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Ann Pathol 2006 ; 26 : 115-21 © Masson, Paris, 2006 115 Cas anatomo-clinique Accepté pour publication le 23 décembre 2005 Tirés à part : F. Boman, Anatomie et Cytologie Pathologiques, Site Eurasanté, Pôle Biologie-Pathologie, CHRU, 59037 Lille cedex e-mail : [email protected] Complexité de l’interprétation anatomopathologique dans le syndrome mégavessie-microcôlon- hypopéristaltisme intestinal Françoise Boman (1) , Rony Sfeir (2) , Michel Bonnevalle (2) , Rémi Besson (2) , Frédéric Gottrand (3) , Francis Jaubert (4) (1) Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Faculté de Médecine et Centre Hospitalier Universitaire, Lille. (2) Service de Chirurgie Pédiatrique, (3) Service de Pédiatrie, Faculté de Médecine et Hôpital Jeanne de Flandre, Centre Hospitalier Universitaire, Lille. (4) Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Faculté de Médecine Paris 5 et Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris. Boman F, Sfeir R, Bonnevalle M, Besson R, Gottrand F, Jaubert F. Complexité de l’interprétation anatomopa- thologique dans le syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal. Ann Pathol 2006 ; 26 : 115-21 Summary Complexity of pathological interpretation in megacystis- microcolon-intestinal hypoperistalsis syndrome Megacystis-microcolon-intestinal hypoperistalsis syn- drome is very rare, and is the most severe of the chronic intestinal pseudoobstructions. Diagnosis is usually made in the neonatal period, is clinical and radiological, and is confirmed by manometric stud- ies. Microscopic abnormalities are variable, incon- stant and nonspecific. They involve the smooth muscle more often than the intrinsic innervation of the gut and the bladder. A girl, currently seven years old, presented with megacystis observed on prenatal ultrasound at 21 weeks of gestation. At first, amniotic fluid volume was appropriate for ges- tational age, and then hydramnios appeared at 30 weeks of gestation. Microcolon was discovered at birth, with microileum, dilatation of the duo- denum and proximal jejunum, intestinal malposi- tion, and severe hypoperistalsis of the entire gastrointestinal tract, which indicated enterostomy and total parenteral nutrition from birth. At patho- logical examination, rectal biopsy and enteric ner- vous plexuses were normal. There was hypoplasia of the external longitudinal layer of the muscularis propria in the colon and ileum. Cajal cells could not be demonstrated immunohistochemically in the colon. This case highlights the complexity and diffi- culties of pathological interpretation in this syn- drome, and the necessity of a large study of controls at different ages and different levels of the digestive tract and the bladder. Key words: chronic intestinal pseudoobstruction, intesti- nal hypoperistaltism, megacystis, microcolon, megacystis- microcolon-intestinal hypoperistalsis syndrome. Résumé Le syndrome mégavessie-microcôlon-hypo- péristaltisme intestinal, très rare, est la plus sévère des pseudo-obstructions intestinales chroniques. Le diagnostic est habituelle- ment porté en période néonatale. Il est cli- nique et radiologique, et précisé par les études manométriques. Les lésions anato- mopathologiques sont variées, inconstantes et aspécifiques. Elles toucheraient plus sou- vent le muscle lisse que l’innervation intrin- sèque au niveau entérique et vésical. L’observation se caractérisait, chez une petite fille actuellement âgée de sept ans, par une mégavessie découverte à l’échogra- phie prénatale réalisée à 21 semaines d’amé- norrhée. Le liquide amniotique était d’abord en quantité normale pour l’âge gestation- nel, puis un hydramnios est apparu à 30 semaines d’aménorrhée. Un microcôlon était découvert à la naissance, avec micro- grêle distal et dilatation duodénale et jéjunale proximale, malposition intesti- nale, et hypopéristaltisme sévère de tout le tube digestif nécessitant une entérosto- mie et une nutrition parentérale totale depuis la naissance. À l’examen anatomo- pathologique, la biopsie rectale et les plexus nerveux entériques étaient d’aspect normal. Il existait une hypoplasie de la couche longitudinale externe de la muscu- leuse au niveau colique et au niveau iléal. Les cellules de Cajal n’étaient pas mises en

