- lan deRom ain s 10, 7 : Paul y utilise des mthodes typiques du Midrash. Si l'on

    compare dans le dtail l'interprtation de Paul avec la manire dont le texte deDeutr onome 30, 11-14 est paraphras par le fragment de Targoum palestinienque nous conserve le Codex Neofiti I dcouvert en 1956 (5), on voit que dans lesdeux cas la marche sur la mer est remplace par la descente dans lesabmes ou dans les profondeurs de l'oca . Le Targoum applique ce versetau prophte Jonas, tandis que Paul, laissant manifestement l'arrire- lan cetteinterprtation, l'applique la descente du Christ : le Christ est le nouveau Jonas.De mme que Jonas, dans les profondeurs de l'abme, se trouvait dans lestnbres du ventre du poisson, de mme en a-t-il t du Christ dans l'abme duoyaume des morts. Mme si la valeur du passage sur la descente dans le contexte

    d'ensemble de Rom ains 10, 6-8 n'est que celle d'une affirmation secondaire(fait que l'on rencontre galement dans d'autres passages de la Bible relatifs la descente), il n'en reste pas moins que ce passage est trs rvlateur pour quicherche mettre en lumire l'arrire- lan de la reprsentation que se fait Paul dela descente : c'est la typologie de Jonas. L'accent y est mis tout particulirementsur l'ide, statique, de l'tat de mort, reprsent par l'tat d'engloutissement

    (symbole du sjour dans les abmes) : la mort se trouve en quelque sorte photographie dan s toute sa ra lit et dans tou te son obscurit . Il est vra i que l atradition post-biblique a beaucoup nglig cet aspect de la typologie de Jonas arapport d'autres aspects : les motifs prdominants sont ceux, dynamiques, du

    propht e qui se fait englouti r (mor de Jsus ) et rejete r (rsu rrect ion), ce quifavorise un certain triomphalisme dans la doctrine de la descente.

    Lorsque nous disons que le Christ est le nouveau Jonas, nous marquons ainsiles limites de la typologie de Jonas, les diffrences qui subsisten malgr toutesles ressemblances : tandis que Jonas, toujours vivant, a t englouti dans lesprofondeur s d e l' abme et n 'a p as t sacrifi jusqu'au bout , mais qu'engloutivivant, il a t rendu la vie, Jsus, lui; tait mort parmi les morts. Privtotalement de connaissance et de force dans l'abme du Shol, il a t abandonn jusqu'au bout par Yahv. Pour lui, il n'y a pas eu de remonte aprs ladescente dans l'abme. Cette dernire a t par elle-mme la monte et la gloire.

    Tel est le paradoxe du salut : mme dans la situation la plus dsespre,otalement sans issue et dans l'tat d'abandon extrme, c'est l prcisment et

    l seulement que rside la vie ; et ce paradoxe qui veut que la descente soit enmme temps la monte est aussi en fin de compte la pointe de Mat thie u 27,51b-53, dans la mesure o on interprte ces versets en ayant l'esprit la visiondes os desschs (Ezchiel 37), ainsi que certains Midrash et Targoums, etavec eux les fresques de la synagogue de Doura-Europos : la mort de Jsus est

    (3)Cf. R. A. Edwards, The sign of Jonah in the Theology of the Evangelists and a Londres, 1971.

    (4) Cf. A. Jellinek (d.), Bet ha-M idra sh I, Jerusalem, 1967 (3e d.), 96-105 ; Strack-Billerbeck I,644.647.

    (5)Cf. surtout M. McNamara, The New Testament and the Palestinian Targum to the Pentateuch,Rome, 1966, surtout 70-81.

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    Wilhelm Maas Jusqu'o est descendu le Fils

    l'aube des temps messianiques. Jsus mort est le Christ dont le sjour parmi lesmorts amne les morts la vie. Qu'il y ait ici l'arrire-plan une reprsentationjuive d'une descente du Messie n'est peut-tre pas exclure (6).

    2. Le passage obscur : 1 Pierre 3,19 et 4, 6Ces versets font partie des passages les plus discuts qui soient. Pendant des

    sicles, ils ont t considrs comme la rfrence biblique par excellence pour ladescente aux enfers. Il est vrai que saint Augustin, par exemple, tait dj d'unautre avis. En tout cas, l es exgtes contemporains ont tendance croire que le

    passage n'envisage pas un rle actif jou par le Christ lors de sa descente auxenfers pendant les trois jours passs au tombeau. Si l'on rapproche ce passagedes chapitres 6 16 de ce que l'on appelle l'Hnoch thiopien, qui en constituel'arrire-plan, on l'interprte alors de la faon suivante : le Seigneur ressuscits'adresse aux mauvais anges, insoumis et dchus, qui ont entran l'homme aupch, provoquant ainsi la sentence de punition du dluge, et qui dsormais sontretenus prisonniers jusqu'au Jugement dernier dans les airs o ils ont leurdemeure. Il leur annonce au moment de son Ascension la victoire dfinitive qu'il

    vient de remporter sur eux. Mme celui qui ne veut pas accepter cette interprta-tion, notre avis bien fonde, doit en tout cas nous concder que, dans cepassage, on ne peut plus voir aujourd'hui d'une manire absolue une actionrdemptrice de Jsus au royaume des morts entre sa mort et sa rsurrection (7).

    Nous nous trouvons donc devant un fait curieux : certains des passages-typeshabituellement utiliss propos de la descente aux enfers ne sont plus interprtsdans ce sens. Et en revanche, de nouveaux passages, jusqu'ici quelque peu

    ngligs, passent au premier plan. En outre, si l'on veut se faire, partir de laBible, une ide globale adquate de la descente aux enfers, il faut aussi analyser cequ'impliquent les reprsentations bibliques dushol.

    3. Le shol : l'homme abandonn par Dieu et par ses semblablesPays d'o l'on ne revient pas, o l'on est totalement spar des vivants et oubli

    de Dieu, o rgnent le mutisme et l'obscurit, bref la solitude et l'abandon, tellessont les caractristiques du shol. Il signifie le rgne souverain de ce qui estngatif, le triomphe des puissances du chaos sur la vie et l'ordre (kosmos). L'tatde mort et le shol constituent la somme de tout mal, la ngation de tout ce quiest bon, attirant, dsirable. Les conditions d'existence au shol sont en retourdans le monde d' avant la cration, fait de tnbres et de chaos, et oppos audessein de Dieu : le tehom, le chaos marin l'origine des temps (tel que lepersonnifie le monstre marin. Lviathan) et le shol ont entre eux des rapportstroits, et pas seulement sur le plan de la localisation (l'eau de la mort). Ainsi, la

    victoire sur lesholreprsente une nouvelle cration.

    Mais le pire pour celui qui se trouve au sh ol est qu'il est totalementabandonn de Dieu et des hommes, sans le moindre rapport avec qui que ce soit.La profondeur insondable de l'loignement de Dieu symbolise ici l'horreur parexcellence. De nombreux psaumes (par exemple le Psaume 22 et le Psaume 88)citent l'abandon par Dieu comme tant la premire de toutes les souf-

    (6) Cf. en outre mon Gott und die Hlle (cf. bio-bibliographie la fin de l'article), 73-97. J'y expose endtail les thmes que cet article ne fait souvent qu'effleurer et j'y donne une bibliographie.

    (7) Cf. W. J. Dalton, Christ's Proclamation to the Spirits (A study of I Peter 3, 18-4), 6, Rome, 1965 ;N. Brox,Der erste Petrusbrief, Zurich et al., 1979, 170 et 189.

    frances (8), et dans ce mme contexte, ils mentionnent galement sans arrtl'tat de celui qui est livr et sacrifi. Nous aurons y revenir. Il est alors trscurieux de constater que pour tout ceci la rciproque est galement valable :manquer totalement de relation, tre en proie la solitude, tre abandonn deDieu et des hommes, c'est se plonger dans le domaine dushol. Mais avant de leprouver, il nous faut encore dmontrer brivement que leshol ne commence passeulement aprs la mort, mais que d'aprs la Bible, cette situation dedescente se rencontre galement durant la vie elle-mme.

    4. La descente aushol

    pendant la vie

    La Bible ne voit pas dans le shol un simple espace statique, mais aussi unedynamique lie une existence. En tout cas, le premier aspect ne doit pas tresurestim et mis tout seul en lumire. Le shol n'est pas considr seulementcomme un lieu , mais aussi comme un royaume , c'est--dire le domaine os'exerce une souverainet et une puissance. Le shol est une puissance dynamiqueet agressive qui fait irruption dans la vie et l'anantit. La descente, le chemin dushol, commence dj au cours de cette vie. Misre en tout genre, maladie, tatd'abandon, c'est cela le shol, d'une manire certes partielle, mais pourtantrelle. Beaucoup de psaumes en sont l'expression. Sagesse 17 en est aussi untmoignage loquent : l'exprience de l'angoisse que l'homme a au fond de 'ui-mme est le symbole de la ralit du shol. Ces affirmations ne sont passeulement des mtaphores outrancires. Si, selon la Bible, la vie est plnitude dejoie, de sant, de communication, de sret, de proximit de Dieu, alors tout cequi affaiblit, diminue ou dtruit ces lments constituants de la vie est mort etsh ol : le deuil, la misre, le chaos, la maladie, la souffrance, la solitude,l'abandon par Dieu.

