Competence

Embed Size (px)

DESCRIPTION

approche par compétence

Citation preview

  • COMPETENCE(S) ET REALITES COGNITIVES

    Jacques Baill et Franoise Raby

    Universit Pierre-Mends-France, Grenoble

    Laboratoire des Sciences de lEducation

    I. La comptence un objet commun lcole et lentreprise.

    Les tenants de louverture de lcole sur la socit, ceux qui prconisent les bienfaits dune

    formation tout au long de la vie, ceux qui placent la construction dune image de soi

    gratifiante comme objet du procs ducatif, les thurifraires des toujours nouvelles

    technologies de linformation et de la communication, bref les nouveaux humanistes,

    pdagogues et entrepreneurs, peuvent savourer dans la frquence dusage, ordinaire ou savant,

    du mot comptence le triomphe de ce qui leur tient lieu de doctrine. Quant ceux qui, loin

    dentonner lhymne convenu, voient aussi dans la formation un leurre destin dtourner

    lesprit revendicatif des brutaux ajustements de lexclusion ou du chmage, ils peuvent

    poursuivre, sans grande chance dtre entendus, leurs interrogations sur les fonctions et,

    ventuellement, la dnotation du mot comptence.

    Pourquoi ce mot connat-il un tel succs ? Ce succs est-il li la tendance naturelle du

    monde de la formation de lenseignement la formation professionnelle tre un monde

    proleptique ? Autrement dit, la fortune du mot rsulte-t-elle des modes contemporains

    danticipation et de prvision ? Trahit-elle un souci rmanent dasservir le dveloppement de

    la personne aux transformations socio-conomiques ? Participe-t-elle du nouveau totalisme

    qui sexhibe dans cette frnsie valuative touchant simultanment lcole et lentreprise ?

    Sans doute toutes ces bonnes raisons sont convoques dans la socit de comptition et

    saccordent fort bien lhypocrisie contemporaine qui tout la fois clbre le culte de la

    performance et sen excuse.

  • Lordre des questions laisse aussi penser quun lien, plus fort quon ne le croit

    gnralement, a pu stablir entre lducation et le monde des entreprises. Sil tait besoin de

    constater la permabilit de lducation aux ides socio-conomiques dominantes, les

    rapprochements suivants suffiraient : mondialisation, globalisation des changes, flexibilit et

    gestion individuelle des carrires dun ct, ouverture de lcole, approche globale (inter et

    mtadisciplinaire) de la formation, individualisation de lenseignement de lautre. Certes, une

    telle numration ne saurait rflchir un rapport univoque entre socit et pratique ducative.

    Simplement, elle illustre comment se construit, travers lexpansion de rfrents issus dun

    monde tranger lcole, et sans que cela soit jamais reconnu par ceux qui sont,

    consciemment ou non, en charge de la diffuser sous couvert de rforme, une idologie (cf. Le

    Goff, 1999).

    Lusage du mot comptence dans la logomachie managriale et sa rcupration par les

    pdagogues saccordent cette injonction paradoxale daccrotre lautonomie du sujet

    (oprateur, enfant, lve) en le soumettant dincessantes valuations. Cela au moment o les

    doctrines qui rigent lapprenant en acteur de sa propre formation stipulent que llve trouve

    en lui, comme lesclave du Menon, toutes les ressources les comptences pour participer

    au festin de lpistm. Faute dapptit, il sera toujours invit spanouir dans lapprendre

    tre . Ngligeant qu lcole saffirme lextriorit qui accomplit la libert au lieu de la

    blesser : lextriorit du Matre . (Lvinas, 1987, p.102), le pdocentrisme moderniste ajuste

    la relgation de lenseignant labaissement des exigences acadmiques. Sachant ce qua

    donn un tel programme aux Etats-Unis dans la premire moiti du XXe sicle on devrait

    sinquiter avec Bulle (1999) de son extension lEurope dans le dernier quart du prcdent

    sicle.

    Les formes traditionnelles de lenseignement, comme le systme taylorien pour lentreprise,

    jouent un rle de repoussoir pour le pdagogisme contemporain. Ces archomodles ne sont

    le plus souvent analyss quen termes gnraux, atechniques et haute teneur axiologique.

    Mais peu importe, puisquil sagit de clbrer la flexibilit et lautonomie des sujets, fussent-

    ils de trs jeunes lves, en vue dexiger deux une plus forte implication (responsabilit et

    culpabilit) individuelle. Dans les deux cas, entreprise et cole, ladhsion aux normes

    sociales suppose que les attributions de comptence sattachent la valorisation des

    attributions causales internes (Dubois, 1984). Litration des procdures dvaluation de

    comptences assorties dune distinction gratifiante, lorsque sont formules des explications

    causales internes, sapparenterait alors aux procdures de renforcement chres aux no-

    bhavioristes. Cela signifie quune adhsion la norme dinternalit participe toujours dune

  • fonction instrumentale. Que lusage suppos clairvoyant dune telle norme (Py & Somat,

    1991, 1996 ) sefface au bout dun certain temps (Chanouf, Py & Somat, 1995), confirme en

    fait sa nature de renforateur secondaire et, partant, sa disponibilit instrumentale sur le plan

    de la subjectivit. Le projet de dlivrer chaque lve qui va quitter le (nouveau !) collge

    franais un carnet-portefeuille o seront consignes, parmi toutes ses comptences, celles qui

    ne sont pas lies aux performances scolaires, en favorisant une auto-prsentation positive de

    soi devrait donc renforcer lintriorisation de normes dvaluation. On en attend que

    ladolescent soit en de bonnes dispositions lgard des frquents bilans que sa future

    insertion professionnelle et la gestion de sa carrire exigeront.

    Mais lidologie entrepreneuriale dominante ne suscite pas quune adhsion positive. On peut

    aussi reprer dans lirruption du vocable lcole une raction de dfense, une parade devant

    lusage de bilans dits de comptences qui rabaissent le rle du diplme face lexprience

    professionnelle. Certes, les privilges qui rehaussent lentre en carrire des diplms issus

    des plus prestigieuses institutions scolaires confrent encore au parchemin et pas quen

    France, mme si dans ce pays leffet reste trs longtemps perceptible une valeur sociale non

    ngligeable, bien sr proportionnelle sa raret. Mais lvolution des organisations et des

    modalits techniques de production de biens et de services, tend disjoindre de plus en plus

    souvent a russite au travail de la russite scolaire et, dsormais, (pour autant que les chances

    soient gales) le niveau de russite scolaire ne constitue pas un prdicteur des rsultats

    professionnels ultrieurs (Lvy-Leboyer, 1993, p. 19).

