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Voyages Florence, Riga, Istanbul Corée du Sud La politique par les réseaux sociaux Espionnage Chef à la CIA et musulman courrierinternational.com N° 1118 du 5 au 11 avril 2012 Le Mali dans la poudrière du Sahel Les recettes qui marchent ailleurs Ecole

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Dossier sur l'école en Europe

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VoyagesFlorence, Riga, IstanbulCorée du SudLa politique par les réseaux sociaux

EspionnageChef à la CIA et musulman

courrierinternational.comN° 1118 � du 5 au 11 avril 2012

Le Mali dans la poudrière du Sahel

Les recettes qui marchentailleurs

Ecole

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n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Editorial

Et si on apprenait à copier ?

Regarder en douce les ré -ponses de son voisin pouréviter un zéro pointé, c’estmal, les professeurs nousl’ont suffisamment rabâché.Mais si on apprenait à copieren tout bien tout honneur ?Comme le bon élève qui ad -mire le meilleur de la classe ?

C’est précisément ce que devrait faire l’école enFrance. Année après année, ses performancess’amenuisent. Intraitable, le classement Pisa, réalisépar l’OCDE, qui évalue les systèmes éducatifs dansle monde, place notre pays en milieu de tableau,loin derrière les nouveaux modèles asiatiques oula fameuse école finlandaise. A moins de troissemaines de l’élection présidentielle, aucun candi-dat n’a fait l’impasse sur le scolaire. Logique : ilreprésente le premier poste des dépenses publiques,emploie 850 000 enseignants, et surtout concerneles électeurs que sont les parents des 12,5 millionsd’enfants. C’est pourquoi les postulants à la chargeprésidentielle ont déclamé la main sur le cœur leurvolonté d’en finir avec les classes surchargées,l’échec scolaire ou encore la dévalorisation dumétier d’enseignant. Louables intentions, mais quipassent à côté du but. Car il serait plus que tempspour l’école française d’ouvrir ses fenêtres et d’allerchercher les recettes qui marchent, à Helsinki, àSingapour ou dans l’Ontario. Bien sûr, elles ne sontpas toutes transposables, et le fameux classementde l’OCDE n’est pas exempt de lacunes. Il n’em-pêche : copier sur l’école de ses voisins pour amé-liorer celle de son pays est tout sauf stupide.Demandez aux Finlandais comment ils ont bâti leurpropre modèle, ils vous répondront qu’ils ont misen place une vaste réforme de l’éducation dans lesannées 1970. C’est vrai. Mais la réussite de ce petitpays nordique en matière d’éducation est plusancienne. Elle porte un nom, celui d’Uno Cygnaeus.En 1858, ce directeur d’une école finlandaise àSaint-Pétersbourg s’est vu confier une mission parle Sénat russe : aller observer les systèmes éducatifsqui marchent. Après un long périple en Suède, auDanemark, en Allemagne, en Autriche et en Suisse,le pasteur Uno Cygnaeus a rédigé un rapport qui,quelques années plus tard, a débouché sur la pre-mière école publique pour tous : jusqu’à ce jourpersonne n’a oublié les leçons de ce Jules Ferry fin-landais. Mais où les avait-il copiées, sinon ailleurs ?Eric Chol

� En couverture : dans une école d’Espoo, en Finlande (voir article page 19). Photo de Stuart Conway.

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Sommaire

7 Planète presse8 A suivre10 Les gens12 Controverse

En couverture14 Ecole, les recettes qui marchentailleursLe système éducatif français perd du terrain dans les classementsinternationaux et tous les candidats à l’élection présidentielle promettent de réformer l’école. La France pourraits’inspirer de certains exemplesétrangers : programmes à la carte et soutien scolaire en Finlande, emplois du temps flexibles aux Pays-Bas, travail collectif en Hongrie…

D’un continent à l’autre 22 FranceAntiterrorisme Les Américains auraient-ils fait mieux ?Histoire Les Irlandais, frères d’armeslongtemps négligés

26 EuropeEspagne Le ballon rond, resquilleur de la crise Grèce Les socialistes doivent rompreavec le passéItalie Des faux euros à la pelleHongrie Au service des hameaux perdusRussie Moscou durcit le ton au Daghestan32 AmériquesEtats-Unis Roger, 60 ans, chef à la CIAet… converti à l’islamParaguay La révolte des sans-terre34 Asie Inde Mentir pour protéger ses petites fillesCorée du Sud La génération web met les urnes en émoi36 Dossier AfriqueSahel Comment le Mali fait exploser la région

42 Moyen-OrientSyrie Ces entreprises occidentales qui aident Bachar El-AssadSyrie Les islamistes syriens pour un Etat laïque43 EconomieIndustrie Monsanto, revenez s’il vous plaît !44 MédiasRépublique démocratique du Congo Il y a encore des journaux au Sud-Kivu !Indonésie Analphabètes et journalistes46 Sciences Archéologie Laissons donc travailler les chasseurs de trésors

Long courrier Spécial voyages48 Turquie Istanbul, de galeries en ateliers54 Lettonie Riga, Art nouveau, histoire ancienne56 Italie Virée dantesque à Florence62 Insolites Irlande : la maison à un milliard d’euros qui ne vaut pas un kopeck

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36Dossier SahelComment le Mali fait exploser la région

28 HongrieAu service des hameauxperdus

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Planète presse

Asharq Al-Awsat200 000 ex., ArabieSaoudite, quotidien. “Le Moyen-Orient” se présente comme le “quotidien internationaldes Arabes”. Edité par SaudiResearch and Marketing– présidé par un frère du roi –, il se veut modéré et combat le radicalismearabe, même si plusieurs de ses journalistes affichentune sensibilité islamiste.Brecha 10 000 ex.,Uruguay, hebdomadaire.Fondée en 1985, “La Brèche” a succédé au légendaireMarcha, disparu dans les années 1970, au début de la dictature militaire. Le titre se veut indépendantet de gauche.Chugan Kyunghyang(Weekly Kyunghyang)92 000 ex., Corée du Sud,hebdomadaire. Le titre a étécréé en 1992 sous le nom de Newsmaker par le quotidien KyunghyangSinmun. S’affichant“progressiste modéré”, ilveut se démarquer des titresconservateurs du pays maisaussi de l’hebdo de gaucheHankyoreh 21, en traitant denombreux sujets autres quepolitiques. Le magazine apris son nom actuel en 2007.Le Courrier 9 100 ex.,Suisse, quotidien.Humaniste, progressiste et altermondialiste : ainsi se définit le quotidien des milieux alternatifs et associatifs genevois. Dagens Nyheter360 000 ex., Suède,quotidien. Fondé en 1864,c’est le grand quotidienlibéral du matin. Sa page 6 est célèbre pourles grands débatsd’actualité. “Les Nouvellesdu jour” appartient au groupe Bonnier, le plusgrand éditeur et propriétairede journaux en Suède. Le titre est passé en format tabloïd en 2004.Daily Champion50 000 ex., Nigeria,quotidien. Fondé en 1988.Appartient au chief

Emmanuel Iwuanyanwu,riche homme d’affairesd’Owerri, l’un desprincipaux responsables et financiers du parti UNCP.Populaire et favorable au gouvernement.La Dépêchediplomatique 15 000 ex.,Sénégal, mensuel. Né en 2008 de la volontéd’un groupe de diplomatesaccrédités au Sénégal,d’intellectuels et de professionnels de la communication, ce magazine panafricain est distribué dans toute la sphère francophone.Harper’s Magazine220 000 ex., Etats-Unis,mensuel. Créé en 1850 parles éditions new-yorkaisesHarper & Brothers, il est le plus vieux mensuelgénéraliste des Etats-Unis et sans conteste l’un des meilleurs. Grands reportages, essais,nouvelles, portfolios : le titreaborde les sujets politiques,sociétaux et culturels de façon originale et souvent passionnante.IQ Intelligent Life9 000 ex., Lituanie,trimestriel. Cette revue,publiée en collaborationavec The Economist,propose depuis 2010 desarticles traduits de l’éditionanglaise d’IQ The EconomistIntelligent Life, mais sa rédaction interroge aussile monde lituanien des idées, de la culture et des tendances.The Irish Times119 000 ex., Irlande,quotidien. Les prixremportés par lesjournalistes de l’Irish Timesconfirment régulièrementson statut de quotidien de référence. Et tout en gardant une grandesobriété, il jouit d’un largelectorat, notamment pourson édition du samedi.El-Khabar 100 000 ex.,Algérie, quotidien. Fondé en 1990 par des journalistesissus de la presse publique,“L’Information” est le principal titre de la presseprivée algérienne. Avec sonédition hebdomadaire (El-Khabar Hebdo) – plusportée sur l’enquête, le reportage et le fait de société –, il donnel’essentiel de l’actualité

et traite des mutations que subit le pays avec unton toujours sérieux et dansune langue volontairementaccessible à tous. Seuljournal arabophonepropriétaire de sa rotative,en partenariat avec le francophone El-Watan,il résiste aux pressions du pouvoir et garde une relative indépendance.Kompas 450 000 ex.,Indonésie, quotidien. Fondéen 1965 pour s’opposer à la presse communiste, écrit en indonésien, “Boussole”est le plus grand quotidiennational, la référence, avecdes enquêtes de fond sur des faits de société et des reportages sur les îles “extérieures”,indonésiennes mais souventoubliées par le centre, Java.The National 50 000 ex.,Emirats arabes unis,quotidien. Le titre, créé début 2008,appartient à une sociétéd’investissement du princehéritier Mohammed benZayed Al-Nahyan. Ainsi, il est souvent peu critiquedans sa couverture desévénements intérieurs. Sur l’international, en revanche, il offre souventdes reportages et desanalyses de grande qualité.Népszabadság180 000 ex., Hongrie,quotidien. “La Liberté du peuple” était,de 1956 à 1990, l’organe du Parti communiste. Reprispar le groupe Bertelsmann,le titre s’est transformé en

un journal de qualité et de référence, tout en restant proche du Partisocialiste (ex-communiste).Se définissant comme“libéral de gauche”, il appartient désormais au groupe suisse Ringier AG.Nezavissimaïa Gazeta42 000 ex., Russie,quotidien. “Le Journalindépendant” a vu le jour en 1990. Démocrate sansêtre libéral, dirigé par VitaliTretiakov, une personnalitédu journalisme russe, il fut une tribune critique de centre gauche. Il est aujourd’hui moinsaustère, plus accessible, et moins virulent.Le Nouveau Courrier6 000 ex., Côte d’Ivoire,quotidien. Fondé enmai 2010, le titre a pourobjectif de mettre l’accentsur le journalismed’investigation, l’enquête et l’analyse. Il se veut“engagé, mais sansallégeance politique”.Open Inde, hebdomadaire.Créé le 10 avril 2009 par uneéquipe de journalistes en majorité jeunes et, pour certains, venus de l’hebdomadaire Tehelkaou de la blogosphère, Open entend offrir auxlecteurs un magazine ouvertà l’actualité internationale,avec une maquettedynamique.OpenDemocracy(opendemocracy.net)Royaume-Uni. Edité parl’association britannique du même nom, “Démocratie

ouverte” s’est donné pourmission d’“ouvrir un espacedémocratique de débat et favoriser l’indépendancede la pensée”. A cet effet, il ouvre ses colonnes à desauteurs du monde entier.Süddeutsche Zeitung430 000 ex., Allemagne,quotidien. Né à Munich, en 1945, le journalintellectuel du libéralismede gauche allemand est l’autre grand quotidiende référence du pays, avec la FAZ.TelQuel 20 000 ex., Maroc,hebdomadaire. Fondé en 2001, ce newsmagazinefrancophone s’estrapidement distingué de sesconcurrents marocains en faisant une large placeaux reportages et aux faitsde société. Think Africa Press(http://thinkafricapress.com),Royaume-Uni. Créé enjanvier 2011, ce site proposeune couverture exhaustivede l’actualité africaine et cherche à s’affranchir des analyses à courte vuedes médias conventionnels.Visão 108 000 ex., Portugal,hebdomadaire. En 1993, le vieil hebdo tabloïd en noir et blanc O Jornalse métamorphosait en un newsmagazine hauten couleur, sorte de Newsweek portugais.Beau produit marketing du groupe suisse Edipresse,le titre est aujourd’hui le deuxième hebdomadaired’information du pays,derrière Expresso.

Parmi nossources cettesemaine

Courrier international n° 1118

Edité par Courrier international SA, société anonyme avecdirectoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €.Actionnaire Le Monde Publications internationales SA.Directoire Antoine Laporte, président et directeur de la publication, Eric Chol. Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président. Dépôt légal avril 2012 Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02Site web www.courrierinternational.comCourriel [email protected]édacteurs en chef Eric Chol (16 98), Odile Conseil (web, 16 27)Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Jean-Hébert Armengaud (édition, 16 57), Raymond Clarinard (16 77),Isabelle Lauze (16 54). Assistante Dalila Bounekta (16 16)Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)Conception graphique Mark Porter AssociatesEurope Jean-Hébert Armengaud (coordination générale, 16 57), DanièleRenon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,16 22), Chloé Baker (Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70), LucieGeffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias (Portugal, 16 34), Iwona Ostapkowicz(Pologne, 16 74), Marie Béloeil (chef de rubrique France, 17 32), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), SolveigGram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), MehmetKoksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Mélodine Sommier(Finlande), Alexandre Lévy (Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas(Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine),Martina Bulakova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro,Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa(Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36),Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine)Amériques Bérangère Cagnat (chef de service Amérique du Nord, 16 14), EricPape (Etats-Unis), Anne Proenza (chef de rubrique Amérique latine, 16 76), PaulJurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu et Franck Renaud (chefs de service,Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Naïké Desquesnes (Asie du Sud, 16 51),François Gerles (Asie du Sud-Est), Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin(Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées),Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service,16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (16 35), Pascal Fenaux(Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie)Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29), Hoda Saliby (Maghreb,16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon (Afrique du Sud) EconomiePascale Boyen (chef de service, 16 47) Sciences Anh Hoà Truong (chef derubrique, 16 40) Médias Mouna El-Mokhtari (chef de rubrique, 17 36) Longcourrier Isabelle Lauze (16 54), Roman Schmidt Insolites ClaireMaupas (chef de rubrique, 16 60) Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz(chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, 17 33),Mouna El-Mokhtari (rédactrice, 17 36), Catherine Guichard (rédactrice,16 04), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Paul Blondé (rédacteur, 16 65),Mathilde Melot, Albane Salzberg (marketing),

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97)

Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 1677), NatalieAmargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon(anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), CarolineLee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), JulieMarcot (anglais, espagnol, portugais), Daniel Matias (portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol),Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie TalagaRévision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau,Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, PhilippePlanche, Emmanuel Tronquart (site Internet)

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53)

Maquette Bernadette Dremière (chef de service), Catherine Doutey,Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, DenisScudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, CélineMerrien (colorisation)Cartographie Thierry Gauthé (16 70)Infographie Catherine Doutey (16 66)

Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon)

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe) et Sarah Tréhin(responsable de fabrication). Impression, brochage Maury, 45330Malesherbes. Routage France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg

Ont participé à ce numéro Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor, IsabelleBryskier, Chen Yan, Axelle Choffat, Sophie Courtois, GenevièveDeschamps, Arnaud Dubois, Gabriel Hassan, Mira Kamdar, NathalieKantt, Andréa Khoshkhou, Julia Kuntzle, Virginie Lepetit, Jean-Baptiste Luciani, May Mon Myat Noe, Carole Lyon, EmmanuelleMorau, Valentine Morizot, Raoul Roy, Nicole Thirion, Charline Vasseur

Directeur de la rédaction chargé de l’internationalPhilippe Thureau-Dangin

Secrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes : NoluennBizien (16 52), Sophie Nézet (Partenariats, 16 99), Sophie Jan. GestionJulie Delpech de Frayssinet (responsable, 16 13). Comptabilité : 01 48 8845 02. Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16). Ventes aunuméro Responsable publications : Brigitte Billiard. Direction desventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (0805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusion internationale : Franck-OlivierTorro (01 57 28 32 22). Promotion : Christiane Montillet

Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91),Laetitia Nora (assistante, 17 39)

Publicité M Publicité, 80 boulevard Blanqui, 75013 Paris, tél. :01 40 39 13 13. Directrice générale : Corinne Mrejen. Directrice déléguée : Brune Le Gall. Directeur de la publicité : Alexandre Scher([email protected], 13 97). Directrice de clientèle : Kenza Merzoug(kenza.merzoug @mpublicite.fr, 13 46), Hedwige Thaler([email protected],1407). Littérature : Diane Gabeloteau ([email protected]).Régions : Eric Langevin ([email protected], 14 09). Annoncesclassées :Cyril Gardère ([email protected], 13 03). Exécution : GéraldineDoyotte (01 57 28 39 93) Site Internet Alexandre de Montmarin([email protected], 01 53 38 46 58).

Modifications de services ventes au numéro, réassortsParis 0805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146

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Sur le w

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Ce numéro comporte un encart Abonnement broché sur lesexemplaires kiosque France métropolitaine, et un encart “LeMensuel” sur les abonnés des départements Ile-de-France et surune sélection d’abonnés France métropolitaine.

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8 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Allemagne

Grand nettoyage deprintemps chez SchleckerL’annonce, le 30 mars, de la suppressionde 11 000 emplois dans la chaîne de drogueries Schlecker a fait l’effetd’une douche froide. Sous l’impulsiondes libéraux du FDP, le gouvernementMerkel a renoncé à financer un plan de reclassement permettant de sauverun maximum d’emplois, qui, dans cetteentreprise en difficulté, sont en majoritéoccupés par des femmes. L’opposition crie à la “froideur sociale” du pouvoir en place et du ministre de l’Economie, Philipp Rösler (FDP). Mais où est le “scandale ?” interroge Die Zeit. “Les libéraux appliquent leurs principes !” Par son intransigeance, le FDP – qui ne dépasse pas 2 à 3 % des

intentions de vote dans le pays – joue son va-tout pour séduire l’électorat. Verdict le 13 mai aux élections régionales,à Düsseldorf.

Salvador

Un accord inédit avec les “maras”Peut-on faire la paix avec les gangs ? La question agite les Salvadoriensdepuis la mi-mars. La Mara Salvatruchaet Barrio 18, les deux principaux gangsrivaux du pays, ont en effet annoncéune trêve après la révélation par lequotidien El Faro que des négociationsétaient en cours avec le gouvernement.Le président Mauricio Funes a niétoute négociation avec les gangs, mais a annoncé, le 28 mars, la mise en placed’un “accord national destiné à réintégrer

A suivre

les gangs à la société”. Et les autoritéspénales ont confirmé avoir facilité le transfert de certains détenus membresdes maras dans des prisons moinssévères. Pour El País, la situation est“inédite, si l’accord de paix se confirmait, ce serait le premier du genre entre ungouvernement démocratique d’Amériquelatine et des gangs”. Depuis la trêve, les homicides ont diminué de moitié.

Etats-Unis

Romney fait le plein de soutiensGeorge Bush père vient d’ajouterson nom à la liste dessoutiens à Mitt Romney,l’actuel favori de lacourse à l’investiturerépublicaine. L’anciengouverneur duMassachusetts, quidevance toujourslargement son

principal rival, Rick Santorum, a rencontré le 41e président des Etats-Unis, le jeudi 29 mars, à Houston(Texas). Romney peut aussi compter sur le soutien d’un autre Bush : Jeb, ex-gouverneur de Floride et frère de l’ancien président George W. Bush.“L’heure a sonné pour les républicains dese regrouper derrière Romney”, a déclaréJeb, peu après la victoire de Romneyaux primaires de l’Illinois, le 20 mars.

Autres appuis de taille pour lecandidat républicain : l’hommed’affaires Donald Trump et le sénateur de Floride MarcoRubio, que certains voient déjà

candidat à la vice-présidenceaux côtés de Mitt Romney.

� Hongrie

Présidentplagiaire

Le président de laRépublique – et

ancien escrimeur de haut niveau – Pál Schmitt a finalement démissionné le 2 avril. Il est accusé d’avoir copié de larges extraits d’autres auteurs poursa thèse consacrée aux Jeux olympiques,publiée en 1992. L’universitéSemmelweis lui avait retiré son titre de docteur, et la presse, unanime,réclamait son départ. “Il ne pouvaitrester à son poste aussi piteusement”, s’estfélicité le quotidien Népszabadság.Le Parlement hongrois doit élire sonsuccesseur dans les prochains jours. Le poste de président de Hongrie est honorifique, mais Pál Schmittapportait un soutien de poids à la politique de son allié conservateur,le Premier ministre Viktor Orbán.

Egypte

Les Frères musulmans à l’offensive“Les Frères choisissent la fuite en avant”,estime le quotidien libéral Al-Masri Al-Youm. Après avoir remporté40 % des sièges au Parlement fin 2011, ils ont largement accaparé, fin mars, la commission chargée de rédiger la future Constitution. Cette mainmisea provoqué le retrait des membres laïcs,des représentants des Eglises et mêmede l’université musulmane Al-Azhar.Les forces révolutionnaires vont jusqu’à les accuser de vouloirreconstituer un régime à parti unique.Le 1er avril, les Frères musulmans sont revenus sur une autre promesse,celle de ne pas viser la présidence de la République. Ils ont désignél’homme d’affaires Khairat Chatercomme candidat officiel. Pour Al-Masri Al-Youm, il s’agit “de leur plus grosse erreur politique”.Cette candidature, contestée en interne, risque de fédérer les autrescourants politiques contre eux. Les forces laïques et du centrepourraient profiter de la multiplicationde candidats islamistes, ceux-cicontribuant à l’éparpillement des voixau premier tour de l’élection, prévu fin mai.

Triomphe. “Nous espérons que ce sera le début d’unenouvelle ère.” Au lendemain de l’écrasante victoire de sa Liguenationale pour la démocratie aux élections législativespartielles du 1er avril, Aung San Suu Kyi, elle-même élue dans lesud de Rangoon, a émis ce souhait devant une foule en liesse.

6 avril Commémorations à Sarajevo pour le vingtièmeanniversaire du début de laguerre en Bosnie (1992-1995).

7 avril Le président taïwanaisMa Ying-jeou entame sapremière tournée officielle surle continent africain. M. Ma estattendu au Burkina Faso, enGambie, à São Tomé-et-Príncipe et au Swaziland.

8 avril Le présidentpakistanais, Asif Ali Zardari,rencontre le Premier ministre

indien, Manmohan Singh. Il s’agit de la première visited’un chef d’Etat pakistanais à New Delhi depuis 2005. Les deux Etats ont repris, en 2011, le processus de paix, gelé depuis les attentats de Bombay de novembre 2008.

9 avril Dans la provinceindonésienne d’Atjeh,3,2 millions d’électeurs sontappelés à élire le gouverneur,le vice-gouverneur et les chefsde districts.

� Obama reçoit la présidentedu Brésil, Dilma Rousseff, à la Maison-Blanche.� Début officiel de la campagne électorale en France. RE

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Birmanie

11 avril Kim Jong-un doit être nomméau poste de secrétaire général du Partides travailleurs lors d’une conférenceexceptionnelle à Pyongyang. La Corée du Nord a également prévu de lancer une fusée entre le 12 et le 16 avril pourplacer en orbite un satellite à usage civil. A huit mois de la présidentielle dedécembre 2012, les Sud-Coréens renouvellentles 299 députés de l’Assemblée nationale,lors des élections législatives

Corée du Nord

Kim Jong-un prend du galon

Agenda

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en tête des ventes deux mois après sa parution.C’est aussi une histoire où l’amour perduremême si ce n’est que d’un côté : Judith et Hannes tombent amoureux, mais Judith se détache rapidement et Hannes se met à la harceler. Le tout a un petit côté StephenKing mâtiné de Hitchcock, un ton enlevé et donne l’impression de boire un cocktailrafraîchissant quoique pimenté d’arsenic.Glattauer plaît aux femmes. Il n’a pourtant riende sensationnel : mince, cheveux clairsemés,lunettes, jeans, sourire sympa – pas du tout le canon de Hollywood, plutôt le voisinsympathique avec lequel on déguste un bonverre en devisant sur l’amour. C’est d’ailleurscomme cela qu’il est devenu célèbre, enécrivant des chroniques pour le quotidienviennois Der Standard sur tout et rien, la gastronomie et la météo, les petitsfaits de la vie de tous les jours – et les

affaires judiciaires. “J’écris de la littérature légère – on a parfaitementle droit de trouver ça superficiel”,déclare-t-il. Peu lui importe que les critiques littéraires des grandsjournaux ne parlent pas de lui puisque le public l’adore.Avec plus de trois millions de livresvendus, il n’a plus de soucisfinanciers. Il a laissé tomber sonactivité de journaliste, peut écrirejusqu’à la fin de ses jours ou conseiller les gensen tant que “petit psychothérapeute”.Glattauer ne court pas après la gloire. Quandsouffle le vent du Nord a eu un petit tirage et peude publicité, c’est le bouche-à-oreille qui a faitson succès. Il est à sa table de travail tous les matins à la même heure. “L’écriture, c’est du boulot”, dit-il, et il lui arrive parfois defixer longtemps son écran pour que celui-ci luidise ce qu’il doit taper. Les journées de travailsont bien réglées chez les Glattauer. Et leur vieserait tout à fait normale – s’il n’y avait pas cette damnée célébrité. Cathrin Kahlweit

Les gens

Daniel Glattauer

La plume de l’AutricheSüddeutsche Zeitung (extraits) Munich De Vienne.

Voilà un auteur qui sait conseillerles gens malheureux. Il s’y est employé récemment avec un homme marié depuis de nombreuses années qui venaitde tomber amoureux d’une

femme de quinze ans plus jeune que lui. DanielGlattauer suit actuellement une formation de conseiller psychosocial, “une sorte de petitpsychothérapeute”, explique-t-il. Il proposequatre pistes pour sortir d’une telle situationembarrassante : rester avec son épouse et oublier sa maîtresse, partir avec sa maîtresse et quitter son épouse, garder les deux sans leuren parler, tout leur dire et voir laquelle des deuxs’en va. Les choses de l’amour, c’est son métier.Depuis la sortie de Quand souffle le vent du Nord,en 2006 [version française parue chez Grasseten 2010], puis, trois ans plus tard, de la suiteintitulée La Septième Vague [Grasset, 2011], ce Viennois, journaliste de formation, est le chouchou des lecteurs et surtout des lectrices.On lui demande conseil en matière d’amour,dans l’idée qu’un auteur capable d’inventerEmmi et Leo [les personnages principaux de son premier roman] sait forcémentcomment faire pour que l’amour s’épanouisseet perdure. Glattauer ne sait pas ce que l’épouxmalheureux a pris comme décision, mais il ne peut nier qu’il s’y connaît au jeu de l’amour – et que ce n’est pas toujours une sinécure.D’un côté, à 51 ans, il vit avec la même femmedepuis vingt-sept ans. elle a un atelier deserrurerie, elle est aussi simple que lui, avec les pieds sur terre comme lui. D’un autre côté,Ewig Dein [“A toi pour l’éternité”, non traduiten français], son nouveau roman, est toujours

Fédération générale dutravail de Belgique (FGTB)� ExcédéeAprès les faillites et lesrestructurations, plus de5 000 emplois sont menacésen Belgique depuis le débutde l’année 2012.. “Les plansd’austérité ont atteint leurslimites”,,prévient la syndicaliste..(Le Soir, Bruxelles)

�Leung Chun-ying, chefde l’exécutif de Hongkong� Suspect“Je n’appartiens à aucunparti politique”, objecte-t-ilaux sceptiques qui mettent

Walid Joumblatt, leaderdruze libanais� Versatile“Il y a une certaine injusticeen Palestine, mais l’injusticela plus terrible a lieu en Syrie.”En cinq ans, il a changé troisfois d’avis sur le régime syrien.(Asharq Al-Awsat, Londres)

Oscar Espinosa Chepe,opposant au régimecastriste� Compatissant“Les prisons cubaines, c’est un enfer. J’y suis passé.”Il s’inquiète du sort d’unmanifestant arrêté par les

forces de sécurité à Santiagode Cuba alors qu’il criait desslogans antigouvernementauxà l’arrivée du pape Benoît XVIsur la principale place de la ville. (Time, New York)

Cyrille, patriarche detoutes les Russies� Inoxydable“Le policier n’est pas unsuperman en uniforme… Il doit bénéficier du soutienmoral de toutes lesinstitutions car il est exposéen permanence aux germesinfectieux de la criminalité, àla décomposition morale, à la

peste et au choléra spirituels…”Un pavé dans la mare, enplein scandale sur la pratiquede la torture dans uncommissariat de Kazan, dansla république du Tatarstan.(Komsomolskaïa Pravda,Moscou)

� Anne Demelenne,secrétaire générale de laEkrem Spahiu, présidentdu Parti royaliste et vice-ministre de la Défense albanais� Acariâtre“Nous sommes un particonservateur, très attaché

à la tradition albanaise, une valeur fondamentale de la nation. Je n’ai aucunautre commentaire à faire si ce n’est qu’il faut les chasser à coups de trique, de matraque,autrement dit.”A propos de la gay prideannoncée par la communauté LGBTalbanaise pour le 17 maiprochain.(Panorama, Tirana)

en avant son statut demembre secret du Particommuniste chinois. Il a étéélu par un collège de grandsélecteurs et, le 1er avril, plusde 15 000 Hongkongais ontmanifesté pour réclamer desélections au suffrage universel.(Wenhui Bao, Journal de Hong Kong)

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Ils et elles ont dit

� Dessin de Hachfeld,Allemagne pour Courrierinternational.

10 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Les choses de l’amour, c’est son métier

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Assiste-t-on au retour de la guerre froide ?

Controverse

OuiLes Etats-Unis doivent être plus forts face au Kremlin !Après avoir déclaré le 26 mars que la Russie était toujours“l’ennemi géopolitique numéro un des Etats-Unis”,le candidat républicain Mitt Romney enfonce le clou dansune tribune où il accuse Obama de s’incliner devant Moscou.

Foreign Policy (extraits) Washington

Ce sont parfois les moments où l’on baisse la garde qui sontles plus révélateurs. Le président Obama vient de nous endonner la preuve, le 26 mars, lors du sommet sur la sécuriténucléaire en Corée du Sud. “C’est ma dernière élection”, a-t-ildéclaré à son homologue russe Dmitri Medvedev au coursd’un échange capté par inadvertance. “Après les élections, je

pourrai être plus flexible.” Mais plus flexible pour quoi ? Le président a notam-ment mentionné la défense antimissile comme un des sujets où le Kremlinpourrait s’attendre à plus de souplesse de la part des Américains. Cetteinformation est plus qu’inquiétante.

L’Histoire montre que le président Obama s’est déjà montré conciliantsur cette question ainsi que dans d’autres domaines liés à la sécuriténucléaire. Il a abandonné notre projet de bouclier antimissile en Polognesans rien obtenir de concret de la part des Russes. Il leur a promis de nou-velles restrictions sur notre arsenal nucléaire. Il a capitulé devant leurs exi-gences pour qu’une résolution des Nations unies sur le programme nucléairemilitaire iranien ne comporte pas de sanctions trop sévères.

En échange, Moscou n’a montré sa gratitude qu’en faisant de l’obs-truction aux Nations unies. Les Russes continuent d’armer le dictateursyrien et bloquent les efforts multilatéraux visant à mettre fin au massacre.La politique du président Obama vis-à-vis de la Russie ces trois dernièresannées peut donc se résumer ainsi : “Nous donnons, les Russes reçoivent.”

L’intransigeance des Russes n’a provoqué aucune réaction de la part dela Maison-Blanche. Obama semble déterminé à se faire bien voir du Krem-lin. Voilà ce qui semble – malheureusement – être le principe directeur desa politique de “nouveau départ” vis-à-vis de Moscou. Le coup de téléphonepassé par le président pour féliciter Poutine pour son élection à la prési-dence russe n’est qu’un autre exemple édifiant de cette politique. Cet appela suivi une déclaration officielle du département d’Etat exprimant “les féli-citations des Etats-Unis au peuple russe pour l’organisation de cette élection présidentielle”. Sachant le nombre de gens pour qui ce scrutin a été entachéde fraude, cette déclaration donne une bien piètre image de l’engagementaméricain pour la démocratie et les droits de l’homme. Il s’agit d’une trahison

éhontée des premiers principes de notre pays. La conversation d’Obamaavec Medvedev ne soulève pas de questions seulement sur sa conduite avecla Russie, mais aussi sur l’ensemble de sa politique étrangère. La “flexibi-lité” postélectorale du président Obama se traduira-t-elle de nouveau parune main tendue au régime iranien “sans condition préalable” ? Lui permet-tra-t-elle de se montrer encore plus conciliant avec les frères Castro à Cubaet avec Chávez au Venezuela ?

Dans ses relations avec le Kremlin et le reste du monde, le présidentObama a fait part d’une incroyable faiblesse et donné au mot “flexibi-lité” un sens nouveau et inquiétant. Mitt Romney

� � ContexteVladimir Poutine vientd’être réélu à la tête de la Russie, après unintérim de quatre ansassuré par DmitriMedvedev. A Séoul, le président sortant a rencontré, pour la dernière fois dans le cadre d’un congrèsinternational, le26 mars, le président-candidat démocrateaméricain. DmitriMedvedev lui a renduun hommage à doubletranchant en affirmantqu’Obama avait été un“interlocuteur modèle”pour la Russie et en laissantclairement entendreque ce dernier était le candidat du Kremlin. En pleinecampagne électoraleen vue de l’électionprésidentielleaméricaine du 6 novembre 2012, et pour mieux sedémarquer de sonrival démocrate, le candidat républicainMitt Romney a, lui,décidé d’adopter uneposture reaganienneen s’en prenant à l’épouvantail de toujours : Moscou.

12 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

À RETROUVER SUR leblogueur.arte.tv

VIEILLES LUNES ET NOUVELLES FOIS � Agnostique par définition, le Blogueur enquête en Islande, en Grèce, en Hongrie, en Suède et en Allemagne.

LE BLOGUEURPRÉSENTÉ PAR ANTHONY BELLANGER

DIFFUSION LE 8 AVRIL À 20.10

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NonL’indifférence vis-à-vis de MoscouLa Russie dans le rôle de l’ennemi géopolitique numéro un de l’unique superpuissance de la planète ? C’est tropd’honneur, mister Romney, mais la réalité est tout autre.

Gazeta.ru (extraits) Moscou

Nous devrions exprimer notre sincère gratitude au favori ducamp républicain : tout le monde ne peut prétendre au rôled’ennemi géopolitique numéro un de l’unique superpuis-sance de la planète. Ainsi donc, la Russie serait aujourd’huila deuxième puissance mondiale, comme au bon vieux temps.On espère que l’ancien gouverneur du Massachusetts le pense

réellement. Avec les républicains de l’administration précédente, c’étaitl’inverse : ils ne voyaient pas l’intérêt de prêter attention à un pays vaincu,et dont les chances de retrouver une influence à long terme étaient si minces.Moscou et Vladimir Poutine en personne ont dû déployer des efforts consi-dérables pour faire prendre conscience à leurs interlocuteurs de Washing-ton qu’ils sous-estimaient leur ancien adversaire.

Si les propos de Romney reflètent véritablement son opinion et nesont pas une simple arme de campagne, le constat est déplorable. Nonpour l’hostilité que cela dénote envers Moscou, mais à cause de la visionerronée du monde que cela révèle. Washington est confronté à un défide taille : le monde tel qu’il se dessine à présent ne ressemble en rien àce que les Etats-Unis ont pu imaginer en partant du principe qu’ils étaientla seule superpuissance de la planète. En politique étrangère, ils doiventrevoir leurs priorités et leurs méthodes. Malgré ses timides tentatives,Obama a bien du mal à contrer la force d’inertie de l’establishment poli-tique et de la bureaucratie. Durant les prochaines années, les Etats-Unisvont devoir s’atteler à de nombreux dossiers complexes – élaboration deséquilibres avec la Chine et l’ensemble de la région Asie-Pacifique, formula-tion des objectifs à atteindre dans un Moyen-Orient en mutation, etc. Surcertains plans, la Russie peut apporter sa contribution ; sur d’autres, ellepeut constituer un obstacle ; et ailleurs encore elle n’a aucun rôle à jouer.Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’a pas l’intention d’être un adversaire systé-matique, n’en ayant ni les ressources ni le désir. Elle souhaite avant touts’occuper de ses propres intérêts dans un espace de mieux en mieux défini.Ses ambitions globales ont assez vite disparu.

Endettés, les Etats-Unis ne pourront plus, quant à eux, enflammer lamoitié de la planète avec des interventions visant à imposer la démocratie.En outre, le “printemps arabe” va continuer à redessiner le paysage poli-tique. Ce qui se profile à l’égard de la Russie, c’est une grande indifférence.Comme Bush, le prochain président américain ne verra pas la nécessitéd’entretenir un dialogue avec Moscou sur les questions stratégiques et ces-sera de tenter de signer quoi que ce soit au sujet des limitations d’arme-ments ou du bouclier antimissile.

D’une certaine façon, cela nous facilitera la vie. Nous n’aurons plusbesoin d’inventer des prétextes pour refuser de continuer à réduire notrearsenal nucléaire, surtout les forces tactiques. Nous pourrons aussi mettreen place cette fameuse réponse asymétrique au bouclier antimissile dontle Kremlin menace sans cesse Washington. Fiodor Loukianov

� L’auteurEx-gouverneur du Massachusetts,Mitt Romney est candidat à l’investiture du Parti républicain en vue de l’électionprésidentielleaméricaine de novembre 2012.

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En couverture

Education

� Le système éducatif français perd du terrain dansles classements internationaux et tous les candidatsà l’élection présidentielle promettent de réformerl’école. � La France pourrait s’inspirer decertains exemples étrangers : programmesà la carte et soutien scolaire en Finlande,emplois du temps flexibles aux Pays-Bas, travail collectif en Hongrie…

Les recettes qui marchent ailleurs

14 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

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traîne des autres pays développés. PourAndreas Schleicher, analyste en chef de l’en-quête Pisa, les considérations budgétaires necomptent que pour environ 10 % dans les varia-tions des résultats scolaires.

Nombreux sont, en revanche, ceux qui res-tent convaincus de l’importance du milieu sociald’origine. Martin Johnson, dirigeant d’un syndi-cat enseignant britannique, pointe “les inégalitésde classe, parmi les plus marquées des pays riches”,comme étant la principale raison des résultatsmédiocres des élèves britanniques. Des cher-cheurs de l’université d’Oxford ont passé en revueles réformes de ces dix dernières années et leursconclusions vont dans le même sens. “Malgré

des taux de réussite enhausse, note cette étu -de, les écarts les plusmarqués et les plus du -rables ne se sont guèreréduits. Le risque d’échecreste plus élevé chez lesélèves issus de milieuxdéfavorisés.” Un pointque confirment desétudes américaines :Dan Goldhaber, del’université de Was -

hington, assure que les résultats scolaires d’unenfant dépendent à 60 % de “facteurs extrasco-laires”, tels les revenus du ménage. Pourtant, lelien de cause à effet est moins systématique quene veulent le croire les tenants de l’égalitarismescolaire. Ainsi, l’Australie, où les inégalités derevenu sont très marquées, se classe tout demême à une honorable neuvième place dans ladernière enquête Pisa. Et la Chine, qui est en trainde devenir l’une des sociétés les plus inégalitairesau monde, a décroché la première place.