    5. La descente comme abandon et l'abandon comme descenteSi donc l'abandon de la part de Dieu et des hommes, ainsi que l'absence de

    communication, est le symbole du shol, et si, d'autre part, le shol est prsent aucoeur mme de la vie, on peut se permettre de poser l'quation : descente =abandon, abandon = descente. Les deux termes sont des concepts quasimentinterchangeables, mme s'il ne faut pas, suivant l'emploi qu'on en fait, ngligercertaines nuances ni l'accent mettre sur tel ou tel point. Le concept dushol qui,sous sa forme mythique, a tout d'abord l'apparence de quelque chose de lointain,trouve dans le concept existentiel d'abandon une importance et une actualitanthropologiques. Leshol prend vie dans l'exprience que l'homme peut faire del'abandon au sens le plus large. Ds le dbut, nous avons indiqu que la littraturemoderne en est elle aussi le reflet.

    Nous avons maintenant signaler un aspect christologique. Le rapport troit

    et intime existant entre les phnomnes caractriss par les concepts sacri-fier , abandonner , descendre au shol a dj t mentionn. Cetteremarque est valable du point de vue de l'anthropologie, mais aussi de lathologie et surtout de la christologie. Il s'agit ici en effet de concepts centrauxdans le domaine de la terminologie de l'Alliance, domaine o la question de larelation est essentielle : celui qui abandonne Dieu en enfreignant les, rgles del'Alliance, celui-l est abandonn son tour par Dieu, sacrifi, et il descend au

    (8) H.-J.Kraus,Psalmen,Neukirchen, 1972 (4e d.), LXXV.

    (9) Grgoire le Grand,Moralia 10, 9 (PL 75, 929 a).

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    shol, l o rgne l'absence de toute communication et de tout lien. On trouve unschma presque strotyp de cette situation ds Nh mie 9. Pourtant, etl'accent ne cesse d'tre mis sur ce point lorsque le Peuple a rompu l'Alliance,lorsque l'homme a abandonn Dieu, celui-ci ne l'abandonne en fin de compteque pour peu de temps et ne le laisse pas jusqu'au bout dans l'tat d'abandondu shol . Sur cet arrire-plan se dtache d'autant plus nettement la nouveautdu message chrtien : Jsus-Christ, qui, parce qu'il s'identifie la volont duPre, on ne peut reprocher aucune rupture de l'Alliance, est livr par son Preen lieu et place de ceux qui l'ont rompue (cf.Romains 8, 32). Donc, tant donn

    que le Pre le livre et ce, jusqu'au bout , que sur la Croix il est abandonn parce mme Pre et qu'il ne connat aucun mnagement comme ce fut, parexemple, le cas pour Isaac (Gense 22) , pourquoi alors, parlant de ce mme Jsus-Christ, et dans le cadre de toutes les perspectives offertes par la Bible etprsentes ici, ne pourrait-on pas dire : Il est descendu aushol, dans les enfers ?

    Le Nouveau Testament l'exprime implicitement dans un dernier passage,quand, dans Acte s 2, 27-31, citant le Psa ume 16 ( Tu ne laisseras pas monme dans l'Hads, condamne l'abandon ), il constate ou prsuppose d'abord laprsence du Christ dans l'Hads (parmi les morts), puis qualifie cette descente oucette prsence parmi les morts d'tat d'abandon par le Pre, sans donner cet abandonun caractre dfinitif ( Tu ne laisseras pas... ). L'ide de l'abandon du Fils livrpar le Pre est en quelque sorte une parenthse thologique qui rsume etimplique la Passion de Jsus, sa mort et sa descente au sho l. Mais inverse-ment, on pourrait dire aussi d'une certaine manire : la descente aux enfers est, enlangage thologique, le condens de Gethsmani, c'est--dire de la Passion deJsus, de sa mort et de son tat de mort. Thologiquement parlant, il serait doncationnel d'adopter dans le Symbole des aptres l'ordre suivant : ... est

    descendu aux enfers : a t crucifi, est mort, a t enseveli .

    6. Valeur des passages bibliques sur la descenteAyant analys les lments fournis par la Bible et aprs avoir interprt les

    pas sages -c ls hab itu ell ement uti lis s , nou s pou von s re ten ir la con cl sio nsuivante : nulle part, il n'est expressment question d'une vritable descente, dumoins dans le sens d'une participation active du Christ l'conomie du salut,au royaume des morts, entre sa mort et sa rsurrection. La descente auxenfers proprement dite n'est pas explicitement thmatise. D'un point de vueformel, le thme n'est trait que comme un -ct impliqu ou suppos par laCroix, la Rsurrection et la victoire qui en rsulte sur le mal et sur la mort.Pourtant, ce caractre formel ne diminue pas la valeur intrinsque de cespassages, si nous tenons compte de l' ensemble de la thologie biblique dushol, etsi nous procdons une analyse dtaille des multiples implications de l'ide

    qu'on peut s'en faire. C'est la seule faon de parvenir une intelligence totale etadquate de la descente selon la Bible. Nos remarques, par exemple propos deatthieu 12, 40 et 27, 51b-53 ainsi que Romains 10, 7, ont, je l'espre, montr

    clairement que la restriction que nous venons de faire (en ne voyant dans ladescente aux enfers dont parle le Nouveau Testament qu'une implication d'ordresecondaire dans le contexte prpondrant de la mort et de la Rsurrection) nediminue en rien la valeur de ces textes ni leur importance, ni non plus la richessedu essage qu'ils contiennent. Bien plus, le labeur de l'exgse, combieningrat, met aussi en lumire les dveloppements que notre travail systmatiquede thologien va maintenant nous permettre de faire, afin de montrer que ledogme de la descente aux enfers ne se situe pas la priphrie, mais au centre de lathologie.

    Il. Ver s u ne thol og ie s ys tmati qu e

    1. Mythe ou mystre ?

    Dans le courant cr par la thologie librale et par la tendance moderne la dmythologisation , tendance pousse l'extrme par R. Bultmann, le dogme dela descente aux enfers, tout comme ceux de la naissance viriginale et del'Ascension, n'a jamais t mnag. On l'a rejet en le traitant de reliquedessche (A. von Harnack), et d' affaire liquide (R. Bultmann). L'expres-sion descente aux enfers est d'aprs eux une expression mythologique qui,aux yeux de l'homme moderne, n'est pas digne de foi, parce que, pour celui-ci,l'image mythique que la Bible se fait du monde est dpasse et qu'il estimpossible de la reme tre au got du jour. Ce n'est pas ici le lieu de prsentertoute la problmatique de la dmythologisation et de l'interprtation existentielle ; mais nous allons pourtant vrifier rapidement si, en considrant lefond des choses, on peut continuer prtendre que, dans la Bible, la descente auxenfers drive des mythes de l'Ancien Orient dont elle n'est qu'un dcalque

    ythologique. Cette affirmation est aujourd'hui encore nonce avec srieux,et spcialement quand on se rfre au mythe babylonien et sumrien d'Ishtar-Inanna, avec lequel le dogme chrtien se rencontrerait.

    Le rsultat d'une analyse compare tient en quelques mots : dans les mythes dedescente des religions non-chrtiennes, il s'agit toujours de la descente d'un dieuou d'un demi-dieu qui descend vivant aux enfers. On aspire revenir non nesorte de batitude ternelle , mais au pays des vivants, sur la terre. Il est

    atent que le but de la descente est de reconqurir un trsor perdu, d'expliquer

    les chemins de l'enfer et donc de dvoiler le mystre du royaume des morts.Dans les mythes, il s'agit toujours de la libration d'un seul dieu ou hros par unautre, et non de la descente du Dieu unique pour sauver tous les morts. Lesanalogies avec les reprsentations bibliques se rd isent la manire de dcrirel'enfer, qualifi, par exemple, de pays d'o l'on ne revient pas , ou peut-tre la formule les portes de l'enfer . Mais les lments adopts et utiliss commeimages subissent par suite de leur insertion dans le contexte biblique et chrtiendes transformations, mme quant leur contenu. Ce n'est pas dans les mythes

    aens, mais dans les reprsentations juives de l'Ancien Testament que l'onrouve les rudiments du dogme chrtien de la descente. Ce dogme n'est pas un

    m the, mais un mystre auquel le croyant est naturellement le premier econnatre un caractre trange incontestable, et mme, certains gards,

    durable. Mais ce mystre, s'il ne passe plus aujourd'hui, ne doit pas pour celatre adapt l'horizon limit de notre intelligence dans un aggiornamentodogmatique mal compris. Car on s'exposerait alors au danger d'riger nos voeux et

    dsirs en critres de ce que nous pouvons encore ou ne pouvons plus croire.Le mystre du Samedi Saint, qui se situe entre la Croix et la Rsurrection, n'est

    pas la priph rie, mais au centre de t oute la t hologie , bi en q ue celle-ci en a itvid, oubli, nglig le contenu thologique. Or, il apparat que justement notrepoque s'ouvre nouveau peu peu ce mystre, parce qu'on y prouvel'abandon par Dieu, la rvolte y fait descendre dans les profondeurs deSatan une poque mre donc pour l'approche de ce mystre. Si, nos yeux,la foi chrtienne garde toute sa nouveaut, c'est justement grce au caractretrange et cach de ce mystre, mme si cela ne se voit qu'au prix de lenteurs,d'effort, de travail et de patience. Pour y apporter nous aussi notre contribution,nous proposons les rflexions suivantes, par lesquelles tous les secteurs de lathologie convergent en ce point de jonction que constitue le dogme de la

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    descente. Pour cela, nous croyons pouvoir souligner l'importance particulired'aspects relevant respectivement de l'anthropologie, de la christologie et de ladoctrine du salut, de la thologie trinitaire et de la thologie pratique. Il est bienentendu que, malgr leur diversit effective, ces aspects n'en sont pas moins enfin de compte insparables. Le point de vue christologique n'est pas concevablesans celui de l'anthropologie ; il est la source et le type du point de vue de lathologie pratique et sacramentaire, ainsi que de la thologie morale, et cespoints de vue runis ne peuvent exister en dehors du point de vue de la thologietrinitaire, qui les englobe tous.

