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1 LA «COMMUNITAS CHRISTIANA» DANS L’ECCLÉSIOLOGIE CAROLINGIENNE Plusieurs travaux ont été dédiés, dans les dernières années, à l’évolution (à partir d’Augustin et de Gélase, mais aussi du vocabulaire biblique et du vocabulaire politique romain) des notions d’«ordre» (ordo) 1 , de ministère 2 , d’auctoritas et potestas 3 , qui sont liées à l'idée de hiérarchie, et en général aux problèmes de la stratification sociale 4 , et, dans une perspective souvent sociologique, aux notions d’«église» et de «secte», et aux différents structures des communaités fondées sur des rapports fraternels et «égalitaires» et des institutions fortement hiérarchisées 5 . Les études d'histoire de l’Église et de théologie historique ont remarqué le passage graduel d'une pluralité de «christianismes», d’expériences chrétiennes et d'Église régionales ou «nationales» à un modèle unitaire, et d'une ecclésiologie de communion à une ecclésiologie de l’Église universelle fondée sur le primat juridictionnel du pape 6 ; et l’essor, dans l'Antiquité tardive, de la hiérarchisation interne de l'Église et de la séparation entre le clergè et es laïcs 7 .Dans presque tous les systèmes réligieux, la distinction entre le «sacre» et le «profane» implique, en dégrés différents, une certaine hiérarchisations des personnes, des lieux, des édifices, des objets et des moments de l’action liturgique: dans l’Église latine l’espace de l’autel, reservé au clergé, sera de plus en plus séparé par rapport à l’espace du peuple, qui recevra la Communion dans la bouche plutôt que dans la main 8 . Autrement que celles de stratification sociale et de classe, la notion de hiérarchie est un système de relations qui implique, selon A. Dumont, qui a étudié surtout la société indienne, fondée sur le système des castes 9 , une dimension sacrale et réligieuse. Aussi à Byzance (comme l’a souligné Antonio Carile) 10 la notion de hiérarchie est centrale, et implique la reconnaissance de la sacralité de l’empereur chrétienne 11 . Pour ce qui concerne la société carolingienne, on a remarqué l'essor, entre Jonas d'Orléans et Hincmar de Reims, de l’ecclésiologie des ordres 12 et l’ingrès du terme 1 Voir Ordo. Atti del II° Colloquio internazionale del Lessico intellettuale europeo, éd. M. Fattori e M. Bianchi, I-II, Roma 1979, G. Spinosa, ΄Εκκλησία- ecclesia – secta – ordo nel cristianesimo dei primi secoli: una riflessione sul lessico, dans «Cristianesimo nella storia», 24 (2003), pp. 453-487, en particulier 477-487. 2 M. Cristiani, Dall’unanimitas all’universitas. Da Alcuino a Giovanni Eriugena. Lineamenti ideologici e terminologia politica della cultura del secolo IX, Roma 1978, pp. 31, 44-48; G. Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris 1978, qui souligne l’influence des oeuvres du Pseudo-Denys sur Adalberon de Laon et, plus en général, sur l’élaboration de l’idéologie trifonctionelle. Sur la notion augustinienne d’ordo (De civitate dei XIX 13, éd. B. Dombart-A. Kalb, CCSL XLVIII, Turnhout 1955, p. 679: «Ordo est parium dispariumque rerum sua cuique loca tribuens dispositio») voir P. Grossi, L’ordine giuridico medievale, Roma-Bari 1995, p. 76; A.I. Bouton-Touboulic, L’Ordre caché: la notion d’ordre chez saint Augustin, Paris 2004. 3 Vopir R.L. Benson, The Gelasian Doctrine: Uses and Transformation, dans La notion d’autorité au Moyen Age. Islam, Byzance, Occident, Actes du Colloque international de la Napoule (23-26 octobre 1978), éd. G. Makdisi-D. Sourdel-J. Sourdel-Thomine, Paris 1982, pp. 13-44. 4 Voir J. Seabrook, Classi, caste, gerarchie, Roma 2003; M. Aurell, Complexité sociale et simplification rationelle: dire la stratification au Moyen Âge, dans «Cahiers de civilisation médiévale». Xe-XII siècles», 48 (2005), pp. 5-16. 5 Voir la bibliographie indiquée par Spinosa, ΄Εκκλησία- ecclesia – secta – ordo, pp. 474-477. 6 Y. Congar, De la communion des Églises à une ecclésiologie de l'Église universelle, dan L'épiscopat et l' l'Église universelle, Paris 1961, pp. 227-270; J. Herrin, The Formation of Christendom, Oxford 1987. 7 Sur le procès de hiérarchisation du clergé voir A. Faivre, Naissance d’une hiérarch,e. Les prémiers étapes du Cursus clérical, Paris 1977; Id., Ordonner las fraternité,Paris 1992. 8 J.A. Jungmann, Missarum sollemnia : explication génétique de la Messe romaine, I-III, trad. fr., Paris 1952-1964. 9 L. Dumont, Homo hierarchicus. Il sistema delle caste e le sue implicazioni, Milano 2004² (éd. orig. Paris 1966), p. 419: «la gerarchia... non si collega mai al potere in quanto tale, ma sempre alle mansioni religiose, perché la religione è la forma che prende l’universale in queste società. Per esempio, quando il re ha il rango supremo, come in genere succede, verosimilmente non è in ragione del suo potere, ma della natura religiosa della sua carica». 10 A. Carile, Gerarchie e caste, in Morfologie sociali e culturali in Europa fra tarda antichità e Alto Medioevo, Atti della XLV Settimana di studi (1997), Spoleto 1998, pp. 123-172, qui souligne (pp. 153-157) l’influence de Denys l’Aréopagite sur l’idéologie byzantine. 11 A. Pertusi, Il pensiero politico bizantino, éd. A. Carile, Bologna, Pàtron, 1990; G. Dagron, Empereur et prêtre : étude sur le césaropapisme byzantin, Paris 1996; A. Carile, La sacralità rituale dei BAΣIΛEIΣ bizantini, dans Per me reges regnant. La regalità sacra nell’Europa medievale, éd.. F. Cardini- M. Saltarelli, Rimini-Siena 2002², pp. 53-95. 12 R. Savigni, Giona di Orléans: una ecclesiologia carolingia, Bologna, Pàtron, 1989; Les laïcs dans l’ecclésiologie carolingienne : normes statutaires et idéal de «conversion», dans Guerriers et moines. Conversion et sainteté

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LA «COMMUNITAS CHRISTIANA» DANS L’ECCLÉSIOLOGIE CAROLINGIENNE Plusieurs travaux ont été dédiés, dans les dernières années, à l’évolution (à partir d’Augustin et de Gélase, mais aussi du vocabulaire biblique et du vocabulaire politique romain) des notions d’«ordre» (ordo)1, de ministère2, d’auctoritas et potestas3, qui sont liées à l'idée de hiérarchie, et en général aux problèmes de la stratification sociale4, et, dans une perspective souvent sociologique, aux notions d’«église» et de «secte», et aux différents structures des communaités fondées sur des rapports fraternels et «égalitaires» et des institutions fortement hiérarchisées5. Les études d'histoire de l’Église et de théologie historique ont remarqué le passage graduel d'une pluralité de «christianismes», d’expériences chrétiennes et d'Église régionales ou «nationales» à un modèle unitaire, et d'une ecclésiologie de communion à une ecclésiologie de l’Église universelle fondée sur le primat juridictionnel du pape6; et l’essor, dans l'Antiquité tardive, de la hiérarchisation interne de l'Église et de la séparation entre le clergè et es laïcs7.Dans presque tous les systèmes réligieux, la distinction entre le «sacre» et le «profane» implique, en dégrés différents, une certaine hiérarchisations des personnes, des lieux, des édifices, des objets et des moments de l’action liturgique: dans l’Église latine l’espace de l’autel, reservé au clergé, sera de plus en plus séparé par rapport à l’espace du peuple, qui recevra la Communion dans la bouche plutôt que dans la main8. Autrement que celles de stratification sociale et de classe, la notion de hiérarchie est un système de relations qui implique, selon A. Dumont, qui a étudié surtout la société indienne, fondée sur le système des castes9, une dimension sacrale et réligieuse. Aussi à Byzance (comme l’a souligné Antonio Carile)10 la notion de hiérarchie est centrale, et implique la reconnaissance de la sacralité de l’empereur chrétienne11. Pour ce qui concerne la société carolingienne, on a remarqué l'essor, entre Jonas d'Orléans et Hincmar de Reims, de l’ecclésiologie des ordres12 et l’ingrès du terme 1 Voir Ordo. Atti del II° Colloquio internazionale del Lessico intellettuale europeo, éd. M. Fattori e M. Bianchi, I-II, Roma 1979, G. Spinosa, ΄Εκκλησία- ecclesia – secta – ordo nel cristianesimo dei primi secoli: una riflessione sul lessico, dans «Cristianesimo nella storia», 24 (2003), pp. 453-487, en particulier 477-487. 2 M. Cristiani, Dall’unanimitas all’universitas. Da Alcuino a Giovanni Eriugena. Lineamenti ideologici e terminologia politica della cultura del secolo IX, Roma 1978, pp. 31, 44-48; G. Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris 1978, qui souligne l’influence des oeuvres du Pseudo-Denys sur Adalberon de Laon et, plus en général, sur l’élaboration de l’idéologie trifonctionelle. Sur la notion augustinienne d’ordo (De civitate dei XIX 13, éd. B. Dombart-A. Kalb, CCSL XLVIII, Turnhout 1955, p. 679: «Ordo est parium dispariumque rerum sua cuique loca tribuens dispositio») voir P. Grossi, L’ordine giuridico medievale, Roma-Bari 1995, p. 76; A.I. Bouton-Touboulic, L’Ordre caché: la notion d’ordre chez saint Augustin, Paris 2004. 3 Vopir R.L. Benson, The Gelasian Doctrine: Uses and Transformation, dans La notion d’autorité au Moyen Age. Islam, Byzance, Occident, Actes du Colloque international de la Napoule (23-26 octobre 1978), éd. G. Makdisi-D. Sourdel-J. Sourdel-Thomine, Paris 1982, pp. 13-44. 4 Voir J. Seabrook, Classi, caste, gerarchie, Roma 2003; M. Aurell, Complexité sociale et simplification rationelle: dire la stratification au Moyen Âge, dans «Cahiers de civilisation médiévale». Xe-XII siècles», 48 (2005), pp. 5-16. 5 Voir la bibliographie indiquée par Spinosa, ΄Εκκλησία- ecclesia – secta – ordo, pp. 474-477. 6 Y. Congar, De la communion des Églises à une ecclésiologie de l'Église universelle, dan L'épiscopat et l' l'Église universelle, Paris 1961, pp. 227-270; J. Herrin, The Formation of Christendom, Oxford 1987. 7 Sur le procès de hiérarchisation du clergé voir A. Faivre, Naissance d’une hiérarch,e. Les prémiers étapes du Cursus clérical, Paris 1977; Id., Ordonner las fraternité,Paris 1992. 8 J.A. Jungmann, Missarum sollemnia : explication génétique de la Messe romaine, I-III, trad. fr., Paris 1952-1964. 9 L. Dumont, Homo hierarchicus. Il sistema delle caste e le sue implicazioni, Milano 2004² (éd. orig. Paris 1966), p. 419: «la gerarchia... non si collega mai al potere in quanto tale, ma sempre alle mansioni religiose, perché la religione è la forma che prende l’universale in queste società. Per esempio, quando il re ha il rango supremo, come in genere succede, verosimilmente non è in ragione del suo potere, ma della natura religiosa della sua carica». 10 A. Carile, Gerarchie e caste, in Morfologie sociali e culturali in Europa fra tarda antichità e Alto Medioevo, Atti della XLV Settimana di studi (1997), Spoleto 1998, pp. 123-172, qui souligne (pp. 153-157) l’influence de Denys l’Aréopagite sur l’idéologie byzantine. 11 A. Pertusi, Il pensiero politico bizantino, éd. A. Carile, Bologna, Pàtron, 1990; G. Dagron, Empereur et prêtre : étude sur le césaropapisme byzantin, Paris 1996; A. Carile, La sacralità rituale dei BAΣIΛEIΣ bizantini, dans Per me reges regnant. La regalità sacra nell’Europa medievale, éd.. F. Cardini- M. Saltarelli, Rimini-Siena 2002², pp. 53-95. 12 R. Savigni, Giona di Orléans: una ecclesiologia carolingia, Bologna, Pàtron, 1989; Les laïcs dans l’ecclésiologie carolingienne : normes statutaires et idéal de «conversion», dans Guerriers et moines. Conversion et sainteté

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«hierarchia» dans le vocabulaire politique et théologique du Moyen Âge occidentale à partir de la traduction par Hilduin de S. Denys (auprès duquel a été formé Hincmar de Reims) des oeuvre de Denys l’Aréopagyte13, qui avaient donné à Grégoire le Grand et Isidore de Séville (médiateurs entre Denys et pluseurs auteurs carolingiens) le schéma des ordres angéliques14, ma surtout après la réflexion systématique de Jean Scot, qui toutefois n’a pas eu beaucoup de succès aux X-XIe siècles15. J’analyse ici les perspectives ecclésiologiques qui impliquent la notion de hiérarchie, qui n’a pas été encore objet d’un étude exhaustif. Bien que les échelons de la hiérarchie ecclésiastique (opposée au laïcat) aient été définis à partir de l’antiquité tardive16, à l’époque carolingienne (comme l’a souligné Y. Congar) il n’y a pas encore un’ecclésiologie systématique, fondée sur des véritables concepts bien définis: les traités de Ecclesia (qui utiliseront très souvent la théorie hiérarchique de Denys l’Aréopagite) seront rédigés seulement aux XIIIe-XIVe siècles17, et par conséquent l’ecclésiologie carolingienne consiste, ainsi que celles des Pères, dans une série d’images complémentaires (le peuple, le corps, l’épouse de Jésus-Christ, la mère, le navire) qui ne s’excluent pas mais qui se complètent les unes avec les autres18. Toutefois on peut relever, par rapport à saint Augustin, Grégoire le Grand, Bède19, une tendance à définir dans des termes plus précis la structure communaitaire et hiérarchique de l’Église et le rôle du clergé, des laïcs, des moines. Je chercherai à mettre en évidence l'essor d'une interprétation en sens plus fortement hiérarchique de la notion d’ordo (de laquelle j’ai déjà aristocratiques dans l’Occident médiéval (IXe-XIIe siècle), éd. M. Lauwers, Nice 2002, pp. 41-92 ; Gli «specula» carolingi, sous presse. 13 J. Irigoin, Les manuscrits grecs de Denys l’Aréopagite en Occident, les empereurs byzantins et l’abbaye royale de Saint-Denys en France, dans Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident, Actes du Colloque international (Paris, 21-24 septembre 1994), éd. Y. de Andia, Paris 1997, pp. 19-29; E. Jeaneau, L’Abbaye de Saint-Denis introductrice de Denys en Occident, ibid., pp. 361-378. Voir aussi M. Cristiani, Dall’unanimitas all’universitas, Roma 1978, pp. 95-96, qui remarque «l’influenza profonda della nozione dionisiana di gerarchia nell’ecclesiologia medievale, senza una corrispondenza equivalente nell’ambito delle dottrine politiche»; 160: «Anche se infatti Incmaro... giunge ad appropriarsi della nozione di res publica, intesa in senso profano, soltanto la Chiesa si configura in realtà come un’ideale res publica, in cui la Sapientia divina, il potere del sovrano supremo, si manifesta attraverso una serie ordinata di gerarchie, dagli angeli fino agli uomini, secondo uno schema che l’ecclesiologia medievale non cesserà di approfondire»; P. Rorem, Eriugena’s Commentary on the Dionysian Celestial Hierarchy, Toronto 2005. 14 Grégoire le Grand, Homélies sur les Évangiles, II 34; Isidore, Etymologiae, VII 5 ; Sententiae I 10, 14-15, éd. P. cazier, dans CCSL CXI, Turnhout 1998, pp. 33-34. Voir C. Carozzi, Hiérarchie angélique et tripartition fonctionnelle chez Grégoire le Grand, dans Hiérarchies et services au Moyen Âge, éd. C. Carozzi-H. Taviani-Carozzi, Aix en Provence 2001, pp. 31-51. 15 D.E. Luscombe, Conceptions of Hierarchy before the Thirteenth Century, dans Soziale Ordnungen in Selbtverständnis des Mittelalters, éd. A. Zimmermann, I, Berlin-New York 1979, pp. 1-19, en particulier 3-4: «Hincmar's appeal to Denis was in a sense a 'false start'. His reputation declinéd... Moreover, John the Scot... suffered eclipse und unpopolarity for centuries because he was suspected of error». L’évêque est défini hierarcha dans la vita Agilolfi Malmundariensis (rédigée après 972), dans AA.SS. Julii, II, 1721, p. 722, 725 16 Sur le procès de hiérarchisation du clergé voir A. Faivre, Naissance d’une hiérarchie. Les prémiers étapes du Cursus clérical, Paris 1977. 17 Voire H.X. Arquillière, Le plus ancien traité de l’Église: Jacques de Viterbe, «De Regimine christiano» (1301-1302). Étude des sources et édition critique, Paris 1926; Id., L’augustinisme politique. Essai sur la formation des théories politiques du Moyen Âge, Paris 1955²; G. Tabacco, La relazione tra i concetti di potere temporale e di potere spirituale nella tradizione cristiana fino al sec. XIV, Torino 1950; U. Mariani, Chiesa e Stato nei teologi agostiniani del sec. XIV, Roma 1957; Aegidiana I-III, «Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale», 1-3 (1990-1992); A. Rizzacasa, Introduzione, dans Giacomo da Viterbo, Il governo della Chiesa, trad. it. par G.B. M. Marcoaldi, Firenze 1993, pp. 7-73; G. Dotto, Introduzione, dans Egidio Romano, Il potere della Chiesa, trad. it, éd. G. Dotto-G.B.M. Marcoaldi, Roma 2000, pp. 7-27. 18 Y. Congar, L’ecclésiologie du haut Moyen Age, Paris 1968, en particulier pp. 98-99, qu cite un passage d’Hincmar, Explanatio in Ferculum Salomonis, PL 125, 817B: «Hoc regium ferculum, quod doctores sancti designare dicunt Ecclesiam, corpus scilicet Christi... multis in Scriptura vocatur nominibus: ut est regnum coelorum, mulier, sponsa, uxor, columba, dilecta, vinea, ovis, ovile, civitas...». 19 Voir par exemple C. Leonardi, Il venerabile Beda e la cultura del secolo VIII, dans I problemi dell’Occidente nel secolo VIII, Atti della XX Settimana di studi, Spoleto 1973, pp. 603-658; G. Hofer, La «sancta ecclesia» di Gregorio Magno, dans «Studi medievali», III s., 30 (1989), pp. 593-636, en particulier 603: dans Grégoire le Grand «il discorso ecclesiologico non obbedisce ad esigenze di ordine sistematico e speculativo se non in misura limitata».