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 15

Réformer l’école, c’est possible !

“Je veux que les ensei gnants

soient plus pré sents dans les établis se ments, au-delà des heures de cours, pour sou te nir et accom pa gner les élèves. Ils dis po se ront de bureaux et seront mieux rémunérés.”Nicolas Sarkozy

Source : OCDE

Enquête Pisa* 2009 : scores moyens et rang par pays

Les bons élèves et les autres

* Programme international pour le suivi des acquis des élèves.

556 1 600 1 575 1

Corée du Sud 539 2 546 4 538 6

Finlande 536 3 541 6 554 2

533 4 555 3 549 3

Singapour 526 5 562 2 542 4

Etats-Unis 500 17 487 31 502 23

Suède 497 19 494 26 495 29

Allemagne 497 20 513 16 520 13

France 496 22 497 22 498 27

Royaume-Uni 494 25 492 28 514 16

Compréhensionde l’écrit Maths Sciences

Chine

Chine

Shanghai

Hong Kong

16

� Dans une école de Shanghai, les élèves assistent à un jeu de rôle d’enseignement financier.

Décentraliser, faire porter l’effort surles mauvais élèves, diversifier l’offrescolaire et former des enseignants dehaut niveau : des méthodes éprouvéespour améliorer les systèmes éducatifs.

The Economist (extraits) Londres

L ’éducation est au cœur du débatpolitique dans de nombreux payset les réformateurs résolus à amé-liorer les résultats de leur payss’inspirent d’exemples de bonnespra tiques du monde entier.

Pourquoi ? D’abord en raison des quantitésformidables de données disponibles sur les résul-tats des systèmes éducatifs, non seulement àl’échelle nationale, mais aussi sous forme de com-paratifs internationaux. Depuis 2000, l’enquête“Programme international pour le suivi des acquisdes élèves” (Pisa), menée tous les trois ans parl’OCDE auprès de jeunes de 15 ans, évalue l’ac-quisition des savoirs dans les 34 Etats membresde ce club des pays riches et dans de nombreuxpays partenaires – et ses résultats ont été pourbeaucoup un choc [voir ci-dessous les résultats dela dernière enquête Pisa]. D’autres organismes sechargent également de mesurer la qualité des sys-tèmes scolaires. Le cabinet McKinsey a ainsi ana-lysé ceux qui s’étaient le plus améliorés cesdernières années.

Les avancées technologiques ont aussi jouéleur rôle. Après un certain nombre de ratés, beau-coup sont aujourd’hui convaincus de la place quepeut prendre Internet dans l’éducation desenfants – d’où le succès d’institutions comme laKahn Academy, une association qui proposegratuitement de nombreux cours en ligne et denouvelles méthodes pédagogiques. Le goût del’expérimentation semble d’ailleurs contagieux :plus certains Etats tentent de nouvellesméthodes, plus leurs résultats vont être analysés,et leurs solutions copiées.

Première place pour la ChineMais, surtout, le débat a largement gagné en qua-lité, et les “trois grands arguments” invoqués pourexpliquer l’échec des systèmes éducatifs ontperdu du poids. Les syndicats d’enseignants ontlongtemps argué que les défaillances de l’ensei-gnement dans les pays occidentaux étaient duesau faible financement de l’Etat, aux écarts entreles catégories sociales et à des cultures n’atta-chant pas d’importance à l’éducation. Ces fac-teurs ont une incidence, certes, mais ne suffisentpas à eux seuls à expliquer les résultats.

L’idée que la qualité de l’école dépend desfonds qu’on lui consacre est celle qui a été le plusbattue en brèche. Entre 1970 et 1994, plusieursdes vingt pays les plus performantes de l’OCDEont doublé ou triplé en valeur réelle leur budgetconsacré à l’éducation, et pourtant leurs perfor-mances ont souvent stagné – quand elles ne sesont pas détériorées. Les résultats varient énor-mément, y compris entre des pays qui dépensentdes montants comparables par élève. C’est auxEtats-Unis que le coût de l’enseignement parélève est le plus élevé, or ce pays affiche dansl’enseignement secondaire des résultats à laLU

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La culture joue incontestablement un rôle.En Asie, les parents sont généralement bien plusattentifs aux résultats de leurs enfants que ne lesont les Occidentaux et ils contribuent active-ment à la réussite des établissements. De fait, Sin-gapour, Hong Kong et la Corée du Sud occupentla tête du podium, selon le classement du cabinetMcKinsey. Certains pays occidentaux affichentnéanmoins de bons scores, et l’on constated’énormes variations entre eux. Même si l’on metde côté le cas atypique des Asiatiques, commenous allons le faire, on constate que de nombreuxpays occidentaux pourraient améliorer leurs sys-tèmes éducatifs pour peu qu’ils hissent leurs plusmauvais établissements au niveau des meilleurs.

Quatre grandes pistesQuelles sont dès lors les clés de la réussite ? Iln’y a pas de modèle unique, mais quatre grandsaxes se dessinent : décentraliser (donner de l’au-tonomie aux établissements), mettre l’accentsur les élèves en difficulté, diversifier la gammed’établissements et sedoter d’enseignants dehaut niveau. Quatreaxes selon lesquels onttravaillé la provincecanadienne de l’Onta-rio, la Pologne et leLand de Saxe, en Alle-magne, tous trois bienclassés par McKinsey.

“L’Ontario est vrai-ment impressionnant”,s’enthousiasme sirMichael Barber, ancien directeur en charge despratiques éducatives mondiales chez McKinsey,aujourd’hui chez le géant britannique de l’édi-tion et des solutions d’apprentissage Pearson.Bien qu’elle abrite une forte proportion d’im-migrés, dont l’anglais, souvent, n’est pas lalangue maternelle, la province canadiennepossède l’un des systèmes éducatifs les plus per-formants au monde depuis qu’elle a mis enplace ce que l’un de ses artisans a qualifié de“réforme sans rancœur”.

Education Les recettes qui marchent ailleurs16 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Après les décennies de centralismequi caractérisaient le régimecommuniste, la décentralisationde l’Etat est devenue l’une des priorités de la nouvellePologne née en 1989. Depuis l’entrée en vigueur de la réforme de 1999, le système éducatif polonais estparmi les plus décentralisés aumonde. Les communes assumentle financement des écoles maisperçoivent de l’Etat une dotationproportionnelle au nombred’élèves scolarisés sur leurterritoire. Les directeursd’établissements sont compétentsen matière de recrutement et d’utilisation des fonds.Si la Pologne se retrouve bienplacée dans les classementsinternationaux, la réalité n’estpas rose partout, souligne le quotidien conservateur

Rzeczpospolita. “Les traitementsdes enseignants font littéralementexploser le budget éducation des municipalités.” Les chefsd’établissements se plaignent de n’avoir pas leur mot à dire sur la hausse des salaires, fixéeau niveau national, en vertu de la Charte des enseignants signéeentre l’Etat et les syndicats.Si dans les grandes villes, plusriches, le problème ne se posepas, les petites communes ont du mal à joindre les deux bouts.“Tout d’abord, on ferme les écoleset on regroupe les élèves dans lesétablissements plus grands pourréduire les frais généraux”, expliquele journal Dziennik-GazetaPrawna. “Et si cela ne suffit pas,on remplace la cantine par un service traiteur et on installedes caméras vidéo pour pallier le manque de surveillants.”

Vu de Pologne

Une autonomie qui coûte cher

Lorsqu’il est devenu Premier ministre del’Ontario, en 2003, Dalton McGuinty s’est lancédans une “remise à plat totale du système”. Au lieud’imposer ses réformes d’en haut, le gouverne-ment de la province a encouragé les établisse-ments à définir leurs propres objectifs et envoyésur place des équipes expérimentées pour les yaider. Les écoles accueillant un grand nombred’élèves issus de l’immigration pouvaient deman-der un soutien adapté et choisir entre un allon-gement de la journée de classe ou des heuressupplémentaires avec les élèves en difficulté.

En Pologne, les vertus de l’autonomieLes artisans de la réforme ontarienne tenaientparticulièrement à fédérer l’opinion sur leurprojet. Toutes les écoles – même dans les régionsles plus reculées – devaient tirer des améliora-tions des réformes entreprises et en faire lapreuve lors d’inspections régulières. Ces effortsont un prix : depuis 2004, le budget total de l’en-seignement a augmenté de 30 %. Et les résultatssont controversés. Si Dalton McGuinty a décro-ché en octobre dernier sa réélection, certains deses détracteurs estiment que les écoles du centre-ville [à problèmes] de la capitale, Toronto, “s’ensortent haut la main” parce que les progrès se mani-festent généralement vite et que les problèmesinsurmontables ne se manifestent que plus tard.Il n’en reste pas moins que l’Ontario est devenule symbole d’une réforme de l’éducation décen-tralisée et populaire.

La Pologne fournit un exemple tout aussiimpressionnant. Wroclaw, quatrième ville du payspar sa population, ne peut certes pas rivaliser avecVarsovie en termes d’activité économique, ni avecCracovie en termes de beauté. Mais ses établis-sements secondaires se sont rangés dans la caté-gorie “supérieure à la moyenne de l’OCDE dans unemesure statistiquement significative” des classementsPisa, largement devant la Grande-Bretagne et laSuède, mais aussi devant les autres pays de l’an-cien bloc de l’Est.

Comme l’Ontario, la Pologne illustre lesvertus de l’autonomie. Le pays s’est servi de saliberté retrouvée pour démanteler un systèmecentralisé qui orientait environ la moitié desélèves vers un cursus universitaire, et les autres,considérés comme de la chair à usine, versl’enseignement professionnel. Aujourd’hui, la

“Je veux plusd’enseignantsque de classes […].Je créerai en cinq ans 60 000postes supplémentaires dansl’éducation. Je mettrai en place un prérecrutement des enseignantsavant la fin de leurs études.” François Hollande

Dépenses et performances

Source : OCDE

Dépenses cumulées pour l’éducation d’un élève, de l’âge de 6 ans à l’âge de 15 ans(en milliers de dollars à PPA)

0 20 40 60 80 100

17

25

22

3

20

2

1Shanghai Chine

Corée du Sud

Finlande

Moyenne OCDE

France

Etats-Unis

Royaume-Uni

Allemagne

Rang Pisa 2009

15 � L’Angleterrejoue à fond la carte de l’autonomiedes écoles.

gestion financière et administrative de l’éduca-tion reste aux mains de l’Etat, mais les chefs d’éta-blissement ont toute latitude pour recruter leursenseignants et peuvent choisir leurs programmesauprès de fournisseurs privés agréés. Grâce à desépreuves nationales que les élèves passent à 12-13 ans, 15-16 ans, puis 18-19 ans, mais aussi à destests complémentaires organisés chaque année,les autorités locales gardent l’œil sur les résultatsde leurs écoles.

Au lycée n° 12, la proviseure Danuta Dasz-kiewicz-Ordylowska peut une fois encore seféliciter d’une excellente année scolaire. Son éta-blissement brille en sciences et en langues, et, sil’anglais reste prisé, le russe fait un grand retour.Elle reconnaît aussi que les élèves ressentent unecertaine pression. “Trop, commente un ancienparent d’élève. On se retrouve avec bien plus d’en-fants qui consultent un psychologue à cause du stress.”Cependant, l’adjoint au maire Jaroslaw Obremskiest fier des excellents résultats des élèves de saville. “Nous pouvons faire mieux, assure-t-il. Nousn’encourageons pas assez nos élites, cela m’inquiète :comment allons-nous nous doter d’un Oxford ou d’unHarvard polonais ? Nous sommes encore trop timo-rés lorsqu’il s’agit de vraiment pousser les meilleurs.”La première enquête Pisa, en 2000, avait placél’Allemagne bien au-dessous de la moyenne del’OCDE en lecture et en compréhension de l’écrit.

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Cela a été “un vrai choc pour le système allemand”,reconnaît Ulrike Greiner, enseignante à Reutlin-gen, dans le sud-ouest du pays. L’enquête avaitétabli pour l’Allemagne une corrélation entrestatut économique et réussite scolaire plus étroiteque dans tous les autres pays de l’OCDE. Onimputait alors cette situation à un système quirépartissait les élèves dans les écoles sur la basede leurs compétences à l’âge de 10 ans. Les Länderse sont lancés dans une véritable course à laréforme, dont le vainqueur est, contre touteattente, la Saxe, en ex-RDA, qui s’est hissée à lacinquième place du classement McKinsey.

La Saxe montre la voie“Nous voulions en finir avec l’idéologie tout en gar-dant ce que le système est-allemand avait de meilleur :le système sélectif du Gymnasium pour ceux ayantdes dispositions pour les études, mais aussi un fortaccent mis sur les ‘Mittelschulen’ [‘écoles intermé-diaires’ entre le Gymnasium et les Hauptschulen]pour les autres”, explique Wolfgang Nowak, unsocial-démocrate de l’ouest de l’Allemagne qui apiloté la réforme. Point essentiel, la troisième voiedes Hauptschulen, destinées aux élèves ayantmoins d’aptitude pour l’apprentissage théorique,a été éliminée : “C’est terrible pour l’intégration, ter-rible aussi pour les résultats.” D’ailleurs, rappellesir Michael Barber, les meilleurs établissementschinois sont revenus de leur obsession pour lescracks et prennent mieux en charge les élèvesdurablement à la traîne – ce que la Grande-Bre-tagne ne fait pas, et ses résultats globaux s’en res-sentent. De nombreux parents gardent del’Allemagne de l’Est communiste l’image de lycéesdélivrant un enseignement secondaire de qualité,même s’ils sont rares à regretter le lavage de cer-veau qui allait avec. La Saxe a gardé de l’anciensystème son aspect sélectif, mais a reculé l’âged’entrée de 11 à 13 ans. Un changement qui fait ladifférence, pour les garçons en particulier. “Onzeans, c’est trop tôt pour évaluer ce dont ils sontcapables”, souligne Wolfgang Nowak.

En Saxe, les examens, jusque-là organisés parles établissements eux-mêmes ou avec peu d’en-cadrement, ont été ouverts à des organismes exté-rieurs. A la Mittelschule Gottlieb Bienert de Plauen,dans la banlieue de Dresde, le proviseur GertGorski explique que plus les élèves avancent dansleur scolarité, plus ils suivent des voies différentes,même s’ils se retrouvent ensemble pour lesmatières pratiques. Les moins brillants quittent

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 17

l’école à 15 ans avec une qualification de base,généralement dans des domaines pratiques. “Nousne voyons pas d’inconvénient à être une ‘écolemoyenne’, accueillant notamment des élèves issus degroupes moins doués, parce que cette ‘moyenne’ estun niveau dont nous pouvons être fiers.” Cette année,Berlin et Hambourg ont suivi l’exemple de la Saxeen faisant disparaître les Hauptschulen qui avaientdes résultats médiocres.

La Grande-Bretagne, qui dégringole depuisplusieurs années dans les classements Pisa, suitces expériences avec la plus grande attention.Michael Gove, le ministre de l’Education dugouvernement conservateur, tire de l’enquêtePisa de 2009 les leçons suivantes : “Accroîtrel’autonomie des établissements, obliger davantageles acteurs de l’éducation à rendre des comptes, res-taurer le prestige de la profession et mieux maîtri-ser la discipline.” Soucieux de diversifier l’offrescolaire, le gouvernement britannique aug-mente le nombre des “académies” indépen-dantes (une innovation datant de Tony Blair),qui remplacent peu à peu les collèges et lycéesgérés à l’échelle locale [dans le système britan-nique, ils sont majoritaires], et vient d’autori-ser les free schools [“écoles libres”], gérées par

� Utilisation de l’iPad dans une écoleprimaire de l’Ohio(Etats-Unis).

des parents, des organisations caritatives et desassociations [et financées par l’Etat].

Multiplier les types d’établissements n’estpourtant pas la panacée pour améliorer les résul-tats. La Suède, dont les “écoles libres”, indé-pendantes, non sélectives et financées par l’Etatfont l’admiration de Michael Gove, a connu unepériode délicate dans les classements interna-tionaux. La volonté d’ouvrir des écoles d’un genrenouveau ne s’est pas encore accompagnée d’ins-pections rigoureuses susceptibles d’aider les éta-blissements les moins performants à identifierleurs lacunes. Aux Etats-Unis, où il existe une expé-rience semblable avec les charter schools, à finan-cement privé, leurs détracteurs jugent les acteurspolitiques trop “impliqués” dans ces établissementspour accepter de les fermer en cas d’échec. Il estimpératif d’imposer à ces écoles innovantes desprocédures solides d’agrément et de reconductiondes agréments, afin d’éviter que de mauvaises

expériences ne perdu-rent et que des échecsrestent ignorés. Dansl’ensem ble, cependant,l’essor des charterschools dans les grandesvilles américaines con -tribue à réformer l’undes volets les plus com-pliqués : l’enseignementciblant les élèves issusdes milieux les plus dé -favorisés, où les ambi-

tions sont souvent très limitées. De plus, ouvrirl’enseignement à de nouveaux acteurs permet d’at-tirer des individus qui s’intéressent à la transmis-sion du savoir et qui ont des talents d’organisateurs,mais aucun goût pour la bureaucratie.

Une foule de chiffres montre que les proposi-tions innovantes peuvent fonctionner, qu’ellessoient à but lucratif ou non. La diversité de l’offrescolaire permet de se focaliser sur le type d’en-seignement le plus adapté, en particulier dans leszones difficiles. Elle offre aussi davantage deliberté dans la mise en place des conditions de tra-vail, sans les contraintes imposées par les autori-tés locales ou les syndicats d’enseignants, laissantaux chefs d’établissement une plus grande margede manœuvre pour adapter leur école aux besoinsspécifiques de leurs élèves. Aux Etats-Unis,

Avec son système très inégalitaire,en chute libre dans les classements Pisa(12e en 2000, 25e en 2010),l’Angleterre a décidé de jouer à fond la carte de l’autonomie. En mai 2010, le gouvernement Cameron a créé les free schools et encouragé la transformation d’établissementspublics en academies. Lancées dès2000 par le Premier ministre travaillisteTony Blair, celles-ci sont desétablissements autonomes, habilitésà recevoir des aides de mécènes.Surtout, elles ont une grande latitudepour décider des programmes et del’organisation. Et elles ne s’en priventpas : leur modèle, la MossbourneAcademy de Hackney, dans l’est de Londres, applique une disciplinestricte et garde ses élèves jusqu’à des

heures très tardives. “Certains restentjusqu’à 19 ou 20 heures pour faire leursdevoirs ou prendre part à des groupesde soutien”, rapporte le NewStatesman. Cet établissement estdevenu célèbre pour ses très bonsrésultats, “remarquables, étantdonné qu’il est situé dans l’un desquartiers les plus défavorisés dupays”. La demande pour ce genred’établissements ne cesse de croître et leur nombre explose :il y avait 203 academies en mai 2010,on en compte 1 635 aujourd’hui, soitprès d’une école publique sur dix,d’après The Times. Quant aux freeschools, elles sont une variation sur ce modèle. L’idée est de “donnerles clés” à des groupes de parents, de professeurs ou à des associations

pour leur permettre d’ouvrir eux-mêmes un établissement qui serafinancé par l’Etat. Pour l’instant, leur nombre est beaucoup moinssignificatif : les 24 premières ontouvert en septembre 2011, et 79 projets ont été acceptés pour la rentrée 2012. Les demandesémanent souvent de parents inquietsdu manque de places dans les écolespubliques ou de professeurs dusecondaire dépités du faible niveaudes élèves qu’ils récupèrent. Le débatfait cependant rage outre-Manche sur l’intérêt de ces nouveauxétablissements, et des interrogationssubsistent quant aux intentions du gouvernement : The Guardianl’accuse d’avoir en ligne de mire une privatisation de l’enseignement.

Vu d’Angleterre

De nouveaux modèles

“Il faut faire entrerl’école française d’ici

cinq ans parmi les dix premièresdu classement international pour la compréhension de l’écrit,le calcul, les connaissances scientifiques et la lutte contre les disparités sociales.”François Bayrou

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dans les charter schools du réseau Aspire, lesmieux classées, les enseignants appliquent desdirectives strictes pour le suivi des progrès de leursélèves. Le réseau Aspire a pour devise “College forcertain” [“L’université à coup sûr”] : enseignantset élèves ont tous le même objectif, les étudessupérieures.

Des quatre grands axes de réforme du sys-tème éducatif, la diversification de l’offre est deloin le plus spectaculaire. De New York à Shan-ghai en passant par le Danemark, les établisse-ments échappant au contrôle de l’Etat, géréspar des “prestataires” privés, bénéficient le plussouvent de bonus qualitatifs. A ce jour, c’est dansles régions où les pou-voirs publics n’ont paspu – ou pas voulu –changer la donne queces établissements affi-chent le plus de réus-site. Difficile cependantde savoir si la créationd’archipels d’écolesindépendantes, freeschoolsou charter schools,peut être un moteurfiable du progrès dans l’ensemble d’un systèmeéducatif ou si tout cela tient du vœu pieux.

Il est clair en revanche que l’école la plusinnovante et la plus ambitieuse ne sera rien sansde bons enseignants. De fait, toutes les réformesont en commun de mettre l’accent sur unemeilleure qualité d’enseignement. Certainspays, comme la Finlande ou la Corée du Sud, sesimplifient la tâche en ne recrutant que l’élitedes diplômés – et en les rémunérant en consé-quence. Michael Gove, le ministre de l’Educa-tion britannique, dit vouloir relever le niveaude diplôme des enseignants et offrir des primesde bienvenue dans les matières où il y a pénu-rie, comme les sciences ou les langues. AuxEtats-Unis, certains Etats expérimentent lesalaire au mérite et la prime de résultat, maisils suscitent souvent l’hostilité des syndicatsd’enseignants.

En matière de réforme éducative, les pro-grès structurels (nouveaux types d’écoles,réorganisation des établissements existants,nouveaux examens) peuvent s’accomplir trèsvite. Il faut en revanche beaucoup plus de tempspour mieux former les enseignants – or cela doitêtre la priorité. �

Correspondant à Paris du quotidienThe Independent depuis quinze ans,John Lichfield a expérimenté le système français en tant queparent d’élèves. Il conserve un recultrès britannique sur une école qu’il juge trop rigide.

Quels sont, selon vous, les points faibles de l’enseignement en France ?John Lichfield Si l’on fait la comparaison avecl’Angleterre, il y a trop d’abstraction et uneobsession pour la théorie, pas suffisam-ment de créativité dans l’approche.Quand mes enfants étaient petits,j’étais surpris qu’on leur demandetoujours d’analyser des phrasesplutôt que d’écrire par eux-mêmesquelque chose d’original.

Et ses points forts ?Le système permet auxélèves d’être à l’aise pours’exprimer oralement.Les jeunes Britanni -ques, eux, s’exprimentgénéralement dans unanglais catastrophique.Les enseignants du pri-maire sont souvent trèsmotivés, et ils ont un rap-port assez chaleureuxavec les élèves. Je me sou-viens du premier jour demon fils au CP : le pre-mier geste de l’ensei-gnante a été de lui faireune grosse bise. Il étaittrès étonné, et nousaussi, parce qu’il estinimaginable qu’en

Angleterre une teacher fasse la même chose. Çal’a beaucoup rassuré, dès le début.

Quels sont, selon vous, les défis du prochain quinquennat en matièred’enseignement ?La grande catastrophe du système français sur-vient après le bac : la France investit beaucoupmoins d’argent dans les universités que l’Alle-magne, la Belgique ou l’Angleterre. Certes, lesystème est presque gratuit, mais, finalement,parce que c’est presque gratuit et que presque

tout le monde peut entrer à l’université, leniveau dans la plupart des disciplines est

assez bas. Après trois ans, on obtient undiplôme avec lequel on ne peut rienfaire, il faut poursuivre avec d’autresétudes. En Angleterre, après trois ansd’université, les jeunes peuvent trouver

un travail. Le rythme scolaire doit égale-ment être réformé : les journées sont trop

longues, et les vacances aussi.

Avez-vous relevé des propositions

intéressantes chez les

candidats à laprésidentielle ?Ni M. Sarkozy niM. Hollande ne pro-

posent de vision glo-bale de ce que doivent

être les réformes éduca-tives. Leurs propositions sonttrop limitées et spécifiques :des propositions de mi -nistres de l’Education plutôtque de président de laRépublique.Propos recueillis par Carole Lyon

Education Les recettes qui marchent ailleurs18 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

“En France, l’enseignementest trop abstrait”

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“Il faut combattretoutes les logiquesd’autonomie, de la maternelle àl’université. […] Il faut déprécariserl’école avec un plan de titularisationde plus de 100 000 précaires de l’éducation nationale”. Jean-Luc Mélanchon

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Des élèves heureux et qui réussissent,des enseignants valorisés et bienpayés… En alliant exigence, soutien à l’élève et liberté, la Finlande obtientla première place européenne desétudes comparatives. Démonstration.

Dagens Nyheter (extraits) Stockholm

L ongtemps, la Suède a caracolé loindevant la Finlande sur toutes lesquestions touchant à l’éducation.Jusqu’au début des années 1990,c’était rarement au système éduca-tif finlandais que l’on s’intéressait.

C’était avant l’an 2000 et la parution des pre-mières études Pisa [programme internationalpour le suivi des acquis des élèves], qui compa-rent les compétences des jeunes de 15 ans en com-préhension écrite, en mathématiques et enculture scientifique. La Finlande n’y affichait passeulement les meilleurs résultats d’Europe, maisdevançait même plusieurs pays d’Asie orientale.Non seulement le niveau des élèves y était élevé,mais le nombre d’élèves en difficulté y était excep-tionnellement faible.

La Finlande a soudain fait figure de paysmodèle, et ce sans avoir énormément investi dansl’éducation. Le pays avait atteint les objectifssociaux que la Suède s’était fixés, avec plus desuccès que celle-ci, et en suivant une autre voieque celle des réformateurs suédois. Plus d’un spé-cialiste des sciences de l’éducation a voulu trou-ver des explications. Les bons résultats de laFinlande n’étaient-ils pas dus à une discipline defer imposée dans les classes ? Ou encore au faitque la Finlande n’avait pas accueilli autant de réfu-giés que la Suède ? Non, l’explication est ailleurs.

En Finlande, la peruskoulu [école obligatoire,pour les élèves de 7 à 16 ans] se fonde sur unprogramme réaliste et pertinent qui fixe desobjectifs raisonnables, exprimés en des termessuffisamment concrets. Les enseignants com-prennent clairement ce qui est attendu des élèvesdans chaque matière et dans chaque classe. Enprimaire, l’accent est mis sur la compréhensionécrite, dont découlent également les bons résul-tats obtenus en sciences et en mathématiques,puisque les élèves comprennent ce que l’on attendd’eux. Les enfants ont des devoirs du lundi aujeudi, mais terminent souvent l’école à 14 heures,ce qui leur laisse beaucoup de temps pour le sportet d’autres activités de loisirs. Un des objectifsest d’aider les élèves à prendre conscience de leurspoints forts et de leurs points faibles dans les dif-férentes matières, afin qu’ils se forgent une idéeprécise de leurs aptitudes. Ils sont notés sur uneéchelle qui va de 4 à 10.

Les langues et les mathématiques Le pays a par ailleurs mis au point un système desoutien scolaire efficace, dont la fonction princi-pale est d’aider l’élève à combler son retard surla classe le plus vite possible. Une des particula-rités du système éducatif finlandais est de pro-poser un enseignement professionnel étendu,composé d’un éventail de formations attractives,si bien que la moitié des jeunes de 15 ans choisis-sent une filière technique. Cela permet de moti-ver les jeunes rebutés par les études, car ils saventainsi qu’ils auront la possibilité de choisir une voiequi ne sera pas le simple prolongement de l’écoleobligatoire. Autre atout de ce système : le lycéed’enseignement général [pour les jeunes de 16 à19 ans] accueille des élèves qui ont véritablementenvie d’étudier les matières théoriques. Les élèvesdoivent valider 75 unités de valeur, dont certaines

sont obligatoires et d’autres optionnelles, maisdont un grand nombre correspondent à des ses-sions courtes, de cinq semaines par exemple. Lesélèves composent donc eux-mêmes leur pro-gramme. Pour passer l’équivalent finlandais dubaccalauréat, les cours doivent avoir été validéset un minimum de quatre épreuves écrites doi-vent avoir été passées avec succès, dont l’épreuvede langue maternelle – le finnois pour 94 % desélèves, le suédois pour les 6 % restants. Il convientde noter que l’accent est mis sur les langues et lesmathématiques, c’est-à-dire sur des matières quiconstituent des outils intellectuels.

Par ailleurs, les élèves ont la possibilité depasser les épreuves écrites d’une ou plusieursautres matières selon l’orientation choisie et leurdegré d’ambition. Ils ne sont pas tenus d’assisteraux cours pour pouvoir passer l’examen d’unematière et peuvent également choisir de passer“à l’avance” l’examen de l’année supérieure. Ilsont aussi le choix de repasser l’épreuve ultérieu-rement s’ils ne sont pas satisfaits des résultatsobtenus. Enfin, un élève qui a intégré l’enseigne-ment professionnel peut être admis dans l’en-seignement supérieur général en passant lesquatre épreuves écrites obligatoires. Autrementdit, le système finlandais mêle exigence, aide àl’élève et liberté, en mettant l’accent sur l’aide àl’élève pendant l’école obligatoire et sur la libertéau-delà. Mais sur le fond, l’exigence est la même :l’élève doit travailler. La grande liberté de choixlaissée aux élèves expliquerait en grande partieles bons résultats affichés par les collégiens. Pourles jeunes qui ne souhaitent pas rester dans l’en-seignement général, l’heure de la libération sonneà la fin du collège [à 15 ans], tandis que la pers-pective de pouvoir composer eux-mêmes leurprogramme motive les autres.

Des enseignants triés sur le voletLes admissions au lycée se font sur dossier et lescollégiens savent donc qu’un bon carnet de notespermet de choisir son avenir, tout comme ilssavent que l’admission à l’université est soumiseà un examen d’entrée. La Finlande associe le sou-tien aux élèves en difficulté et la liberté de choixpour les bons éléments à un troisième facteur desuccès : des enseignants de qualité. Le métierd’enseignant est tellement prisé que les forma-tions peuvent compter de cinq à dix postulantspour chaque place. Chacune de ces formationsexige d’avoir un excellent dossier, y compris pourdevenir instituteur en maternelle ou au niveauélémentaire. Les étudiants sont sélectionnés surplusieurs critères : les résultats du baccalauréat,les notes des devoirs sur table et un examen d’en-trée qui comprend un entretien. Le but de cetentretien est de repérer les candidats dont la per-sonnalité ne cadre manifestement pas avec lafonction enseignante, mais une attention touteparticulière est également accordée à la maîtrisede la langue, et il est rare qu’un suédophone soitadmis dans une formation finnophone, et inver-sement. Cette double priorité donnée au niveaude langue de l’enseignant et à la lecture consti-tue sans doute l’une des principales explicationsdes bons résultats du système éducatif finlandais.Les futurs enseignants savent qu’ils sont triés surle volet, et leurs professeurs le savent aussi, cequi engendre un cercle vertueux. Lorsque, fraisémoulus de leur formation, les enseignants fin-landais commencent à travailler, les élèves et lesparents d’élèves les savent compétents et recon-nus comme tels. Qui chercherait des noises auxchampions du monde ? Ce qui, à son tour,

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Mais comment font-ils, ces Finlandais ?

� Dans une école d’Espoo, en Finlande. Les élèvescomposent eux-mêmes leurprogramme.

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incite des personnes d’un bon niveau às’orienter vers le métier d’enseignant. Les bonsrésultats du système finlandais s’expliquent-ilspar une discipline de fer ? Au contraire. On trouveen Finlande de bons enseignants, dont l’autoritén’est pas sans cesse remise en cause par les élèveset qui peuvent donc se permettre un style plusdécontracté en classe – tout en obtenant malgrétout de bons résultats. On y trouve des ensei-gnants avisés, conscients de leur propre valeur,qui choisissent des méthodes de travail auxquellesils croient. En Finlande, on part du principe quel’enseignant maîtrise sa pédagogie, et que c’est lamatière qui est enseignée. L’enseignant ne changepas de méthode avant d’être sûr du gain d’effica-cité apporté par la nouvelle.

Le rôle clé de la lectureLorsque les Finlandais évaluent leurs propresrésultats, il n’est pas rare qu’ils parlent d’intro-duire plus de souplesse dans le système, de ren-forcer le soutien accordé aux bons éléments etd’améliorer l’enseignement des mathématiques.Il n’existe pas encore d’usage établi concernantla prise en charge des élèves issus de l’immigra-tion en Finlande, mais plusieurs études portentà croire que l’immigration n’explique pas les dif-férences de résultats entre la Suède et la Finlande.La Suède a monté en épingle le fait que les élèvesfinlandais déclaraient souvent ne pas aimerl’école. Les pouvoirs publics finlandais ont essayéde fournir une explication en faisant remarquerque leurs élèves, qui dominent les palmarès d’an-née en année et classent le métier d’enseignantparmi leurs préférés, ne semblent pas se déplairesur les bancs de l’école, mais que cela fait peut-être “cool” de dire que l’on n’aime pas l’école.

S’il est une chose qu’il faut souligner dansl’analyse du succès finlandais, c’est l’importancede la lecture. Enseignants et pouvoirs publicsinsistent en chœur sur ce point. Les élèves quiobtiennent les meilleurs résultats sont ceux quilisent le plus. Aimer la lecture a une incidenceplus grande sur les résultats scolaires que leniveau d’instruction ou les moyens pécuniairesde la famille. Et c’est en lisant de la littérature quel’on a le plus de chances d’améliorer sa compré-hension écrite. Autrement dit, on ne peut pasespérer obtenir de bons résultats avec un grouped’élèves qui ne lit pas, et l’on ne peut pas non plusattendre de miracles du rattrapage scolaire sil’élève ne lit pas parallèlement, en dehors del’école. Inger Enkvist

Depuis septembre, une poignée d’écolesnéerlandaises expérimentent desemplois du temps entièrement flexibles.Ce sont les parents qui décident deshoraires et du calendrier des congés.

Trouw AmsterdamD’Apeldoorn

P our toi !” Dans la cour de son école,Jibbe, 4 ans, donne fièrement à samère un dessin. “Des feux d’arti-fice”, dit-il pour expliquer lesgrands traits rouges sur la feuillede papier. “Que des bombes.” La

mère rit. C’est le 2 janvier et son fils s’est mani-festement inspiré des festivités de la Saint-Syl-vestre. Jibbe vient de terminer son premier jourde classe, tout comme seize autres élèves de l’écoleSterren, à Apeldoorn. Depuis septembre, cetteécole élémentaire participe à une expérience surl’aménagement des heures d’enseignement. Lesenfants ne sont pas tenus de venir cinq jours parsemaine à l’école. Si, durant quatre jours, ils res-tent un peu plus longtemps en classe, ils sont libresle cinquième. Les parents ont aussi leur mot à diresur les heures de début et de fin de la journée sco-laire, de même que sur la période des vacances.“Les enfants ne sont jamais tous présents en mêmetemps”, dit l’institutrice Annemieke Van der Linde,53 ans. Aujourd’hui, elle fait classe à dix-sept élèves.Ils sont de tous les niveaux, depuis la maternellejusqu’à la dernière classe de primaire. Les centautres sont encore en vacances. “Il faut un certaintemps avant de savoir qui est présent et qui est absent”,reconnaît Annemieke Van der Linde. Son tableauest couvert de pense-bêtes précisant les emploisdu temps des enfants.

La flexibilité des horaires scolaires exige decette école des efforts de planification considé-rables, mais présente un réel avantage pour lesparents, estime le directeur de l’établissement,Hans Van der Most, 53 ans. Il a décidé de modifierradicalement son approche quand il a constatéque le nombre d’élèves dans son école ne cessait

de diminuer. Pour attirer plus d’enfants, son écoledevait mieux s’adapter aux souhaits des pères etdes mères d’aujourd’hui, a-t-il alors conclu.

“Les employeurs attendent des parents qu’ils puis-sent travailler selon des horaires flexibles. Les parentsn’ont rien contre, mais ils ne peuvent pas le faire parceque le système scolaire est trop rigide.” Le directeursouligne qu’en vertu de la loi sur l’éducation laprésence des enfants à l’école cinq jours parsemaine est obligatoire, de même que les vacancesen été. C’est désespérément suranné, selon lui.“Cette loi, qui a cent ans, était conçue à l’époque pourune société agricole. La longue pause à midi était censéeleur permettre de manger un repas chaud, les vacancesd’été servaient à aider les parents à rentrer les récoltes.Ces vacances d’été soulèvent maintenant un problèmepour beaucoup de parents, affirme Hans Van derMost. Ils sont nombreux à travailler dans le tourismeici, ou dans l’hôtellerie ou la restauration. Pendantl’été, c’est la haute saison. Les parents n’ont pas letemps de prendre trois semaines de vacances.” Il faitce constat en voyant les demandes de congés quelui présentent les parents. “Il n’y en a plus que 35 %qui choisissent l’option des vacances standard. Lesparents prennent alors quatre semaines de vacancesen été et ajoutent les deux autres semaines à d’autresvacances, par exemple au printemps.”