    2. L'enfer et l'homme moderneComme nous l'avons dj vu, la posie et la littrature modernes, qui, sous une orm e

    condense, donnent une image de l'exprience humaine, montrent l'vidence que l' enfer est la reproduction exacte de l'espace o se drouleaujourd'hui la vie humaine. Ce mot, qui dsigne ce qui est inquitant, pouvan-table, absurde, sert l'homme pour dire avec prcision o il se situe et quel estson tat. L' enfer est le mot-cl le plus couramment u ilis pour interprterl'existence. Chaque jour vers l'enfer nous descendons d'un pas (Baudelaire).Je m e crois e n enf er, donc j 'y suis (Rimbaud). L'enfer a bien des noms et biendes visages, des noms comme ceux dont se servait dj l'homme tourme t des

    saumes. Chose curieuse : mme le nouvel enfer intrioris de la littratureoderne a conserv un trait fondamental de cette tradition biblique, savoir la

    condition de total abandon. trange, de cheminer dans le brouillard ! / Vivre,

    c'est tre seul. / Personne ne connat son semblable. / Chaque homme estseu l . Ces mots d'un pome de Hermann Hesse expriment l'ide qu'au plusintime de notre existence, il y a le dsespoir de la solitude auquel nous ne pouvonsamais chapper, et que ne peu ent atteindre ni l'amour ni le soutien ni lesaroles de consolation de nos semblables. Nous sommes abandonns, alors que le

    trfonds de notre tre est fait pour la vie en communaut. Le point culminant et ladernire extrmit de ce manque de communication est la mort ou ce qui, dans laBible, est finalement la mme chose, leshol.

    A cette premire mort, dj suffisamment terrible, s'ajoute encore la secondeort , celle du pch. C'est lui qu'il nous faut examiner maintenant. La

    tentative dmesure du cur recourb sur soi-mme pour s'riger en absolu etenter de se passer de toute relation avec Dieu et les hommes est dj en soi une

    descente aushol, un enfer o la libert absolue est comprise de travers et utilise contresens. En ce sens, notons-le, l'enfer est le mystre de l'amour du Pre, qui a

    cr les hommes libres, parce que l'amour suppose la libert et qu'ainsil'homme peut refuser la grce qui lui est offerte et se replier sur soi-mme dans nisolement infernal. Le rvolt descend dans les profondeurs de Satan quand, malgr l'chec auquel sa tentative est voue a priori, il essaie de trouver enlui-mme un fondement absolu de tout et de vivre repli sur lui-mme alors qu'illui est demand de se donner aux autres.

    Si la condition humaine est ainsi dcrite avec exactitude, l'homme qui serouve dans cet enfer (envisag l'intrieur du monde actuel ou aprs la mort)

    est alors l'objet de l'action salvatrice de Jsus-Christ. La prdication et lathologie, quand elles invitent cet ho me moderne la foi, ne peuvent pas ne

    as en tenir compte, et devront voir dans l'homme soumis cette exprience et cette situation un point de dpart et un destinataire du message prendre ausrieux. La descente de Jsus aux enfers et la proclamation de ce dogme devien-nent alors bel et bien ncessaires. Dans son tableau intitul Le Christ dans les

    12

    limbes, eint en 1948 New-York, Max Beckmann a rendu avec prcision lacondition de ceux qui sjournent dans un tel enfer. Le Christ, la couronned'pines sur la tte, pntre au royaume de l'enfer, une bougie allume la main.Mais ceux qui y reoivent son message et bnficient de son uvre de salut sedistinguent trs nettement des personnages que les icnes orientales nousmontrent attendre le salut : ce ne sont pas des patriarches au visage majestueux

    ien que refltant l'impatience, ce sont au contraire des personnages troubls,dsesprs , anxieux (avec ve leur centre) et sur le visage desquels on peut lirenon l'attente impatiente, mais la conscience de ce que leur situation a de sansissue et de dsespr.

    C'est dans ce lieu que l'homme attend son rachat. Du fond de cet abme, il aesoin qu'on vienne le sauver. Mais, de toute faon, ce n'est que sur le planchristologique qu'on peut dcouvrir toute l'tendue et toute la profondeur de sadtresse : le Christ a connu le fond de l'abme de l'enfer et en a travers lessouffrances avec plus d'intensit et d'une manire plus dfinitive qu'aucunautre homme ne l'a jamais fait. Il a t K plus prof ond que l'e nfer (9) . Il est le

    remier et le dernier avoir atteint et touch le fond le plus recul de l'abme,dont il a ainsi tabli les limites dfinitives. Dans ce sens, l'enfer est un lieuchristologique que seul l'vnement du Christ a rendu possible. C'est qualitati-vement quelque chose de trs diffrent dushol de l'Ancien Testament et aussi dela ghenne juive, et mme les comparaisons, certes lgitimes, d'ordre anthro ologiqueen sont finalement trs loignes, un abme les en spare. Donnons maintenant cesprliminaires formels le contenu qui les compltera.

    3. En prenant notre place, le Christ nous dplace

    Dans l'histoire de la thologie, un motif important l'origine du dogme-de ladescente aux enfers et de son volution a t sans nul doute la question du salutdes justes de l 'Ancienne Alliance : comment peuvent-ils avoir part l'actionrdemptrice de la Croix et de la Rsurrection de Jsus-Christ ? Le caractreuniversel du salut apport par la Rdemption devrait trouver ici son expression.L'conomie du salut devrait englober toute l'histoire de l'humanit ; qu'on seourne vers l'avenir ou vers le pass, il ne devrait y avoir aucune limite. Pour

    autant, il est tout fait comprhensible, lgitime et judicieux qu 'aujourd'hui oasse passer au premier plan ce qui est tourn vers l'arrire, vers le pass, dans leouvement librateur que contient la Rdemption. A une poque qui prend de

    lus en plus conscience de l'aspect fcheux et ngatif des thories modernes del'mancipatio et des idologies progressistes, qui a un sentiment plus aigu dessouffrances oublies et refoules qu'ont endures les morts, et qui se sent

    concerne par le caractre de dfi que prennent les injustices absurdes du pass, cetaspect de la descente prend un relief particulier. Ce dogme ne peut donc pas treconsidr comme un mythe qu'il faut carter le plus tt possible de la foichrtienne, mais comme un moment indispensable de la libration apporte par laRdemption. La descente rvle la solidarit du Christ qui tourne son regard enarrire, vers les morts oublis du pass, et qui rhabilite les victimes del'histoire du monde.

    Nul dout e que ce ne soi t l un asp ect impo rtant de la descent e, aspe ct surlequel J.-B. Metz, dont beaucoup d'intuitions rejoignent en cela celles de WalterBenjamin, a eu tout particulirement le mrite d'attirer l'attention (10). Nul

    (10) Cf. surtout Glaube in Geschichte und Gesellschaft, Mayence, 1977, 104-119.

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    doute que dans cette attitude, souvent nglige, de la t solidarit vers l'arrire ne soit inclus un lment important de la doctrine chrtienne du salut, auquella thologie a t en effet trs attache ds le dbut de son histoire. Le sjourparmi les morts est effectivement quelque chose de comparable un aiguillonapocalyptique dans l'essence de la foi chrtienne. Certes, en face de cettesolidarit avec le pass, il convient d'avoir aussi une attitude critique et de sedemander si elle peut rellement faire place ce qui est purement et spcifique-ment christologique, ou si au contraire elle ne ,provient pas simplement d'unschma trs formel emprunt une certaine philosophie de l'histoire (celle de

    W. Benjamin). C'est justement la dimension inamissible par laquelle - laRdemption chrtienne s'applique au prsent et s'ouvre galement sur l'avenirqui n'y trouve pas son compte. Du point de vue christologique, on ne peutvraiment parler de la descente du Christ chez les morts que si, en mme temps etpartant du mme princip e, o n par le de la Rsurrection. C'est pourquo i il ne f autpas retomber encore u ne fois dans une doctri ne triomphalis te du salut. En toutcas, cette solidarit envers le pass ne suffit pas faire comprendre et dcriretoutes les dimensions christologiques et sotriologiques de la descente aux enfers,et surtout pas les dimensions les plus profondes.