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remarqué l’importance das l’ecclésiologie carolingienne)20, et e la tendance, dans quelques auteurs et milieux, à idéntifier l’Église avec le clergé (tendance qui prévaudra, triomphera, après l’époque grégorenne, avec l’idée, répandue par Gratien, des «deux peuples»), mais aussi la persistance, du moins formelle, de l’idée de l'Église comme communauté, comme peuple sacerdotal et royal appelé à la sainteté. Ph. Buc a entrevu, dans la réflexion sur les pouvoir des commentaires bibliques des XIe-XIV siècles, deux tendances, égalitaire et hiérarchique, en critiquant l’intérpretation «fonctionnelle» du rôle de l’Égise comme système de contrôle idéologique et facteur d’intégration de la société médiévale21: il faudrait amorcer une recherche analogue sur les oeuvres exégétiques et théologiques de l’époque carolingienne, sur lesquelles j’ai effectué un sondage partiel. J’ai analysé aussi les miroirs, les actes des conciles, les capitulaires, les traités polémiques, les fausse décrétales du pseudo-Isidor, et surtout les oeuvres d’Alcuin, de Jonas d’Orléans, d’Agobard de Lyon, de Raban Maur, de Walafrid Strabon, de Paschase Radbert, d’Hincmar de Reims. L’Église céleste et l’ Église de ce temps : communauté et hiérarchie en chemin vers le Royaume Selon une perspective qui remonte à saint Augustin, l’Église comprend et embrasse tous les chrétiens unis à Dieu, vivants et défunts; les anges et les saints22. Cependant la renaissance d’un Empire chrétien en Occident implique une tendence à identifier l’Ecclesia universalis, au-delà de la dimension métahistorique de la cité de Dieu, de l’Ecclesia primitivorum23 ou de l’Ecclesia ab Abel24, avec l’espace politique gouverné par Charlemagne et ses successeurs, et à attribuer au souverain une fonction de direction sur la société chrétienne, par la promotion d’une restauration doctrinale, liturgique et disciplinaire: l’Église, mais aussi le regnum, la res publica, est conçue par Agobard, mais aussi par Hincmar de Reims, come une réalité unitaire, au-delà des partage entre les membres de la dynastie carolingienne25 ; même si les propriétés et les institutions de l’Église

20 Voir aussi D.Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsmne et à l’islam, 1000-1150, Paris 1998, pp. 22-26, qui juge, en rappellant Denys l’Aréopagite et Haymon d’Auxerre, que « L’époque carolingienne représente ainsi un tournant capital dans la réflexion sur la notion d’ordre ». 21 Ph. Buc, L’ambigüité du Livre. Prince, pouvoir, et people dans les commentaries de la Bible au Moyen Age, Paris 1994, pp. 399-407, qui souligne «la polisémie des eléments du discours clérical». 22 Voir Concilium Carisiacense (838), dans MGH, Concilia II/2, pp. 771-772: «Ita igitur omnes, tam antiqui quam moderni, tam viventes quam dormientes, in Christo unus panis sumus, incorporati et uniti», qui condamne la théologie liturgique d'Amalaire et rappelle Eph. 4, 15-16 pour soligner le lien entre l'Église/corps et le Christ/tête «caput et vertex ecclesiae... ut fonte capitis totum corpus irrigetur»; Hincmar, Collectio de ecclesiis et capellis, 1, p. 80: «caput vere christianorum Christus est et ecclesia, quae est corpus Christi, cum sanctis angelis de christianis tam viventibus quam et defunctis consistit»; Explanatio in Ferculum Salomonis, PL 125, 831A: «sancta Ecclesia in quibusdam suis membris adhuc pro aeterna requie laborat in terris, in quibusdam vero omni finito labore cum Christo iam regnat in coelis»; Viertes Kapitular, 3, dans MGH, Capitula episcoporum, II, p. 84: la Jérusalem céleste «constat ex angelis et hominibus et aedificatur ut civitas»; le lépreux, c’est-à-dire le pécheur, est expulsé «de caelesti, id est ecclesiastico aedificio, tamquam mortuo lapide», qui rappelle Lév 14,33-45 et Bède, In epistulam I Petri, II 5. Mais l’idée (proposée à l’époque de Boniface par l’hérétique Aldebert) d’une libération de tous les défunts de l’enfer après la descente de Christ est condamnée (Die Briefe des Heiligen Bonifatius und Lullus, éd. M. Tangl, MGH, Epistolae selectae, I, Berlin 1916, ép. 59 (actes du synode de Rome, a. 745), pp. 108-120, en particulier 112. Sur le rapport entre civitas Dei et Ecclesia dans Augustin voir E Lamirande, L’ Eglise celeste selon saint Augustin, Paris 1963. 23 Voir Raban Maur, Expositio in Leviticum, IV 8, PL 108, 401A: «universalis enim Ecclesia Jerusalem est civitas Dei vivi, que continet Ecclesiam primitivorum conscriptam in coelis» (qui rappelle Hésichius). S. Cantelli est en train de publier un répertoire des sources patristiques de Raban Maur. 24 Voir Y. Congar, Ecclesia ab Abel, dans Abhandlungen über Theologie und Kirche, Düsseldorf 1952, pp. 79-99. 25 Hincmar, De divortio Lotharii, Int. et Resp. 12, in MGH, Concilia IV, Suppl. I, p. 187: «Et unum regnum una est ecclesia, quae illorum divisione, qui sicut unus homo et unus rector in uno regimine esse debent, dividi nullatenus debent»; Appendix, 1, p. 236: «Non est ita... unus dominus, una fides, unum baptisma... unum regnum, una Christi columba, videlicet sancta ecclesia, unius Christianitatis lege, regni unius et unius ecclesie, quamquam per plures regni principes et ecclesiarum praesules gubernacula moderentur?», qui rappelle Éph. 4,5-6; De ordine palatii, 3, p. 50: «contra Deum sanctamque ecclesiam atque rempublicam»; Hludowici et Karoli Pactum Tusiacense, 6, dans MGH,

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forment, selon Paschase Radbert, una altera res publica26. La fidélité à la tradition des Pères est opposé à la variété des expériences liturgiques et pastorales, qui avait caractérisé les premiers siècles du Moyen Âge, et qui est désormais jugée comme une coutume negative27. Comme l’a remarqué J. Chélini, Alcuin identifie (en étendant aux membres de l’élite politique la liste paulinienne des talents et des ministères)28 « la société chrétienne et le corps sociale », dans lequel chaque ordre a une « fonction distincte marquée par la Providence », même s’il n’y a pas encore un vocabulaire spécifique pour chaque ordre29, ni une « philosophie de la personne »30. Il se méfie du principe « vox populi, vox Dei », car il juge que « populus iuxta sanctiones divinas ducendus est, non sequendus »31. Toutefois, au-delà des rôles sociaux, dans le Royaume céleste il n’y aura pas aucune distinction entre les ordres et les sexes, car chacun recevra sa récompense selon ses mérites personnels32 : mais la distinction entre les perfectiores et les autres chrétiens (qui est une « hiérarchie spirituelle » qu’il ne faut pas idéntifier avec la hiérarchie institutionelle)33 implique, pour Hincmar, la possibilité pour les premiers de voir Dieu immédiatement après la mort du corps34. En rappelant Grégoire le Grand, Hincmar entrevoit une corréspondance entre les différents genres

Capitularia II, n. 244, p. 167: «et ecclesia nobis et illi commissa et regnum unum est et populus ac christianitas una est». Je suis en train de préparer un étude sur le langage politique et réligieux du haut Moyen Âge. 26 Paschase Radbert, Epitaphium Arsenii, II, éd. E. Dümmler, in Abhandlungen der königlichen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, philosophisch-historische Klasse, Berlin 1900, pp. 62-63. Cfr. Savigni, Giona, pp. 112, 157-159. 27 Voir Hincmar, Collectio de ecclesiis et capellis, éd. M. Stratmann, dans MGH, Fontes iuris Germanici antiqui ad usum scholarum, Hannover 1990, 14, p. 77: «Quapropter, sicut Innocentius ad Decentium Egubinum scribit episcopum, si instituta ecclesiastica, ut sunt a beatis apostolis tradita, integra vellent servare domini sacerdotes, nulla diversitas, nulla varietas in ipsis ordinibus et consecrationibus atque constitutionibus haberetur». 28 J. Chélini, Les laïcs dans la société ecclésiastique carolingienne,dans I laici nella »societas christiana» dei secoli XI e XII, Atti della III Settimana di studi del passo della Mendola, Milano 1968, pp. 23-50, en particulier p. 30; Chélini, L' aube du Moyen Age: naissance de la chrétienté occidentale. La vie religieuse des laics dans l'Europe carolingienne (750-900). Paris 1991. Sur la réticence de Grégoire le Grand à propos des termes «qui pouvaient évoquer un pouvoir de type politique» voir Carozzi, Hiérarchie angélique, pp. 46-48. 29 M. me J. Chélini, Le vocabulaire politique et social dans la correspondance d’Alcuin, Aix en Provence 1959, en particulier pp. 85, 95. 30 L’interprétation de V. Serralda, La philosophie de la personne chez Alcuin, 1978, n’est pas soutenable.Comme l’a remarqué J. Chélini,Le vocabulaire, p. 67, «Alcuin, au-delà de l’homme, considère la fontion de sa classe, la place qu’elle doit occuper dans l’organisation du monde chrétien». 31 Alcuin, ép. 132, dans MGH, Epistolae IV, éd. E. Dümmler, 1895, pp. 198-199: «Nec audiendi qui solent dicere: ‘Vox populi vox Dei’, cum tumultuositas vulgi semper insaniae proxima sit». Ce principe (qui remonte au pape Célestin) sera rappelé par pape Étienne V (Fragmenta registri, ép. 32, dans MGH, Epist. VII, p. 352) et par le Decretum Gratiani (pars I, dist. 63, c. 12) pour remarquer la priorité du clergé dans les électionsdes évêques: «sacerdotum quippe est electio, et fidelis populi consensus adhibendus est; quia docendus est populus, non sequendus». Sur l’«esprit hiérarchique» d’Alcuin voir Chélini, Le vocabulaire, pp. 9, 78, 81, 91. 32 Alcuin, Liber de virtutibus et vitiis, 36, dans PL 101, 638BC: «omni sexui, aetati ret personae aequaliter secundum meritorum dignitatem regni Dei patet introitus. Ubi non est distinctio, quis esset in saeculo laicus vel clericus, dives vel pauper, junior vel senior, servus aut dominus; sed unusquisque secundum meritum boni operis perpetua coronabitur gloria». Voir Christian de Stavelot, Expositio in Matthaeum, 14, PL 106, 1521C: «Non erit in alia vita discretio domini et servi, nisi per meritum». Dans l’enfer il n’ya «nullus ordo», mais seulement une gradation des peines (Hincmar, De cavendis vitiis, II 3, éd. D. Nachtmann, MGH, Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters, 16, München 1998, pp. 188-189. 33 Vior Hincmar, ép. 179, dans MGH, Epistolae, VIII, pp. 168-172, en particulier 171. 34 Voir Hincmar, De cavendis vitiis, II 10, pp. 224-225: «qui mox, ut a carnis corruptione soluti sunt vel solvuntur, ad Dei contemplationem angelis sociandi perveniunt, sicut sancti apostoli, martyres et confessores et virgines, ceterique artioris ac perfectioris vitae viri ac feminae» (qui rappelle Bède, Hom. evang. I 2); Explanatio in ferculum Salomonis, PL 125, 820CD; Vita Remigii, 9, éd. B. Krusch, dans MGH, Script. rer. Merov., III, éd. B. Krusch, Hannover 1896, p. 287. Jonas, De institutione laicali, III 18, PL 106, 272D, entrevoit dans l’Église deux ordres, «alter perfectorum, imo paucorum, alter generaliter caeterorum iustorum»: les parfaits auront le privilège de participer au Jugement dernier à côte de Christ et des apôtres. Voir Savigni, Giona, pp. 47-55.

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de vie des chrétiens et la hiérarchie des ordres célestes, des simples anges aux Séraphins35, auxquels est assimilé saint Rémi, qui a atteint les dégrés les plus élevés de la hiérarchie angélique 36. Dans les miroirs de Jonas d’Orléans ou de Dhuoda le point de départ n’est pas encore l’Église comme telle, ou le clergé (comme dans les traité de Ecclesia de l’époque de Boniface VIII), mais le Christ, le peuple chrétien dan sa totalité37, et le baptême, par lequelle les hommes sont incorporés dans le chemin du salut et dans l’ Église: le sacrament du baptême marque l’entrée dans l’ Église, mais aussi dans la société, déjormais identifié avec l’Ecclesia38. Comme l’a remarqué le concile d’Aix (836), l’Ecclesia (le peuple de Dieu pèlerin sur la terre, en chemin vers le Ciel) est dirigéé par les deux personnes sacerdotale et royale (selon une réinterprétation de la théorie gélasienne qui encadre la fonction du roi dans l’institution globale définie comme Ecclesia); les prédicateus (expression qui à partir du concile de Paris désigne désormais, autrement que dans les épîtres d’Alcuin, les évêques et les prêtres)39 et les simples fidèles (définis auditores) doivent exercer chacun sa propre fonction, c’est-à-dire respectivement enseigner (par la parole et l’exemple) et obéir : « Car l’Église est définie comme un peuple réuni par la même foi et par l’amour, et qui se dirige vers le Ciel, il faut que ce peuple soit orné par l’engagement des prédicateurs dans l’enseignement et dans la sainteté de la vie, e par le soin des auditeurs dans l’obéissance et dans la vie active. Cette beauté harmonieuse peut se produire seulement si chacun respecte et accomplit sa propre tâche. Il

35 Hincmar, Vita Remigii, 31, pp. 328-330: «in illa aeternae beatitudinis vita non dispari unusquisque iuxta dispar meritum locum disparem percipit sed eiusdem disparilitatis dampna non sentit, quia tantum sibi, quantum perceperit, sufficit. Et catholica doctrina didicimus, quia distincte conversationis hominum singulorum agminum caelestium ordinibus congruunt et in eorum sortem per conversationis similitudinem deputantur. Nam sunt plerique, qui parva capiunt, sed tamen haec eadem parva pie adnuntiare fratribus non desistunt. Isti itaque in angelorum numerum currunt... Et sunt nonnulli, qui dum sibimet ipsis vigilanti cura dominantur, ... hoc in munere virtutis accipiunt, ut iudicare recte et alios possint;... in his velut in throno suo Domino praesidens, aliorum facta examinat et cuncta mirabiliter de sede sua dispensat. Quid ergo isti nisi throni sui conditoris sunt, vel quo nisi ad supernarum sedium numeros adscribuntur? Per quos dum sancta aecclesia regitur, plerumque de quibusdam suis infirmis actibus etiam electi iudicantur... Quid ergo istos nisi Seraphim dixerim, quorum cor in ignem conversum lucet et urit...?» , qui rappelle Grégoire le Grand, Hom. in Evang. II 34,11. Sur la distinction entre hiérarchie de la sainteté et hiérarchie ecclésiastique dans certaines Vie de saints voir L. Terrade, Hiérarchie des perfections, service et justification : l’image de l’évêque dans l’hagiographie latine des Ve-VIIe siècles, dans Hiérarchies et services au Moyen Âges, pp. 241-268, en particulier pp. 261-262. 36 Vita Remigii 31, pp. 328-330: Rémi «de virtute in virtutem gratia Dei provectus excrevit, usquequo eum quem semper desideravit spiritu facie ad faciem videre promeruit... Inter Seraphim ergo numerum sortem suae vocationis accepit, cum quibus sancta eiusdem viri apostolici anima una cum suis consortibus in celesti letatur gloria». Voir aussi Milon, Vita Amandi episcopi Traiectensis secunda (IXe s.), 5, dans MGH, Script. Rer. Merov., V, Hannover 1910, pp. 465-466; 6, p. 474: «Nec tamen tantum apostolicis dignus est laudibus adaequari, sed etiam angelicis spiritibus ac universis agminibus caeli». Voir C.Micaelli, Riflessioni su alcuni aspetti dell’angelologia di Gregorio Magno, in Gregorio Magno nel suo tempo, Atti del XIX incontro di studiosi dell’antichità cristiana, Roma 1991, II, pp. 301-314; Matilde Maresca, La presenza degli angeli nell'«ecclesia» e nel «regnum» tra VI e X secolo, thèse de doctorat, rél. Alba M. Orselli, Bologna 2002, qui a remarqué l’influence de Grégoire le Grand, Hom. in Evang. II 34,10 sur la Vita Amandi et sur Hincmar. 37 Voir Jonas d’Orléans, De institutione laicali, préfation, PL 106, 124B: «Et ne ob sui prolixitatem taedio esset legentibus, id tribus libellis distinxi: videlicet ut primus et ultimus omnibus generaliter fidelibus, medius autem magna sui ex parte conjugalem vitam ducentibus specialiter conveniret»; I 19, 160D. 38 Sur la notion «englobante» d’Ecclesia, co-extensive à celle de société, et « qui n’implique plus simplement une communauté spirituelle mais désigne aussi une structure à caractère social et temporel », voir D.Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsmne et à l’islam, 1000-1150, Paris 1998, p. 12 ; A. Guerreau, L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Age au XXI siècle?, Paris 2001, pp. 28-31: «l’Église catholique médiévale englobait tous les aspects de la société... tout rôle social était eo ipso un rôle dans l’ Église» mais il propose une chronologie «longue» très discutable); et aussi W. Kölmel, Regimen christianum, Berlin 1970; Id., Chiesa, cristianità, genere umano: riflessioni sull’autocomprensione della società medievale, dans «Cristianesimo nella storia», 5 (1984), pp. 507-522. 39 M. Lauwers, La glaive et la parole. Charlemagne, Acuin et le modèle du «rex praedicator»: notes d'ecclésiologie carolingienne, das Alcuin de York à Tours. Écriture, pouvoir et réseaux dans l’Europe du Haut Moyen Age, dir. Ph. Depreux e B. Judic, «Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest» 111/3 (2004), pp. 221-244.

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résulte que l’ Église pélerine est dirigée, dans le temps présente, par deux personnes éminents, sacerdotale et royale, afin que, entourée et protégée à l’intérieur et à l’extérieur par l’autorité des évêques et le jugement sévère de l’empereur, puisse garder plus librement sa propre mesure »40 L’unité de l’Ecclesia (à laquelle il faut appartenir pour gagner le salut)41 implique une solidarité entre l’épiscopat et le roi: l’autorité est indispensable pour evitér une situation dangereuse d’anarchie, préfigurée par Juges 17,6 e par la scission du royaume d’Israël après la mort de Salomon42. Agobard de Lyon délabore un projet utopique de société chrétienne fondée sur l’unité législative de l’Empire, qui devrait réfléchir l’unité du corps mystique de Christ43. Mais à l’intérieur de l’Ecclesia le rapport entre la rouyauté et l’épiscopat change, se transforme. En 775 Cathulphe s’adresse à Charlemagne comme au vrai recteur de l’Église, en tant que vicaire de Dieu, tandis que l’évêque est consideré (dans une perspective « subordinationniste ») seulement vicaire du Christ, et donc inférieur44. L’Opus Karoli (Libri carolini) critique la conception byzantine de l’empereur conregnator cum Christo45, mais le rôle joué par le souverain carolingien dans les élections épiscopales sera justifié plus tard, à l’époque grégorienne, par Benzon d’Albe : en tant que vicaire de Dieu, qui a disposé les ordres célestes, le roi peut établir les hiérarchies supérieures sur la terre46. Dans l’Admonitio ad omnes regni ordines (825) les évêques sont encore jugés comme les collaborateurs (adiutores) de l’empereur chrétien, qui est le véritable dépositaire de l’unité du ministerium de direction et correction de la société chrétienne que Dieu lui a confié47 ; quelques

40 Concilium Aquisgranense, III 25 (66), dans MGH, Cncilia, II/2, éd. A. Werminghoff, Hannover et Lipsiae 1908, p. 723: «Quia enim ecclesia in una adque indiscreta Christi fide ac dilectione concorditer ad caelestia tendens populus dicitur, necesse est, ut praedicatorum bene vivendi ac docendi instantia et auditorum oboediendi atque existendi insistentia perornetur. Hic vero ornatus fieri ullatenus nequid, nisi uniuscuiusque officium proprie cnservetur, immo peragatur. Constat autem eam peregrinantem duabus, ut dictum est, praesentialiter prsonis gubernari, sacerdotali scilicet adc regali, quatenus, auctoritate episcopali atque imperiali censura intrinsecus et extrinsecus circumsepta, liberius modum proprium valeat conservare». Sur l’opposition praedicatores-auditores voir Concilium Parisiense (829), I 4-5, pp. 612-614; 10 p. 616. Sur les notions de censura et d’auctoritas voir E. Benveniste, Le censor et l’auctoritas, dans Le vocabulaire des institutions indo-européennes, II, Paris 1969, pp. 143-151 ; Terrade, Hiérarchie des perfections, pp. 245, 251-252: «la parole de l’évêque... est aussi dotée d’une efficacité particulière, l’auctoritas». Dans Alcuin les praedicatores n’étaient pas encore identifiés avec les clercs (M. Lauwers, La glaive et la parole. Charlemagne, Alcuin et le modèle du « rex preaedicator » : notes d’ecclésiologie carolingienne, dans Alcuin de York à Tours, « Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest », 111, 2004, pp. 221-243). 41 Voir Hincmar, Explanatio in Ferculum Salomonis, PL 125, 818C, 824D-825A. 42 Hincmar, De divortio Lotharii, Appendix, pp. 235-236: «Et nunc isti domini regnum et catholicam ecclesiam... volentes scindere... temptantes tempori nostro pestilentissimo illus superinducere, quando rex neque dux in populo illo erat, sed unusquisque faciebat, quod sibi rectum videbatur», qui rappelle 1 Roi 12,16 et 28. 43 Agobard, Op. 2, Adversus legem Gundobadi (ad Ludovicum), 3, pp. 20-21; 14, p. 28: «Atque utinam placeret omnipotenti Deo, ut sub uno piissimo rege una omnes regerentur lege, ea ipsa, ad quam et ipse vivit, et proximi eius respondent; valeret profecto multum ad concordiam civitatis Dei, et aequitatem populorum». 44 Epistulae variorum, 7, dans MGH, Epistolae, IV, éd. E. Dümmler, Berlin 1895, p. 503: « Memor esto ergo semper, rex mi, Dei regtis tui cum timore et amore, quod tu es in vice illius super omnia membra eius, custodire et regere, et rationem reddere in die iudicii, etiam per te. Et episcopus est in secundo loco, in vice Christi tantum est. Erego considerate inter vos diligenter legem Dei constituere super populum Dei… », qui rappelle Ps 2,10-12. Dans l’ép. 174, ibid., p. 288, Alcuin nomme les « tres personae in mundo altissime » : le pape (apostolica sublimitas), l’empereur byzantin (imperialis dignitas), et Charlemagne, encore simple roi (regalis dignitas), en soulignant le rôle de celui-ci (que Dieu a choisi comme recteur du peuple chrétien, « ceteris prefatis dignitatibus potentia excellentiorem »), le seul qui peut sauver l’Église. 45 Opus Caroli regis contra synodum, I 1, éd. A. Freeman, dans MGH, Concilia, II, Supplementum,I, Hannover 1998, pp. 105-115. 46 Benzo, Ad Heinricum IV imperatorem libri VII, I 9, 26, éd. H. Seyffert, dans MGH, Script. rer. Germ., 65, p.170: «ipse Deus vice sua contulit ei ad superiores gradus ordinare homines, sicut ipse disponit supernorum civium ordines». 47 Admonitio ad omnes regni ordines, 3-4, dans MGH, Capitularia regum Francorum, p. 303: «Sed quamquam summa hius ministerii in nostra persona consistere videatur, tamen et divina auctoritate et humana ordinatione ita per partes divisum esse cognoscitur, ut unusquisque vestrum in suo loco et ordine partem nostri ministerii habere cognoscatur ; unde apparet, quod ego omnium vestrum admonitor esse debeo, et omnes vos nostri adiutores esse debetis» ; 4, ibid. : « omnes vos in hoc sacro ordine constitutos et officio pastorali functos monemus atque rogamus, ut... quantum ad