    A ces mcanismes contextuels, largement sous-estims par lordre didactique, il faut ajouter

    une confusion dordre smantique entre comptence et habilet. Dans nombre de ses usages,

    le terme franais comptence renvoie moins au mot anglais competence qui signifie capacit

    ou aptitude qu skill qui sera indiffremment traduit par habilet ou comptence.

    Contrairement Leplat (1991) qui considre les termes quivalents, nous pensons que la

    diffrence de dnotation mrite dtre aborde comme question fonctionnelle, car elle recoupe

    celle de la nature des variables et facteurs qui dcrivent ces dites comptences et les

    transforment en objet dvaluation. Quoique dterminante pour la diffrenciation en contexte

    des individus, une habilet peut tre dcrite par des variables comportementales et/ou

    procdurales isoles, directement attaches lexcution dune classe de tches, sans tenir

    compte de lenvironnement dans lequel chacune sinscrit.

    Si le mot habilet dnote des procdures locales, non ncessairement transfrables dautres

    objets, reprables dans une performance isole, alors la comptence sen distingue, en

    recouvrant des conduites plus molaires et surtout des potentialits. Tel, habile en calcul, peut

  • connatre des difficults pour rsoudre des problmes lmentaires ; tel qui possde une

    course bien rgle, ne saura se replacer dans les squences dynamiques dun match ; tel autre

    qui sait bien souder sur un poste oxyactylnique sera moins efficace sur un poste lectrique.

    Des routines gestuelles jusqu lintelligence ruse (la mtis des grecs), une habilet peut faire

    lobjet dune description prcise pour autant que la tche sous laquelle elle sexprime soit

    elle-mme accessible lobservation. Elle entre paradoxalement dans lconomie cognitive

    la fois comme explicitation de diffrences quasi naturelles entre sujets et comme rsultat dun

    apprentissage. Une habilet sacquiert et se dveloppe au cours dpreuves rptes (par

    apprentissage) ou par lentremise de processus vicariants (Reuchlin, 1978) qui restent

    tonnamment sous-estims dans le champ de la formation, malgr le caractre multimodal de

    la plupart des perceptions et le paralllisme de nombreux traitements. Pour parler dans lair du

    temps, peut tre sera-t-on un jour conduit voir en la comptence un processus intgrateur

    dhabilets rparties en autant de modules autonomes.

    Nous contracterons les remarques qui prcdent en une seule question : de quel ancrage

    rationnel sinon scientifique peut se prvaloir un mot quun usage soutenu tend porter au

    rang de concept ? La logomachie managriale recouvre une pauvret conceptuelle qui serait

    seulement affligeante si elle navait pour fins, en dliant formation du salaire et qualification

    ou en privilgiant des formes molaires de qualification, le renouvellement des modes de

    gestion de la main duvre (cf. Zarifian, 1988). Fort propos, et malgr leur apparente (ou

    relle) balkanisation, ce sont les sciences cognitives qui vont fournir un cadre conceptuel

    lvaluation des comptences.

    Ce nest gure surprenant. Lessor concomitant des sciences de lorganisation et des sciences

    cognitives doit beaucoup ces totalits artificielles ou cyberntiques qui considrent lesprit,

    le cerveau et la socit comme mtaphores de lordinateur. Les langages formels et les

    calculs, qui dterminent aussi bien les divers systmes symboliques que les rseaux de

    neurones, ont rendu possible la simulation de conduites slection dinformations,

    apprentissages, raisonnements, prises de dcision, dialogues opratifs de jeux ou de travail.

    Il tait invitable que gestion et cognition se rencontrent et interagissent dans un monde quon

    dit tre celui de linformation. Lexemple bien connu dune telle collusion est celui dHerbert

    Simon, qui, sous le paradigme du traitement humain de linformation, participa la fondation

    des sciences cognitives tout en sattachant ltablissement dune administration efficace. On

    trouvera chez Stroobants (1993) la mise en perspective historique des effets de ce

    cognitivisme, en particulier lorsquil devint intelligence artificielle, sur la redfinition des

    comptences au travail.

  • En privilgiant la gestion par projet, comme dans lentreprise, tant au niveau de la classe qu

    celui de ltablissement, avec les procdures de rgulation propres ce type de

    fonctionnement, en prtant des vertus miraculeuses aux technologies de linformation et de la

    communication, le pdagogisme contemporain, certes avec retard, souvre au paradigme du

    traitement humain de linformation ; paradigme dont limportance peut tre value laune

    du nombre de situations dites de rsolution de problmes qui figurent dsormais dans les

    scnarios didactiques. Face une telle volution, on aurait tort de croire que la discussion des

    thses de ceux qui prtent aux sujets humains, aux entits ducatives, industrielles ou

    administratives, les caractristiques fonctionnelles et formelles dartefacts de type ordinateur

    ou rseau nait dintrt que scientifique.

    2-De quelques objets cognitifsLa question de la formation et du dveloppement des comptences reste une question ouverte.

    Pour Leplat (1997), il entre dans la dfinition mme des comptences (au pluriel !) quelles

    soient apprises. Il est toutefois craindre quune aussi ferme position ne prsume quelque peu

    de la sensibilit des dites comptences un apprentissage, surtout si lon retient lhypothse

    chomskyenne En bref, rappelons que pour Vergnaud la comptence (au singulier) est la

    capacit dun locuteur produire et comprendre une langue, cette capacit sactualisant dans

    les performances que sont la comprhension et lmission de phrases nouvelles. Le postulat

    dindpendance de la syntaxe, le nombre et la varit des rgles de rcriture qui gouvernent

    le passage des structures de surface aux structures profondes, la place et les fonctions

    (voluant au cours de luvre) de la smantique, pour ne citer que quelques traits parmi les

    plus connus, interdiraient alors lacquisition dune langue de relever dun apprentissage

    oprant (cf. sa clbre rfutation du Verbal Behavior de Skinner). La comptence serait ce

    mcanisme proprement endogne qui permettrait la langue de se dvelopper comme un

    organe gntiquement programm. Cela ne signifie pas que tout apprentissage doive tre

    proscrit. Pour la thorie dite Principes et Paramtres (Chomsky, 1996), les paramtres

    correspondant aux caractristiques des langues particulires font lobjet dun apprentissage

    relativement rapide et limit dans le temps. Le passage des principes, qui relvent dune

    grammaire universelle (inne), aux paramtres sopre laide dun systme de calcul trs

    gnral.