    Cette constatation vaut galement pour une autre interprtation qui estimeincluse dans la doctrine de la descente l'ide selon laquelle la mort du Christdonne sa ralit humaine et spirituelle une relation d'ordre franchementontologique avec le monde dans sa totalit et dans son unit cache derrire lemorcellement de l'espace et du temps. D'aprs cette ide, l'me humaine nedevient pas, la mort, a-cosmique ; elle ne perd pas purement et simplement

    sa relation au monde. Au contraire, elle devient pan-cosmique . Dire que lesenfers sont en bas , c'est aussi dire qu'ils sont au fond . Descendre auxenfers, c'est aussi descendre au fond des choses, dans la couche profonde de ceque le monde est en sa ralit dernire, vers les racines o tout s'unifie (et quiconcident peut-tre avec l'inconscient collectif) (11). La descente aux enferssignifie alors qu'une nouvelle catgorie de l'existence humaine (un nouvel existential ) est dsormais insre dans le fond radical de l'tre cosmique (12).

    Du point de vue philosophique, il est dj difficile de dterminer le rapport del'esprit la totalit du monde sans sortir du systme traditionnel des conceptsqui articulent l'ontologie ; et les images qui structurent notre pense ne sont pasassez entranes exprimer des thmes de ce genre. Mais c'est surtout du pointde vue de la thologie qu'il faut exprimer des rserves devant cette interprtationde la descente. Il n'y a certes rien dire contre l'ide que la Rdemption atteintaussi les couches les plus profondes des archtypes humains, voire jusqu'audomaine de l'inconscient. Mais on peut se demander si cette interprtation de la

    descente est suffisante. Si en effet l'action de solidarit du Christ sauveur notregard se limitait subir la mort qui est notre lot commun, mme s'il l'a assumeet intriorise en pleine conscience et en parfaite obissance envers son P e, et

    me si, par le don de sa Personne qu'il a fait au monde d'une manireabsolument unique et exclusive, il a tabli une nouvelle catgorie d'existence,

    me ainsi on n'aurait pas encore saisi le caractre spcifique de son tat demort, en quoi il va plus loin que l'exprience de la mort commune tous leshommes. Et en outre, on n'aurait pas pris suffisamment au srieux des affirma-tions de la Bible comme 2Corinthiens 5, 21 ( il l'a fait pch pour nous ) ou

    (11)Cf. K. Rahner, Schriften zur Theologie III, 263-281, surtout 271-276.

    (12) Cf. K. Rahner, Zur Theologie des Todes, Fre iburg et al., 1961 (3e d.), surtout 58-61 (traductionfranaise :Le chrtien et la mort, coll. Foi vivante ).

    14

    Galates 3, 13 ( devenu pour nous maldiction ). Le C rist va plus loin, avanttout en ce qu'il a connu aussi la seconde mort , en ce qu'il s'est charg de tout lepch du monde, et donc en ce qu'il a fait l'exprience du pch comme tel.

    Le Christ se charge lui-mme de tous les pchs du monde. Il les p sente son Pre qui prononcera la sentence. Il prouve de la part de Dieu l'abandondont tout pcheur fait l'exprience. Il connat la mort ternelle qui nous plongedans les tnbres en nous loignant de Dieu. Il se fait solidaire de notrecondition, de notre exprience de la nature et des effets du refus que constitue lepch (sans toutefois commettre lui- me le pch). Rduit une extrme

    impuissance et faiblesse, il connat la seconde mort , le pch en soi, lestnbres totales du refus de Die , ce qui aprs tout est le propre de la peine del'enfer (mme si ces souffrances ne constituent pas un chtiment, mais sontl'effet de son amour). Il prouve lui- me le jugement d'quit que Dieu portesur le mal. Toutes ces ides se retrouvent toujours ici ou l dans l'histoire de lahologie. Luther affirme, comme on sait, que Jsus sur la Croix, abandonn du

    Pre, prouve dj les tourments de l'enfer et que, prenant la place des pcheurs, ilconnat la souffrance de la descente aux enfers. Ce en quoi il n'exclut pas,comme le fait Calvin, une descente aprs la mort. Cette ide a des prcurseurs, arexemple Nicolas de Cuse ou, au XIe sicle, Rupert de Deutz, qui parle du Christcomme de celui qui, pour nous, notre place, est maudit de Dieu . Au XVesicle, Denys le Chartreux compare le Christ au bouc missaire de l'AncienTestament, et parle galement des souffrances dues au chtiment qu'il encourt notre place. On pourrait multiplier ces exemples (13).

    Toutes ces ides des thologiens visent envisager comme une ralit digned'tre prise au srieux le fait que le Christ a ris notre place et surmonter laendance (si rpandue l'heure actuelle) donner cette ide de substitution un

    sens restrictif et dvaloris. Le changement de lieu est accompli : l'endroit oous tions, nous autres pcheurs, et o nous aurions pu tre, c'est lui qui s'yrouve maintenant. Aucun d'entre nous n'est plus contraint d'y aller. Un

    merveilleux change s'est opr, un admirabile commercium.Une ide adquate de la descente aux enfers n'est possible que dans ces

    dimensions de profondeur. En liaison avec des ides d'Adrienne von Speyr,H.-U. von Balthasar a tabli la thologie de la descente dans ces dimensions, etpense notamment que le Christ , descend u aux enfers , rencon tre dans toute sonhorreur le pch comme tel, spar du pcheur, et qu'il fait l'exprience du second chaos , de la ncessit de chercher le Pre l o il ne peut absolument pasle trouver. Nous contentant pour le moment de cette allusion (14), nous

    envisagerons un autre aspect de la descente, qui englobe et conditionne tous lesautres, savoir l'aspect trinitaire.

    4. La dimension trinitaire de la descente aux enfersLe mystre de la cration est le mystre de l'amour du Crateur. Or, qui dit

    amour dit libert, et la libert tant offerte aux cratures, il faut galementaccepter a priori sa consquence prvisible, qui est l'abus de cette libert,c'est--dire le refus. L'enfer, tant l'ultime consquence de cette libertdes cratures, a donc son origine premire dans le Pre. Il est son secret, lequel(13) Cf. L. Sabourin,Rdemption sacrificielle, Montral, 1961, surtout 70-73,109-112.

    (14) Cf. H.-U. von Balthasar, Le mystre pascal s, dans Mysteri um S aluti s, Paris, Cerf, 1972,13-264 ; B. Albrecht. Eine Theologie des Ka tholisch en. (Einfhr ung i n das Werk Adrienne von Sp eyrs),1er vol. : Durchblick in Texten s, Einsiedeln, 1972, surtout 104-120.

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    rsulte de son amour pour le monde. Il faut donc que le Fils, qui a pris la naturehumaine pour sauver le monde et auquel le jugement a t confi soit conduit parle Pre jusquen enfer. Dans le chaos et les tnbres de l'enfer, le Fils, totalementsoumis, dcouvre ce qui, jusqualors, tait le domaine rserv au Pre : tout ce qui,dans la crature, a t rejet par le jugement du Pre, la somme de toutes lesuvres impies. Envisag de ce point de vue, sur lequel Adrienne von Speyr a misl'accent, l'enfer est peut-tre en dernier ressort un vnement trinitaire.

    En voyant ce qu'il en est dans la Bible, nous avons dj constat que l'ide de don de soi , d' abandon a un lien trs troit avec la descente, laquelle ne se

    comprend dans toute sa profondeur que si on envisage la dimension trinitaire. Sibien que Romains 8, 32 fait galement partie des passages qui expriment lecaractre spcifique et nouveau de l'tat de mort de Jsus, par rapport l'exprience de la mort commune tous les hommes. Comme le fait remarquerH.-U. von Balthasar, la dimension d'abandon de la part de Dieu et de descenteaux enfers, na pas t invente pour les besoins de la cause par les thologiens qui ontrflchi sur le salut, mais s e trouve dj prsente, au sein de la Trinit, dans ladimension du don de soi sans rserve, dans le dpouillement ternel de Dieu,dans la faon dont le Christ renonce aux effets de sa divinit (knose), geste quitraduit l'ternelle manire d'tre de Dieu. La diffrence trinitaire entre le Pre etle Fils est l'ultime base conditionnant la descente : Abandonner le Fils, pour lePre, et se laisser abandonner par le Pre, pour le Fils, les deux mouvements sontsitus dans l'unit et l'accord du conseil trinitaire. Le chemin qui mne le Fils l'alination totale de sa Personne (car la mort, l'Hads, Satan, c'est le refus deDieu, l'incompatibilit avec Dieu, donc la rprobation de la part de Dieu) est

    parcouru dans l'obissance (Philippiens 2, 7 s.) conformment l a v o l o n t d 'a band on par l e Pr e , e t av e c un e spo n tan i t qu i, en elle-mmeest une "puissance " (Jean 10, 18), mais qui se laisse manipuler dans lultimeimpuissance de la mort et de l'tat de mort. Lalination absolue de sa propre personnedans lexprience de lenfer est fonction de l'obissance du Christ fait homme, e t ce tteobissance e st son tour fonction de l'amour qu'il prouve en toute libert pourson Pre (15).