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années plus tard, on peut entrevoir l’ « entrée en scène » de l’épiscopat, qui prend la direction du procès de ridéfinition des institutions ecclésiastiques par la rédaction des miroirs et des actes des synodes48. Les actes du concile de Paris (829), tout en rappelant le rôle de l’empereur, auquel Dieu a donné la tâche de « gouverner » l’Église (selon la perspective ecclésiologique de l’époque de Charlemagne)49, définissent les évêques «fondateurs des églises de Christ après les apôtres… concierges du Ciel... dispensateurs de la maison du Roi, qui attribuent selon leur volonté les dégrés et les offices de chacun »50; tandis que Jonas charge l’ordo episcopalis ordo de la responsabilité de diriger la société chrétienne51. Les rapports entre les pasteurs et le peuple chrétien doivent être caracterisés par la paix et l’harmonie, dans le respect des tâches de chaque ordre52 ; est la confusion des ordres est presentée comme le danger le plus grand53. L’Ecclesia est donc dirigée par les évêques et les rois, qui, selon la théorie gélasienne, rappelée à partir da l’époque de Louis le Pieux (et surtout du concile de Paris),54 exercent respectivement de l’auctoritas sacrata et de la potestas (mais en réalité la terminologie n’est pas univoque)55: elles doivent collaborer pour assurer le salut du peuple chrétien, dont devront répondre devant Dieu56; et si le roi est le seigneur temporel des évêques, pour Jonas il est aussi (comme tous les laïcs) le fils de l’Église57. Les conciles de Paris (829) et d’Aix (836) soulignent, en rappelant l’épître de Gélase (XII 2, adressée à l’empereur Anastase) et Fulgence (De veritate praedestinationis et gratiae, II 39), mais aussi le sermon XVII de Grégoire de Nazianze (traduit par Rufin d’Aquilée)58, la supériorité de l’esprit sur la chair et des réalité célestes sur celles humaines, et par conséquent la prééminence de l’autorité épiscopale, car les évêques devront rationem reddere à Dieu pour la conduite et le salut

vestrum ministerium pertinet, nobis veri adiutores in administratione ministerii nobis commissi existatis» ; 14, p. 305 (emprunté par Die Kapitulariensammung des Ansegis, II, 3-4 et 12, pp. 523-524, 530). 48 Voir E. Delaruelle, En relisant le «De institutione regia» de Jonas d’Orléans. L’entrée en scène de l’épiscopat carolingien, dans Mélanges d’histoire du Moyen Age dediées à la mémoire de L. Halphen, Paris 1951, pp. 185-192; Savigni, Giona, pp. 145-175. 49 Concilium Parisiense (829), préfation, dans MGH, Concilia, II/2, éd. A. Werminghoff, Hannover et Lipsiae 1908, p. 607: «ecclesiam, quam Christus… Huodowico et Chlothario, gloriosis Augustis, regendam tuendamque committere occulta dispensatione voluit». 50 Concilium Parisiense (829), I 4, pp. 611-612; III 9, p. 673, Concilium Aquisgranense (836), III 5, ibid., p. 717, qui rappellent Julien Pomère, De vita contemplativa, II 2 (PL 59, 444-445): «ianitores... dispensatores regiae domus, quorum arbitrio in aula regis aeterni dividuntur gradus et officia singulorum». 51 Jonas, Vita secunda sancti Huberti et corporis eius translatio ad monasterium Andaginense, éd. C. De Smedt, dans AA.SS., novembris, I, 16, 29, p. 817BC: «laicus ordo iustitiae deserviret... monasticus ordo quietem diligeret... episcopalis autem ordo, ut his omnibus superintenderet, scilicet ut si qui ab his aut voluntate aut necessitate deviarent, eorum sollerti judicio prudentique consilio ad lineam rectitudinis correcti redirent». 52 Concilium Aquisgranense (836), III 10, p. 674: «sempre inter pastores ecclesiarum et gregem Christi pax et concordia unanimitasque servetur». Sur la notion d’unanimitas voir M. Cristiani, Dall’unanimitas all’universitas, Roma 1978. 53 Concilium Parisiense, III 26, p. 679: «principalis potestas… in causas ecclesiasticas prosilierit et sacerdotes… in saecularibus negotiis et sollicitudinibus mundi ultra, quam debuerant, se occupaverint». 54 Savigni,Giona, pp. 67-73. 55 L’auctoritas n’est pas attribué seulement auc évêques (qui exercent aussi la potestas ligandi atque solvendi: voir Jonas d’Orléans, Le métier du roi, 2, éd. A. Dubreucq, SC 407, Paris 1995, p. 180: «excellentiam vestram suppliciter convenimus, ut, per vos, proceres ceterique fideles vestri nomen, potestatem, vigorem et auctoritatem atque dignitatem sacerdotalem cognoscant»), mais parfois aussi aux souverains (voir par exemple Concilium Aquisgranense, a. 836, 65, dans MGH, Concilia II/2, éd. A. Werminghoff, Hannoverae 1908, p. 723; Astronome, Vita Hludowici imperatoris, 66, dans MGH, Script. rer. Germ. 64, p. 516). Pour l’expression regia dignitas voir Hincmar, De divortio Lotharii, dans MGH, Concilia IV, Supplementum,, I, Appendix, p. 261: «episcopalis auctoritas praedicando vita et verbo et regia dignitas regendo et corrigendo praeesse ac prodesse omnibus debent, qui disciplinam, id est ordinatam correctionem... sequi et observare cupiunt». 56 Hincmar, De divortio Lotharii, Resp. 12, dans MGH, Concilia IV, p. 189: «Reges enim et sacerdotes subditorum prave acta corrigunt, sed oblivisci non debent, quia illorum mala per ipsum Dominum iudicabuntur», qui rappelle Sagesse 6,7: «Potentes potenter tormenta patientur, exiguo autem conceditur misericordia». 57 Jonas, Le métier du roi, préf., p. 148, 160; 3, p. 192. La maternité de l’Église est souligné par exemple par le concile de Paris (829), III préf., p. 667: les évêques exhortent les souverains à impegnarsi pour exalter l’Église «utpote matrem spiritalem sicut fideles et dilecti spiritales filii». 58 Concilium Parisiense, I 11-12, éd. A. Werminghoff, dans MGH, Concilia, II/2, p. 618.

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des rois59. En outre Hincmar, qui ajoute quelques éclaircissements au passage de Gélase, juge que la dignité des évêques soit supérieure à celle des rois car ils les sacrent par l’onction60, tandis que dans les choses humaines le poids, et donc la responsabilité du roi est plus grande61. Le texte de Grégoire de Nazianze est cité plus explicitement par Grégoire IV (dans son épître aux évêques francs)62 et implicitement, plus tard, au début du Xe siècle, par l’archevêque Jean de Ravenne (905-914), dans le contexte d’une conception fortement hiérarchique de la société chrétienne: « roi, mon sermon est bref : dans les lois chrétiennes le Saint-Esprit a établi que ainsi qu’il faut que le serfs obéissent à leurs seigneurs, les femmes à leurs maris, l’Église au Seigneur, les disciples à leurs maîtres et pasteurs, ainsi l’ordre des choses doit être soumis aux autorités les plus élevées. Donc tu prends part à la royauté de Christ et dans son royaume administres (distribues) les choses humaines... La loi du Christ a soumis votre personne à l’autorité sacerdotale, et a donné aux pasteurs un pouvoir plus perfect que votre dignité. L’esprit ne doit pas être soumis à la chair, les choses célestes à celles de la terre, les réalités divines à celles des hommes »63. Pour les intellectuels de la deuxième génération carolingienne l’Église est une maison dans la quelle le Christ, le vrai docteur et magister, enseigne les principes et les règles de la vie chrétienne et guide les chrétiens au salut eternel, et dans laquelle il n’y a pas d’uniformité, mais une pluralité de niveaux de connaissance de Dieu et de vie spirituelle64, et aussi d’états de vie et de rôles

59 Voir Jonas, Le métier du roi, préf., éd. Dubreucq, p. 152 : « officii mei memor et salutis vestrae » ; 1, p. 176 : «Quia ergo tantae auctoritatis, immo tanti discriminis est ministerium sacerdotum, ut de ipsis etiam regibus Deo sint rationem redditur, oportet, immo necesse est, ut de vestra salute semper simus solliciti »; 3, p. 196 ; Hincmar, ép. 134 860), dans MGH, Epistolae, VIII, pp. 78-79: Dieu a placé les rois chrétiens «in tam excellentissimo loco..., ut a subiectis omnibus valeant conspici et ad speculi vicem haberi, quatenus pravis et rectis vel terrori esse debeant vel amori», mais «sicut spritalis ac proinde maius, tanto est periculosior episcopale quam regium ministerium». 60 Hincmar, Capitula in Synodo apud sanctam Macram promulgata, 1, dans PL 125, 1071: «Et tanto est dignitas pontificum maior quam regum, quia reges in culmen regium sacrantur a pontificibus, pontifices autem a regibus consecrari non possunt: et tanto gravius pondus est sacerdotum, quam regum, quanto etiam pro ipsis regibus hominum in divino reddituri sunt examine rationem... Et legimus in sacris historiis, quia cum sacerdotes in regimine regni reges ungebant, et diademata capibus illorum imponebant, legem in manibus eius dabant, ut discerent et scirent qualiter se et subiectos sibi regere, et sacerdotes Domini honorare debeant», qui rappelle Deut 17, 14-20 en ajoutant à la source biblique une référence plus directe au devoir du souverain d’honorer les prêtres; Ad episcopos regni, 1-2, 1007-1008D: «duo sunt, quibus principaliter, una cum specialiter cuiuscumque curae subiecitis,mundus hic regitur, auctoritas sacra pontificum, et regalis potestas: in quibus personis, sicut ordine sunt divisa vocabula, ita sunt et divisa in unoquoque ordine ac professione ordinationum officia...Sed... reges in culmen regium sacrantur a pontificibus». 61 Hincmar, Opuscula, XIV. Quae exequi debeat episcopus, PL 125, 1088A: «Et tanto in humanis rebus regum cura est propensior quam sacerdotum, quanto pro honore et defensione ac quiete sanctae Ecclesiae, et rectorum ac ministrorum ipsius, et leges promulgando, ac militando, a Rege regum est eis curae onus impositum». 62 Agobardi Lugdunensis archiepiscopi epistolae, ep. 17, dans MGH, Epist. V, p. 228-229: «Neque ignorare debueratis maius esse regimen animarum, quod est pontificale, quam imperiale, quod est temporale, Beatus Gregorius Nazanzenus non hoc timuit coram imperatoribus in ecclesia praedicare». 63 Ep. 5, éd. S. Loewenfeld, Acht Briefe aus der Zeit König Berengars, dans «Neues Archiv» 9 (1884), pp. 513-539, en particulier 529-530: «Sermo mihi ad vos sed brevis o rex habetur: oc in legibus sancti spiritus prefixum et utili provisione signatum, ut sicut servi dominis obedire iubentur et uxores viris et domino ecclesia et discipuli magistris et pastoribus, ita quoque sublimioribus potestatibus cuncta subdi debere; et ideo Christo conregnas immo in Christi regno, quae sunt humana, dispensas... Lex enim Christi sacerdotali vos subicit potestati: dedit quidem pastoribus potestatem, dedit ecclesiae principatum multo perfectiorem principatibus vestris. Num iustum vobis videtur, si cedat spiritus carni, si a terrenis caelestia superentur, si divinis preferantur humana?», qui rappelle Rufin, Orationum Gregorii Nazianzeni novem interpretatio, VI 6-8, éd. A. Engelbrecht, dans CSEL 46, Vindobonae et Lipsiae 1910, pp. 199-202 (voire Grégoire de Nazianze, Oratio XVII 6-8, PG 35, 974-975). Voir R. Savigni, Sacerdozio e regno nell’Italia postcarolingia: l’epistolario di Giovanni X, arcivescovo di Ravenna e papa, dans «Rivista di storia della Chiesa in Italia», 46 (1992), pp. 1-29, en particulier 15-19. 64 De institutione laicali, I 8, 134BC: «Salutaris disciplinae domus est, ut beatus ait Augustinus, Ecclesia Christi, in qua idcirco dicitur bene vivere, ut perveniatur ad sempre vivere… in hac quippe multimoda sanae fidei discuntur praecepta; quae cum multa sint, et ab uno sapientiae fonte profluant, et parvulos in apertis, et magnos exerceant in obscuris, oportet

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ecclésiales, préfigurée par les triades virgines (les vierges et les moines, assimilés aux anges)-continentes-coniugati65 et Noe-Daniel-Job66. L’ecclésiologie implique donc un’anthropologie spirituelle et un projet de direction spirituelle du clergé par rapport aux laïcs, y compris les rois; mais on peut entrevoir aussi un effort de définition institutionelle selon la perspective des ordres67, qui offrent un’image de la Trinité68. Les miroirs sont rédigés surtout pour les chrétiens peu cultivés qui n’ont pas le temps ou la possibilité de lire directement l’Écriture entière, et qui ont besoin d’une syntèse, d’un florilège. Le pasteur Jonas souligne la nécessité d’une catechèse après le Baptême, et d’un’attention majeure au sacrement de la Confirmation, que plusieurs chrétiens (nobiles ou ignobiles) négligent69. L’ Église est donc le moyen par lequel le Seigneur donne les sacraments et la possibilité du salut: et Jonas rappelle la dévotion des premiers chrétiens, qui priaient très souvent et donnaient ses propres biens à l’ Église et aux pauvres70. Dans la communauté chrétienne les prêtres ont le pouvoir de lier et délier, et par conséquent il faut que les laïcs confessent ses péchés non seulement à Dieu mais aussi aux prêtres ; mais ils sont invités à confesser l’un l’autre (entre coaequales, comme souligne Hincmar) les péché veniels, en imitand une consuetude monastique71. Dans l’œuvre de Jonas l’élément hierarchique et juridique n’est pas encore exclusif, car le peuple du Seigneur, c'est-à-dire la communauté toute entière, qui doit suivre et appliquer la loi de Dieu (avec l’exception des règles spéciales pour les moines et les clercs) et pratiquer la professio Christiana, répresente l’horizon du discours72 : il rappelle le modèle de l’Ecclesia primitiva et de la communauté apostolique de Jérusalem (Act. 2,42-47 ; 4, 32-35) pour critiquer les déviations morales de l’époque contemporaine (moderna tempora) et souligner l’unité fondamentale du peuple chrétien, qui, organisé par ordines, doit toutefois suivre la même loi fondamentale73. L’Église catholique est parfois définie par opposition au Judaïsme, aux hérétiques, aux païens74, et présentée comme une communauté crée par une convocatio, c'est-à-dire par une initiative divine qui

ut qui necdum profundiora Christi praecepta discere queunt, humiliora interim discere satagant: donec adiuvante divina misericordia altiora percipere valeant; unde et Dominus in monte discipulos docet, in campestribus turbas pascit». 65 Voir Candide, Opusculum de passione Domini, PL 106, 95CD: «Tota ergo sanctorum Ecclesia hi tres sunt gradus, virgines, continentes et coniugati»; Christian de Stavelot, Expositio in Matthaeum, 42, 1414CD: «Quia tres sunt gradus de quibus fundata est Ecclesia, coniugatorum, continentium, et virginum»; Jonas, De inst. laicali II 2, 172C (allusion au schéma ternarie virgines-continentes/viduae-coniugati, utilisé aussi par Bède, De templo, I, éd. D. Hurst, CCSL CXIX A, Turnhout 1969, p. 163, qui entrevoit trois « fidelim gradus, coniugatorum videlicet, continentium et virginum »). Sur la vie « angélique » des vierges et des moines voir Isidore, Sententiae, II 40, 4, p. 177. 66 Ibid., II 1, 169-170. 67 Savigni, Giona di Orléans, p. 40: «l’ecclesiologia degli ordines... non rimane (come sembra al Congar) sul piano di una pura ‘antropologia spirituale’, né si esaurisce in una pur diffusa teoria socio-politica ispirata ad un conservatorismo provvidenzialistico tale da legittimare le stratificazioni sociali esistenti, ma assume... il carattere di una consapevole riflessione... sulla natura e il contenuto istituzionale dei diversi ministeri presenti all’interno della Ecclesia». 68 Episcoporum ad imperatorem relatio (829), 1, dans MGH, Capitularia regum Francorum, I, p. 368:«Sancta trinitatis fides a tribus prorsus veneratur ordinibus» (c’est-à-dire par les moines, les chanoines et les laïcs). 69 De institutione laicali I 6-7 132-133; 8, 135BC. 70 Ibid., I 11, 143A. 71 Ibid., I 15-16, 151-152. Voir Hincmar, Vita Remigii, 5, dans MGH, Script. rer. Merov. III, p. 270 (sur Jc 5,16): «In qua sententia illa debet esse discretio, ut cotidiana leviaque peccata alterutrum coaequalibus confiteamur eorumque cotidiana credamus oratione salvari. Porro gravioribus leprae inmunditiam iuxta legem sacerdoti pandamus». 72 Ibid., I 20, 161B: «Lex itaque Christi non specialiter clericis, sed generaliter cunctis fidelibus observanda, est a Domino attributa»; 162C: «Qui populus Domini est, eius legem attendere, illiusque verbis aurem accomodare procuret: qui autem facere negligit, populum eius se non esse demonstrat»; 163A: «Negligitur etiam professio Christiana a multis…» ; Le métier du roi, préf., p. 158 ; 11, p. 248 : « professio christiana modernis temporibus a plerisque non sic devote ac religiose colitur, sicut a priscis colebatur christianis ». 73 Voir Jonas d’Orléans, De institutione laicali I 20, PL 106, 163-166; Le métier du roi, 11, pp. 238-250, en particulier 242-244 ; 12, p. 260; et les passages analysés dans Savigni, Giona, pp. 42-57. 74 Voir par exemple Raban Maur, Expositiones in Leviticum, VI 18, PL 108, 492D; Expositio in librum Esther, 8, PL 109, 656AB; J. Heil, Kompilation oder Konstruktion? Die Juden in den Pauluskommentaren des 9. Jahrhunderts, Hannover 1998 (Forschungen zur Geschichte der Juden, 6), 100-101 nota 31.

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rassemble des êtres raisonnables, tandis que la Synagogue est une congregatio, c’est-à-dire un organisme qui peut rassembler aussi des animaux75. Pour la plupart des intellectuels carolingiens, l’Église universelle est une «communauté de communautés», dont l’ l’Église romaine est le caput, mais les Églises «nationales» et locales, les membra du corps, ont beaucoup d’autonomie en ce qui concerne les usages liturgiques et disciplinaires e la vie administrative: il s’agit d’une structure hierarchisée, fondée sur le röle des archêveques et des metropolites (les évêques ne peuvent pas aliéner les proprietés de l’Église «inconsulto primate provinciae», même en cas de besoin)76, tandis que le souverain peut intervenir pour réprimer la simonie dans l’Église romaine, puisque la maladie spirituelle de la tête rejaillit sur les membres du corps ecclésiastique77. Si dans les actes du concil de Paris (829) et dans les oeuvres de Jonas d’Orléans la notion d’Ecclesia inglobe la société chrétienne et les potestates saeculi, on peut entrevoir une réévaluation progressive de l’idée de res publica, tandis que dans les actes du concile de Meaux-Paris (845-46) on utilise la notion de chrétienté (christianitas) pour évoquer la société chrétienne78, qui paraît parfois distinguée par rapport à celle d’Ecclesia (utilisée parfois pour definir le clergé en tant que « synthèse » de l’Église)79. La conservation de l’ordre de la chrétienté est le but primaire qui justifie, dans la perpective de la Papauté, la légitimation du coup d’État qui marque l’avènement au trône de la dinastie carolingienne80. Origines, valeur et limites de la hiérarchie ecclésiastique et de la hiérarchie temporelle Si la réflexion chrétienne sur le pouvoir est complexe et riche en nuances, plusieurs textes carolingiens développent une perspective déjà ébauchée par Grégoire de Nazianze81 et surtout par Grégoire le Grand: l’homme, créé à l’image de Dieu, en tant que doué de la raison, est supérieur à tous les animaux, qu’il doit dominer, tandis qu’il ne peut pas dominer de cette façon les autres

75 Isidore, Etimologiae, VIII 1,7; Bède, In Lucam, II 4; Raban Maur Expositio in Matthaeum, V, éd. B. Löfstedt, CChCM CLXXIV A, Turnhout 2000, p. 405; Sedulius Scotus, In evangelium Matthei, I 4, 23, éd. B. Löfstedt, Kommentar zum Evangelium nach Matthäus: 1,1-11,1, Freiburg 1989 (Vetus latina, XIV), p. 126. Sur la polémique anti-juive à l’époque carolingienne voir R. Savigni, L’immagine dell’ebreo e dell’ebraismo in Agobardo di Lione e nella cultura carolingia, dans «Annali di storia dell’esegesi», 17/2 (2000), pp. 417-461 76 Concilium Parisiense (829), I 17, p. 624. 77 Concilium Parisiense, 829, I 11, p. 617: «Quae etiam Deo odibilis pestis primum necesse est ut imperiali auctoritate et potestate cum consensu venerabilium sacerdotum a Romana ecclesia amputetur, quoniam, si caput languerit, membra incassum vigeant necesse est» (qui rappelle Grégoire le Grand, Regula pastoralis, II 7, éd. B. Judic, SC 381, Paris 1992, p. 220: «Languente enim capite membra incassum vigent, et in exploratione hostium frustra exercitus velociter sequitur, si ab ipso duce itineris erratur»). L’image du caput est appliquée à l’évêque par le Pseudo-Anaclet, ép. III, 37, p. 85: «Capite videlicet languescente, facilius reliqua corporis membra inficiuntur», qui rappelle Isidore, Sententiae, III 38,4, éd. P. Cazier, CCSL CXI, Turnhout 1998, pp. 279-280: «Capite languente, cetera corporis membra inficiuntur»..En 833 Grégoire IV (MGH, Epistolae V, p. 231) identifie le sommet de la tunique de l’Église («capicium tunice»), sur lequel descend l’huile du Saint Esprit (Ps. 132,2), avec les membres les ples élvés de Église, c’est-à-dire avec les sièges apostoliques, et surtout avec l’ Église romane. 78 Concilium Meldense-Parisiense,préfation, dans MGH, Concilia, III, p. 83, qui rappelle «quae ab ipsis ac ceteris Christi vicariis ex divina auctoritate ad statum sanctae ecclesiae redintegrandum et principis ac rei publicae et subsequentis christianitatis salutem sunt propalata capitula». Hincmar, Opusculum LV capitulorum, 11-12, PL 126, 325CD, présente l’Église (céleste et terrestre), l’univers, l’Empire comme une res publica. 79 Annales Bertiniani, pars III auctore Hincmaro, ad a. 873, dans MGH, Script. rer. Germ. 5, p. 122: «et ecclesia Dei ac christianitas in regno eius... perturbari non posse». 80 Reginonis Chronicon, ad a. 749, éd. F. Kurze, dans MGH, Script. rer. Germsanic. in usum scholo. 50, Hannover 1890, p. 43: le pape «ne perturbaretur christianitatis ordo, per auctoritatem apostolicam iussit Pippinum regem creari et sanctae unctionis oleo inungi», qui ajoute à sa source la référence à l’onction du souverain. En 754 Cutbert affirme, en s’adressant à Lulle, que «pene undique exterius interiusve rerum ecclesiasticarum perturbatur ordo, novellarumque conversationum prave ubique pene succrescunt sectae» (Bonifatii et Lulli epistolae, éd. Tangl, p. 241). 81 Voir Grégoire de Nazianze, oratio II, 3-4, dans Gregorio di Nazianzo, Tutte le orazioni, éd. C. Moreschini, Milano 2000, pp. 8-10; 14,26, p. 358.