Une semaine à Noël, ça suffitC’est aussi nettement plus avantageux sur le planfinancier, explique Isis Klein, 44 ans, mère de Jibbe,qui est tout blond. “En mars, nous partons skier unesemaine. Cela nous coûte plusieurs centaines d’eurosde moins que pendant la haute saison. C’est aussi net-tement plus tranquille sur les pistes et on ne fait pas laqueue au remonte-pente.” Pour l’enfant, il vautmieux que les vacances soient plus courtes, estimeIsis Klein. “J’ai constaté qu’une semaine de vacancesà Noël lui suffisait. Après, ses amis lui manquent et ilcommence à s’ennuyer. Il ne s’aperçoit pas vraimentque tous ses camarades ne sont pas rentrés devacances”, dit-elle, pendant qu’avec un camaradede classe, Jibbe rampe sous la table de baby-foot.“Il s’amuse quand même.” Au total, sept écoles élé-mentaires n’auront pas à se soumettre aux dis-positions légales durant les trois prochainesannées : elles pourront s’écarter de la semaine sco-laire de cinq jours et donner des cours pendantles vacances d’été. La loi l’interdit, mais la ministrede l’Education, Marja Van Bijsterveldt, entendobserver l’usage que feront les établissements decette liberté. Peuvent-ils décider eux-mêmes destemps d’enseignement et des périodes de vacancespour les élèves, ou des règles sont-elles néces-saires ? “Je veux m’orienter vers un mode d’éducationqui s’adapte aux souhaits des familles et des établisse-ments scolaires”, affirme la ministre. Elle estimeque ce nouveau mode d’enseignement doit mettreles élèves au défi de donner le meilleur d’eux-mêmes et doit permettre aux parents de mieuxcombiner leur rôle de parent et leur vie profes-sionnelle. “Quand les parents, de même que les éta-blissements scolaires, souhaitent utiliser l’été commepériode d’enseignement, il faut que ce soit possible sicela aide les élèves à mieux travailler.” Quant à savoirsi cette flexibilité des emplois du temps scolairessera préjudiciable au travail fourni par les élèves,nous le saurons dans trois ans. L’expérience feraalors l’objet d’une évaluation. Nicole Besselink

Education Les recettes qui marchent ailleurs20 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Pays-Bas : vacances à la carte19

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� En Finlande, les enseignantsdisposent d’uneplus grandemarge de libertéen adoptant un style plusdécontracté.

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www.courrier

international.com

Pour en savoir plus : sur notre site, un articlede la presse sud-coréenne. Alors que le pays figure dans le haut du classementdes systèmes éducatifs,un jeune Coréendénonce dans le journalen ligne Pressian la compétition féroceentre élèves. Et explique pourquoi il a choisi de renoncer à ses études.

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Certains établissements mettentl’accent sur le travail en équipe et l’entraide entre les élèves. Une réussite totale, notamment pourles enfants défavorisés.

Népszabadság (extraits) Budapest

C e ne sont ni des familles aisées nides fondations sponsorisées, maistrois pauvres municipalités quifinancent l’établissement scolaireintercommunal Béla IV. Hejosza-lonta, Szakáld et Hejokeresztúr

comptent respectivement 900, 600 et 1 000 âmes.70 % des enfants y réussissent au baccalauréat.Les absences non justifiées sont rarissimes. Pour-tant, les enfants viennent d’un environnement quine les incite pas à se lever le matin. “En visitant lesfamilles [les enseignants hongrois sont tenus à se rendreau domicile des enfants pour connaître leur environ-nement] j’ai le cœur serré en voyant qu’ils sont par-fois douze à dormir dans une pièce à peine chauffée,qui sur un lit, qui sur des vêtements étendus au sol.Alors que sa mère et son père sont encore au lit et queses petits frères et sœurs dorment, l’écolier se lève, faitsa toilette, s’habille et part pour l’école. Il lui faut uneforce de caractère peu commune ne serait-ce que pourpartir à l’école”, raconte Mme Emese Kovács Nagy,la directrice. Mais l’établissement n’est pas réservéaux élèves défavorisés [Roms, notamment]. C’estlà que viennent aussi les enfants du notaire, dumédecin, du professeur… Certains sont même ori-ginaires de villages “hors secteur”.

Laci Farkas, en classe de 4e, y vient depuis deuxans : “Mes amis m’ont dit qu’ici, les cours n’étaient pasennuyeux et que les professeurs aimaient enseigner.

J’ai demandé à mes parents de m’y inscrire, je préfèreme lever tôt pour venir ici. Avant, j’étais un élèvemoyen. Ici, j’ai de meilleures notes.”

La formule miraculeuse s’appelle Programmed’enseignement complexe (PCI, Program for com-plex instruction). Son principe : sur un cinquièmedu temps de chaque cours, les enfants reçoiventdes tâches qu’ils doivent résoudre ensemble. Ilsdoivent donc coopérer, argumenter, communi-quer et aider les autres. Cette méthode a été déve-loppée à l’université Stanford de San Franciscopour faciliter l’intégration linguistique des étu-diants hispaniques. Il y a une dizaine d’années,l’ambassade des Etats-Unis a organisé un stagepour des pédagogues hongrois au cours duquel

une fondation culturelle leur a présenté laméthode de Stanford. Emese Kovács Nagy y était.

“J’ai pressenti que c’était une excellente méthodepour intégrer les élèves défavorisés, se souvient-elle.Dès mon retour à Hejokeresztúr, mes collègues et moiavons commencé à élaborer notre propre formule.Pendant les cours PIC, nous apprenons tout d’abordaux élèves à communiquer. Ils acquièrent un voca-bulaire et une pratique d’argumentation qui leur don-nent confiance en eux et leur permettent de prendrela parole dans n’importe quel milieu. Ils prennentconscience que leur pauvreté, leur origine, la couleurde leur peau ne signifient pas qu’ils ne soient pas doués.Nous faisons nos cours de telle manière que l’enfantmeure d’envie d’apprendre.”

Ils ne rivalisent pas, ils coopèrentLes enfants témoignent : “Quand je travaille engroupe, je n’ai pas le trac, parce que je sais que ce n’estpas pour une note.” “Quand on a toujours quelqu’unà qui demander de l’aide, on n’a jamais peur.”

Lorsqu’ils apprennent le calcul du pourcen-tage par exemple, les enfants de Hejokeresztúr nese contentent pas de faire des exercices de maths,ils dessinent le plan d’une maison avec jardin surun terrain à construire en faisant attention auxproportions, puis ils expliquent pourquoi le bâti-ment occupe tel pourcentage et pourquoi le bac àsable a telle taille. Le professeur distribue la tâcheà chaque groupe de telle façon que même l’élèvele plus doué ne soit pas capable de le résoudre seul,et que, pour obtenir le bon résultat, ils aient besoinde l’aide des plus faibles. Ils ne rivalisent pas, ilscoopèrent. “Les résultats sont parlants, dit la direc-trice. Il n’y a ni absence injustifiée, ni redoublement,et nos enfants gagnent tous les concours de logique.”

Mais peu d’établissements ont adopté cetteméthode : seulement 9 dans toute la Hongrie, 6en province et 3 à Budapest. “Le plus étrange,témoigne un enseignant, est que les enfants n’ontpas besoin de moi. Ils travaillent seuls ! La motivationdes élèves s’est améliorée de façon spectaculaire, sur-tout celle des perturbateurs. Aujourd’hui, je n’ai plusbesoin de courir rassembler mes petits monstres aprèsla récréation, ils m’attendent en silence dans la classe.Chacun attend son tour pour parler. Je vis sur uneautre planète ! Cette méthode a produit des change-ments impressionnants en très peu de temps.”

“Cette méthode,ajoute Emese Kovács Nagy, favo-rise aussi bien le développement de la confiance en soique le traitement de l’agressivité. Dans une classe tra-ditionnelle rassemblant autant d’enfants défavorisés,pendant que le professeur parle, quatre ou cinq enfantsseulement l’écoutent les yeux brillants : ceux qui com-prennent de quoi il parle, mais 40 à 50 % des élèves nepeuvent pas le suivre. Ce sont toujours les mêmes quilèvent la main. Et le professeur pense que c’est un bonscore. En suivant notre méthode, c’est tout au plus 1 à2 % des élèves qui restent à l’écart. C’est infime.”

Rachel Lotan, professeur à l’université Stan-ford, responsable du programme dont elle est l’undes artisans, est fière du bilan des établissementshongrois : “Pour moi, mais aussi pour nos groupes derecherche pédagogique, il est très important que desétablissements de ce genre existent en Hongrie etailleurs. Nous devons créer l’égalité des chances indé-pendamment du milieu social et des origines ethniques.”

Depuis février 2011, le PIC est enseigné à l’uni-versité de Miskolc conformément à un accordsigné avec l’université Stanford . Emese KovácsNagy, maître de conférences depuis septembre, yassure le cours intitulé “Le métier d’enseigner”.“Il faut connaître ces méthodes, car nous avons besoinde béquilles quand la pédagogie traditionnelle échoue.”Judit Doros

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 21

Mi-temps

En Hongrie, la journéescolaire commence à8 heures et se termineà 13 heures. Dansl’après-midi, lesenfants font du sport,de la musique et leursdevoirs.

Source : Pisa 2009, OCDE

Pourcentage d’élèves résilients* parmi les élèves issus d’un milieu défavorisé

Et pourtant ils réussissent

* Qui se classent parmi les élèves les plus performants de tous ceux issus du même milieu socio-économique à l’échelle internationale.

200 40 60 80

Shanghai Chine

Hong Kong Chine

Corée du Sud

Singapour

Finlande

France

Etats-Unis

Hongrie

Royaume-Uni

Allemagne

Moyenne de l’OCDE31 %

� L’écoleintercommunaleBéla IV.

En Hongrie, le succès d’uneméthode californienne

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22 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

L’affaire Merah a soulevé quantitéde questions sur l’efficacité des services de renseignementfrançais. Un journalisteaméricain tente de faire le point.

The New York Times (extraits) New York

�L es mots ont beau être similairesdans les deux langues, la Franceet les Etats-Unis ont des concep-

tions différentes de la liberté, de l’égalité etde la fraternité. Il en va de même pour leursméthodes de lutte contre le terrorismemaison, issues d’histoires, de systèmesjuridiques et de conceptions de l’Etat dif-férentes. “Terrorisme” est d’ailleurs unterme d’invention française, apparu sousla Révolution.

Le drame de Toulouse – l’assassinatde sept personnes par Mohamed Merah,23 ans, Français né de parents algériens quise réclamait d’Al-Qaida – a provoqué unevive polémique en France. Il est clair queMerah s’est faufilé entre les mailles d’unfilet qui repose surtout sur le facteur humain.Les Français se demandent comment celaa pu se produire, et si Merah n’aurait pasété arrêté plus rapidement aux Etats-Unis,grâce au (coûteux) système américain desurveillance automatique des communi-cations téléphoniques et d’Internet.

“Aux Etats-Unis, c’est le système quicompte ; en France, ce sont les hommes”,confie Marc Trévidic, un juge antiterroristeparisien. Après les attentats du 11 sep-tembre 2001, les Américains ont consacréd’énormes ressources humaines, finan-cières et informatiques à la “guerre mon-diale contre le terrorisme”. Il s’agissaitnotamment de repérer les terroristespotentiels présents sur le territoire, dansun pays où la population musulmane estréduite et plutôt bien intégrée.

Les Français, avec leur histoire colo-niale, sont confrontés au terrorisme (et àl’islam) depuis bien plus longtemps. LaFrance, qui compte le plus grand nombrede musulmans d’Europe – près de 10 % dela population, souvent concentrée dans desquartiers pauvres – et se trouve plus prèsdu Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord,s’est surtout employée à prévenir le recru-tement de terroristes potentiels en infil-trant régulièrement les mosquées et lesréseaux islamiques radicaux.

Du fait de leur histoire et parce que leurbudget est plus limité, les Français comp-tent davantage sur les contacts humains,les renseignements et les ressourceshumaines disponibles sur terrain, et moinssur la surveillance automatique des com-munications téléphoniques ou autres, àl’inverse des Américains. Les Français sontdonc parfois mieux informés, mais ils sontaussi moins systématiques, moins capablesde “faire des rapprochements” que les

France

Américains, qui se sont efforcés de tirer lesleçons de leur incapacité à prévenir lesattentats du 11 septembre 2001.

Pour chaque cas, les Français disposenten général d’un dixième des ressourcesdont disposent les Américains, souligneMarc Trévidic. L’Etat français est haute-ment centralisé et non fédéral. Après unesérie d’attentats à la bombe dans lesannées 1980, la France a constitué en 1984l’Unité de coordination de la lutte antiter-roriste (Uclat) pour mieux coordonner lerenseignement intérieur et extérieur. La

législation française relative au renseigne-ment a été revue en 1986, puis après 1995[année où une vague d’attentats attribuéeau Groupe islamique armé a secoué laFrance] et 2001, et encore affinée en 2006par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’In-térieur, pour donner une plus grandemarge de manœuvre aux juges d’instruc-tion et à la police. Les services de rensei-gnement du ministère de l’Intérieur ontété regroupés avec ceux de la police en2008, pour former la Direction centrale durenseignement intérieur (DCRI).

La lutte contre le terrorisme est plusdécentralisée aux Etats-Unis, ce qui ne vapas sans complications. Les tensions entrele FBI (Federal Bureau of Investigation),la CIA (Central Intelligence Agency) et lesorganes de police régionaux ou nationauxsont légendaires, en particulier entre le FBIet la police de New York, qui possède sapropre unité antiterroriste. Ces tensionsavaient donné un tour tantôt divertissant,tantôt déconcertant à Securing the City, uneenquête du journaliste Christopher Dickeysur la police de New York, parue en 2009[inédite en français].

“En France, il n’y a que deux forces depolice, toutes deux nationales. Il y a donc moinsde rivalités entre les organes”, relèveM. Dickey. Les affaires de terrorisme sontsuivies par un seul parquet, et un groseffort a été fourni pour réintégrer les pro-cédures dans le droit commun mais enaccordant aux enquêteurs plus de sou-plesse en matière d’écoutes, de surveillanceet de garde à vue. Les Etats-Unis, eux,essaient toujours de réconcilier procédureordinaire et lutte antiterroriste – regardezles difficultés rencontrées pour fermer lecentre de détention de Guantanamo Bay.

Pour simplifier, l’Etat français disposed’un grand pouvoir pour espionner la viedes citoyens, et il a la possibilité d’arrê-ter des suspects à titre préventif. “LaFrance possède un système très agressif. Leslois sont faites de telle sorte qu’il soit possibled’appréhender les gens très tôt avant qu’ilsne passent à l’acte”, déclare Gary Schmitt,spécialiste du renseignement et cher-cheur à l’American Enterprise Institute.“Les Français font beaucoup de choses, dontdes écoutes téléphoniques, à côté desquellesle Patriot Act [loi antiterroriste américaine,signée par George W. Bush en octobre 2001]paraît gentillet. Aux Etats-Unis, on parlede prévention en termes militaires, maisles Français appliquent cette notion à leur territoire, pour mettre au jour des complotset des conspirations.”

On a reproché à la méthode françaisede laisser prise aux excès de zèle, aux pré-jugés raciaux et aux violations des droitsciviques. En cas d’échec, elle fait l’objet decritiques cinglantes. Pourquoi les autoritésn’ont-elles pas pu empêcher qu’un hommedéjà repéré pour avoir fait des voyages à lafrontière pakistano-afghane et surfé surdes sites Internet salafistes, tue de sang-froid sept personnes ?

La France n’avait pas subi d’attaquesd’une telle ampleur depuis la série d’at-tentats à la bombe qui avait terrorisé Parisen 1995. Cela montre que son systèmefonctionne. C’est cependant une maigreconsolation pour les Français, de mêmeque la réussite des Etats-Unis à empêchertout nouveau 11 septembre ne peut faireoublier les erreurs qui avaient précédé lesattentats contre le World Trade Center.Steven Erlanger

Antiterrorisme

Les Américains auraient-ils fait mieux ?

Auditions Y a-t-il eu dans l’affaireMerah un raté des services desécurité ? Mercredi 4 avril, BernardSquarcini, patron de la Directioncentrale du renseignement intérieur(DCRI), et Erard Corbin de Mangoux,responsable de la Direction

générale de la sécurité extérieure(DGSE, espionnage), devaient être entendus par la délégationparlementaire au renseignement. Le gouvernement a refusé qu’ilssoient auditionnés par le Sénat,majoritairement à gauche.

� Dessin d’Ares, Cuba.

Plutôt que de s’acharnersur le Pakistan, les médiasfrançais feraient mieux de “faire la lumière sur les négligences de leurgouvernement”, s’indigneThe Frontier Post.Le quotidien de Peshawardéplore la “campagne dedénigrement” qui seraitmenée en France : “Des articles ont soulignéles liens de Merah avec lestalibans, et l’entraînementdont il aurait bénéficiédans les Zones tribalespakistanaises, alors qu’iln’existe pas d’informationsfiables sur son séjour là-baset que les talibanspakistanais ont démentiavoir une quelconqueimplication dans ses

actes.” Cet acharnementà l’encontre du Pakistanconstitue un “exempletypique de l’aveuglementdes pays européens faceà la radicalisation decertains de leurs citoyens,poursuit le journal.Personne ne s’est interrogésur les imperfections de lasociété ayant pu conduireun Français d’originealgérienne à tourner sonarme contre cette mêmesociété.” Merah avait été“plusieurs fois incarcérépour des activitéscriminelles” : il apparaîtdonc “surprenant”qu’il ait pu acquérir tout un arsenal militaire.“Autant d’aspects quitémoignent de sérieuses

faiblesses dans lastructure et l’organisationde la DCRI [Directioncentrale durenseignement intérieur].Les services derenseignement françaisont ignoré des signesavant-coureurs flagrantset n’ont pas été capablesde prendre à temps des mesures préventives”,accuse The Frontier Post.Il conclut sur cette miseen garde : “Les paysoccidentaux doiventsortir de leur aveuglement.S’acharner sur le Pakistann’est certainement pas la panacée pourmettre un terme à ladégénérescence socialedes sociétés occidentales.”

Vu du Pakistan

Haro sur les médias !

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24 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Ils ont combattu durant dessiècles aux côtés des Français,sur tous les champs de bataille d’Europe. A Paris, une exposition rend hommage à leur héroïsme.

The Irish Times (extraits) Dublin

�L e 17  mars, jour de la Saint-Patrick, la Seine n’a pas été teinteen vert [comme l’est, le jour de

la fête nationale irlandaise, la rivière Chi-cago, aux Etats-Unis]. En juin prochain,il ne faudra pas non plus s’attendre à ceque des hordes d’immigrés envahissent lesChamps-Elysées pour fêter la victoireannoncée de l’Irlande sur l’Espagne auChampionnat d’Europe de football. C’estplus discrètement que se manifeste l’af-fection de la France pour l’Irlande : par les400 000 Français qui se rendent en Irlandechaque année, par un appétit insatiablepour la cuisine et les boissons irlandaises,par le capital de sympathie dont jouit lanation irlandaise dans l’Hexagone.

La popularité de l’Irlande en France estséculaire, et partout on en trouve destraces : dans des noms de rues commel’avenue Mac-Mahon, une artère parisiennebaptisée en l’honneur de Patrice de Mac-Mahon, un descendant des “Oies sauvages”[nom donné aux soldats irlandais quiavaient fui leur pays après avoir été défaitspar les troupes anglaises à la Boyne, en1690] devenu président de la Républiquefrançaise en 1873 ; dans le nom de la distil-lerie fondée en 1765 à Cognac par RichardHennessy, qui avait quitté Cork pour s’en-gager dans la brigade irlandaise de l’arméefrançaise ; et, surtout, dans les milliers denoms irlandais inscrits sur les tombes etles monuments aux morts du pays.

Sur tous les frontsUne exposition du musée de l’Armée, àParis, retrace trois siècles de coopérationmilitaire entre la France et l’Irlande, depuisles premiers régiments irlandais qui ontcombattu pour la France au XVIIe siècle jus-qu’à la coopération entre les armées fran-çaise et irlandaise lors de la récente missiondes Nations unies au Tchad.

L’exposition fait remonter cette coopé-ration irlandaise à 1690, date à laquellele dernier roi catholique d’Angleterre,Jacques II, s’est réfugié en France, pays quidepuis longtemps avait remplacé l’Espagneen tant que puissance étrangère verslaquelle les catholiques irlandais se tour-naient pour demander de l’aide. L’enrôle-ment d’Irlandais dans l’armée de Louis XIVa conduit à la création de la brigade irlan-daise, qui a permis aux jacobites [les par-tisans de Jacques II] de garder espoir dansla lutte pour la cause irlandaise. Cetteunité s’est distinguée dans d’importantes

France

campagnes et batailles au cours des règnesde Louis XV et de Louis XVI. Elle se trou-vait à Philippsbourg en 1734, à Fontenoy en1745, à Culloden en 1746 et elle a participéà la guerre d’indépendance américaine,de 1778 à 1783.

Dans une des lettres présentées à l’ex-position, datée du 18 octobre 1697 et adres-sée au ministre de la Guerre Louis LeTellier, le maréchal Sébastien de Vaubansouligne le dévouement des soldats irlan-dais : “Ce sont des troupes très valeureuses etde pauvres gens chassés de leur pays par l’in-térêt de leur religion et par la fidélité due à leurRoy qui sont dignes de compassion.”

Les “Oies sauvages” et leurs descen-dants se sont bien intégrés et ont bénéfi-cié, en 1715, d’un décret royal garantissantla nationalité française aux soldats étran-gers qui avaient servi dans l’armée pen-dant plus de dix ans. Les Irlandais ontégalement joué un rôle important pendantla Révolution française et au XIXe siècle.Quand la France est entrée en guerrecontre la Prusse en 1870, l’Irlande a créédes comités de soutien et lui a envoyé del’argent et du matériel.

Le bilan des pertes irlandaises sur leschamps de bataille français apparaît surles monuments aux morts du pays – avec

les noms inscrits sur l’Arc de triomphe, parexemple – ou sur la croix celtique érigée àFontenoy pour commémorer leur participa -tion à la bataille du 11 mai 1745. De nombreuxsoldats irlandais sont également tombésau combat pendant la Première Guerremondiale. Durant la seule bataille de laSomme, quelque 2 000 des 15 000 hommesde la 36e division d’Ulster ont perdu la vieet 3 500 ont été blessés. Après la guerre, lemaréchal Ferdinand Foch, commandantsuprême des forces alliées sur le front occi-dental, a salué l’héroïsme des soldats irlan-dais qui avaient combattu dans la Sommeet a promis que la France n’oublierait passa dette envers eux.

Une dette à honorerL’un des faits les moins connus de l’his-toire des relations franco-irlandaises est lerôle joué par des Irlandais et des Irlandaisesdans la Résistance, pendant la SecondeGuerre mondiale. Samuel Beckett a reçula croix de Guerre et la médaille de laRésistance du gouvernement français poursa lutte contre l’occupant allemand. Desrecherches récentes ont montré que descitoyens irlandais ont été actifs dans lesréseaux clandestins en tant que courriers,soignants et agents des filières d’évasion.

Et une grande caractéristique de cette par-ticipation à la Résistance fut le nombre defemmes, bien supérieur à la moyenne.Katherine Anne MacCarthy, par exemple,était une sœur franciscaine qui opéraitdans un réseau de renseignements et d’ex-filtration. Elle a été arrêtée par la Gestapoen juin 1941, condamnée à mort et dépor-tée. En décembre 1944, elle a été évacuéedu camp de Ravensbrück.

Selon Pierre Joannon, consul générald’Irlande dans le sud de la France et spé-cialiste de l’histoire irlandaise, deux évé-nements survenus à la fin des années 1960et au début de la décennie suivante ont jouéun rôle important dans la sensibilisationde la France à ses liens avec l’Irlande. Lepremier a été la visite, en 1969, du généralde Gaulle en Irlande, terre d’une partie deses ancêtres, et la seconde a été l’adhésionde l’Irlande à la Communauté économiqueeuropéenne, en 1973. “Avant 1973, l’Irlandeétait une île isolée à l’extrême ouest du conti-nent européen, rappelle l’historien. Le faitque l’Irlande ait intégré le Marché communa ouvert les yeux aux Français sur lesdiverses composantes de la relation franco-irlandaise, comme elle a ouvert les yeux auxIrlandais sur la France et sur d’autres pays.”Ruadhan Mac Cormaic

Histoire

Les Irlandais, frères d’armes longtemps négligés

A voir Jusqu’au 29 avril, le musée de l’Armée, à Paris, propose une exposition sur les relationsmilitaires nouées entre la France et l’Irlande depuis plus de troissiècles. Au départ favorisées

par la rivalité franco-britannique,celles-ci se poursuivent aujourd’huivia les missions de maintien de la paix menées sous l’égided’organisations internationales.Pour en savoir plus : www.invalides.org

� Le général de Mac-Mahon, illustre descendant d’Irlandais, lors de la campagne de Kabylie, en 1857.

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26 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Les clubs de foot rechignent à payer le milliard d’euros qu’ils doivent à la Sécuritésociale et à l’Etat. Un passe-droit inacceptable en ces temps de crise.

ABC Madrid

�D ans un débat public qui se carac-térise par le plus grand méprisenvers les idées d’autrui, le res-

pect excessif affiché par l’ensemble de laclasse politique à l’égard des passions tri-bales des amateurs de football est des plusparadoxaux. Plus respectés que les convic-tions religieuses, les sentiments des sup-porters jouissent d’une déférence qui nepeut être attribuée qu’à la crainte d’éven-tuelles représailles.

Et cette soumission aux états d’âmedes supporters a engendré un climat d’im-punité que les clubs et leurs dirigeantsexploitent avec l’assurance désinvolte degourous intouchables. Le fanatisme dessupporters leur a en effet construit unblindage à l’épreuve des lois et leur permetde continuer à faire gonfler envers etcontre tout la seule bulle financière que lacrise n’a pas encore fait éclater.

Même le Parlement n’arrive pas à obte-nir des informations fiables sur les arrié-rés dus par les clubs à la Sécurité sociale[que l’on estime à 250 millions d’euros].Et, si l’on a réussi tant bien que mal àsavoir qu’ils devaient 752 millions d’eurosau Trésor public, la lenteur de la procé-dure de recouvrement reste inexplicable.Les clubs se croient apparemment au-dessus des lois et dégagés de leurs obli-gations sociales, des attitudes quicon duiraient n’importe quel chef d’entre-prise ordinaire en prison ou à la faillite.

Europe

Protégés par le sentimentalisme identi-taire de leurs supporters, ils ne respectentni les délais, ni les avertissements, ni lesmises en demeure, et, une fois acculés, ilsont l’impudence de se retrancher derrièrela loi sur les faillites.

Des équipes en suspension de paie-ment embauchent des joueurs et dépen-sent l’argent qu’elles n’ont pas en sefichant complètement de la disciplinecomptable, administrative et juridique,tandis que les fédérations ferment les yeuxet continuent à accepter des équipes quicontreviennent systématiquement auxrègles du jeu. Le football espagnol vit à

l’abri de la double bulle de son impunitéjuridique et de son fonctionnement auto-nome, au-dessus des lois du marché et del’Etat. Forts de leur emprise sur des foulesenflammées et acquises à leur cause, sesdirigeants se savent protégés.

Dans le passé, les clubs fonctionnaientavec des subventions opaques et des prêtsfictifs, puis l’argent est arrivé et aujour-d’hui ils ne font que profiter de la permis-sivité des pouvoirs publics, qui tremblentdevant le public des stades. Dans ce paysoù on peut déclarer une journée de grèvegénérale sans traumatiser personne, unweek-end sans championnat s’apparenteà l’apocalypse. En cette période de pénu-rie et de coupes budgétaires, il est inad-missible que l’Etat continue à augmenterles impôts des citoyens sans oser réclamerson dû à des usurpateurs.Ignacio Camacho

Espagne

Le ballon rond, resquilleur de la crise

Grèce

Les socialistes doivent rompre avec le passéAvant les élections prévues début mai, le ministre grec desFinances, Evángelos Venizélos, a pris la tête du Pasok, mais lessondages sont catastrophiquespour le parti socialiste, qui devra se rénover.

To Vima (extraits) Athènes

�U n fond blanc et une ligne verte,voilà le décor de la premièreapparition du nouveau chef du

Pasok, le parti socialiste grec, EvángelosVenizélos. Une apparition accompagnée

d’un “pardon” demandé une fois de plusaux citoyens. Sans vouloir insulter sonintelligence – indéniable – disons qu’Eván-gelos Venizélos n’a visiblement pas réaliséqu’une rupture avec le passé est une condi-tion préalable de la survie de son parti. Et,bien entendu, cela ne doit pas se passeruniquement dans les paroles, mais dansles actes. Il est impossible de vouloir tour-ner une page du Pasok et d’écrire le nou-veau chapitre avec les mêmes personnesqui ont profité du système sans complexependant des décennies. On ne peut pasdemander l’adhésion des citoyens en leurpromettant des réformes sans avoir radi-calement réformé au préalable son propre

parti. Comment est-ce que les citoyenspourraient lui faire confiance pour réus-sir le pari des réformes quand il n’estmême pas capable de les mener dans lemicrocosme de son propre parti ? Un partiqui porte en outre l’écrasante responsa-bilité de nous avoir menés dans l’impasse…D’ailleurs, s’il y a bien quelque chose declair aujourd’hui, c’est qu’il y a un déca-lage énorme entre l’actuelle compositiondu Pasok et la nouvelle équipe qu’il nousfaudrait. Nous avons besoin d’une équipede direction collective cohérente, plustechnocrate et moins discoureuse, maisaussi de nouvelles formes d’organisationpour répondre aux besoins actuels et aux

exigences de la société. L’époque du népo-tisme et de la servilité est finie ; celle despetits chefs placés à des postes straté-giques pour entretenir un système féodall’est aussi, fort heureusement.

Il y a dans l’héritage du Pasok unaspect positif : avoir réussi à unifier et àconsolider le grand centre gauche du pays.Mais aussi le poids de l’esprit partisan,dont le populisme est l’une des principalescaractéristiques. Le travail de Venizélosne sera probablement pas facile. Il a certesles capacités nécessaires mais la questionest de savoir comment il pourra vaincre sapropre réticence, bien socialiste, à vérita-blement tourner la page. Sifis Polimis

� Dessin de Kap, Espagne.

L’Espagne est-elle “l’homme malade de l’Europe” ? Alors que près de 1 actifsur 4 est au chômage, le pays traverseune tempête économique sansprécédent depuisle retour de ladémocratie, en 1975. Le gouvernementde droite de Mariano Rajoy, trois moisaprès son investiture, a présenté sonbudget 2012 le 2 avril, un budget amer etaustère qui prévoit plus de 27 milliardsd’euros d’économies, entre haussesd’impôts et coupes budgétaires. Les budgets de tous les ministères ontainsi été amputés de 17 %…Le gouvernement a aussi lancé unevaste réforme du marché du travail,visant à assouplir les conditions et lescoûts des licenciements, et permettantde baisser les salaires dans certains cas.Cette réforme a provoqué une journéede grève générale le 29 mars, qui asurtout été suivie dans le secteur public.Entre 1 et 2 millions d’Espagnols sontdescendus dans la rue ce jour-là.Pendant ce temps, l’Europe s’inquièted’un scénario à la grecque où l’Espagneserait incapable d’honorer sa dettepublique. “Il ne s’agit plus de se voiler la face, écrit El País. L’Espagne estdevenue la préoccupation principale del’Europe, le pays où va se jouerla crise de la zone euro.” Mais lequotidien madrilène est très sceptiqueconcernant le remède de cheval de la rigueur, qui risque de provoquerseulement “plus de récession et de chômage”. Pour 2012, le PIBespagnol devrait baisser de 1,7 %.

Austérité

Coupes brutales

Les clubs se croientapparemment au-dessus des lois

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C’est de Giugliano, un fief de la mafia napolitaine, queproviennent près de la moitiédes faux billets en euros en circulation. Une productionqui commence à menacer lastabilité de la monnaie unique.

La Repubblica (extraits) Rome

�E n Europe, il y a un petit Etat invi-sible, au nord de Naples, qui n’ani gouvernement, ni frontières,

ni banques, et qui pourtant imprime deseuros. Des faux, naturellement, mais repro-duits si fidèlement que toutes les forcesde police internationales commencent àsérieusement s’en inquiéter.

Dans un rayon de vingt kilomètresautour de la petite ville de Giugliano pros-père la plus haute concentration de faus-saires et d’imprimeries clandestines de toutle continent. Plus de la moitié de la faussemonnaie en circulation dans les dix-septpays de la zone euro est fabriquée ici.

Depuis que l’euro a été introduit en2002, 5,5 millions de faux billets ont étéretirés de la circulation sur le territoireeuropéen, pour une valeur nominale deprès de 400 millions d’euros. “Mais lesquantités saisies ne sont que la pointe émergéede l’iceberg, explique une source d’Europol,et la part qui échappe aux contrôles est large-ment plus importante.” Trois à quatre fois,selon certaines estimations.

Des faussaires qui valent de l’orLes typographes qui savent imiter les élé-ments de sécurité des diverses coupuresse comptent sur les doigts des mains. Pourle crime organisé, ils valent de l’or. Il fauttrois personnes pour monter une équipede faussaires. D’abord, le propriétaire del’imprimerie : c’est lui, généralement unpersonnage mineur de la Camorra [lamafia napolitaine], qui s’occupe de trou-ver une machine offset d’occasion (lesplus récentes, en quadri-chromie, coûtent jusqu’à500 000 euros), le fili-grane, les encres et tousles éléments nécessaires.Ensuite vient le typo-graphe, chargé de la fabri-cation. Puis le distributeur.

La chaîne de distribution emprunteles mêmes réseaux que ceux de la drogue.Le premier passage, du distributeur au“grossiste”, se négocie à 10 % de lavaleur nominale. Auprès du gros-siste s’approvisionnent desintermédiaires, petits cri-minels locaux ou cour-riers étrangers (souventestoniens ou lituaniens),qui portent les valises chargéesde fausses coupures en Espagne, en Bel-gique ou en Lituanie.

Les malfrats originaires de Giuglianodoivent toutefois faire face à la concur-rence bulgare. Dans les campagnes du suddu pays et aux alentours de Sofia, la capi-tale, on sait maintenant fabriquer un billetjaune de 200 euros d’excellente qualité.

La France et l’Espagne viennent aussi-tôt derrière l’Italie pour la production defausse monnaie.

Selon Tzvetan Tzvetanov, le ministrebulgare de l’Intérieur, “la contrefaçon devientpréoccupante pour la sécurité financière del’euro”. Cependant, à Francfort, les diri-geants de la BCE affichent leur sérénité.

Les 606 000 billets retirés de la circu-lation en 2011 représentent une valeurnominale d’une dizaine de millions d’eu-ros sur un total de 14,4 milliards de billetsauthentiques actuellement en circulation.Un pourcentage de faux assez bas, del’ordre de 0,0004 %.

Et les Chinois ?Les chemins qui mènent la fausse monnaiede l’Europe vers le reste du monde passentpar l’Espagne et visent des pays qui ont unemonnaie faible et une connaissance appro -ximative des euros : ceux du Moyen-Orient,d’Afrique du Nord, de l’Europe de l’Est,principalement.

En Afrique, certaines banques ne dis-tinguent pas les vrais des faux et les échan-gent contre la monnaie locale. Et lesChinois ? Ces virtuoses de la contrefaçonse sont pour l’heure tenus à l’écart, maison a su récemment, relate une source àEuropol, que des hologrammes utilisés parles Bulgares pour les billets de 200 eurosavaient été réalisés par des faussaires chi-nois. S’ils se mettent eux aussi à imprimer,le problème risque de prendre une toutautre ampleur. Fabio Tonacci

« Un livre passionnant » Audrey Crespo-Mara sur LCI

Lilian Thuram s’engage

pour l’égalité, entouré de

prestigieux invités :

Yves Coppens, Françoise Héritier,

Pascal Boniface, Plantu

et vingt et une autres

personnalités de premier plan.

Photographie : © Philippe Baumann

MANIFESTEpour l’égalité

LILIAN THURAM

� Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

Italie

Des faux euros à la pelle

Retrouvez plus d’informations sur ce sujet sur presseurop.eu,premier site d’information multilingue européen.

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28 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Europe

Dans la zone la plus pauvre du pays, les travailleurs sociauxsont de véritables hommes à tout faire.

hvg.hu (extraits) Budapest

�T rois monospaces et autant degamelles pour les repas. Ce sontles premières images qui nous

accueillent au centre médico-social de laparoisse protestante de Balkány [dans lenord-est de la Hongrie]. Nous choisissonsrapidement notre homme parmi les tra-vailleurs sociaux affectés aux hameaux.C’est Ferenc Nézo que nous accompagne-rons dans sa tournée quotidienne. Autourde Balkány, il y a trois secteurs, dont le plusgrand est desservi par Ferenc : il couvredix-sept hameaux par jour depuis vingt ans.

Le Service des hameaux a été créé en 1992dans le département. Aujourd’hui, quelques2 000 personnes vivent dans ces hameaux,dis séminés sur un territoire d’environ30 km2. La plupart n’ont toujours pas l’eaucourante et se chauffent au bois ; enrevanche, tout le monde a l’électricité.

Jusqu’à l’an dernier, le Service deshameaux relevait de la compétence desmunicipalités. En janvier 2012, l’Egliseréformée de Hongrie a pris le relais et c’estelle qui finance désormais ces actions quo-tidiennes. Les tâches d’un travailleur socialcomprennent l’aide à domicile, la distri-bution de repas, les conseils pour lesdémarches administratives, l’entretien del’habitat rural, les soins de jour aux maladesdépendants et la gestion du club des per-sonnes âgées.

“Je me lève tôt tous les matins : à 7 h 15je dois être à l’école avec les enfants qui ne

peuvent pas prendre le bus.” Nous dépo-sons vite les enfants, puis nous allonsparler de l’école avec les enseignants. Ladirectrice adjointe est au bord deslarmes : “Le nombre des élèves diminue pro-gressivement. Cette année, nous n’avons plusque huit élèves en CP. Nous devrons bientôtfermer l’école.”

A 9 heures, nous nous rendons chez leshabitants des hameaux qui veulent faireleurs courses, et nous les déposons chacunlà où ils veulent. “Mme Pál Köteles est l’une demes passagères régulières. Aujourd’hui, nousdevons acheter du plâtre, parce qu’elle m’ademandé de remplacer quelques carreauxcassés dans sa salle de bain.” C’est un des pro-blèmes que Ferenc peut résoudre. A un car-refour, nous prenons en charge quatreautres personnes : des affaires adminis-tratives à régler. A 10 heures, nous avonsdéposé chaque personne au lieu voulu.

Hongrie

Au service des hameaux perdus

Taux de chômagepar région (comitat)en pourcentagede la population active,2009

De 16,1 à 19,1De 14,1 à 16De 12,1 à 14De 10,1 à 12De 8,1 à 10De 6,2 à 8

Le Nord-Est oublié

Budapest

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HONGRIE

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SERBIECROATIE 100 km

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� Au domicile des Köteles, des personnes âgées qui demandent régulièrement l’aide du travailleur social Ferenc Nézo.

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Page 29: Compte Rendu.1118

“Les jeunes ne restent plus. Ils n’ont aucunavenir dans ces hameaux, tous ceux qui le peu-vent partent”, dit Ferenc. Les principalessources de revenus sont les allocationssociales. “L’emploi est rare, par ici. Même sicette année un programme a donné du travailà environ 100 personnes, qui ont pu s’engagerpour déblayer la boue et la neige des voies.”

