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Cahier détaché n° 2 - 19 / 2221 - 12 mai 2014 ACTEURS TERRITORIAUX ConCevoir une régie de données territoriales Vers une nouvelle fabrique de services urbains Dossier produit par Le hub agence et Chronos, animateurs du programme d’innovation multipartenarial Datact Mai 2014

concevoir une régie de données territoriales par DATACT

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Cahier détaché n° 2 - 19 / 2221 - 12 mai 2014

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La Gazette • 12 mai 2014 • 3

Régie de données territoriales

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4De l’open data au partage des données : pour la production de services dans les territoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

I . Territoire numérique, territoire de données . . 5Le numérique métamorphose le territoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Empowerment des citoyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5Un nécessaire engagement politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5

Comprendre le territoire par les données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Des enquêtes peu représentatives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .6impliquer les individus, garantir l’anonymat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .6Des nouveaux outils d’aide à la décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Données personnelles : un cadre de confiance à réinventer . . . . . . 7Les Cnil européennes se repositionnent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7accompagner l’émergence de nouveaux services . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Simon Chignard : « L’open data a permis de révéler la question des données » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Le numérique, une chance pour renouveler le dialogue et la participation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

Considérer le numérique comme un levier de changement . . . . . . . . . . . . . . . . . .8intégrer la culture numérique dans les organisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9

II . La ville intelligente est dans les services coproduits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10Smart City, où est l’intelligence ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Gouvernance partagée vs pilotage automatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10La réappropriation des données comme revendication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Services coproduits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Acteurs privés et usagers deviennent pourvoyeurs de services . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .12

Fédérer des communautés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12Nouveaux modèles économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12Des complémentarités avec les services publics . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Bastien Faudot : « Les données nous permettent d’envisager la création de services nouveaux et complémentaires » . . . . . . . . . .13

Sortir le numérique de l’ornière politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13Un écosystème numérique déséquilibré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14Ne pas laisser les grands projets aux géants du web . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

Éric Molière : « Repenser ce qui fait « service public » mais aussi comment on le fait » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14

III . Vers des modèles de régies basées sur le partage de données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16Des idées aux actions, l’innovation par la coopération . . . . . . . . . . . . 16

La coopération pour l’émulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16Pour un service territorial de la donnée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Du stock au flux, privilégier la valeur du système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16Sortir des logiques purement transactionnelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

Régie de données : un moyen de dépasser l’open data . . . . . . . . . . . . . . .17mesurer les externalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .18

Yann Moulier Boutang : « De nouveaux modèles de conception et de production sont déjà opérationnels » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Jérôme Giusti : « Produire une relation horizontale, bottom up, propice à l’innovation » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20

Pas de confiance sans tiers de confiance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20Construire les conditions de sécurisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21Conserver la souveraineté individuelle de la donnée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Plaine-Commune - Ile-de-France : territoire d’expérimentation de la régie de données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21

Connecter les acteurs territoriaux par la donnée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21Rédiger un cahier des charges fonctionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21Concevoir un modèle réplicable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22

Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Sommaire

DatactLe programme Datact est mené conjointement par Le hub agence et Chronos, n’hésitez pas à nous contacter pour nous rejoindre, pour des questions ou informations complémentaires. www.datact.fr/[email protected] hub agence : www.lehub-agence.com • [email protected] • 01 71 19 78 22Chronos : www.groupechronos.org • [email protected] • 01 42 56 02 45Coordination du cahier : Régis Chatellier (Le hub agence), Léa Marzloff (Chronos)Rédaction : Bruno Caillet (Le hub agence) • Bruno Marzloff (Chronos) • Régis Chatellier (Le hub agence) • Julie Rieg (Chronos) • Garance Tauvel (Le hub agence)

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4 • La Gazette • 12 mai 2014

De l’open data au partage des données : pour la production de services dans les territoires

Le développement du web et des réseaux sociaux, le déluge des données (big data), l’open data… ce début de millénaire marque l’entrée dans une nouvelle ère, dans laquelle les acteurs publics doivent se positionner, voire se repositionner. Le ter-

ritoire s’est métamorphosé, des géants industriels ont émergé, les usagers eux-mêmes ont évolué dans leur capacité à rester connecté, réagir, créer de nouveaux services grâce aux applications numériques. Ces nouveaux services, - du covoiturage, à la lo-cation entre particuliers en passant par des offres de cours -, fonctionnent souvent sur des modalités de pair-à-pair où la confiance est une notion centrale.

En parallèle, le mouvement français de l’open data entamé en 2010 à Rennes Métropole s’est progressivement diffusé sur le territoire. L’association Libertic recense 23 villes ayant déjà mis à disposition leurs données publiques sur des plateformes ouvertes (1). Au total, près d’une cinquantaine de collectivités se sont engagées dans une démarche visant d’abord deux ob-jectifs : améliorer la transparence de l’action publique, susciter la création de services et de nouveaux modèles économiques à partir des données libérées. Ce deuxième volet de l’open data n’a pas encore donné de résultats probants. Si les concours d’application et les hacka-thons (créer dans un temps court des services à partir des données) se sont multipliés, si les propositions de services ont fleuri sur les territoires, dont beaucoup dans le secteur de l’in-formation transport (Handimap à Rennes, Naonedbus à Nantes…), on ne compte aujourd’hui en France aucun exemple de services pérennes ayant permis de dégager une réelle activité économique et de créer des emplois autrement que par le financement public.

L’expérience a permis de constater que l’une des limites de ces services « open data » réside dans le manque de contextualisation et de continuité des services que seul permet un croi-sement des données, la puissance publique ne pouvant pas, seule, produire les flux néces-saires à une large appropriation des services, donc à une audience critique et à leur péren-nité. Le groupement Datact a depuis 2010 compris que cette vision de l’open data devait être dépassée et qu’il fallait penser le développement de services par la coopération et le partage des données entre acteurs publics, privés, et individus. Les acteurs des collectivités (élus et services) sont ainsi amenés à imaginer de nouvelles formes d’action publique et de mise à disposition d’outils basées sur le partage des données, dans des nouveaux modèles de coo-pération. C’est dans cette voie que se sont engagés les membres du groupement Datact, en modélisant le concept de « Régie de données », qui sera éprouvé en 2014 sur le territoire de Plaine Commune.

Introduction

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La Gazette • 12 mai 2014 • 5

Régie de données territoriales

Le territoire ne se compose plus seulement d’un espace physique et d’interactions humaines, une couche nu-mérique vient le compléter dans un nouvel espace pu-

blic, dans lequel toute interaction est une donnée. Un terri-toire métamorphosé à intégrer par les acteurs publics afin de renouveler l’action publique.

Le numérique métamorphose le territoirePar Bruno Caillet, Le hub agenceNos cartes structurent les territoires depuis des siècles, la représentation d’une topographie, d’un urbanisme et d’équi-pements a longtemps suffi à faire « espace commun ». Agis-sant comme objet de pouvoir et de reconnaissance, la carte n’avait pas d’intérêt à figurer la vie des citoyens, ni leur or-ganisation collective. Pourtant, le monde de la cartographie s’est ouvert et est désormais accessible à tous grâce à l’émer-gence des TIC et l’usage des smartphones, de la géolocalisa-tion, des systèmes d’information géographique.

Empowerment des citoyensCes outils de cartographie collaborative (réseaux sociaux, open street map ou commentaires géolocalisés) ont mieux in-formé sur le proche et sur l’immédiat, ils lui imposent même d’exister. Les données produites par ces systèmes permettent d’inventer des services répondant à des usages singuliers. Aux États-Unis, les informateurs des map crimes (cartes de géolocalisation de la criminalité) exercent un pouvoir nou-veau en faisant dire aux cartes quelque chose que les sta-tisticiens ne concluraient pas sur la sécurité d’un territoire donné. Ils préemptent ainsi un espace jusqu’alors dévolu aux forces de l’ordre public, sans autorisation.Connectés, nous sommes désormais puissance collective - à défaut d’être publique. Les gens ordinaires, fédérés en ré-seaux, ont en quelque sorte le pouvoir – empowerment – et créent des services innovants : comprendre le foncier, iden-tifier et corriger des dysfonctionnements urbains, proposer de louer sa voiture à ses voisins. Cette action produit in fine de nouveaux territoires et de nouvelles cartes. Elle fédère un ensemble d’usagers dans des espaces de représentations, se-lon une notion de biens communs et de frontières qu’ils dé-cident seuls. L’élection ne suffit plus à agir, la connexion en réseau produit l’effet audience et une action territoriale nou-velle. Quand, sur le réseau social Foursquare, on peut deve-nir « maire » de son territoire, l’audience et le légitime effa-cent le légal.

Un nécessaire engagement politiqueEn se superposant à l’idée d’un service public, des ensembles d’intérêts partagés, le traitement de données dissout et dy-

namise le territoire. Agissant sur leur environnement sans intermédiation, de manière pragmatique, affinitaire – et consumériste –, les citoyens connectés questionnent l’unité, l’organisation commune et continue des services publics tels que nous la connaissons. Leurs solutions dynamiques et transverses, plus efficaces et moins coûteuses remettront en cause, tôt ou tard, les anciennes conditions de production du service public et donc la nature de l’acteur public. Consi-dérons alors, qu’au-delà de la geek attitude, le traitement de la donnée territoriale appelle un engagement politique du ter-ritoire numérique, car celles et ceux qui maîtrisent les ou-tils et les données, agiront, au mieux sans cadre de bien pu-blic, au pire, contre.Nombre d’exemples de tels mouvements émergent, dont nous mesurons les avantages et les risques qu’ils font courir à l’idée même de bien public. Quand les utilisateurs usent des données soumises au système d’information routière Waze, pour repérer les forces de police et les éviter, ou quand les systèmes de location pair à pair type Air Bnb privent la col-lectivité des taxes de séjour, l’idée d’un bien public est trans-gressée. Pourtant c’est aussi grâce à cet empowerment, que les opérateurs de transport agissent – contraints – pour l’in-vention de services de transport plus efficaces. C’est dans ces nouveaux voisinages qu’un système de financement partici-patif (crowdfunding) comme Bulb In Town (2) participe à une économie de proximité.Tout n’est donc pas noir ou blanc. C’est politique, autre-ment, en temps réel et dans une organisation légère, re-pensée fonction d’opportunités. C’est un risque certes, voyons-y une chance : celle de redessiner les cartes et les territoires.