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hommes82.Toutefois entre les hommes l’égalité absolue est impossible à realiser, et la société chrétienne, en tant que universitas, ne peut pas subsister que par une diversité organisée en façon hiérarchique, selon le modèle angélique83.L’inégalité entre les hommes n’est pas seulement la conséquence du péché (qui assimile les hommes aux animaux dépourvus de raison)84, mais aussi de la volonté de Dieu (définie occulta dispositio), qui a établi la hiérarchie ecclésiastique selon le modèle de la hiérarchie des anges85, et guide les procès historique jailli du péché originel en permettant les différents conditions sociales afin que les hommes s’aident l’un l’autre et gagnent le salut par la patience (les pauvres) ou par l’assistance donnée aux pauvres (les riches)86.Toutefois dans le Royaume de Dieu il n’y aura plus aucune différence de condition sociale, mais seulement une différente capacité de voir Dieu, selon les mérites de chacun87 ; même si à l’époque carolingienne on ne souligne pas la relativité des hiérarchies angéliques et humaines88.

82 Grégoire le Grand, Moralia in Job, XXI 15,22-23, CCSL CXLIIIA, rappelé par le concile d’Aix (816), institutio canonicorum, 13, dans MGH, Concilia II/1, p. 337: «Sancti viri, dum praesunt, non in se potestatem ordinis, sed aequalitatem conditionis attendant nec praeesse gaudeant hominibus, sed prodesse. Sciant enim, quod antiqui patres nostri non tam reges hominum quam pastores pecorum fuisse memorantur... Homo quippe animalibus inrationalibus, non autem caeteris hominibus natura praelatus est. Idcirco ei dicitur, ut ab animalibus et non ab homine timeatur, quia contra naturam superbire est ab aequali velle timeri ». Voir aussi Augustin, De civitate Dei, XIX 15, CCSL 48, p. 682: «primi iusti pastores pecorum magis quam reges hominum constituti sunt»; epistola Clementis tertia, 64, p. 54: «Solus enim homo est rationabilis, et consequens est, ut ratio inrationabilibus dominetur». 83 Grégoire le Grand, Registrum epistularum, V 59 (éd. D. Norberg, dans CCSL 140, Turnhout 1982): «Ad hoc divinae dispensationis provisio gradus et diversos constituit ordines esse distinctos, ut dum reverentiam minores potioribus exhiberent et potiores minoribus dilectionem inpenderent, una concordia fieret ex diversitate contextio et recte officiorum gereretur administratio singulorum. Neque enim universitas alia poterat ratione subsistere, nisi huiusmodi magnus eam differentiae ordo servaret.Quia vero creatura in una eademque aequalitate gubernari vel vivere non potest, caelestium militiarum exemplar nos instruit, quia dum sint angeli, sint archangeli, liquet quia non equales sunt, sed in potestate et ordine, sicut nostis, differt alter ab altero. Si ergo inter hos qui sine peccato sunt, ista constat esse distinctio, quis hominum abnuat huic se libenter dispositioni submittere, cui novit etiam angelos oboedire?», emprunté par l’ epistula Bonefatii papae, dans Decretales pseudo-isidorianae et Capitula Angilramni, éd. P. Hinschius, Leipzig 1863, p. 703; Hincmar de Reims, Opusculum LV capitulorum adversus Hincmarum Laudunensem, 12, PL 126, 326AB; Jean VIII, ép. 99 (878), dans MGH, Epist. VII, éd. E. Caspar, Berlin 1928, p. 92; Jean IX, ép. 3, PL 131, 30BC; Grégoire VII, Registrum epistularum, ép. VI 35, dans MGH, Epistolae selectae, éd. E. Caspar, Berlin 1923, p. 450. 84 Grégoire le Grand, Regula pastoralis, II 6, éd. B. Judic, SC 381, Paris 1992, p. 204, rappelé par l’institutio canonicorum (816), 13, p. 337, qui utilise aussi (104, p. 380) le passage d’Isidore, Sententiae III 47, 1-3, éd. Cazier, pp. 295-296. Voir aussi l’epistola Clementis quinta, 82, p. 65: «Communis enim usus omnium quae sunt in hoc mundo omnibus esse hominibus debuit, sed per iniquitatem alius suum dixit esse, et alius illut, et sic inter mortales facta divisio est». Sur Hincmar, qui « ne retient rien des discussions théologiques sur la composition interne du corp ecclésial », voir J. Devisse, Hincmar archevêque de Reims (845-882), I-III, Genève 1974, pp. 470-471 : « Comme Isidore de Séville, Hincmar pense que le péché a fait définitivement basculer l’humanité dans une structure sociale hiérarchisée. Cette hiérarchie est nécessaire au salut du peuple chrétien ». 85 Grégoire le Grand, Homiliae in Evangelia, II 34, 12, éd. R. Étaix, dans CCSL CXLI, Turnhout 1999, pp. 311-312: «Qui vero in se minora cognoscit, maiora aliis non invideat, quia et supernae illae distinctiones beatorum spirituum ita sunt conditae, ut aliae aliis sint praelatae», qui rappelle les neuf ordres angéliques mentionnés par Denys l’Aréopagite. 86 Grégoire le Grand, Moralia in Job, XXI, 15, 22 (éd. M. Adriaen, CCSL 143A, Turnhout 1979, p. 1082): «omnes homines natura aequales genuit, sed variante meritorum ordine, alios aliis dispensatio occulta postponit. Ipsa autem diversitas que accessit ex vitio, recte est divinis iudiciis ordinata, ut quia omnis homo iter vite aeque non graditur, alter ab altero regatur», rappelé par Raban Maur (PL 107, 523D), et librement par Remigius d’Auxerre, Expositio super Genesim, CCCM CXXXVI, l. 2172 s.: «Sed ut alii aliis principarentur, divina dispositione propter peccatum accidit, et ne homines more piscium invicem consumerentur, inferiores a potentioribus»; et aussi Regula pastoralis II 6, éd. B. Judic, SC 381, Paris 1992, pp. 202-204 (emprunté par Hincmar, Opusculum LV capitulorum, 14, PL 126, 327D-328A). Sur l’utilisation de ces passages grégoriens par les exégètes des XI-XII siècles voir Buc, L’ambiguïté du Livre, p. 83 n. 30; 87 n. 38; 94 n. 61). 87 Haymon d’Auxerre, In 1 Cor. 15,24 (PL 117,597) remarque que à la fin il n’y aura plus la structure du pouvoir («cessabit omnnis creature potestas in angelis et hominibus. Cessabit timor, regnabit integra charitas, nec iam erit inter presidentes et subditos ulla dissentio»: passage rappelé par Pierre Lombard et la Glossa ordinaria, voir Buc, L’ambiguïté du Livre, pp. 135-136). 88 La Parva glosatura de Laon, In I Cor. 15,24 (PL 153, 208AB) jugera qu’à la fin, quand les hommes seron parfaits, les différents noms des anges seront abolis, et «inter homines omnis differentia prelationis vel subiectionis destruetur, inter quos nulla erit regiminis inequalitas» (Buc, L’ambiguïté du LIvre, pp. 126-128).

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Hincmar emprunte à la lettre aux Éphésiens une perspective ecclésiologique totale et « cosmique », et à Dénys et à Grégoire le Grand parallélisme entre les hiérarchies célestes et terrestres (de l’Ancien et du Nouveau Testament)89, et la théorie des « anges des nations »90 : l’Église « totale », identifié avec la cité de Dieu, la Jérusalem de saint Paul, comprend à son intérieur les anges et les hommes saints, associés aux anges, qui constituent (augmentent) la cité céleste, organisé en ordres et dégrés, ainsi que l’Église terrestre, pèlerine vers le Ciel, laquelle refléte donc l’ordre cosmique (qui, selon une conception néoplatonique répandue en Occident par l’intermédiaire d’Augustin et de Grégoire le Grand, et surtout par Dénys l’Aréopagite, est un ordre hiérarchique)91. Par conséquent l’ordre sacerdotal est structuré en plusieurs dégrés, selon le modèle des ministres de l’ancien Israël92. Dans cette perspective théorique de longue durée, et surtout dans l’ecclésiologie fortement « episcopaliste » des fausses décretales (qui sera rappelée par plusieurs collections canonique de l’époque « pre-grégorienne » et « grégorienne »)93, la structure de l’Église établie par Dieu est strictement hiérarchique : les fidèles, les clercs, les prêtres ne peuvent pas faire rien de sa propre initiative, mais l’autorisation de l’évêque est toujours indispensable94. Comme la royauté du Christ, le sommet de la hiérarchie, est le modèle auquel tous les souverains doivent regarder (et les personnes qui se soulèvent contre l’autorité établie par Dieu imitent la révolte de Lucifer, qui n’a pas voulu être sujet à Dieu et coaequalis des autres anges)95, ainsi la paternité de Dieus est le modèle de tous les pères et en général des autorités terrestres (Eph 3,14-15): qui honore le père honore Dieu, et qui ne rend pas l’honneur dû à son père ou au roi (qui doit gouverner le règne comme une grande maison, dont la maison familière doit être le modèle)96 est coupable devant Dieu, qui est le père de tous97. Dhuoda, à propos de laquelle P. Riché a parlé de

89 Hincmar, Opusculum LV capitulorum, 12, PL 126, 325D: «Et quia legimus sacros ordines in coelo et in terra, et in Testamento Veteri et in Novo, dispositos a Deo, ex quo iuxta apostolum omnis paternitas in coelo et in terra nominatur (Éph. 3,15), qui sint ordines, id est paternitates in coelo, et in Ecclesia, et in terrena republica, sancti doctores nostri... patenter ostenduntt», qui rappelle les écrits de Dénys l’Aréopagite. 90 Hincmar, Opusculum LV capitulorum, 14, PL 126, 327BD: «Quia etiam sint angeli gentibus praelati, doctores catholici ex verbis angeli per Danihelem prophetam ostendunt (Dan 10,12-13 et 20)... Ad quod instar sunt ordines in saeculo Dei ordinationes distincti, sicut monstrat Apostolus, dicens: Subiecti estote omni humanae creaturae...» (1 Petr. 2,13). 91 Hincmar, Opusculum LV capitulorum, 11, dans PL 126, 325A: «Sancta quippe Ecclesia, quam beatus Paulus apostolus supernam Hierusalem... appellat, ex angelis et hominibus constat. Quae partim ex hominibus societate angelica in ordinibus distinctis perfruens, iam cum Deo in coelo regnat, partim vero in ordinibus distinctis adhuc peregrinatur in terra, et ad supernam societatem suspirat... Idemque Rex regum... coelestem ac terrenum principatum, cunctam videlicet rempublicam regens, et universam militiam, tam coelestem et spiritalem quam terrena et temporalem, distinctis in ordinibus disponens ac moderans, et supernae atque mundanae curiae praesidens, miro ordine, angelorum hominumque ministerio, pro temporum varietate et opportunitate dispensat, et quae singulis quibusque temporibus vel personis congruit,... decernit»; 12-14, 326-328. Voir Cristiani, Dall’unanimitas all’universitas, pp. 160-162. 92 Ibid., 13, 326BC: «Ordines quoque ministrantium in Ecclesia veteris populi... fuisse legimus per Moysem a Deo dispositos... Sed et tunc in Ecclesia, quae regnum coelorum appellatur, ad instar coelestium ordinum, ministros Domini institutione et apostolica traditione legimus et cognoscimus distincte esse dispositos». 93 Voir O. Capitani, Immunità vescovili ed ecclesiologia in età «pregregoriana» e «gregoriana». L’avvio alla «restaurazione», Spoleto 1966, en particulier pp. 45-51, 152, 191-195, 207; Id., Tradizione ed interpretazione. Dialettiche ecclesiologiche del secolo XI, Roma 1990; et aussi G. Hartmann, Der Primat des römischen Bischof bei Pseudo-Isidor, Stuttgart 1930. 94 Eopistola Clementis tertia, 70, pp. 57-58: «Quapropter cunctis fidelibus et summopere omnibus presbiteri et diaconibus ac reliquis clericis adtendendum est, ut nihil absque episcopi proprii licentia agant... Similiter et reliqui populi maiores scilicet et minores per eius licentia quidquid agendum est, agant, nec sine eius permissu a sua parrochia abscedant... Anime vero eorum ei credite sunt: ideo omnia eius consilio agere debent, et eo inconsulto nihil». 95 Voir le capitulaire de Pîtres (862), dans MGH, Capitularia, II, n. 272, pp. 305-306. 96 Concilium Parisiense, II 1, p. 649; III 24-25, p. 678 (qui propose au roi le modale de Job); Jonas, Le métier du roi, 3, p. 184. Sur l’image du paterfamilias, appliquée à Dieu, voir Raban, In Ecclesiasticum, IV 15, 900C; VIII 12, 1029A; ép. 36, dans MGH, Epist. V, p. 472. 97 Jonas d’Orléans, Le métier du roi, préf., éd. Dubreucq, pp. 160-162.

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« religion de la paternité »98, souligne la sublimité de Dieu, le Fondement de toutes les hiérarchies99, et exhorte son fils à’obéir surtout au père, et deuxièmement au seigneur (senior), c'est-à-dire au roi100. Comme a souligné J. Chélini et aussi J. Devisse, la société carolingienne est une «cascade de responsabilités», une chaîne descendant de fonctions sociales101: chacun des échelons de l’échelle sociale doit respecter et obéir à ses supérieurs directs, à ceux qui sont placés au-dessus d’eux (et qui devront répondre devant Dieu de la conduite des ordres inférieurs)102; et l’initiative directe des inférieurs n’est pas prévue, non plus en cas de négligence et défaillance de leurs supérieurs (qui seront jugés avec une séverité plus grande par Dieu). Comme Moïse (Ex 18, 21-26; Dt 1,9-13), le roi (qui a été choisi par le jugement secret de la divine providence comme le chef du corps politique, le royaume)103 doit partager le fardeau de son gouvernement du peuple chrétien avec ses ducs, comtes, juges et les autres subordonnés, et les surveiller, car il sera responsable devant Dieu pour eux104. La hiérarchie sociale est inférieure à celle des clercs, mais elle n’exerce pas seulement une fonction politique et militaire: le terme praelati est appliqué aussi aux comtes et seigneurs laïques105, qui ne doivent pas opprimer les pauvres. Mais aussi les potentes et les pères de famille doivent éduquer leurs fils, leurs sujets et tous les membres de leur maison (la domus, qui est structurée hiérarchiquement)106, dont ils sont responsable devant Dieu: pour Jonas d’Orléans, qui rappelle un passage de Bède (Hom. evang. I 7), la structure hierarchisée de la société est justifiée 98Voir l’Introduction de P. Riché à l’éditon de Dhuoda, Manuel pour mon fils, éd. P. Riché, SC 225 bis, Paris 1991 (I éd., 1975), pp. 26-27. 99 Dhuoda, Manuel pour mon fils, I 3-6, éd. P. Riché, SC 225 bis, Paris 1975, pp. 100-112; III 10, p. 172: «Unum esse credimus Creatorem, Pastorem et Gubernatorem corporum sive animarum nostrarum… Omnes etiam ab illo accepimus quidquid in regiminis curam haberi videmur», qui rappelle ensuite (p. 174) le passage de Gal 6,2 pour évoquer le devoir d’aider les minores à porter leurs fardeaux. 100 Dhuoda, Manuel, II 3, p. 132; III 2, pp. 140-142: «Quanquam in specie humanitatis forma vel potentia regalis atque imperialis praecellat in speculo, ut secundum morem hominum illorum prior veneretur actio… mea tamen, fili, talis est voluntas, ut… secundum Deum, in primis illi qui te prolem habuit, proprium, fidelem et certum dum vivis non negli gas reddi obsequium. Certa quidam et fixa manet conditio, quod nullus nisi ex genitore procedat, non potest ad aliam et summam personam culmine pervenire senioratus. Ego autem admoneo te… ut in primis diligas Deum…; deinde ama, time, et dilige patrem tuum; scitoque, ex illo tuus in speculo processit status». Sur les magnates, voir III 5, pp. 152-154; 10, p. 172. 101 Devisse, Hincmar, p. 519 : « La société chrétienne est une cascade de responsabilités ; celles-ci croissent en raison directe du degré de connaissance et de la place dans la hiérarchie sociale ; à celle-ci se surimpose la hiérarchie, plus essentielle encore, des bergers chargés de conduire le troupeau à sa fin dernière: le salut... Chaque degré de la hiérarchie est responsable de tous ceux qui sont placés au-dessous de lui ». Cfr. en général pp. 471-488 (sur la « metaphysique sociale » d’Hincmar), 489-525 (« physique sociale ») : Devisse souligne que « les divers niveaux sociaux doivent être respectés sans murmure… le changement n’est tolérable que dans l’ordre et par la concertation sociale » (pp. 471-472) et que « le clerc est le héros même de la société sans développement et sans mobilité à laquelle songe le prélat » (p. 512). Mais l’idée que « cette responsabilité ne crée ni une différence d’essence entre le clerc et le laïc, ni un droit absolu du clerc sur le laïc » (p. 520) est discutable. 102 Dhuoda, Manuel, IV 8, p. 246: «Quidquid enim in subditis delinquitur, a maioribus requiritur… Sic et in regibus et in ducibus, sic etiam et in episcopis atque in ceteris praelatis qui male et nequiter viventes, semetipsos… perdunt, verum etiam aliis consentientes in praecipiciis ruere faciunt »; Hincmar, Zweites Kapitular, 26, dans Capitula episcoporum, II, pp. 61-62: «ut Leo dicit, inferiorum ordinum culpae ad nullos magis referendae sunt quam ad desides neglegentesque rectores», qui rappelle un’épître du pape Léon I et l’exemple négatif d’Héli (evoqué aussi par les conciles de Paris, II 9, p. 661, et d’Aix, II 7-8, pp. 749-750, qui souligne que la ruina sacerdotis implique la ruina populi). 103 Concilium Parisiense, II 5, p. 655 ; 8, p. 660; Jonas, Le métier du roi, 7, p. 218: «occulto iudicio dispensationis divinae regnum confertur terrenum»; 8, pp. 222-224: chaque fidèle «utpote membrum capiti, opem congruam ferat». 104 Concilium Parisiense, II 3, pp. 653-654; Jonas, Le métier du roi, 5, pp. 204-210, en particulier 210: les duc et les comtes doivent savoir qu’ils ont été établi «ut plebem Christi sibi natura aequalem recognoscant eamque clemente salvent et iuste regant, non ut dominentur et affligant, neque ut populum Dei suum aestiment», où le peuple gouverné par eux est identifié avec le populus Dei.Même les clercs et les laïcs «qui palatinis honoribus fulciuntur» doivent êtres les auxiliaires du roi (adiutores secundum Deum: 9, p. 230). 105 Concilium Parisiense, I 52, p. 645: «comperimus, quod in quibusdam occidentalibus provinciis suadente avaritia episcopi et comites et ceteri praelati pauperibus sibi subiectis soleant edictum imponere...». Les sources utilisent aussi les notions de magnati (Hincmar, De ordine palatii, 6, p. 86), proceres, senatores regni (ibid., 7, p. 90) 106 Dhuoda, Manuel pour mon fils, X 3: «Volo enim et ortor ut... domum tuam per legitimos gradus disponas».