Complexité de l’interprétation anatomopathologique dans le syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal

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© M a s s o n , P a r i s , 2 0 0 6

115

Casanatomo-clinique

Accepté pour publication le 23 décembre 2005

Tirés à part :

F. Boman, Anatomie et Cytologie Pathologiques, Site Eurasanté, Pôle Biologie-Pathologie, CHRU, 59037 Lille cedex e-mail : [email protected]

Complexité de l’interprétation anatomopathologique dans le syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal

Françoise Boman

(1)

, Rony Sfeir

(2)

, Michel Bonnevalle

(2)

, Rémi Besson

(2)

, Frédéric Gottrand

(3)

, Francis Jaubert

(4)

(1) Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Faculté de Médecine et Centre Hospitalier Universitaire, Lille.(2) Service de Chirurgie Pédiatrique,(3) Service de Pédiatrie, Faculté de Médecine et Hôpital Jeanne de Flandre, Centre Hospitalier Universitaire, Lille.(4) Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Faculté de Médecine Paris 5 et Hôpital Necker-Enfants

Malades, Paris.

Boman F, Sfeir R, Bonnevalle M, Besson R, Gottrand F, Jaubert F.

Complexité de l’interprétation anatomopa-thologique dans le syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal.

Ann Pathol 2006 ; 26 : 115-21

Summary

Complexity of pathological interpretation in megacystis-microcolon-intestinal hypoperistalsis syndrome

Megacystis-microcolon-intestinal hypoperistalsis syn-drome is very rare, and is the most severe of thechronic intestinal pseudoobstructions. Diagnosis isusually made in the neonatal period, is clinical andradiological, and is confirmed by manometric stud-ies. Microscopic abnormalities are variable, incon-stant and nonspecific. They involve the smoothmuscle more often than the intrinsic innervation ofthe gut and the bladder. A girl, currently sevenyears old, presented with megacystis observed onprenatal ultrasound at 21 weeks of gestation. Atfirst, amniotic fluid volume was appropriate for ges-tational age, and then hydramnios appeared at

30 weeks of gestation. Microcolon was discoveredat birth, with microileum, dilatation of the duo-denum and proximal jejunum, intestinal malposi-tion, and severe hypoperistalsis of the entiregastrointestinal tract, which indicated enterostomyand total parenteral nutrition from birth. At patho-logical examination, rectal biopsy and enteric ner-vous plexuses were normal. There was hypoplasiaof the external longitudinal layer of the muscularispropria in the colon and ileum. Cajal cells could notbe demonstrated immunohistochemically in thecolon. This case highlights the complexity and diffi-culties of pathological interpretation in this syn-drome, and the necessity of a large study of controlsat different ages and different levels of the digestivetract and the bladder.

Key words:

chronic intestinal pseudoobstruction, intesti-nal hypoperistaltism, megacystis, microcolon, megacystis-microcolon-intestinal hypoperistalsis syndrome.

Résumé

Le syndrome mégavessie-microcôlon-hypo-péristaltisme intestinal, très rare, est la plussévère des pseudo-obstructions intestinaleschroniques. Le diagnostic est habituelle-ment porté en période néonatale. Il est cli-nique et radiologique, et précisé par lesétudes manométriques. Les lésions anato-mopathologiques sont variées, inconstanteset aspécifiques. Elles toucheraient plus sou-vent le muscle lisse que l’innervation intrin-sèque au niveau entérique et vésical.L’observation se caractérisait, chez unepetite fille actuellement âgée de sept ans,par une mégavessie découverte à l’échogra-phie prénatale réalisée à 21 semaines d’amé-

norrhée. Le liquide amniotique était d’aborden quantité normale pour l’âge gestation-nel, puis un hydramnios est apparu à30 semaines d’aménorrhée. Un microcôlonétait découvert à la naissance, avec micro-grêle distal et dilatation duodénale etjéjunale proximale, malposition intesti-nale, et hypopéristaltisme sévère de toutle tube digestif nécessitant une entérosto-mie et une nutrition parentérale totaledepuis la naissance. À l’examen anatomo-pathologique, la biopsie rectale et lesplexus nerveux entériques étaient d’aspectnormal. Il existait une hypoplasie de lacouche longitudinale externe de la muscu-leuse au niveau colique et au niveau iléal.Les cellules de Cajal n’étaient pas mises en