  • Malgr son vidente brivet, un retour sur Chomsky et sur sa conception de la comptence

    nous a sembl utile dans la mesure o au regard de ce qui nous occupe ici, il nous engage

    rflchir sur le postulat dducabilit. Cette rflexion, dont nous nesquisserons que les

    prolgomnes, se veut dubitative lgard du credo qui pose que tout objet ou mcanisme

    dessence cognitive, langue, raisonnement, croyance, image mentale, calcul, mmoire, etc.

    est intrinsquement ducable. Or, lducabilit de nombreux mcanismes cognitifs reste

    incertaine et se dfaire de lillusion quon peut agir par voie dapprentissage directement (et

    rapidement) sur eux reste un grand achoppement pour lesprit.

    La plupart du temps, le terme de comptence recouvre des modles cognitifs qui se

    rpartissent entre des modles locaux prsentant un niveau doprativit aisment accessible

    et une faible capacit dintgration (de varits doprations et de traitements) et des modles

    gnraux fortement intgrateurs, mais dont la traduction empirique est loin dtre immdiate

    ou aise. Ces modles gnraux sont eux-mmes volutifs. Ainsi, peut-on noter limportance

    prise par les mmoires dans les mcanismes de comprhension. Si lon peut regretter que

    comprendre et acqurir reviennent dsormais pour lessentiel activer des systmes

    mnsiques, il convient toutefois daccorder au modle ACT dAnderson (1983) une place

    part dans la mesure o, en distinction dautres, il renverse la hirarchie traditionnelle en

    plaant les procdures, les savoir-faire, la suite de savoirs dclaratifs dessence lexicale

    voire conceptuelle et un plus haut niveau de complexit. On trouvera dans Grgoire (1999)

    une bonne illustration de lefficacit de ce modle pour les valuations diagnostique et

    formative de comptences.

    Nous nvoquerons ici que le modle constructiviste, ou plus exactement une notion cl de ce

    modles, celle de schme, avec lintention de la relier la notion de comptence. Cest parce

    quil sintresse simultanment au dveloppement et au fonctionnement des savoirs, que

    Vergnaud insiste sur la notion de schme, qui est une organisation invariante de lactivit

    pour une classe de situations donnes (Vergnaud, 1991, p.136). Sil peut gnrer des

    conduites observables varies en fonction de la diversit interne la classe de situations

    laquelle il renvoie et de la diversit des registres smiotiques (langue naturelle, langues

    formelles, graphes, etc.) par lesquels il sexhibe, son organisation demeure invariante. En

    conciliant stabilit de lorganisation, plasticit des formes daction et varit des registres

    smiotiques, la notion de schme telle quelle a t prcise par Vergnaud, (1981, 1991, 1998)

    est suffisamment gnrale et fonctionnelle pour concerner aussi bien des conduites

    professionnelles que des activits plus abstraites et spculatives. Il est vraisemblable qu un

    nonc aussi extensif on oppose les critiques bien connues qua essuyes le constructivisme

  • piagtien (cf. Stoobants, op. cit, chap. X). Aussi convient-il de prciser quen dveloppant

    une dfinition fonctionnelle du schme incluant les modalits de sa mise en uvre pour des

    contenus spcifiques, les processus que dcrit Vergnaud ne se limitent pas, loin sen faut,

    un transfert de structures dun objet un autre, indpendamment de la nature de ces objets.

    Motrices, conceptuelles, sociales, les conduites humaines sont organises par des schmes qui

    permettent dagir sur le rel. La premire action est celle de la slection des donnes (des

    donnes physiquement isolables, jusqu'aux donnes isolables en tant que signifis) qui

    composent la ralit pour un sujet. Ces donnes sont accueillies et organises dans les cadres

    ( lexemple des frames de Minsky) dont il dispose. Mais un schme nest pas plus un simple

    cadre daccueil que la perception nest lenregistrement passif du spectacle du monde. Dans

    laction, le prlvement et laccueil des informations pertinentes soprent intentionnellement,

    en direction dun but, mais partir de connaissances pralables et stables, nommes invariants

    opratoires, vritables intgrateurs des traits particuliers de chaque situation. Parmi ces

    invariants opratoires on trouve des concepts qui dcrivent des proprits dobjets et des

    relations entre proprits, des propositions, cest dire les seuls noncs susceptibles dtre

    vrais ou faux, hic et nunc ou universellement et, enfin, les noncs ni vrais ni faux du type

    fonctions propositionnelles (au sens de Russell).

    Une telle perspective rvalue conjointement les mcanismes de traitement de donnes et les

    processus de conceptualisation. Aprs la dferlante du traitement de linformation , faut-il

    encore rappeler que pour un sujet, informations et donnes ne sont portes existence quen

    raison de leurs relations rciproques ? Dj, toute prise dinformation (visuelle, sonore, etc.)

    quivaut un travail de transformation de donnes. dun tout autre ct, cest partir des

    mcanismes de transformation de donnes en prdicats que se dveloppe la dynamique

    lmentaire conduisant la production dnoncs susceptibles dtre jugs vrais ou faux. Pour

    quun calcul de vrit soit initi partir dune formulation quelques conditions doivent tre

    remplies. En reprenant la prsentation de Vergnaud (1998), nous dirons quil faut que dans un

    nonc se prsentant sous la forme dun prdicat n places, les dites places soient occupes.

    Soient P(x) la formule tous les objets x ayant la couleur rouge ; Q (x, y) la formule x est plus

    grand que y et la formule y = 3x + z , tant que les places (une pour P(x), deux pour Q (x, y),

    trois pour y = 3x + z) ne sont pas occupes par des objets, on ne peut rien dire de vrai ou de

    faux sur ces formules. Ce ne sont que des fonctions propositionnelles. Dire rouge , plus

    grand que , revient produire des noncs sans valeur de vrit. En revanche, les noncs

    comme le mtal est rouge , Pierre est plus grand que Paul , ou bien, 18 = 3 4 + 6 sont

    des propositions susceptibles dtre vraies (ou fausses). Mme sil existe certains cas o le

  • jugement peut tre prononc sans que toutes les places soient occupes, la procdure

    dinstantiation ici considre revt un caractre dexemplarit pour de nombreuses conduites

    rationnelles.