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par le but commun, le salut. Donc les aristocrates et les puissants, mais plus en général les simples pères de famille, doivent chercher surtout le salut des âmes de ses sujets, au-delà des rentes économiques, et exercer un soin pour le salut des âmes des leurs sujets (« sollicitudinem et curam erga subiectam sibi domum »), car ils sont des « pasteurs » dans sa propre « maison », par rapport aux fils et aux serfs, et, selon saint Grégoire le Grand, des «anges» qui doivent valoriser leur talent107. Au-dessous des deux hiérarchies (ecclésiastique et politique), le peuple n’est pas reconnu comme un sujet actif, ma il est seulement l’objet du soin des praelati, et les inferiores personae sont exclues du pouvoir108. Dans les Annales Bertiniani Prudence condamnent les associations «populaires» qui en 859 s’organisent en façon inconsidérée (incaute), de sa propre initiative, par une coniuratio (donc au-dehors de l’ordre hiérarchique), pour combattre contre les Normands, e qui sont massacrées par les aristocrates (potentioribus): le peuple est ici assimilé (par l’expression vulgus promiscuum, qui évoque une masse dépourvu d’une identité sociale et d’une légitimation) à la part du peuple d’Israël qui dans le désert murmure contre Moïse et demande de la viande (Nb 11,4)109. La réflexion sur la hiérarchie cléricale: les « miroirs » du clergé L’institutio canonicorum et le traité De institutione clericorum de Raban Maur, qui décrivent les dégrés du clergé, se présentent implicitement comme «miroirs» du clergé, qui utilisent quelques passages du De ecclesiasticis officiis d’Isidore de Séville et de la Regula pastoralis de Grégoire le Grand (dont S. Florysczak ha analysé le Fortleben et les modalités d’utilisation)110 pour donner l’étymologie du mot clericus111 et pour marquer les diverses types de clercs, en condamnant ceux qui ne suivent pas une règle, n’obéissent pas à leur évêque ou praepositus, mais vivent comme des animaux, au dehors de l’ordre de la hiérarchie 112, ou pour confirmer que les subditi doivent supporter aussi les pasteurs mauvais, préfigurés par Saül113. L’institutio canonica remarque la dignité de la vie des chanoines, comparable à celle des moines, et souligne que, au-delà des divers don de l’Esprit saint, et des divers genres de vie, tous les chrétiens

107 De institutione laicali, II 16, 197-199, en particulier 197AC, qui emprunte quelques passages de Grégoire le Grand, Regula pastoralis, II 7; Homiliae in Evangelia, I 6,6; II 34,11; Bède, Homiliae in Evangelia, I 7 les potentes et les matronae, assimilés aux pasteurs d’âmes et aux «anges» dont parle Grégoire, à montrer une sollicitudo domus suae,. Voir aussi Hincmar, De cavendis vitiis, I 10, p. 170. 108 Voir Hincmar, De ordine palatii 7, p. 94. 109 Annales Bertiniani, éd. G. WAITZ, in MGH, Script. rer. Germ. in usum schol., 5, Hannoverae 1883, ad a. 859, p. 51: «Vulgus promiscuum inter Sequanam et Ligerim inter se coniurans, adversus Danos in Sequana consistentes fortiter resistit. Sed quia incaute suscepta est eorum coniuratio, a potentioribus nostris facile interficiuntur ». Selon Hincmar, Erstes Kapitular, 16, dans MGH, Capitula episcoporum, II, pp. 43, l’activité des associations locales («de collectis, quas geldonias vel confratrias vulgo vocant ») doit se limiter aux fonctions cultuelles et caritatives. Voir S. Epperlein, Herrschaft und Volk im Karolingischen Imperium: studien uber soziale Konflikte und dogmatisch-politische Kontroversen im frankschen Reich, Berlin 1969. 110 S. Floryszczak, Die Regula Pastoralis Gregors des Grossen. Studien zu Text, kirchenpolitischer Bedeutung und Rezeption in der Karolingerzeit, Tübingen 2005. 111 Isidore, Etymologiae, VII, 12, 1-2; De ecclesiasticis officiis, II 1, éd. C.M. Lawson, CCSL CXIII, Turnhout 1989, p. 52: «Itaque omnes qui in ecclesiastici ministerii gradibus ordinati sunt generaliter clerici nominantur... Nam cleros sors interpretatur», rappelé par l’institutio canonicorum, 99, p. 377; et par Raban Maur, De institutione clericorum, 2, éd. D. Zimpel, Frankfurt am Main 1996, p. 292 : « Cleros quippe graece sors vel haereditas dicitur... Propterea ergo dicti sunt clerici, quia de sorte sunt domini, vel quia dominum partem habent ». 112 Isidore, De ecclesiasticis officiis, II 3, p. 54, rappelé par l’institutio canonicorum, 101, p. 378: «Duo sunt genera clericorum, unum ecclesiasticorum sub regimine episcopali degentium, alterum acefalorum, id est sine capite, quem sequantur ignorant». 113 Grégoire le Grand, Regula pastoralis, III 4, éd. B. Judic, SC 382, Paris 1992, p. 280: «Quid enim per Saul, nisi mali rectores; quid per David, nisi boni subditi designantur?», utilisé par l’institutio canonicorum, 103, p. 379.

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mirent à la Jérusalem céleste, sous la direction de l’Église Mère114. Dans les congrégations des chanoines les supérieurs doivent recevoir non seulement clercs d’origine humble, choisis à l’intérieur de la familia ecclesiae (et qui peuvent être maîtrisés avec facilité), mais aussi clercs nobles115 ; et ils doivent donner à tous la même nourriture, en évitant les privilèges pour les chanoines riches116. Il faut éviter la confusion entre les ordres (denominés aussi gradus) et les sexes: les chanoines doivent porter des vêtements propres, autres que ceux des moines ou des laïcs, et les mâles et les femmes ne peuvent pas porter les vêtements de l’autre sexe117. La promotion aux degrés de la hiérarchie cléricale et à la fonction de vicaire ou de praepositus de la congrégation (appelé à partager avec le praelatus la charge, le fardeau du gouvernement) n’est pas automatique, selon l’ancienneté dans la congrégation, mais suppose un’évaluation des mérits spirituels118 ; et les prieurs fidèles recevront de Dieu la récompense, définie « gradum bonum »119. Dans le premier chapitre de son traité De institutione clericorum (819) Raban Maur donne une définition de l’Église catholique, en soulignant sa universalité (tandis qu’il ignore les définitions complémentaires rappelées par Isidore de Séville)120 et utilisant les images de l’épouse et du corps de Christ : «L’Église catholique de Dieu, qui est répandu dans tout le monde, est glorifié par le nome du Christ... On traduit en latin le mot grec ecclesia par convocatio ou conventus, car l’Église convoque, appelle tous les hommes chez soi. Elle est appelée catholique, soit universelle, car dans tout le monde il y a un’unique église de Christ, qui est son épouse et son corps »121. Il ne parle pas explicitement de l’Église céleste, mais il souligne, en empruntant plusieurs passages d’Isidore 114 Institutio canonicorum, 114, p. 397: «Et quia unus est pater noster et magister et Dominus, una fides, unus baptisma, una mater sancta ecclesia, instanter ac vigilanter ab omnibus certandum est, quamquam diversorum donorum modis curratur, qualiter una ad sanctam et supernam Hierusalem matrem nostram tendamus, quo sine fine cum Domino vivere mereamur», qui rappelle Ef 4,5-6; 115, p. 397. 115 Institutio canonicorum, 119, p. 399: «nullus praelatorum seclusis nobilibus viles tantum in sua congregatione admittant personas», où on peut entrevoir le difficile équilibre entre conscience ecclésiale et mentalité aristocratique, confermé par la polemique de Thégan contre les évêques d’origine servile, ou de toute façon non aristocratique (Vita Hludowici imperatoris, 20, éd. Tremp, pp. 204-206: «quia iamdudum illa pessima consuetudo erat, ut ex vilissimis servis fiebant summi pontifices: hoc non prohibuit; tamen maximum malum est in populo christiano», 43, p. 230: «Omnes enim episcopi molesti fuerunt ei, et maxime hi, qui ex vilissima servili condicione honoratos habebat, cum his, qui ex barbaris nationibus ad hoc fastigium perducti sunt», 44, p. 232). Voir aussi 124, p. 405 (contre l‘excessif luxe des vêtements des chanoines, qui se parent «more coniugatorum»). 116 Institutio canonicorum, 121, p. 400: contres les règles, plusieurs congrégations donnent aux chanoines riches (mais peu «utiles» à l‘église) une quantité majeure de nourriture et de boissons, tandis qu‘il faut que tous «a minimo usque ad maximo cibum et potum omnes aequaliter accipiant». 117 Institutio canonicorum,125, p. 405: les chanoines ne doivent pas porter «contra morem ecclesiasticum cucullas, quibus solis monachis utendum est... quia, sicut indecens est, ut arma militaria more laicorum gestent, ita nimirum inhonestum et valde indecorum est, ut alterius propositi indumenta sibi inponant. Habitus namque singulorum ordinum idcirco in ecclesia ab invicem discreti sunt, ut his visis, cuius propositi sit gestans vel in qua professione Domino militet, liquido cognoscatur... Sicut enim turpe est virum vestem muliebrem et mulierem vestem virilem induere, ita valde indecorum est canonicum vestem monasticam induere». 118 Institutio canonicorum, 138, p. 415: «Oportet ecclesiae praelatos, ut de congregastione sibi commissa tales eligant boni testimonii fratres, in quibus onera regiminis secure possint partiri... Non enim constituendi sunt personaliter aut eo ordine, quo in collegio fratrum admissi sunt, sed secundum vitae meritum et spiritalium donorum praerogativam» (qui rappelle la Règle de saint Benoît, 24); voir aussi 135, p. 413: il faut éduquer, former les jeunes afin que puissent être promus «ad gradus ecclesiasticos, quandoque digne possint». Pendant les banquets les prêtres séculiers doivent s‘asseoir «selon leur ordre», c‘est-à-dire selon l‘ancienneté de la consécration (Hincmar, Erstes Kapitular, 14, dans MGH, Capitula episcoporum, p. 42: «Et tunc secundum suum ordinem consedeant alter alterius onera portantes»). 119 Institutio canonicorum, 139, p. 415. 120 Isidore, De ecclesiasticis officiis, I 1, p. 4: «Catholica autem dicitur, quia per universum mundum est constituta; vel quoniam catholica, hoc est generalis, in ea doctrina est ad instructionem hominum de visibilibus atque invisibilibus rebus caelestium ac terrestrium; vel propter omne hominum genus ad pietatis subiectionem tam principum quam etiam qui principantur, oratorum et idiotarum; vel propter quod generaliter curat omnium peccata quae per corpus et animam perficiuntur». 121 Raban Maur, De institutione clericorum, p. 291: «Ecclesia ergo Dei catholica, quae per totum orbem dilatata diffunditur, Christi nomine nobilitata glorificatur... Ecclesia graecum est, quod in latinum vertitur convocatio sive conventus, eo quod omnes convocat ad se. Catholica autem dicitur, id est universalis, quia in toto mundo una est ecclesia Christi, quae et sponsa et corpus eius est», qui emprunte quelques passages à Isidor, Ethymologiae, 8, 1,1.

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(Etymologiae VII 12-14 ; De ecclesiasticis officiis II 1-15), la structure tripartite de l’Église visible, dans la quelle il y a trois ordres (laïcs, moines, clercs) ; il ne s’arrête pas sur le rôle des moines (défini par le Règle bénédictine et par la réforme de Benoît d’Aniane) et des laïcs (défini plus tard par l’institutio de Jonas d’Orléans), mais sur la tâche du clergé (qui est, selon l’éthymologie du mot, la « part », l’héritage de Dieu) et des huit dégrés de la hiérarchie ecclésiastique (dont il recherche, comme Isidore, les préfigurations dans l’ancien Testament)122.Dans son perspective « l’ordre des clercs est justement mis à la tête de l’Église, car il sert Dieu dans les choses saintes et donne les sacrements au peuple. Comme dans l’Ancien Testament la tribu de Lévi a été choisie par Dieu au-dessus des autres tribus afin que servît dans le tabernacle dans plusieurs tâches, ainsi l’ordre clérical a été choisi ensuite surtout pour servir Dieu dans le vrai tabernacle, c’est-à-dire l’ Église de ce temps,... afin que les clercs jugent ce qui est juste et ce qui est injuste, en discernant entre sacré et profane, entre pur et impur, et enseignent au peuple les commandements de Dieu »123. Dans son traité Walafrid Strabo souligne la polisémie du terme ecclesia, qui évoque la communion des saints et l’unité des tous les chrétiens, au-delà des frontières de l’espace et du temps, mais aussi les lieux sacrés et l’âme de chacun des élus124 : l’église est donc une « communauté universelle des communautés locales », mais, comme l’a souligné D. Iogna-Prat, on entrevoit un’attention nouvelle pour l’éspace sacré et pour l’édifice du culte125. À partir d’Alcuin, mais surtout de l’époque de Louis le Pieux, les sources carolingiennes soulignent (aussi par la citation de quelques passages biblique : par exemple Math. 18,18 ; 28,20; Luc 10,16 ; Jh. 20,22) la superiorité des clercs, qui doivent prêcher et administrer le sacrements, sur les laïcs, qui doivent obéir aux clercs et pratiquer les oeuvres de misericorde126, et l’autonomie des biens de l’Église, que les laïcs ne doivent pas usurper, car il s’agit (selon un’expression de Julien Pomère empruntée par les fausses décretales) des « vota fidelium, pretia peccatorum, patrimonia pauperum »127; et présentent les évêques comme les successeurs et les vicaires des apôtres, tandis que les soixante-dix (ou soixante-douze) disciples de Jésus (et, dans l’Ancien Testament, Nb 11, 14-17, les soixante-dix anciens d’Israël, auxquels Dieu donne une part de l’esprit de Moïse et qui portent avec lui le fardeau du peuple)128

122 Raban Maur, De institutione clericorum, I 3-12, pp. 293-308, en particulier 4, De gradibus ecclesiasticis, pp. 295-296: «Sunt autem gradus ecclesiastici octo, quorum nomina haec sunt... Initium quidem sacerdotii in veteri testamento Aaron fuit... Ceterum Aaron primus in lege sacerdotale nomen accepit, primusque pontificali stola infulatus victimas obtulit... In novo autem testamento post Christum sacerdotalis ordo a Petro coepit», qui emprunte presque à la lettre les passages d’Isidore, Etymol. VII 12,3; De eccl. off. II 5. 123 Raban Maur, De institutione clericorum, I 2, éd. Zimpel, pp. 292-293: «Iste autem ordo iure praeponitur in ecclesia, quia in sanctis deservit et sacramenta populis dispensat...» (passage qui n’est pas emprunté à la lettre à une source identifiable). 124 Walafrid Strabo, De exordiis et incrementis, 6, p. 479: «Ecclesia, quod Grecum nomen est et interpretatur convocatio vel conventus, cum sit vel generalis sanctorum unitas in una fide et dilectione coniuncta, unde una et catholica dicitur ecclesia, vel singulorum societas sancta locorum, unde et multae dicuntur ecclesiae, tamen etiam ipsa domus, in qua ad divina vel discenda vel celebranda convenit multitudo fidelium, ecclesia vocatur a re, quae ibi geritur, illud vocabulum mutuans... Unusquisque etiam electorum domus et templum Dei dicitur». 125 D. Iogna-Prat, Lieu du culte et exégèse liturgique à l’époque carolingienne, dans The study of the Bibel in the Carolingian Era, éd. C. Chazellr-B. Van Name Edwards, Turnhout 2003, pp. 215-244, en partticulier 236-242. 126 Alcuin, ép. 18, dans MGH, Epist. IV, pp. 51-52: «Illorum est, id est sacerdotum, verba Dei non tacere... Laicorum est oboedire praedicationi, iustos esse et misericordes»; Jonas d’Orléans, Le métier du roi, 2, p. 182; epistola Clementis tertia, 57, dans Decretales pseudo-isidorianae et Capitula Angilramni, éd. P. Hinschius, Leipzig 1863, p. 53: «Vestrum enim, qui legatione Christi fungimini, est docere populos, eorum vero est vobis obedire ut deo», qui rappelle Luc 10,16 («Qui vos audit, me audit») et Pseudo-Clément, Recognitiones VI 2. 127 Voir par exemple Hincmar de Reims, Quae exsequi debeat episcopus, PL 125, 1087-1093. Sur les langages qui reflectent l’hégémonie cléricale voir G. Todeschini, Linguaggi teologici e linguaggi amministrativi: le logiche sacre del discorso economico fra VIII e X secolo,dans «Quaderni storici» 34/3 (1999), pp. 597-616, en particulier 609.Le rapport entre la formation de la notion de «clergé» et le problème de la gestion des biens de l’Église a été souligné par A. Faivre, Ordonner la fraternité, Paris 1992, pp. 149-150. 128 Voir l’interpolation de Regino dans les actes du concile de Meaux-Paris (845-46), 35, p. 101: «hi qui ab episcopo in conspectu Dei vocati sunt, ut secum onus populi sustentent, eadem quae episcopus debent sentire, eadem velle et impartito sibi onere totis viribus cooperari».

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préfiguraient les prêtres129, qui, associés aux évêques dans le pouvoir de célébrer l’Eucharistie, partagent avec eux, comme cooperatores, le poids des pasteurs d’âmes130, et peuvent être définis sacerdotes (ou consacerdotes), mais secundi ordinis, car ils n’ont pas l’apicem pontificatus (défini aussi summi sacerdotii apicem ou culmen regiminis)131, qui est propre des évêques132. On peut dire que la dignité des clercs est proportionnée au «fardeau» qu’ils portent, c’est-à-dire à la responsabilité pastorale devant Dieu133. En outre, le pouvoir de consacrer l’Eucharistie donne aux prêtres, médiateurs entre Dieu et le peuple chrétien134, une dignité, une sacralité qui n’est pas effacée par l’indignité du ministre du sacrement135.À propos de Math. 18,10 (Videte ne contemnatis unum ex his pusillis...) Paschase

129 Concilium Meldense-Parisiense (845-846), préf., dans MGH, Concilia III. Die Konzilien der karolingen Teilreiche 843-859, éd. W. Hartmann, Hannover 1984, p. 84: «nos omnes, licet indigni, Christi tamen vicarii et apostolorum ipsius successores»; Epistola Anacleti, 28, éd. Hinschius, p. 82: «Sacerdotum, fratres, ordo bipertitus est, et sicut dominus illum constituit, a nullo debet perturbari... Episcopi vero domini apostolorum, presbiteri quoque septuaginta discipulorum locum tenent... presbiteri per castella et modicas civitates atque villas debent ab episcopis ordinari et poni, singuli tamen per singulos titulos suos»; Hincmar, De ordine palatii,1, éd. T. Gross, dans MGH, Fontes iuris Germanici antiqui in usum scholarum, 3, Hannover 1980, p. 38: «David rex simul et propheta praefigurans dominum nostrum Jesum Christum... duos in sacerdotibus ordines constituit, in summis videlicet pontificibus et in minoris ordinis sacerdotibus, qui nunc presbyteratus funguntur officio»; Ad episcopos regni,4, PL 125, 1009D-1010A, qui souligne que dans l’Église primitive les presbyteri et les episcopi n’étaient pas encore deux ministères distingués: «tametsi primis Ecclesiae temporibus... utrique presbyteri, utrique vocabantur episcopi». 130 Concilium Aquisgranense (836), II B 5 (29), dans MGH, Concilia II/2, pp. 711-712: «in confectione divini corporis et sanguinis consortes cum episcopis sunt... cooperatores oneris nostri esse procul dubio noscuntur»; Hincmar, Collectio de ecclesiis et capellis, p. 102: les prêtres «ut comministri, ita et cooperatores in ministerio divino a Deo sunt constituti episcopis». Les clercs sont définis « ministri sancti altaris » par Hincmar, De cavendis vitiis, II 6, p. 211. 131 Voir Jonas, De institutione regia (Le métier du roi), 2, éd. A. Dubreucq, Paris 1995 (SC 407), p. 182 (avec référence à la Regula pastoralis grégorienne); Thégan, Vita Hludowici imperatoris, 20, éd. Tremp, p. 206; 44, p. 232 («Ille te pertraxit inmeritum ad culmen pontificale»); Hincmar, De ordine palatii, 1, p. 40; 3, p. 44. 132 Raban Maur, De institutione clericorum, I 5, p. 299: «Sacerdos... quasi sacrum dans.. Dispensat ergo mysteria caelestia fidelibus, baptismum tradit, corpus et sanguinem Christi distribuit et verbum Dei praedicat. Sacerdos autem vocari potest sive episcopus sit sive presbiter»; 6, p. 301: «Ideo autem presbiteri sacerdotes vocantur, qui sacrum dant, sicut episcopi, id est in confectione divini corporis et sanguinis, et in baptismate, et in officio praedicandi. sed licet sint sacerdotes, tamen pontificatus apicem non habent, quia nec chrismate frontem signant, nec paraclitum spiritum dant... Secundi ergo ordinis viri presbiteri sunt, quorum typum praeferebant septuaginta viri in veteri testamento», qui rappelle Isidore, De eccl. off. II 7, 1-2, pp. 64-65: «Presbiterorum ordo exordium sumpsit a filiis... Aaron... His enim sicut episcopis dispensatio mysteriorum Dei commissa est. Praesunt enim ecclesiae Christi et in confectione divini corporis et sanguinis consortes cum episcopis sunt similiter et in doctrina populorum et in officio praedicandi». Voir aussi Théodulphe d’Orléans, Erstes Kapitular, 1, dans Capitula episcoporum, I, p. 104: «Scitote vestrum gradum nostro gradui secundum et paene coniunctum esse », qui utilise aussi l’expression compresbyteri nostri (p. 103); Riculphe de Soissons, Capitulare, 1-2, ibid., II, p. 101 (aux «consacerdotibus et cooperatoribus nostris»): «Attendite ergo, quia nobiscum sollicitudinem gregis dominici percepistis et in sacerdotali ministerio secundi ordinis et dignitatis locum possidetis», selon lequel le prêtre exerce le «ministerium angelorum» lorsqu’il enseigne à sa plebs (3, p. 101); Hincmar, De ordine palatii 1, pp. 38-40. Walafrid Strabo, De exordiis et incrementis, 10, p. 485: «Inde est, quod primi ordines in ecclesia utuntur orariis, quia ad ipsos pertinet docendi offitium», comprend peut-être dans l’expression primi ordines aussi les prêtres. 133 Voir Grégoire le Grand, Registrum epistularum, II 40, l. 17 s.: «universalis ecclesiae unitas, quae est compago corporis Christi, exaequatione mentis gaudet in singulis, cum sit ei disparilitas in diversitate membrorum... Grave namque est pondus sacerdotii. Prius quippe sacerdotii necesse est ut ceteris ad exemplum vivat...». 134 Voire Raban Maur, De institutione clericorum, I 32, éd. Zimpel, p. 338: «Missa autem est legatio inter Deum et homines, cuius legationis officio fungitur sacerdos, cum populi vota per preces et supplicationes ad Deum offert»; Jonas d’Orléans, De institutione laicali, II 20, 208D; Nithard, Historiae, IV 1, dans MGH, Scriptores rerum Germanicarum, 44, p. 40: la décision des évêques est émanée «veluti numine divino».Les prêtres doivent sauver le peuple de la colère de Dieu (Hincmar, De ordine palatii, 3, p. 48). Voir Savigni, Le commentaire d’Alcuin sur l’épître aux Hébreux et le thème du sacrifice, dans Alcuin de York à Tours, pp. 245-267. 135 Agobard de Lyon, ép. 4, De privilegio et iure sacerdotii, 7, dans Agobardi episcopi opera omnia, éd. L. van Acker, CCCM LII, Turnhout 1981, pp. 57-58 (qui souligne la vis sacramenti, transmise par les «iniusti sacerdotes», tandis que les «iusti populares», les laïcs, manquent d’elle); 15, p. 65; 18, 67; Paschase Radbert, De corpore et sanguine Domini, 12, éd. B. Paulus, dans CCCM XVI, Turnhout 1969, p. 80: «Idcirco licet reus sit, officium ministerii sacrum est et gradus sacerdotii a summo pontifice Christo compensatur».