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évidence en immunohistochimie au niveaucolique. Cette observation souligne la complexitéet les difficultés de l’interprétation anatomopa-thologique dans ce syndrome, et la nécessitéd’une large série de témoins à différents âges et

à différents niveaux du tube digestif et de lavessie.

Mots-clés :

hypopéristaltisme intestinal, mégavessie, micro-côlon, pseudo-obstruction intestinale chronique, syndromemégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal.

Introduction

Le syndrome mégavessie-microcôlon-hypo-péristaltisme intestinal [1] (OMIM 249210),très rare, est la plus sévère des pseudo-obstructions intestinales chroniques syndro-miques. Les pseudo-obstructions intestinaleschroniques sont des troubles sévères et pro-longés de la motricité digestive, à l’exclusion,par définition, de la maladie de Hirschsprunget des obstacles mécaniques identifiables surle tube digestif. Leur définition est clinique(occlusion digestive intermittente ou conti-nue) et radiologique (dilatation digestive).Elles correspondent à près d’une centained’entités rares, congénitales ou acquises,sporadiques ou familiales, syndromiques ounon syndromiques, de transmission domi-nante ou récessive autosomique ou liée auchromosome X. Elles peuvent être associéesà des anomalies variées du muscle lisse ou dusystème nerveux entérique. L’examen anato-mopathologique porte sur des biopsies inté-ressant la musculeuse, réalisées au niveau ducôlon et du grêle, tandis que la biopsie rec-tale intéressant la sous-muqueuse permetd’écarter une maladie de Hirschsprung, et,exceptionnellement, d’évoquer certainstypes de pseudo-obstructions intestinaleschroniques. Il existe une mégavessie dans 1/3 à 2/3 des pseudo-obstructions intestinaleschroniques chez l’enfant. Les pseudo-obs-tructions intestinales chroniques associées àdes troubles urinaires sont plus souvent attri-buées à des anomalies du muscle lisse qu’àdes anomalies du système nerveux entéri-que. Le syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal est le prototypede pseudo-obstruction intestinale chroniqueassociée à une mégavessie. Il est habituelle-ment autosomique récessif, et plus sévèreque les pseudo-obstructions intestinales chro-niques autosomiques dominantes (OMIM155310), qui peuvent s’accompagner d’unemégavessie. Il se caractérise par une méga-vessie sans obstacle anatomique, un micro-côlon, souvent un microgrêle distal, unedilatation digestive en amont, une malposi-tion intestinale et un hypopéristaltisme detout le tube digestif. Le diagnostic est habi-tuellement porté en période néonatale en

présence d’un syndrome occlusif avecabsence d’élimination du méconium. Le dia-gnostic est clinique et radiologique, et pré-cisé par les études manométriques. Le côlonest trop court et trop étroit. La longueurtotale du côlon et du grêle est réduite au tiersde la normale [1]. Avant la naissance, l’écho-graphie peut permettre d’évoquer le dia-gnostic, surtout s’il existe des antécédentsfamiliaux, par la mise en évidence d’unemégavessie. Celle-ci s’accompagne, au 3

e

tri-mestre de la grossesse, d’une quantité nor-male ou augmentée de liquide amniotiquefaisant évoquer un obstacle digestif anato-mique ou fonctionnel associé à l’obstacleanatomique ou fonctionnel responsable dela mégavessie, qui, s’il était isolé, s’accompa-gnerait d’un oligoamnios. La dilatation diges-tive peut, au 3