    Si nous voquons les aspects prdicatifs de la connaissance, cest pour poser, certes de faon

    trop cursive, la question de la relation entre les connaissances opratoires de haute

    cognition , gnrales (du moins chacun des stades quelles prtendent dcrire, de lobjet

    permanent jusquaux groupements de relations) et les connaissances opratives,

    contextualises (situes et procdurales). A lcole comme dans la formation professionnelle,

    en raison de leur prgnance, les consignes magistrales ou expertes ne dterminent que des

    activits contextualises et les mesures dcart entre le travail attendu et celui effectivement

    excut portent sur les performances, rarement sur les procdures. Le monde des schmes

    gnraux et stables que rve datteindre lvaluation, nest pas plus directement accessible que

    celui de la comptence et il reste de peu dintrt pour les matres ou les formateurs. Mais,

    pour se garder dun empirisme sans dessein, une valuation de lactivit (de ce qui est

    luvre pour lexcution des tches) devrait rendre compte du passage du cognitif

    (conceptuel, opratoire) lopratif par une construction inverse dont ce dernier constitue le

    point de dpart en raison de son accessibilit. Point de paradoxe ici condition de prendre en

    compte ces quelques oprations qui, linstar des relations entre les premires formes de la

    prdication et les constructions lexicales donc smantiques, dterminent, dabord et pour

    chaque homme, les relations distinctives, les saillances utiles au sein des mondes des objets,

    des signaux ou des signes, avant de dterminer bien plus tard dabstraites relations de

    relations. Dautres oprations se dvelopperont selon une trajectoire similaire. Ainsi, quoique

    emblmatique du travail savant et abstrait, la dduction simplantera dabord dans le langage

    vernaculaire (Lakoff, 1971) et sera par la suite cause dune discrimination scolaire non

    ngligeable, en particulier lencontre dlves engags dans des enseignements

    professionnels (Baill, 1981). Ces rsultats suggraient sinon une possible rvolution dans le

    monde des valeurs scolaires, au moins un rehaussement de la culture technique comme

    culture gnrale. Ils sont hlas toujours lordre du jour.

    Nos remarques sur la prdication sont rapprocher de cette manie dopposer connaissances

    dclaratives purement descriptives et connaissances procdurales lies des usages.

    Cette distinction entre deux connaissances verbalisables na quune faible valeur heuristique

    tant les connaissances dclaratives , en leurs formes verbales ordinaires, recouvrent

    loccasion des oprations complexes qui ne sont pas indpendantes de savoirs procduraux. Il

    nous parat plus important de considrer que les aspects prdicatifs de la connaissance

  • concernent directement lattention, pour peu que ce mot ne soit pas pris comme synonyme de

    vigilance. Cest au niveau des objets (matriels ou non comme le nombre) susceptibles

    doccuper les places laisses libres dans les prdicats que sexercent les activits

    attentionnelles. Ce quon appelle attention reposerait sur lusage dune relation prdicative (au

    sens logique et non grammatical du terme) pour prlever les objets adquats. Cette slection

    par les prdicats va fournir dimportantes variations de performances individuelles. Dune

    certaine faon, ces variations recoupent les traitements pilots par les donnes (bottom-up) et

    ceux pilots par les ides (top-down). Nous avons pu observer que la rdaction en temps

    limit, au cours dun examen terminal, de textes techniques partir de documents divers sur

    les plans smiotique et informationnel, permet de distribuer les performances sur deux

    classes, selon la nature du pilotage de leur lecture de ces mmes documents. Une russite dans

    les temps serait lie un prlvement de linformation qui instancie rapidement les objets

    (nombres, mots et formules) sur les proprits et relations qui singularisent la connaissance du

    domaine. Ceux qui chouent ou ne terminent pas temps ne disposeraient pas de schmas de

    proprits et de relations pour piloter leur lecture et instancieraient les objets selon un schme

    simplement paraphrastique et plus coteux en temps (Baill, 1997). Dans le domaine du

    traitement des reprsentations graphiques, nous avons pu voir que des adultes, confronts

    des problmes de proportionnalit simple comprenant des graphes, produisaient des

    jugements errons en focalisant sur la seule allure des pentes et en ngligeant dautres

    donnes objets et relations comme les nombres et les liens entre la pente et les points

    dintersection des courbes avec les axes (Baill & Vallerie, 1993). Cette prise en compte

    dune composante prdicative dans lattention nous loigne dune conception mcaniste de

    celle-ci. Il nest pas certain quon ait tir toutes les consquences de ce fait, en particulier pour

    ltablissement de relations intelligemment tutores, dans lenseignement, dans la

    formation, comme en EIAO.

    Dans les situations de travail auxquelles ils sont confronts, llve aussi bien que loprateur

    ont recours des invariants opratoires. La plupart de ces connaissances en actes ( concepts-

    en-actes ou thormes-en-actes ) qui orientent la prise dinformations et transforment les

    donnes initiales, se situent des niveaux inconscients et sont le plus souvent non verbalises

    et non explicitables. En consquence, bien que lexpertise de comptences ne puisse

    senvisager quen situation, on ne saurait identifier les verbalisations de llve ou de

    loprateur, lorsquelles se prsentent comme explicitations des oprations en cours, un

    fidle compte-rendu des activits effectivement engages dans laction. A tout le moins, elles

  • relvent dune interprtation, de la saisie de lactualit opratoire dans un formalisme non

    contingent.

    Enfin, les processus qui, sous lappellation de schmes, composent la comptence et

    permettent la rptition ou la transformation des oprations par un jeu de morphismes (Piaget,

    1990). Dans des situations de comparaison (de machines, de schmas, de figures, de

    proprits, etc.), la mise en correspondance se fera selon une progression qui dbute avec des

    oprations sur les seuls observables dun mme systme de signifiants, se poursuit par des

    infrences et aboutit aux relations entre des systmes de signifiants distincts. Dans la

    construction de la gomtrie on retrouve cette transition de lobservation directe des figures

    jusqu lalgbrisation (changement de systme de signifiants) en passant par les infrences

    partir des proprits de figures. Chez Vergnaud, les homomorphismes, comme classe

    particulire dapplication, jouent un rle-cl dans lextension des oprations et dans leur

    transfert vers dautres objets. Surtout, en dtectant quelles proprits dun systme de

    signifiants reprsentent quelles proprits du signifi (Vergnaud, 1998, p. 19), ils autorisent

    la traduction entre les divers systmes smiotiques et relient les invariants au monde.

    Lintrt de la conception de la comptence dont nous navons prsent que lesquisse, tient

    au fait quelle concilie fonctionnellement les aspects intentionnels, gnratifs et

    transformationnels des conduites effectives de lhomme au travail (de llve au

    professionnel). Cest aussi une conception qui rend compte du dveloppement et du progrs

    individuel par des oprations de coordination de schmes dans des systmes la fois

    hirarchiques et combinatoires. Les liaisons entre lintentionnalit, lanticipation

    (hirarchisation des buts), les invariants opratoires constitutifs du schme et les systmes

    smiotiques par lesquels il sexhibe, ne sont en rien linaires. En outre, si les divers

    apprentissages moteurs, verbaux ou de conduites spcifiques, ne sont pas sans effet sur

    lorganisation des schmes, les plus labors parmi ces derniers ne peuvent tre les effets

    directs dun apprentissage. Les constructions de schmes sont lentes et exigent parfois de trs

    longues dures. Puisque nous avons voqu le schme de la proportionnalit, prcisons quil

    se construit tout au long des scolarits primaire et secondaire.