Comprendre le territoire par les donnéesPar Julie Rieg, Chronos.Collectivités et institutions publiques recourent traditionnel-lement à des enquêtes quantitatives afin d’évaluer l’usage des services publics en œuvre sur un territoire (transport, énergie, santé, emploi). Deux méthodes principales sont privilégiées. La première consiste à mesurer des flux et des volumes à l’aide de cap-teurs (combien de voitures passent sur cette voie ? Combien de patients dans cet hôpital ?). La deuxième consiste à dis-tribuer des questionnaires à des individus pour qu’ils puis-sent rendre compte de leurs pratiques. Ces enquêtes par questionnaire sont menées dans un souci de représentati-vité des caractéristiques socio-professionnelles de la popu-lation cible. Dans le secteur des transports, on retient par exemple les Enquêtes Ménage Déplacement (EMD) mises en

I . Territoire numérique, territoire de données

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6 • La Gazette • 12 mai 2014

Data (ou données) : mot valise pouvant désigner des don-nées statistiques, informatiques, à caractère personnel, publiques ou privées. Toute information devient « data » dès lors qu’elle est collectée et conservée dans des fi-chiers informatisés.

Big data : désigne des ensembles de données devenus tel-lement volumineux et variés qu’ils deviennent difficiles à traiter avec des outils traditionnels. Le traitement et l’ana-lyse de ces données représentent un secteur stratégique pour les industriels, qui trouvent là des nouveaux débou-chés et des moyens d’optimiser leur service.

Open data (ou données ouvertes) : mouvement de mise à disposition de données publiques, des collectivités ter-ritoriales et de l’Etat. Il s’agit de rendre les données ac-cessibles à tous, facilement et gratuitement, en favorisant ainsi l’accès à l’information, le partage et la collaboration pour la création de nouveaux services.

Données personnelles : traces laissées par les inter-nautes lorsqu’ils naviguent sur le web, historique de na-vigation, géolocalisation, noms, adresses, intérêts et affi-nités… Ces informations communiquées sciemment ou

non peuvent notamment être utilisées par les services marketing pour déterminer et prévoir le comportement des internautes, ou personnaliser des services numérisés.

Plateforme : base de travail en ligne sur laquelle il est possible d’écrire, de lire, de développer et d’utiliser des lo-giciels. Google, par les nombreux services fournis, comme autant de logiciels, peut être considéré comme une pla-teforme. Tim O’Reilly qualifiait en 2010 le gouvernement de plateforme organisant les services publics comme au-tant de logiciels. Dans le cadre de l’open data, on appelle plateforme les outils de stockage et de mise à disposition des données publiques.

Réseaux sociaux : plateformes communautaires en ligne, les réseaux sociaux permettent aux internautes de com-muniquer et partager sur des centres d’intérêts, envies, besoins communs ou encore des liens sociaux. Si les plus connus sont Facebook ou Twitter, on compte des centaines de réseaux sociaux thématiques, depuis Youtube avec la vidéo à Soundcloud avec la musique, en passant par Lin-kedin (réseau professionnel), Vine (vidéos courtes), Insta-gram (photos), Diigo (partage de veille), etc.

Data, de quoi parle-t-on ?

œuvre par le Cerema, ex-Certu (Centre d’études sur les ré-seaux, les transports, l’urbanisme et les constructions pu-bliques) ou encore l’Enquête Nationale Transports et Dé-placements de l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques). Les collectivités et Autorités Organisatrices de Transport s’appuient sur ces données et sur quelques études complémentaires pour décider leurs politiques concernant l’aménagement des territoires et les offres de mobilité.

Des enquêtes peu représentativesSi les enquêtes quantitatives ont le mérite de représenter les habitants d’une zone géographique et permettent aisé-ment de faire des comparaisons d’un territoire à l’autre et d’une année à l’autre, elles présentent également des la-cunes. Les EMD, certifiées scientifiquement par le Certu et reconnues d’intérêt général, constituent un parfait exemple. Coûteuses, elles sont réalisées à des fréquences faibles aux vues de l’évolution des comportements de mo-bilité. Exemple loin d’être atypique, le Grand Lyon a réalisé sa dernière EMD en 2006, la précédente datait de 1995. La représentativité des EMD est également remise en question et particulièrement au niveau de la prise en compte des pu-blics en insertion ou encore des personnes qui ne vivent pas dans le territoire étudié, mais s’y rendent et s’y dépla-cent. Enfin, cette enquête permet de capter les origines, les

destinations, les motifs et les modes utilisés pour les dé-placements déclarés, mais ne renseigne pas sur le chemi-nement emprunté.

Impliquer les individus, garantir l’anonymatL’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a lancé en 2013 un appel à projet de recherche, avec pour objectif de démontrer qu’il est possible de qua-lifier les déplacements sur un territoire donné sans pas-ser par une EMD, à moindre coût, en captant les trajec-toires des individus. Le projet retenu, intitulé Mobi-Lise sera expérimenté sur le territoire de Champagne-Ardenne. Il rend compte d’une nécessité d’impliquer les individus et de tracer leurs déplacements à travers l’utilisation de leur téléphone mobile, tout en garantissant leur anonymat. Il prévoit également une agrégation des données déjà déte-nues par divers acteurs : les collectivités, les opérateurs de transport, les associations, les acteurs locaux de l’emploi, de la santé, de l’éducation ou encore de la culture. L’offre Flux Vision lancée sur le marché par Orange Business Services en novembre 2013 témoigne d’une même dyna-mique. Elle consiste à se saisir de millions de données is-sues de l’usage des réseaux mobiles pour fournir des in-dicateurs de fréquentation et de flux de déplacements sur les territoires.

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Régie de données territoriales

Des nouveaux outils d’aide à la décisionCes démarches dans le secteur des transports témoignent de la mise en œuvre de méthodes et d’outils novateurs pour comprendre et évaluer l’usage des services publics. L’agréga-tion de données multiples ouvre la voie pour la création d’ou-tils d’aide à la décision plus précis et constitue une manne pour les décideurs territoriaux et économiques. Mais, si les indicateurs s’enrichissent, si les outils de visualisation des données s’améliorent, le travail d’analyse des résultats reste bien évidemment de mise.

Données personnelles : un cadre de confiance à réinventerPar Régis Chatellier, Le hub agenceLes usages du numérique redessinent les contours de la vie privée, quand ils ne la remettent pas en cause. Le cadre ju-ridique posé par la loi n° 78-17 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés de 1978, semble aujourd’hui bousculé par un système dans lequel les services individualisés repo-sent sur des échanges de données transnationaux. Le service de courrier électronique proposé par Google, le GPS embarqué de Waze ou l’annuaire universel à la Facebook dépendent tous de firmes étasuniennes, soumises d’abord au droit de leur Etat d’origine. Les données sont le plus souvent hébergées dans les data centers situés soit sur le continent américain, soit dans les pays européens dont les taux d’imposition sont les plus bas, mais aussi les plus laxistes en terme de législation sur les données personnelles. Google annonçait en février 2014 l’in-vestissement de 150 millions d’euros pour l’ouverture d’un centre de stockage des données à Dublin, six mois seule-ment après l’ouverture d’un premier centre dans la capitale irlandaise (pour un investissement de 75 millions d’euros).

Les Cnil européennes se repositionnentS’il ne faut pas confondre Google avec le programme étasu-nien de surveillance électronique Prism révélé par l’affaire Snowden, l’intérêt de Google restant in fine de susciter la confiance plutôt que la peur, la question du respect de la vie privée et de la protection des données personnelles fait dé-bat. Le groupement des Cnil européennes (G29) se reposi-tionne depuis 2013 sur ses prérogatives, s’employant à im-poser un cadre juridique local à ces entreprises devenues transnationales. Dès le 3 janvier 2014, la Cnil prononçait une sanction à l’en-contre de Google, 150 000 € d’amende et l’insertion sur la page d’accueil du moteur de recherche d’un communiqué faisant mention de sa décision. La firme de Mountain View s’acquittait de la sanction le 6 février, dès la décision validée par le Conseil d’État. L’Espagne avait déjà requis 900 000 € d’amende le 19 décembre 2013 pour “graves violations” à la vie privée.

Accompagner l’émergence de nouveaux servicesLoin d’être anecdotique, cette décision de la Cnil pose la ques-tion de son rôle dans un nouvel écosystème de services dont la matière première est la collecte et le croisement de don-nées. L’acteur public doit se positionner à l’heure où les col-lectivités locales comme l’État se sont lancés dans des dé-marches d’open data, le droit doit se façonner autour de ces nouvelles questions. Ces mêmes acteurs, qui peinent sou-vent à envisager la création de services personnalisés, à en-trer dans des logiques individualisées et conversationnelles avec les usagers, doivent entrer dans une phase pro-active, en accompagnant et en régulant les initiatives plutôt qu’en s’en remettant à un destin incontrôlable. L’open data en France n’a pas la même signification qu’aux États-Unis, où l’ouverture devait combler un déficit de confiance dans les institutions. L’État et les collectivités restent en France des acteurs de confiance, ils sont les mieux placés pour accompagner l’émer-gence de nouveaux services à l’échelle locale, en créant les conditions de l’innovation territoriale, basée sur les échanges entre acteurs publics, privés et citoyens. C’est dorénavant dans ce rôle de catalyseur (animateur et non simple décideur) que l’acteur public pourra garder la main sur la question des données personnelles, transformer un risque en opportunité pour le développement économique et le rayonnement des ter-ritoires, en restant au plus près de l’innovation de service, en entrant de plain-pied dans cette nouvelle ère.