e

trimestre, être reconnue àl’échographie, ainsi que la malposition intes-tinale à l’imagerie par résonance magnétique(IRM). Le microcôlon est très difficile à recon-naître, même en IRM, et son diagnostic nepeut être que tardif puisque, chez le fœtus,le côlon est physiologiquement plus étroitque le grêle jusqu’à 18-20 SA, c’est-à-direjusqu’au passage de la valvule de Bauhin parle méconium. Les observations précédem-ment rapportées de syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal sonthétérogènes sur le plan anatomopathologique.Les lésions sont inconstantes et non spéci-fiques.L’observation est celle d’une petite fille pré-sentant un syndrome mégavessie-microcô-lon-hypopéristaltisme intestinal caractérisépar une mégavessie de découverte anténa-tale avec quantité normale puis augmentéede liquide amniotique ; un microcôlon, unmicroiléon et une malposition intestinale dedécouverte néonatale ; et un hypopéristal-tisme sévère de tout le tube digestif.

Observation clinique

Une petite fille était née prématurément à33 semaines d’aménorrhée en 1997. Sa mèreétait âgée de 27 ans, 5

e

geste, 3

e

pare. Un frèreet une sœur nés en 1991 et 1994 étaient bien

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Syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal

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portants. Deux fausses couches spontanéesavaient eu lieu en 1996 et 1997. La mère étaitl’aînée d’une fratrie de quatre filles. Unetante paternelle, appartenant à une fratrie deneuf enfants, était décédée à l’âge de troismois d’une pseudo-obstruction intestinalechronique avec stomies digestive et urinaire.Une mégavessie (7 cm) était découverte àl’échographie à 21 semaines d’aménorrhée.Elle s’accompagnait d’une dilatation pyéliquebilatérale modérée et d’une quantité nor-male de liquide amniotique

(figure 1a)

. Lecompte-rendu de l’IRM fœtale réalisée à26 semaines d’aménorrhée mentionnait queles anses digestives n’étaient pas nettementindividualisées, vraisemblablement compri-mées par la mégavessie

(figure 1b)

. Uneponction vésicale était réalisée à 24

1

/

2

semainesd’aménorrhée. L’analyse des urines fœtalesconcluait à une fonction rénale normale. Lecaryotype obtenu après amniocentèse étaitnormal (46,XX). Les parents ont été informésde la possibilité d’un syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal oud’une pseudo-obstruction intestinale chro-nique de pronostic difficile à évaluer. Le couplea souhaité la poursuite de la grossesse. Unamniodrainage était réalisé à 30 semainesd’aménorrhée en raison de l’apparition d’unhydramnios, et un shunt vésicoamniotiqueétait posé à 30

1

/

2

semaines d’aménorrhée. Lecontrôle échographique réalisé 72 heuresaprès la pose du drain mettait en évidence lavessie vide, le drain en place, un estomac detaille normale et quelques anses digestivesbien visibles. Une menace d’accouchementprématuré, avec procidence du cordon etrétraction du col, a fait réaliser une césa-rienne à 33 semaines d’aménorrhée. L’enfantpesait 1 800 g et mesurait 44 cm. Le périmètrecrânien était égal à 33 cm. Le score d’Apgarétait évalué à 10/7/10. À la naissance, il n’yavait pas d’élimination de méconium. Lebilan néonatal a comporté une cystographieà l’âge d’un jour

(figure 1c)

, un lavement auxhydrosolubles à l’âge de deux jours

(figure 1d)

et un transit oesogastroduodénal (TOGD) àl’âge d’un mois

(figure 1e)

. Ces examensobjectivaient une vessie de grande taille,hypotonique, à paroi lisse, sans reflux vési-courétéral, un urètre fin, un microcôlonentièrement localisé dans le flanc gauche, unmicrogrêle avec présence d’une zone detransition à 40 cm de l’angle de Treitz, et unedilatation duodénale et jéjunale proximale

(figure 1)