    Au regard dune telle configuration opratoire, qui articule prdication, invariant opratoire,

    homomorphismes signifiants-signifis, homomorphismes internes la conceptualisation,

    combinatoire, les modles gnraux de raisonnement paraissent assez pauvres. Dans leur cas,

    lcart entre un modle logique self consistent et les processus conduisant aux performances

    ne permet pas toujours de retenir un modle cognitif raisonnablement explicatif. Par exemple,

    dans la modlisation cognitive de linfrence, les formalisations logiques et les modles

  • mentaux se disputent le rle de modle de rfrence. Certains considrent que le raisonnement

    infrentiel repose sur un ensemble de schmas et de rgles formelles (Rips, 1994). Les

    parcours pouvant dailleurs se faire des conclusions aux prmisses. Mais rien nindique que

    le dclenchement effectif dun comportement dcoule dune rgle, mme sil sagit de celle

    qui habituellement stimule ce comportement (Wittgenstein, 1961). Cette remarque va dans le

    sens de ceux qui estiment que le raisonnement infrentiel procde non de rgles formelles

    mais de modles mentaux (Johnson-Laird, 1983 ; Johnson-Laird & Byrne, 1991). Sous le

    principe selon lequel toute prmisse vraie produit des conclusions vraies, les modles

    mentaux fournissent les interprtations smantiques des prmisses dans lesquelles le sujet va

    rechercher une information vraie non encore mentionne. En fait ces modles mentaux, parce

    quils sont en ralit les cases de tables de vrit, dcrivent des processus a posteriori. A la

    diffrence des dmarches de Vergnaud, la comptence est ici prsente comme un processus

    symbolico-computationnel dont la modlisation a priori a pour premire obligation sa propre

    implmentation sur ordinateur (comme le modle ANDS de Rips).

    Si lon quitte le monde abstrait, mais non moins rel, des raisonnements, pour celui des

    oprations verbales, nous devons considrer une comptence verbale intgrant les plans de la

    production et ceux de la comprhension. Cette option nous permet dintroduire un nouvel

    objet cognitif li lorientation de laction : le contrle. Partons du postulat raisonnable selon

    lequel comprhension et production verbales sont connectes. Tout en reconnaissant

    limpossibilit actuelle dune modlisation unique des divers aspects de la production verbale

    orale et crite, Fayol (1997) signale lexistence de nombreuses donnes en faveur dun

    modle intgr. Les diffrences entre les deux modalits devraient tre envisages au niveau

    dune comptence unique, ici dun mme modle activateur. Toute tche de production

    verbale concerne une information focalise. Elle requiert des ajustements entre les

    informations dont dispose le sujet (but poursuivi, conventions sociales, destinataire,

    connaissance du domaine, etc.) et les affrences provenant du milieu. Ces ajustements seraient

    sous la dpendance de deux contrles, un contrle stratgique et un contrle local (Hermann

    & Grabowsky (1995), cits par Fayol). Le premier maintient les buts de la communication, il

    est activ dans les situations conventionnelles pour le faonnage ou la comprhension

    dnoncs partir de schmas disponibles, le second sera surtout ncessaire lencodage dans

    des situations peu familires, celles o les schmas disponibles sont peu efficaces.

    Bien entendu, il restera montrer que la valeur explicative du modle rsiste la varit des

    vises, des situations et des formes de communication. En lvoquant, nous avons voulu

    indiquer une direction selon laquelle les activits de production-comprhension ne dpendent

  • des structures textuelles que dans la mesure o celles-ci sont lobjet de calculs partir

    dinvariants cognitifs (opratoires), calculs qui procdent linstanciation de schmas et qui

    mobilisent la connaissance dun domaine. On nest pas loin des homomorphismes. De plus,

    lide quune articulation de contrles de nature diffrente (en particulier on line) serait

    ncessaire la production-comprhension verbale nest pas sans intrt quand les mthodes

    communicationnelles dominent en didactique des langues.

    Au terme de ce rapide examen, et sur un plan exclusivement technique, la question se pose de

    la comptence de qui prtend valuer les comptences dautrui. Avant de parler de matrise

    dans lusage de ces modles et notions, encore faudrait-il sassurer quils sont seulement

    connus. Si tel est le cas, alors se pose la question de leur mise en uvre effective sur le terrain

    puisque la varit des contextes nimplique pas ncessairement une varit de comptences,

    mais plutt une varit des modes dactualisation des schmes de lvaluation.

    3- Nouveaux objets pour lvaluationSouvent, pour en trahir la pluralit dnotative, le mot comptence est assorti dun adjectif

    (comptences scolaires, comptences cognitives, etc.). A limpossibilit de principe

    (chomskien) dune observation directe de la (au singulier) comptence soppose la labilit des

    valuations empiriques de comptences (au pluriel). Toujours relatives aux normes, les

    diffrentes fonctions de lvaluation ngociation, traduction, interprtation, reconstruction

    saccommodent fort bien de la pluralit des comptences, visibles ou caches et de la

    variabilit de leur niveau de profondeur (jusqu cet tre dont on assure, sans souci

    dextravagance, quil peut tre objet dapprentissage ). Comme les icebergs, les comptences

    auraient une face cache (immerge dans laction) plus importante que la visible. Mais

    comment porter existence ces comptences caches sans risquer les drives dun

    cognitivisme qui, pratiquant modlisation sans preuve exprimentale, construit des modles

    autorfrencs dont la validit nest que mtaphorique (cf. Sternberg, 1990) ? On retrouve ici

    la question du passage de la cognition loprativit dans un corps de savoir qui est toujours

    un corps de savoir-faire.

    Laffaire est srieuse si lon considre que dans la gestion des entreprises, contrairement ce

    que prconisait de Montmollin (1991), aussi bien qu lcole, la notion de comptence,

    dsormais indissociable de lvaluation, participe lmergence de nouvelles normes (cf.

    Brangier & Tarquinio, 1998). Or, nimporte qui, manifestant quelques dispositions discursives

    de style managrial, peut sriger en valuateur de comptences. Linscription de la notion de

  • comptence dans la sphre de la cognition, mme en satisfaisant quelques rquisits formels

    et mthodologiques, ne prsente aucune garantie lencontre de possibles mystifications.