Simon Chignard : « L’open data a permis de révéler la question des données »Simon Chignard, consultant indépendant, auteur de « L’open data : comprendre l’ouverture des données publiques » (Fyp éditions - 2012), revient sur quatre années d’ouvertures des données en France. Propos recueillis par Régis Chatellier

Quel chemin parcouru depuis 2010 et la première vague d’ouverture des données publiques en France ?Avant tout, l’idée d’open data s’est répandue sur les terri-toires. On inaugure toujours des plateformes dans les col-lectivités ou au niveau de l’État, il y a toujours des réutili-sateurs et un réel intérêt. Je constate cependant qu’en se diffusant, la nature même du mouvement a changé, « l’open data a dépassé l’open data ». Le terme est aujourd’hui uti-lisé pour qualifier toute démarche plus ou moins structu-rée de partage de données. Quand la Banque Publique d’In-vestissement (BPI) annonce l’ouverture de ses données aux seuls chercheurs, les pionniers de l’open data ne s’y retrou-vent pas toujours. Ce qui était auparavant bien défini par le terme de données ouvertes est devenu un mouvement plus large, on parle même de « mouvance ». On a essentiellement retenu l’idée de partage de la donnée, alors que l’ouverture est une notion plus large.

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L’open data a permis de révéler la question des données et no-tamment de leur valeur, à l’instar de ce que Datact fait avec la « Régie de données ». C’est lorsque l’on ouvre que l’on se pose la question de leur valeur et de leurs usages, ce que je trouve assez positif.

Que sont devenues les promesses de nouveaux services et de nouveaux modèles économiques sur le territoire ?De l’opposition entre transparence d’une part et développe-ment économique d’autre part - auquel je préfère la notion de participation au développement de service -, c’est la « troi-sième jambe » de l’open data qui s’est retrouvée au centre, le volet de la modernisation de l’action publique. C’est dans ce domaine que l’on a constaté des avancées. Les statistiques d’usage de la plateforme ParisData viennent démontrer l’im-portance de ce volet en révélant que les producteurs de don-nées en sont les premiers utilisateurs. L’ouverture des don-nées a brisé l’effet silo dans les organisations, les personnes préfèrent aller chercher la donnée plutôt que de la deman-der à leurs collègues. Un modèle de partage de l’information au sein des structures qui se répand aujourd’hui dans les entreprises, où tout le monde accède au même niveau d’ac-cès à la data.Nous avons par ailleurs assisté à l’apparition d’une pluralité de modèles open data. Les premières plateformes se vou-laient neutres : ne pas toucher aux données, publier rapide-ment et sans aucun traitement et surtout privilégier une pu-blication par les services producteurs eux-mêmes. Ensuite, sont arrivés des modèles « managés », par exemple la plate-forme du Grand Lyon. Ces collectivités ont porté un effort im-portant sur la qualité des données et des métadonnées avant qu’elles ne soient publiées - c’est un avantage certain. En re-vanche, ce second modèle pose la question de la rétroaction entre producteurs et réutilisateurs, les services qui ont pro-duit la donnée d’origine peuvent se sentir moins concernés par sa publication ouverte, limitant ainsi le volet moderni-sation de l’action publique. Le troisième modèle, illustré par le nouveau Data.gouv.fr inauguré en décembre 2013, est un hybride des deux premiers : la publication sans traitement préalable, associée à un système de notation portant sur la qualité des données et la possibilité pour chacun de partici-per à l’amélioration des données.

Quels leviers actionner pour aller plus loin dans la réutilisation ?La question des leviers est présente depuis le début, mais les réponses apportées ont varié. Au début, on se posait sur-tout la question de l’appropriation de la donnée brute par la visualisation. Ce modèle impliquait l’utilisation de données très propres pour obtenir des data-visualisations pertinentes, donc un modèle « managé », avec les limites déjà évoquées.Ensuite, l’accent a été davantage mis sur les récepteurs et les réutilisateurs eux-mêmes. Le programme Infolab de la Fing, auquel je contribue, part de l’idée que la réutilisation vien-

dra avec l’acculturation et la médiation autour des données, que des lieux dédiés (des infolabs, à l’instar des fablabs (3)) peuvent y être consacrés.Dernier enjeu, je suis convaincu que nous avons toujours eu une très mauvaise idée de la réutilisation des données, essentiellement parce que nous fonctionnons dans un mo-dèle « don’t ask, don’t tell » (je ne te demande pas ce que tu veux faire de mes données, ne me le raconte pas !). Parce que l’on ne contrôlait pas a priori, on a cru que cela allait néces-sairement de pair avec le fait de ne surtout pas demander quelles étaient les formes de réutilisation. Nous cherchons aujourd’hui à changer la logique pour aller vers un « don’t ask, please tell » : encourager les réutilisateurs à nous raconter ce qu’ils font avec les données. C’est la méthode développée au-jourd’hui sur Data.gouv avec des systèmes de signalement de la bonne ou mauvaise qualité des données, de publication des réutilisations, etc.Au-delà de la question de l’open data, nous travaillons au-jourd’hui avec Louis-David Benyayer, cofondateur de Wi-thoutModel, sur le thème de la valeur des données. Nous constatons que les sujets open data pour le secteur public et big data pour le secteur privé ont avancé de manière relative-ment parallèle et séparée. Données personnelles, privés, pu-bliques, ouvertes : nous pensons encore les données en silo, alors que nous aurions besoin d’une vision globale des en-jeux. Parmi les questions soulevées, la valeur des données est centrale. C’est parce que l’on imagine une valeur aux don-nées que nous ne voulons pas les ouvrir, ou que nous voulons pousser toujours plus loin la question de l’utilisation des don-nées personnelles, sous prétexte que l’on se priverait d’une mine d’or. La question « qu’est ce que ça vaut ? » est centrale.

Le numérique, une chance pour renouveler le dialogue et la participationPar Bruno Caillet, Le hubNouvelles technologies et pratiques dites « 2.0 » se dévelop-pent depuis plus d’une décennie mais semblent pour le mo-ment réduites aux pratiques d’e-administration, peu aux questions de e-démocratie. Ces outils, de surcroît, semblent peu satisfaire les usagers. Une étude de Cap Gemini révélait en 2013 un indice de satisfaction de seulement 6.5/10 pour les services d’e-administration, contre 7.6 pour le e-commerce, 8.5 pour les banques en ligne (4). Ces outils sont le plus sou-vent conçus du point de vue de la complexité administrative plutôt que du point de vue de l’utilisateur et des possibilités offertes par les nouvelles technologies.

Considérer le numérique comme un levier de changementÀ défaut de rapprocher les citoyens de leur administration, les outils d’e-administration permettent-ils une plus grande effica-cité du service public ? Fleur Pellerin, ex-ministre déléguée en charge de ces questions, associe ces systèmes aux pratiques de modernisation de l’action publique (5), considérant que « l’État

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peut réaliser d’importantes économies grâce au numérique. » Aucune réelle estimation ni objectif ne sont fixés. Comme dans toute organisation complexe, la puissance publique es-time ces dynamiques numériques comme des solutions, des facilitations, rarement comme de véritables leviers de chan-gement. L’échec du développement de l’Opérateur national de paye des agents publics (ONP) est à ce titre symptomatique. L’État a investi depuis 2007 plusieurs centaines de millions d’euros dans un système qui ne verra pas le jour. Plutôt que de remettre à plat les méthodes, ses concepteurs avaient choisi de reproduire la complexité administrative en « intégrant toutes les spécificités qu’il irrigue ». Nicolas Colin (6), inspecteur des finances, co-auteur en 2013 du rapport Collin-Colin sur la fis-calité numérique, écrivait sur son blog qu’il « n’y a pas d’in-novation numérique dans une grande organisation si cette or-ganisation n’a pas décidé que le numérique était son cœur de métier, [...] sans une alliance avec les utilisateurs. »Tout le champ politique et de la citoyenneté est concerné par ce manque de culture numérique. L’observatoire numérique des campagnes municipales lancé par le Think tank Renais-sance numérique, conforte cette hypothèse : « Si 60 % des pro-grammes énoncent une question du numérique, la compré-hension des outils reste faible (7). » Les personnels politiques les réduisent à la mise en place d’infrastructures haut débit ou au développement de formulaires, ne pensent pas le nu-mérique pour le développement d’une nouvelle forme de ci-toyenneté. Pourtant les outils existent, blogs de quartiers, cartographies coproduites, solutions d’échange et de préfi-guration de projets urbains, outils permettant aux habitants d’informer la collectivité – en temps réel – de dysfonction-nements. Plus largement, tous les outils reposant sur l’open data permettraient d’animer une nouvelle forme de démocra-tie. La technique et l’imagination permettent des solutions capables de répondre aux besoins des citoyens : un service public plus proche, plus transparent, plus efficace, des liens sans cesse renouvelés et moins engageants que la participa-tion à des réunions publiques de concertation.