. Il n’existait pas de signe de muco-viscidose. Lors d’une intervention à l’âge decinq jours, le chirurgien observait une malpo-sition intestinale avec cependant accolementnormal du 2

e

duodénum, et réalisait une jéju-nostomie à 40 cm de l’angle de Treitz, une

cystostomie, une biopsie d’intestin grêle etune appendicectomie. Un 2

e

geste chirurgi-cal réalisé à l’âge de deux mois consistait endes biopsies (iléon à 6 cm de la valvule deBauhin, côlon transverse, rectum, vessie),une cholécystectomie, une jéjunostomie auniveau de la 1

re

anse et une gastrostomie.L’enfant était placée sous nutrition parenté-rale exclusive. Des sondages vésicaux ont étéréalisés, puis l’enfant a réussi à uriner encontractant ses muscles abdominaux. Lesexamens radiographiques et manométriquesmettaient en évidence l’absence de péristal-tisme au niveau oesophagien, gastrique etintestinal. L’évolution était marquée par despyélonéphrites à répétition dans les trois pre-mières années de la vie, par des épisodesd’oesophagite, une gastrite de stase, unehépatopathie attribuée à la nutrition parenté-rale (fibrose, stéatose, cholestase) et une dis-crète splénomégalie. La taille et le poidsétaient inférieurs à la normale (moins troisdéviations standard). L’enfant présentait unedysplasie bilatérale de hanche (opérée à l’âgede six ans) et des pieds plats valgus. Unetransplantation combinée foie-grêle est envi-sagée. L’enfant est actuellement âgée de septans.

Matériels et méthodes

L’examen anatomopathologique en colora-tion standard portait sur des prélèvementsréalisés à l’âge de cinq jours (biopsie d’iléonet pièce d’appendicectomie) et à l’âge dedeux mois (biopsies d’iléon à 6 cm de lavalvule de Bauhin, de côlon transverse, derectum, de vessie, et pièce de cholécystec-tomie). Une étude immunohistochique a étéréalisée sur les biopsies d’iléon, de côlon etde vessie réalisées à l’âge de deux mois. Lesbiopsies incluses en paraffine étaientcoupées à 4

µ

m d’épaisseur. Les coupesdéparaffinées étaient colorées en immuno-histochimie grâce à un automate selon unetechnique utilisant le complexe biotine-streptavidine (Benchmark ; Ventana MedicalSystems) après démasquage antigéniquepar protéase P3 pendant 4 min (VentanaMedical Systems). L’anticorps primaire étaitun anticorps monoclonal dirigé contrel’actine musculaire lisse alpha à une dilution1/300 (Biogenex, San Ramon, CA, États Unis),un anticorps polyclonal dirigé contre lasynaptophysine à une dilution 1/25 (A0010,Dako, Trappes, France), et un anticorpspolyclonal dirigé contre CD117 (c-kit) à unedilution 1/50 (Dako, Trappes, France). Lescoupes étaient contre-colorées par l’héma-

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toxyline. Les mêmes colorations ont été réa-lisées au niveau de deux prélèvementsintestinaux et deux prélèvements coliqueschez deux enfants opérés en période néo-natale et à l’âge de deux mois pour atrésiedu grêle, et au niveau d’un prélèvementvésical chez un enfant opéré en périodenéonatale pour reliquat de l’ouraque.

Résultats

La biopsie rectale était d’aspect normal. Auniveau colique et au niveau iléal, les plexus

nerveux entériques de la sous-muqueuse etde la musculeuse étaient associés à des cel-lules ganglionnaires neuronales. Il existaitune rétention de méconium dans la lumière.La musculeuse comportait une couche cir-culaire interne épaisse et une couche longi-tudinale externe mince faite de myocytes àcytoplasme pâle

(figure 2)

. La paroi vésicalemontrait de discrets remaniements fibro-œdémateux, la présence de filets nerveuxdépourvus de cellules ganglionnaires neu-ronales, et, par places, une vacuolisationcentrocellulaire des myocytes. La paroi de lavésicule biliaire était mince et fibrosée. Enimmunohistochimie, au niveau iléal et auniveau colique, l’actine musculaire lisse

a

b

c d e

FIG. 1. — a) Échographie à 23 1/2 semaines d’aménorrhée : mégavessie et dilatation pyélique bilatérale. b) IRM à 26 semaines d’aménor-rhée : mégavessie et dilatation pyélique. c) Cystographie à l’âge d’un jour : mégavessie et urètre fin. d) Lavement aux hydrosolubles à l’âge de deux jours : microcôlon entièrement localisé dans le flanc gauche et microgrêle. e) Transit oesogastroduodénal à l’âge d’un mois : micro-grêle et dilatation duodénale et jéjunale proximale.