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identifie les « petits » (pusilli) avec les apôtres, les docteurs et les ministres de l’autel, protégés, au-dessus des hiérarchies (super hierarchias suas), par leurs anges, qui célébrent avec eux les mystères divins : il s’agit d’une mention rare, et par conséquent très significative, du mot hierarchia au-dehors du corpus dionysien et des oeuvres de Jean Scot136. Par conséquent les potentes doivent honorer, grâce à leur ministère, aussi les prêtres pauvre, qu’ils ne peuvent pas utiliser pour des services (comme les travaux agricoles, ou le soin des chiens et des chevaux) incompatibles avec leur dignité137. On entrevoit la tendance à réserver aux clercs (par un procès de « monopolizing by exclusion ») quelques passages de l’Écriture sainte, comme Mt 5,13-16 (« Vous êtes le sel de la terre ») ou 1 Cor 12,8-11 (les don du saint Esprit)138. Raban Maur souligne très souvent la centralité de l’institution ecclésiastique et sa structure hiérarchique139, mais aussi (en utilisant un passage du commentaire de Bède sur les épîtres catholiques) les iura humanae conditionis et le devoir d’obéir aux souverains et aux parents140. En commentant Mt 23,6-7, il juge que Jésus n’a pas défendu aux dignitaires le droit d’être salués sur la place et de s’asseoir les premiers, mais il a exhorté ses disciples à se méfier de l’orgueil (qui pour Jonas d’Orléans est le vice typique des des laïcs de condition aristocratique, qui cherchent à la justifier comme expression de dignité, d’honestas)141, en critiquant l’affection pour les privilège, non pas le rôle hiérarchique142. Il est toutefois conscient que l’Église a connus des véritables transformations pendant l’histoire : en utilisant à la lettre un passage très significatif de l’Ambrosiaster, il évoque l’organisation plus simple et sous certains aspects « égalitaire » de l’Église primitive, justifiée par l’urgence de l’évangelisation, et la plus tardive délimitation et éclaircissement des fonctions des différents ministères ecclésiales143 . L’évêque (qui, identifié par

136 Paschase Radbert, Commentarius in Matheo, VIII 18,10, éd. B. Paulus, CCSM LVIA, Turnhout 1984, p. 880: «Quapropter etsi terribile est eos contempnere pusillos qui adhuc in fide parvi sunt et in officio terribilius est eos conculcare qui vota omnium offerre videntur. Ad quorum officia ut plures aiunt super hierarchias suas constituti sunt principes qui eorum peragunt absque dubio officia qui altaris esse probantur ministri».Sur la présence des anges dans les lieux sacrés, surtout pendant les célébrations liturgiques, voir Jonas, Le métier du roi, 13, p. 264 ; Walafrid Strabo, De exordiis et incrementis, 10, p. 485. 137 Agobard, ép. 4, 11, p. 62.Sur l'incompatibilité de la dignitas sacerdotii et la condition des serfs voir Collectio Ansegisi, I 82, éd. G. Schmitz, Hanover 1996, pp. 480-481 (on peut ordonner prêtre seulement un serf liberé, car «iuxta sacros ordines vilis persona manens sacerdotii dignitate fungi non potest») . 138 Voir par exemple Raban Maur, In Matthaeum, II 5, 11, éd. B. Löfstedt, CCCM CLXXIV, Turnhout 2000, p. 713: «quia dignitatem gradus eorum eis intimare volebat, sal terrae et lux mundi illos appellans»; In Ecclesiasticum, VIII 16, PL 109, 1037C; X 30, 1115AB. 139 Voir Raban, In Mahaeum, III 9, 36, CCCM CLXXIV, pp. 284-285: «Nam et semper necesse est, ut oves Christi pastores et doctores habeant, quia diabolus velut leo rugiens circumit, semper quaerens, quem devoret (1 Pt 5,8), nam quandocumque evenit vexatio gregis et ovium atque turbarum, pastorum est culpa et vitium magistrorum, qui eis succurrere debuerant»; In Ecclesiasticum, II 13, PL 109, 815D: «Recte admonet ecclesiasticum populum, ut subditus sit sanctis doctoribus». Il ne faut pas interpréter l’Écriture sainte «sine doctore» (VII 7, 989AB), «absque magistrorum traditione» (II 4, 801A). 140 Hraban Maur, ép. 16, dans MGH, Epistolae V, pp. 417-418 (par rapport au passage de 1 Petr. 2,13-14): «Docet ergo fideles, aeterni videlicet regis famulos, etiam mundi potestatibus subdi, ne vel in hoc fidei et religioni christiane possit detrahi, quod per eam humane conditionis iura turbentur. Nam ita potest recte intellegi quod dictum est ‘omni humanae creaturae’, ut significetur et fidelibus et incredulis rerum dominis, sive etiam omni dignitati hominum, omni personae, omni principatui, cui eos divina dispositio subditos esse voluerit», qui rappelle Rom 13,1-8 et 10; 1 Tim 2,1-4; 6-1-2. L’allusion aux «humanae conditionis iura», qui a été ajouté au texte de Raban par une main contemporaine, emprunte un passage de Bède (In epistolam I Petri, II 13-14, éd. D. Hurst, CChr.SL CXXI, Turnhout 1983, p. 239). 141 Concilium Parisiense (829), I 10, p. 617. 142 Raban, In Matthaeum, VII 23, CCCM CLXXIV A, p. 594: «non salutari in foro, non primos sedere vel discumbere vetat eos, quibus hoc officii ordine competit,... animum videlicet, non gradum iusta distinctione redarguens», qui rappelle Bède, In Marci evangelium expositio, III 12. Raban veut éviter un interprétation en sens anti-hiérarchique de la polemique de Jésus contre les pharisiens. 143 Raban Maur, ép. 30, 6, dans MGH, Epistolae, V, p. 453: «Igitur, ut beatus Ambrosius testatur, postquam omnibus locis ecclesiae sunt constitutae et officia ordinata, aliter composita res est quam coeperat... Ut ergo cresceret plebs et multiplicaretur, omnibus inter initia concessum est et evangelizare et baptizare et scripturas in ecclesia explanare. Aut ubi omnia loca circumplexa est ecclesia, conventicula constituta sunt et rectores et caetera officia ecclesiis sunt ordinata, ut nullus de clero auderet, qui ordinatus non esset, praesumere officium, quod sciret non sibi creditum vel

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Isidore avec le pontifex maximus de la religion romaine, est celui qui doit diriger les ordres de l’Église, soit les clercs, et indiquer à chacun d’eux sa propre tâche)144 résume la dignité de tous les ordres, de tous les échelons de la hiérarchie145, tandis que selon Christian de Stavelot les apôtres ont récu (Mt 10,1) tous les dégrés des rectores Ecclesiae146, et seon quelques textes analysé par R.E.Reynolds Jésus a rempli toutes les fonctions propres de chacun des ordres ecclésiastiques147. Même si Jonas rappelle la dévotion et l’«unanimité» e la communauté de Jérusalem, à l’époque carolingienne l’Ecclesia primitiva est évoquée presque seulement comme source de légitimation de l’Église de ce temps e de la propriété ecclésiastique148: le traité de Walafrid Strabo De exordiis et incrementis rerum ecclesiasticarum et l’épître De rebus ecclesiasticis non invadendis envoyé à Pépin d’Aquitaine par le concile d’Aix (836), rédigée par Jonas d’Orléans, exaltent la croissance quantitative, politique et économique de l’ Église et justifient ses transformations historiques149. Walafrid, qui compare les hiérarchies de l’ Église avec les hiérarchies politiques romaines pour exalter l’harmonie de la maison de Dieu et du corps de Christ et la christianisation de l’Empire150, concessum, et coepit alio ordine et providentia gubernari ecclesia, quia si omnes eadem possent, inrationabiles esset et vulgaris res et vilissima videretur. Hinc ergo est, unde nunc neque diaconi in populo praedicant, neque caeteri clerici vel laici baptizant... Ideo non per omnia conveniunt scripta apostoli ordinationi, quae nunc in ecclesia est, quia haec inter ipsa primordia sunt scripta»; Enarrationes in epistulas beati Pauli. In Ephesios, PL 112, 430D-431B, qui rappelle (sous le nom d’Ambroise) Ambrosiaster, Commentarius in Pauli epistulas. Ad Ephesios, 4, 11-12, éd. H.G. Vogel, CSEL 81/3, Vindobonae 1969, pp. 99-100. 144 Isidore, Origines, VII 12, 13-15: «Pontifex princeps sacerdotum est, quasi via sequentium. Ipse est summus sacerdos, ipse pontifex maximus noncupatur. Ipse enim efficit sacerdotes atque levitas: ipse omnes ordines ecclesiasticos disponit: ipse quod unusquisque facere debeat ostendit», emprunté par Raban Maur, De institutione clericorum, 5, éd. Zimpel, p. 299; De rerum naturis IV 5. Voire F. van Haeperen, Des pontifes païens aux pontifes chrétiens. Transformations d’un titre: entre pouvoirs et représentations, in «Revue belge de philologie et d’histoire», 81 (2003), pp. 137-159, en particulier 159. 145 Raban Maur, Enarr. in epist. in Ephes., 430D; Haymon d’Auxerre, Expositio in divi Pauli epistolas, In epist. ad Corinthios primam, 1, 17, dans PL 117, 524C: «In episcopo omnium ordinum dignitas est. Caput est enim caeterorum membrorum; et Apostolus qui pontifex erat, omnes gradus ecclesiasticos habebat. Ideoque et baptizare et evangelizare poterat, sed maxime praedicationi insistebat, sicut alii apostoli. Discipuli vero eius baptizabant... In primordio etenim fidei omnes baptizabant,et non solum viri, sed etiam feminae, si quando necessitas imminebat. Sed ne tantum ministerium vilesceret, aut non recte a simplicioribus impleretur, crescente numero fidelium... decretum est a sanctis patribus, ut episcopi tantum et presbyteri baptizarent»; Hincmar, Ad episcopos regni, 4, PL 125, 1010AB: «In episcopis enim, ut beatus dicit Ambrosius, omnes ordines sunt, quia primus sacerdos est, hoc est princeps sacerdotum, et propheta, et evangelista, et caeterorum ministrorum in se officia continens ad implenda ea in ministerio fidelium», qui rappellent partiellement le même passage du commentaire de l’Ambrosiaster, Commentarius in Pauli epistulas.Ad Ephesios, 4, 11-12, pp. 98-99. 146 Christian de Stavelot, Expositio in evangelium Matthaei, dans PL 106, 1343: «ascendens in montem vocavit ad se quos voluit hoc est elegit eos ex pluribus et ordinavit eos apostolos. Breviter evangelistae comprehenderunt hoc sed septem gradus quos rectores ecclesiae habent ibi tunc acceperunt. Nam immundos spiritus eiicere exorcistarum est. Virtutes discretionum habere ostiariorum est. Infirmos curare diaconorum est et presbyterorum. Nec equidem poterat eos ordinare episcopos sive apostolos nisi alios ante gradus concederet et pro ipso facto apostoli sunt nominati»; 1419: les ordres cléricaux doivent imiter le Christ et les apôtres, dont ils ont reçu les dégrés («a quo enim debent episcopi et presbyteri ac diaconi exemplum accipere nisi a quo et gradus accipiunt»). 147 Voir R.E. Reynolds, The Ordinals of Christ from their Origins to the Twelfth Century, Berlin-New York 1978, pp. 69-83, en particulier le texte cité à p. 82: «sacerdos quando obtulit corpus suum in crucae. Episcopus fuit quando accepit panem et benedixit..». 148 J. Devisse, L’influence de Julien Pomèe sur les clercs carolingiens, RHEF 46 (1970), pp. 285-295; D. Ganz, The Ideology of sharing: apostolic community and ecclesiastical property in the early Middle Ages,dans Property and Power in the Early Midde Ages, éd. W. Davies-P. Fouracre, Cambridge 1995, pp. 17-30. 149 Concilium Aquisgranense, epistula ad Pippinum regem directa, dans MGH, Concilia II/2, pp. 724-767 ; Walafridus, De exordiis et incrementis,3, p. 477: «Cum autem multiplicaretur numerus credentium, coeperunt domos suas facere ecclesias». 150 Walafridus, De exordiis et incrementis, 32, pp. 514-516: «Omissis igitur incertis, quae notiora sunt, invicem comparemus, ut ostendamus ordinationes mundanae sapientiae in spiritalem ecclesiae universalis rempublicam sacris distinctionibus commutatas in similitudinem antiquae hystoriae, qua vel pecuniae Aegyptiorum in usum tabernaculi vel caedri de Libano caesi iin templi aedificationem profecisse, Raab quoque, Ruth et Achior in numerum populi Dei translati narrantur. Sicut augusti Romanorum totius orbis monarchiam tenuisse feruntur, ita summus pontifex in sede Romana vicem beati Petri gerens totius ecclesiae apice sublimatur... Ceterum ex utriusque ordinis coniunctione et

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souligne la centralité du culte, le rapport de continuité-discontinuité avec les préfiguration « typologiques » de l’Ancien Testament et aussi avec la sacralité païenne, le triomphe de la tradition liturgique romaine, la diffusion du baptême des enfants et d’autres pratiques religieuses151. La religio christiana implique une dimension sociale et politique, et les sacrements chrétiens marquent l’entrée dans la société chrétienne: mais le rôle social des parrains doit être accompagné par l’éducation religieuse des filleuls, et par conséquent il faut que les parrains soient des bons chrétiens, bien instruits dans la foi et capables d’enseigner les vérités de la foi chrétienne152.On entrevoit un souci du Christianum decus, une volonté d’éviter que les sacrements (le baptême, mais aussi l’Ordre) soient dépréciés pour l’absence d’instruction réligieuse et pour les péchés: la responsabilité des prédicateurs et des fidèles (les laïcs, définis auditores, appelés à apprendre, à obéir et à se corriger l’un l’autre) est elle-même hiérarchisée153. Les corêveques, préfigurés (comme les prêtres en général) par les soixante-dix disciples, ne peuvent pas usurper les fonctions épiscopales, comme la transmission du saint-Esprit dans le sacrement de la Confirmation154. La hiérarchie des personnes consacrées est renforcée par une hiérarchie des temps (fondée sur la primauté du dimanche et des fêtes liturgiques, pendant lesquelles on ne peut pas travailler)155 et des lieux sacrés: les basilicae Deo dicatae ont une dignité supérieure à celle des chapelles privées rurales, et surtout aux lieux de la « religion populaire », jugée irrationnelle156. Les prêtres ne peuvent pas ériger des autels portatifs «inconsultis episcopis», et ils ne doivent pas célebrer la liturgie dans les chapelles privées des laïcs de condition aristocratique, en méprisant les églises consacrées par les évêques157. Les inhumations privilegiée du corps de certains défunts dans les églises («in ecclesia»), qui ne doivent pas être utilisées comme un prétexte pour déplacer l’autel, doivent être autorisées par l’évêque diocésain, que les prêtres recteurs des églises doivent consulter, exception faite pour les personnes explicitement indiquées dans les synodes158. Le rapport avec le sacré n’est pas possible au dehors de la médiation cléricale: par conséquent l’Église romaine condamne, à l’époque de Boniface, les faux apôtres Aldelbert et Clément, qui célebrent leurs

dilectione una domus Dei construitur, unum corpus Christi efficitur cunctis membris officiorum suorum fructus mutuae utilitati conferentibus, dum oculus est in sapientibus, qui veram lucem et percipiunt et insinuant, os in doctoribus, auris in benivolis auditoribus, nasus in discretionis amatoribus, manus in operatoribus...». 151 Walafridus, De exordiis et incrementis, 23, p. 500: «diversis modis et partibus per tempora decus processit ecclesiae et usque in finem augeri non desinet»; 27, pp. 508-512, en particulier 509: «crescente in processu temporum religionis honore institutionum ecclesiasticarum usque ad decus crevisse, ita et huius mystici lavacri gradatim per temporum augmenta in maius celebratio crevit». 152 Concilium Parisiense, I 7, p. 614; 9 p. 616. Voir M. Rubellin, Entrée dans la vie, entrée dans la chrétienté, entrée dans la société:autour du baptême à l’époque carolingienne, dans Les entrées sans la vie. Initiations et apprentissages, Nancy 1982, pp. 31-51. 153 Ibid., I 9-10, p. 616. Voir Raban, In Ecclesiasticum, III 3, PL 109, 836B : « Ordo ecclesiasrticus hic est ut doctores et praedicatores fidelium sint apud eos in honore ». 154 Conc. Paris., I 27, p. 629. Voire Isidore, De eccl. off., II 6, p. 64: «Corepiscopi, id est vicarii episcoporum... instituti sunt ad exemplum septuaginta seniorum tamquam consacerdotes propter sollicitudinem pauperum». 155 Concilium Parisiense, I 50, p. 643; Jonas, Le métier du roi, 14, p. 272. Voir aussi I 8, p. 615: les fidèles qui ont été baptisés «in egritudine», avec urgence, en état de nécessité pour le danger de mort (appelés gravatarii), et par conséquent n’ont pas réçu un baptême solennel (dans les temps liturgiques établis) par le prêtre et une véritable instruction réligieuse, ne peuvent pas entrer dans la hiérarchie ecclésiastique et accéder au sacerdoce, afin que les échelons de la hiérarchie ne soient pas dépréciés (pour éviter la «dehonorationem ecclesiasticorum graduum»). 156 Agobard, Op. 15, De quorundam inlusione signorum (ad Bartholomeum), 12, p. 243; Amulon, ep. 1 (a. 841-844), 6-8, dans MGH, Epist. V (Karolini aevi III), Pd. E. Dümmler, Berolini 1899, pp. 366-367. 157 Jonas, De institutione laicali, I 11, 143-144 ; Le métier du roi, 13, pp. 264-266: Concilium Parisiense, I 47, p. 641 : « Satius igitur illis est missam non audire quam eam ubi non licet nec oportet audire» ; III 6, p. 672; Hincmar, Collectio de ecclesiis et capellis, I, éd. Stratmann, pp. 75-76, 79; Epistola Clementis tertia, 70, p. 58: «in aliis locis sacrificare et missas caelebrare non licet, nisi in his in quibus episcopus proprius iusserit aut ab episcopo regulariter ordinato tenente videlicet civitatem consecratus fuerit»..Voir E. Palazzo, Liturgie et société au Moyen Âge, Paris 2000. 158 Hincmar, Collectio de ecclesiis et capellis, p. 82; Erstes kapitular, 12,dans MGH, Capitula episcoporum, II, éd. R. Pokorny-M. Stratmann, Hannover 1995, p. 40.