Intégrer la culture numérique dans les organisationsCes initiatives favorisent une nouvelle intelligence territo-riale par l’interaction plus fine entre les habitants et leur territoire – nous ne connaissons cependant pas la solution qui ferait standard. C’est dans l’intégration d’une culture numérique moins hiérarchisée au sein des organisations, laissant place à des pratiques d’animation du territoire plutôt qu’à des pratiques de « guichet » que les politiques auront l’opportunité de renouer le contact. Les outils de crowdsourcing sont à ce titre symptomatiques d’une non intégration systémique du numérique. Quand on informe sur une application de l’absence d’éclairage dans une rue, combien de ces contributions voient un réel suivi ? Quels mobinautes sont contactés pour devenir de véritables re-lais ? Aucun monitoring sérieux n’est effectué. Au-delà de la gadgétisation de telles solutions, le principal problème reste certainement un profond désir de contrôle. L’entre-deux ne fait plus illusion face à des internautes qui choisi-ront in fine des outils animés par d’autres acteurs que la puissance publique.Fleur Pellerin a beau jeu d’appeler à plus de confiance des utilisateurs envers ces outils, mais la puissance publique a-t-elle confiance en une forme renouvelée de démocratie ? Souhaite-t-elle à ce point se réformer ? L’histoire de l’infor-matique révèle que pour chaque secteur, les acteurs les plus puissants sont les nouveaux entrants, ceux qui ont pensé leur organisation en fonction du fonctionnement propre des TIC. L’administration se vit sans concurrence et sans im-périeux besoin d’être plus rentable et compétitive. Le chan-gement n’étant pas une urgence ni une condition de survie, personne ne souhaite imaginer une remise en cause consé-quente. L’abstention aux élections municipales semble en-core trop faible pour changer nos façons de produire du po-litique. Ainsi de tous les freins à la e-démocratie, le premier est culturel.

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La ville intelligente ou la fameuse Smart City van-tée lors de la dernière décennie n’est surtout pas le règne de la régulation par l’algorithme, mais la

ville qui saura conjuguer les forces de chaque acteur du territoire, dans des modèles participatifs et coproduits. Un projet de numérique politique.

Smart City, où est l’intelligence ?Par Bruno Marzloff, ChronosDans un récent exercice, Google interrogeait des experts sur la smart mobility. Nous avions choisi avec Anthony Town-send, auteur d’un récent ouvrage sur les smarts citiesde critiquer Waze, l’application mondiale d’infotrafic par les usagers intégrée par Google dans Google Maps (8). Waze est une voie supplémentaire, une infrastructure comme une autre. Waze agit sur le symptôme et non sur les déterminants d’une croissance insoutenable des mobilités. Les deux articles se rejoignent pour considérer que cette « intelligence » sert astu-cieusement ses acteurs, mais ne fait que prolonger un modèle (l’infrastructure) par un autre d’une autre nature mais dédiée à la même finalité (l’infostructure prolongeant l’infrastructure). Où est l’intelligence ? Elle est ailleurs, dans une déflation de la mobilité subie. Mark Andreessen, patron de la plus grande société de capital-risque au monde, va dans le même sens en militant pour une réduction drastique de la flotte automobile. La data et les services de partage permettraient, suggère-t-il, de réduire de 75 % à 90 % la flotte automobile en assurant un service identique, en réduisant les nuisances et en créant une zone de profit pour l’entreprise, l’usager et la collectivité.Il n’y a pas loin de la smart mobility à la smart city. Ces deux concepts partagent les mêmes principes et les mêmes défauts. Ils participent l’un et l’autre d’une émulation entre une construction classique « par le haut » qui entend optimi-ser les infrastructures, et une architecture « par le bas, » qui entend faire prévaloir des modalités en rupture, convoquant le partage et la communauté.

Gouvernance partagée vs pilotage automatiqueLe corpus éditorial des données, des communautés et des services interroge le sens des intelligences et leurs souverai-netés : qui gouverne la donnée, ses algorithmes et leurs pro-duits ? Aujourd’hui, l’urbain, indexé en intégral et en flux, est perfusée de données (horloge + GPS + contexte). Rien n’échappe à leur recueil généralisé. Leur traitement opti-mise les infrastructures, le temps, le travail, le voyage, le trafic, l’énergie, etc. La ville fait le choix de se programmer à l’excès, pour une productivité douteuse si on juge les résul-tats à l’aune des standards de croissance et d’urbanité. L’en-trée aveugle par le numérique se révèle aussi suspecte que

le fut la voiture. L’analogie avec l’urbanisme fonctionnel de Le Corbusier qui a conduit à la situation de congestion nous alerte sur les dangers de cette entrée numérique à tous crins.Le numérique sera ce que l’on en fera. Au mieux, un pouls partagé de la ville et une gouvernance attentionnée. Au pire, son contrôle absolu et son pilotage automatique.Le privilège de la collecte et du traitement massif de la data confère une souveraineté hors du commun. Une poignée de giga opérateurs, seuls détenteurs de serveurs ultra-puissants, domine un consumérisme de l’information dont les usagers sont les producteurs, les médiateurs et les consommateurs, consentants par défaut aux produits dérivés.

La réappropriation des données comme revendicationLa chute brutale de la confiance dans les réseaux sociaux (9) rappelle que le pillage étatique des données personnelles est passé par là avec la complicité de ces entreprises. Tout est à reconstruire. C’est tant mieux car cet exercice de lucidité ac-quis, c’est une chance pour penser d’autres bases et d’autres finalités d’intelligence.Rien d’étonnant dès lors que la réappropriation de ses propres données soit une revendication majeure. Cette intel-ligence du monde appelle une souveraineté numérique (10) sur la donnée respectant les nécessités des parties prenantes. « Chacun est l’auteur des données circulantes, issues de ses statuts et de ses comportements. (11) ». Si l’entreprise raisonne en termes d’appropriation de la valeur de la donnée, l’usager doit le faire à sa main.

II . La ville intelligente est dans les services coproduits

La régie au centre des forces régissant la ville : une prise en compte des lo-giques de la régulation “top down” et une prise en compte des phénomènes d’auto-régulation - par les individus - ou de “bottom-up. (schéma : Datact 3).

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Bulb in townBulb in Town est un site de financement participatif (ou crowdfunding) dédié aux petits commerces et initiatives locales. Les habitants d’un quartier peuvent soutenir fi-nancièrement les projets d’entreprises et d’associations, en échange de produits, de services, d’avantages « VIP » et autres récompenses ou reconnaissances personnali-sées. Les projets peuvent permettre de financer l’ouver-ture d’un restaurant, la rénovation d’un théâtre, organiser un festival, etc. En 2014, Bulb In Town compte 35 projets terminés (dont 6 qui n’ont pas obtenu le financement to-tal), pour un montant total généré de 92 032 €.

Statut : start-up créée par deux jeunes entrepreneurs fran-çais, Alexandre Laing et Stéphane Vromman

Date de démarrage : 2012

Périmètre : Paris, Roubaix et Aix-en-Provence

Modèle économique : Bulb in Town perçoit une com-mission de 5 %, à laquelle s’ajoutent entre 3 % et 3,4 % de frais bancaires

Site : http://www.bulbintown.com/

WazeWaze est une application mobile gratuite de navigation GPS dont la cartographie est élaborée par les utilisateurs. La navigation se fait en temps réel et prend en compte l’état du trafic et le signalement par les utilisateurs des accidents, embouteillages, voire les radars et contrôles de police. Waze connaît la vitesse instantanée de chaque uti-lisateur connecté par GPS, peut ainsi détecter en temps réel les ralentissements et vitesses moyennes sur chaque tronçon du parcours. Fin 2012, Waze comptait 65 000 édi-teurs de cartes (500 millions de modifications et ajouts). Elle compte 51 millions d’utilisateurs en juin 2013.

Statut : Start-up lancée par Uri Levine, Ehud Shabtai et Amir Shinar (Israël), (rachetée en 2013 par Google)

Date de démarrage : 2008

Périmètre : mondial

Modèle économique : Levées de fonds (12 millions $ en 2008, 25 millions $ en 2010, 30 millions $ en 2011). Ra-chat en juin 2013 par Google pour environ 1 milliard $

Site : http://www.waze.com

carte ouverte de saclayLe projet de carte ouverte du plateau de Saclay vise à ras-sembler associations, étudiants et particuliers afin d’éla-borer une carte qui rendra compte des ressources et des éléments patrimoniaux remarquables du plateau de Sa-clay et des vallées attenantes. Une carte libre de droit, interactive et évolutive créée sur le modèle de la Carte Ouverte de Rennes, pour encourager la découverte du ter-ritoire par le biais des déplacements doux (marche, vélo). La carte compte 627 données, produites notamment lors de 4 « carto-parties » avec des étudiants, des habitants et des élus issus de 15 communes du territoire. L’association Terre & Cité poursuit l’animation du projet avec le déve-loppement d’une application mobile.

Statut : projet de recherche « Co-opérer et informer la marche métropolitaine », porté par Chronos, ENSAPM, Terre & Cité

Date de démarrage : 2008

Périmètre : Plateau de Saclay

Modèle économique : financé par le Programme de re-cherche et d’innovation dans les transports terrestres (Predit)

Site : http://saclay.carte-ouverte.org/

DiphLe Diph, dispositif d’information personnalisé hyperlocal, est un agenda culturel accessible sur site mobile, enrichi et personnalisé, diffusé sur smartphone, permettant au mobinaute d’accéder à un contenu mutualisé, éditorialisé selon un système de personnalisation et de recommanda-tion, géolocalisé et en temps réel. Les utilisateurs en ac-ceptant de partager leurs données bénéficient de recom-mandations personnalisées fonction de leur navigation et leurs actions sur le site. Le dispositif est en phase d’ex-périmentation sur le territoire de la Communauté d’agglo-mération de Cergy Pontoise.