FIG. 1. — a) Echography performed at 23 1/2 weeks of gestation showing megacystis and bilateral pyelic dilatation. b) Magnetic resonance ima-ging (MRI) performed at 26 weeks of gestation showing megacystis and pyelic dilatation. c) Cystogram at one day of age showing megacystis and fine urethra. d) Contrast enema performed at the age of two days showing microcolon entirely located on the left side, and microileum. e) Contrast upper gastrointestinal series performed at the age of one month showing microileum, and proximal jejunal and duodenal dilatation.

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alpha était faiblement exprimée par la couchecirculaire interne de la musculeuse, sur ses2/3 externes (côlon)

(figure 3a)

ou sur touteson épaisseur (iléon). Elle était exprimée defaçon homogène par le muscle lisse vésical.L’anticorps CD117 (c-kit) marquait intensé-ment les mastocytes dispersés dans la paroidigestive. Il n’existait pas de cellules de Cajalidentifiables au niveau colique

(figure 3b)

.Quelques cellules de Cajal étaient mises enévidence en périphérie des plexus myenté-riques au niveau iléal. D’assez nombreusescellules c-kit-positives étaient mises enévidence dans la musculeuse vésicale. Lasynaptophysine était exprimée par lesplexus nerveux entériques et par des fibresnerveuses nombreuses dans la couche cir-culaire interne de la musculeuse.

Chez les deux enfants opérés pour atrésiedu grêle, l’actine musculaire lisse alpha étaitexprimée de façon hétérogène au niveau dela musculeuse intestinale, avec présence dezones peu ou pas marquées au niveau de lacouche circulaire interne. Le marquage pourl’actine musculaire lisse alpha était homo-gène au niveau de la musculeuse colique etde la musculeuse vésicale. La synaptophy-sine était exprimée par les plexus nerveuxentériques et par de fines fibres associéesaux cellules musculaires lisses, évoquantdes jonctions neuromusculaires, régulière-ment réparties dans la couche circulaireinterne et, à un moindre degré, dans lacouche longitudinale externe. Au niveauvésical, elle était exprimée par des filets ner-veux et par de fines fibres associées aux cel-

a b

FIG. 2. — Biopsie d’iléon à l’âge de cinq jours. a) La couche longitudinale externe de la musculeuse est mince et d’aspect clair (hématoxyline-éosine-safran) (HES) (×××× 100). b) La couche longitudinale externe de la musculeuse est faite de myocytes à cytoplasme pâle. Les plexus ner-veux myentériques sont associés à des cellules ganglionnaires neuronales (HES ×××× 400).

FIG. 2. — Ileal biopsy performed at the age of five days. a) The external longitudinal layer of the muscularis propria is thin and pale (hae-matoxylin-eosin-saffron) (HES) (×100). b) The external longitudinal layer of the muscularis propria is composed of myocytes with pale cyto-plasm. Myenteric nervous plexuses are associated with neuronal ganglion cells (HES×400).

ba b

FIG. 3. — Biopsie de côlon transverse à l’âge de deux mois. a) La couche circulaire interne de la musculeuse est épaisse et exprime faiblement l’actine musculaire lisse alpha au niveau de ses deux tiers externes. La couche longitudinale externe est mince. Immunohistochimie pour l’actine musculaire lisse alpha (×××× 200). b) Il n’existe pas de cellule de Cajal identifiable autour des plexus nerveux myentériques. Les masto-cytes dispersés dans la paroi sont intensément marqués. Immunohistochimie pour CD117 (c-kit) ( ×××× 200).