    Jusqu'ici, il n'a t question que du Pre et du Fi ls. Mais comme ce que laBible appelle l'Esprit ne saurait tre laiss de ct, nous allons maintenantessayer encore d'en lucider le rle dans la descente. Au cours du mouvementtrinitaire de don de soi, l'Esprit lui aussi renonce un aspect de sa personnedivine, celui que constitue l'effusion surabondante de l'amour entre le Pre etle Fils . Si l'abandon de Jsus en croix est la traduction dans l'conomie du salutdes relations entre les personnes de la Trinit, si le Fils de Dieu n'existe qu'en

    venant du Pre et en allant au Pre , si la ralit du pch du monde s'inscrit,

    dans l'conomie du salut, au sein de ce va-et-vient sous la forme non pas d'unobstacle extrieur, mais d'une ralit assume par le Fils et inhrente sapersonne, ralit qui par sa nature mme suppose qu'il soit condamn et rejetpar Dieu, alors la relation indissoluble entre le Pre et le Fils se vit sur le mode dela rprobation, de la rupture, de l'inaccessibilit de la part du Pre. Et leSaint-Esprit, qui, de toute ternit, est l'expression en Dieu de cette relationmutuelle, la traduit maintenant dans les termes d'un cartlement : c'est lecontraire d'un sentiment d'indiffrence mutuelle, c'est un amour absolu auquel

    (15) Les citations qui suivent sont tires de Pneuma und Institution, Einsiedeln, 1974, 396 s., 224, 264, 265,115, 329, 339.

    Jusqu'o est descendu le Fils

    une privation absolue ne peut que donner une parfaite conscience de soi-mme N.La communaut divine se traduit donc, chez le Dieu fait homme, par unesparation.

    Ce qui est vrai du Christ crucifi l'est galement de l'Esprit qui, au moment de lamort de Jsus, se dtache de lui. Il est naturellement esprit de vie ternelle et decommunion ternelle entre le Pre et le Fils. Mais, au moment o le Christexpire, il se traduit en termes de mort et d'abandon de la part de Dieu.L'E spr it qui a acco mpag n le Fil s jusqu' la fin a fai t une fois pour tout esl'exprience de cette fin, et lorsqu' Pques il est insuffl la communaut de

    l'Eglise, il ne peut plus faire abstraction de cette exprience qui lui est devenueessentielle N. Balthasar voit dans l'Esprit l'expression et la personnification del'abngation divine, le noyau nu de l'Amour ternel, la manifestation de l'terneldon de soi.

    D'aprs Romains 8, 32, le Pre n'a pas pargn le Fils qui est son bien le pluspropre ; le Fils, son tour, ne s'est pas pargn lui-mme, mais il s'est dpouill . Ce dpouillement est donc le mme pour le Pre et pour le Fils.L'Esprit est alors la dmarche strictement identique par laquelle le Pre etle Fils livrent et se livrent (16). Le mot deJean 19, 30 ayant un double sens,sus en croix n'a pas t seulement un homme rendant l'esprit mais, dans

    l'extrme abandon o il se trouvait de la part de Dieu, le Fils transmettantl'Esprit de Dieu qui tait le sien l'glise.

    On peut prolonger ces rflexions sur le rle de la troisime personne de laTrinit d ans la descent e e n d isa nt que l'enfer est le lie u dont l'Espri t e sttotalement exclu, le lieu o le nous prononc par le Pre et le Fils est

    totalement absent, c'est--dire le lieu de l'tat complet d'abandon et de solitudeavec soi-mme. Si Heinrich Schlier a raison de dire que le Samedi Saint est lejour o il n'y a eu que le Jsus de l'histoire (17), on pourrait dire dans le mmesens qu'il est aussi le jour o il n'y avait que le seul Jsus, le Jsus mort et nonpoint le Christ , l'oint du Seigneur, celui qui possde les dons de l'Esprit.Pour parler comme Balthasar, l'Esprit, dans la descente aux enfers, 'ne maintient le nous de la relation entre le Pre et le Fils que sous une forme clate,jusqu'au moment de la Rsurrection, o l'Esprit vivifiant du Pre rtablit le liendu nous au sein de la Trinit. Ainsi, en prenant pour point de dpart cetteperspective, on met en lumire la profondeur de l'abandon et de l'isolement quicaractrisent l'enfer.

    L'Esprit apport l'glise et au monde par la Croix conserve de par cetteorigine une empreinte durable. Il marque aussi de son empreinte l'tre et lesactes de ceux qui l'ont reu. C'est ce que nous allons voir en conclusion.

    5. La place de la descente aux enfers dans la vie du chrtien

    Ce qui a t dit de la Bible a montr que les ides contenues dans les conceptsde shol, abme, profondeur de la mer, chaos, mort, sont remarquablementproches l'une de l'autre. Sombrer dans l'abme, dans les profondeurs menaantesde l'Ocan, cela signifie et implique une descente au shol, dans le royaume duchaos d' avant la cration, l o s'exercent les forces destructrices du mal.Ceci ne vaut pas seulement pour l'Ancien Testament, mais dans le cadre du

    (16) H. Mhlen,Die Verdn derli chkei t Go ttes als H orizo nt ei ner z ukii nfti gen C hrist ologi e, Mnster,1969,33.

    (17) Der abwesende Herr (Der Tag, an dem es einen bloss "historischen" Jesus gab) , dansRheinischerMerkur, no15, du 13.4.1973, p. 31.

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    Wilhelm Maas Jusqu'o est descendu le Fils

    suite, cette descente, telle que nous venons de la dcrire, se trouve renouvelear le baptme qui, administr normalement aprs la naissance, peut et doit

    dans un certai sens devenir pour le chrtien un programme de vie, une marquedistinctive et le sceau de la foi, alors le chrtien, de sa naissance sa mort,renouvelle jour aprs jour la descente de Jsus dans le monde d'en- as. Sa vie,s'identifiant progressivement avec cette descente, devient dpouillement de soiau profit des autres qui pour moi ne sont pas l'enfer (Sartre), mais pourlesquels je dois, s'il le faut, assumer l'enfer que reprsente l'tat d'abandon, rendrepart leurs souff rances e t me dvoue r jusqu' en perdre ventuellement la vie.

    En un certain sens, l 'vnement mystrieux de cette descente s'est dj produit objectivement dans le baptme (cf. Romains 6). Mais il s'agit ici de l'assimi-

    lation existentielle de ce don initial parmi les tches et les privations de la vie. Ils'agit donc, si l'on veut, d'une thique de la descente. Qu'est-ce qui pourraitmieux symboliser cette exigence d'un comportement qui, tout au cours de la vie,soit, au niveau de l'thique, une perptuelle descente, sinon le rcit du lavementdes pieds dans le Nouveau Testament ? Le grand mystre de la foi chrtiennequ'on n'arrive jamais percer et qui, prcisment, ne peut se comprendre quedans le processus de cette assimilation existentielle, le voici : il faut que je mefasse un trs humble serviteur, que je descende tout en bas et que je me donnetotalement aux autres si je veux monter et acqurir la vie et le ciel, de sorteque le mystre du baptme que j'ai reu au dbut de ma vie reste entier. Mais, enrenouvelant dans la vie de tous les jours ce mystre de la descente dont notrebaptme a marq u le dbut, nous commenons peut -tre compr endre que la

    monte ne s'accomplit que dans la descente mme, qu'on ne devient soi-mmeque dans le don de soi, et que seule la mort est source de vie. Sans doute cespersp ective s ont-e lles encore leur mot dire, mme l'homme d'aujo urd'h ui,et sans doute pourraient-elles se rvler fcondes, mme dans la catchse et lapastorale, pour mieux comprendre le mystre de la descente du Christ aux enfers.

    Wilhelm MAAS(traduit de l'allemand par Paul Lamort)

    (titre original : "Abgestiegen zur Hdlle ",Aspekte eines vergessenen Glaubensartikels )

    Nouveau, nous pouvons galement constater des rappor ts du mme genre, mmes'ils sont exprims de manire moins explicite, plus allusive.