Statut : projet porté par Le hub agence

Date de démarrage : 2013

Périmètre : Communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise

Modèle économique : projet d’investissement du Hub agence, en partie financé par le Fonds régional innova-tion Ile-de-France dans le cadre de l’appel AMI « Expéri-mentation de projets innovants in vivo et in situ sur le ter-ritoire francilien ».

Site : http://www.sortir-cergypontoise.com (site mobile)

Services coproduits

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Dans cette tension entre le consumérisme et l’absence de maîtrise des données, les citadins responsables et les en-treprises classiques (legacies) cherchent leur voie et récla-ment leur dû. C’est ici que la puissance publique doit formu-ler son pouvoir, donc dire ce que sont le sens, les valeurs et le droit des intelligences pour le citadin et pour la cité. L’en-jeu est alors de formuler la plateforme et la régie publique/privée qui hébergeront ces fluides et leurs transits dans le respect des divers protagonistes.

Acteurs privés et usagers deviennent pourvoyeurs de servicesPar Julie Rieg, ChronosL’anthropologue Marcel Mauss démontrait au début du XXe siècle, par l’analyse des systèmes de dons entre tribus polynésiennes, que les transactions économiques sont avant tout des échanges sociaux (12). Les systèmes d’échanges entre individus existent depuis toujours. La solidarité familiale ou en-core le troc en témoignent largement. Les services pair-à-pair qui émergent, comme le covoiturage, le partage de maisons ou les AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne), s’inspirent de valeurs ancestrales où l’entraide, le partage et la proximité vivaient leurs jours de gloire. Ils ren-dent compte d’un lien social loin d’être en déperdition et s’ins-crivent à l’encontre du concept de l’individualisme.Les services pair-à-pair connaissent une croissance média-tique. Une analyse sémantique des articles et des vidéos qui traitent de ce sujet révèle des représentations collectives au-tour de la nouveauté et de l’innovation. « Croissance », « mou-vement », « tendance », « mutation » sont employés tous azi-muts. Qu’ont-ils de neuf ?

Fédérer des communautésLes services pair-à-pair fédèrent des communautés par le biais de réseaux numériques. Plus qu’un appui sur les ré-seaux familiaux, amicaux ou de voisinage, ils sont capables de créer et d’animer des communautés dont les membres sont inconnus les uns des autres. La relation de confiance s’installe non plus dans la connaissance directe d’autrui, mais dans la connaissance indirecte. Ainsi, si je souhaite faire du couch-surfing pendant mes vacances (dormir sur le canapé d’un in-connu), je lirai les commentaires des précédents couchsurfers sur l’hébergeur et ferai confiance à l’avis collectif.

Nouveaux modèles économiquesLes services pair-à-pair remettent en cause le modèle domi-nant des trois dernières décennies. Les modèles économiques classiques se caractérisent par une transaction entre un four-nisseur de produits ou de services, et des clients. Lorsque des individus bénéficient de ces services produits sans l’in-termédiaire du fournisseur privé, la communauté d’individus se pose en concurrence avec ce dit fournisseur. C’est le cas d’un Air BnB pour l’hôtellerie ou d’un service comme troc-le-gumes.fr qui permet l’échange de légumes entre particuliers.

Les services pair-à-pair épousent le fonctionnement des mo-dèles économiques des trois dernières décennies. S’ils sont l’œuvre des individus, les entreprises aussi en développent. Elles cherchent à tirer de la valeur en s’appuyant sur les res-sources des individus et en monétisant les transactions. Au-trement dit, la capacité de faire communauté et de créer du lien devient une source de valeur en tant que telle. Airbnb, plateforme de location d’appartements entre particuliers, se finance par une commission sur chaque location qui transite par son site. À travers le monde, les économistes dévelop-pent un vocable spécifique pour caractériser ces nouveaux modes transactionnels. On parle d’économie du partage ou d’économie collaborative.

Des complémentarités avec les services publicsLes services pair-à-pair permettent le développement de services publics complémentaires, à l’image du forum Mumsnet (13) au Royaume-Uni où des femmes échangent et partagent des conseils sur la maternité. Les acteurs publics

Datact : coproduire des services autour du partage de donnéesDepuis 2010, Le Hub agence et Chronos co-animent le groupement Datact, 40 entreprises - grands groupes privés et PME - et acteurs publics (collectivités terri-toriales, agences, universités) qui travaillent à dépas-ser l’open data, pour construire un modèle de partage de la donnée, concevoir et mettre en place une solu-tion opérationnelle de Régie de données réunissant tous les acteurs et parties prenantes du territoire : pu-blics, privés et usagers. Modèles économiques, nouveaux services, valorisa-tion et protection des données personnelles, gouver-nance de la donnée, statut de la donnée… sont autant de sujets explorés par le groupement Datact, dans une démarche d’innovation multi-partenariale dont l’ob-jectif pour la saison 3 est la rédaction d’un cahier des charges fonctionnels de la Régie de données sur le ter-ritoire de Plaine Commune. Un moyen pour répondre par la donnée aux problématiques d’un territoire ur-bain aux réalités contrastées. Ils ont participé à Datact : Ademe / Advancity /Bosch / Caisse des dépôts et consignations / CCI Hauts-de-Seine / CCI Paris / Cofiroute / Communautés ur-baines de France / De Facto / EADS Astrium / EDF - ERDF / Forum des services mobiles / ID4Car / In-duct / Inter Mutuelles Assistance / La Poste / LAB / Le Nouveau Paris / Ile-de-France / Mairie de Paris / Me-diamobile / MGDIS / Moveo / Orange / Pages Jaunes / Per-timm / Plaine Commune / PMP Conseil / Pôle Véhicules du Futur / PSA / Région Ile-de-France / Renault / Sira-del / SMTC Belfort / SNCF / Solucom / TMO Régions / To-tal / Université Technologique de Belfort-Montbé-liard / Veolia Transdev / Vinci

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Régie de données territoriales

et les collectivités sont en charge de nombreux services pu-blics (emploi, éducation, transport, santé, énergie ) et doivent faire en sorte de satisfaire tout le monde. Le défi est com-plexe quand on sait que les besoins des individus sont variés et que les budgets des collectivités décroissent. Alors, pour couvrir des besoins de niche, répondre à des contraintes, fa-ciliter leur quotidien, les individus développent les services. Pour les acteurs publics, les services pair-à-pair créent des opportunités pour s’assurer de la complémentarité des ser-vices développés, animer les communautés naissantes et dé-velopper de nouvelles méthodes de concertation.

Bastien Faudot : « Les données nous permettent d’envisager la création de services nouveaux et complémentaires »Bastien Faudot - Optymo, chargé de missions relations extérieures au Syndicat mixte des transports en commun du Territoire de Belfort. Optymo, offre de services de mobilité accessible et continue gérée en régie directe par le département et mise en œuvre dès 2007. Propos recueillis par Julie Rieg.

Quels sont les objectifs visés par votre offre optymo ?Notre projet est avant tout économique et social. Nous sou-haitons augmenter la capacité de déplacement de tous, et d’abord celle des populations les plus précaires souvent assignées à résidence. Pour faire face au déficit des trans-ports urbains, beaucoup de réseaux essayent d’augmenter leurs recettes. Nous avons pour notre part réfléchi aux moyens de dimi-nuer nos dépenses. Plutôt que de mettre en œuvre un tram-way qui coûte entre 20 et 25 millions d’euros du kilomètre pour le seul investissement et trois à quatre fois plus cher au km en fonctionnement, nous avons développé un réseau de bus de haute qualité en termes de confort et d’accessibi-lité, complété par des vélos et des voitures en libre-service pour proposer une solution globale de mobilité. Notre am-bition est de multiplier les taux de fréquentation de nos ré-seaux par 9 à l’échelle du pôle urbain (300 voyages par an et par voyageur contre 35 en 2006 selon l’Enquête Ménage Déplacement).Nous cherchons en même temps à diminuer le budget dépla-cement des habitants du département pour augmenter leur pouvoir d’achat. En proposant une offre de services de mo-bilité accessible en continu sur l’ensemble du pôle urbain, nous estimons qu’un ménage pourra réduire son budget au-tomobile de 2 000 à 2 500 euros par an. Nous faisons le pari que si le service est disponible sept jours sur sept, de qua-lité et pas cher, les habitants basculeront massivement vers l’usage quotidien des transports en commun, conformément aux objectifs du Grenelle Environnement.

en quoi votre offre de services est-elle innovante ?Nous avons opéré plusieurs ruptures par rapport aux ap-proches traditionnelles, à commencer par la fréquence de passage des bus que nous avons augmenté (entre cinq et dix minutes d’attente). Comme le bus ne circule pas de 23 h 00 à 5 h 30 et ne couvre pas les trajets en dehors du pôle urbain, nous avons complété le réseau avec une offre de 250 vélos et de 200 voitures en libre-service, à proxi-mité des habitations.Comme les abonnements multiples constituent un obstacle pratique, nous avons développé une offre triple play en post-paiement, le pass Optymo, qui permet d’emprunter les trois modes et d’être facturé mensuellement en fonction de sa consommation. Près de la moitié des habitants du départe-ment sont équipés de ce passeport de mobilité.

en quoi optymo peut s’inscrire dans les logiques de partage et de régie de données ?Le pass Optymo fournit une somme de statistiques et de données considérables concernant les habitudes de dépla-cement des individus. Ces données croisées avec d’autres jeux de données nous permettent d’envisager la création de services nouveaux et complémentaires, qui ont pour sup-port le transport mais le dépassent. Par exemple, on peut imaginer un partage de données avec les collectivités, les commerçants, les entreprises ou encore les industries, et le développement d’un service d’information voyageur sur téléphone mobile qui renseigne avant tout sur les activi-tés de la ville et indique dans un deuxième temps com-ment s’y rendre.Optymo démontre qu’une autre voie est possible en matière de mobilité et nous avons décidé de partager cette expérience avec d’autres collectivités à travers la création d’une société coopérative. Cette dernière a pour ambition d’accompagner les collectivités qui souhaitent adopter Optymo, et de s’ins-crire dans une logique de R&D afin de déployer le concept et l’améliorer en continu.