FIG. 3. — Biopsy of transverse colon performed at the age of two months. a) The internal circular layer of the muscularis propria is thick and its external two thirds are weakly stained. The external longitudinal layer is thin. Immunohistochemistry for alpha smooth muscle actin (×200). b) There are no identifiable Cajal cell around the myenteric nervous plexuses. Mast cells dispersed in the digestive wall are intensely stained. Immunohistochemistry for CD117 (c-kit) (×200).

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lules musculaires lisses. L’anticorps CD117était exprimé au niveau des trois localisa-tions par des mastocytes dispersés dans laparoi, caractérisés par leur forme plussouvent arrondie qu’allongée, et l’aspectgranulaire du marquage cytoplasmique. Unmarquage CD117 non granulaire était enoutre observé au niveau de cellules fusi-formes situées en périphérie des plexus ner-veux myentériques, et dont on ne pouvaitque supposer, en l’absence d’examen ultra-structural, qu’elles pouvaient correspondreà des cellules de Cajal. Ces cellules étaientnombreuses au niveau d’un prélèvement denature intestinale en période néonatale, peunombreuses au niveau des autres prélève-ments digestifs. Au niveau vésical, de rarescellules fusiformes CD117-positives asso-ciées aux cellules musculaires lisses pou-vaient peut-être correspondre non à desmastocytes, mais à des cellules myofibro-blastiques assimilées aux cellules de Cajaldécrites au niveau digestif.

Discussion

Chez les enfants porteurs d’un syndromemégavessie-microcôlon-hypopéristaltismeintestinal, des lésions anatomopathologi-ques variées ont été décrites. Elles touche-raient plus souvent le muscle lisse quel’innervation intrinsèque : dégénérescencevacuolaire des myocytes, décelée en micros-copie électronique [2] ; amincissement de lacouche longitudinale externe de la muscu-leuse [2, 3] ; accumulation de glycogènedans les cellules musculaires lisses [4] ;excès de cellules ganglionnaires neuronaleset de fibres nerveuses [1] ; raréfaction etaspect rétracté des cellules neuronales avecpycnose nucléaire [5] ; dystrophie axonalegénéralisée [6] ; aganglionose colique etvésicale en association avec une trisomie 18[7]. En immunohistochimie, il a été décritdes anomalies d’expression des peptidesintestinaux [8], une diminution d’expressionde l’actine musculaire lisse alpha et uneraréfaction des cellules de Cajal au niveaudu muscle lisse entérique et vésical [2, 3, 9].La diminution d’expression de l’actinemusculaire lisse alpha au niveau de lamusculeuse pouvait être associée à unamincissement de la couche longitudinaleexterne, et à des anomalies ultrastructuralesdes myocytes [2, 3]. L’observation rapportéese caractérise par l’absence d’anomalie desplexus nerveux entériques. L’aspect clairdes myocytes entériques peut s’expliquerpar une pauvreté en myofibrilles en rapport