    Le passage de la Mer rouge qui, reprsentant aux yeux des Juifs le fondschaotique de l'Ocan, symbolisait galement le lieu o rgnent la mort, lamenace et le malheur, devient tout simplement le modle clatant de l'actionrdemptrice de Jsus-Christ. Les Pres de l'glise voient alors dans ce passagede la Mer rouge un modle de l'vnement du baptme, grce auquel nouscommenons avoir part l'oeuvre rdemptrice de Jsus (18) (cf. 1 Corinthiens10, 1 s., Ro mai ns 6, 3-5, et Hb re ux 11, 27-29 trois points de repre

    importants, qui servent de lien entre les concepts cits plus haut). En tout cas,l'immersion et la descente dans l'eau (de la mort) au cours de la crmonie dubaptme taient autrefois aux yeux de l'glise une rptition de la descente de Jsus -Christ. On voit aussi un rapport entre le baptme dans le Jourdain et ladescente. Autre chose remarquable : l'une des plus anciennes peinturesreprsentant symboliquement le baptme qui soient parvenues jusqu' nos jours(avec galement une des plus anciennes images du Christ), laquelle se trouvedans le baptistre de la salle de runion de la communaut chrtienne deDoura-Europos, reprsente Pierre marchant sur les eaux du lac de Tibriade,celui-ci tant le symbole de la vie mise en danger, de la mort et de l'abme.

    L'p tre aux Hbreux (11, 29) utilise le terme traverser pour dsigner lepassage de la Mer rouge, et c ela, en se fondant sur Isae 51, 9 s. : N'est-ce pastoi qui as tu Rahab et qui as transperc le dragon ? N'est-ce pas toi qui asassch la mer aux eaux tumultueuses (tehom) et qui, des profondeurs de la mer,

    as fait un chemin pour que le peuple libr la franchisse ? . Le dpart d'gypte,la marche au fond de la mer, la traverse du royaume de la mort, donnentnaissance une e nouvelle cration . La descente devient traverse, lespro fond eurs devi enne nt un chem in que le chrtie n parcour t nouv eau dan sl'eau du baptme. La descente dans les profondeurs de la mer, au shol, est certesinvitable, mais cette descente n'est pas autre chose qu'un chemin, qu'unpa ssag e su r la voi e du sa lu t. L' oeuvr e sa lv at ri ce de J su s tr an sf orme le sprofondeurs sinistres de l'abme o la mort guette en la source profonde du salut.

    Dans tout cet ensemble, Aphraate, Pre irano-syrien de l' glise (19), nousouvre une perspective trs intressante en insrant dans ce contexte le thme dulavement des pieds : Isra l a t baptis en plein milieu de la mer, la nuit dePques, l'heure o il fut sauv : notre Sauveur a galement lav les pieds de sesdisciples la nuit de Pques, et c'est l le mystre du baptme... Cette nuit-l, leSauveur a confr le vrai baptme... Cette nuit-l, il leur a montr le mystre du

    baptme dans les souffrances de sa Passion . Aphraate souligne donc que leChrist a institu le baptme au moment du lavement des pieds.Si donc la descente peut tre interprte comme le plus haut degr de la

    solidarit que Jsus nous manifeste nous autres pcheurs en pntrant au plusrofond de la nuit de la mort et dans l'ultime solitude de l'enfer ; si par

    consquent elle peut tre interprte comme l'abaissement et l'abandon de soi l'extrme limite de ce qu'on peut concevoir, comme l'amour vcu jusqu'aubout et comme le do de soi pouss la dern ire extrmit , et cela, dans lecontexte unitaire de la vie, de la mort et de l'tat de mort de Jsus ; si, par la

    (18) Cf. P. Lundberg, La typ ologi e bapt ismal e dans l'anci enne g lise, Leipzig-Uppsala, 1942 ; D. A.Bertrand,Le baptme de Jsus, Tubingue, 1973, surtout 127 s.(19) Cf. E. 1. Duncan,Bapt ism in the Demonstrations of Aphraates the Persian Sage, Washington,1945.1e cite :Homlies 12, 10.

    18

    Wilhelm Maas, n en 1937. Assistant de thologie Paderborn, puis professeur de thologiesystmatique l'universit de Kassel. Actuellement Fribourg-en-Brisgau. Publications :Unvertnderlichkeit Gottes (1974), Gott und die Hdlle (Studien zum Descensus Christi),Johannes Verlag, Einsiedeln, 1979.

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    Pen sez vo tr e rabo nn ement !

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    Communi o, nV I , janv i er-fv ri er 1981 Le mystre d'une absence

    os-Manuel SANCHEZ-CARO

    Le mystre d'une absence

    Tout ce qui s'est pass entre la mort du Christ en croix etle matin de Pques et notamment la foi que seule Marie asu garder a lgitimement beaucoup inspir la tradition etla liturgie. Nous pouvons maintenant regarder en face, etsobrement, l'enfer de la solitude.

    Pendant le Samedi Saint, l'glise demeure auprs du tombeau duSeigneur, mditant sur sa Passion et sur sa mort, et elle s'abstientdu sacrifice de la messe; c'est pour cela que l'autel reste nu...

    (Prsentation du Missel Romain).

    Le vide du Samedi Saint

    Le Samedi Saint est par sa nature le jou r vide de l'h ist oir e et de laliturgie chrtiennes. L'glise commmore l'absence du Seigneur, et c'est

    pour cela qu'ell e ne clbre pas l'eucharis tie, sacrement de sa prsence.En ralit, ce samedi est un jour trange et long, qui ne peut s'ajuster aucadre troit des vingt-quatre heures que compte le jour solaire. Ilcomprend le temps qui s'coule entre le moment o est dpos le corps deJsus dans le tombeau et le matin de la rsurrection. Du soir du vendredio Joseph d'Arimathie, prenant le corps de Jsus et l'enveloppant dansun linceul propre, le dpose dans le tombeau neuf qu'il s'tait fait creuser

    dans le rocher, puis s'en va, jusqu'au matin du dimanche o se faitentendre la voix de l'ange : Il n'est pas ici, car il est ressuscit (cf.Matthieu 27, 57-61 ; 28, 6) (1).

    Jsus est mort et enterr , comme le rsume laconiquement le Credo,tmoignant ainsi avec le rappel de l'ensevelissement, la faon des van-giles, de la ralit de sa mort (2). Tel est le contenu purement historiquedu premier Samedi Saint, lorsque se termine l'aventure, la priptie du

    (1)N.d.T.: Les citations bibliques sont empruntes la Bible de Jrusalem (DDB, 1975).

    (2)Cf. 1. Goma,El Evangelio Segn S. Mateo, II, Madrid, I,g76, p. 672.

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    Jsus historique. Les commentateurs et la pit populaire soulignerontpar la sui te son absence avec des mots comme soli tude , vide , tristesse , douleur des mots qui tous, malheureusement, peuvent trecompris par nous les hommes, avec notre exprience, sans qu'il soit

    besoin d'une quelconque exgse.

    Au-del de cette constatation des faits, souligns avec tant de ralisme etsi frquemment par les premiers tmoins no-testamentaires (cf. parexemple Marc 15, 44 ; Jean 19, 33-34 ; Actes 2, 24 ; 1 Corinthiens 15, 3-

    3), on peroit galement une autre dimension profonde du mme vne-ment, qui dpasse la simple observation extrieure des faits, relle maisincomplte, et appartient la mta-histoire de Jsus, dans laquelle lesfaits se transforment en mystre. Avec des mots difficiles interprter, laPremire ptre de Pierre nous dit que Jsus mit mort la chair, at vivifi selon l'Esprit ; c'est en lui qu'il s'en alla mme prcher auxesprits en prison (1 Pierre, 3, 18-19). Dans un langage plus sobre, leSymbole de notre foi affirme : Il descendit aux enfers A. C'est l'autreface du Samedi Saint. Non seulement il assume la mort biologique,souligne par le fait de l'ensevelissement, mais encore il participegalement au destin des hommes au-del de la mort.

    Ces deux aspects ont t recueillis par la liturgie du Samedi Saint. C'est leseul jour a-liturgique de l'anne : Il n'y a pas d'offices , comme le dit le

    peupl e chr ti en, aprs l' int ens e activ it lit urgiq ue du Jeu di et duVendredi Saints. Dans certaines liturgies orientales, il existe un office del'ensevelissement dans lequel la douleur de l'humanit pcheresse devant lamort qu'elle a inflige au Dieu qui l'a sauve, s'exprime souvent dans ne

    posie d'un tragique aigu. L'Eglise romaine, cependant, ne clbre quel'office des lectures, et dans des glises sans lumires, aux autels nus ; lesornements habituels sont abandonns, et seule la croix rappelle la mortdu Seigneur. Avec les saintes femmes, l' glise s'assied auprs dutombeau du Seigneur (cf. Matthieu 27, 61) et mdite sur ce repos de sonSeigneur et Matre dans la paix. La nudit, le dpouillement, le silencesont la traduction liturgique de la mort et de l'ensevelissement de Jsus en ceSamedi Saint. Ce n'est pas une mditation dsespre, encore moinsnihiliste ; c'est une mditation sereine sur le profond repos du Seigneur,souligne par les antiennes des psaumes de l'office et par la premire

    lecture (Hbreux 4) ; une mditation pleine d'esprance sur la mort quiest semence de vie, rappelant le pasteur qui va chercher ses brebisusqu'au milieu des morts (deuxime lecture). , La mort, le repos, le

    pasteur, ce son t les tro is th mes qui rem pli sse nt l'abse nce vcue parl'glise. Comme le traduit cette invitation que l'glise Byzantine chante ceour-l la place de l'habituel hymne des chrubins : Que tout

    mortel reste muet, qu'il demeure dans la crainte et dans lestremblements, et qu'il ne mdite sur rien de terrestre... (3).