Sortir le numérique de l’ornière politiquePar DatactLe numérique reste la portion congrue des campagnes po-litiques, qu’elles soient locales ou nationales, il n’était cité dans leur programme que par 60 % des candidats aux mu-nicipales 2013 (14). Des ambitions numériques bien souvent sectorielles, cantonnées à des actions de déploiement de la fibre, d’actions d’e-administration, d’aide aux entreprises du numérique dans le meilleur des cas. L’open data n’était lui cité que par 24 candidats et seulement cinq villes publiaient leurs résultats en données ouvertes au lendemain des élec-tions. Une vision sectorielle du numérique qui ne répond plus aux grands enjeux, dans un contexte où la donnée numérique est devenue autant le carburant des nouveaux modèles éco-nomiques que l’huile de moteur qui optimise le travail dans

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les organisations publiques ou privées : une manne dont ne peuvent plus se passer les collectivités territoriales.

Un écosystème numérique déséquilibréLe groupement Datact a mené dès 2012 une étude du jeu des acteurs de l’écosystème des services basés sur les données. Une étude dont il ressortait que tous les acteurs sont liés, mais ne se situent pas sur le même plan dans ce « marché » des données numériques :

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Les influenceurs

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Les suiveurs

Influence

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• Influenceurs : les réseaux d’individus – des réseaux sociaux compris dans le sens d’un regroupement ponctuel ou régulier d’usagers, sur des plateformes web ou non – sont les acteurs les plus influents. Pourtant, seule une poignée de giga-en-trepreneurs a su transformer ces réseaux sociaux en plate-formes puissantes de services (Google), de commerces (Ama-zon), de musique (iTunes), de monnaie (Paypal), etc. Tous ont compris que la donnée participe à une construction so-ciale nouvelle, reposant sur une implication incontournable de contributeurs.• Suiveurs : les entreprises classiques, des grands groupes « pré-numériques » qui, constatant l’arrivée de nouveaux ac-teurs, restent encore en posture d’observation avant d’atta-quer le marché des services basés sur la donnée, au risque de se voir doubler. Bolloré n’avait pas de légitimité à lancer un service comme Autolib’, mais a trouvé là un levier de dé-veloppement pour son activité basé sur un système de ser-vice, dont les données partagées sont le modèle plutôt que la propriété (il s’est ainsi positionné en catalyseur).• Décideurs : Les acteurs publics, agissant de manière seg-mentée, sont « les plus dépendants » à ces nouveaux enjeux : ils édictent les lois et règlements, mais toujours avec un temps de retard sur un marché qui sait rapidement trouver des alternatives. Les collectivités territoriales restent dans une posture défensive ralentie par la légitime préoccupation

sur les questions de la protection des données personnelles, au risque de se laisser déborder.• Catalyseurs : les catalyseurs sont les acteurs ayant un lien fort avec les usagers d’une part, les acteurs territoriaux d’autre part. On trouve dans cette catégorie les délégataires de service public, les acteurs bancaires ou de l’immobilier, etc.

Ne pas laisser les grands projets aux géants du webLes grands acteurs – ceux qui ont su dès leur origine jouer avec la force des réseaux sociaux –, imposent une nouvelle forme de capitalisme, basée sur la rente des données, pro-fitant le plus souvent d’une carence des acteurs publics. Lorsque les musées se laissent tirer le portrait par le Google Cultural Institute plutôt que par les militants bénévoles de Wikipedia, ils renforcent un peu plus un modèle fermé et pro-priétaire au détriment d’une logique de promotion des biens communs et du domaine public.C’est donc bien d’un projet politique dont on parle, un projet structurant qui dépasse l’exploitation opportuniste des poli-tiques actuelles du numérique. Il ne s’agit pas pour la puis-sance publique de prendre seule le pouvoir sur la donnée, mais qu’elle investisse sérieusement cette question, dans une dynamique de co-régulation - en concertation avec les autres protagonistes de la donnée, qu’elle participe à défi-nir les règles, le sens et la valeur d’un système fondé sur la transparence, le partage et la responsabilité. Une seule condi-tion pour aborder un tel chantier : passer de logiques de po-litiques numériques à une logique de numérique politique.

Éric Molière : « Repenser ce qui fait « service public » mais aussi comment on le fait »Éric Molière, sociologue, directeur associé cabinet d’études et de conseil Plein Sens. Propos recueillis par Bruno Caillet.

crise économique, empowerment, défiance du politique... où en sommes-nous du service public ?Le service public local est face à des enjeux considérables pour les années qui viennent. Les collectivités territoriales vont devoir produire un service public avec toujours plus de qualité et moins de moyens. Il va également falloir com-battre l’abstention en prenant davantage en considération les usages et opinions des populations tout au long du mandat. Il est donc urgent d’innover dans la façon de rendre le service public local. La situation ne peut rester en l’état.

Qu’est ce qu’un tel mouvement provoque sur les conditions de production de services publics ?Chez de nombreux fonctionnaires territoriaux, cela pro-voque de la tension, parfois du stress, une perte de sens, le sentiment que le service public se délite peu à peu et que le pire reste à venir. À plusieurs égards, les conséquences de

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Régie de données territoriales

cet état d’esprit peuvent s’avérer alarmantes. Beaucoup s’in-terrogent sur l’avenir du service public et sur leur propre avenir, mais de manière assez théorique et irrationnelle en réalité. Il n’y a pas un esprit de refondation à partir des be-soins du territoire, de la population ou encore des entre-prises. Cette dynamique est peu portée par les élus, les syn-dicats et trop peu encore par le management public local. Du coup, c’est l’attentisme et la crainte qui parfois prennent le dessus. On bat en retraite !En réalité les collectivités ont été et sont encore beaucoup aujourd’hui gestionnaires et plutôt bonnes d’ailleurs. Les concours et les recrutements des cadres favorisent ces com-pétences. Sans dire que la bonne gestion est l’ennemie de l’innovation, il reste que si la culture gestionnaire fait partie de la « culture territoriale », on ne peut pas dire en dire au-tant de l’innovation.

Dans ce cadre, comment faire évoluer les cultures et les manières de faire service public ?En panachant davantage les profils des encadrants et en don-nant plus de place aux capacités d’innovation et de créativité ! En formant les élus et le top management à des méthodes nouvelles pour construire des stratégies adaptées au contexte à venir. Mais plus encore, il faut se demander comment ré-pondre aux besoins du territoire et développer, a minima une culture du résultat, de la concertation, de la co-construction avec les parties prenantes du territoire et notamment avec les usagers. Il faut sortir d’un service public local descendant qui offre un service qui n’est rien d’autre qu’une application gestionnaire des obligations légales, lesquelles ne permettent pas – au passage – de faire face aux besoins des populations sur certains territoires.Plus que jamais, il faut réussir à définir et à piloter des stra-tégies locales multi-partenariales seules capables d’assurer de réelles dynamiques. Cela n’est pas rien de dire cela. Cela conduit à repenser ce qui fait « service public » mais aussi comment on le fait ? Avec qui ? En direction de qui ? Et avec quels objectifs ? Quelle vision ?

C’est dans cette dynamique que l’on saura produire des ser-vices nouveaux, donc de nouvelles ressources pour proté-ger et développer les services publics. Une telle approche se jouera dans une clarification des responsabilités des acteurs et des modes de gouvernance au niveau local. À l’heure ac-tuelle, c’est probablement l’échelle métropolitaine ou l’inter-communalité « investie » (et non de convenance) qui semble l’échelle la plus apte à relever de tels défis parce que c’est à cette échelle que l’on pense le mieux les questions de l’at-tractivité du territoire en interconnexion avec les autres mé-tropoles et autour d’une économie de la connaissance. C’est cet espace qui aujourd’hui oblige à dépasser les cadres tra-ditionnels et purement légaux du service public.

Dans une telle dynamique, quel rôle jouera l’ouverture des données publiques ?D’abord la question de l’open data n’est pas une question qui parle aux collectivités territoriales. Ce questionnement est tout juste émergeant. Les élus locaux et les cadres territo-riaux ne se rendent pas encore compte en quoi « la donnée » peut faire évoluer le service public. Pourtant, la donnée, c’est une meilleure compréhension des usages des habitants d’un territoire et donc possiblement un service public plus adapté à ces derniers mais c’est aussi une mine pour déployer de nouveaux services, publics ou non. Donc c’est une mine de développement d’activités sur un territoire. Concrètement cela produit de l’emploi !Quoi qu’il en soit, l’open data va s’imposer dans la Fonction publique territoriale avec le temps aussi assurément que les smartphones se sont imposés peu à peu dans notre vie. Le mouvement le plus compliqué ne sera pas celui de l’open data mais celui de la conduite d’un changement global qu’une telle approche permet. Les organisations territoriales vont devoir bouger et cela ne sera pas facile. C’est une des conditions du renouvellement de notre modèle démocratique et du déve-loppement de notre service public local.

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L’innovation territoriale dans la société des données nécessite de passer par des processus de coopéra-tion et des relations « horizontales », par la consti-

tution de tiers de confiance et la prise en compte des externalités positives dans le processus décisionnel.