Nous arrivons chez une autre habi-tante. “Mme Eva aurait besoin d’une couver-ture. Elle me la demande depuis longtempsmais, comme personne ne nous en offre, nousne pouvons rien faire”, dit Ferenc, tout enécoutant les plaintes de la femme. Il con -naît intimement les gens d’ici, qui lui fontnaturellement confiance. “Parfois je sais plusde choses sur ces femmes que leur mari ou leursenfants. C’est un véritable poste de confiance”,dit Ferenc. Aujourd’hui, une partie deshameaux disposent de la connexion Inter-net. “Aucun fournisseur d’accès n’avait desolution. Un jour, j’ai rencontré un jeune quia eu l’idée d’amener le bas débit par le câble.Il m’a suffi de résoudre le problème d’alimen-tation électrique et, bien sûr, de faire en sortequ’il y ait au mois quinze abonnés, pour quel’investissement soit rentable : je me suis lancé.”Aujourd’hui, il y a trente abonnés.

Nous voilà chez Mihály Bokor, quiaprès une fracture du fémur garde le litdepuis des semaines. Il reçoit justementles soins d’un aide-soignant : “J’ai fait sa toi-lette et je l’ai rasé. Vous arrivez au meilleurmoment. Si vous me donniez un coup de main,ce serait sympa, parce que je ne peux pas net-toyer seul le fourneau, qui enfume la maison.”Ferenc l’aide, ramone et nettoie la suie.

Je continue à interroger notre guidesur les moyens de subsistance des gens dela région. “Ce n’est pas facile. Ma femme etmoi, nous touchons chacun 82 000 forints[280 euros] par mois. Les fins de mois sontdifficiles.” Il précise qu’ils ne sont pas àplaindre, qu’ils vivent bien par rapport à lamoyenne des gens d’ici. Nous nous repo-sons un court moment et, à 13 heures, letrans port des personnes reprend, et lalivraison des repas. Quand je l’interroge surses attributions précises, Ferenc ré pond ensouriant : “En fait, je ne dis non à aucunedemande : quand il faut aller chercher de laviande à la supérette, j’y vais, quand il faut desmédicaments, je vais à la pharmacie. Il faut semontrer digne de la confiance des gens.”

Après la livraison des repas, une nou-velle tâche l’attend : ramener chez eux lesenfants de la maternelle et du primaire.Nous faisons escale devant plusieurs éta-blissements, et le monospace prend tantôtun, tantôt cinq enfants. Je constate, éton-née, que Ferenc ne les dépose pas devantleur porte. “Malheureusement je ne peux pasles conduire plus loin. Notre budget ne nous lepermet plus. Nous devons économiser sur l’es-sence chaque fois que c’est possible.”Edith Károly

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 29

� Retour à la maison. Ferenc Nézo fait aussi le taxi pour les enfants.

� Apporter des repas aux habitants les plus isolés : l’une des tâches des travailleurs sociaux.

� Roland Felföldi, créateur de sculpturespolychromes en béton.

� Faire des courses : une autre des tâches de FerencNézo. “Je ne refuse aucune demande”, dit-il.

� La plupart des habitants se chauffent au bois.L’hiver, la température peut descendre jusqu’à – 22 °C.

“Les jeunes n’ont aucunavenir. Tous ceux qui le peuvent partent”

Page 30: Compte Rendu.1118

30 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Prise depuis des années dans la spirale terrorisme-répression-corruption, laRépublique caucasienne voisinede la Tchétchénie connaît un regain de violence. Face à l’échec de sa politique de pacification, le Kremlin réagit.

Nezavissimaïa Gazeta MoscouDe Makhatchkala

�D epuis la mi-février, l’activité ter-roriste au Daghestan s’est inten-sifiée, en particulier dans la

région de Karaboudakhkent [lire ci-dessous]. La réaction de Moscou étaitattendue depuis longtemps. C’est chosefaite : le 15 mars, 30 000 hommes ap par- tenant aux troupes du ministère de l’In-térieur de la Fédération de Russie sontarrivés dans cette région, en provenancede Tchétchénie. Et la concentration desforces se poursuit.

Depuis un an, le Daghestan résonne derumeurs annonçant des opérations mili-taires, voire quasiment une guerre, qui sedérouleraient entre la présidentielle russe[4 mars 2012] et les JO de Sotchi [hiver2014]. Ces derniers mois, la Républiquecaucasienne, déjà fortement pourvue demilitaires et d’unités spéciales, a vu arriverdes contingents de plusieurs milliersd’hommes. En Tchétchénie et au Daghes-tan, le programme national de moderni-sation des équipements et du matériel desunités a été mis en place en priorité parrapport au reste du pays. Dès la mi-2011,les armes tactiques ont été renouveléesà 80 %. En janvier, la région de Bouïnakska été le théâtre d’exercices impliquantaviation, chars et artillerie.

Europe

Cependant, cela ne semble pas tout àfait logique d’envoyer au Daghestan desunités lutter contre des combattantsembusqués. L’armée n’est pas préparée àaffronter des “partisans” embusqués dansla forêt. En outre, on pourrait croire queDieu a créé la région de Karaboudakhkentspécifiquement pour les maquisards :un terrain accidenté, couvert de forêts,jalonné de nombreuses cavernes etgrottes. Les rebelles sont originaires desvillages du coin et connaissent parfaite-ment la zone, tandis que les militaires etles hommes des unités spéciales neconnaissent pas la situation locale, ni lesspécificités religieuses de la région et ris-quent donc de faire de grosses erreurs.Or un usage massif de la force risque deprovoquer une riposte.

D’après les journalistes sur place,deux divisions entières en provenancede Khankala [en Tchétchénie], soit plusde 25 000 hommes, seraient arrivées auDaghestan. La région en comptait déjàautant, auxquels il faut ajouter la police,les unités spéciales, la flotte de la Cas-pienne, les régiments de montagne et lesgardes-frontières. Par ailleurs, on n’estplus à l’époque où le réseau soviétiqued’agents secrets avait été complètementdétruit. Ces dix dernières années, il s’estreconstitué et compterait plus de10 000 hommes. A Makhatchkala, il suffitde jeter un coup d’œil dans l’établisse-ment connu sous le nom d’“hôpital de lapolice” pour comprendre qu’une bonnemoitié des blessés sont des agents dela police criminelle sous différentes

Russie

Terrorisme : Moscou durcit le ton au Daghestancouvertures, comptables, chauffeurs detaxi, commerçants…

En moins d’un mois, une trentaine depersonnes de tous les camps ont trouvé lamort dans la région de Karaboudakhkent,dont Ibraguimkhalil Daoudov, l’“émir duDaghestan”. Si une opération militaire yest engagée, cela signera l’échec completdu travail des unités spécialisées dans lalutte contre l’extrémisme et les rebellesclandestins. Dotées d’énormes moyens,largement financées, bénéficiant de l’im-mense expérience du combat contre lesrebelles accumulée en quinze ans [depuisla guerre en Tchétchénie], celles-ci auraientdû mener à bien leur mission sans que l’ar-mée soit contrainte d’intervenir.

L’imminence d’opérations militaires estconfirmée par des indices indirects. En dixans, aucun projet économique d’enverguren’a été mis en œuvre au Daghestan. Audébut de cette année, on a appris que leKremlin avait renoncé à déposer le dossierde candidature de la république pour latenue des Jeux olympiques de la jeunesse2018 à Kaspiisk. Le recrutement de jeunesDaghestanais et Tchétchènes dans l’arméefédérale, réduit l’année dernière, a été tota-lement interrompu cette année.

Le Daghestan vit dans l’angoisse. LaRépublique entend régulièrement lescommentaires du président de la Tchét-chénie voisine, Ramzan Kadyrov, sur l’es-calade de la violence engendrée par lesactions militaires. Et, pourtant, en Tchét-chénie, les opérations spéciales sontmenées par des forces locales, et non fédé-rales, ce qui diminue nettement lesrisques d’abus de pouvoir de la part de ceshommes. On y compte beaucoup moinsd’enlèvements et de disparitions. AuDaghestan, on n’a toujours pas vu lemoindre rapport détaillé du chef de la

Depuis que la Tchétchénie a étéplus ou moins “pacifiée” par le leader autoritaire RamzanKadyrov, le terrorisme islamistea gagné le Daghestan voisin. Il se passe rarement longtempssans qu’un attentat ou uneopération de police ne livre sonlot de morts sur ce territoire quifut la patrie de l’imam Chamil,héraut de la résistance face àl’armée impériale de Russie dansle Caucase du Nord auXIXe siècle. Le 23 mars 2012,l’imam de la mosquée centralede Bouïnaksk, cinquième ville du Daghestan, ainsi que songarde du corps, ont été victimesd’un attentat à la bombe.

GuitinomagomedAbdoulgapourov avait étémenacé par les islamistesradicaux, rapporte le quotidienKommersant, pour sesprêches dénonçant les activitésterroristes des wahhabites. Le 6 mars déjà, un attentatsuicide visant un poste de police de Karaboudakhkentavait eu une grande résonancedans la région, et avait ”rappeléque les événements prennent la tournure d’une véritableguerre civile”, commente la Nezavissimaïa Gazeta.Cinq policiers tués et deuxblessés, ce fut le prix à payerpour la mort, en février, du chef

de la rébellion islamiste de la région de Kaspiisk et ancienpolicier, Zaour Zaguirov, abattulors d’une opération de police.C’est sa veuve, AminatIbraguimova, 26 ans, qui l’a vengé. Cette nouvelle étapedans l’escalade de la violence, avec notamment le retour desfemmes kamikazes, remonte,d’après la NezavissimaïaGazeta, à la mi-février, date de l’assassinat par les forces de l’ordre d’IbraguimkhalilDaoudov, le chef des combattants clandestins,dit aussi Emir Salikh. En décembre 2010, sa femme,Zavjat, devait perpétrer un

attentat à Moscou, pour vengerla mort de deux de leurs fils.L’épouse d’un autre combattantislamiste arrêté devaitégalement se faire sauter dans la capitale russe. Mais lesopérations avait échoué(coûtant néanmoins la vie àZavjat au cours d’une mauvaisemanipulation de la bombe). Lesattentats perpétrés le 29 mars2010 par Mariam Charipova et Djanet Abdoupakhmanova,deux jeunes veuves decombattants abattus, avaientbel et bien fait, en revanche,40 morts et 60 blessés dans le métro de Moscou. “La tendance à utiliser des

femmes kamikazes menace des’accentuer”, rappelle le titre. Ce phénomène des “veuvesnoires” a commencé à sedévelopper en Tchétchéniedans les années 2000. La radicalisation des femmes,dans le camp des rebelles, est une donnée minimisée parles forces de l’ordre, poursuit le quotidien moscovite. “Onassiste à l’apparition de groupesde femmes beaucoup plus duresdans leur protestation que les hommes. Dans certains cas,elles n’acceptent de se marierque si le jeune époux partimmédiatement rejoindre le djihad.”

Société

Quand les femmes poussent leur époux à rejoindre le djihad

� Dessin de Pudles paru dans The Guardian, Londres.

Page 31: Compte Rendu.1118

République, Magomedsal Magomedov,sur la situation de ce “poste avancé méri-dional de la Russie”. Le procureurAndreï Nazarov, dépêché de Tcheliabinsk,semble se contenter, depuis 2009, d’as-surer la sécurité de son propre bureau.Sans grande envergure, il est bien inca-pable de faire la lumière sur ce qui sepasse dans la République.

Au Daghestan, des moyens importantssont pourtant affectés à la lutte contrel’extrémisme dont les manifestations sonten hausse de 20 % par rapport à l’annéedernière. Cependant, personne ne sauraitdire précisément comment les sommesallouées sont dépensées. Ainsi des 45 mil-lions de roubles [1,15  million d’euros]débloqués à la fin de l’an dernier par leministère des Nationalités, des Religionset des Relations extérieures du Daghestan :à quoi ont-ils donc servi si l’escalade de laviolence réclame l’intervention de l’armée ?A quoi bon les 9  millions de roubles[245 000 euros] alloués à la Direction reli-gieuse des musulmans du Daghestan et àl’Eglise orthodoxe russe si on ne voit pasde résultat ? L’Eglise orthodoxe russe setrouve quasiment en situation de black-outmédiatique : pour interroger les prêtreslocaux, il faut d’abord obtenir la permis-sion d’en haut, c’est-à-dire de Moscou.

Ce n’est pas seulement la région deKaraboudakhkent que Moscou doit re -mettre sur les rails, c’est le Daghestan toutentier. Dans cette République, quel que soitle domaine, on ne voit aucun signe d’amé-lioration. Et il est clair que des mesuresmilitaires, si elles sont prises, ne feront quedégrader la situation.Milrad Fatoullaev

Grozny

Makhatchkala

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Kaspiisk

Khassaviourt

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Bouïnaksk

Karaboudakhkent

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KAZAKHSTAN

Le Daghestan

Page 32: Compte Rendu.1118

32 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

C’est le responsable de la sécurité le plus discret de Washington. A la tête du Centre de lutte antiterroristede l’agence de renseignementsaméricaine depuis 2006, il estresponsable du programme defrappes de drones à l’étranger.

The Washington Post (extraits)Washington

�P our chaque nuage de fumée quisuit une frappe de drone de laCIA, des dizaines de volutes per-

mettent de remonter jusqu’à une maigresilhouette, debout dans une cour, au quar-tier général de l’agence, à Langley, en Vir-ginie. Cet accro à la nicotine, mal rasé, vasur ses 60 ans. Ses costumes noirs évoquentun entrepreneur de pompes funèbres. Chef du Centre de lutte antiterroriste(Counterterrorism Center, CTC) de la CIAdepuis six ans, l’homme est ni plus ni moinsle fossoyeur d’Al-Qaida. Opérant sous lenom d’emprunt de Roger, il est à la fois leplus important et le moins visible des res-ponsables de la sécurité de Washington.Principal artisan de l’offensive des dronesde la CIA, il a pris la tête de la traque d’Ous-sama Ben Laden. A divers égards, c’est aussigrâce à lui que le gouvernement Obama afait des assassinats ciblés la pierre angu-laire de sa politique antiterroriste.

Ses collègues décrivent Roger commeun être pétri de contradictions. Ce grosfumeur passe des heures à courir sur untapis de course. Notoirement désagréable,il a pourtant été capable de s’assurer suffi-samment de soutiens pour conserver sonposte. Il dirige une campagne de frappesaériennes qui a tué des milliers d’isla-mistes et provoqué la colère de mil-lions de musulmans, mais il estlui-même converti à l’islam.

Ses partisans n’essaient même pasde le faire paraître sympathique. Au lieude cela, ils soulignent ses capacités opéra-tionnelles, sa connaissance de l’ennemi etson infatigable labeur. “Dire qu’il estirascible est un euphémisme,assure un ancien hautresponsable de la CIA,mais son expérience et sesrelations ont fait de lui quelqu’un d’absolumentindispensable.” Sesdétracteurs prennentmoins de gants. “Il n’a pasdu tout l’esprit d’équipe”,fait valoir un ancien hautresponsable de l’armée. Mais tous s’accor-dent à souligner sa longévité à ce poste.Depuis qu’il est devenu chef de l’antiter-rorisme, Roger a travaillé pour deux présidents, quatre directeurs de la CIA et quatre directeurs du renseignement

Amériques

national. Aux échelons supérieurs de lasécurité nationale, seul Robert Mueller,nommé directeur du FBI peu avant lesattentats du 11 septembre 2001 et toujoursen poste, est resté en place plus longtemps.

Né en Virginie, dans une banlieue aisée,Roger a grandi dans une famille dont plu-sieurs membres, sur deux générations, onttravaillé pour la CIA. En 1979, quand sapropre carrière a démarré au centre de for-mation de la CIA, Roger n’a guère laissédeviner ce qu’il allait devenir. Un camaradede formation a gardé le souvenir d’un élèvepeu brillant, que les formateurs prenaientà part pour l’inciter à mieux faire.

Ses premières missions à l’étranger sesont déroulées en Afrique. Là, la gabegiedes gouvernements locaux et les guerrestribales, ainsi que l’intervention minimaledu quartier général, lui ont fourni uneexpérience qui s’est avérée précieuse dansle monde de l’après-11 septembre. Bonnombre des agents antiterroristes les pluschevronnés de la CIA se sont fait les dentsen Afrique. “C’est un continent chaotique,vous êtes obligé de le comprendre et de le gérerpsychologiquement”, explique un ancien col-lègue de Roger. Ce dernier a acquis une“très grande connaissance de la politique tri-bale et de la guerre. Il a écrit des centaines derapports de renseignement sur ces sujets”.

Il a aussi épousé une musulmane ren-contrée à l’étranger, d’où sa conversion àl’islam. Il ne répugne pas à parler de sa reli-gion, mais il ne la pratique pas de façonostentatoire. Il n’y a pas de tapis de prièredans son bureau, bien qu’on le voie sou-vent égrener son chapelet.

Roger n’a pas fait partie de la premièrevague d’agents de la CIA déployée aprèsles attentats du 11 septembreet il n’a jamais travaillé dans

les prisons secrètes de la CIA où lesmembres d’Al-Qaida étaient soumis à destechniques d’interrogatoire des plus bru-tales. Mais, par la suite, il s’est vu confierde hautes responsabilités : chef des opéra-tions du CTC, chef de station de la CIA auCaire et même un poste de premier plan àBagdad en pleine guerre d’Irak.

Au cours de cette ascension, il n’a pasmanqué d’avoir des accrochages avec despersonnalités influentes comme DavidPetraeus, alors à la tête du commandementcentral en Irak et en Afghanistan, qui

contestait la vision très pessimiste del’Agence sur ces deux guerres. Les deuxhommes ont dû faire des concessionsmutuelles au moment où Petraeus a éténommé directeur de la CIA.

Dès le départ, Roger a pris son travailà cœur. Il est toujours le premier arrivé etreste jusque très tard dans la nuit, quandil ne dort pas sur place. Cet homme de forteconstitution est aujourd’hui d’une mai-greur effrayante. Et lui qui avait arrêté defumer, il y a une dizaine d’années, s’estremis à enchaîner cigarette sur cigarette.

Certains considèrent Roger comme leresponsable de la plus grande tragédie quiait frappé la CIA :  l’attentat suicide dedécembre 2009 qui a coûté la vie àsept  agents de l’Agence sur la base deKhost, en Afghanistan. Selon un rapportinterne, les vérifications sur l’identité del’auteur de l’attentat suicide, un agentdouble jordanien qui avait promis des révé-

lations sur les dirigeants d’Al-Qaida, ontété insuffisantes et le rapport fait état de“négligences en haut lieu”.

La responsabilité de Roger dans l’attentat de Khost et ses manières peuamènes auraient pu lui être fatales – il ad’ailleurs été écarté de plusieurs promo-tions, notamment du poste de directeur duNational Clandestine Service, chargé desopérations spéciales de la CIA à l’étranger.Mais, selon plusieurs témoignages au seindes services secrets, nul ne peut nier quel’arrivée de Roger au CTC a coïncidé avecla désintégration remarquablement rapidede la nébuleuse Al-Qaida et la mort d’Ous-sama Ben Laden, le 1er mai 2011.

Quand Michael Hayden a été nommédirecteur de la CIA, en mai 2006, Rogeravait déjà posé les bases d’un durcissementde la campagne de frappes de drones del’Agence. C’est sous la direction de Haydenque la CIA a cessé de prévenir les autori-tés pakistanaises avant chaque interven-tion et que le nombre de frappes aaugmenté, passant de trois en 2006 àtrente-cinq en 2008. Une autre proposi-tion du chef de l’antiterrorisme, un an plustard, a eu des effets encore plus remar-quables. “Il a débarqué avec un concept nou-veau, raconte un ancien haut responsablede la CIA, éliminer du champ de bataille lesterroristes les plus aguerris.” Il s’agissait de“frappes signées”, c’est-à-dire d’attaques lan-cées contre des insurgés en fonction deleur comportement. Auparavant, la CIAdevait avoir confirmation de la présenced’un haut responsable d’Al-Qaida avant detirer. Grâce à Roger, les drones peuventdésormais frapper des rassemblements demilitants sans qu’un membre identifiécomme appartenant à Al-Qaida soit néces-sairement dans les parages.

Cette approche impitoyable était enphase avec celle d’Obama. Peu après sonentrée en fonctions, le président a en effetrencontré son premier directeur de la CIA,Leon Panetta, et lui a ordonné de redou-bler d’efforts dans la lutte contre Al-Qaida.

De cinquante-trois frappes en 2009, laCIA est passée à cent dix-sept en 2010,avant que s’amorce une légère diminutionen 2011. Cette augmentation du nombre

de frappes avait déjà permis d’af-faiblir la nébuleuse Al-Qaida au

moment où la trace d’Oussama BenLaden a été retrouvée à Abbottabad,

au Pakistan. Roger n’apparaît passur les photos prises dans la sallede situation de la Maison-Blanche

le jour du raid à Abbottabad. Il étaitresté au siège de la CIA et ne s’est guère

autorisé à exulter. Quand l’opération Gero-nimo contre Oussama Ben Laden a pris fin,il est simplement sorti fumer une cigarette.Greg Miller

Etats-Unis

Roger, 60 ans, chef à la CIA et... converti à l’islam

secrète complète et son âge, à la demande de responsables de l’Agence, qui craignent pour sa sécurité. Même si souvent les responsables de la CIAabandonnent leur nom d’emprunt

Précautions Pour publier ce portraitdu directeur du Centre de lutteantiterroriste de la CIA, The Washington Post a acceptéde taire certains détails, notammentle vrai nom de Roger, son identité

quand ils atteignent les plus hautséchelons de l’Agence, Roger a conservé le sien. Par ailleurs, malgréles demandes d’interviews réitéréesdu quotidien américain, il a refusé de répondre à ses questions.

L’homme est ni plus ni moins le fossoyeur d’Al-Qaida

� Dessin de Petar Pismestrovicparu dans Kleine Zeitung, Autriche.

Page 33: Compte Rendu.1118

Dans l’est du Paraguay, près de la frontière brésilienne,la plupart des terresappartiennent à de grandspropriétaires terriens brésiliensarrivés les poches vides à l’époque des dictatures sud-américaines. Leurs titres de propriété sont contestés et les paysans se rebellent.

Brecha (Montevideo)

�U ne langue de terre de 50 mètressur 500, au cœur de 267 000 hec-tares de terres rouges para-

guayennes consacrées à la culture du soja :c’est là que se situe le point névralgique duprincipal conflit social qui, depuis des mois,agite le pays. Ce théâtre à ciel ouvert s’ap-pelle Ñacunday, dans le département d’AltoParaná, près de la frontière brésilienne [despaysans ont occupé des terres privées enavril 2011 en invoquant le droit de propriétéde l’Etat. Fin février ils ont accepté de sedéplacer provisoirement à l’intérieur duparc naturel Ñacunday, sur proposition dugouvernement de Fernando Lugo, pouréviter une évacuation].

Sous les câbles à haute tension de l’en-treprise publique Ande [AdministraciónNacional de Electricidad], plus de 1 000 fa -milles, toutes générations confondues,campent tant bien que mal dans des tentesde fortune. Ces 7  000 personnes fontpartie des 300 000 familles de paysans sansterre qui vivent au Paraguay.

On les appelle les carperos [de carpa, quisignifie tente], on les qualifie de squatters,d’agitateurs, de sauvages, de hors-la-loi, deséides de Chávez et de démolisseurs de laConstitution. Voilà quelques-unes des éti-quettes qui leur sont décernées par lesgrands producteurs de soja, les éleveurs debétail, les porte-parole locaux et autresprête-noms à la botte des multinationalesde l’agroalimentaire, sans oublier lesorganes de presse qui les soutiennent. Onles qualifie aussi de délinquants et d’assas-sins, alors que ce sont eux qui se font tuer.En février, Tranquilo Favero, dit “le roi dusoja”, qui possède 1,2 million d’hectares, alancé le nouveau nom de “malandrins” :selon lui, “tout comme les femmes de ces ban-dits, ils ne comprennent que les coups”.

Né au Brésil, Tranquilo Favero estarrivé au Paraguay en 1970 sans un sou enpoche, à l’époque où le dictateur AlfredoStroessner était embrigadé dans l’opéra-tion Condor. Peu à peu, il s’est fabuleuse-ment enrichi en faisant l’intermédiaireentre le régime paraguayen et les capita-listes brésiliens qui collaboraient avec ladictature militaire de son pays.

Le conflit agraire qui déchire le Para-guay ne date pas d’hier et on s’aperçoit queles causes en sont les mêmes que dans la

plupart des pays latino-américains : 86 %des terres cultivables sont exploitées parà peine 2,5 % de la population. Le problèmedate de la guerre de la Triple Alliance [1865-1870], qui a commencé avec la défaite infli-gée à la république indépendante qu’étaità l’époque le Paraguay par les arméesargentine, brésilienne et uruguayenne,encouragées par l’impérialisme britan-nique. Le pays n’a jamais retrouvé l’état debien-être social et économique dont il jouis-sait auparavant. C’est à la fin du XIXe siècle,sous l’influence du Brésil et de l’Argentine,que sont nés les deux grands partis poli-tiques encore majoritaires aujourd’hui : leParti colorado et le Parti libéral. A cetteépoque, le Brésil a également porté à la têtedu Paraguay Bernardino Caballero, un mili-taire élevé au grade de général par l’arméebrésilienne et dont la première mission futde payer les dettes contractées par le paysauprès des banques étrangères.

C’est alors que les terres sont deve-nues une monnaie d’échange. Quelques

capitalistes ont réussi à s’emparer de 5 à6 millions d’hectares de terres, certains àdes fins spéculatives et d’autres en vued’exploiter les immenses forêts de yerbamaté et de quebrachos. Des dizaines d’an-nées plus tard, les Brésiliens ont conquisla région bolivienne de l’Acre pour mettrela main sur le caoutchouc, à l’époque trèsrecherché pour la fabrication de colleindustrielle. Depuis, les familles prochesdes hautes sphères du pouvoir n’ont cesséde s’approprier des territoires : le déman-tèlement du pays, qui n’a pris fin qu’audébut des années 2000, s’est intensifié aucours des soixante années que le Parti colo-rado a passées au pouvoir. Ce pillage s’estsoldé par l’occupation illégale de 12 mil-lions d’hectares, qui persiste à l’heure

actuelle. Selon un rapport publié en 1994par la commission Vérité et Justice, crééeaprès la chute de la dictature en 1989,8 millions d’hectares raflés par des digni-taires du régime profitaient à leurs héri-tiers, qui jouissent encore aujourd’huid’immenses fortunes.

La question des titres de propriété estau cœur du conflit. Les organisations depaysans soutiennent que près d’un tiers des40 millions d’hectares du Paraguay sontoccupés par des propriétaires fonciers quin’ont aucun document prouvant que cesterrains leur appartiennent. Il est parailleurs difficile de mesurer les terres occu-pées en raison de la résistance armée qu’op-posent les grands producteurs de soja, demaïs, de tournesol, de blé et de riz. L’Unióndel Gremio de Productores – leur puissantsyndicat –, l’Asociación rural de Paraguayet l’essentiel des partis politiques de droiteopposent un front uni chaque fois que legouvernement de Fernando Lugo leurdemande de présenter leurs titres de pro-priété, alors qu’il s’agit d’un point clé de ceconflit. José Antonio Vera

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 33

� Dessin de Raquel Marin paru dans El País, Madrid.

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PARAGUAY

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Ciudaddel Este

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Principale région agricole (coton, soja)Forêt majoritaire Barrage

Département d'Alto Paraná

La “triple frontière”

Paraguay

La révolte des sans-terre

2,5 % à peine de lapopulation exploite 86 %des terres cultivables

Elysée 2012 vu d’ailleurs

La campagne présidentielle vue de l’étrangerchaque

semaine avec

avec Christophe MoulinVendredi 14 h 10, samedi 21 h 10 et dimanche 17 h 10

Page 34: Compte Rendu.1118

34 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Asie

n’avait été signée que par 1 000 personnes,des étrangers pour la plupart. Toute personne qui remet en cause l’excisionpourrait en effet être considérée “commequel qu’un qui ne suit pas les préceptes de lareligion”, affirme la femme bohra de 53 ans.

De son côté, Tasleem souhaite qued’autres articles en langues vernaculairessoient publiés dans les médias avant lesvacances d’été des enfants, moment pro-pice aux opérations. Selon ses estimations,90 % des femmes bohras ont subi cetteablation. Un membre influent de la commu -nauté bohra de Bombay qualifie ce chiffrede “grosse exagération”, mais il re con naît quec’est un combat à mener, même s’il ne con -cerne que 9 % des filles.

La khatna peut entraîner des compli-cations à vie pour les menstruations et desinfections urinaires, sans compter la pertepermanente de désir sexuel.

Aarefa Johari, 25 ans, n’a pas oublié sakhatna. Sa mère n’est toujours pas convain-cue qu’il s’agit d’une pratique barbare :“Certaines personnes disent qu’elle réduit lesrisques du cancer du col de l’utérus, de la mêmemanière que la circoncision réduirait les risquesde cancer chez l’homme. Et, si vous lui ditesqu’il n’y a aucun fondement scientifique à cesaffirmations, une mère vous répondra que c’estjustement parce qu’il n’y a pas eu d’études surle sujet qu’on ne peut pas dire que c’est faux.”

Cela ne l’a pas empêchée de prier durantla khatna de ses filles et de souffler enfinlorsqu’elles ont fini par uriner normale-ment. “C’est juste une égratignure”, a-t-elledit à sa fille pour l’apaiser. “Il y a eu plus depeur que de mal.” Journaliste au HindustanTimes, Aarefa milite pour l’interdictiontotale de la khatna par des articles dans lesmédias traditionnels et en ligne.

Peur de l’ostracismeOutre le fait que la plupart des gens pen-sent comme la mère d’Aarefa, la peur del’ostracisme empêche la campagne deprendre de l’ampleur. La hiérarchie reli-gieuse des bohras a l’habitude de pratiquerl’excommunication afin de conserver sonemprise sur la communauté. “Vous n’êtesplus invité aux mariages ni aux réunionssociales, vos proches vous évitent”, expliqueMunira, une mère de famille de 34 ans.Asghar Ali Engineer, dirigeant d’un mou-vement réformateur, le ProgressiveDawoodi Bohra, a été mis au ban de la com-munauté pour s’être attaqué à l’autorita-risme de la hiérarchie religieuse. “Je me batspour les réformes depuis trente ans, dit-il. Etc’est très difficile.” S’il s’est insurgé contreles mutilations génitales, la revendicationn’est pas inscrite dans la charte desréformes proposées par son mouvement.Shubhangi Swarup

Inde

Mentir pour protéger ses petites filles

Burhanuddin est leur dai, leur chefreligieux. Il a 97 ans et désignera sonsuccesseur parmi sa descendancemâle. En Inde, on reconnaît lesbohras au petit chapeau blanc bordéd’une bande dorée que portent

Bohras Les dawoodi bohras formentune branche de la communautébohra. Ces chiites ismaéliensrevendiquent un héritage fatimide, etse sont déplacés d’Egypte au Yémenpuis en Inde. Le syedna Mohammed

les hommes, et à l’ensemble voile et jupe colorés bordés de dentellesdes femmes. Les bohras sont environ1,2 million. Plus de 90 % d’entre eux vivent au Maharashtra et au Gujarat (dans l’ouest de l’Inde).

Le mot de la semaine

“awaaz”La voixD’origine persane et repris en ourdou eten hindi, le mot awaaz veut simplementdire “la voix”. Cette traduction toutesimple cache en fait une sémantique très riche. L’awaaz indique la capacité de s’exprimer. S’exprimer, c’ests’imposer, se défendre, revendiquer.C’est pourquoi le mot awaaz est souventassocié en hindi aux mouvementssociaux. Ainsi peut-on dire en hindi “log kiawaaz”, la voix du peuple, pour parler,comme en français, de la volonté des citoyens. En Inde, il existe un nombreimpressionnant d’associationsmilitantes qui ont le mot awaazdans leur nom, dont Kissan Ki Awaaz, La voix des agriculteurs, une associationqui défend les paysans, et Youth KiAwaaz, une organisation qui porte la voix des jeunes.Awaaz dena (du verbe dena, donner)veut dire donner voix à quelque chose.“Awaaaaaaaaaz do !” scandent lesleaders en tête des cortèges, enjoignantles manifestants à “donner de la voix”.Le mot awaaz est également mis à l’honneur dans la poésie et la musiquepersanes, qui ont gagné l’Inde à la faveurdes invasions mogholes. La voix duchanteur et celle du poète sont une seuleet même voix, comme ce fut le cas chez les Grecs anciens et comme nousl’entendons aujourd’hui lorsque nousparlons de la “voix du poète”. Dans le nord de l’Inde et au Pakistan, quin’étaient qu’un seul et même territoireavant 1947, les poètes chantent leursvers, souvent improvisés, en ourdou, lors des mushaira ou des mehfil, des rassemblements auxquelsparticipent un public de connaisseurs.Ces voix charment par la musicalité des vers rythmés et rimés, mais aussi par les thèmes traités. On chante la grandeurdu souverain – ou de l’hôte –, ou bien la beauté de l’amour. La voix du poète et la voix du peuple, leurs awaaz,convergent là où se trouve la vérité, trop importante pour rester muette.Mira KamdarCalligraphie d’Abdollah Kiaie

� Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

Chez les dawoodi bohras, une communauté chiite, on pratique l’ablation du clitorisdes petites filles. Certainesfemmes courageuses essaientde résister à ce rituel, malgré la pression familiale.

Open (extraits) New Delhi

�Q uand on demande à cette femmede 53 ans si ses filles ont été exci-sées, elle répond par l’affirma-

tive. En fait, elle ne leur a jamais fait subircette mutilation, mais elle a promis à sabelle-mère de toujours garder ce secret.Comme d’autres femmes de la commu-nauté chiite ismaélienne des dawoodibohras, elle allait avoir 7 ans quand on luia fait sa khatna (ablation du clitoris). “Je nepouvais plus m’asseoir. Même marcher étaitdouloureux.” Personne ne lui a jamais expli-qué les raisons de cette pratique, et il nefallait surtout pas en parler.

Un jour, une tante lui fait lire un articlesur les mutilations sexuelles : “J’ai décou-vert que c’était pour supprimer tout désir sexuel,dit-elle. Apparemment, l’origine de cette pra-tique vient d’Afrique, elle était utilisée quandles hommes partaient à la guerre. Comme leclitoris est une zone érogène, il était mutilé afinde contrôler les femmes.” Alors que l’excisionn’a jamais fait officiellement partie des pré-ceptes de l’islam (contrairement à la cir-concision), elle perdure dans la minoritéreligieuse indienne des dawoodi bohras.

Quand l’aînée de ses filles a été en âgede faire sa khatna, elle a évoqué l’articleavec son mari. Il lui a répondu de faire cequ’elle estimait être le mieux pour leurfille. Mais la grand-mère n’a rien vouluen tendre. Elle a donc choisi de mentir.Quand dans la famille on lui demande sises filles ont eu leur naak vindhayu (“nezpercé”, nom de code de l’excision), ellerépond que oui. Ses filles, à qui elle a expli-qué les raisons de ce secret, font de même.“Si vous supprimez le désir sexuel, vous n’avezjamais envie de faire plaisir à votre mari !”s’exclame-t-elle.

Pratique barbare Révéler la vérité serait perçu comme unacte de rébellion et aurait de graves réper-cussions sur la famille. Heureusement, lalutte contre l’excision est en train deprendre de l’ampleur, notamment surInternet : le 14 octobre 2011, Tasleem, unefemme bohra de 40 ans qui protège sonidentité, a lancé une pétition en ligne surChange.org pour demander au syednaMohammed Burhanuddin, le dai [chef reli-gieux] de la communauté, d’interdire lakhatna. Elle lui a également envoyé unrasoir et une photo d’une petite fille entrain de pleurer. Elle n’a reçu aucuneréponse. A la mi-janvier 2012, la pétition

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le président entretenait avec certainsac teurs économiques et de l’enrichisse-ment personnel que cela devait lui valoir.]Il ajoute que, lors des législatives, il ne man-quera pas d’étudier les projets des candi-dats, ni d’aller voter.

La plus grande nouveauté lors del’élection du maire de Séoul, en octobredernier, a été la participation massive desmoins de 40 ans. Kim Ho-gi, sociologue del’université Yonsei [à Séoul], explique :“Les 30-39 ans, autrefois appelés ‘nouvellegénération’, sont coincés entre deux autres :ils ne pèsent pas lourd à côté de leurs aînés dela ‘génération 386’ [celle qui a amené le paysà la démocratie dans les années 1980] et ilssont dédaignés par leurs cadets, la ‘généra-tion des 880 000 wons’ [allusion à leur situa-tion financière difficile]. Ils se sont identifiésau programme Nakkomsu, devenu leurporte-parole.”

Pourquoi se retrouvent-ils tout à coupau centre de l’évolution politique ? Il s’agitde personnes nées entre 1974 et 1983, qui

n’ont pas connu les dictatures militaires etqui ont découvert dans les manuels sco-laires la grande vague de contestation dejuin 1987. Ils ne connaissaient pas le mou-vement étudiant des années 1980, mais ilsse souviennent du gaz lacrymogène, des jetsde pierres et des barricades. Quand ils sontarrivés sur le marché du travail, les effetsde la crise économique de 1997 et de l’éco-nomie néolibérale étaient déjà installés.

Pour Yi Yong-ju, directeur du centre derecherche Naemil sur la société et la cul-ture, “ils ont connu une période de richessematérielle et une atmosphère de liberté. Al’époque, l’indifférence à la politique ne posaitpas problème, mais aujourd’hui les choses ontchangé.” L’économie stagne, la précaritérègne, les salaires ont baissé. “Ils mûrissentet comprennent enfin le fonctionnement de lasociété, analyse M. Yi. Lors des prochains scru-tins, le choix de ces gens s’orientera vers descandidats qu’ils jugeront susceptibles d’amé-liorer, ne serait-ce qu’un peu, leur quotidien.”

Internet et les réseaux sociaux sontleur moyen d’expression. “Pour leurs aînés,la politique se définit au gouvernement et au

Parlement, alors qu’eux croient en l’aptitudedes nouvelles technologies à rassembler lesgens et à faire bouger les choses”, commenteYi Yong-ju. La question est de savoir si lafièvre qui les a saisis en juin 2010, lors desélections locales, va se manifester lors deslégislatives d’avril et de la présidentiellede décembre. Pak Chae-hung, sociologuede l’université Gyeongsang, reste dubita-tif : “Les 20-39 ans d’aujourd’hui constituentun électorat assez composite et il est assez diffi-cile de savoir s’ils vont ou non adopter uneattitude collective pour jouer un rôle dans lecalendrier politique.”

Pour Yi Won-jae, professeur au Kaist[Korea Advanced Institute of Science andTechnology], les réseaux sociaux “n’amè-nent pas les gens à voter pour l’opposition, maisils font augmenter le taux de participation”.