    Lintention de perfectionner les mcanismes cognitifs pour accrotre le rendement du travail

    nous alerte sur les manipulations scientifiquement non recevables auxquelles peuvent tre

    soumis lves et autres travailleurs. Pour admettre le bien-fond de cette mise en garde, il

    suffit de se reporter aux rsultats dtudes relatives lefficacit proprement cognitive des

    mthodes dites dducabilit cognitive (Huteau et al., 1994). Objectivement tablie, la faible

    efficacit de ces mthodes devrait modrer la crdulit des usagers, sauf imaginer quelles

    servent autre chose, dans lindustrie, lenseignement et les services, quau perfectionnement

    des seules comptences intellectuelles.

    A lissue de ces remarques, la question de savoir si lvaluateur doit manipuler les quelques

    objets voqus au paragraphe qui prcde cesse dtre une question dopportunit technique.

    Mais avant daller plus loin, sans doute devrait-on prciser de quel valuateur nous parlons. Il

    ne sagit pas ici dun valuateur idal, mais dun valuateur rel qui, travers lexpertise de

    lactivit de sujets en situation de travail, sefforce daccrotre son autonomie cognitive dans

    llaboration de ses jugements. Dans cette optique, du seul point de vue technique, nous

    rpondrons donc quun valuateur devrait tre en mesure de manipuler tous ces objets,

    schmes, invariants opratoires, schmas de prdication, morphismes, oprations de contrle

    qui appartiennent au rpertoire de lactivit. Devant la liste des objets cognitifs spcifier en

    situation, prcisons que lanalyse de lactivit na rien dune dmarche taxinomique. Il parat

    donc convenable dviter aux comptences davoir sapparenter aux objectifs pdagogiques

    dont on connat trop bien les lourdes et inoprantes taxonomies. Pour cela, il faudra distinguer

    expertise des tches et analyse de lactivit.

    Si, pour nous, les schmes constituent un objet privilgi de lvaluation, nous avons aussi

    prcis quils ntaient pas directement observables. Les rendre visibles suppose un certain

    nombre doprations dont la premire sera de dterminer la classe de situations dans

    lesquelles ils sont actifs. Par exemple, pour la rsolution de problmes de proportionnalit, on

    considrera la classe des structures disomorphismes de mesure (relation entre deux

    ensembles de grandeurs sans cration dune mesure nouvelle). Les proprits de la classe

    dtermineront lensemble des procdures canoniques de rsolution, rendant ainsi visible un

    ventuel cart entre ces procdures et les procdures effectivement actives par llve ainsi

    que la sensibilit de celles-ci aux facteurs smiotiques. On voit donc quen prlude

    lvaluation, un lourd travail danalyse et de modlisation doit tre accompli.

  • Dans le domaine de la formation, trop souvent linvocation du cognitif, voire du

    mtacognitif sous linjonction de lapprendre apprendre ne sert qu masquer une

    mconnaissance relative un savoir et sa formation quand la double connaissance dun

    domaine scientifique ou technique et dune axiomatique de la pense est requise. Mais si une

    expertise des savoirs est reconnue ncessaire, encore doit-on rappeler que lexpert nest pas

    ncessairement expert de sa propre expertise et quil ne peut pas dclarer tout ce quil met

    en uvre pour russir lexcution de ses tches. Si la question de lexpertise des savoirs au

    travail (Stroobants, 1991) nest pas sans rapport avec celle de lextraction des schmes, cest

    qu ct des savoirs reprables sous la forme de concepts ou de thormes-en-actes, existent

    des savoirs souvent qualifis dinformels, des savoir-faire locaux intelligents, mais non appris

    lcole ou appris sur le tas, relevant de schmes encore non formaliss. Ils appartiennent la

    classe que Leplat (1997) dsigne sous le terme de comptence incorpore .

    Or ces comptences tacites sont rarement prises en compte dans la qualification, bien quelles

    prsentent les caractristiques dtre finalises, apprises, et organises en units coordonnes.

    Gilbert & Pigeyre (1993) rapportent que la promotion des techniciens suprieurs se heurte

    une logique de gestion qui privilgie le diplme plus que la comptence incorpore. On en

    voit la trace jusque dans lorganisation des formations. Ce nest pas pour favoriser

    lacquisition des comptences requises par de nouvelles fonctions, comptences dj acquises

    sur le terrain, que les formations proposes ces techniciens imposent des enseignements

    lourds, particulirement chargs en mathmatique et physique. Cest pour conserver la

    prparation du diplme sa valeur initiatique et pour ne pas attenter limage normative de

    lingnieur dont la formation relve encore du modle pyramidal des Idologues du XVIIIe

    sicle, modle la source de tout le systme ducatif moderne franais.

    Intermdiaire entre le savoir et le travail, la comptence permettrait la traduction des savoirs

    en actions en considrant sous le terme savoir, les connaissances et lexprience, la

    construction dun espace identitaire (de Terssac, 1993). La rsorption de la diffrence entre

    savoirs thoriques et savoirs daction qui serait en cours selon Barbier (1996) ne

    signifie pas absorption du second par le premier. Delbos & Jorion (1984) aprs avoir affirm

    que la science napparat lcole qu titre de simulacre et de dni lencontre du savoir de

    la pratique, dnoncent le fait que celui-ci, en loccurrence le savoir pratique des paludiers de

    Gurande, fasse lobjet dune valuation en rfrence au savoir scientifique, qui est aussi,

    selon eux, une forme inavoue du sens commun quincarne lcole. Un exhaussement des

    savoirs instrumentaux et corrlativement de la formation technique peut-il contribuer

    efficacement rapprocher les points de vue ?

  • La technologisation des savoirs intgre parfaitement, tout en le compltant, le cadre thorique

    de Vergnaud. Selon cette perspective, la connaissance procde dune relation instrumente

    lobjet. A ct des schmes gnraux, il existe plusieurs types de schmes lis lutilisation

    dartefacts : par exemple des schmes daction instrumente et des schmes dusage

    (Rabardel, 1995). Une telle organisation implique une dcomposition de la tche en tche

    premire qui correspond la rorientation globale dune activit par lusage dinstruments

    (acte instrumental au sens de Vygotski) et en tche seconde qui correspond la gestion des

    instruments ncessaires la premire.