Des idées aux actions, l’innovation par la coopérationPar Bruno Caillet, Le hub agenceInnover serait la seule solution pour faire monter en gamme nos produits, trouver de nouveaux leviers de compétitivité et vaincre le chômage. Depuis la stratégie de Lisbonne, peu de débats sur cette question, même si dès 2004, le commis-saire européen Wim Kok envisageait les difficultés d’un tel projet. Proposant un ensemble de mesures concrètes – cer-taines étant aujourd’hui effectives – son rapport insistait peu sur un écosystème et une culture de l’innovation.

La coopération pour l’émulationLes innovations liées notamment à des services numériques ont comme points communs d’être complexes, éco-systé-miques et risquées. Production de données, appropriation, concurrence, relais d’audience : mille facteurs d’échec pos-sible d’une innovation que peu d’éléments peuvent sécuriser en amont. Dans ce cadre, il semble que la coopération permet non seulement le partage des risques, mais motive une ému-lation et une mise en perspective, seule capable de mettre en critique chaque projet, de l’enrichir pour trouver l’organisa-tion idéale, nécessaire au succès d’une proposition. La coo-pération accompagne une culture de l’innovation.Une telle dynamique, pour faire sens, s’inscrit probablement dans une relation acteur public/acteur privé, comme 50 % d’entre elles. Sur le papier, une telle approche est motivante, mais la différence de culture, d’organisation, de méthode et de droit notamment sont autant de conditions d’un échec. Au-delà de l’idée, l’innovation par la coopération suppose une approche de gouvernance radicalement nouvelle, une remise en question de chaque partie prenante, une prise de conscience éclairée et objective du jeu des acteurs, des terri-toires propices à de tels déploiements. C’est dans un tel cadre qu’émerge avant 2010 le concept de living lab, consistant à regrouper des acteurs publics, privés, des entreprises, des associations, des acteurs individuels, dans l’objectif de tes-ter « grandeur nature » des services, des outils ou des usages nouveaux. En sortant la recherche des laboratoires, une telle forme d’innovation ouverte vise à accélérer les processus d’innovation et à impliquer les utilisateurs dès la concep-tion. Si ce type de tel programme fait sens sur le papier, les territoires peinent à faire émerger de telles solutions, privi-

légiant des formes de clusters, probablement plus simples à mettre en œuvre mais fermés sur eux-mêmes.

Pour un service territorial de la donnéeDans le cadre d’innovations reposant pour une part impor-tante sur des données, appuyer ces dynamiques sur un éco-système digital capable d’accompagner les idées, les proto-types et les produits jusqu’à leur mise sur le marché pourrait faire sens. Un service territorial de données fédérées et nor-malisées de chercheurs, d’usagers, d’entreprises fédérées sur un même territoire, des réseaux d’acteurs connus, im-pliqués et déjà liés pourraient fournir la logistique néces-saire au déploiement d’une culture de l’innovation. Si les pratiques de formation, de défiscalisation font sens dans de telles démarches de développement territorial, ces pra-tiques ne seront jamais suffisamment différenciantes pour produire des territoires attractifs. Un territoire intelligent, nous le savons maintenant, ne peut reposer sur une gestion algorithmique, c’est un territoire vivant, travaillant pas à pas, jour après jour, donnée après donnée à produire du lien que seule une logistique de flux peut mettre en œuvre. Une telle approche est un enjeu social et économique, c’est un enjeu culturel majeur.

Du stock au flux, privilégier la valeur du systèmePar Bruno Caillet, Le hub agenceLa civilisation numérique a ceci de nouveau et de profondé-ment déstabilisant que l’on passe d’une ère transactionnelle à une ère relationnelle, d’une approche linéaire du monde à quelque chose de plus systémique. Penser une action en termes de résultat dans le cadre des procédés d’innovation de service est se condamner à un échec probable.

Sortir des logiques purement transactionnellesA la croissance des trente glorieuses succède trois décen-nies de faible croissance, en partie due au pillage des res-sources naturelles sur lequel s’est appuyée cette même ré-volution économique. Il est désormais impossible d’ignorer le mouvement, la rétroaction des systèmes et la traîne d’ef-fets d’externalités que suppose toute action. Le battement de l’aile du papillon au fond de la forêt amazonienne a bien ici des effets sur notre climat. Nous le mesurons.Les effets des crises financières, sociales, alimentaires, en-vironnementales sont impossibles à projeter, aucun modèle ne mesure leur interaction. Tout engagement dans un pro-cessus d’innovation qui traite d’interactions citoyennes, de territoires et de systèmes ne peut être pensé de façon tran-sactionnelle : j’investis X, j’en attends Y. Bien souvent, les ta-

III . Vers des modèles de régies basées sur le partage de données

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Régie de données territoriales

Le groupement Datact travaille depuis 2011 à la modéli-sation d’une Régie de données afin de faire qu’une éco-nomie de la donnée soit viable pour tous les acteurs par-ties prenantes de la production de services territoriaux.Partis de la constatation qu’à elles seules, les données publiques ne peuvent faire émerger des nouveaux ser-vices, le groupement Datact a très tôt travaillé à « dépas-ser l’open data » pour étudier les conditions d’acceptabilité du partage de la donnée pour les grands groupes privés, les PME/TPE et les individus, pour qu’émergent d’autres modèles économiques et de nouveaux moyens de déve-loppement territorial.

La Régie de donnée agit comme une organisation « tiers de confiance » - dont le statut juridique reste à définir - et comme une plateforme technique de partage, de trai-tement et de croisement des données. Le partage en soit n’étant pas un réel moteur pour la plupart des acteurs, la première fonction d’un tel système sera, pour chacun de normaliser ses propres données et de les configurer pour

une possible interopérabilité. Un système grâce auquel les producteurs de données trouveront des débouchés. À la manière des banques, qui ont conçu une « chambre de compensation » des mouvements inter-bancaires afin de solder les transferts d’argent, la Régie se portera garant des échanges et des transferts de données pour garantir à chacun des acteurs l’équilibre général des transactions.Les entreprises trouveront avec la Régie un moyen de for-muler des marchés et des modèles inédits et modèles éco-nomiques ; les collectivités territoriales trouveront là un outil pour accompagner l’innovation, tout en maîtrisant les externalités produites par les démarches d’open data ; les usagers accéderont à des services optimisés et per-sonnalisés tout en ayant la garantie d’un usage éthique et sécurisé de leurs données personnelles.

La Régie de donnée apparaît, dans le contexte de la ville numérique, comme un système respectant l’équilibre des acteurs, véritable levier pour le développement territorial.

Régie de données : un moyen de dépasser l’open data

Chambre de compensation

Homogénéiser Croisements de données

API

Fournisseurs de donnéesPublic / Privé / Individus

Services

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Service & API à usage interneFlux de données enrichis

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Régie de données DatAct

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bleurs Excel indiqueront une perte ou un retour sur inves-tissement nul. Les powerpoint oublieront de souligner les possibles interactions que généreront des solutions inno-vantes et condamneront le projet dès son origine.

Mesurer les externalitésPenser une société connectée, c’est intégrer un calcul des effets d’externalité, c’est accepter une méthode agile qui se conduit en fonction de mesures de résultats objectives et ouvertes, qui se réévaluent. Il faut considérer ces innova-tions non comme solutions en soit, mais comme parties pre-nantes d’un système qu’il s’agit de comprendre et d’éclairer en permanence.Les externalités propres aux politiques d’innovation corres-

pondent notamment à des dimensions immatérielles : répu-tation, bien vivre, amélioration de la santé, pacification des relations,… à considérer au premier rang des projets de poli-tique de développement. Une société du flux et de l’interac-tion, qui génère d’abord de la transversalité, est une société de l’externalité. Sans outils de mesure, sans culture même de la question, on sait estimer une externalité négative, dif-ficilement une externalité positive, considérée comme al-lant de soi. Comment dans cette optique penser et accepter le risque du développement d’une politique reposant princi-palement sur des tenants immatériels ? Dans cette équation, plus l’usager sera présent, plus il par-ticipera à achever et à abonder les systèmes de manière po-sitive. Seule la capacité à générer une multiplicité d’interac-tions permet la compréhension des besoins émergents dans la société. L’économiste Yann Moulier Boutang démontre qu’un calcul permis grâce à l’intégration des externalités ra-menées dans la sphère du marché a des effets certes intéres-sants mais insuffisants car nombre d’éléments impactés ne seront jamais monétisables. Dans cette optique, il appelle à une réflexion plus systémique, s’inspirant des logiques ap-prises du développement durable, ou l’immatériel et l’étude des systèmes est au cœur des process. D’une certaine ma-nière, sur une base durable et systémique, la ville numérique, constituée de flux connectés et d’interactions temps réel est un écosystème, éprouvette d’un monde que l’on peut main-tenant reconstruire.