“Les jeunes ont d’autre sources d’infor-mation, poursuit le Pr Yi. Autrefois, c’étaientles médias qui jouaient ce rôle, mais aujour-d’hui ils sont remplacés par des personnalitésqui leur inspirent confiance à travers les blogset les réseaux sociaux.” Chong Yong-in

Réunification, ce lancement “aura un impact” sur les élections. “Lesconservateurs vont tenter de jouer lacarte de la sécurité, mais c’est oublierque la population sud-coréenne est moins naïve qu’elle ne l’a été”,affirme-t-il au quotidien Hankyoreh.

Fusée L’annonce par la Corée du Nord du lancement d’un satelliteentre le 12 et le 16 avril soulève un tollé : les voisins pensent quePyongyang teste plutôt un missilelongue portée. Pour Yi Chong-sok,ancien ministre sud-coréen de la

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 35

Ils s’informent sur Internet et se mobilisent sur les réseauxsociaux. Pas idéologues maispassionnés par politique, les 30-39 ans vont peser sur lesélections législatives du 11 avril.

Chugan Kyunghyang (WeeklyKyunghyang) (extraits) Séoul

�F in janvier, dans le centre deSéoul : Han Sang-min, 35 ans,employé de bureau, se lance dans

une manifestation solitaire, muni d’unepancarte. Pour cette action, “la premièredepuis [sa] naissance”, il a pris un jour decongé. Il réclame la liberté pour l’anciendéputé Chung Pong-ju, l’un des quatre ani-mateurs de Nanun kkomsuda [ou Nakkomsu,“Je suis un combinard”, voir CI n° 1105, du5 janvier 2012], émission de satire politiqueuniquement disponible en téléchar ge-ment [Chung Pong-ju est incarcéré depuisdécembre 2011, accusé d’avoir violé la loiélectorale en 2007 en révélant que LeeMyung-bak, alors candidat à la présiden-tielle, était impliqué dans une manipula-tion boursière]. “Quand j’étais étudiant, jeme la coulais douce. Mes camarades n’étaientpas non plus des militants. Je ne m’intéressaispas à la politique, ni aux hommes politiquesqui me paraissaient tous médiocres. Quant auvote, je le laissais volontiers aux autres…”

Initié à Nakkomsu par un collègue,Han Sang-min est devenu un grand fidèlede l’émission, allant jusqu’à s’inscrire aufan-club de Chung Pong-ju et à assister àses meetings. “Ça m’a ouvert les yeux ! Pre-nons l’exemple de la privatisation de l’aéro-port d’Inchon [qui dessert Séoul]. SansNakkomsu, je n’en aurais jamais rien su !”[Il s’était agi dans l’émission des liens que

Les législatives du 11 avrilprésentent un intérêtparticulier à huit mois de la présidentielle. Elles opposent d’un côtéPark Geun-hye, du partiNouveau Monde (Saenuri,conservateur), nouvelledénomination du Partid’une grande nation, au pouvoir, et de l’autre,les proches de l’ancienprésident Roh Moo-hyunqui forment le cœur duParti démocrate unifié. Ce dernier vient de conclure un accordavec le Parti progressiste unifié pour présenter

un candidat unique dans plus de la moitié des circonscriptions. Le camp progressiste estégalement revigoré parquelques signes avant-coureurs de son possibleretour au pouvoir, commeles résultats plutôtencourageants dessondages qui jusque-làavaient prédit une courseen tête de Park Geun-hye.D’après le quotidienJoongang Ilbo, 54 % des électeurs ontrépondu que l’économiedevait être la priorité du prochain président

– contre 8,1 %, parexemple, qui ont optépour l’amélioration desrelations intercoréennes.L’agence de presseYonhap révèle le résultatd’un autre sondage quimontre que la créationd’emplois et le problèmede la précarité sont considérés par les électeurs comme les deux enjeux les plusimportants deslégislatives et que le Partidémocrate unifié estconsidéré comme le plusapte à y apporter une solution.

Scrutin

La présidentielle en ligne de mire

� Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan,Malmö.

Corée du Sud

La génération web met les urnes en émoi

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36 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Afrique

� Trafic d’armes et de drogue,rébellions armées, base de groupes terroristes, prisesd’otages, réfugiés, coup d’Etatet mutineries, le Sahel estdevenu une poudrière. � La désagrégation s’accélèreavec la victoire du Mouvementnational de libération de l’Azawad (MNLA), appuyépar le mouvement touaregislamiste Ansar Dine et des combattants d’Aqmi. Ils contrôlent 50 % du territoiremalien, soit près de 1 millionde kilomètres carrés, un no man’s land deux foisplus vaste que la France. � Dans cette zone fragiliséedepuis longtemps, une partiede l’impressionnant arsenalmilitaire libyen circule depuis la chute de Kadhafi. � Un péril pour l’Afrique.

Les combattants et chefs rebelles sont“réintégrés” dans l’armée malienne et ausein de l’administration. Mais les princi-pales clauses du Pacte national n’ont jamaisété honorées, et les Touaregs ont ruminéleur ressentiment pendant les quatorzeannées qui ont suivi. Le 23 mai 2006, unnouveau groupe rebelle, l’Alliance démo-cratique du 23 mai pour le changement(ADC), a attaqué des installations de l’ar-mée malienne à Kidal et à Ménaka avantde se replier. L’Algérie est encore une foisintervenue pour négocier un nouvel accordde paix et un nouveau traité, connu sous lenom d’accord d’Alger, qui a en fait reprisbon nombre des exigences déjà formuléesdans le Pacte national.

Et en janvier 2012 le Mouvement na-tional de libération de l’Azawad (MNLA)a rassemblé l’un des plus impressionnantsarsenaux jamais vus dans le nord du Mali.Il provient de la Libye mais aussi de volsdans les magasins d’armes perpétrés par lesofficiers et les agents touaregs et arabes quiont déserté l’armée malienne. Ce qui com-mence à apparaître clairement, cepen-dant, c’est que ce processus de collecte etde stock d’armes fait partie d’un plan soi-gneusement préconçu. L’homme à l’origi-ne de ce plan s’appelle Ibrahim Ag Bahan-ga. C’est un vétéran de la rébellion de 1990,ainsi qu’un des leaders de l’insurrection de2006, aux côtés d’Iyad  Ag  Ghali, Has-san Ag Fagaga et Ahmada Ag Bibi.

En septembre  2007, Ag  Bahanga aformé un nouveau groupe dissident appelél’Alliance touareg du Nord-Mali pour lechangement (ATNMC). A partir de cettedate et pendant un an et demi, jusqu’à cequ’il soit finalement chassé du territoiremalien par des milices soutenues par l’ar-mée, Ag Bahanga a mené une campagne deharcèlement et de terreur contre l’arméemalienne. Après sa défaite en février 2009et le démantèlement de ses campementsrebelles, Ag Bahanga a trouvé refuge enLibye. Il a ensuite disparu des écrans radarsmédiatiques pendant près de deux ans, jus-qu’à son retour au Mali, en janvier 2011. Ilapparaît maintenant que, loin de se com-plaire dans l’inaction, dans le confort et leluxe d’une villa libyenne aux frais de Kad-hafi, Ag Bahanga a utilisé son temps enLibye pour concevoir et exécuter un planstratégique destiné à octroyer au mouve-ment touareg une capacité militaire supé-rieure à celle de l’armée malienne. EnLibye, Ag Bahanga a pris langue avec ungroupe de vétérans rebelles des années1990 qui, par dépit après la signature duPacte national de 1992, avaient quitté leMal, étaient devenus officiers supérieursde l’armée libyenne et commandaient desunités spéciales d’élite mises en place par

Sahel

La nouvelle poudrière africaine

Le Mouvement national de libération de l’Azawad(MNLA) contrôle depuis la finmars tout le nord du pays.L’analyse du journalistebritannique Andy Morgan.

Think Africa Press (extraits)Londres

�E n vérité, ni la chute de Kadhafi, niAl-Qaida au Maghreb islamique(Aqmi), ni la drogue, ni encore

l’insécurité ne sont les causes directes dela révolte des Touaregs. Mais ces élémentsne sont que des circonstances nouvellespour une lutte très ancienne. La premièrerébellion des Touaregs a éclaté en 1963. Sixans avant que Kadhafi ne s’empare du pou-voir en Libye et quarante-quatre ans avantqu’un groupe terroriste algérien, le Groupesalafiste pour la prédication et le combat(GSPC), rebaptisé Aqmi, ne devienne la

franchise nord-africaine du prospère mou-vement terroriste islamiste mondial.

Les années 1970 et 1980 furent desdécennies de sécheresse extrême et desouffrance dans la région. Des milliers deTouaregs ont dû se réfugier dans les paysvoisins : Algérie, Libye, Niger, Mauritanieet Burkina Faso.

En juin  1990, la deuxième granderébellion touareg s’est engagée lorsqueIyad  Ag Ghali, le chef du Mouvementpopulaire pour la libération de l’Azawad(MPLA), a attaqué un poste de police deMénaka avec un petit groupe de soldatsrentrés des camps de l’armée libyenne. Cesoulèvement a pris fin avec un traité depaix négocié sous l’égide de l’Algérie : lePacte national de 1992. Le mouvementtouareg s’est ensuite dissous dans unesoupe amère d’acrimonie et d’acronymesalors que le MPLA éclatait au gré des lignesde fracture ethniques et tribales. Une cer-taine dose d’autodétermination a étéconcédée par le gouvernement de Bamako.

Mali

Les clés de la guerre au Nord

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Les photosFerhat Bouda, photographealgérien, était dans le nord du Maliavec les rebelles touaregs

du 14 au 18 février 2012. Les photos de ce dossier ont étéprises autour de la ville de Léré, dans la région de Tombouctou.

� Les combattantsdu MNLA montrent avecfierté le drapeaude l’Azawad.

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Kadhafi pour mener ses guerres du désert.Parmi eux, le plus important était le colo-nel Mohammed Ag Najim. Lorsque les pre-mières fissures sont apparues dans lesfondations de la dictature de Kadhafi, peude temps après le début des protestationsà Benghazi en février 2011, Ag Bahanga etquelques proches alliés ont commencé àmettre leur plan en action. Ils se sont effor-cés de convaincre Ag Najim et ses collèguesofficiers touaregs d’abandonner leurspostes dans l’armée libyenne et de rentrerau Mali avec autant d’armes que possible.Au début de l’été, alors que le régime deKadhafi commençait à se désintégrer, leplan d’Ag Bahanga était déjà bien avancé.Des déserteurs touaregs se sont rendus enconvoi vers le sud-ouest avec d’importantsstocks d’armes et de munitions. Dansl’après-midi du 26 août 2011, IbrahimAg Bahanga est mort dans un accident devoiture, non loin de sa base de Tin Assa-lak. Il avait beaucoup d’ennemis : l’arméeet la population maliennes, d’autres diri-geants touaregs qui n’appréciaient pas sonagressivité sans compromis, les trafiquantsde drogue arabes qui avaient subi sesattaques et ses vols à de nombreusesreprises, ainsi que les services secrets del’Algérie et de la Libye.

Kadhafi et les Touaregs n’ont jamaisété de très bons amis ni de fidèles alliés. Ilsn’étaient partenaires que lorsque leursintérêts se rencontraient. Certes, de nom-breux Touaregs ont combattu aux côtés de

Kadhafi. Mais ils étaient souvent contraintsou payés. C’était une question d’opportu-nisme plutôt que d’adhésion idéologique.Il convient également de rappeler qu’unnombre important de Touaregs ont aussicombattu pour le Conseil national de tran-sition (CNT) contre Kadhafi.

Ag Bahanga mort, l’accumulation desarmes et des soldats dans le nord-est duMali s’est poursuivie. Au début du moisd’octobre, tous les leaders du nouveaumouvement rebelle touareg sur le pointd’éclore se sont rassemblés dans la base deZakak pour ce que l’on peut considérercomme une session d’introspection et deréflexion pendant dix jours.

En décembre, avant le déclenchementdes hostilités, un essai révélateur intituléAzawad, c’est maintenant ou jamais a étépublié sur le site Internet Toumast Press.Ecrit par Ahmeyede  Ag  Ilkamassene, ilsoulignait le climat géopolitique appa-remment favorable à la cause de l’Azawadqui existait à la fin de 2011, faisant réfé-rence à l’indépendance du Soudan du Sudet de l’Erythrée comme exemples d’er-reurs commises au moment de la décolo-nisation, réparées depuis, et de preuves

que l’idée d’un Azawad indépendant n’étaitpas un rêve inaccessible. Il notait que lesstructures qui avaient dominé la vie poli-tique internationale depuis la SecondeGuerre mondiale étaient en train d’évo-luer, que de nouveaux pouvoirs comme laChine, la Russie, le Brésil et l’Inde émer-geaient et que ces pouvoirs étaient plusouverts à l’idée de remettre en cause lagéographie postcoloniale des pays africains.

Le MNLA n’a pas non plus ménagé sesefforts pour se présenter comme un mou-vement révolutionnaire pour la libérationde tous les peuples de l’Azawad – Toua-regs, Songhaïs, Arabes, Peuls – et pas uni-quement un mouvement rebelle touareg.Azawad est le nom que les membres duMNLA donnent à l’Etat indépendant qu’ilscherchent à créer, qui selon eux com-prendra les trois principales régions duNord-Mali : Gao, Kidal et Tombouctou. Siun Azawad indépendant devait exister, celaamputerait le Mali de plus de 50 % de sasuperficie. Le MNLA dit aussi qu’il n’a pasde revendications sur des parties duSahara habitées par les Touaregs au-delàdes frontières du Niger, de l’Algérie et dela Libye. Ses membres prétendent qu’ungrand nombre d’Arabes et de Songhaïs sebattent déjà à leurs côtés. Que le MNLAparvienne ou non à maintenir sous unemême coupe les différents groupes tribauxet ethniques dans le nord du Mali jusqu’àce que ses objectifs soient atteints resteencore à discuter. Andy Morgan

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 37

ChronologieFévrier 2002 Création del’organisation terroriste BokoHaram (“L’éducation occidentaleest un péché”) par Mohamed Yusuf.Janvier 2007 Le GSPC (Groupe

salafiste pour la prédication et le combat), organisationdjihadiste algérienne, devient Aqmi(Al-Qaida au Maghreb islamique).Le mouvement fait du Nord-Mali sa base.

Avril 2007 Premiers attentatssuicides directement revendiquéspar Aqmi, à Alger. Bilan : 30 morts.Février 2008 Première attaqued’Aqmi, visant l’ambassade d’Israëlà Nouakchott, en Mauritanie. 38

Réfugiés

Fuir l’armée et les rebelles

Des milliers de Maliens affluent dans les pays voisins.Reportage en Algérie.

El-Watan (extraits) Alger

�C e n’est pas une ville. Ni un vil-lage. Juste un “non-endroit”, uncarrefour de transit sur la route

de la contrebande. On s’y retrouve pouracheter et vendre tout ce qui arrive àpasser par cette frontière imaginaire : dusel, de l’essence, du shit, des pièces déta-chées, de l’eau minérale, du café, de l’al-cool frelaté, des cigarettes… et parfoismême des prostituées d’Afrique del’Ouest. Des coups de feu sont tiréschaque soir pour effrayer les rebelles oules bandits qui rôdent autour d’El-Khalil[nord du Mali, frontière algérienne].

Depuis le début des affrontements, àla mi-janvier, El-Khalil est aussi devenuun point de rendez-vous pour les famillesmaliennes qui fuient les combats entreles rebelles et l’armée. Selon le dernierrapport de l’ONU [début mars], il yaurait déjà plus de 126 400 réfugiés enMauritanie, au Niger, au Tchad, au Bur-kina Faso et en Algérie, où ils dépasse-raient les 6 000. Et ce nombre augmentetous les jours.

“J’attends mon beau-frère et ses enfants,qui sont encore coincés à Aguelhok (un village de la région de Kidal), avant dereprendre la route pour Bordj Badji Mokh-tar puis Tamanrasset”, raconte Oumar AgAssai. Pour protéger sa famille, cetemployé de l’administration a préféréfuir vers l’Algérie en s’assurant d’abordde mettre tous ses proches en sécuritéau Niger, plus facile d’accès et mieuxdesservi par les ONG. Oumar se montrede plus en plus agité. “Je viens de recevoirun appel d’un ami qui m’apprend que monbeau-frère a fait une chute dans le désert,ça ralentit les autres, alors ils vont le confierà une autre famille qui se déplace en voi-ture. L’essentiel est qu’ils arrivent sains etsaufs.” Les lumières de Bordj BadjiMokhtar sont visibles d’El-Khalil.Oumar se hâte pour prendre le derniertaxi vers Bordj. “A partir d’une certaineheure, les militaires algériens nous interdi-sent l’accès à la ville.”

“Tout le monde est au courant de cetterestriction, il faut faire vite. Même ceux quiviennent de Tamanrasset vers Bordj ont inter-diction d’approcher à plus de 100 kilomètressous peine d’être mitraillés. Moi, je ne passejamais la nuit à El-Khalil à cause des tirsqui n’arrêtent pas, ou rarement, pendant lanuit !” Le taxi embarque ses trois der-niers clients et Oumar pour Bordj. LeTouareg s’éloigne sans se retourner. Ilsait qu’il a peu de temps pour arriver àdestination. 38

L’Afrique sahélienne en ébullition

Principales voies du trafic d’armes et/ou de drogue Nombre de réfugiés maliens (* et déplacés) au 3 avril 2012,soit un total supérieur à 200 000 personnes

Principaux centres de vente d’armes

Zone revendiquée et contrôlée par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA)1 Zone d’action de la secte

islamiste Boko HaramLes 12 Etats nigérians qui ont adopté la charia2

SAHARA-OCCIDENTAL

ALGÉRIEMAROC

MAURITANIE

MALI

NIGER

NIGERIA

CÔTED’IVOIRE

GHANATO.

BÉNIN

TCHAD

LIBYE

SÉNÉGAL

GUINÉEGUINÉE-BISSAU

SIERRALEONE

BURKINA FASO

500 km

Tropiquedu Cancer

Bamako

Abuja

Niamey

TessalitEl-Khalil

Kidal

Tassara

25 000

23 000

46 000

Plus de5 000

93 439*

Agadez

Assamaka

ArlitIférouane

BordjBadji

Mokhtar Tamanrasset

Timiaouine

BouremTombouctou

GaoAnsongo

Akawan

Ségou

Mopti

S A H A R A

Niger

Armes

Droguesen provenanced’Amériquelatine

B A N D E D U S A H E L

“AZAWAD”AÏR

1

2

Un plan destiné à octroyer aux rebelles une capacité militaire

Page 38: Compte Rendu.1118

Aqmi et ses nombreusesdissidences, la rébellion touareg et ses divisions, Boko Haram et ses attentatsmeurtriers mettent à bas la sécurité régionale.

The National (extraits) Abou Dhabi

�U n peu partout en Afrique duNord, le “printemps arabe” adonné de l’audace à des millions

d’individus : aux militants, aux acteurspolitiques, aux électeurs mais aussi, visi-blement, aux rebelles de tout poil. Lesrévolutions qui ont détrôné les dictateursen Tunisie, en Egypte et en Libye ont aussidéstabilisé les services de sécurité, aumoment même où les armes, venuesd’une Libye plongée dans le chaos aprèsla chute de Muammar Kadhafi, se met-taient à couler à flots.

“Nous sommes très inquiets”, souligneWilliam Lawrence, à la tête du ProjetAfrique du Nord de l’International CrisisGroup, une ONG installée à Bruxelles. “Pasmoins de 12 pays pourraient être concernés parcet afflux d’armes et de combattants.”Al-Qaidaau Maghreb islamique (Aqmi) et, au Nige-ria, le groupe islamiste Boko Haram [voirencadrés ci-dessous] ont multiplié les atten-tats depuis 2011, tandis que les rebellestouaregs du Mali lancent de nouvellesoffensives depuis janvier 2012.

Ces violences croissantes soulignentla difficulté des autorités à contrôler leSahara et la région voisine du Sahel, soitplus de 9 millions de kilomètres carrés oùles frontières nationales n’ont souventaucune valeur.

Tout au long de son histoire, la régiona été peuplée de nomades qui vivaient del’élevage et du pillage des caravanes trans-

Alliances

Liaisons fatales

38 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Afrique

portant leurs marchandises des royaumessubsahariens vers les ports de la Méditer-ranée. Toutefois, dans le sillage des révoltespolitiques, les forces de sécurité tuni-siennes et libyennes ont été affaiblies, etl’effondrement du régime de Kadhafi alaissé son arsenal aux mains de trafiquantsd’armes tout en privant certains gouver-nements africains de leur bienfaiteur.

“Cela crée des problèmes à certains diri-geants, et dans toute l’Afrique”, souligne JonMarks, le président de Cross-Border Infor-mation, une société britannique d’analysedes risques. “Quand la sécurité n’est pasgarantie, des insurgés armés, même en petitnombre, peuvent facilement semer ledésordre.” “Les capacités d’Aqmi au Saharasont en augmentation constante”, renchéritJean-Baptiste Gallopin, spécialiste de

l’Afrique du Nord chez Control Risks, uncabinet londonien d’évaluation des risques.“L’organisation a montré sa capacité à menerde front plusieurs prises d’otages.”

En Libye, le gouvernement de transi-tion peine à surveiller les stocks d’armeset à contrôler ses frontières. En septembre,la découverte de la disparition de [plus de10  000] missiles sol-air avait créé lapanique sur la scène internationale. Pourl’heure, rien ne laisse penser qu’ils seraientaux mains de groupes de rebelles, rassu-rent cependant les analystes.

Selon certains gouvernements, Aqmiaurait par ailleurs assuré la formation demembres de la secte islamiste Boko Haramau Nigeria, responsable, tout au long del’année dernière et depuis début 2012, d’attentats à la bombe dans des églises, des

� Mohamed (centre) a participé à la rébellion touareg des années 1990.

A Bordj, dernière grande ville duSud algérien avant le Mali, la solidarités’organise pour les réfugiés. Aminata esttrès fatiguée par le voyage. Elle est arri-vée de Kidal, avec Saia et Youssef, sesdeux enfants et son mari, Bassri, fer-railleur. “Nous avons quitté Kidal sans rienprendre avec nous, c’est une chance d’avoirété conduits jusqu’à Bordj Badji Mokhtar envoiture. La plupart d’entre nous ont dû fairece pénible voyage à pied. Dès notre arrivée,nous avons été accueillis par une famille deBordj que connaissait mon mari. Nous étionstrois familles de réfugiés sous le même toit.Quelques semaines plus tard, mon mari nousa trouvé une pièce à louer. Mais il n’y a nieau, ni charbon, ni électricité, juste quatremurs en brique de terre pour s’abriter.” Enregardant ses enfants jouer dans la cour,pieds nus, sous le soleil de midi, elle pour-suit : “Ce qui me fait mal, au-delà du faitd’avoir laissé la maison que nous avons passétoute notre vie à construire, c’est de penserque mes enfants n’iront plus à l’école, alorsque c’était de bons élèves, leur avenir estsérieusement compromis.”

A Timiaouine, à 160  kilomètres deBordj Badji Mokhtar, la vie commence às’organiser dans le seul camp ouvert parles autorités algériennes et où le Croissant-Rouge a installé une centaine de tentes.Dans chaque tente, six à dix réfugiés s’en-tassent. Que ce soit à Bordj, à Timiaouineou à El-Khalil, rares sont les réfugiés quiont assisté aux affrontements entre lesrebelles et l’armée. Ils étaient en fait pré-venus par des milices –  commerçants,cadres, etc., armés, mais indépendants quiprotègent leur bétail ou leur famille – del’approche des rebelles et/ou de l’arméemalienne. Faten Hayed

La capacité opérationnelle d’Al-Qaida au Maghrebislamique (Aqmi) au Sahara est le fruit d’une implantationprogressive sur un territoiredont l’organisation n’est pasoriginaire. Aqmi est issu de l’ancien Groupe salafistepour la prédication et le combat(GSPC), créé par des islamistesradicaux durant la guerre civilealgérienne [les années 1990] et repoussé vers le sud par les forces de l’ordre algériennes.A l’origine, sa base de soutiendans le désert était étroite etle nombre de ses adeptes limité– quelques centaines d’hommestout au plus. Aujourd’hui,

ses combattants sontessentiellement des djihadistesentraînés en Afghanistan et partageant une moraleguerrière. Comment un groupeterroriste peut-il survivre dans une région à laquelle il estfondamentalement étranger ?La difficulté de contrôler le Sahara y est peut-être pourquelque chose, mais elle ne constitue pas la seuleexplication. Aqmi n’a pas rempliun vide politique. Si le GSPC, quis’est rebaptisé Aqmi en 2007, a réussi à prendre pied dans les pays sahariens limitrophesde l’Algérie, c’est grâce à une combinaison d’habiles

stratégies commerciales et d’efforts astucieux pourmaintenir un modus vivendientre les populations locales.Dans ce dosage, les politiqueslaxistes des pays sahariens ont un rôle indirect. Par ailleurs,le fait d’introduire la mention Al-Qaida dans le nom du groupea lui aussi joué en conférantcomme par magie à cerassemblement disparate dedjihadistes le statut de menacetransnationale, tirant profit du culte voué par les dirigeantspolitiques et les médiasoccidentaux à cet acronyme.La consolidation économiqueet, par suite, logistique d’Aqmi a

pu se faire grâce aux rançonspayées par les pays dont sontoriginaires les otages enlevés et détenus régulièrement par le groupe, mais aussi grâce àl’implication du groupe salafistedans le trafic transfrontalier.Toutes sortes de marchandisestransitent illégalement par le désert : vivres, appareilsélectriques et cigarettes, maisaussi voitures volées, drogue et armes. Une autre activité trèslucrative pratiquée au Sahara estle transport de “chargementshumains” – comme disent leschauffeurs locaux – d’immigrésafricains. Tout en se faisant uneplace dans l’économie politique

locale, les responsables d’Aqmi ont noué des alliancesavec des chefs touaregs locaux. Ces alliances sont cependantloin d’être la règle et ellespeuvent être temporaires pour permettre aux activités du groupe de prospérer. Elles n’ont pas grand-chose à voir avec des liens religieux ouidéologiques (même si certainschefs d’Aqmi peuvent avoir leursfans parmi les jeunes privés de droits) mais sans doutebeaucoup avec la politique de clocher et les rivalitéséconomiques régionales. YvanGuichaoua OpenDemocracy(extraits) Londres

Aqmi

A la conquête du Sahara

37

“La plupart d’entre nousont dû faire ce péniblevoyage à pied”

37 Juillet 2009 Combats au Nigeria entre activistes de Boko Haram et les forces de sécuritépendant cinq jours. Bilan : 700 mortsdont 300 terroristes. Le fondateur dumouvement, Mohamed Yusuf, est tué.

14 août 2009 Sanni Umarus’annonce comme le successeur de Mohamed Yusuf à la tête de Boko Haram.Avril, mai, juin 2011 Séries de mutineries de l’armée

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postes de police et [le 26 août 2011] contrela représentation des Nations unies àAbuja, la capitale nigériane. Plusieursmembres de Boko Haram ont été arrêtésau Niger alors qu’ils faisaient route vers leMali avec des manuels de fabrication debombes et les coordonnées de membresd’Aqmi, précise un rapport de l’ONU rendupublic en janvier 2012, qui reprend lestémoignages de responsables de cinq paysdu Sahara et du Sahel.

Parallèlement, les combattants toua-regs embauchés comme mercenaires etarmés par Muammar Kadhafi sont rentrésdans leur pays, au Niger et au Mali, aprèsla chute du régime libyen, en août dernier.Depuis janvier 2012, les insurgés touaregsdu Mali, issus du Mouvement national delibération de l’Azawad (MNLA), prennentd’assaut les villes du Nord armés demitrailleuses lourdes et d’armes antichars,relançant un combat vieux de plusieursdécennies pour la création d’un Etat toua-reg indépendant. Début février, les Nationsunies les ont appelés à interrompre leuroffensive alors qu’ils venaient de s’empa-rer de la ville frontalière de Tinzawatene,forçant les troupes gouvernementales àbattre en retraite sur le territoire algérien.

“La crise libyenne a changé la donne”,insiste Moussa Ag Acharatoumane, unporte-parole du MNLA. “Nos frères sontrevenus en nombre, et armés.”

Si ces organisations ont des idéologieset des objectifs différents (le MNLAcondamne ainsi publiquement Aqmi),toutes sont en contact avec le même réseaude trafiquants d’armes. Par ailleurs, desmembres de ces organisations font aussipartie de groupes qui jouissent d’un pou-voir durable qui, bien au-delà du jeu poli-tique, est ancré dans les communautés etexploite les griefs locaux, souligne JonMarks : “Ils sont issus de familles ou de tribus,entre lesquelles se joue toute une série de diffé-rends non réglés. Au total, cela fait beaucoupde problèmes à résoudre.” John Thorne

Militaires

Jamais loin, les bruits de bottesDu Mali au Nigeria, tous les paysdu Sahel ont vécu des coupsd’Etat ou des mutineries. Une seule exception, le Sénégal.

Le Nouveau Courrier (extraits)Abidjan

�L a vitrine est en mille morceaux.Dix ans après sa première élec-tion présidentielle pluraliste,

qui a permis l’arrivée au pouvoir d’AlphaOumar Konaré, le Mali retourne à la casedépart. C’est-à-dire à la case coup d’Etat.Et ce pénible recommencement décon-tenance une opinion publique continen-tale qui avait érigé ce pays sahélien,finalement fort peu couvert par lesmédias internationaux, en modèle démo-cratique.

Et si une des premières leçons duputsch militaire qui a renversé le prési-dent Amadou Toumani Touré (ATT) estqu’il faut plus que jamais se méfier, dansnos analyses, des “vitrines”, des “modèles”et des “laboratoires” ? Nous devons biencomprendre que l’alternance ne fait pas ladémocratie. Un regard plus exigeant surl’expérience politique de ces deux der-nières décennies au Mali pourrait en effetappeler à plus de circonspection. Ce quis’est passé se résume finalement assezrapidement : auteur d’un putsch à la faveurd’un soulèvement populaire, Amadou Tou-mani Touré a laissé le pouvoir à AlphaOumar Konaré, qui s’est débrouillé pourle lui rendre à la suite de redoutablesmanœuvres.

Si un des signes de la démocratie estl’existence d’une majorité contredite parune opposition parlementaire forte, l’onne peut pas vraiment dire que le Malid’Amadou Toumani Touré se caractéri-

sait par un tel équilibre. Président sansparti, “ami de tous et ennemi de per-sonne”, arbitre des élégances au seind’une grande tontine politique à laquelletous participaient et par laquelle tous setenaient, ATT, le militaire à la retraite,n’a pas non plus bénéficié du soutiend’une armée qu’il aura contribué à

convertir durablement aux vertus répu-blicaines. Il quitte le pouvoir alors quel’intégrité territoriale de son pays n’ajamais été aussi menacée. Il laisse unetroupe déboussolée et des officiers dis-crédités par de persistantes accusationsde corruption. Là est peut-être son plusgrand échec historique, au regard de sonparcours d’officier et d’homme d’Etat.

L’on peut analyser les derniers déve-loppements maliens à travers plusieursgrilles de lecture. Impossible, par exemple,de ne pas noter que le récent coup d’Etatest un effet collatéral des rébellions duNord, qui sont elles-mêmes la consé-quence de la déstabilisation de la Libye parune coalition occidentale qui n’éprouveétrangement ni remords ni sentiment deresponsabilité.

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 39

� Des militaires maliens capturés le 23 janvier. Deux mois plus tard,l’armée malienne se désintègre.

Les membres du groupeislamiste nigérian Boko Haramse sont entraînés au maniement des explosifsdans des camps d’Al-Qaidasitués dans la région du Sahel,affirme Mohamed Bazoum, le ministre des Affairesétrangères du Niger voisin.Les militants de Boko Haram, quiont tué plus de 200 personnesdepuis début 2012 au coursd’attaques de mieux en mieux planifiées, ont pu également fréquenter les camps d’entraînement des rebelles somaliens, les chebabs [les “jeunes”, des combattants islamistes],

poursuit le ministre, précisant :“Il ne fait aujourd’hui plus aucun doute qu’il existedes liens entre les membres de Boko Haram et ceux d’Al-Qaida au Maghrebislamique (Aqmi). Un groupe a été accueilli dans des camps d’Aqmi au Sahel et, d’après nos informations, un autre se serait entraîné avec des chebabs en Somalie.”Pour les spécialistes de la sécurité, le groupe BokoHaram – dont le nom signifie“L’éducation occidentale est un péché” dans la languehaoussa, parlée dans

le nord du Nigeria – aurait peu de chances d’étendre ses activités au-delà des frontières du Nigeria et peu de contacts avecd’autres groupes d’insurgés.Toutefois, pour le chef de la diplomatie du Niger,l’existence avérée de liensentre Boko Haram et Aqmiexige la mise en place d’unepolitique de sécurité régionaleunifiée. “Certains des hommesqui ont posé des bombes au Nigeria ont été formés au Sahel. C’est pour cela qu’il est important de travailler ensemble et de partager les

informations”, explique-t-il.L’organisation de Boko Haramest vaguement inspirée de celle des talibansd’Afghanistan. Le groupe a revendiqué plusieursattentats contre des églises,des bâtiments de la police, des centres militaires, des banques et des barsservant de la bière dans le nord du Nigeria, à majoritémusulmane. [Née dans le nord-est du pays au débutdes années 2000 sous le nomde Jamaatu Ahlul SunnaLiddaawati Wal Jihad, la “communauté des disciplespour la propagation de

la guerre sainte et de l’islam”s’est radicalisée à partir de l’été 2009 et est désormaisconnue sous le nom de BokoHaram.] Cette secte s’attaqueprincipalement auxreprésentants de la police, de l’armée et du gouvernement,mais de plus en plus souvent à des institutions chrétiennes.Ses membres combattent des ennemis qui leur auraientcausé du tort et qui seraientcoupables de violences,d’arrestations, de négligenceéconomique et de corruption.Muhammad Kabir Daily Champion (extraits)Lagos

Boko Haram

La menace en provenance du Nigeria

Ces pillages observés au Mali font suite à ceux d’avril dernier à Ouagadougou, à l’occasion d’une mutinerie

40

au Burkina Faso.26 août 2011 Mort accidentelled’Ibrahim Ag Bahanga, chefhistorique de la rébellion touareg.Octobre 2011 Fin de la guerre civileen Libye. De nombreux Touaregs

maliens, combattants dans l’arméede Muammar Kadhafi, repartent en direction du Sahel, dans le norddu Mali. Le MNA (Mouvementnational de l’Azawad) et le MTNM(Mouvement touareg du Nord-Mali)

fusionnent pour créer le MNLA(Mouvement national de libérationde l’Azawad).Janvier 2012 Reprise de la guerred’indépendance des rebelles touaregsdu MNLA contre le Mali. 40

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Afrique

Comme le Mali, le Niger voisinest confronté à unerevendication indépendantistetouareg. La victoire militaire des Touaregs du Mali remet en cause le fragile cessez-le-feude 2009 obtenu au Niger.

La Dépêche diplomatique Dakar

�D epuis les “guerres du Tchad”[1979-1987], l’Afrique subsaha-rienne francophone n’avait pas

connu un tel déferlement de combat-tants. Reste à savoir comment la “révo-lution” touareg (qui ne veut plus êtreperçue comme une “rébellion”) seracapable de gérer et de défendre les villesconquises, elle qui a fait de la mobilitéson mode de vie.

Ressortons les cartes. C’est à Bouremque, le 5 novembre 2009, un Boeing cargovénézuélien avait été incendié après s’êtreposé dans le désert avec, dit-on, une joliecargaison de drogue. C’est de cette bour-gade de Bourem, au nord, et d’Ansongo, au

sud, que les Touaregs et leurs alliés “isla-mistes” ont conquis Gao, la plus grandeville du nord, après s’être emparés deKidal, la “capitale” des Touaregs, le ven-dredi 30 mars. On descend de Bourem versGao par la RN8 et de Gao vers Ansongopar la RN17, une route qui conduit… àNiamey, capitale du Niger. Ayorou, la pre-mière ville nigérienne, n’est qu’à 235 kilo-mètres de Gao ! Quand les puissances“occidentales” ont entrepris de liquider lerégime en place à Tripoli et, dans la foulée,le “guide de la révolution”, j’ai pensé queNiamey serait la cible privilégiée de l’opé-ration de déstabilisation des Touaregs.Parce que Mahamadou Issoufou arrivaitau pouvoir et qu’il lui fallait trouver letemps de prendre ses marques. Il n’en arien été ; et je m’étonne aujourd’hui (plusencore, je m’en réjouis) que le gouverne-ment nigérien puisse se préoccuper desproblèmes majeurs auxquels le pays estconfronté à l’instar de tous les pays de lazone sahélo-saharienne – un déficit céréa-lier et fourrager qui précarise la situationdu cheptel – plutôt que de s’engager dansune nouvelle “guerre des sables”.

Par le passé, et tout particulièrementces dernières années, au temps où Mama-dou Tandja était au pouvoir [1999-2010],c’est au Niger que la “rébellion touareg”faisait la une, jour après jour. Le Mouve-ment des Nigériens pour la justice (MNJ)étant en pointe dans ce combat. C’estaussi au Niger que les prises d’otageseuropéens les plus retentissantes ont étéopérées (otages transférés aussitôt dansle nord du Mali). Autrement dit, nous n’as-sisterions pas à une insurrection générali-sée des Touaregs, mais limitée à laconquête du nord du Mali, quand autrefoison évoquait un Front de libération de l’Aïret de l’Azawad. Ce qui pourrait laisserpenser que la revendication territoriale des

Effet domino

Niger, le cessez-le-feu en périlDifficile aussi de ne pas noter quecet harmattan kaki qui souffle sur le Mali,après être passé par ses voisins ivoirien,guinéen, nigérien et mauritanien, inter-roge la culture politique des pays fran-cophones de l’Afrique de l’Ouest. Nousdevons nous poser une question : pour-quoi n’y a-t-il donc ni de coup d’Etat nide rébellion dans les pays d’Afrique aus-trale, à l’exception de Madagascar, qui estune nation francophone ? Ces derniersjours, Bamako a été le théâtre de pillagesurbains, fruits de ce que nous pouvonsappeler une préoccupante délinquanceen treillis. Au nom de quoi des militairesen colère peuvent-ils revendiquer le pou-voir en s’attaquant aux biens privés deleurs compatriotes ? Mystère. Ces pillagesobservés au Mali font en tout cas suite àceux auxquels on a assisté en avril der-nier à Ouagadougou, à l’occasion d’unemutinerie qui ne visait pas à s’emparerdu pouvoir.