    Dans laction, les savoirs institutionnellement reconnus ne supplantent pas ncessairement les

    savoirs incorpors. On peut mme voir en ces derniers des schmes dusage qui reprsentent

    en quelque sorte la signature ou la griffe dun style lorsquils dclenchent des catachrses,

    en recourant des usages non orthodoxes doutils, matriels ou cognitifs. Llve a tt fait

    lexprience de la difficult (et de la ncessit) dadopter des voies non habilites par le

    matre, pour rsoudre ses problmes dlve. Loprateur fait la mme exprience lorsquil

    recourt des tours de mains des ficelles pour excuter sa tche selon des procds

    non prvus par le bureau des mthodes. La distance est souvent grande entre le travail prescrit

    et le travail effectivement excut. Clot, (1998) montre comment, dans une situation de trafic

    trs dgrade, les conducteurs de trains de banlieue adoptent des procdures non prescrites et

    dveloppent des styles de conduite qui, selon lui, sapparentent des catachrses. Dans ce

    cas, la transformation des cadres et instruments professionnels en outils cognitifs revient

    reprendre la main dans des tches dvolues la machine. Une valuation de comptences

    devrait sattacher dcrire les procds par lesquels les objets concrets ou les rgles sont

    dtourns pour devenir des instruments pour laction, des ressources cognitives.

    Si la pluralit des dnotations du mot comptence fait problme, un problme nos yeux plus

    crucial reste celui de la faible varit des formes de lapprentissage gnralement considres.

    La mise en rapport de modles pluralistes de dveloppement (Lautrey, 1993) et de contraintes

    propres des situations didactiques diversifies reste marginale. Cest pourtant une des

    conditions requises pour assurer quelque pertinence la diversification, plus souhaite que

    ralise, des dispositifs de formation. Il sagirait alors de considrer que les problmes mal

    formuls, que les situations incertaines ont au moins autant dimportance que les problmes

    bien formuls et les situations didactiques bien rgles. Serions-nous alors si loin des

    situations adidactiques de Brousseau (Brousseau, 1986) ?

    Cela intresse lvaluation, car cest dans des situations incertaines que lon peut voir

    lassujettissement du sujet ses propres schmes se dplacer vers un assujettissement aux

  • schmes dautrui, puis faire retour dans un mouvement rpt, formateur didentit. Cest

    dans les situations incertaines que la rationalit fonctionne souvent limage de

    ltablissement dun diagnostic mdical, par rduction de lincertitude, sachant quune

    modlisation bayesienne nempchera pas les dcisions, dfaut dtre maximises, dtre

    simplement satisfaisantes (Simon, 1982). Enfin ce sont les situations incertaines qui stimulent

    linvention de routines pour prenniser la communication ou le contrat didactique. Relevons,

    pour le dplorer, ce mpris pdagogiste des routines, alors que leur rle est dcisif (et

    librateur) dans la vie des mesostructures ducatives. Explorer la signification cognitive des

    routines constitue un but dvaluation non trivial.

    Trop souvent bien formuls, les problmes poss lcole nont que de lointains rapports avec

    les problmes que lhomme rencontre dans sa vie courante et professionnelle, qui eux sont

    souvent mal poss (cest ce titre quils sont de vrais problmes). En ce cas, solliciter une

    application d'infrences quasi algorithmiques pour leur rsolution cest ngliger lventuelle

    activation de plusieurs modalits de traitement au sein desquelles les croyances joueraient un

    rle non ngligeable. Dans le traitement de cas incertains, les phnomnes de croyance

    pallieraient les insuffisances de rationalit, mais de faon non explicite. On aurait donc deux

    groupes de mcanismes infrentiels, les uns pour le raisonnement implicite, les autres pour le

    raisonnement explicite, les premiers dpendant principalement du contenu smantique et de la

    force des croyances, les seconds sappuyant principalement sur la morphologie des arguments

    et pouvant se librer de la force des croyances (George, 1997, p. 210).

    On nose imaginer des protocoles dvaluation fonds sur lintention de dtecter ces types

    dinfrences, par ailleurs non exclusifs. Pourtant, quand on connat lincidence des croyances

    sur les raisonnements, cest bien par leur dtection quil faut commencer. Cest ainsi que les

    analyses des reprsentations naves et spontanes en physique de sujets devant caractriser

    des forces qui sexercent sur des balles lances par un jongleur vont se rfrer ce bon vieil

    impetus des anciens (Viennot, 1979). Cest ainsi que, pour partie, le lien entre les variations

    de performances et diffrentes modalits dinsertion sociale dun enseignement et de son

    valuation (Monteil, 1988) pourrait tre expliqu par les affectations de croyance que ces

    insertions provoquent, les croyances sur le monde et/ou sur soi interagissant avec les

    modalits des situations de comparaison.

    Cest en faveur dun systme dvaluation de comptence(s) non mutilant que nous avons

    propos ces quelques pistes. Mais alors quun ensemble peu prs bien dlimit de

    disciplines disposes sinterpeller confre ltude des comptences un ralisme critique,

    lvaluation reste contingente. Cest dans sa nature. Les procdures dvaluation sont

  • dtermines par de nombreux facteurs, tels la nature et les dimensions des entits valuer,

    les prsupposs de gestion ou les normes culturelles. Evaluer revient toujours confronter des

    comportements ou des conduites des normes. Une rflexion sur lvaluation des

    comptences ne peut viter un dbat propos des normes. Mais celui-ci na de sens que sil

    met en jeu non lexistence de normes, mais les procdures qui fondent les sujets adhrer

    ces normes. Un tel dbat met en jeu simultanment les trois dimensions des contextes

    dassujettissement : micro (niveau de la cognition individuelle), mso (niveau des institutions)

    et macro (niveau de la culture socio-conomique). Pour quil soit tenu dans la vise dviter

    une rification des contextes aprs avoir risqu de rifier lesprit, on devra identifier comment

    les schmes singularisent chaque dimension (proprits, relations, prdicats) tout en autorisant

    les passages rpts dune dimension une autre (homomorphismes, raisonnements,

    contrles). Pour conduire un tel dbat, il faut admettre que lvaluation des comptences exige

    une analyse de second ordre portant sur les conditions gnrales de son fonctionnement. On

    saura donc que lvaluateur manipule de nouveaux objets, si on le voit dvelopper de

    nouvelles dmarches.

    Rfrences

    Baill, J. (1981). La comprhension du langage : une approche diffrentielle et fonctionnelle.

    Revue franaise de Pdagogie, 53, 13-18.

    Baill, J. (1997). Que prouve-t-on dans la recherche empirique en ducation ? In C. Hadji & J.

    Baill (Eds.) Recherche et ducation, vers une nouvelle alliance (pp. 191-221).

    Bruxelles : De Boeck.

    Baill, J. & Vallerie, B. (1993). Quelques obstacles cognitifs dans la lecture de

    reprsentations graphiques lmentaires. Les Sciences de lEducation, 1-3, 73-104.

    Baill, J., Py, J. & Somat, A. (1998). Lingnierie psychosociale revisite au travers des

    applications la formation professionnelle. In J. Py, A. Somat & J. Baill (Eds.)