avec le jeune âge de l’enfant (cinq jours etdeux mois) au moment de la réalisation desbiopsies. Cet aspect clair des myocytes pré-dominait au niveau de la couche longitudi-nale externe de la musculeuse, en accordavec le fait que la mise en place de cettecouche est embryologiquement plus tardiveque celle de la couche circulaire interne.Dans l’observation rapportée, il existaitune hypoplasie de la couche longitudinaleexterne de la musculeuse, et une hypertro-phie de la couche circulaire interne avec àce niveau présence de nombreuses fibressynaptophysine-positives. Ces données sontd’interprétation difficile, dans la mesure oùla couche longitudinale externe de la mus-culeuse est, dans notre expérience, toujoursplus mince que la couche circulaire interne,et les fines fibres synaptophysine-positivesassociées aux myocytes toujours plus nom-breuses dans la couche circulaire interneque dans la couche longitudinale externe dela musculeuse au niveau intestinal et auniveau colique. L’insuffisance d’expressionde l’actine musculaire lisse alpha au niveaude la couche circulaire interne entérique etla vacuolisation myocytaire focalementobservée au niveau vésical pouvaient êtretraumatiques ou liées à des artefacts de fixa-tion, ou bien secondaires par exemple à ladistension. Nous avons observé, dans unautre contexte que le syndrome mégaves-sie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal,des zones d’hypoexpression de l’actinemusculaire alpha au niveau de la couche cir-culaire interne de la musculeuse intestinale.Les cellules c-kit-positives présumées êtredes cellules de Cajal ou assimilées n’étaientpas mises en évidence au niveau colique,tandis qu’elles étaient mises en évidenceau niveau iléal et, autant qu’on en puissejuger, au niveau vésical ; des mastocytesreprésentaient un témoin positif interne auniveau des trois localisations, rendant peuprobable l’hypothèse d’un artefact techni-que au niveau colique. Il faut souligner ladifficulté de distinguer en immunohistochi-mie, en l’absence d’examen ultrastructural,les mastocytes de cellules fusiformes detype Cajal, celles-ci étant reconnues auniveau digestif par leur proximité avec lesplexus myentériques, et au niveau vésicalseulement par l’absence de granularité cyto-plasmique et leur morphologie effilée. Lacomparaison avec des témoins d’âge égalserait utile pour tenter d’objectiver les ano-malies décrites au cours du syndrome méga-vessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal.En l’absence de large série témoin autopsi-que à différents âges et à différents niveauxdu tube digestif et de la vessie, notre expé-

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Syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal

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rience (données préliminaires semi-quanti-tatives non publiées) nous incite à unegrande prudence dans l’interprétation delésions présumées tant en coloration stan-dard qu’en immunohistochimie pour lesanticorps dirigés contre l’actine musculairelisse alpha, la synaptophysine et le CD117. Lamicroscopie électronique pourrait être utilepour la mise en évidence de certaines ano-malies myopathiques et neuropathiques, etpour mieux reconnaître les cellules de typeCajal.Le syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal peut survenirchez plusieurs enfants dans la même fra-trie, avec parfois une consanguinité chezles parents, évoquant une transmissionrécessive autosomique. Dans l’observa-tion rapportée, l’enquête familiale révélaitl’existence d’une tante décédée à l’âge detrois mois d’une pseudo-obstructionintestinale chronique avec stomies diges-tive et urinaire. Cet antécédent faisantévoquer une possible transmission domi-nante autosomique ne permet cependantpas d’exclure le diagnostic. La prédomi-nance féminine (80 %) initialement rap-portée dans le syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal,et attribuée à une létalité plus précocechez le garçon, ou à une confusion dia-gnostique avec d’autres étiologies demégavessie, n’est pas retrouvée dans lesséries les plus récentes [10]. S’il existe unantécédent de syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal dansla fratrie, la découverte anténatale d’unemégavessie fait fortement suspecter lediagnostic. Le diagnostic prénatal peutêtre orienté par l’analyse des urines fœta-les, et des enzymes digestives dans leliquide amniotique [10]. Le diagnostic pré-natal en biologie moléculaire n’est pasencore possible. Cependant, un locussitué en 15q24 serait responsable d’undéficit de la sous-unité alpha-3 des récep-teurs neuronaux nicotiniques à l’acétyl-choline, déficit qui a été mis en évidenceen hybridation in situ et en immunohisto-chimie dans le syndrome mégavessie-microcôlon-hypopéristaltisme intestinal[11]. En l’absence de traitement, le syn-drome mégavessie-microcôlon-hypopé-ristaltisme intestinal est habituellementlétal dans la première année de la vie. Lasurvie est parfois rendue possible, commedans l’observation rapportée, par la nutri-tion parentérale totale et la réalisation destomies chirurgicales, dans l’attente d’unetransplantation combinée foie-grêle justi-

fiée par les complications hépatiques (fibrose,cirrhose, stéatose, cholestase) de la nutri-tion parentérale prolongée.

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