L’Afrique de l’Ouest connaît une crisepolitique et sécuritaire préoccupante.Mais elle est également fragilisée par unecrise inédite du sens et des valeurs. Et labrise rafraîchissante qui nous vient deDakar ne peut chasser les lourds nuagesqui s’amoncellent au-dessus de nos têtes.Théophile Kouamouo

� Réunion de coordination du MNLA. Un colonel de l’armée maliennequi a déserté au début du soulèvement touareg y participe.

Touaregs sur l’Azawad n’est qu’un prétextepour créer une zone grise au confluent duMali, de l’Algérie et du Niger, permettantl’organisation de tous les trafics. Pourquoi“flinguer” ATT plutôt qu’Issoufou ? Parceque Niamey a eu, depuis l’an dernier, uneautre approche du problème des Touaregs.Le 7 avril 2011, le jour de son 58e anniver-saire, Brigi Rafini était nommé au poste dePremier ministre. Maire d’Iférouane (à 300 kilomètres au nord d’Agadez), députéd’Agadez, Rafini est un Touareg.

L’agglomération où il est né le 7 avril1953 et dont il est le maire a été, enfévrier  2007, le point de départ de la“deuxième rébellion touareg” au Niger, unerébellion active jusqu’en 2009. C’est direque Rafini connaît bien la question. Enescale à Bamako le 15 janvier 2012, il n’avaitpas manqué de souligner que “le Mali et leNiger partagent les mêmes réalités, connais-sent les mêmes difficultés”. Rafini a été àl’origine du Forum sur la sécurité et ledéveloppement dans l’espace sahélo-saha-rien qui s’est tenu le 24 janvier 2012 à Arlit,dans la province de l’Aïr [nord du Niger].

Le même problème, deux traite-ments différents. Il n’y a pas d’“irrémé-diabilité” des “rébellions touaregs”. Il ya un traitement politique à mettre enœuvre ; et une détermination républi-caine à exprimer. C’est faute d’avoirassumé l’un et l’autre qu’ATT est tombéet que le Mali a sombré dans une situa-tion “dramatiquement” chaotique dontil n’est pas près de se relever. Jean-Pierre Béjot

Deux traitementsdifférents pour le même problème

39

39 21 mars 2012 Mutinerie dans la garnison de Kati, près de Bamako,lors de la visite du ministre de la Défense.22 mars 2012 Coup d’Etat duComité national pour le redressement

de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE), présidé par le capitaine Amadou Haya Sanogo.31 mars 2012 Le MNLA prendTombouctou, contrôlant ainsi toutle Nord-Mali.

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Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 41

En provenance de Libye, via le Mali ou le Niger, les armesen circulation en Algérie ont vu leur nombre augmenter et se sont diversifiées, révèle l’enquête d’El-Khabar.

El-Khabar (extraits) Alger

�L e trafic d’armes est devenu uneactivité florissante pour desgangs criminels agissant à tra-

vers les frontières du sud et de l’est dupays. Ce qui est effroyable, c’est que cecommerce bénéficie d’une demandecroissante de la part des Algériens à causede la détérioration de la situation sécuri-taire dans les grandes villes. L’offre a éga-lement augmenté depuis l’éclatement dela guerre civile en Libye [février 2011],qui a contribué à l’afflux d’une énormequantité d’armes en tous genres et à desprix très bas.

Selon les rapports fournis par lesforces de sécurité, au cours de l’année2011, 214 trafiquants ont été arrêtés surles frontières du sud [Mali] et de l’est dupays [Libye, Niger], 10 réseaux, dont cer-tains à la solde d’Al-Qaida au Maghrebislamique (Aqmi), ont été démantelés etquelque 1  500 armes et des quantitésconsidérables de munitions ont été sai-sies. Une situation qui reflète une haussede la demande, qui s’est par ailleurs diver-sifiée. En plus des armes de poing, du typepistolet et fusil de chasse, habituellementrecherchées, les mitrailleuses font désor-mais partie des produits échangés.

Jusqu’en 2011, les principales sourcesd’approvisionnement étaient le Darfour(nord-ouest du Soudan) et le Tchad. Maisdans le sillage du conflit libyen un nou-veau circuit s’est mis en place. Les armesvenant de Libye passent d’abord entre lesmains de grands trafiquants installés dansle nord du Mali et qui déterminent lesprix de vente. Le stockage a lieu au Maliou au Niger, ce qui évite les risques desaisie sur le territoire algérien.

Afin de mieux comprendre cet uni-vers, nous rencontrons Khaled, prochede la cinquantaine. Il vient de sortir deprison, où il a passé dix ans après avoirété arrêté en 2000 sur la route entreAdrar [1 400 km au sud-ouest d’Alger] etGhardaia [600 km au sud d’Alger] à bordde son véhicule, transportant deux pis-tolets et un fusil de chasse vers la ville deDjelfa [290 km au sud d’Alger].

“Avant d’être arrêté, j’ai vendu des armespendant un dizaine d’années. Des fusils dechasse et des pistolets que je transportais dela région de Bordj Badji Mokhtar [dans leSud, à la frontière avec le Mali] jusqu’auxvilles de Msila [250 km au sud-est d’Alger]et Djelfa. La plupart des clients demandaientun pistolet Beretta, très prisé par les hommesd’affaires. C’est une arme légère, fiable et dont

les munitions sont faciles à trouver,explique-t-il. Hormis les pistolets russes,c’est le modèle le plus répandu en Algérie. Ilest également utilisé par la police. Le prix dela pièce, y compris un chargeur de dix balles,va de 8 à 10 millions de centimes de dinar[640 à 800 euros], Le prix d’achat au Maline dépasse pas les 2 millions [160 euros].”

Selon Khaled, on trouve désormaistoutes sortes d’armes au Mali, principale-ment sur le marché d’Akawan, à moins de80 kilomètres au nord-ouest de Gao, dans

la région désertique qui s’étend entre cetteville et Tombouctou. C’est là que seretrouvent les marchands du Burkina Faso,d’Algérie, du Mali, du Tchad et du Soudan.Les transactions s’y font en gros, pardizaine de pièces au moins, qu’il s’agissede pistolets ou de lance-roquettes RPG.Pour acheter au détail, il faut se rendre àGao ou à Tombouctou, ou encore dans larégion frontalière près du village d’Al-Khalil, au Mali. Ou encore dans la régionde Assamakka ou de Tassara, au Niger.

Les véhicules des trafiquants arriventen Algérie en empruntant, sur près de60 kilomètres, d’étroits passages monta-gneux situés en territoire malien, en direc-tion de la ville algérienne de Bordj BadjiMokhtar. “A partir du pied des montagnes, ilfaut marcher environ un kilomètre dans unerégion rocailleuse. Là, vous rencontrez deshommes armés qui parlent à peu près toutesles langues locales, du touareg au hassanya[dialecte arabe propre à la Mauritanie], enpassant par le haoussa [langue locale princi-palement parlée au Nigeria et au Niger] et

l’arabe. Ils vous demandent un mot de passe,tout comme le fait l’armée, détaille Khaled.Pour un non-initié, ce mot de passe est impos-sible à connaître, puisqu’il s’agit d’une longuephrase en langue touareg, qui change tous lesmois, voire tous les quinze jours.”

Il poursuit : “Ensuite, vous arrivez dansun lieu caché entre les montagnes où vouspassez votre commande, vous négociez le prixet vous vous mettez d’accord pour savoir si vousemportez la marchandise ou si vous voulez êtrelivrés en Algérie, auquel cas le prix est évi-demment nettement plus élevé.”

Selon les statistiques des forces del’ordre, une vingtaine de modèles intéres-sent en priorité les trafiquants. La plupartsont de fabrication russe, la palme reve-nant sans conteste à la kalachnikov. SelonKhaled, il en existe quatorze variantes, leurprix allant de 10 à 30 millions de centimes[de 800 à 2 400 euros], selon l’origine, l’an-née de fabrication, la crosse, qui peut être

en métal ou en bois, et selon qu’elle estpliable ou non. Le modèle le plus onéreuxest appelé “étoile”, l’étoile dont il est frappéindiquant sa provenance, la Russie.

Une autre arme très demandée est lefusil Granov, également d’origine russe, trèsprisé par les snipers parce qu’il permet d’at-teindre sa cible avec précision à une dis-tance d’un kilomètre et demi. Son prix peutmonter jusqu’à 90 millions de centimes [7200 euros], selon les accessoires fournis,notamment le viseur. D’autres armes,comme le mauser, proviennent d’Alle-magne, d’Espagne et d’Inde et arrivent auMali via le Bénin et la Guinée. Leur prix estde l’ordre de 40 millions de centimes [3 200euros]. La kalachnikov reste l’arme la plusutilisée par les gangs alors que les pistoletssont très demandés par les hommes d’af-faires à Alger, à Oran ou encore à Annaba.

Beaucoup d’interrogations demeurentà propos des poseurs de bombes artisa-nales, comme celles qui ont été posées cesdeux dernières années dans la ville d’Alma,ou encore la bombe qui a été découverteen décembre dernier en plein centre-villede Sétif. Les forces de l’ordre locales par-lent également de la diffusion d’armes élec-triques, utilisées lors de vols et decambriolages.

Et non loin de là, au sud de la wilaya deSétif, dans une région des plus démuniesdu pays, des fabriques d’armes et de muni-tions se développent parallèlement à untrafic d’armes en provenance de Libye etqui se déroule via le poste frontière de lawilaya d’El-Wadi. Depuis le début de l’an-née dernière, de nombreux ateliers ont étédémantelés, notamment à la lisière de larégion de la Batna [dans l’est algérien], per-mettant aux forces de l’ordre de saisir despistolets, une grande quantité de balles,cinq kilogrammes de plomb, de la poudreet d’autres matériaux servant à la fabrica-tion de munitions. Mohamed Ben Ahmed, Abderrazaq Dheifi

Armes

Kalachnikov pour les gangs, Beretta pour les particuliers

� La kalachnikov, une arme toujours très prisée. Selon son propriétairetouareg, celle-ci date des années 1950 et a déjà fidèlement servi.

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Les transactions se fonten gros, par dizaine de pistolets au moins

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42 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

Deux ONG américaines luttent courageusement contre la vente, à la Syrie ou à d’autres dictatures, de matériel de surveillance de pointe européen ou américain.

The New Republic (extraits)Washington

�A la fin de 2011, alors que le régimede Bachar El-Assad poursuivaitses massacres contre le peuple

syrien, les gouvernements iranien et russelui ont offert leur soutien diplomatique.Mais un allié beaucoup plus improbablelui a également fourni une aide impor-tante : une société de surveillance italiennedu nom d’Area Spa. Tout au long de 2011,cette entreprise a envoyé des employésà Damas pour aider les agents de rensei-gnements à mettre en place un systèmeinformatique devant permettre au gou-vernement syrien de scanner et d’archiverpratiquement tous les courriels échangésdans le pays. Avec l’escalade de la violence,le régime a insisté pour que le projet abou-tisse dans les meilleurs délais. “L’installa-tion des centres de contrôle a été une véritablecourse contre la montre”, commente TrevorTimm, d’Electronic Frontier Foundation[une ONG américaine qui défend la libertéd’expression sur Internet], qui a présentédernièrement un rapport sur le sujet auParlement européen.

Moyen-Orient

L’entreprise italienne doit d’ailleursfaire face à la concurrence de bon nombred’autres sociétés occidentales du mêmesecteur – FinFisher, Trovicor et Blue CoatSystems, pour ne citer qu’elles. Pour lessociétés européennes et américaines dehaute technologie, fournir un matériel depointe en matière de surveillance repré-sente une activité très lucrative – ce sec-teur pèse actuellement 5  milliards dedollars par an et enregistre une croissanceannuelle de 20 % – en raison de la demande

accrue des régimes autoritaires du Moyen-Orient et d’Asie. “Ces entreprises réalisentdes profits exorbitants au détriment despeuples”, déplore M. Timm. Mais commeelles ne se montrent guère décidées àréduire d’elles-mêmes l’échelle de leursactivités, un nombre croissant de militantss’efforcent de faire pression sur elles.

L’une des principales méthodes d’ac-tion de ces militants est l’humiliationpublique. Ainsi, le rapport présenté parTrevor Timm à l’Union européenne [ jan-vier 2012] était accablant. Eric King, leconseiller de Privacy International pourles droits de l’homme [une ONG quidéfend la vie privée] et qui a enquêté pen-dant un an sur l’usage des techniques desurveillance par les régimes autoritaires,n’a pas non plus mâché ses mots vis-à-visdes fournisseurs, disant que les sociétésoccidentales “se donnaient beaucoup depeine” pour venir en aide à des régimesautoritaires. “Il ne se passe pas une semainesans qu’un militant m’envoie une photo en medemandant : ‘Qu’est-ce que c’est ? Est-cequ’on peut m’espionner avec ça ?’ m’a-t-ilraconté. Et il s’agit de matériel de sur-veillance de téléphones portables fabriquéen Grande-Bretagne.”

Devant l’attention accrue des militantssur la question, et à la suite de rapportsd’enquête publiés ces derniers mois pardes journalistes de la chaîne Bloomberg etdu Wall Street Journal, certaines entreprisesont d’ores et déjà décidé de changer de poli-tique. Area Spa, par exemple, a renoncé àses opérations syriennes en raison du tollé

qu’elles avaient provoqué. Mais un trèsgrand nombre d’entreprises campent surune position de “démenti plausible” – pourreprendre les termes de Trevor Timm – enproclamant qu’elles ne savaient absolu-ment pas que leur matériel serait utilisé àdes fins aussi abominables. Elles peuventjustifier leurs opérations car le matérieln’est pas illégal en lui-même et des régimesdémocratiques l’utilisent eux aussi pourcombattre la cybercriminalité.

Inutile de dire qu’il s’agit d’une lignede défense bien mince, voire d’un numérode pur cynisme. Des fuites d’informationscommerciales ont révélé que le géant amé-ricain des télécommunications Cisco Sys-tems se flattait d’avoir un matériel à mêmed’anéantir les mouvements contestataires.Tout cela montre, au pire, que ces fournis-seurs vendent sciemment leurs produits àde grands violateurs des droits de l’hommeet, au mieux, qu’ils ferment délibérémentles yeux sur leurs pratiques.

Eric King et Privacy Internationalpréconisent que les pays occidentaux légi-fèrent afin de définir la nature des équi-pements exportables. Ils souhaitent quele matériel de pointe consacré à la sur-veillance soit soumis “à des systèmes decontrôle, autrement dit que, pour pouvoir levendre à l’étranger, les entreprises soienttenues d’obtenir une licence d’exportation[délivrée par] l’Etat”. Privacy Interna tionalrecommande, en outre, que les violationsde ces réglementations soient passiblesde sévères sanctions pénales. Nick Robins-Early

Syrie

Ces entreprises occidentales qui aident Bachar El-Assad

Les Frères musulmans syriensne s’opposent pas à ce que le président de la République nesoit pas musulman. Une positioncontraire à la Constitutionactuelle du pays.

Asharq Al-Awsat Londres

�A u fur et à mesure que s’installela conviction que les jours derègne de Bachar El-Assad sont

comptés, la crainte de voir lui succéder unrégime religieux dominé par des sunnitesfanatiques se développe. Or la Syrie est unpays multiethnique et multiconfessionnel.Un régime religieux provoquera fatale-ment des déchirements.

Les Frères musulmans syriens ont fran-chi un pas important en répondant à cettecrainte lors d’une conférence de presseorganisée en Turquie [le 24 mars]. Ils ont

ne se construirapas sur une base

confessionnelle, oùles sunnites domi -

neraient les alaouites, lesmusulmans les chrétiens, les

Arabes les Kurdes et les Turkmènes, etc.L’unité de la Syrie dépend de la volonté

de la population. Si celle-ci le souhaite, ellela préservera. Sinon, elle fera éclater le paysen mini-Etats.

Dire que le régime de Bachar El-Assadest un régime alaouite serait injuste àl’égard des alaouites. La plupart d’entre euxconnaissent les mêmes difficultés [que lesautres Syriens]. Il serait plus avisé de direqu’il s’agit d’un régime sécuritaire, répres-sif et pauvre, en place depuis quarante ans.Un régime comme celui de la Corée duNord. Abderrahman Al-Rached

� Dessin de Jas paru dans The Guardian,Londres.

� Dessin de Stavro paru dans The DailyStar, Beyrouth.

pris l’engagement d’accepter l’établisse-ment d’un régime démocratique et civil,assurant l’égalité de tous. Selon la charteprésentée, être de nationalité syrienneserait la seule condition exigée pour pou-voir postuler au poste de président de laRépublique, qu’on soit musulman, chré-tien ou de n’importe quelle autre confes-sion [et que l’on soit homme ou femme].

On savait les Frères fins politiciens, etd’aucuns diront qu’ils pourront changerd’avis et oublier leur charte une fois arri-vés au pouvoir. Toutefois, qu’est-ce qu’ilspourraient bien faire de plus pour rassu-rer ? C’est le maximum qu’on puisse espé-rer de la part d’un groupe d’opposants dotéd’une base populaire. Ils ont fait un pascourageux qui mérite qu’on l’estime à sajuste valeur.

Ils ont même pris de l’avance sur leurscamarades égyptiens, jordaniens et autres.Voire sur le régime de Damas lui-même.Car, bien que celui-ci prétende protéger les

minorités de l’influencedes islamistes, la Constitution

syrienne actuelle exige que le présidentsoit musulman. Cela date de l’époque deHafez El-Assad, père du président en titre,qui avait été contraint à plusieurs reprisesde répondre aux doutes concernant sa foiet de réfuter l’idée que les alaouites [mino-rité confessionnelle à laquelle il apparte-nait] ne sont pas de vrais musulmans.

Aux Frères et aux autres composantesde l’opposition syrienne de comprendreque la tâche la plus importante consisteà convaincre tout le monde que l’avenir

Syrie

Les islamistes pour un Etat laïque

Sur le w

eb

www.courrier

international.com Interview “Le Conseil nationalsyrien n’a pas la même vision que nous de l’avenir du pays”,affirme le dirigeant kurde syrienMuhammad Ismaïl dans unentretien à Courrier international.

Page 43: Compte Rendu.1118

Aux Etats-Unis, le géant de la chimie a accepté definancer les soins médicaux des habitants de Nitro intoxiquéspar la dioxine. Malgré la pollution,ces derniers rêveraient que le groupe rouvre son usine.

The Wall Street Journal (extraits)New York

�L ’histoire de Nitro, en Virginie-Occidentale, est intimementliée aux explosifs et à la dioxine.

Ray Jordan a passé toute sa vie profes-sionnelle ici à mélanger des produits chi-miques. A 85 ans, le retraité est bienconscient des risques qui pèsent sur sasanté et sait que sa maison est peut-êtrecontaminée. Dans le cadre d’un règle-ment à l’amiable de 98 millions de dol-lars [74  millions d’euros] survenu finfévrier avec le géant de la chimie Mon-santo concernant des cas présumés d’em-poisonnement à la dioxine, M. Jordanpeut bénéficier de soins médicaux ainsique de la dépollution de son logement.Mais, comme bien d’autres ici, il n’enveut pas. “C’est cette entreprise qui m’afait vivre, explique-t-il, je ne vais pas main-tenant me retourner contre elle.”

Agent orangeL’accord vient en règlement de sixactions en justice intentées cesvingt-cinq dernières années aunom de plusieurs centainesde personnes souffrant deproblèmes de santé –notamment des maladiescardiaques et des cancers– qui seraient liés à ladioxine, un sous-produitdu 2,4,5-trichlorophé-nol. L’agent orange,comme était surnomméce défoliant, a été utilisépar l’armée américaine[lors de la guerre du Viet-nam]. Il était fabriquépar l’usine Monsanto, quia fermé ses portes il y ahuit ans.

L’accord, qui doit encoreêtre confirmé par le juge ducomté, prévoit le versement de9 millions de dollars destinésà la décontamination de 4 500logements et de 21 millions de dol-lars consacrés à la surveillancemédicale. A cela s’ajoutent 63 mil-lions de dollars destinés à financerdes tests médicaux supplémen-taires et des traitements au coursdes trente prochaines années.

Jack Woodall, qui fait partiedes plaignants, a par le passé

Economie

déclaré à la presse locale que, un an aprèsson départ à la retraite, un cancer du côlonlui avait été diagnostiqué. Aujourd’hui, cetancien salarié de Monsanto refuse de s’ex-primer. Une ordonnance du juge interditen effet aux avocats travaillant sur ces dos-siers et à 14 plaignants d’évoquer publi-quement l’affaire.

Laura McGill, elle, ne cache pas soninquiétude. Cette femme au foyer de 36 ansn’a pas porté plainte, mais espère tout demême bénéficier de l’accord collectif.“Lorsque j’ai appelé le cabinet d’avocats[des plaignants], on m’a expliqué que la pol-lution pouvait avoir des conséquences sur lafertilité. J’ai regardé mon enfant de 4 anset j’ai fondu en larmes”, explique-t-elle.

Mme McGill, qui s’est ins-tallée à Nitro en 2006,n’éprouve aucun scru-pule de loyauté envers

Monsanto. Son mari, cuisinierà Outback Steakhouse, a gagné l’andernier 22 000 dollars [16 600 euros].

Cette commune de 7 100 habi-tants est située sur les rives de laKanawha. La région, surnomméela Chemical Valley [la “vallée de

la chimie”], a accueilli aufil des ans plusieursdizaines d’usines deproduits chimiques

entrant dans la fabrication de décapants,de crayons ou de gilets pare-balles. Dansles années 1960, 6 000 personnes tra-vaillaient dans la vallée. Les employés, pourla plupart syndiqués, étaient bien payés.

Mais aujourd’hui ces usines n’exis-tent plus. Leurs activités ont été déloca-lisées à cause des salaires inférieurspratiqués ailleurs et du départ à l’étran-ger de leurs clients industriels. Le site deMonsanto, l’un des plus importants dela région, a fermé en 2004 [il avait étéinauguré en 1949].

“J’aimerais bien que les chimistes revien-nent”, confie Rusty Casto, 56 ans, mairede la ville. A Nitro, le taux de chômageatteint 17 %, le double du niveau national,et le revenu par habitant est de 23 477 dol-lars, 60 % de la moyenne nationale. Untiers des 800 élèves du lycée peuvent pré-tendre aux déjeuners gratuits. Aujour-d’hui, les principaux employeurs de la villesont le casino “Mardi gras”, qui emploie800 personnes, suivi des distributeursWal-Mart et Lowe’s. Jesse Thornton,30 ans, travaille comme voiturier chezMardi gras, un complexe moderne construità côté de la piste de courses canines. Ilgagne 8,31 dollars l’heure [6,26 euros],auxquels s’ajoutent les pourboires. “Jebénéficie de tous les avantages sociaux et jen’ai qu’un gamin, ce n’est donc pas si mal,admet-il. Mais cela ne vaut pas les usineschimiques. Elles payaient sacrément bien.”

Selon Jim Lewis, pasteur épiscopalienet fer de lance du combat contre Monsanto,la population soutient le géant industrielparce qu’elle croit devoir choisir entre pros-

périté et santé. “C’est le drame des Appalaches[une région pauvre et très polluée par l’indus-trie, notamment minière]”, résume-t-il.

Le gouvernement fédéral a fondé Nitroen 1918 pour y produire de la poudre. Lepays venait de s’engager dans la PremièreGuerre mondiale et manquait de muni-tions. La ville tire ainsi son nom de la nitro-cellulose, à partir de laquelle était produitl’explosif. En moins d’un an, 110 000 tra-vailleurs migrants ont construit une usineet des logements pour 24 000 personnes.Mais à la fin de la guerre l’Etat fédéral adivisé le site en parcelles qu’il a vendues.Les entreprises chimiques se sont ruéessur ces terrains et cette main-d’œuvredésormais disponibles. Nitro Pencil s’estmis à fabriquer des mines de crayon,

Federal Chemical de l’alcool et GeneralChemical de l’acide sulfurique.

Durant toutes ces années, une odeurâcre empestait la ville. Le travail étaitdangereux. En octobre 1937, une explo-sion dans l’usine Monsanto a tué, àl’âge de 33 ans, le grand-père du maireactuel, M. Casto. Le groupe a versé à laveuve 17 dollars par mois pour chacun deses trois enfants jusqu’à ce qu’ils aient18 ans. M. Casto a ensuite perdu un oncledans une autre explosion, en 1957, denouveau chez Monsanto. Les groupeschimiques étaient néanmoins considé-rés comme de bons employeurs et desentreprises citoyennes.

Bayer envisage de s’installerAu foyer pour personnes âgées oùM. Jordan déjeune tous les jours, tout lemonde ou presque est ancien employé– et ardent défenseur – de l’industriechimique. Rares sont ceux qui approu-vent la plainte collective déposée contreMonsanto. “Je ne vois pas ce qu’il reste ànettoyer. Tout s’est déjà volatilisé dans leciel”, assure Ken Estep, 85 ans. Ailleursen ville, on prend aussi fait et cause pourl’industriel. “Cette entreprise n’a rien faitde mal”, proteste Clyde Mynes, qui, à 87ans, travaille dans un magasin d’antiqui-tés. En 2004, son fils a perdu son emploichez Monsanto et a dû quitter la villepour en chercher un autre.

M. Casto, un démocrate qui se pré-sentera sans étiquette aux prochainesélections municipales [en juin], assurene pas s’inquiéter des risques sanitaires.“De nos jours, les entreprises chimiquessavent ce qu’elles font”, affirme-t-il. Ilespère même qu’une nouvelle ère de lachimie s’ouvrira dans l’histoire de Nitro.

Bayer répondra peut-être à ses vœux.Le géant allemand de la chimie a engagédes “discussions sérieuses avec des sociétésintéressées par la location ou l’achat de ter-rains” sur lequel serait installé un cra-queur d’éthane, indique un porte-parole.Si ce projet se concrétisait, “ce serait for-midable”, lance M. Casto.John W. Miller

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 43

� Dessin de Cost, Belgique.

“Je ne vois vraiment pas ce qu’il reste à nettoyer.Tout s’est déjà volatilisédans le ciel”, assure Ken Estep, 85 ans.

OHIOPENNSYLVANIE

VIRGINIE

VIRGINIE-OCCIDENTALE

KENT. 200 km

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Monsanto, revenez s’il vous plaît !

Page 44: Compte Rendu.1118

44 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

MédiasSUD-KIVU

Goma

KigaliLacKivu

RWANDA

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RÉP. DÉM.DU CONGO

2° S

Bukavu

75 km

Kinshasa

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Dans l’est du Congo, sortirun journal n’est pas chose facile.Et quand le titre estindépendant et dirigé par une femme, cela relève de l’exploit. Interview.

Le Courrier Genève

�S olange Lusiku, journaliste radiodevenue éditrice un peu malgréelle, a relevé le défi. Sa détermi-

nation et son engagement lui ont valu d’êtrenommée, début février, docteur honoriscausa de l’Université catholique de Lou-vain (UCL, Belgique). Depuis 2007, Le Sou-verain est le seul journal à paraître àBukavu, dans l’est de la RDC.

Tout a commencé par une promessefaite au fondateur du journal, EmmanuelBarhayiga. En février 2007, cloué au litpar la maladie, il demande à SolangeLusiku de reprendre l’édition du titre.M. Barhayiga décède en avril et, en juin,“hantée par cette dette morale”, Solange selance dans l’aventure. “Il était question queje produise un numéro ou deux, que je paiecette dette et que je reste moralement quitte”,explique-t-elle. Mais c’était compter sansl’engouement suscité par le projet au seinde la population.

Elle travaille alors pour l’ONG Caucusdes femmes congolaises du Sud-Kivu pourla paix, “une organisation qui constitue uncadre de concertation et regroupe des femmesde toutes les tendances et idéologies, avec l’ob-jectif de les faire participer à la gestion de lachose publique”. Avant cela, Solange étaitpassée par les radios communautaires dela région. La presse écrite, elle n’y avaitjamais touché. Elle a dû vaincre ses appré-hensions mais aussi les préjugés de lasociété patriarcale. “Il y avait certaines réti-cences dues aux stéréotypes liés à la femme.Des gens qui essayaient de me décourager oud’influencer mon mari en lui disant : ‘Si leshommes ont échoué, comment votreépouse peut-elle penser qu’elle va réus-sir ?’” Mais tout cela n’a fait que renforcersa détermination et son envie “de les défierun peu et d’avancer toujours plus”.

C’est cette détermination qui lui apermis de maintenir l’édition du journaldans le temps et qui lui a valu la recon-naissance de l’université belge. “Un titrehonorifique, mais aussi un défi”, comme ellele souligne. Le Courrier l’a rencontrée àcette occasion.

Comment sont sortis les premiersnuméros du Souverain ?A part Le Souverain, il n’y a pas d’autre jour-nal à Bukavu. A l’époque, il y avait des petits

bulletins de liaison des ONG et de l’Eglisecatholique. Ces bulletins étaient imprimésen format A4. Mais nous voulions produireun journal professionnel, en format A3.Pour cela, il fallait imprimer à Kinshasa,parce qu’il n’y a pas d’imprimerie qui tireà ce format-là à Bukavu. Il fallait doncprendre le bateau jusqu’à Goma, au Nord-Kivu, ensuite prendre l’avion du lendemainpour Kinshasa et une fois à Kinshasa réa-liser le journal. Et comment le réaliser ? Enprovince, comme il n’y a pas de presseécrite, il n’y a pas de repères, donc je n’avaispersonne à qui demander conseil. Maisj’avais quelques connaissances dans la pro-fession à Kinshasa, dans la presse écrite, etils étaient d’accord pour m’aider à mettreen page le journal.

J’ai commencé à recruter des gens dansles rangs de la société civile où j’évoluais,et d’autres aussi parmi mes relations, pourm’aider à écrire. Chacun m’amenait lespapiers manuscrits au bureau du Caucusoù je travaillais, et moi j’amenais tout çadans un secrétariat public pour la saisie destextes, et je les récupérais sur clé USB.Cette clé USB, l’argent pour l’impressiondu journal, les feuilles de montage, etc., toutcela partait alors avec une connaissance,

dans une enveloppe avec le nom du jour-naliste à Kinshasa et son numéro de télé-phone. Au retour, c’était la même chose, lejournaliste de Kinshasa cherchait quel-qu’un qui rentrait à Bukavu, lui confiait lelot de journaux et le tout arrivait chez nousde trois semaines à un mois plus tard.

Quelle a été la réaction de la population aux premièresparutions ?Nous avons commencé avec 250 exem-plaires [500 aujourd’hui]. La première foisque c’est arrivé à Bukavu, on a remarquél’engouement des gens, des nostalgiquesde l’époque où il y avait encore des jour-naux au pays. Beaucoup de gens voulaientlire. Du coup, les 250 exemplaires n’ont passuffi, mais c’est tout ce qu’il y avait. Alorsles gens se passaient le journal pour le lire.On avait encore beaucoup de choses à amé-liorer, on n’avait pas encore de ligne édi-toriale bien définie. Mais on a fait unpremier numéro, puis un deuxième,ensuite un troisième. Et au lieu d’arrêteron y a pris goût, parce que tout le mondes’intéressait. Il fallait continuer ! Ensuite,avec l’aide d’un journaliste belge d’originecongolaise, l’équipe s’est formée à l’écriture.

République démocratique du Congo

Il y a encore des journaux au Sud-Kivu !

� Dessin de Dario, Mexique.

Ce journaliste nous a aussi fourni tout unencadrement méthodologique et éditorialpendant près de deux ans. Nous avonsdéfini la ligne éditoriale avec toute l’équipeet élaboré la charte de notre journal, pouréviter de naviguer à vue. Nous noussommes fixé pour mission de produire desarticles qui entrent dans le cadre de la pro-motion de la démocratie, des droits de lafemme. Donc coupler démocratie etfemme parce que pour nous celle-ci est undes piliers de la société. Une société où lesdroits de la femme sont bafoués ne peutpas évoluer.

Quel est l’état d’avancement du projet aujourd’hui ?Nous sommes entrés en contact avec uneassociation en Belgique qui s’appelle Ren-contre des continents, et cette associationnous a parrainés dans l’introduction d’unprojet afin d’obtenir des fonds pour pro-duire le journal pendant un an. Cela nousa permis d’obtenir des ordinateurs pourtravailler, de payer le loyer, etc., et c’estcomme ça que nous avons commencé letravail proprement dit. Maintenant noussavons monter le journal, nous le mettonssur DVD et nous traversons la frontière.

Page 45: Compte Rendu.1118

A Java, des femmes sans bagagescolaire réunies en collectifpublient aujourd’hui un mensuel. Une expérience qui leur permet de gagner enconfiance et en indépendance.

Kompas Jakarta

�A ccidenté le 17 à Krapyak. Mort le 26à l’hôpital. Laisse mari enceinte dequatre mois.” Voilà ce qu’écrit

Sugimah dans un article racontant l’acci-dent de travail d’un de ses voisins.

“Mais voyons, celle qui est enceinte, c’estla femme, pas l’homme”, fait gentimentremarquer Tirta Nursari, la rédactrice enchef du journal Pasinaon, en corrigeant l’ar-ticle de Sugimah. Celle-ci éclate de rire :“Ah oui, je me suis trompée !” Telle est l’am-biance qui règne dans le jardin d’étudescommunautaire Warung Pasinaon, situédans un quartier de Semarang, à JavaCentre. Sugimah, 65 ans, est une des jour-nalistes de Pasinaon, un mensuel réalisé pardes femmes. Pasinaon traite de la vie quo-tidienne de leur quartier, à commencer parla hausse des prix des produits de premièrenécessité, des frais de scolarité trop élevéset des accidents de travail ; mais on y trouveégalement des recettes de cuisine, dedécoctions de plantes médicinales ainsique des articles sur des questions de santéet des témoignages, comme l’histoire decette femme qui économise chaque jour2 000 roupies (18 centimes d’euro) dansl’espoir d’ouvrir bientôt un petit com-merce. Conformément à son titre, quisignifie en javanais “études”, Pasinaon estun support pour l’alphabétisation desfemmes d’un certain âge.

En fait, toutes les rédactrices du jour-nal ne sont pas véritablement analpha-bètes. Sugimah, par exemple, a passé dansson enfance trois années sur les bancs del’école primaire. Mais elle n’a jamais su nilire ni écrire couramment. Aujourd’hui,elle étudie tout en s’occupant de ses petits-enfants et d’une gargote où elle vend de lafriture. Rohmiyati, 54 ans, autre journa-liste, emporte chaque jour ses livres à larizière. Son mari est mort il y a quelquesannées, la laissant seule avec cinq enfantsen bas âge. “Je dois absolument savoir lirepour ne pas me perdre dans la rue et pour nepas me faire avoir par des balivernes. Je peuxdéjà lire un carton d’invitation à un mariage”,dit-elle fièrement. Ses parents l’ont reti-rée de l’école primaire au bout de troismois, sous prétexte qu’une fille devait secontenter d’apprendre à cuisiner et àélever les enfants.

Le peu d’apprentissage de la lecture etde l’écriture dont Sugimah et Rohmiyat ontbénéficié dans leur enfance n’a laisséaucune trace car il manquait de consistanceet n’était pas inscrit dans leur quotidien.En participant à la publication du journal,

elles ont aujourd’huienfin appris à lire et àécrire une bonne foispour toutes.

En 2008, Tirta  Nur-sari, la coordinatrice dujardin d’études de Pasinaon, aconstaté que l’apprentissage de lalecture et de l’écriture devait êtreaccompagné d’une application sou-tenue pendant plusieurs années,sinon, les femmes nouvellementalphabétisées oubliaient tout. En2010, profitant du programme Journalde femmes lancé par le ministère del’Education et de la Culture, elle a com-mencé à publier une revue, deux fois paran, tirée à mille exemplaires. Puis le jour-nal est passé à vingt pages et est devenumensuel, même si parfois sa sortie est dif-férée. “Nous sommes soutenues par de nom-breuses institutions. Cette année, c’est uneentreprise qui finance nos frais d’impression”,raconte Tirta. Les femmes se retrouventune fois par semaine pour étudier et pouréchanger leurs expériences. Elles discutentaussi du contenu du prochain numéro. Les

journalistes, au nombrede sept, rassemblent les

textes. Certains sont justecorrigés et publiés tels

quels. D’autres ont besoind’être un peu réécrits.

Aujourd’hui, Sugimah se rendcompte que pas ser du temps à colpor-ter des ragots avec ses voisines lui faitperdre son temps. Elle a gagné de laconfiance en elle et ose répondre auxquestions de ses petits-enfants ou

arrière-petits-enfants. Comme lesautres femmes du journal, elle com-

mence à prendre du recul par rapport auxcroyances superstitieuses auxquelles elleadhérait jusque-là. Elle sait désormais, parexemple, que pour soigner un rhume onn’a pas besoin de se scarifier le corps avecune pièce de monnaie, que le lait maternelpeut être conservé, ou encore qu’on n’at-trape pas des rhumatismes en prenant sadouche à la nuit tombée.Amanda Putri

Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012 � 45

Indonésie

Analphabètes et journalistes

� Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo,Madrid.

Kinshasa est très loin et, à côté de cheznous, au Burundi, les journaux sont debonne qualité, alors nous l’imprimons là-bas. Mais cela représente aussi un problèmeparce que nous devons traverser la fron-tière avec le Rwanda. A l’aller, c’est facile.C’est le retour qui est le plus difficile parceque le Rwanda est un pays où la libreexpression n’existe pas. Et comme nousévoluons dans la région des Grands Lacs,nous ne pouvons pas ne pas parler de cequi se passe au Rwanda, de ce qui se passeentre le Rwanda et le Congo, et du coupcela peut compromettre celui qui fait tran-siter les journaux. Alors, parfois, il faut fairepasser les journaux dans un bus, et prendreplace dans un autre bus. Dieu merci nousn’avons jamais été attrapés. Mais si celaarrivait un jour, ce serait la pire des choses,parce que là-bas il n’y a pas de pitié.

Avez-vous rencontré des problèmes avec les autoritéscongolaises ?Pour ce qui est du journal non, mais avantoui. Je sais que, maintenant, ils ont peur denous parce qu’ils savent que nous avonstout un réseau de gens, d’amis, d’organi-sations qui apprécient notre travail. Alorsparfois ils m’appellent au téléphone, ils sefâchent carrément et me disent : “Tu veuxqu’on te donne le luxe de t’exiler ?” Il y a aussides tentatives pour nous acheter, certainsnous proposent de faire partie de leur cabi-net et de devenir chargés de communica-tion. Moi, je refuse tout ça parce que nousne voulons pas être inféodés politiquementou liés à la religion, nous préférons restervraiment indépendants.

Encore aujourd’hui, nous n’avons pasles moyens de garder notre autonomiefinancière, nous produisons à perte. Maisnous gagnons en termes de combat et nonen termes d’argent. Il y a beaucoup de jour-nalistes indépendants en RDC, mais ilsn’ont pas les moyens de vivre leur indé-pendance, ils doivent se plier ou s’auto-censurer. Beaucoup d’entre eux ont peurde dire les choses tout haut. N’oublions pasque nous sommes dans une région où troisjournalistes et un défenseur des droits del’homme ont été assassinés ces dernièresannées. C’est aussi une zone convoitée oùopèrent une floraison de multinationalesqui exploitent les ressources naturellesavec des contrats fallacieux.