    Psychologie sociale et formation professionnelle : Propositions et regards critiques

    (pp. 15-27). Rennes : Presses Universitaires de Rennes.

    Barbier, J.M. (1996) (Ed.). Savoirs thoriques et savoirs daction. Paris : Presses

    Universitaires de France.

  • Brangier, E. & Tarquinio, C. (1997). La comptence : modles et usages. Lmergence de

    nouvelles normes sociales. Connexions, 70, 13-30.

    Brousseau, G. (1986). Fondements et mthodes de la didactique des mathmatiques.

    Recherches en Didactique des Mathmatiques, 7, 33- 115.

    Bulle, N. (1999). La rationalit des dcisions scolaires. Paris : Presses Universitaires de

    France.

    Channouf, A., Py, J. & Somat, A. (1995). Internalit, clairvoyance normative et pratiques

    pdagogiques. Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 26, 72-87.

    Chomsky, N. (1996). Minimalist Program. Cambridge : MIT Press.

    Clot, Y. (1998). Le rel la source des comptences : le cas des conducteurs de trains en

    banlieue parisienne. Connexions, 70, 181-192.

    Delbos, C. & Jorion, P. (1990). La transmission des savoirs. Paris : Editions de la Maison des

    sciences de lhomme.

    Dubois, N. (1994). La norme dinternalit et le libralisme. Grenoble : Presses Universitaires

    de Grenoble.

    Fayol, M. (1997). Des ides au texte. Paris : Presses Universitaires de France.

    George, Ch. (1997). Le polymorphisme du raisonnement humain. Paris : Presses

    Universitaires de France.

    Gilbert, P.& Pigeyre, F. (1993). Lvaluation des comptences des techniciens suprieurs :

    quelles pratiques dans quel contexte ? Actes du colloque AGRH (pp. 282-288). Jouy-

    en-Josas.

    Grgoire, J. (1999). Que peut apporter la psychologie cognitive lvaluation formative et

    lvaluation diagnostique ? In Ch. Depover & B Nol (Eds.) Lvaluation des

    comptences et des processus cognitifs (pp. 18-32). Bruxelles : DE Boeck.

    Huteau, M., Lautrey, J. Chartier, D. & Loarer, E. (1994). Apprendre apprendre la

    question de lducabilit cognitive. In G. Vergnaud (Ed.) Apprentissage et

    didactique o en est-on ? (pp. 155-178). Paris : Hachette.

    Johnson-Laird, P.N. (1983). Mental Models : Towards a Cognitive Science of Language,

    Inference and Consciousness. Cambridge : Cambridge University Press.

    Johnson-Laird, P.N. & Byrne R.M.J. (1991). Deduction. Hove : Erlbaum.

    Lakoff, G. (1971). The role of deduction in grammar. In J.Filmore & D.T. Langendoen (Eds.)

    Studies in Linguistic Semantics (pp. 62-70). New York : Holt, Rinehart & Winston.

  • Le Boterf, G. (1994). La comptence essai sur un attracteur trange. Paris : Edition

    dorganisation.

    Le Goff, J.P. (1999). La barbarie douce : la modernisation aveugle des entreprises et de

    l'cole. Paris : Editions La Dcouverte.

    Leplat, J.(1997). Regards sur lactivit en situation de travail. Paris : Presses Universitaires

    de France.

    Levy-Leboyer, C. (1993). Le bilan de comptences. Paris Les Editions dOrganisation.

    Montmollin, M. de (1991). Introduction. In R. Amalberti, M. de Montmollin & J. Theureau

    (Eds.) Modles en analyse du travail (pp. 253-261). Lige : Mardaga.

    Monteil, J.M. (1988). Comparaisons sociales, stratgies individuelles et mdiations socio-

    cognitives : un effet de diffrenciation comportementale dans le champ scolaire.

    European Journal of Psychology of Education, 3, 3-19.

    Piaget, J. (1990). Morphismes et catgories. Neuchtel : Delachaux et Nietsl.

    Py, J. & Somat, A. (1991). Normativit, conformit et clairvoyance : leurs effets sur le

    jugement valuatif dans un contexte scolaire. In J.L. Beauvois, R.V. Joule & J.M.

    Monteil (Eds.) Perspectives cognitives et conduites sociales (pp. 167-193). Fribourg

    : DelVal.

    Py, J. & Somat, A. (1996). Internalit, clairvoyance normative et auto-prsentation : quelques

    vrifications et prolongements. In J.L. Beauvois, R.V. Joule & J.M. Monteil (Eds.)

    Perspectives cognitives et conduites sociales : contextes et contextes sociaux (pp.

    217-248). Neuchtel : Delachaux et Niestl.

    Rabardel, P. (1995). Les hommes et les techniques. Paris : Armand Colin.

    Reuchlin, M. (1978). Processus vicariants et diffrences individuelles. Journal de

    Psychologie, 2, 133-145.

    Rips, L.J. (1994). The Psychology of Proof. Cambridge (Mass.) : MIT Press.

    Simon, H.A. (1982). Models of bounded rationality. Cambridge : MIT Press.

    Sternberg, R.J. (1990). Metaphors of Mind : Conceptions of the Nature of Intelligence.

    Cambridge : Cambridge University Press.

    Stroobants, M. (1991). Travail et comptences : rcapitulation critique des approches des

    savoirs au travail. Formation Emploi, 33, 31-42.

  • Stroobants, M. (1993). Savoir-faire et comptences au travail : une sociologie de la

    fabrication des aptitudes. Bruxelles : Editions de l'Universit de Bruxelles.

    Terssac, G. de (1996). Savoir, comptence, travail. In J.M. Barbier (Ed.) Savoirs thoriques et

    savoirs daction (pp. 223-248). Paris : Presses Universitaires de France.

    Vergnaud G. (1981) (Ed.). L'enfant, la mathmatique et la ralit. Berne : Peter Lang.

    Vergnaud, G. (1991). La thorie des champs conceptuels. Recherche en Didactique des

    Mathmatiques, 10, 133-170.

    Vergnaud G. (1994). Apprentissages et didactiques ; o en est-on ? Paris : Hachette.

    Viennot, L. (1979). Le raisonnement spontan en dynamique lmentaire. Paris : Hermann.

    Vygotski, L. (1985). Pense et langage. Paris : Editions sociales.

    Zarifian, Ph. (1988). Lmergence du modle de, la comptence. In F. Stankiewicz (Ed.) Les stratgies

    dentreprise face aux ressources humaines. Laprs taylorisme (pp.77-82). Paris : Ecomica