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«liturgies» dans quelques chapelles rurales (oratoriola) et invoquent les nom de plusieurs anges que la tradition ecclésiastique identifie avec des démons159. Les prêtres qui ont atteint la dignité épiscopale (culmen sacerdotalis honoris) ne doivent pas s’enorgueillir, mais se rappeler de sa propre fragilité humaine, et chercher à imiter les évêques saints de l’antiquité et en général les prédécesseurs saints, les «ancêtres» nobles de l’Église locale160. Toutefois aucun homme ne peut pas juger les mauvais recteurs de l’Église, qui seront condamnés par Dieu, tandis que les laïcs et les clercs les doivent respecter: le concile de Paris (829) rappelle à ce propos les passages des Sententiae d’Isidore de Séville, III 39,5-6 et de l’Histoire ecclésiastique de Rufin d’Aquilée, X 2, et l’exemple de David, qui n’a pas tué son ennemi, le roi Saül (qui préfigurait les sacerdotes, les évêques) en tant que consacré par Dieu par l’onction161. Si en général les laïcs sont subordonnés et doivent obéir au clergé, il ne peuvent pas s’approcher du sacré, mais deuvent éviter de suivre l’exemple négatif d’Oza, foudroyé pour avoir touché l’Arche (2 Sam 7,7)162, et du roi Ozie, qui fut frappé par la lèpre, pour avoir usurpé le ministères sacerdotal163. Les femmes, placées au niveau le plus bas dans l’échelle hiérarchique (autant sociale que ecclésiastique), à cause de l’inferiorité du sexe féminin ne peuvent pas entrer dans l’espace de l’autel, toucher les objects du culte et distribuer l’Eucharistie, car il serait quelque chose d’abject164, ni prendere le voil de sa propre initiative, pour se faire administratices des églises, ma il faut qu’elle prendent le voil seulement par l’évêque, après une instruction réligieuse165.Les actes des conciles carolingiens rappellent les limites auxquels est lié le sexe féminin, qui ne peut pas exercer plusieurs activités sacrées et profanes réservées aux mâles166. En général la mobilités des femmes (autant que des moines) est jugée dangereuse. La sacralisation de la liturgie et du clergé. Les fausses décretales et Hincmar de Reims

159 Die Briefe des Heiligen Bonifatius und Lullus, ép. 59 (actes du synode de Rome, a. 745), pp. 108-120, en particulier 111-112, 117. 160 Conc. Paris., I 18, pp. 624-625: «nonnulli existunt pontifices, qui... suae misere fragilitatis immemores, sacerdotalis honoris culmine ultra maetas subvecti, amore mundi decepti, ... sanctorum sacerdotum consortio se privant»; 20, p. 626. 161 Conc. Paris. I 19, p. 625: «Sicut per Saul reprobi praelati, ita et per David subiecti sunt humiles significati... Christos Domini sacerdotes appellari dubium non est... Quamquam autem, quod valde dolendum est, multi praelatorum ad instar Saul sint reprobi effecti, non sunt tamen manu repraehensionis et detractionis tangendi», qui rappelle 1 Reg 26,11; 2 Reg 16,5; Ps 104,15. 162 Jonas, De cultu imaginum, III, PL 106, 386C ; Concilium Meldense-Parisiense (846-847), 9, dans MGH, Concilia III, p. 89: «Haec autem loca sacrata non ideo ab illis, quia tenere non debent, occupari prohibemus». 163 Conc. Parisiense, I 47, p. 641: «Laicos namque plerosque meminisse oportet poene regis Ozie, qui pro eo, quod contra fas sacerdotale ministerium arripuit, leprae inmunditia ilico multari meruit» ; Conc. Aquisgranense (836), II 31, p. 758. Voire Hincmar, Capitula in synodo apud sacram Macram ab Hincmaro promulgata, 1, dans PL 125, col. 1071: «Legimus etiam in sacra historia quia Ozias rex praesumpsit incensum ponere quod non regii, sed sacerdotalis erat ministerii: lepra est a Deo percussus, et de templo a sacerdotibus eiectus, et in domo sua est usque ad mortem reclusus»; Ad episcopos regni admonitio altera, 3, PL 125, 1009AB; Ratramne, Contra Graecorum opposita, I 2, PL 121, 228AB. 164 Conc. Parisiense, I 45, p. 639: «didicimus in quibusdam provintiis contra legem divinam canonicamque institutionem feminas sanctis altaribus se ultro ingerere sacrataque vasa inpudenter contingere et indumenta sacerdotalia praesbyteris administrare et, quod his maius, indecentius ineptiusque est, corpus et sanguinem Domini populis porrigere et alia quaeque, quae ipso dictu turpia sunt, exercere». 165 Conc. Parisiense, I 42, p. 638: «Invenimus, quod quaedam feminae... sine consensu sacerdotum idcirco sibimetipsis velum inponant, ut sub praetextu huius velaminis ecclesiarum excubatrices et administratrices fieri possint»; 44, p. 639 ; III 7, p. 672 : contre le femmes qui prendent le voil pour « noxiam sibi libertatem adquirere et per diversa vagari ». Voir aussi Théodulf d’Orléans, Capitulare I, 6, dans Capitula episcoporum I, p. 107: «Memores esse debent feminae infirmitatis suae et sexus imbecillitatis»; Capitula Attonis, 11-12, dans Capitula episcoporum, III, p. 269. 166 Conc. Parisiense, I 43, p. 638: «emendatione et congrua correctione dignum invenimus, quod quaedam abbatissae et ceterae sanctimoniales non solum viduas, sed etiam virgines puellas velare solite sint; quod quantum sexui femineo inlicitum et a religione Christiana sit alienum, omnis, qui sanum sapit, facile advertit»; 45, p. 639: «Miranda sane res est, unde hisdem inlicitus in Christiana religione inrepserit usus, ut quod viris saecularibus inlicitum est, feminae, quarum sexui nullatenus competit, aliquando contra fas sibi licitum facere potuerint».

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La distinction entre le clergé et le laïcat, déjà rappelée par les Pères latins et, à l’époque carolingienne, par Jonas d’Orléans, est soulignée en particulier après 840-845 (c’est-à-dire après la rédaction du De corpore et sanguine Domini de Pachase Radbert e la réception par Hincmar de son «réalisme eucharistique»)167, par quelques textes conciliaires (comme les actes du concile de Meaux-Paris, qui attribuent aux évêques et aux prêtres, en tant que hérauts du jugement de Dieu doués du pouvoir des clefs, la tâche de juger les laïcs)168 et en particulier par Hincmar de Reims et les décrétales du Pseudo-Isidor: comme celui-ci169, Hincmar rappelle plusieurs fois la sainteté du ministère sacerdotal, fondée surtout sur le pouvoir de consacrer le pain et le vin, les espèces eucharistiques, et sur le modèle du sacerdoce de l’Ancien Testament. Par conséquent aucun prêtre ne peut pas donner comme caution («in vadimonium») les objets du culte et les vêtements sacerdotaux170: en rappelant le passage d’Ézékiel 44,19 («cumque egredientur atrium exterius ad populum exuent se vestimenta sua in quibus ministraverunt et reponent ea in gazofilacio sanctuarii et vestient se vestimentis aliis»), Hincmar souligne fortement la distinction entre le prêtre, qui porte ses vêtements seulement dans le sanctuaire, et le peuple, qui ne peut pas les toucher, car, selon les règles du Lévitique sur la pureté rituelle, on ne peut pas mettre en contact les choses consacrées avec les personnes qui ne son pas pures. Les fausses décretales soulignent la superiorité de la vie des prêtres (identifiés avec les « spirituels » de I Cor. 2,15 ; 3,1 ) par rapport à celle des laïcs, définis carnales171 et vulgares homines172; et appliquent aux prêtres les images du « sel de la terre » et de la « lumière du monde » de Matthieu 5,13-14, traditionnelment rapportées en général à tous les chrétiens (même si Alcuin avait déjà appliquè aux évêques l’image de la «lampe sur le lampadaire » de Matth. 5,15)173.Pour les rédacteurs des capitula episcoporum, qui comparent

167 Sur les implications ecclésiologiues de la controverse eucharistique voir M. Cristiani, Tempo rituale e tempo storico. Comnione cristiana e sacrificio. Le controversie eucaristiche nell'alto medioevo, Spoleto 1997, pp. 146-151. 168 Concilium Meldense-Parisiense (845-846), préf., dans MGH, Capitularia, II, pp. 395-396: «Sacerdotum est etiam imminentem gladium, quae est animadversio divini furoris atque iudicii, populis nuntiare. Eorum est nichilominus verbi gladio... in unoquoque ecclesiae filio prava resecare a rectis pravosque in omni ecclesia, si ita res poposcit, ut saeculi iudices et iudicii divini praecones, segregare de rectis», qui rappelle Jér 1,10 (un passage très utilisé à l’époque «grégorienne»). 169 Epistula Pontiani, 2, éd. Hinschius, p. 147: Dieu a choisi les prêtres comme médiateurs de la réconciliation des pénitents et de l’offrande eucharistique («eos ad serviendum ascivit et familiares intantum sibi esse voluit, ut etiam aliorum hostias per eos acceptaret atque eorum peccata donaret sibique reconciliaret; ipsi quoque proprio ore corpus domini confitiunt et populis tradunt»). 170 Hincmar, Erstes kapitular, dans Capitula episcoporum, II, pp. 39-40: «Ut nullus presbiter presumat calicem vel patenam aut pallam altaris vel vestimentum sacerdotale aut librum tabernario vel negotiatori aut cuilibet laico vel feminae in vadimonium dare, quia tanta est sanctitas sacri ministerii, ut salva altioris mysterii intellegentia etiam per prophetam dominus prohibuerit, ne cum sanctis vestimentis sacerdos procedat ad populum, sed intra sancta illa dimittat ad eum a colloquio divino rediens. Et cui ad tabernas ad bibendum a sacris canonibus ingredi prohibetur, sanctificata sacri ministerii nec ad contingendum inmundis, quanto minus in vadimonium exhibere debet? Sicut Stephanus sanctus papa et martyr ad sanctum Hilarium in suis decretalibus docuit», qui rappelle une fausse decrétale du pape Étienne (P. Hinschius, Decretales Pseudoisidorianae, p. 183). 171 Epistola Clementis prima, 32, p. 40: «Cunctorum sacerdotum vitam superiorem sanctioremque ac discretam a saecularibus et laicis hominibus esse et spirituales atque sacerdotes super carnales ac laicos semper constituere et fore debere docebat, quoniam pro minimo nobis esse debet, ut a talibus arguamur et iudicemur vel ab humano diae (sic: I Cor 4,3)»; 34, p. 41: «Carnales spiritualibus resistere prohibebat», qui rappelle, contre ceux «qui cervices suas contra magistros et seniores suos», le passage d’Is 14,11-17 sur la punition de l’orgueil de Lucifer. 172 Epistola Evaristi secunda, 9, p. 91: «Non est itaque a plebe aut vulgaribus hominibus arguendus vel accusandus episcopus, licet sit inordinatus» (emprunté à Isidore, Sententiae, III 39,1-3, p. 281); voir aussi epistola Anacleti secunda, 19, p. 76: «Dominus sacri sui corporis tractatores a vilibus et reprobis et non idoneis personis infammari noluit nec calumniari permisit, sed ipse proprio flagello peccantes sacerdotes a templo eiecit». Cfr. institutio canonicorum (816), 100, p. 377 (qui rappelle Isidore, De eccl. off. II 2, p. 53): «His igitur lege patrum cavetur, ut, a vulgari vita seclusi, a mundi voluptatibus sese abstineant». 173 Epistola Clementis prima, 26, p. 38: «Sed sacerdotes doctiores caeteris populis necesse fore docebat, quia si caecus caeco ducatum praebet, ambo in foveam cadunt (Matth. 15,14), sacerdotes vero sal terrae et mundi lumen docens praecepti in splendore operum patrem glorificare deum...»; epistola tertia, 70, p. 58: «Videntur mihi qui loquuntur verba veritatis et qui illuminant animas hominum similes esse radiis solis».

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souvent les clercs aux anges174, la vie des clercs doit être bien distinguée par rapport à celle des laïcs, pour lequels la vie des prêtres doit être un miroir: ils doivent ratiquer un genre de vie plus pur et avoir un’allure digne, qui inspire révérence175. Les décretales du Pseudo-Isidor (en rappellant un’image des Pères)176 comparent l’Église à un navire, dont le Christ est le timonier, le pilote (gubernator), tandis que l’évêque exerce la fonction de deuxième pilote à la proue, et les prêtres, les diacres, les clercs mineurs et les laïcs (qui ne doivent pas errer et détourner les clercs de sa tâche, mais rester chacun à sa place) constituent l’équipage : il s’agit donc d’une communauté hiérarchique, qui doit affronter les dangers de la mer (c’est-à-dire du monde d’ici-bas) pour atteindre la ville du Roi céleste177, sous la direction du Christ et de l’évêque, qui doit veiller, avoir soin et « porter le poids » non seulement de soi-même, mais de tos les chrétiens178. Elles rappellent très souvent l’interdiction, pour les laïcs (qui, bien que pieux, ne peuvent pas exercer aucune fonction ecclésiastique)179 et les clercs mineurs, et surtout pour les personnes suspectes ou malfamées (infames), d’accuser les évêques (qui sont appelés « oeils de Dieu », « clefs du ciel », et « trônes de Dieu », correspondants aux membre de la hiérarchie angélique du même nom)180, car, selon l’Évangile (Mt 10,24), le disciple n’est pas au-dessus de son instituteur, et le serf au-dessus de son maître181.Les évêques peuvent être accusés seulement par des

174 Voir Hincmar de Reims, Zweites Kapitular, dans Capitula episcoporum II, p. 61: «teste Malachia propheta atque Iohanne evangelista sacerdotes angeli appellantur». 175 Capitula Frisingentia tertia, 11, in Capitula episcoporum, III, p. 225; Herardus Turonensis, Capitula, n. 107, dans MGH, Capitula episcoporum, II, p. 150:«Ut presbiteri sicut ordine sanctiores ita verbo, incessu et actu sint reverentiores, quia celsitudo graduum gravius peccati facit cumulum». 176 Sur l’image de l’évêque gubernator du navire voir par exemple Julien Pomère, De vita contemplativa I 16, rappelé par Boniface, ep. 78, éd. Tangl, pp. 164-165. 177 Epistola Clementis prima, 14, éd. Hinschius, p. 34: «Similis namque est omnis aecclesiae status navi magnae... Sit ergo navis huius dominus ipse omnipotens Deus, gubernator vero sit Christus: tum deinde prorete officium episcopus impleat; presbiteri nautarum, diaconi dispensatorum locum teneant: hi qui catecizant nautologis conferantur: epibatis autem totius fraternitatis multitudo sit similis», 35: «Sed ante omnia cum quiete et silentio epibatae, id est, laici in suis unusquisque resideant locis, ne forte per inquietudinem et inconditos inutilesque discursus, si passim vagari caeperint vel ab officio suo nautas impediant vel in alterum latus per inquietuidinem eorum navis pressa demergatur... presbiteri velut nautae aptent singula ad instructionem navis diligenter et instruant quae in suo tempore requirenda sunt. Episcopus, tamquam proreta, vigilanter et sollicite gubernatoris verba custodiat Christi»; Epistola Anacleti pape, 2, p. 67. 178 Epistola Clementis, 15, p. 35: «Verumtamen scitote cuncti quod supra omnnes vos laboret episcopus quia unusquisque vestrum suum proprium fert laborem, ille vero et suum et singulorum»; 16, ibid.: Clément porte «singulorum onus et sollicitudinem». 179 Voir Epistola decretalis Stephani pape, 12, dans Decretales pseudo-isidorianae, éd. Hinschius, p. 186: «Laicis quoque, quamvis religiosi sunt, nullo tamen de ecclesiasticis facultatibus aliquid disponendi legitur umquam attributa facultas». 180 Voir Epistola Clementis prima, 37, p. 41: «Sanctam ergo ecclesiam immaculatam omnes servare debere evangelizabat, cuius claves episcopos esse dicebat. Ipsi enim habent potestatem claudere caelum et aperire portas eius, quia claves coeli facti sunt. Amovere autem eos neminem debere docebat, quia oculi domini sunt, et qui eos tangit, tangit pupillam oculi eius» (voir Zac 2,8); Epistola decretalis Stephani pape, 12, dans Decretales pseudo-isidorianae, éd. Hinschius, p. 186: «Troni enim Dei vocantur, ideo non debent moveri aut affligi vel perturbari. De ipsis ergo ait propheta: Caeli enarrant gloriam Dei, et opera manuum eius adnuntiat firmamentum» (Ps 18,2). 181 Voir Epistola Clementis prima, 42, p. 45: «Hi ergo (les évêques) super hos sunt, non illi super istos, quoniam maior a minore nec argui nec iudicari potest. Nullus se extollat erga doctores ac magistros suos, quia discipulus super magistrum nec esse debet nec potest»; Epistola Anacleti prima, 9, p. 70: «Deo enim perfecte sacrificantes non debent vexari, sed portari, consolari atque ab hominibus venerari»; Decreta Pii pape, dans Decretales pseudo-isidorianae, 4, éd. Hinschius, p. 117: «Oves enim pastorem suum non reprehendant, plebs vero episcopum non accuset, nec vulgus eum arguet, quia non est discipulus super magistrum ne servus super dominum. Episcopi autem a Deo sunt iudicandi, qui eos sibi oculos elegit; nam a subditis aut pravae vitae hominibus non sunt arguendi vel accusandi aut lacerandi, ipso domino exemplo dante, quando per seipsum et non per alium vendentes sacerdotes et ementes eiecit de templo»; et aussi Collectio capitularium Ansegsi, I 44, p. 457 (les viles personae ne peuvent accuser les prêtres); 82, p. 481 (elles ne peuvent pas atteindre la dignitas sacerdotii). Pour Smaragde (Via regia, 18, dans PL 102, 957-858), au contraire, le roi, en tant que vicaire de Christ, et inspiré par le «zelus domus Domini», peut imiter la conduite de Jésus, qui a eloigné les marchands du Temple par le fouet.

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personnes d’égal condition (« ab coaequalibus »), c’est-à-dire par des évêques réunis en concile182, excepté le cas d’héresie183; et l’épître du Pseudo-Clément affirme, en rappellant Rom 14,4 (« tu quis es qui iudices alienum servum »), que seulement Dieu peut juger et condamner les évêques, qui sont sa propriété184. Les fausses décretales rappellent plusieurs passages bibliques pour souligner l’impossibilité de juger les évêques et la nécessité de supporter les pasteurs négligents ou mauvais: Gen 19,9 (« et rursus ingressus es inquiunt ut advena numquid ut iudices »),Gal 6,2 (« alter alterius onera portate »)185 ; Gen. 9,22 (« quod cum vidisset Ham pater Chanaan verenda scilicet patris sui esse nuda nuntiavit duobus fratribus suis »)186; Ps 81,1 (iuxta LXX : « Deus stetit in synagoga deorum, in medio autem Deus deiudicat », avec la variante « deos »), surtout par l’intermédiaire de Rufin, Hist. eccl. X 1, ou d’Isidore de Séville187 ; Zac 2,8 (« qui enim tetigerit vos tangit pupillam oculi eius »)188 ; Math. 10,24 (« Non est discipulus super magistrum nec servus super dominum suum »); 23,3 (« omnia ergo quaecumque dixerint vobis servate et facite, secundum opera vero eorum nolite facere »)189. La société ecclésiastique est organisée en façon hiérarchique, en descendant du pape romain aux patriarches ou primats (primates), archevêques ou métropolites, évêques, jusqu’aux ordres mineurs190. La hiérarchie des sièges épiscopaux est précisée dans l’Église carolingienne (par exemple dans l’Opus Caroli ou dans les traités de Ratramne et d’Énée de Paris)191 en polemique avec Byzance, mais aussi en Occident il y a une pluralité de perspectives ecclésiologiques. Si Boniface avait rappelé la responsabilité particulière des metropolites par rapport à celle des simples évêques192, et le concile de Meaux-Paris (qui rappelle une décretale de Lion I) et Hincmar soulignent les droits des sièges metropolitaines193, dans les fausses décretales la hiérarchie des

182 Epistola Clementis prima, 31, p. 40: «Homicidas vero et adulteros... et qui eis coaequales non erant, ab eorum vexatione et accusatione dicente domino prohibebat, et non nisi ab coaequalibus aliquid sibi inferre debere docebat, quia discipulum supra magistrum esse aut ullam ei iniuriam inferre nullatenus debere oportet»; 33, ibid.: «Maiores vero a minoribus nec accusari nec iudicari ullatenus posse dicebat, quoniam non solum hoc divinas, sed et leges saeculi inhibere dicebat». 183 Epistola Clementis prima, 42, pp. 44-45: «Hosque omnes eorum episcopos tota animi virtute diligere ut oculos suos, quia oculi sunt illorum: eorum praeceptis in omnibus obedire, aetiamsi ipsi aliter, quod absit, agant, memores scilicet illius dominici praecepti: Quae dicunt facite, quae autem faciunt facere nolite (Mt 23,3). Ipsi autem episcopi si exorbitaverint ab istis, non sunt repraehendendi vel arguendi, sed portandi, nisi in fide erraverint»; epistola Anacleti tertia, 30, p. 85: «Doctor autem vel pastor ecclesiae, si a fide exorbitaverint, erit a fidelibus corripiendus, sed pro reprobis magis est tollerandus quam distringendus, quia rectores ecclesiae a Deo sunt iudicandi» (qui rappelle Ps 81,1); voir Isidore, Sententiae III 39,4-6, p. 282. 184 Epistola Clementis prima, 38, p. 42: «Eos autem a solo domino iudicandos aut removendos, et non ab aliis esse dicebat, quia sui sunt et non alterius. Et quis est qui alterius iudicet servum? Nam et si ista non patiuntur homines, nec deus deorum et dominus dominantium haec ullatenus patitur». 185 Epistola Stephani, 7, p. 184; 13, p. 186: «Criminationes adversus doctorem nemo suscipiat, quia magis sunt doctores portandi quam ledendi aut infamandi. Unde ait apostolus: Alter alterius honera portate...». 186 Epistola Clementis secunda, 51, p. 50; Epistola Anacleti tertia, 38, p. 85: «Sententia quoque Cam filii Noe damnantur, qui suorum doctorum vel praepositorum culpas produnt, seu Cham qui patris pudenda non operuit, sed deridenda monstravit», emprunté à Isidore de Séville, Sententiae III 39,4, pp. 281-282. 187 Concilium Parisiense, I 19, p. 625; Jonas, Le métier du roi, 2, pp. 180-182; Epistola Anacleti secunda, 19, p. 76; tertia, 39, p. 85; Decreta Pii pape, 4, p. 117: «Deus stetit in sinagoga deorum, in medio autem deos discernunt». 188 Epistola Clementis prima, 37, p. 41; epistola Anacleti secunda, 19, p. 76; epistola Alexandri, 5, p. 96, qui rappelle aussi Luc 10,16 («Qui vos audit me audit»). 189 Epistola Clementis prima, 42, pp. 44-45. Pour Raban Maur, In Ecclesiasticum VII 9 (PL 109, 995D-996A) Jésus, qui à douze ans écoute les docteurs de la Loi et pose leur des questions (Lc 2,46-50), est le modèle du disciple respectueux. 190 Capitula Moguntiacensia, 10, dans Capitula episcoporum, III, p. 180. 191 Opus Caroli, I 6, , p. 133: «Sicut igitur ceteris discipulis apostoli et apostolis omnibus Petrus eminet, ita nimirum ceteris sedibus apostolicae et apostolicis Romana eminere dinoscitur». 192 Boniface, ep. 78, éd. Tangl, p. 163: «Maior enim nobis sollicitudo ecclesiarum et cura populorum propter pallia credita et recepta quam ceteris episcopis, quia proprias tantum procurant parrochias, incumbit». 193 Concile de Meaux-Paris, c. 31, dans MGH, Concilia III, p. 100: «Ut metropolitanis sedibus antiquitus statuta iura serventur et a comprovincialibus episcopis iuxta regulas ecclesiasticas eis reverentia exhibeatur»; Hincmar de Reims, De presbyteris criminosis, 8, dans PL 125, 1096C: «perfectum concilium illud est, ubi interfuerit metropolitanus