Alors parfois, nous sommes contraintsde passer certaines informations à desconfrères qui sont en sécurité pour lespublier, afin de nous protéger nous-mêmes.En fait, notre espérance de vie est de vingt-quatre  heures renouvelables. Proposrecueillis par Sébastien Brulez

Les journalistesindépendants en RDC doivent souvents’autocensurer.Beaucoup ont peur dedire les choses tout haut

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46 � Courrier international | n° 1118 | du 5 au 11 avril 2012

En Allemagne, les archéologuesdu dimanche sont à l’origine dequelques-unes des plus bellesdécouvertes récentes.

Die Welt (extraits) Berlin

�L a découverte du siècle.” C’est ainsique l’on a qualifié le trésor deGessel, datant de l’âge du

bronze, qui a été présenté par l’office desmo numents historiques de Basse–Saxe enfévrier dernier. Ces précieux objets, vieuxde 3 500 ans [ des torques et des braceletsen or, des pièces ouvragées…], avaient étémis au jour en 2011, à une dizaine de kilo-mètres au sud de Brême, par les archéo-logues de l’institution.

30 000 chercheurs amateursC’est sans doute vrai, mais cela ne doit pasfaire oublier que, ces dix dernières années,nombre de découvertes archéologiquessont dues à des chasseurs de trésors ama-teurs : retraités alertes, chômeurs agiles,historiens honoraires… “Le champ de bataillede Kalkriese, le disque céleste de Nebra [undisque de bronze représentant la voûtecéleste et datant de 1600 avant J.-C.], unegrande partie d’un trésor romain et le champde bataille récemment découvert dans l’arron-dissement de Nordheim”, ce ne sont là quequelques-unes des découvertes faites pardes amateurs, déclare Jochen Reifenrath.La numismatique – l’étude des monnaieset des médailles –, en particulier, profite desapports de non-professionnels, ajoute-t-il.

Jochen Reifenrath connaît bien leschasseurs de trésors : il vend aux plus che-

Sciences

vronnés d’entre eux des détecteurs demétaux –  un investissement de 500 à1 500 euros. Mais un bon appareil peutrepérer une pièce de monnaie enfouie à15 cm sous terre. Il publie aussi le maga-zine Abenteuer Schatzsuche [Aventurechasse au trésor], l’une des quatre princi-pales publications qui, avec les nombreuses

pages Internet sur le sujet, permettent aumilieu de s’informer et d’échanger desinformations. Les ouvrages spécialisésremplissent des bibliothèques entières.Autant dire que la chasse au trésor séduitun grand nombre de personnes, 10 000 à30 000 selon les estimations.

Mais les chasseurs de trésors ont mau-vaise réputation et font l’objet des critiquesde leurs rivaux officiellement mandatés parles autorités, ainsi que des archéologues etde l’Office des monuments historiques.Pour ces derniers, les amateurs ne sont pasdes chasseurs de trésors mais des “pilleursde tombes.” On leur reproche de saboter letravail des historiens et des Monumentshistoriques en ne s’intéressant qu’auxobjets au mépris de la position et de l’en-vironnement dans lesquels ils les ontdécouverts. Or on ne peut plus reconsti-tuer le contexte une fois que l’objet a étéarraché à la terre. Du coup, dans presquetous les Länder, la loi stipule que tous lesobjets trouvés sur des terrains publicsappartiennent à l’Etat. Toute chaîne cel-tique, toute pierre grecque gravée, toutebague romaine, tout objet repéré par lesmanieurs de détecteur doit être remis auxautorités, et en général sans récompenseà la clé. Cette réglementation vise à empê-cher les particuliers de se lancer dans lachasse au trésor sans autorisation officielle.

Aux yeux des archéologues amateurs,ce devoir de remise nuit surtout aux auto-rités. “Le résultat, c’est que les découvertes nesont plus signalées, confie un chasseur de

trésors. C’est uniquement à cause de ça queceux qui ont trouvé le disque céleste de Nebraont cherché à le vendre au marché noir.” D’au-tant que les inventeurs honnêtes, quiremettent tout ce qu’ils trouvent aux auto-rités, n’ont droit à aucune reconnaissance,déplore Reifenrath. “On ne leur laisse mêmepas les droits photographiques. Certains secontenteraient parfaitement d’être cités commecelui qui a découvert l’objet, d’avoir leur nomsur une petite plaque dans les expositions oules musées, mais cela leur est refusé.”

Or, argent et pierres précieusesMalgré ses griefs, Reifenrath collabore avecles autorités et tente d’inciter ses confrèresà respecter la réglementation. Il a publiésur son site un code d’honneur compor-tant des recommandations en ce sens :“Essayez d’établir une relation de coopérationavec votre office des monuments historiques”,“Evitez absolument les zones interdites auxfouilles ainsi que les sites où des fouilles archéo-logiques sont en cours”, etc.

Le disque céleste de Nebra, dont ladécouverte par des “pilleurs de tombes” aapporté des informations inestimables auxspécialistes de l’histoire des sciences, estvolontiers présenté comme un exemple desagissements criminels du milieu : les décou-vreurs avaient cherché à le vendre pour700 000 marks [358 000 euros environ] enpassant par des intermédiaires. Il estaujourd’hui assuré pour 1 million d’euros.

On trouve malgré tout de nombreuxexemples de découvertes importantessignalées immédiatement. Par exemple, letrésor de la maison de Wettin, constituédes joyaux de la maison royale de Saxe, quiavait été enterré en 1945 près du châteaude Moritzburg à l’approche de l’arméesoviétique. Il a été découvert en 1996 parun couple de chasseurs de trésors et remisimmédiatement aux autorités. Il est aujour-d’hui estimé à 14 millions d’euros.

Il y aurait encore 32  000  zentners[1 600 tonnes] d’or, d’argent, de pierresprécieuses et d’autres objets de valeur surle sol allemand qui attendent leur décou-vreur. L’unité de mesure utilisée, le zent-ner, indique que c’est une estimation quidate de l’après-guerre. Et ce chiffre resteremarquablement constant, alors qu’ondécouvre chaque année quelques kilosd’objets divers.

Est-il exact ou doit-on supposer quece qui reste à trouver représente la moitié– ou le double – de ce tonnage ? On ne lesaura jamais. Quoi qu’il en soit, il s’agit dequantités que les chasseurs de trésors offi-ciels ne peuvent pas trouver tout seuls. Lesplus grandes quantités continueront doncà être découvertes par des amateurs. Etplus la réglementation incitera à remettreses découvertes aux autorités, plus levolume que l’on pourra admirer dans lesmusées, comme il se doit, sera important.Ulli Kulke

Archéologie

Laissons donc travailler les chasseurs de trésors

� Dessin d’Arnal Ballester paru dans El Mundo, Madrid.

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La scène artis

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plus dynamique du monde —

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Istanbul

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Turquie

Istanbul, de galeriesen ateliers

Istanbul a sans doute encore ses plus bellesannées devant elle, mais c’est une ville excitantequand on est jeune et talentueux. Un soir d’été,je me trouve en compagnie d’un groupe de jeunesfemmes dans une taverne. A l’issue du dîner, ellesremettent du rouge à lèvres et partent à une soiréequi se tient non loin du SALT Beyoglu. En chemin,elles s’arrêtent pour acheter une bouteille de raki(l’alcool national) et des cigarettes. Le soir, sur-tout par temps chaud, Istiklal Caddesi, la grandeartère piétonne de la ville, grouille de monde. Brasdessus, bras dessous, les femmes tentent de sefrayer un chemin dans la foule pour accéder auRumeli Han, un immeuble de la fin du XIXe sièclequi respire une grandeur passée, défraîchie, avecses escaliers de pierre noircis et ses plafonds déla-brés. Quelques marches plus haut, après le localdu Parti communiste, de la musique sort d’un ate-lier d’artistes. La table et le sol sont jonchés debouteilles et de cannettes de bière, un tas de che-valets sont appuyés contre un mur. Les filles seversent du raki dans de minuscules tasses en plas-tique et s’asseyent avec leurs amis.

“C’est devenu un lieu de rendez-vous, m’expliqueun galeriste. Il alimente la scène underground.”Dans une salle tout en longueur, une quarantainede personnes assistent à une performance du col-lectif Ha Za Vu Zu. Le public, âgé de 20 à 30 ans,écoute en silence assis par terre. Plusieurs fillesont un look rétro, avec leurs coupes de cheveuxdes années 1940 et leurs pantalons cigarettes.Les garçons, longs cheveux noirs bouclés, sonten tee-shirt. Une jolie fille en robe bain de soleilme glisse une invitation dans la main. “Je fais ma

première expo !”, m’annonce-t-elle. C’est à Arter,un espace d’exposition en vogue. “Cela me feraitplaisir que vous veniez.”

Les artistes se mettent alors à danser sur devieux morceaux de rock turc. Ils esquissent uneversion moderne de la danse turque tradition-nelle, hommes et femmes évoluant en couples,bras écartés. Voici apparemment un endroit oùl’on peut se lâcher en toute sécurité. Tout lemonde s’est déchaussé. Au bout de quelquesheures, le visage ruisselant de sueur, les hommesse mettent torse nu, crient, rient, tapent des pieds.Une femme décide, elle aussi, d’ôter le haut.

“On s’amuse comme des petits fous”, rigole Yase-min Nur, une artiste de 35 ans qui participe à lasoirée en compagnie de Gözde Ilkin. Toutes deuxsont membres d’AtilKunst, un collectif d’artistesfemmes. “On se croirait dans la cour de récré. Maison est très sérieux. Tout le monde travaille dur.”

Dans ce pays musulman conservateur de80 millions d’habitants, les artistes exercent uneinfluence négligeable sur la vie sociopolitiquenationale. Mais un jour ou l’autre, ils parviendrontà exporter la culture turque contemporaine dansle monde. Ils ont grandi dans une période deliberté et de prospérité relatives. Ils forment uneélite artistique et ont davantage en commun avecleurs homologues d’autres pays qu’avec leurscompatriotes.

La plupart de ces artistes vivent à présent àBeyoglu, l’ancien quartier européen, longtempsresté dans un état de délabrement assez fasci-nant. Les élites ne s’y aventuraient pas la nuit.Avec le boom de l’économie turque, les échoppesà kebab se sont spectaculairement muées en caféseuropéens, les immeubles squattés en hôtelsdesign, tandis que les loyers élevés ont repousséles pauvres à la périphérie de la ville. Des galeriesd’art ont surgi dans les endroits les plus inatten-dus. Les nouveaux riches et la vieille élite se sontrendu compte que les gens fortunés se devaientde collectionner de l’art. C’est ainsi que le marchéde l’art s’est envolé.

Les jeunes artistes ont un peu profité de cetafflux d’argent. Je suis allée voir le travail deGözde Ilkin quelques mois plus tôt, à la galerieartSumer, dans le Rumeli Han. Son expositions’intitulait “Refuge : chœur de voix de l’intérieur”.Ilkin avait cousu des silhouettes – de jeunesmariés, de danseurs – sur de vieux draps et

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Quand on est un artiste jeune et talentueux, c’est là qu’il faut être. Visite guidée d’une ville en pleine renaissance, en compagnie d’unejournaliste américaine qui y vit depuis cinq ans.

Les échoppes à kebab se sont spectaculairementmuées en cafés européens,les immeubles squattés en hôtels design

The New York Times (extraits) New York

L’imposant bâtiment vieux de 120 ansqui avait abrité le siège de la Banqueottomane à Istanbul a rouvert sesportes au début de l’hiver. Après plu-sieurs millions de dollars de travaux, ilaccueille désormais un centre d’art

contemporain, le SALT Galata. Cela n’a pasmanqué de surprendre. L’art contemporain n’ajamais été le fort des Turcs, et cela faisait bellelurette que les Stambouliotes aisés ne mettaientplus les pieds dans cette partie de la ville. Lorsqueje me suis installée dans le quartier il y a cinq ans,il n’y avait que des magasins de matériel élec-trique, des bâtiments à l’abandon et des hommesen train de fumer. Mon immeuble n’était paschauffé ; mes amies n’osaient pas s’aventureraprès la tombée de la nuit ; un jour, un de mes voi-sins en a agressé un autre avec un petit sabre. Jene vois plus de sabre à Istanbul. En revanche, jevois beaucoup plus d’art qu’auparavant.

Pour la grande soirée d’inauguration, ennovembre dernier, l’exposition phare présentaitdes milliers de vieilles photographies en noir etblanc prises par une photographe de studio armé-nienne aujourd’hui décédée et agencées avec soinpar le jeune artiste Tayfun Serttas. On pouvaitaussi voir une installation de Gulsun Karamus-tafa, la doyenne de l’art contemporain en Turquie.

Mais l’espace écrasait l’art. L’immeuble étaittrop majestueux avec ses cinq étages et ses 10 000mètres carrés de marbre blanc sculpté. Com-missaires d’exposition, banquiers, architectesd’intérieur, écrivains, musiciens, universitaires,artistes et épouses fortunées gravissaient le grandescalier en tendant le cou pour admirer le pla-fond. Ils étaient bouche bée devant la magnifiquebibliothèque, la somptueuse salle de projection,la terrasse-fumoir qui fait aussi restaurant. Lamasse imposante du SALT dominait la Corne d’Oret les toits délabrés en contrebas.

Il s’avère qu’Istanbul, passée de ville cosmo-polite de rêve au XIXe siècle à “pâle et pauvre imi-tation de ville occidentale” durant la majeure partiedu XXe siècle, pour reprendre les termes du PrixNobel de littérature Orhan Pamuk, est en pleinerenaissance. Ces nouveaux quartiers branchés del’Est paraissent pleins de promesses, mais quelgenre de culture créeront les Turcs ? 50

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SALT Galata Ce centre d’art contemporaininauguré à l’automne 2011 offre unevue plongeante sur la Corne d’Or.

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rideaux à motifs qu’elle avait dénichés dansles placards de sa famille. Les silhouettes étaientinspirées de scènes qu’elle avait vues sur de vraiesphotos. Dans une autre œuvre, “Rideau : ils dor-maient quelque part en nous”, qui plaisait visible-ment aux visiteurs, de minuscules chars,hélicoptères et soldats se cachaient parmi lesfleurs orange et marron d’un rideau.

“Tout a été vendu avant même l’ouverture aupublic”, se félicite le propriétaire de la galerie, AsliSumer. “Vous voyez ? Ça, c’est la folie Istanbul !” melance Patrick Legant, un consultant d’art inter-national qui a travaillé dix ans chez Sotheby’s, àLondres, et qui vit en Turquie depuis quelquemois. Des artistes comme Ilkin, 31 ans, voients’ouvrir des perspectives que n’avaient pas lesgénérations précédentes : quelques semainesaprès le vernissage de l’exposition d’Ilkin, l’unede ses œuvres s’est vendue 12 000 dollars chezSotheby’s, à Londres – c’était la troisième venteque la maison d’enchères consacrait exclusive-ment à l’art turc.

Les artistes sont bien conscients qu’il se passequelque chose dans cette partie du monde long-temps négligée. “Il y a un marché désormais, sou-ligne Yasemin Nur. C’est lié à la dernière criseéconomique, Istanbul est devenue la ville branchée,elle est choisie comme ville branchée. Le système abesoin d’une ville branchée. Après, ce sera au tour deBeyrouth, puis d’un autre endroit, ailleurs.”

Le cœur de la scène artistique stambouliotes’est formé dans les années 1980 et 1990 grâceaux efforts de quelques personnalités : des com-missaires d’exposition comme Ali Akay et BeralMadra, l’artiste Halil Altindere, le directeur du

SALT, Vasif Kortun. La plupart des artistes vousdiront que ce dernier, âgé de 53 ans, est le père dumonde de l’art à Istanbul. En 1998, Kortun estrentré de New York, où il dirigeait le musée duCenter for Curatorial Studies, du Bard College,et a ouvert à Beyoglu un petit bureau, l’IstanbulContemporary Art Project, qui allait devenir la

plaque tournante de la scène artistique stam-bouliote. Puis, avec le soutien financier de la

banque Garanti, il a créé Platform Garanti, unespace d’exposition où étaient également archi-vés des livres, des catalogues et des textes cri-tiques. Platform a fermé ses portes en 2007, etKortun et la banque Garanti ont ouvert le SALTBeyoglu et le SALT Galata en 2011.

“Istanbul est superficielle”“Nous voulions depuis longtemps créer un endroit àIstanbul où l’on pourrait se documenter sur le passé,explique Kortun. Il n’y a pas de bilan qui a été faitde la génération conceptuelle des années 1980, parceque ces artistes n’étaient pas cotés sur le marché. Beau-coup ont connu des moments difficiles, leur travailn’intéressant pas grand monde. Aussi, nous procé-dons à la numérisation de l’ensemble des archives.”Cette indifférence a duré bien au-delà des années1980. Les intellectuels turcs attribuent l’absence,à Istanbul, d’une solide culture moderne etcontemporaine à l’histoire mouvementée de laville – en particulier le passage sans transition del’Empire ottoman à un Etat laïc et moderne.Même après la fondation de la république en 1923,la Turquie a connu beaucoup de troubles violents :Seconde Guerre mondiale, génocides des Armé-niens et des Grecs, guerre civile toujours en courscontre les Kurdes, trois coups d’Etat militaires.Mais il y a une raison supplémentaire à l’absenced’une culture turque cohérente.

“Istanbul est superficielle, déplore Kortun. Cen’est pas un centre intellectuel. C’était une vieille villepeuplée de Grecs, d’Arméniens et de Juifs. Les Armé-niens en étaient la colonne vertébrale intellectuelle.La ville a perdu ses poumons au début du XXe siècle.Peut-être plus que ses poumons. Le XXe siècle a été unsiècle perdu pour cette ville.”

Le cliché du “pont entre l’Orient et l’Occi-dent” idéalise le passé légendaire de Constanti-nople, avant l’émergence de l’Etat turc répressif.C’est pourquoi on a parfois l’impression que lesartistes stambouliotes, même s’ils s’intègrentaujourd’hui à la communauté internationale,regardent aussi en arrière pour mieux se

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Pratique

Les lieux où ça se passeLa vie artistique stambouliote se déroulepour l’essentiel sur la rive européenne du Bosphore, dans l’arrondissement de Beyoglu, entre le quartier de Karaköy(aussi appelé Galata) et Istiklal Caddesi, la grande artère commerçante et piétonne.

A Karaköy� Le centre d’exposition SALT Galata(saltonline.org)Bankalar Caddesi 11 � La galerie artSümer (artsumer.com)Kemankes Mah. Mumhane Caddesi-laroz han 67 � La galerie Rodeo (rodeo-gallery.com)Lüleci Hendek Caddesi 12 � L’espace BAS (b-a-s.info) Necati Bey Caddesi 32/2� Le musée d’art contemporain IstanbulModern (istanbulmodern.org)Dans un ancien entrepôt, sur les quaissitués derrière la mosquée Nusretiye.Meclis-i Mebusan Cad. Liman İsletmeleriSahasi Antrepo n° 4.

Autour d’Istiklal � Le centre d’exposition SALT Beyoglu(saltonline.org)Istiklal Caddesi 136� L’immeuble Rumeli Han Istiklal Caddesi 96� L’espace d’exposition Arter (arter.org.tr)Istiklal Caddesi 211

A signaler aussi la Biennale internationaled’art contemporain d’Istanbul. Organiséedepuis 1987 par la Fondation Istanbul pourla culture et les arts, elle figure parmi lesmanifestations internationales les plusprestigieuses. La prochaine édition auralieu à l’automne 2013 (bienal.iksv.org/en).

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Biennale d’Istanbul 2011Installation vidéo du duo d’artistesturcs mentalKLINIK

Vasif KortunLe directeur des centresd’exposition SALT est à l’origine du boom artistique d’Istanbul.

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connaître. “Ce n’est pas une révolution”, pré-cise Kortun, en parlant de la création actuelle.“C’est une correction.”

La communauté artistique d’Istanbul a suffi-samment changé pour que des artistes turcs éta-blis à Londres, à Berlin ou à Amsterdam rentrentau bercail. J’ai rencontré Ali Kazma à Arter, lecentre d’art dont le président est Omer Koç, l’undes collectionneurs les plus sérieux et les plusrespectés du pays. Kazma, un vidéaste de 40 ans,est revenu de New York il y a douze ans. Il estheureux d’être de retour à Istanbul. “D’abord etavant tout parce que c’est un pays jeune, et une villejeune” (la moitié de la population turque a moinsde 30 ans). “Cela joue sur les mentalités. On peut sepermettre de faire des erreurs quand on est jeune. Onpeut prendre des risques.”

Parler d’art jusqu’à l’aubeMais les écueils ne manquent pas. Nombre d’ar-tistes s’inquiètent de l’afflux d’argent des entre-prises – l’Etat turc ne finance guère de projetsartistiques. Tout le monde se plaint de la pénu-rie de critiques d’art, et du fait que les choses bou-gent trop vite, sans aucune réflexion. Il y a dixans, les gens parlaient d’art jusqu’à l’aube, se sou-vient Tayfun Serttas, l’artiste exposé au SALTGalata. “Nous traitions de tout à un niveau bien plusintellectuel et conceptuel.”

Et avec l’intérêt soudain pour l’art turc àl’étranger, beaucoup pensent que les artistes pour-raient être tentés de s’orientaliser pour répondreaux exigences du marché. Ils en veulent pourpreuve une récente huile hyperréaliste de TanerCeylan, l’un des peintres turcs à succès dumoment. On y voit une femme ottomane voilée,debout et le dos tourné au célèbre tableau de Cour-bet L’Origine du monde, qui montre une femme nueles jambes écartées. Pour plus d’un artiste turc,l’œuvre de Ceylan est symptomatique d’unefâcheuse tendance orientalisante. Elle a été adju-gée pour 370 000 dollars chez Sotheby’s.

“Cela ne m’intéresse pas d’être étiqueté commeun artiste de telle partie du monde, confie Kazma.Maintenant qu’il est mal vu pour un artiste occiden-tal d’avoir un point de vue orientaliste, ce sont lesartistes non occidentaux qui s’y mettent. Moi, je refusede faire ça.” En réalité, l’art contemporain turccouvre toute la gamme des supports et des thé-matiques. Pour certains, l’art turc n’a rien de spé-cifiquement turc. Il ressemble beaucoup à ce quise fait dans les pays occidentaux, au grand désar-roi des spécialistes internationaux en quête d’exo-tisme. En quoi consiste la vraie culture turque ?Ce ne sont en tout cas pas le harem ni le fez, d’ori-gine ottomane.

Kutlug Ataman, l’artiste turc le plus connudans le monde, souligne un autre point faible. Ce

vidéaste et cinéaste a quitté son pays à l’adoles-cence, juste après le putsch de 1980, avant de ren-trer définitivement à Istanbul il y a une petitedizaine d’années. A l’occasion de la rétrospectiveque lui a consacrée le musée Istanbul Modern en2010, un critique britannique avait dit de lui :“C’est l’un des rares artistes au monde dont j’irai voirle travail où qu’il soit exposé.” Pour les Turcs, tou-tefois, cela a sans doute été la première occasionde découvrir son travail : un autoportrait vidéoen travesti exécutant une danse du ventre ; quatrevidéos projetées simultanément où des femmesexpliquent pourquoi elles portent une perruque ;l’interview d’une vieille Arménienne qui s’efforcede retrouver ses souvenirs.

Ataman est sceptique sur l’art qu’il voit àIstanbul. “Il s’agit en très grande majorité d’imita-tions de gestes occidentaux, New York et Londres étantles références.” Le vidéaste doute que les artistesse soient connectés à la vraie source de leur ins-piration, alors que c’est ce qu’ils ont à offrir aumonde. Il évoque un incident survenu en 2010 :un groupe d’hommes avait agressé le public d’unegalerie d’art qui était sorti dehors, un verre à lamain. Certains ont justifié cet épisode en disantque les galeries contribuent à l’embourgeoise-ment du quartier et que les habitants se sententenvahis et exclus. Mais pour beaucoup d’autres,les agresseurs étaient des religieux traditiona-listes ne supportant pas le mode de vie qui s’éta-lait sous leurs yeux : femmes légèrement vêtues,homosexuels, art, alcool. Dans le centre d’Istan-bul, les deux Turquie s’affrontent, reproduisantà échelle réduite une fracture planétaire : Occi-dent et Orient, riches et pauvres, gens à l’aise etgens en colère. Pour Ataman, cet affrontementest représentatif de la “Turquie réelle”. “Si lesartistes ici réussissent à l’exprimer dans leur travail,ils seront en avance sur le reste du monde. Parce quele monde, c’est ça. Ce désert.”

Le boom artistique d’Istanbul ne durera paséternellement. La crise économique en Occident

et l’instabilité politique en Orient ont infléchi unpeu le marché, indiquent les galeristes. Plusimportant encore, peut-être : une majorité desacheteurs d’art turc sont des Turcs. Et certainsde ces nouveaux collectionneurs ne sont pas degrands connaisseurs.

C’est un problème pour des galeristescomme Sylvia Kouvali, 30 ans, dont la galerie, leRodeo, qui représente des artistes turcs réputésainsi que des grands noms internationaux, estde l’avis de nombreux observateurs étrangers laplus intéressante de la ville. Kouvali, qui estgrecque, réalise 90 % de ses ventes dans les foiresinternationales. Les collectionneurs turcs n’ap-précient pas toujours ses artistes.

Récupérer le passéComme le montre l’incident relaté par Ataman,ce n’est pas toujours facile d’être galeriste dansun quartier traditionnel. Le Rodeo a ouvert sesportes il y a six ans, à Galata, en face de la bou-cherie Irmak, d’un coiffeur pour hommes et d’unsalon de thé dont les clients, tous des hommes,fument en observant d’un regard appuyé la foulebigarrée des visiteurs de galeries.

Un soir, à un vernissage de Gulsun Karamus-tafa, la foule du Rodeo est sortie fumer dehorspour ne pas enfreindre les nouvelles lois antita-bac, mais est retournée boire à l’intérieur, pourne pas heurter les voisins. Depuis l’agressioncontre les galeries, des policiers en civil assurentla protection des soirées de vernissage. Mais cettefois, Kouvali avait oublié de les prévenir. Unhomme baraqué, vêtu comme un danseur debreakdance des années 1980, est entré dans lagalerie et a montré sa carte. “Vous ne nous avez pasappelés”, a-t-il dit d’un air peiné. Il faisait un drôlede policier en civil, même si, dans ses efforts pourse fondre parmi les visiteurs habillés avec origi-nalité, il ne ressemblait absolument pas à un Turc.Son collègue, en sweat Adidas, est entré après lui.“Nous sommes ici pour vous protéger”, a-t-il annoncéd’un ton grave. La “vraie” Turquie prend souventla forme d’une police paternaliste. Mais Kouvaliest attachée à Istanbul et à la communauté quis’est créée autour du Rodeo et qui s’étend duCaire à New York.

J’ai rencontré l’une des artistes de Kouvali,Banu Cennetoglu, dans un atelier à deux pas d’Is-tiklal. Elle travaille avec la photographie et leslivres. Elle a longtemps vécu à Paris et à New York.“C’était difficile ici de savoir ce qu’on valait”, se sou-vient-elle. Cennetoglu dirige à présent un espaceappelé BAS, dans le quartier de Karaköy, où elleexpose sa bibliothèque de livres d’artistes. L’unde ses derniers projets en date a été de publierl’œuvre d’un artiste arménien dont elle avait déni-ché une bande dessinée dans une librairie d’oc-casion. Auparavant, il n’existait rien decomparable à BAS dans le pays.

En 2010, Cennetoglu a organisé une tableronde sur le travail de Koridor, un collectif d’ar-tistes en activité de 1988 au milieu des années1990. Peu d’artistes turcs en avaient entenduparler, mais beaucoup se souviennent de l’im-portance qu’a eue pour eux l’événement. “La tableronde reconnaissait l’existence de groupes d’artistesdans l’histoire récente, souligne Cennetoglu. C’estimportant de ne pas les ignorer.”

Ses projets reflètent un mouvement qui sedessine actuellement dans la communauté artis-tique : récupérer le passé, créer sur des basessolides. A la différence des vieux peintres turcsmodernistes exclusivement tournés vers l’Occi-dent, les artistes d’aujourd’hui ont aussi envie desavoir ce qui les a précédés. Ils éprouvent,consciemment ou non, un besoin impérieux dedécouvrir et de consolider une vraie culturecontemporaine propre à la Turquie.Suzy Hansen

Scène undergroundPerformance du collectif Ha Za Vu Zudans une galerie de Beyoglu

Dans le centre d’Istanbul,les deux Turquies’affrontent, reproduisant à échelle réduite une fracture planétaire

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Lesarchives

www.courrier

international.com

“Casseurs contre bobos à Istanbul”, les commentaires de la presse turqueaprès le saccage en septembre 2010 de deux galeries d’artlors d’un vernissagedans un quartier voisin de Galata.

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IQ Intelligent Life (extraits) Vilnius

Non, la Lettonie n’est pas sur la listedes destinations les plus prisées.Et, si vous m’aviez posé la ques-tion il y a quelque temps, je n’au-rais jamais pensé me sentir unjour dans cette ville comme chez

moi. Mon mariage avec une diplomate lettonnea cependant donné lieu à d’heureuses surprises.L’une d’entre elles a été la découverte de Riga,qui fascine autant par sa morosité que par soncaractère énigmatique. Evidemment, elle est unpeu en loques, mais n’importe quelle ville incor-porée pendant cinquante ans à l’Union sovié-tique le serait autant.

Trois questions se posent d’emblée à l’étran-ger de passage : la langue, le climat et les Russes.Le letton est l’une des deux langues baltes encorevivantes de la famille indo-européenne. End’autres termes, elle est bien plus proche de l’al-lemand que du russe, bien qu’elle comporte denombreux mots d’origine slave. Le letton estproche du lituanien, autre langue balte vivante,mais ce n’est en aucun cas un idiome du groupefinno-ougrien, auquel appartient l’estonien,proche, lui, du finnois. L’une des caractéristiquesdu letton est la terminaison en s des substantifsmasculins singuliers. Ainsi l’enseigne “Bars” n’in-dique qu’un seul bar, et non plusieurs.

Comme au Royaume-Uni, la météo est en Let-tonie un grand sujet de conversation. A Riga, ona la sensation d’être à la pointe nord de l’Ecosse,sans pour autant bénéficier des courants chaudsdu Gulf Stream, la ville subissant le froid arctiquequi arrive tout droit de Russie.

Nuances de grisDe mai à juillet, l’été y est fantastique. Le froidautomnal pique les joues dès la fin du moisd’août et avec lui s’ébauche la perspective deporter un manteau pour les huit ou neuf mois àvenir. Je serai franc et je n’aurai pas un seul motagréable pour les hivers baltes. Ce n’est pas tel-lement le froid mais bien plus l’obscurité quimet le moral en berne. En janvier, entre 10 et15 heures, la lumière peine à se faufiler à traversles nuances de gris. Si vous connaissez unremède pour éviter la dépression dans de tellesconditions, faites-m’en part.

Passons à la question russe. Entre  1935et 1989, la part des russophones de Lettonie est

Lettonie

A Riga, Art nouveauet histoire ancienne

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Entre culture lettonne et culture russe, cette capitale balte encore méconnue déploie ses charmes, penchée sur son passé.

régulièrement sur les bâtiments les plus impor-tants pour commémorer de nombreuses dates :trois jours en souvenir des Lettons déportés ettués à l’époque communiste, une autre journéedédiée à toutes les victimes de la Seconde Guerremondiale, une autre encore pour les victimes dela Shoah, un jour pour rappeler l’annexion du payspar les Soviétiques, en 1940, un autre à la mémoiredes combattants morts pour la liberté en 1918, unpour tous ceux qui sont morts en luttant contrela Russie en 1991, et finalement un jour “non offi-ciel” de mémoire collective, la Toussaint, dédié àtous les combattants et à tous les morts. Pourcette raison, j’associe le drapeau letton autant àla tristesse qu’à la fierté.

L’histoire lettonne est riche et remonte bienavant la période russe, et même avant que la Lettonie n’existe en tant qu’Etat. Saviez-vous parexemple que l’île de Tobago [dans les Caraïbes,qui forme aujourd’hui, avec celle de Trinidad, larépublique de Trinité-et-Tobago] fut autrefoisune colonie du duché de Courlande, dont le ter-ritoire appartient aujourd’hui à la Lettonie ?

Pièce montéeEt, si vous n’avez pas l’intention d’entrer dans ledétail des guerres entre la Pologne et la Suède,qui étaient le sujet le plus important auXVIIe siècle, profitez alors tout simplement decette ville qui a survécu.. La vieille ville, que tra-verse le fleuve Daugava, est un joyeux mélangede ruelles et de demeures bâties entre les XVIe etXIXe siècles. Perdez-vous-y un soir d’hiver et vousaurez le sentiment de vous retrouver dans unconte de fées (si vous vous y promenez un ven-dredi soir en été, vous risquez de vous retrouverau milieu de Britanniques fêtant un enterrementde vie de garçon, grâce, en grande partie, à la com-pagnie low cost Ryanair).

De grandes artères forment un demi-cercleautour de la vieille ville. Elles ont été ouvertesà la fin du XIXe siècle, du temps où Riga etOdessa, au bord de la mer Noire, étaient lesports les plus importants de l’empire tsariste etoù l’économie russe était florissante. Riga vivaitdu commerce du bois, Odessa de celui du grain.Des communautés juives importantes vivaientdans les deux villes et ont fortement contribuéà leur prospérité.

L’essor de Riga est allé de pair avec celui ducourant de l’Art nouveau. Les bâtisseurs les plusaudacieux ont embauché l’architecte MikhaïlEisenstein. Derrière les façades, les bâtiments

passée de 12 à 40  % en raison de l’occupation soviétique d’après-guerre.

Les Russes et les Ukrainiens ont été inci-tés à s’installer en Lettonie pour russifier cet

Etat de l’URSS. Le russe semble dominer encoreà Riga, bien que les Russes y soient certainementaujourd’hui en minorité. C’est le plus souvent lalangue dans laquelle les Lettons et les Russescommuniquent. Les deux communautés n’ontpas choisi la tactique de l’intégration, mais plutôtcelle de l’évitement mutuel. Chacune a sesmédias, ses écoles, ses loisirs, ses partis politiqueset ses personnages publics. Les Lettons contrô-lent l’Etat, les Russes dirigent le secteur privé.

Riga, qui compte environ 700 000 habitants,est une ville de taille moyenne – tout peut se faireà pied et c’est l’un de ses nombreux charmes –mais possède une certaine profondeur. Commel’a écrit l’écrivain britannique Saki (de son vrainom Hector Hugh Munro) au sujet de la Crète,Riga a la caractéristique de produire plus d’his-toire qu’elle ne peut en absorber. Comme dansde nombreux pays d’Europe de l’Est, les gens sem-blent moins préoccupés par le monde d’aujour-d’hui que par des événements vieux de vingt,soixante ou cent ans. Le drapeau letton est hissé

Le vieux RigaLa place de l’hôtel de ville, avec l’église Saint-Pierre (à gauche)et la célèbre Maison des têtes noires (à droite).

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sont tous identiques et d’un ennui total, maisquelles façades ! Des nus, des têtes immenses,des caryatides, des carreaux bleus et des stucscrémeux, des hommes et des chevaux : un stylecomposite entre la pièce montée, l’autel égyp-tien et les décors des films de Busby Berkeley.Les œuvres de Mikhaïl me nourrissent bien plusque celles de son fils Sergueï, le cinéaste, qui estné à Riga et y a fait ses études. Mais les cinéphilesme contrediront.

A bras ouvertsDevant tant de preuves d’un riche passé décou-vertes à l’occasion de déambulations dans la ville,la misère toute relative de Riga est comme uncoup au cœur. Les salaires en Lettonie sont parmiles plus bas de l’Union européenne et le taux dechômage l’un des plus élevés. Durant la crise quia frappé le pays entre 2008 et 2010, l’économie adégringolé de plus de 25 %. Les prix de l’immo-bilier ont chuté des deux tiers, voire plus. Avantl’explosion de la bulle, ils étaient plus élevés à Rigaqu’à Berlin. Aujourd’hui, ce sont les moins chersdes pays développés.

Je me dis toujours qu’il faudrait que la ville seredresse mais, après tout, peut-être pas. La popu-lation de la Lettonie, 2,2 millions d’habitants, achuté de 15 % en l’espace de vingt ans en raisonde l’émigration et de la faible natalité. Au-delà deslimites de la vieille ville, il est rare de voir un maga-sin ou une rue animés. Dans un sens, cela a desavantages. A Riga, tout le monde vous accueille àbras ouverts.

Laissez-moi faire l’éloge de cette ville sansforcer le trait. C’est une ville calme, compacte,modeste et abordable, où l’on peut chaque soirtrouver quelque chose à faire. Les étés y sontagréables. Vous bénéficiez de deux cultures, lalettonne et la russe, pour le prix d’une. Et d’au-tant d’histoire que vous pourrez en absorber.Robert Cottrell** Ce journaliste britannique est aujourd’hui propriétaired’une librairie à Riga.

Mercredi 11, jeudi 12 et vendredi 13 avril à 18h30Printemps arabe 4e édition

��� ������ ��� � �� �� ��� �����(pour une anthologie de la poésie arabe)

Troisième escale : «Rythmes de la révolution» # 2Conception et mise en scène Wissam Arbache, collaboration aux recherches et au montage Hala Omran.Avec Arnaud Aldigé, Jean-Damien Barbin, Hala Omran, musique Moneim Adwan.

> Théâtre de l’Odéon – / Tarif unique 5€

Direction Olivier Py

01 44 85 40 40 • theatre-odeon.eu

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Toutes les littératures sont à l’Odéon...

ConvivialitéUn café sur la place de la cathédrale,dans la vieille ville.

Pratique

Baladesurbaines

L’office du tourisme de Riga (liveriga.com)possède un site très complet, d’unegrande utilité pour établir son programmede visites, trouver un hôtel et obtenir des informations pratiques sur la ville.Tout peut se visiter à pied dans la vieilleville et la ville nouvelle. Outre une baladedans le quartier Art nouveau, on pourramonter à la tour de l’église Saint-Pierrepour admirer la ville d’en haut, visiter le musée de l’Occupation pourcomprendre l’histoire du pays, flâner à Andrejsala (andrejsala.lv), l’un desquartiers alternatifs le long de la Daugavaou encore faire des emplettes au grandmarché couvert de Riga, aménagé dansd’anciens hangars prévus pour abriter des dirigeables, derrière la gare routière.Ne pas manquer non plus de se rendre à Jurmala. Cette station balnéaire de la Baltique, située à quelques kilomètresde Riga, vaut le détour avec ses plages de sable fin qui s’étendent à perte de vue et son architecture lettonne en bois.