    (3) Cf. B. Baroffio, Meditazioni sul triduo pasquale ,, Ri vis ta di Pas tor ale Li tu rgi ca 87(1978), p. 31-32.

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    Jos-Manuel Sanchez-Caro Le mystre d'une absence

    La tradition et la dvotion populaires du peuple chrtien ont gale-ment donn leur interprtation du Samedi Saint. C'est l'humus natureldans lequel sont nes les reprsentations tragiques de la douleur de Mariedevant son fils mort, exprimes dans les planctus Mariae mdivaux,ainsi que par les Piet et les Dolorosas de la Renaissance. Et avec uneintuition qui n'est exempte ni de grandeur ni de pdagogie, l'on a reportce sentiment d'absence et de solitude de l'glise sur Marie ; le peuple l'achante, reprsente et vnre comme Dolorosa et Dame de la Solitude.

    La mditation de l'glise devant le tombeau a ainsi enrichi le SamediSaint au moyen d'un rpertoire de thmes qui lui donnent tout son sens ettoute son actualit : la solidarit du Christ avec la mort, sa descente auroyaume des morts, l'exprience humaine de l'absence et de la douleur,ainsi que le repos calme et serein du Seigneur.

    Solidaire avec la mort

    Le premier sens du Samedi Saint, celui dont tout le reste drive et part,c'est la constatation que Jsus est mort, vritablement mort. Il a expir(Marc 15, 37), il a t dvor par les angoisses de la mort et pris dans sesfilets, selon l'expression du krygme primitif (Actes 2, 24), il est descendudans l'abme, dans les profondeurs du royaume des morts (Romains 10,7), il est entr dans la nuit, cette nuit o nul ne peut travailler (cf. Jean 9,

    4). C'est pour cela qu'il est pleur devant le tombeau (Jean 20, 11) et quenat le dsespoir chez ses disciples (cf. Luc 24, 19-20). Sa mort est ladernire consquence de son incarnation, du ralisme avec lequel le Filsde Dieu est devenu fils des hommes, non seulement dans les manifes-tations de la vie, mais encore jusqu' la mort (Philippiens.2,8). Il fautviter de donner une fausse signification hroque cette mort de Jsus.La mort n'est jamais en elle-mme libratrice, elle n'est pas signe de salut

    pour le ch r tien , cont ra ir eme nt ce que pensai t le pl aton isme quiimprgnait le monde hellnique contemporain. La mort est le sceaudfinitif de la chute de l'me et de la ruine de l'homme, tel que Dieul'avait voulu (4). La mort physique est un mal, le plus grand de tous lesmaux aprs la mort spirituelle, dont elle n'est qu'un signe, son secretdmoniaque , comme le dit L. Bouyer.

    Voil ce qu'en premier lieu souligne le silence sans gloire du SamediSaint. Ici il n'y a pas de tragdie glorieuse, il ne s'agit pas de la morttriomphante du hros. Jsus est solidaire de l'homme de la rue qui meurt etressent sa mort comme l'chec de sa soif de vivre. Au fond, la mort n'es tque le dveloppement de cet autre ennemi de l'homme, qui estimplant en lui comme une semence ds l'origine, le pch ; car, comme ledit saint Paul, le fruit du pch, c'est la mort (cf. Romains 6, 16-23). Ainsidonc, la mort de Jsus, comme celle de n'importe quel homme, c'est

    (4) L. Bouyer,Le mystrepascal, Paris, p. 361.

    la victoire en lui du pch, le triomphe en lui des tnbres. De cette faon,Jsus est solidaire non seulement de la mort physique et biologique de sesfrres les hommes, mais galement de tout ce que cette mort apporte avecelle d'chec et de solitude, d'impuissance et de pch, de tragdie et de

    analit. Voil pourquoi, le Samedi Saint, l'Eglise ne chante pas lavictoire du Seigneur sur la mort. Ce cri est rserv au matin du dimanche,lorsque la pque s'unira pour toujours sa rsurrection. Mais il ne faut

    pas l'avancer. Jsus , qui a pleur comme un homme la, mort de son ami

    (cf. Jean 11, 35), dont les femmes pleurent leur tour la mort humainedevant le tombeau (cf. Jean 20, 11), ou la respectent dans un silencedouloureux, une lamentation sche, sans larmes et sans mots (cf.Matthieu 27, 61), a t le matre d'une glise qui respecte les larmes et lesilence douloureux devant la mort, sans oser anticiper la gloire de larsurrection, parce qu'elle a appris le srieux de la mort. Seul le regard

    profond des potes qui ne fuient pas la terre peut dcri re que l'on vit ici-as, et leurs mots se convertissent en un hymne serein qui exprime tout le

    tragique de ce samedi : La chair se dfait dans la tristesse

    de la terre sans lumire, qui la soutient.Seuls demeurent les yeux qui interrogentdans l'obscurit totale, et jamais ne se ferment A (5).

    Il est descendu aux enfers

    Seul, comme chaque homme affronte toujours sa mort, personnelle,unique et sans rptition possible, spar du monde des vivants, go-tant l'amer envers de l'existence, plong dans l'impntrable obscurit,Jsus se fait solidaire de la mort humaine. Et cependant, nous ne sommes

    pas encore par venus au fond mme de la questi on. En eff et cel a n'e stqu'une face de la mort, un aspect partiel. Jsus est all jusqu' la morttotale, corps et me, jusqu' une profondeur telle qu'il ne limite pas sasolidarit avec les pcheurs l'acte de dcision ou d'acceptation de ceque l'existence nous soit te au moment de la mort (6).Non seulementil est mort, non seulement il a t enterr, mais en outre il est descenduaux enfers .

    L'expression descendu aux enfers est imprgne d'une doubleimpuret, comme chaque fois que l'on veut exprimer une chose dont onn'a pas une exprience personnelle et directe. D'une part elle recouvrel'expression mythique des enfers , qui dans la terminologie de l'AncienTestament sont galement appels royaume des morts, shol, abme,entre autres noms. C'est un royaume d'obscurit, souterrain, danslequel l'homme continue une existence qui n'est pas la vie ; il se trouve

    (5) J.L. Hidalgo, Los Muertos , en Cuatro poetas de boy, Madrid, 1975, p. 24.

    (6) FL-U. von Balthasar, Le mystre pascal , dansMysterium salutis, Paris, Cerf, 1972.

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    loin de Dieu et ne le loue pas N balbutie une rcente tentative d'clair-cissement (7). D'autre part c'est une localisation populaire au centre de laterre, oppose au ciel, qui est en haut . En tous cas elle exprime unesituation de passivit absolue, de non-vie, en parfait accord avec lasituation de la mort (8). Ainsi donc, en liminant tant l'aspect actif du

    verbe descendre que sa connotation locale, et en vitant la connotationmythique que pourrait suggrer le mot enfers , on pourrait traduirel'expression comme un voyage au royaume des morts . Le fait que l'on nepuisse faire une description plus exacte de sa signification vient,

    comme nous l'avons dj remarqu, de notre incapacit exprimer ce quel'on n'a pas prouv. Ici, comme pour tant d'autres choses, il nous fautnous contenter d'une approximation, que l'on ne peut essayer de prciserqu' l'aide de priphrases humaines. En rsum, on nous parle d'unesituation diffrente de la vie, qui est caractrise par la passivit de la mort.Ces deux donnes, situation nouvelle et passivit mortelle, sont prendresrieusement en compte ds que l'on veut interprter tout ce que leNouveau Testament dit sur ce thme.

    En fait, ce n'est pas grand chose. Il y a coup sr une insistanceconstante dans le Nouveau Testament sur le fait que Jsus ressuscite d'entre les morts (dit une cinquantaine de fois), ce qui nous apprendindirectement qu'il a sjourn au milieu d'eux. De cela, nous trouvonsplusieurs confirmations. Ainsi Jsus, en repoussant toute demande designe eschatologique sur sa mission devant les incrdules, leur rpond : Gnration mauvaise et adultre ! Elle rclame un signe, et de signe, il nelui sera donn que le signe du prophte Jonas. De mme en effet que Jonasfut dans le ventre du monstre marin durant trois jours et trois nuits, de mmele Fils de l'homme sera dans le sein de la terre durant trois jours et troisnuits (Matthieu 12, 39-40). Si nous interprtons le texte partir de larfrence Jonas 2, 3-10, cantique du prophte dans les entrailles dumonstre, ce qui suppose une analogie entre son tat et celui de ceux quisont descendus au shol, nous comprendrons mieux l'expression dans le sein de la terre . Il semble ne pas s'agir seulement du tombeau maisd'une allusion assez claire la descende de Jsus aprs sa mort au shol, auroyaume des morts (9). A partir de cet clairage, il est peut-tre possible demieux comprendre le cantique de victoire de l'Apocalypse 1, 18 : Je fusmort, et me voici vivant pour les sicles des sicles, dtenant la clef de laMort et de l'Hads . La mort de Jsus, affirme ce passage, lui a procur la

    victoire sur ceux que l'Hads, le shol, avait assujettis la mort sansesprance (cf. galement Romains 10, 6-8).Dans son rcit de la Passion, Matthieu dcrit avec des traits apoca-

    lyptiques les effets de la mort du crucifi (27, 51-53), en introduisant uneincise significative : Les tombeaux s'ouvrirent et de nombreux corps de

    (7) Nueva Biblia Espanola, Madrid, 1975, p. 1949.