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sièges épiscopaux est fondée (selon un « principe d’adaptation », subordonné au « principe petrin ») sur le rôle des anciennes villes de l’Empire romain, et se superpose sur la hiérarchie sacerdotale juive et païenne: les jugements contre les évêques sont réservées aux primats ou patriarches, et, pour les questions les plus graves, au pape, « quoniam nec inter ipsos apostolos par institutio fuit, sed unus omnibus praefuit »194. Par conséquent la primauté de l’apôtre Pierre et de l’Église romaine (ainsi comme le sacerdoce d’Aronne) est le fondement du collège épiscopal et de toute la hiérarchie sacerdotale, selon une interprétation hiérocratique (pas encore « grégorienne »)195 du passage d’Isidore, qui avait remarqué que « sacerdotalis ordo a Petro coepit »196. L’épiscopat est un corps collégial, souvent défini ordo197, tandis que la métaphore conjugale est appliqué au rapport entre l’église locale et son évêque198 pour souligner l’indissolubilité du lien: l’évêque est le mari de l’église, qui ne doit pas l’abandonner, même s’il est coupable199. La sacralité de la foncion sacerdotale est liée aux sacrements et surtout à l’Eucharistie (à laquelle est appliqué le terme d’ « holocaustum », qui rappelle les sacrifices les plus perfects de l’Ancien Testament): les espèces eucharistiques doivent être gardées et consumées avec respect et révérence; la Communion des ministres doit être suivie par un jeûne de quelques heures, et les rapport sexuels ne sont pas compatibles avec la participation à l’Eucharistie et surtout avec le service à l’autel, qui demande la pureté intérieure et extérieure (laquelle marque la supériorité de l’homme sur les animaux irrationnels)200 et, aussi pour les laïcs, l’osservance de quelques règles de pureté de antistes»; ép. 160, 25, dans MGH, Epist. VIII, éd. E. Perels, Berlin 1939, p. 132, qui présente les métropolitains comme «cooperatores apostolicae sedis». Voir E. Lesne, La hierarchie episcopale : provinces, metropolitains, primats en Gaule et Germanie depuis la reforme de saint Boniface jusqu'a la mort d'Hincmar 742-882, Lille 1905; F. Kempf, Primatiale und episcopal-synodale Struktur der Kirche vor der gregorianischen Reform, dans «Archivum Historiae Pontificiae», 16 (1978), pp. 27-66; M. Stratmann, Hinkmar von Reims als Verwalter von Bistum und Kirchenprovinz, Sigmaringen 1991. 194 Epistola Clementis prima, 28-29, p. 39: «In illis vero civitatibus, in quibus olim apud ethnicos primi flamines eorum atque primi legis doctores erant, episcoporum primates poni vel patriarchas qui reliquorum episcoporum iudicia et maiora quotiens necesse foret negotia in fide agitarent... In illis qautem civitatibus, in quibus dudum apud praedictos erant etnicos eorum archiflamines... archiepiscopos institui praecaepit... in singulis vero reliquis civitatibus singulos et non binos vel ternos aut plures episcopos constitui praecepit... Hoc tamen providendum instituit, ne in villis aut in castellis vel modicis civitatibus instituerentur episcopi, ne vile eorum nomen fieret».Voir aussi epistola Anacleti prima, 16, pp. 73-74; secunda, 26, pp. 79-80; epistola Stephani 9, p. 185 (passages empruntés par Hincmar, Opusculum LV capitulorum, 15, PL 126, 329D-333AB). 195 Epistola Anacleti secunda, 18, p. 75; 22-24, pp. 78-79: «Initium enim sacerdotii Aaron fuit... In novo autem testamento post Christum dominum nostrum a Petro sacerdotalis cepit ordo, quia ipsi primo pontificatus in eclesia Christi datus est... Ceteri vero apostoli cum eodem pari consortio honorem et potestatem acceperunt, ipsumque principem eorum esse voluerunt»; tertia, 32-34, pp. 83-84: «Haec vero apostolica sedes cardo et caput ut factum est a domino, et non ab alio constituta, et sicut cardine hostium regitur, sic huius sanctae sedis auctoritate omnes eclesiae, domino disponente, reguntur». 196 Isidore, De eccl. off. II 5, 1 et 5, pp. 56-58: «Quod est sacerdotii fundamentum vel quo autore pontificalis ordo adolevit in saeculo? Initium quidem sacerdotii Aaron fuit... In novo autem testamento post Christum sacerdotalis ordo a Petro coepit». 197 Voir epistola Anacleti tertia, 28-29, éd. Hinschius, p. 82: «Sacerdotum, fratres, ordo bipertitus est... Episcopi vero domini apostolorum, presbiteri quoque septuaginta discipulorum locum tenent... Amplius quam isti duo ordines sacerdotum, nec nobis a Deo collati sunt nec apostoli docuerunt. Et apostolorum vero ordo unus est, licet sint primates illi, qui primas civitates tenent», emprunté par Hincmar, Opusculum LV capitulorum, 15, 331CD, avec la variante «Episcoporum vero ordo unus est» (déjà présente dans un manuscrit du Pseudo Anaclét). 198 Epistola Evaristi secunda, 4,, p. 90: «Sacerdotes vero vice Christi legatione funguntur in eclesia. et sicut ei sua est coniuncta eclesia, sic episcopis iunguntur ecclesiae, unusquisque pro portione sua»; epistola Callisti, 14, p. 139. 199 Epistula Evaristi secunda, 4, p. 90: «eclesia non licet dimittere aut ab ea se segregare episcopum suum, ut alterum vivente eo accipiat, sed aut ipsum habeat aut innupta maneat, id est, ne alterum episcopum vivente suo accipiat, vel fornicationis aut adulteri crimen incurrat»; epistola Callixti, 14, p. 139. 200 Hincmar, De cavendis vitiis, II 8, éd. Nachtmann, p. 221 ; Riculphe de Soissons, Kapitular, 6, dans Capitula episcoporum, II, p. 102; Epistula Clementis secunda, 45-46, éd. Hinschius, pp. 47-48, en particulier 48: «Praecipimus etiam, ne cum extero ecclesiae sive laico de fragmentis oblationum domini ponatur ad mensam. Unde scis tu qui passim sacrarii panes indignis inpendis, unde nosti si a mulieribus mundi sunt?», qui rappelle 1 Sam 21,3-6; epistola quarta, 81, p. 64: «Debemus aliquid amplius habere animalibus, utpote rationabiles homines et celestium sensuum capaces, quibus summi studii esse debet ab omni inquinamento cordis conscientiam custodire».Voir Isidore, De eccl.off. II 10, 2,

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l’Ancien Testament, comme la continence périodique. La hiérarchie des genres de vie est marquée aussi par les différents degrés de pureté et de participation au culte: par conséquent il faut que les prêtres (dont la qualité morale est plus importante que le nombre)201 soient toujours chastes, c’est à dir purs, car ils doivent célebrer chaque jour l’Eucharistie202. Hincmar exhorte les clercs à éviter la familiarité avec les femmes et à ne compter pas trop sur leur chasteté, en rappelant l’épisode de l’évêque Genebaudus, qui, déjà marié, après la promotion au ministère épiscopal a péché avec sa femme (avec laquelle il parlait souvent), car une vie de continence et le ministère ne garantissent pas l’immunité de la tentation203. À cette époque on entrevoit une croissante cléricalisation du monachisme, tandis que la participation des laïcs à la liturgie eucharistique devient plus passive: ils ne comprennent plus le latin204; le Canon de la Messe est désormais récité tout bas (à basse, à mi-voix) 205; et se répand l’idée que l’Église consiste surtout dans les prêtres (« Ecclesia in sacerdotibus constat »)206. Toutefois un canon du concile de Paris juge, en rappelant les Actes des apôtres et les épîtres de saint Paul, que aucun prêtre ne doit pas célebrer « solus » l’Eucharistie, car une telle pratique provoque une dehonorationem du mystère de la Messe207. Dans la perspective de l’élite cléricale carolingienne, la hiérarchie cléricale est supérieure à la hiérarchie sociale et politique (souvent évoquée par le binôme, par la couple praelati-subditi, nobiles-ignobiles, ou potentes-pauperes, qui n’a pas premièrement un sens économique)208, et ne peut pas être confondue ou superposée à elle: dans l’épître collective adressée en 858 à Louis le p. 69: «placuit patribus ut, qui sacra mysteria contrectant, casti et continentes ab uxoribus sint et ab omni carnali inmunditia liberi». 201 Epistula Clementis secunda, 47, pp. 48-49: «Tales ad ministerium eligantur clerici, qui digne possint dominica sacramenta tractare. Melius est enim domini sacerdotes paucos habere ministros qui possint digne opus Dei exercere, quam multos inutiles qui onus grave ordinatori adducant». 202 Voir Hincmar de Reims, Capitula presbyteris data, II 21, dans PL 125, 782A; Ratramne, Contra Graecorum opposita, IV, PL 121, 325A: «continentiae bonum et castitatis insigne... in omni ordine cum sit praedicabile, tum praecipue in sacerdotibus, ac reliquis sacri altaris ministris», 328AB. Sur la notion de pureté à l’époque carolingienne et sur l’essor de l’idéal célibataire voir R. Savigni, Purità rituale e ridefinizione del sacro nella cultura carolingia: l’interpretazione del libro del Levitico e dell’epistola agli Ebrei, in La purità e il culto nel Levitico. Interpretazioni ebraiche e cristiane, dans «Annali di storia dell’esegesi», 13/1 (1996), pp. 229-255; M. De Jong, Imitatio Morum. The Cloister and Clerical Purity in the Carolingian World, in Medieval Purity and Piety. Essays on Medieval Clerical Celibacy and Religious Reform,éd. M. Frassetto, New York-London 1998, pp. 49-80; P. G. Jestice, Why Celibacy? Odo of Cluny and the Development of a New Sexual Morality, ibid., pp. 81-115. 203 Hincmar, Vita Remigii episcopi, dans MGH, Script. rer. Merov. III, p. 301: «Qui Genebaudus plus quam necesse fuerat de anteacta vita ret gradus sublimitate confidens... incaute suam uxorem, quam relinquens mutaverat in sororem, quasi pro instructione salutari frequentius se visitare permisit ». 204 Sur l’éloignement, à l’époque carolingienne, de la culture cléricale latine par rapport à la langue parlée voir M. Banniard, Viva voce, Paris 1992, pp. 305-422. 205 J.A. Jungmann, Missarum sollemnia, trad. it., Torino 1953, pp. 70-74; II, p. 108; Congar, L’ecclésiologie, pp. 96-98; Savigni, Giona, pp. 169-170. 206 Voir Florus de Lyon, De expositione Missae, 13 et 42, PL 119, 26CD, 43A; epistola Pii papae secunda, éd. Hinschius, p. 118; et la variante de Grégoire IV, ép. 5, éd. E. Dümmler, MGH, Epist. V, p. 78: «Ecclesia in sacerdotibus maxime constat». 207 Concilium Parisiense, I 48, p. 642: «Inrepsit… repraehensibilis usus…, eo quod nonnulli presbyterorum sine ministris missarum sollempnia frequentent… Unde conveniendus, immo interrogandus nobis videtur huiusmodi corporis et sanguinis Domini solitarius consecrator: Quibus dicit: ‘Dominus vobiscum’? Et a quio illi respondetur: ‘Et cum spiritu tuo’ ? ». 208 Voire pour exemple Jonas, Le métier du roi, 10, p. 234 (« sive praelati sive subiecti ») ; Agobard, Op. 1, De grandine et tonitruis, 1, p. 3: «In his regionibus pene omnes homines, nobiles et ignobiles, urbani et rustici, senes et iuvenes, putant grandines et tonitrua hominum libitu posse fieri»; Radulphe de Bourges, Capitula Radulfi episcopi Bituricensis, 23, dans Capitula episcoporum, I, p. 251 (qui rappelle la Collectio Capitularium Ansegisi: Die Kapitulariensammung des Ansegis, II 39 et 42, éd. G. Schmitz, dans MGH, Capitularia, n.s. 1, Hannover 1996, pp. 560, 562): «Admonendi sunt etiam domini subditorum ut circa subiectos pie et misericorditer agant... Quia ergo constat in ecclesia diversarum conditionum homines esse, ut sint nobiles et ignobiles, servi, coloni, inquilini et cetera huiuscemodi nomina, oportet, ut, quicumque eis praelati sunt, clerici sive laici, clementer erga eos agant». Sur le binôme potentes-pauperes voir K. Bosl, "Potens" e "pauper", trad. it., dans La concezione della povertà nel Medioevo, éd. O. Capitani, Bologna 1974, pp. 97-151.

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Germanique (rédigée par Hincmar) les évêques du royaume de Charles le Chauve soulignent la différence essentielle entre la hiérarchie cléricale, dont la dignité e la sacralité se fonde sur le pouvoir de consacrer le pain eucharistique et sur le pouvoir des clefs, et le groupe des fidèles et des vassaux du roi: donc les évêques, dans lesquels l’ordination provoque une transformation ontologique, ne peuvent pas être obligés à jurer fidélité au roi comme des vassaux laïcs209. Au contraire Thégan, qui souligne la sacralité de la fonction impériale et la dignité de la noblesse (opposée à la condition servile), à laquelle il vaudrait réserver le pouvoir politique, s’oppose au rôle politique autonome joué par une part de l’épiscopat franc, dont il remarque l’infidélité au souverain et l’origine sociale parfois humble (« ex vilissimis servis »): le depassement des hiérarchies sociales, aussi par l’élite cléricale, est perçu comme un danger pour l’harmonie de la société chrétienne210. Quelques conclusions provisoires L’emphatisation de la sacralité et du rôle de la hiérarchie ecclésiastique a été favorisé par l’essor du réalisme eucharistique et par l’élaboration d’une nouvelle conception de l’image et rassemblance de Dieu après la querelle des images211, tandis que contre l’adoptianisme Paulin d’Aquilée souligne (en rappelant Ex 20,26) que dans la Trinité divine il n’y a pas de hiérarchie212. . Aussi la controverse sur la prédestination favorise une réflexion sur le problème de la valeur des médiations hiérarchiques et de l’institution ecclésiastique: Gotescalc d’Orbais, en interprétant librement le sermon 62 de saint Augustin, déprécie les hiérarchies terrestres, et juge qu’on peut désobéir à une autorité qui s’oppose à la loi divine en appelant à l’autorité supérieure, et surtout à Dieu213, tandis que Raban Maur (pour lequel Dieu est l’«universitatis ordinator»)214 et Hincmar refusemt la possibilité, théorisé par Gotescalc, de s’adresser directement à Dieu, en dépassant le corps de l’Église215. Hincmar souligne le rôle médiateur de la loi (surtout ecclésiastique) et de la

209 Epistula synodi Carisiacensis, 15, dans MGH, Concilia, III, p. 425: «Et nos episcopi Domino consecrati non sumus huiusmodi homines, ut, sicut homines saeculares, in vassallatico debeamus nos cuilibet commendare.. Manus enim chrismate sacro peruncta, quae de pane et vino aqua mixto per orationem et crucis signum conficit corpus et Christi sanguinis sacramentum, abhominabile est, quicquid ante ordinationem fecit, ut post ordinationem episcopatus saeculare tergat ullomodo sacramentum». 210 Thégan, Vita Hludowici, 20, éd. Tremp, pp. 204-206 (qui rappelle 1 Roi 12,31; 2 Roi 17,32); 43-44, pp. 230-232, qui rappelle Math. 10,24 («Non est servus supra dominum suum»); Lam. 5,8 («Servi dominati sunt nostri») et souligne l’impossibilité pour un serf d’acquérir la noblesse par la carrière ecclésiastique («Fecit te bliberum, non nobilem, quod impossibile est»); 50, p. 242 ; 56 p. 252 (Ebbon est défini « Turpissimus rusticus ») ; Appendix, p. 272. 211 A.M. Orselli, Controversia iconoclastica e crisi del simbolismo in Occidente fra VIII e IX secolo, dans Orselli, Tempo città e simbolo fra Tardoantico e Alto Medioevo, Ravenna 1984, pp. 81-110; R. Savigni, Esegesi medievale ed antropologia biblica: l’interpretazione di Genesi I-III nei commentari carolingi ed i suoi fondamenti patristici, in «Annali di storia dell’esegesi», 10/2 (1993), pp. 571-614. 212 Paulin d’Aquilée, Contra Felicem libri tres, II 23. Voir aussi Isidore de Séville, Quaestiones in Vetus Testamentum. In Exodum, 34,1; Ambroise Autpert, Expositio in Apocalypsin, III 5. 213 Gotescalc, De trina deitate, éd. D.C. Lambot, Oeuvres théologiques et grammaticales de Godescalc d’Orbais, Louvain 1945, p. 96: «Verbi gratia, si pater tuus qui est in civitate minor est iudice vel vicecomite et tamen eis contra legem vult resistere nec potes tu patrem tuum corrigere, tunc patrem tuum dimitte atque te iudici sive vicecomiti subde... si autem imperator contra Deum vult peccare et ipsi repugnare, maxime si ipse eum negat et tibi ut eum neges imperat, tu huius modi funditus, ut sine dubio debes, imperatorem dimitte et domino Deo te tota devotione summitte quin et ipsi te pronus omnino committe», analysé par G.L. Potestà, Ordine ed eresia nella controversia sulla predestinazione, dans Giovanni Scoto nel suo tempo. L’organizzazione del sapere in età carolingia, Atti del XXIV Convegno di Todi (1987), Spoleto 1989, pp. 383-411, en particulier 401-402: «Le gerarchie pubbliche ed ecclesiastiche della cristianità carolingia vengono sistematicamente relativizzate quali potentiolae al cospetto dell’assoluta onnipotenza di Dio; e l’obbedienza ad esse dovuta da parte del singolo viene interamente sospesa all’osservanza da parte loro della legge divina», et 411, qui entrevoit dans Gotescalc un «disprezzo per l’ordine e le gerarchie mondane». 214 Raban Maur, In Ecclesiasticum, PL 109, 1002C. 215 Hraban Maur, ep. à Hincmar de Reims (850), dans MGH, Epist. V, n. 44, p. 498: «suam autem locutionem ad solum Deum celis presidentem convertit, indignum sua allocutione iudicans quicquid in terra est. Quasi fas sit contemptis membris corporis Christi, ad ipsum caput verba dirigere, cum nullo modo caput a membris separari possit». Voir M.

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hiérarchie: le roi est soumis à la loi216 et à l’autorité des évêques, en tant que throni Dei, médiateurs de la volonté et du jugement de Dieu et dépositaires du pouvoirs des clefs 217. Jean Scot, qui compare l’univers à une res publica gouverné par la loi et à une grand maison dirigée par un père de plusieurs familles218, identifie la notion de prédestination avec celle d’un ordre universel éternel et immuable par lequel la Volonté toute-puissante de Dieu guide le monde et l’histoire: la structure hiérarchique de l’Église et de la société n’est pas seulement la punition pour le péché, mais un moyen pour reformer, au-delà de toutes les divisions, l’image et la ressemblance de Dieu dans l’homme (qui est le centre et le médiateur de toutes les créatures, medietas atque adunatio omnium creaturarum) et l’unité perdue après le péché originel 219. On peut donc entrevoir un tornant, dans l’«imaginaire» de la hiérarchie, autour de la moitié du IXe siècle.

Cristiani, Dall’unanimitas all’universitas, p. 163: «La polemica violenta contro la dottrina di Gotescalco... rappresenta soprattutto, nell’opera di Incmaro di Reims, il momento in cui la realtà della Chiesa, il carattere necessario e insostituibile della mediazione sacerdotale si affermano, dialetticamente, con una consapevolezza nuova» et 165 (avec référence à un passage du De praedestinatione, XXV: «nella versione di Incmaro, lo hierarchas, l’uomo di chiesa, è colui che vuole la salvezza d tutti gli uomini». 216 J. Devisse, Hincmar et la loi, Dakar 1962. 217 Hincmar, De divortio Lotharii, Appendix, Resp. 6, pp. 247-248: «Et apostolica auctoritas commonet, ut et reges etiam oboediant praepositis suis in Domino, qui pro animabus eorum invigilant, ut non cum tristitia hoc faciant», qui rappelle Ps 2,10-12; Héb 13,17; Mt 18,15-18 et l’épître du pape Gélase. Sur l’image des évêques comme throni Dei voir aussi MGH, Capitularia, II, n. 300 (859), c. 3, p. 451. 218 M. Cristiani, Introduzione, dans Giovanni Scoto, Omeli sul Prologo di Giovanni, Milano 1987, p. LI, qui entrevoit dans l'Expositio super hierarchiam caelestem une «straordinaria proiezione cristiana, intensamente spirtualizzata, della Repubblica platonica». 219 Jean Scot, Periphyseon, II 9; voir aussi II 5; II 7. Voir Cfr. G. d’Onofrio, I fondatori di Parigi. Giovanni Scoto e la teologia del suo tempo, in Giovanni Scoto nel suo tempo. L’organizzazione del sapere in età carolingia, Atti del XXIV Convegno di Todi (1987), Spoleto 1989, pp. 413-456. Pour Jean Scot, qui a connu probablement la cosmologie du Thimée de Platon par l’intermédiaire de la traduction de Calcidius, le monde d’ici-bas est un cosmos ordiné et hiérarchisé (C. Martello, Simbolismo e Neoplatonismo in Giovanni Scoto Eriugena, Catania 1986, p. 19).