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FaçadesL’essor de Riga est allé de pair avec celui de l’Art nouveau.

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Harper’s Magazine (extraits) New York

I – EnferAu cours du marathon Dante, qui se tient chaqueprintemps à Florence (voir encadré p. 59), les par-ticipants déclament La Divine Comédie dans sonintégralité, vêtus d’un dossard de couleur avec lenuméro du chant qu’ils vont réciter. Ces lecturesse déroulent suivant des cercles concentriques,l’Enfer commençant à la périphérie de la ville etle Paradis s’achevant sur le parvis de la basiliqueSanta Croce. En dépit de mon faible niveau d’ita-lien, j’ai participé à l’édition 2009 de ce marathon.

Vêtue d’un dossard rouge Enfer portant lenuméro 33, j’ai lu le chant dans lequel Dante etVirgile accèdent au cercle de l’enfer où sont punisles traîtres. Ils y rencontrent le comte Ugolino etl’archevêque Ruggieri, “deux gelés dans un trou, l’un

Italie

Viréedantesque à Florence

des chefs faisant chapeau à l’autre”*. Il faut com-prendre que le comte Ugolino est en train de dévo-rer la tête de l’archevêque Ruggieri. Dans la vraievie, Ugolino et Ruggieri avaient conspiré ensemblepour s’emparer de Pise. Ruggieri s’était ensuiteretourné contre Ugolino en l’accusant à tortd’avoir trahi en livrant Pise à Florence et l’avaitfait enfermer avec ses deux fils et ses deux petits-fils dans une tour où on les laissa mourir de faim.

Dante transforme les deux fils et deux petits-fils en quatre fils en bas âge. Lorsque Ugolino semord les mains de chagrin, les quatre garçons,croyant qu’il a faim, l’implorent de les manger.Sans mot dire, Ugolino les regarde mourir l’unaprès l’autre. Puis il se lamente durant deux joursentiers sur leurs dépouilles – un exemple classique

d’amour paternel à retardement. A Dante, ilconfie : “Plus fort que la douleur fut le jeûne.” Cevers intrigue les érudits depuis plusieurs siècles.Ugolino a-t-il dévoré les cadavres de ses enfants ?Est-ce pour cela qu’il doit à présent manger la cer-velle de Ruggieri ?

J’ai entendu parler pour la première fois dumarathon Dante par Georgia, une des étudiantesde l’atelier de rédaction de thèse que j’animais àl’université Stanford [en Californie]. Elle voulaitdevenir soprano et travaillait à une thèse sur lavocalisation chez Dante. Elle avait participé aumarathon pendant le trimestre d’études à l’étran-ger qu’elle passait à Florence. Quand elle memontra une vidéo de l’événement sur son iPhone,je fus profondément impressionnée par l’atmo-sphère qui s’en dégageait. Le maire de Florencelui-même était présent et récitait des passages del’Enfer. Un acteur costumé en Dante se promenait

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Tous les ans, des milliers de personnes se retrouvent dans la cité toscane pourrendre hommage au grand Dante Alighieriet réciter “La Divine Comédie”.

* Pour toutes les citations de La Divine Comédie, nous avonsrepris la traduction de Lucienne Portier (éd. du Cerf, 1987).

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dans la foule en exprimant son bonheur d’être deretour dans sa ville.

Au début de l’Enfer, le poète est perdu dansune forêt obscure. C’est une métaphore, mais c’estaussi ce qui est arrivé à Dante. En 1302, alors qu’ilest âgé de 37 ans, Florence lui donne à choisir entrel’exil et le bûcher. Le poète passera les dix-neuf dernières années de sa vie à errer à traversl’Italie, travaillant de manière obsessionnelle à saDivine Comédie, qu’il achèvera peu avant sa mort,en 1321. Vers la fin du Paradis, Dante se demandesi Florence, quand elle comprendrait qu’il avaitécrit un grand poème, lui permettrait un jour deregagner “le beau bercail où [il] dormi[t] agneau” :“Avec autre voix désormais, et autre poil, je revien-drai, poète, et sur les fonts de mon baptême, je pren-drai la couronne.” Mais Dante ne devait jamaisrevoir Florence. Il mourut à Ravenne et fut inhumédans un des nombreux sarcophages antiques que

l’on trouve dans cette ville où Romains, Goths etByzantins ont successivement laissé leurs traces.

Le lendemain de mon arrivée à Florence, jevais visiter le cénotaphe de Dante à la basiliqueSanta Croce. La chaleur prend à la gorge dès quel’on sort dans la rue. A l’intérieur de l’église, deshordes de touristes déambulent, les yeux rivés surl’écran de leur appareil numérique. Le cénotaphe,qui date du XIXe siècle, se compose d’un Dantecolossal en marbre assis sur un trône colossal enmarbre, contemplant d’un air abattu un cercueilcolossal en marbre. Le cercueil est flanqué, d’uncôté, de l’allégorie triomphante de l’Italie et, del’autre, du génie de la poésie en pleurs. A l’époque,les critiques s’étaient gaussés de ce monumentqu’ils trouvaient mastoc et maladroit – mais, aufond, quelle meilleure façon d’incarner l’impossi-bilité cosmique de se réconcilier avec Dante ?L’après-midi, je me rends aux auditions en vue du

marathon qui se tiennent dans un petit théâtredistant de quelques kilomètres, sur l’autre rivede l’Arno. J’y retrouve ma grande amie et anciennecamarade d’université Marilena, qui vit aujour-d’hui en Sicile où elle travaille à un mémoire surDante dans la poésie d’Ossip Mandelstam [poèterusse, 1891-1938].

Assises sur les marches ensoleillées du foyer,nous lisons notre chant à tour de rôle : Marilena,avec sa belle intonation méridionale, et moi, aveccet accent américain qui ne me quitte jamais.“Vous avez l’air terrorisée, me dit le metteur enscène. — Je le suis”, confirmé-je. Il réfléchitquelques instants. “Alors servez-vous de votre peur.Prenez votre innocence comme une force, pas commeune faiblesse.” Il répartit entre nous le canto afinque nous en donnions lecture à tour de rôle. Enraison de mon innocence, je me vois attribuertoutes les répliques des enfants affamés. 58

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Piazza Santa CroceA la fin du marathon Dante, tous les participants convergent surcette place pour réciter en chœur le dernier chant du “Paradis”.

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Dans une petite rue proche du musée bâtisur les fondations de ce qui passe pour la maisonnatale de Dante, on peut visiter l’église où le poète,âgé de 9 ans, aurait aperçu Béatrice pour la pre-mière fois. Certains, trouvant étrange que Dantepuisse être tombé amoureux de Béatrice alorsqu’elle n’avait que 8 ans, tentent de l’expliquer endisant qu’à l’époque les jeunes filles devenaientfemmes plus tôt. Mais que Dante découvre pourla première fois Béatrice vêtue d’une robe rougedu meilleur goût, “parée comme il convenait à unâge aussi tendre”, est pour moi l’une des plus belleschoses de la Vita nuova.

Dans la petite église à l’atmosphère suffo-cante, des haut-parleurs invisibles diffusent unpot-pourri de morceaux classiques. Les murs sontornés de peintures hideuses, de facture semble-t-il récente, représentant Dante et Béatrice. Prèsd’un panneau d’affichage recouvert de photosd’un dîner de bénévoles organisé par la paroisse,un immense panier déborde de bouts de papier.Ce sont des lettres adressées à Béatrice. QuoiqueMarilena s’oppose à ce qu’on lise la correspon-dance de Béatrice, je ne peux m’empêcher d’y jeterun coup d’œil. “Cara Beatrice, aide-moi à diredemain toute la vérité à la personne que j’aime, Walter,et à pénétrer dans son cœur.” “Cara Beatrice, je m’ap-pelle Agnese Bizzarri. Depuis quelque temps j’ai desdisputes fréquentes avec mes parents et cela me contra-rie beaucoup. Cela fait longtemps que je n’ai éprouvéaucun sentiment amoureux…” Puis, petit mot grif-fonné en russe : “Aide-moi à trouver l’amour – danscette vie-ci.”

Le matin du marathon, nous récupérons nosdossards dans une caravane garée à proximité duDuomo. Une bénévole nous examine par-dessussa planchette à pince. “Personne ne vous a dit qu’ilvous fallait porter un haut rouge ?” Nous voilà par-ties en acheter un chez Zara.

Une heure plus tard, arborant respectivementun élégant pull en V de lin rouge et un débardeurmoulant en viscose rouge, Marilena et moi noustrouvons sur la Piazza della Repubblica, sous unsoleil écrasant, devant un écran de télévisiongéant qui transmet en direct le marathon.Quelque part dans la ville, un homme très âgé litles premiers chants de l’Enfer. Des murmures

approbateurs parcourent la foule : “Foà, Foà” et,de temps à autre, “Foie Gras”, qui est, j’en conclus,le surnom donné au grand acteur Arnoldo Foà,âgé de 95 ans. A quelques pas de nous, le prési-dent de l’université de Florence bavarde avec unpersonnage encore plus important que l’on meprésente comme étant “le président des présidents”.

Le marathon est beaucoup plus compliquéque ce que Marilena et moi avions imaginé. Il estprocédé à la lecture de la totalité de La DivineComédie non pas une mais trois fois, avec des lec-tures simultanées en différents points de la ville,selon un schéma spatio-temporel à peine moinscomplexe que la cosmologie de Dante.

Le cœur serré, nous nous rendons au cloîtredu Scalzo, où doit avoir lieu notre lecture. Desfresques d’Andrea del Sarto, baignées d’un oni-rique ocre verdâtre, représentent des scènes dela vie de saint Jean-Baptiste. Dans le désert, saintJean-Baptiste prêche devant une foule de Juifsconvertis dont les visages irradient une lueurquasi végétale. Derrière la foule se tient la silhouette de Dante, immédiatement reconnais-sable à sa couronne de lauriers, à son nez busquéet à son air grincheux.

Nous prenons place devant les micros etMarilena se lance dans la lecture des terribles versd’ouverture du chant XXXIII :

La bouche souleva du farouche repasCe pécheur, l’essuyant aux cheveuxDe la tête qu’il avait, par-derrière, broyée.Je prends le relais six tercets plus loin, lorsque,

ayant relaté comment Ruggieri l’a trahi, Ugolinopoursuit en décrivant son incarcération dans latour avec ses quatre fils :

Bref pertuis au-dedans de la Mue,Qui par moi s’appelle tour de la faim,Et où d’autres encore seront enfermés,M’avait montré par son ouverturePlusieurs lunes déjà, quand je fis le mauvais songeQui du futur me déchira le voile.Le marathon s’achève par une lecture chorale

du dernier chant du Paradis devant la basiliqueSanta Croce. Il faut un certain temps pour ins-taller les 650 lecteurs, parmi lesquels de nom-breux écoliers, sur les quatre rangées de gradins,après quoi les organisateurs de l’événement

remercient publiquement environ 1 milliard departenaires italiens et européens.

Enfin, le metteur en scène prend place devantnous, lève les mains et les abaisse d’un gesteample. “Vergine Madre !” nous exclamons-nousen chœur. “Figlia del tuo figlio ! Umile e alta più checreatura !” Et malgré la chaleur, malgré le rangpeu élevé qu’occupent la virginité et l’humilitédans mon échelle de valeurs personnelles, il estimpossible de ne pas être emporté par la beautéet le mystère de la langue – “O Vierge Mère, fille deton Fils !”– et surtout par l’unisson caverneux etaigu de ces voix qui, dans le crépuscule, pronon-cent les vers immortels de Dante : “Déjà tournaitmon désir et vouloir, comme roue qui également estmue, l’Amour qui meut le soleil et les autres étoiles.”

II – PurgatoireDante a déployé de grands efforts pour mettrel’au-delà en relation avec le monde d’ici-bas. L’en-fer et Jérusalem sont dans le même fuseauhoraire ; quand il est midi au purgatoire, la nuit adéjà commencé à tomber au Maroc. Il y a doncune certaine logique à ce que l’emplacement desa dépouille soit devenu, au fil des siècles, l’objetde dissensions violentes et complexes.

Quelques décennies après l’inhumation deDante dans un monastère franciscain deRavenne, Florence commence à réclamer leretour du corps. En 1519, sous la pression du papeLéon X, Ravenne consent enfin à se séparer deson poète disparu préféré. Mais lorsqu’on ouvrela sépulture, on s’aperçoit qu’elle ne renfermeque des débris d’ossements et quelques feuillesde laurier flétries.

En réalité, les franciscains avaient sorti lesquelette de la tombe pour le mettre à l’abri. Onl’apprit en 1865, à l’occasion des préparatifs pourle six centième anniversaire de la naissance dupoète. Un sacristain s’était assoupi dans uneancienne chapelle contiguë au mausolée et rêvaqu’une ombre tout de rouge vêtue surgissait dumur et se présentait comme étant Dante. Lesacristain mourut en mai – quelques jours avantque des ouvriers qui démolissaient le mur enquestion ne découvrent un coffre en bois dissimulé dans la maçonnerie. A l’intérieur se trouvait

L’auteure

Née à New York de parents turcs,Elif Batuman, 35 ans,est universitaire et essayiste. Elle s’estfait connaître en 2010avec son livre ThePossessed: Adventureswith Russian Booksand the People WhoRead Them, histoiredésopilante de ses rapports avec les classiques de la littérature russe. Elle publierégulièrement dans la presse magazineaméricaine. Elle vitactuellement àIstanbul, où elle estécrivain en résidence à l’université Koç.(elifbatuman.com)

Basilique Santa CroceDes récitants de l’“Enfer” enrépétition avant la lecture choralesur le parvis de l’église.

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un squelette humain ; une inscription, signée d’unfrère franciscain et datée de 1677, indiquait qu’ils’agissait des restes de Dante. (On ignore où lesfranciscains ont conservé le corps entre 1519et 1677.) Des expertises médicales confirmèrentl’identification.

Une fois les restes inhumés à nouveau, unsculpteur ramassa, sur le tissu où avaient étédéposés le coffre et les ossements, “quelquesgrammes d’une matière grisâtre”. Il mit les frag-ments dans une enveloppe, la fit enregistrerdevant notaire, puis la déposa à la Bibliothèquenationale, où on la découvrit tout à fait par hasarddans les années 1990, cachée entre des volumesdu XVIIe siècle rarement consultés.

Dante est un de ces auteurs qui, comme Kafka,accordent une importance capitale au droit. Qu’esten effet l’au-delà dantesque sinon un gigantesqueappareil judiciaire – un univers secret, parallèle aunôtre tout en y étant intégré – qui rend éternelle-ment visibles le jugement et la justice, corrigeantet réparant tout ? Le rapport de Dante au droit sereflète dans la vieille tradition de ces parodies deprocès visant à établir la culpabilité ou l’innocencedu poète. Censés statuer sur la légalité de l’exil deDante, les procès visent surtout à déterminer àqui il revient de conserver sa dépouille.

Au cours de l’un de ces procès, qui s’est tenuil y a quelques années dans un château proche deVérone, le procureur avait inculpé Dante de cor-ruption, de trahison et de diffamation. La défenseavait été assurée par un célèbre avocat pénalistede Vérone, Guariente Guarienti. Un jury d’expertsstatua en faveur de Dante et ordonna à Ravennede restituer sa dépouille. Ce jugement n’a visi-blement pas été suivi d’effet.

Un autre procès relatif aux restes de Dantefut organisé en 1989 par la ville de Pise, qui accu-sait Ugolino della Gherardesca de cannibalismesur la personne de ses fils. “Un des témoins clés danscette affaire est Dante Alighieri, né à Florence, poètede profession. Mais son témoignage est ambigu, peut-être partial, et pas toujours fiable.” Ugolino futacquitté – mais quel Ugolino ? Le personnage historique ou celui de Dante ?

Les descendants de l’Ugolino historique sontextrêmement conscients de la tache à la réputa-tion de leur lointain ancêtre. Dans une interviewaccordée un jour au Corriere della Sera, le comteGaddo della Gherardesca n’avait pas manqué deparler de “perfidie florentine” à propos de la “calom-nie” vieille de sept siècles de Dante.

En 2001, avec l’appui du comte Gherardescaet de la municipalité de Pise, des chercheurs exhu-ment les corps d’Ugolino et de ses fils et petits-fils, afin d’établir s’il y a eu ou non cannibalisme.Le principal enquêteur est Francesco Mallegni,un médecin légiste paléontologue de l’universitéde Pise. Mallegni s’était rendu célèbre quelquesannées plus tôt en identifiant ce qu’il affirmaitêtre les restes du peintre Giotto.

A voir la façon dont Dante a maudit Pise,appelant les îles de Capraia et Gorgona à barrerl’Arno afin de noyer la ville, je m’étais imaginéqu’elle était très éloignée de Florence, alors qu’ellen’est qu’à une petite heure de train. A la facultéde biologie de l’université de Pise, un vigile m’in-dique le bureau de Mallegni. La pièce est meu-blée en tout et pour tout de quatre ou cinq vitrinesrenfermant des crânes humains. Fixées aux murs,des reproductions de squelettes célèbres luisentfaiblement sur un fond couleur poussière. A côtéde quelques radiographies est scotchée une photojaunie de Mallegni avec le pape Jean-Paul II, priseà l’époque où Mallegni analysait la dépouille desaint Antoine de Padoue.

Mallegni m’abreuve d’anecdotes sur l’ex-humation d’Ugolino. Au départ, personnen’était capable de dire où il était enterré. Dansune chapelle de l’église Saint-François, les cher-cheurs mirent au jour cinq squelettes mascu-lins. L’un d’eux était mort à plus de 70 ans, deuxautour de 45-50 ans, et deux dans la vingtaine.Les petits-enfants d’Ugolino n’avaient rien departiculièrement innocent ou enfantin : Nino,connu sous le surnom du Brigand, avait mêmetué un homme. L’ADN mitochondrial montraque les cinq sujets étaient parents et que lesdeux hommes d’âge moyen étaient nés de lamême mère. “Nous pouvons être sûrs à 98 % quece sont eux”, me dit Mallegni, dont les conclu-sions ont lavé l’honneur des Gherardesca. Lecomte septuagénaire, à qui il ne restait pas uneseule dent, n’aurait jamais pu manger un enfant,et encore moins quatre adultes. Qui plus est,l’analyse paléonutritionnelle de la moelleosseuse des sujets montra qu’aucun d’eux

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Pratique

PrintempspoétiqueLa 7e édition du marathon Dante –“All’improvviso Dante, 100 canti perFirenze” – se tiendra à Florence le 19 maiprochain. Plus d’un millier de personnesenvahiront les rues du centre historiquede la cité toscane. Les unes après lesautres, elles réciteront tout au long de l’après-midi chacun des chants de La Divine Comédie, le long poème entercets enchaînés composé par DanteAlighieri entre 1307 et 1321. Comme en2011, le maire de la ville, Matteo Renzi,ouvrira le bal en déclamant le premierchant de l’Enfer. L’événement se concluraavec la récitation “chorale” du 33e chant du Paradis par l’ensemble des lecteursréunis sur le parvis de la basilique SantaCroce, à quelques mètres de la statue de Dante. Ceux qui souhaitent participerpeuvent remplir le bulletin d’adhésiontéléchargeable sur le site de l’associationCulter (culter.it), qui organisel’événement.Banni de Florence en 1302, Dante pourraitl’être aussi des manuels scolaires italiens.C’est en tout cas ce que préconiseGherush92, un groupe de chercheurs quiconseille l’ONU sur les questions de droitsde l’homme et d’éducation. Ils estimentsans rire que le grand poème de Dantevéhicule une pensée “antisémite,islamophobe, raciste et homophobe”.

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Dante vu par Giotto…Sur cette fresque de 1336, le poète(à droite) ressemble à n’importequel jeune homme de la Renaissance.

… et par BotticelliDans ce tableau de 1495, il donne l’impression d’un hommequi est descendu aux Enfers et en est revenu. 60IA

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n’avait absorbé la moindre protéine aucours de leurs derniers mois d’existence.

Quelques mois avant notre rencontre, Mal-legni a accompli un autre exploit médico-légalconcernant Dante : une reconstruction facialefondée sur un “moulage pirate” du crâne du poèteréalisé en 1921, au moment de son exhumationen vue du six centième anniversaire de sa mort.Des images irréelles défilent sur l’écran de Mal-legni : un crâne percé de centaines d’épingles ;des simulations informatiques transformant lecrâne en momie, puis en tête humaine  ; desimmenses orbites oculaires – Dante avait desorbites d’une taille peu commune – garnies d’yeuxau regard vide. Mallegni évoque aussi le problèmede la mâchoire de Dante, qui n’a jamais été retrou-vée. Pour construire la sienne, il a d’abordemprunté celle d’un squelette présentant lesmêmes caractéristiques physiques, puis il a uti-lisé un modèle mathématique “pour faire coïnci-der la personne réelle avec la personne ancienne”.

Mallegni s’est servi de son modèle pour éva-luer l’exactitude du portrait de Dante par Botti-celli, qui a inspiré la plupart des portraitsultérieurs du poète, et d’après lequel ont été réa-lisés les faux “masques mortuaires” qui prolifé-rèrent dans les années qui suivirent la mort deDante. Il s’avère que Botticelli s’était totalementtrompé dans son rendu du front, du menton etdu nez. Le portrait peint par Giotto dans lesannées 1330 est beaucoup plus ressemblant. Maisle Dante de Giotto ressemble à n’importe queljeune homme de la Renaissance, alors que celuide Botticelli donne l’impression d’un homme quiest descendu aux Enfers et qui en est revenu.

Les scientifiques ont décidé de donner àDante le visage d’un quinquagénaire, avec despattes d’oie au coin des yeux, des rides au coindes lèvres et des joues légèrement tombantes. LeDante reconstitué n’a pas de cheveux, mais estcoiffé d’un “authentique” bonnet médiévalpourpre qui lui donne l’air d’un bébé. L’effet estterrifiant.

III – ParadisJe mets le cap sur Vérone dans un train inondéde soleil. Destination : le Casal dei Ronchi, la pro-priété où Dante a, dit-on, composé son Paradis etoù ses descendants sont établis depuis vingt géné-rations. Au XVIe siècle, le dernier rejeton mâle dela lignée de Dante, un prêtre âgé prénommé Fran-cesco, obtint une dispense du célibat dans l’es-poir d’engendrer un héritier avec l’une de sesservantes. Mais ce sont trois filles qui naquirentde leur union. La propriété fut transmise à la nièce

Vérone“Le monument à Dante se dresse aucentre d’une place dont les façadesluisent d’une lueur orangée.”

A l’intérieur, il y avait un squelette revêtu d’un magnifique habit de soie, mais pas le moindre manuscrit.”

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de Francesco, Ginevra, qui épousa en 1549 le noblevéronais Marcantonio Serego, et les familles unirent leurs noms. Au cours des années sui-vantes, les Serego Alighieri devinrent des viti-culteurs réputés.

Le comte Pieralvise et sa fille Massimillavivent toujours au Casal dei Ronchi, qui estaujourd’hui à la fois un domaine viticole et unemaison d’hôte. Lorsque je leur ai demandé parcourriel si je pouvais venir visiter la propriété,Massimilla m’a invitée à passer la nuit dans leurmaison et elle est même venue m’accueillir à monarrivée à la gare de Vérone.

Le comte – un homme distingué à cheveuxblancs, moustache blanche et yeux gris-vert assor-tis à la couleur de son costume – nous attenddehors au volant d’une Toyota Corolla. Nousempruntons les petites routes qui serpentententre les vignobles de Valpolicella.

Bien que les Serego Alighieri produisent duvin depuis des siècles en Vénétie, ce n’est querécemment qu’ils ont mis en bouteilles, leur pre-mier cru toscan. Ils l’ont baptisé Bello Ovile, “lebeau bercail”, la formule utilisée pour qualifier Flo-rence dans le Paradis. On peut dire en ce sens queDante est de retour chez lui. Mais, en 2008, leconseil municipal de Florence a décidé de révo-quer officiellement le décret d’exil du poète et dedécerner au comte un florin d’or, la plus hautedistinction de la ville, au nom de son aïeul. Lecomte ayant refusé cette décision, on peut direque l’exil de Dante se poursuit.

Le comte, à ce qu’on m’a dit, a refusé la réha-bilitation du poète car il avait appris qu’elle n’avaitété adoptée qu’à 19 voix contre 5, et que l’un deses adversaires, un élu des Verts, avait insinué quela famille Serego Alighieri avait tout orchestrédans le but de promouvoir ses vins. “Dante a-t-ilvraiment besoin qu’on le réhabilite ?” s’interroge le

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comte dans un élégant haussement d’épaule.“Peut-être est-ce Florence qui a besoin d’être réhabi-litée.” Il y a d’autres occasions, meilleures, de com-mémorer Dante. Le comte participe ainsi parfoisà des dîners organisés par un professeur deBologne, où chaque plat a un rapport avec le grandpoète.

Le portail de la propriété est orné du blasonde la famille – une aile d’oiseau sur fond bleu.“Alighieri” vient du latin aliger, “ailé”. Au-delàdu portail s’étire une avenue ombragée decyprès, à l’extrémité de laquelle le sol scintillecomme un étincelant gemme vert. Un portierme conduit aux chambres d’hôte, dont la plu-part sont occupées par une équipe de tournagequi réalise un film sur le vin. Le réalisateur, unancien boxeur professionnel italo-suédois, estdevenu une star de la télévision suédoise grâceà son émission culinaire.

Je suis le portier dans un étroit escaliermenant à une suite aménagée sous les combles,avec de grosses poutres et un lit immense. Unebouteille de vin blanc frais est posée sur la table.“Un cadeau du comte”, me dit le portier avant dese retirer avec élégance. Sur la table est posée éga-lement une histoire illustrée de la familleSerego Alighieri, avec un tableau généalogiquedépliable. J’y contemple les dix-neuf générationsde Serego et les quatorze générations d’Alighieriqui ont vécu leurs existences séparément avantde s’unir en 1549 et de donner naissance à treizeglorieuses générations de Serego Alighieri.

Vingt-huit minutes plus tard exactement, leportier frappe à ma porte : “Le comte vous attend.”Sur quoi, il me conduit jusqu’à la vieille villa, oùles portraits de Ginevra et Marcantonio sontaccrochés à côté d’une copie encadrée de l’actede propriété du domaine, signé par le fils deDante, Pietro, en 1353. Massimilla et le comte sontassis sur un canapé bleu. Vêtu d’un habit jaunepâle, un très vieux serviteur aux épaules voûtéesapporte des carafes d’eau et de jus d’orange surun plateau en argent. Ses mains tremblantes fonts’entrechoquer et tinter les carafes.

Les archives de la famille Serego Alighieriremontent au XIVe siècle et contiennent des jour-naux de famille, des contrats et des factures– mais aucun manuscrit. Il n’existe aujourd’huiaucun document de la main de Dante. On ignoremême à quoi ressemblait sa signature, ce qui estplutôt inhabituel pour un auteur de cetteépoque. Certains sont persuadés que Dante acaché un trésor, un manuscrit original du Para-dis, quelque part dans le domaine ou à proximité.En 1921, le grand-père du comte, convaincu quece manuscrit avait été enterré avec un des pro-tecteurs du poète à Vérone, réussit à obtenir l’ou-verture la tombe. “A l’intérieur, il y avait unsquelette revêtu d’un magnifique habit de soie, avecune longue épée – mais pas le moindre manuscrit.”Entre les deux guerres mondiales, la tante ducomte accompagna une amie, en quête deconseils après un chagrin d’amour, chez unevoyante, à Rome. “Vous êtes plus intéressante quevotre amie”, dit la voyante à la tante du comte.“Vous avez des ancêtres illustres. Vous cherchezquelque chose, et ce que vous cherchez se trouve dansune maison qui appartient à votre famille.” La tanterentra aussitôt à Valpolicella, mit la propriétésens dessus dessous, mais ne trouva rien.

Devins, historiens et esprits dérangés conti-nuent à se présenter au domaine. Un vieux mon-sieur indien qui prétendait avoir trouvé quelquechose dans le Purgatoire est venu consulter lesarchives et tourner quelques plans pour undocumentaire sur Dante et le Gange. Un numé-rologue a additionné en quelque sorte l’en-semble de la Comédie et en a tiré deux chiffres :la latitude et la longitude du lieu du domaineoù sont à coup sûr enterrés les documents ! Et

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puis il y a eu ce Florentin qui affirmait avoirdécouvert le squelette de Giotto sous le Duomo.Il avait trouvé les ossements dans les années1970, en utilisant à la fois la perception extra-sensorielle et un détecteur de métaux, et lesquelette avait en effet été identifié – par nulautre que Francesco Mallegni – comme étantcelui de Giotto !

Le comte l’invita au domaine. Après avoirarpenté les bâtiments et le terrain, l’homme avaitdésigné un point précis du sol en affirmant quec’était là que les documents étaient enterrés. “Ilavait choisi l’endroit où il était le plus difficile d’accé-der, se souvient le comte. Sous des dalles de marbre.”“J’ai donc fait appel à un ami marbrier, poursuit-il.Il me fallait quelqu’un capable de soulever un sol enmarbre en toute discrétion.” Du temps et beaucoupd’efforts furent nécessaires au marbrier pour reti-rer les dalles. En dessous, il n’y avait rien.

Vérone possède un monument à Dante par-ticulièrement sinistre. Il se dresse au centre d’uneplace entourée de magnifiques bâtiments dontles façades, dans mon souvenir, luisent d’unelueur orangée. Mais ce doit être un tour que m’ontjoué le soleil couchant, le crépi jaune, la briquedu XIIIe siècle.

A Vérone, il est impossible de ne pas allervoir le balcon de Juliette. Des panneaux en indi-quent la direction à chaque coin de rue. C’est unbalcon rectangulaire en brique rose. La façadeest tapissée de lettres à Juliette sur le thème del’amour. Je me surprends à me demander ce quiest le plus absurde : écrire à Juliette ou à Béa-trice ? Et j’en conclus qu’au fond, Roméo et Julietteet la Vita nuova sont deux métaphores du mêmeproblème – l’incompatibilité de l’amour avecl’existence vécue, qui, au fil des ans, épuise inexo-rablement le sentiment, comme un cavalierépuise son cheval.

Il fait nuit lorsque je regagne le domaine. Letaxi s’arrête devant le portail et je remonte à piedl’allée de cyprès dans l’obscurité. Sur la pelouse,devant la maison d’hôte, sous les lumières desprojecteurs, la star de télévision italo-suédoise etson équipe se détendent autour de quelques bou-teilles de vin. Dans mes appartements, à l’étage,je ne me couche pas tout de suite. Je cherche desmanuscrits. Je tapote les murs, fouille les tiroirs,découvre dans une commode en bois un ouvrageen deux volumes intitulé Birds of Our Country.Aucun feuillet manuscrit du Paradis n’est cachéentre les pages.

Un beau tire-bouchon en argent est posé surla table. Je prends la bouteille de Bello Ovileofferte par Massimilla et la fais tourner entre mesmains. Des bruits de voix montent de la pelouse.A certains moments, j’ai la certitude qu’un jour,quelque part, je reverrai tout ce beau monde.Elif Batuman

A lire

Vous êtes aventurier ?Vous souhaitez fuir le tourisme de masse ?Dans son recueil Villes bigrementexotiques, qui vient de paraître auxéditions Le Dilettante,l’écrivain et satiristecanadien CradKilodney proposevingt destinations plus inattendues les unes que les autreset pas forcémentrecommandées par les chancelleriesoccidentales. De Mogadiscio, en Somalie, à Quetta,au Pakistan, en passant par Ataq,au Yémen.

Casal dei RonchiPropriété de la famille de Dantedepuis vingt générations.

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de façon “neutre”. Linus (ci-contre), papa de Sasha, deux ans et demi, et Nikki, six mois, se refuse à révéler le sexe deses enfants. Il les désigne uniquementpar leur prénom – mixte, bien entendu– ou par “hen”. Son entourage a étéprié d’en faire autant. Dernièrement,las des “venez les garçons” et “salut lesfilles” du personnel, il a changé Sashade maternelle. L’enfant est maintenantdans un établissement travaillant“activement” à la parité. Cette passionpour le neutre en irrite plus d’un. “Les enfants sont les animaux les plusconservateurs qui soient, ils ont besoinde sécurité”, tempête Elise Claesondans le Dagens Nyheter. “La prise de conscience de son sexe, c’est une étape naturelle de la croissance,mais les adeptes des gender studiespensent que les différencesbiologiques n’existent pas, qu’ellessont juste l’invention de parentsidiots”, tonne cette travailleusesociale, auteur de mamma@home, un plaidoyer pour la femme au foyer.Linus, lui, rêve d’un jour où ses enfantsutiliseront le hen tout naturellement. Il a même commencé à s’en servir au lycée. Ses élèves n’ont pas bronché.“Soit ils n’écoutaient pas, soit ilsn’avaient rien contre”, a-t-il confié au Dagens Nyheter – lequel a récemment introduit le hen dans un éditorial sur les classes sociales.

Insolites

Une médaille d’or, le podium, tout allait pour le mieux pour MariaDmitrienko, consacrée championne du monde de tir au Koweït.

Sauf qu’en guise d’hymne national la championne kazakhe a eu droità un chant parodique – l’hymne bidon tiré du film satirique Borat.

“Les prostituées du Kazakhstan sont les plus propres de la région/à partbien sûr celles du Turkménistan”, clame notamment cette versiontéléchargée par erreur sur Internet par les organisateurs. MariaDmitrienko est restée impassible, esquissant juste un sourire en finde cérémonie. Le Kazakhstan a porté plainte auprès du Comitéolympique d’Asie. (The Guardian, Londres)

Franck Buckley incarne on nepeut mieux l’Irlande d’aujour-d’hui. Totalement fauché,i l vit dans une maisonconstruite avec des billets debanque – des euros usagés,retirés de la circulation etdéchiquetés par la banque cen-trale d’Irlande. Des milliers debriques de débris de billets compactésforment l’édifice, bâti dans un appartementau rez-de-chaussée d’un immeuble renduvacant par la crise économique. Chaquebrique contient environ 50 000 euros, soitau total environ 1,4 milliard d’euros, estimeM. Buckley. “Tout est centré sur l’euro, maisles euros ne sont que des bouts de papier, dit-il, c’est ce que les gens font des euros, la valeurqu’ils leur attribuent, qui change la donne.” Al’entrée des lieux, une imposante pierretombale annonce que la souveraineté irlan-daise est morte en 2010, l’année où le gou-vernement a accepté un plan de sauvetageassorti de conditions si dures que l’Irlandeva mettre des années à payer. “Pour moi,on est dirigé par l’Allemagne”, commenteM. Buckley. Il a bénéficié de l’aide d’âmescharitables. Le propriétaire de l’im-

meuble lui a permis d’occuper les lieuxjusqu’à ce que se présente un nou-

veau locataire. La banque cen-trale lui a fait don des billets,

si usagés que, selon lui,ils avaient “la texture du

papier toilette”. Ettrois employés de

banque l’ont aidéà charger le

tout sur

la remorque de son frère. Buck-ley a la lumière, l’entrepriseinstallée à l’étage l’a laissé seraccorder à son installationélectrique – et il fait singuliè-rement bon chez lui, même s’il

n’y a pas de chauffage. L’argentest un bon isolant, commente-t-il.

Durant le boom économique desannées 1990, il organisait des tournées de

musiciens. Puis il a fondé une association,Sport Against Racism Europe, qui a reçu80 000 euros de subvention gouverne-mentale. Mais le financement s’est tari avecl’effondrement du marché et M. Buckleyvit aujourd’hui du chômage, soit 188 eurospar semaine. Il doit des milliers d’euros etfait face à un emprunt immobilier qu’il acontracté en 2006 pour acheter unemaison de 365 000 euros dans le quartier.Il est harcelé par les créanciers. “L’Etat nousprend notre argent pour le donner auxbanques, pour qu’elles se relèvent et nous récla-ment le paiement de nos dettes.” A Dublin, laBillion Euro House (maison à 1 milliardd’euros) est devenue une destination tou-ristique, un lieu où l’on débat des implica-tions philosophiques de l’argent. Elle a unevertu cathartique pour une populationdésorientée qui tire le diable par la queue.“La semaine dernière, j’ai eu quatre personnesqui se rendaient au tribunal des faillites”, com-mente M. Buckley, qui tient un livre d’or àla disposition des visiteurs. “Enfin de l’ar-gent utilisé à bon escient”, y a écrit l’un d’eux.“J’allais justement à la banque déposer mes27 euros d’allocation chômage”, a noté unautre. Vivre sans un sou vaillant au milieude tout cet argent a donné à M. Buckleyle temps de réfléchir à son sort et à celuide l’Irlande. “Je n’en suis pas au point deceux qui faisaient des affaires et qui doiventdes millions. Mais ce que je dois, c’est commesi je devais des millions. Quand on n’a rien,on n’a rien.”Sarah Lyall, The New York Times(extraits), Etats-Unis

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Adieu références sexistes ! Des informaticiens suédois ont conçuun logiciel supprimant les pronoms “il” et “elle”. Ce plugin effaceautomatiquement le hon (il) et le han(elle) de tous les sites en suédois, leur substituant le pronom neutre hen.Cette extension baptisée heneratorreflète le débat qui agite la Suèdedepuis la publication d’un livre pourenfants qui bannit toute référence au sexe des personnages. Kivi& Monsterhund n’utilise que le hen(voir CI n° 1113, du 1er mars 2012), toutcomme les crèches, maternelles et parents qui élèvent les bambins

Pour des raisons techniques, nousn’avons pu publier de page Insolitesla semaine dernière. Toutes nosexcuses à nos fidèles lecteurs !

Maldonne sur le podium

Enfin des moteurs de recherche asexués

La maison à 1 milliard qui ne vaut pas 1 kopeck

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Papy est en congé parental

On connaissait le congé parental. V

oici le congé

grand-parental. Le m

inistère de la Famille

allemand pourrait permettre aux seniors qui

travaillent de s’occuper de le

urs petits-enfants,

rapporte le Spiegel O

nline. L

e Grosselternzeit

serait calqué sur le congé offe

rt aux parents,

lesquels peuvent prendre jusqu’à trois ans,

en partie rémunérés, entre la

naissance de leur

enfant et son huitième anniversaire. Les têtes

grises n’auraient pas un euro pour pouponner,

mais se verraient octroyer l’assurance

de retrouver leur emploi à

leur retour. P

lus

d’un tiers des famille

s allemandes ont recours

à papy-mamie pour s’occuper des enfants, montre

un récent un rapport gouvernemental

DR

DR

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