    (8) Cf. J. Nelis, Sheol , dans H. Haag-S. De Ausejo, Diccion ario de la Bib lia, Barcelona, 1970,

    1828-1830.

    (9) Cf. I. Goma, op. cit.,p. 651.

    saints trpasss ressuscitrent : ils sortirent des tombeaux aprs sarsurrection, entrrent dans la Ville sainte et se firent voir bien desgens (versets 52-53). Il y a comme un scrupule de Matthieu pournous indiquer qu'en ralit les saints ne ressuscitrent qu'avec Jsus, quidoit tre le prmice de ceux qui se sont endormis (1 Corinthiens 15, 20)et, indirectement, une notation de temps intermdiaire, si du moins icinous pouvons parler de temps, entre la mort de Jsus et sa Rsurrection.C'est le temps de son passage au royaume des morts. Ce temps et cetteactivit, que dcrit la premire lettre de saint Pierre, d'une faon obscure

    et difficile, dans un contexte qui n'est pas prcisment dogmatique, maistotalement parntique, c'est la force du chrtien dans sa lutte avec lemonde, comme consquence du baptme : Le Christ lui-mme est mortune fois pour les pchs, juste pour des injustes, afin de nous mener Dieu. Mis mort selon la chair, il a t vivifi selon l'esprit. C'est en luiqu'il s'en alla mme prcher aux esprits en prison, ceux qui jadisavaient refus de croire lorsque temporisait la longanimit de Dieu, auxjours o No construisait l'Arche, dans laquelle un petit nombre, en touthuit personnes, furent sauves travers l'eau. Ce qui y correspond, c'estle baptme qui vous sauve prsent... C'est pour cela, en effet, que mmeaux morts a t annonce la Bonne Nouvelle, afin que, jugs selon leshommes dans la chair, ils vivent selon Dieu dans l'esprit (1 Pierre 3,18-21 a ; 4, 6) (10). Essayons de gloser ce texte difficile. Jsus est mort surla croix comme le juste pour les pcheurs ; par sa mort il pntre au plus

    profond de la mort et de son monde, il arrive jusqu'aux esprits enprison, , jusqu'aux morts du shol. Ces esprits sont, selon une interpr-tation probable, la gnration du dluge contemporaine de No, ainsi queles esprits malins qui les poussrent la rbellion contre Dieu ; les uns etles autres, selon quelques textes du judasme contemporain, se consid-raient comme abandonns dfinitivement par Dieu, sans possibilit deretrouver la paix (11).A l'oppos, la gnration actuelle, affirme l'auteurde cette lettre, est celle du baptme par opposition celle du dluge, lagnration laquelle s'est manifeste la patience de. Dieu par le Christmort, qui est descendu pour annoncer la bonne nouvelle du salut, noncomme une prdication plus ou moins relle, mais au moyen de la soli-darit totale de sa mort avec la mort de tous les hommes antrieurs lui ;cette mort rend prsent le salut et par l devient annonce efficace de larconciliation totale de tous les hommes passs, prsents et futurs, par leChrist.

    La descente de Jsus aux enfers souligne donc comment sa solidaritavec la mort des hommes est alle au-del de la simple mort biologique,et l'affecte littralement jusqu'au fond de son me. C'est tout cela que

    veut dire partager le sholvtro-testamentaire. Comme tous les hommes

    (10)Sur ce texte, part les prcisions de Hans-Urs von Balthasar dans l'tude dj cite, cf. C. Spicq,Les ptres de saint Pierre, Paris, 1966, p. 146 s. ; M. Schlier, Das Ostergeheimnis, Einsiedeln, 1976.

    (11)Surtout dans livre apocryphe d'Enoch ; cf. Balthasar, op. cit., p. 246, qui cite J. Jeremi as, D erOpfertod Jesu christi , Calver Hefte 62 (1963), p. 8. (Sur ce passage controvers, cf., dans ce cahier,l'article de W. Maas qui propose une autre interprtation) (N.d.1.R.).

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    Jos-Manuel Sanchez-Caro Le mystre d'une absence

    antrieurs lui, le Christ prouve galement le triomphe de la mort et du pchsur lui-mme, assumant ainsi la logique de la mort humaine (c'est la descente ) dans sa totalit, partageant la solitude sans perspectived'esprance du shol (ce sont les enfers ). H.U. von Balthasar, endiscutant la possibilit d'une attente du salut (non pas une esp-rance , car c'est une vertu thologale et qui n'est possible qu'avec leChrist) pour tous ceux qui, ayant vcu selon l'amour, taient morts avantJsus, arrive la conclusion qu'ils n'avaient pu prouver toute la peine de

    damnation qu'ils avaient mrite ; il affirme avec raison que lui seul, leChrist, fait rellement et fond l'exprience des ultimes consquences du

    pch : N'est-il pas vrai, comme l'a vu si justement Grgoire le Grand,que Dieu endure en Jsus-Christ, dans sa profondeur ingalable, toutesles profondeurs du monde d'en-bas ? Lui, qui est au-dessus des cieux, estgalement "inferno profundior, quia transcendendo subvehit". C'est leChrist qui, par compassio, s'est charg de la timor horroris : "verumtimoren, veram tristitiam sicut et veram carnem", non parce qu'il devaitsouffrir, mais "miserationis voluntate" (Alain de Lille) (12). Ainsi on

    peut dire que Jsus a assum l'exprience du shol sans tre clair parne quelconque lumire salvatrice, puisque toute lumire salvatrice

    procde de celui qui fut solidaire jusqu 'au bout . C'est pour cela qu'i l es t mort plus que quiconque , qu'il est arriv jusqu' des limites

    auxquelles les hommes ne sont mme pas arrivs, jusqu' l'exprience,passive ou objective, du plus profond du pch. Comme le dit la prireeucharistique d'Hippolyte, Jsus s'est livr la passion volontairement,

    pour dtruire la mort et rompre les chanes du diable, pour craser l'enferet conduire les justes vers la lumire, pour fixer le terme et manifester larsurrection (13). Le pouvoir du pch et de la mort est arriv jusque l ;c'est l que le Seigneur a fix sa limite, en proclamant le salut, c'est--dire enopposant la mort la manifestation de la vie ternelle, afin de rompre sesliens pour toujours. C'est le fruit de la descente aux enfers, dernire tape dela log ique de l'incarnat ion. Ds lors, la mort tant vaincue et entrave, leSeigneur dtient les cls de la vie ; l'enfer notestamentair e, tout comme le

    purgatoire, n'exis tent dsormais que par rela tion lui, commeconsquence du jugement eschatologique qu'il a conquis dans sa

    descente aux enfers. Et, paradoxalement, ils sont un signe de samisricorde, car ils ne sont que l'aut re face, l'ombre d e quelque chosequi jusqu'alors tait impossible : convertir la mort sans issue niesprance, en une vie relle et ternelle.

    Le pasteur d'Adam

    La liturgie de l'Office des Lectures nous confronte avec ces faitsmystrieux mais rels ce mme Samedi Saint, en nous faisant lire une

    (12) Op. cit.,p. 252.(13) On peut trouver la prire eucharistique complte en espagnol dans V. Martin-Pindado et J.-M.Sanchez-Caro,La gran oration eucaristica, Madrid, 1969, p. 136.

    elle et Antique homlie sur le grand et saint Samedi (14). On yreprsente le Seigneur descendant aux enfers comme le bon pasteur la recherche de la brebis perdue que sont les morts du shol, reprsents parAdam et Eve. La rencontre du pasteur et de la brebis est dcrite avec unemotion contenue : Le Seigneur, ayant dans ses mains les armes triom-

    phantes de la croix, s'approche d'eux. En le voyant, notre premier preAdam, stupfait d'un si grand vnement, s'exclame et dit tous : "LeSeigneur soit avec vous !", et le Christ, en rponse, dit Adam : "Et avec

    ton esprit! ". Et, le prenant par la main, il ajoute : "Eveille-toi, toi quidors, lve-toi d'entre les morts, et sur toi luira le Christ " h (phsiens 5,14). Ainsi la liturgie de l' glise affirme la certitude du triomphe duChrist sur la mort, au moment mme o il parvient en faire l'exprienceusqu'au bout. Il est le pasteur qui ne veut pas perdre une seule de sesrebis, non seulement parmi les vivantes, mais encore parmi celles qui

    ont dj fait l'exprience de la mort aprs la chute d'Adam. Et dansl'glise rsonnent avec un sens nouveau ces mots du pasteur : Je donne mavie pour mes brebis (cf. Jean 10, 11-17).La tradition chrtienne postrieure, en mlant gographie et pit,

    souvenirs archologiques et thologie, a peu peu dgag, d'une maniresymbolique et vraie, toute la signification de la renc