Yann Moulier Boutang : « De nouveaux modèles de conception et de production sont déjà opérationnels »Yann Moulier Boutang enseigne l’économie politique à l’Université de Technologie de Compiègne. Il codirige la revue Multitudes et a écrit notamment L’abeille et l’économiste (Carnets Nord, 2010). Extrait d’un entretien publié sur le site Datact.fr

Voit-on poindre de nouvelles formes de modèles économiques dans le champ de l’innovation numérique sur les territoires ? La réponse est catégoriquement oui. De nouveaux modèles de conception, de production et pas simplement de distribu-tion, de commercialisation sont d’ores et déjà opérationnels. Quand j’ai parlé de « capitalisme cognitif » (2007, 2012) sup-plantant de façon décisive le capitalisme industriel, on m’a accusé d’extrapoler des tendances à peine esquissées. En fait j’étais déjà en retard dans ma description. Aujourd’hui on ne parle plus que des Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple) qui dominent allègrement la capitalisation boursière mondiale, loin devant l’économie matérielle, les sept sœurs pétrolières et même devant les déjà vieilles firmes de l’infor-matique (IBM, Microsoft, HP). Or qu’est-ce qui unit les Gafa ? Un nouveau modèle de création de richesse bien plus puis-sant que le précédent. Il s’agit de tirer partie pour la créa-

Prospective : un droit d’auteur de la donnée personnelleLa protection et la notion même de données person-nelles sont malmenées par les avancées technolo-giques, les traces numériques stockées dans les bases de données aux quatre coins du monde étant soumises à autant de législations différentes. L’UFC Que Choi-sir assignait le 25 mars 2013 les réseaux sociaux lea-ders (Facebook, Twitter, Google) pour clauses abusives permettant une utilisation « tentaculaire et infinie » des données personnelles, s’octroyant « toujours, sans l’accord particulier des utilisateurs, une licence mondiale, illimitée et sans rémunération, d’exploita-tion et de communication des données à des parte-naires économiques. » Le droit semble impuissant à ré-pondre en temps réel. Les usages devancent toujours la jurisprudence.En parallèle, on est toujours plus prompts à protéger le droit d’auteur, considéré par certains non plus comme un droit mais comme « une exigence fondamentale ». Les œuvres de l’esprit ont leurs défenseurs, ceux-ci ont la capacité de parler à l’oreille du législateur, qu’ils soient Universal ou la représentation des corps consti-tués dans la Hadopi. Des militants comme la Quadra-ture du net, pour qui « la vie privée est essentielle à la mise en œuvre d’autres droits fondamentaux, » ont semble-t-il plus de mal à se faire entendre.Pourquoi alors ne pas imaginer l’application à la don-née personnelle du même type de législation que celle qui régit le droit d’auteur ? Considérer ces traces non plus comme de simples marchandises, mais comme des œuvres de l’esprit, dont chaque producteur conser-verait le droit sur l’utilisation, lui offrirait un réel moyen de protection. L’exemple d’un Simon Lessig, qui a inventé en 2002 avec Creative Commons un moyen simple pour l’utilisateur de définir une licence appli-cable à ses textes, photos, vidéos sur le web, pourrait inspirer ceux qui réfléchissent aux moyens de réguler l’utilisation des données personnelles dans un cadre devenu complexe.

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Régie de données territoriales

tion de richesse économique, directement de la puissance productive de la multitude (voir l’ouvrage de Nicolas Colin et d’Henri Verdier qui a tiré les conséquences pratiques de ce que j’avais théorisé). Comment ? En capturant les externali-tés ne pouvant pas faire l’objet d’une évaluation comptable, liées à l’interaction du grand nombre sur ces plateformes gra-tuites outillées par des applications. Nicolas Colin, dans un texte récent, « L’éloge des designers », a montré que la figure du designer supplantait le vieux dé-bat qui se demande s’il faut accorder la priorité aux ingé-nieurs ou aux commerciaux, à l’offre ou la demande. La ré-ponse est ni à l’un, ni à l’autre. Il faut partir de la multitude en action sur le cloud, utilisant les applications numériques pour découvrir les véritables variables de la complexité, le continent caché des externalités positives, en particulier en matière d’innovation. Si l’on ajoute que cette forme d’activité nouvelle mêlant par-tenariat public et firmes privées (l’open data) se double dé-sormais d’un véritable modèle productif avec les fablabs et le mouvement des makers qui décentralisent le vieux mo-dèle manufacturier en imprimant des pièces détachées, puis de véritables objets (y compris des maisons de 200 m2 impri-mées sur imprimantes 3D pour quelques milliers d’euros) on mesure la révolution productive et industrielle qui s’annonce. Naturellement cet extraordinaire bouleversement soulève des défis sans précédent pour les institutions et l’accompa-gnement législatif par des politiques publiques. Par exemple les partenariats public/privés ne sauraient se régler par la fourniture gratuite par la sphère publique de big data ano-nymisés (ce qui a forcément un coût) qui permettent un business model pour le secteur privé fournissant des ser-vices payants aux consommateurs. Ces derniers payant par ailleurs de leur poche par des impôts la mise à disposition gracieuse des données sur la pollinisation des multitudes. Il doit exister des contreparties de la part des entreprises : • tout d’abord une contrepartie assurée de façon vigilante par la puissance publique concernant le respect de la vie privée, l’opting in systématique plutôt que l’opting out ; à sa-voir que l’utilisation des cookies, des données personnelles doivent être subordonnées à l’accord explicite du citoyen et usager du numérique et pas être la règle. Le citoyen ne doit pas avoir à opter pour la liberté, le respect à la vie privée. Il doit se voir garantir ce socle et pouvoir éventuellement en échange d’avantages clairement indiqués entrer dans un éco-système contributif. • Le travail de pollinisation productive des individus en so-ciété doit recevoir une reconnaissance sociale et se trouver au fondement des politiques sociales assurant un revenu qui répartit une partie de la richesse nouvelle produite par la so-ciété numérique.

• La puissance publique dans le partenariat avec les entre-prises ne peut plus se contenter du vieux pacte « industriel » Saint-Simonien selon lequel elle fournissait les biens publics financés par une taxe sur le capital et les profits. Dans une économie de l’apprentissage, de la connaissance et de l’in-novation, la qualité de l’interaction de la multitude devient le facteur productif essentiel car elle est le seul moyen de mo-biliser le continent des externalités et les immatériels de de-gré 2 qui sont infiniment plus « civilisés » que les biens ma-tériels et que les immatériels codifiables. Ce qui doit être financé ce ne sont plus seulement les biens publics (dont les biens connaissances), c’est le système vivant de la culture, l’écosystème productif dans son ensemble. Car la production de marchandises pour le marché ne peut plus se faire désor-mais sans la mobilisation innovante permanente de la mul-titude. Cela avait déjà été le cas dans le capitalisme indus-triel dans ce qu’il avait de plus productif, mais la révolution numérique a fait basculer cet apport marginal séquent à un rôle hégémonique. J’ai attiré l’attention sur les illusions de l’open source qui fait l’impasse sur la reproduction des exter-nalités positives qu’il faut produire, sauvegarder, étendre et que l’on appelle aussi les nouveaux « bien communs ». C’est la même erreur qui a été commise à l’aube du premier ca-pitalisme, le mercantilisme, avec le principe de la terra nul-lius. Les anciennes « terres communes » des communautés traditionnelles, des aborigènes amérindiens ou des bushmen, pouvaient être consommées gratuitement comme des exter-nalités positives sans être reproduites, conservées. Dans la nouvelle grande boucle de l’économie circulaire, de nouveaux dispositifs législatifs et réglementaires doivent être explorés et mis en œuvre.• Dans l’invention de dispositifs innovants à la hauteur de la mise en valeur du continent des externalités, afin que cette dernière ne se résume pas au saccage par les dispositifs nu-mériques de richesses culturelles de la noosphère équiva-lente à la biodiversité de la biosphère terrestre, la démarche procédurale la plus adéquate doit répliquer le modèle écono-mique des réseaux sociaux dans le monde de la cyber-dé-mocratie. Il ne faut pas partir de la « demande du peuple » avec ses commerciaux et de « l’offre du système représenta-tif » avec ses ingénieurs, mais des designers d’applications qui permettent de révéler les nouvelles variables de la com-plexité de la multitude, de la radicalisation de la démocra-tie. C’est ce que Julia Taddei appelle le modèle démos et que nous essayons d’expérimenter sur les problèmes de la ville complexe et durable à Shanghai actuellement.

-> Intégralité de l’entretien à lire sur le site www.datact.fr

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Jérôme Giusti : « Produire une relation horizontale, bottom up, propice à l’innovation »Jérôme Giusti, avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies, 11.100.34. Avocats associés. Propos recueillis par Bruno Caillet.

Le récent rapport de tariq Krim « Les développeurs, un atout pour la France » et nombre d’analyses questionnent une inadaptation des marchés publics aux conditions de coproductions de services innovants. À quoi attribuez-vous cela ?Je conseille plusieurs sociétés innovantes qui expéri-mentent avec des acteurs publics et à l’évidence, le cadre contractuel privé/public est inadapté. L’article 35 du code des marchés publics prévoit que les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer des marchés négociés, sans le recours à la procédure des appels d’offres, pour tenter des expérimen-tations. C’est le cas des marchés expérimentaux des pro-duits fabriqués qui ne sont soumis à aucune règle de publi-cité et de mise en concurrence. C’est aussi le cas pour les marchés expérimentaux de travaux et de services mais à la condition, pour ces derniers, que la prestation à réaliser ne puisse pas être établie préalablement avec une précision suffisante pour permettre le recours à l’appel d’offres. Tou-tefois, si les marchés de services peuvent être négociés, ils n’en restent pas moins soumis à des règles de publicité pré-alable et de mise en concurrence. Or ces règles ne sont pas toujours respectées. Mes clients les méconnaissent et les ac-teurs publics me semblent vouloir les ignorer. Autrement, me dit-on, « rien ne pourrait se faire » La cotte est donc à l’évidence mal taillée. L’expérimentation est par ailleurs ad-mise à la condition que les parties ne poursuivent pas de fi-nalité commerciale immédiate ou d’objectif de rentabilité. Ce n’est pas l’objectif d’une start-up. Les acteurs publics sont aussi souvent dans la recherche d’un modèle économique. Et puis que faut-il entendre par une expérimentation ? Pen-dant combien de temps une expérimentation était-elle cen-sée durer ? Peut-elle être renouvelée ? Signifie-t-elle que le service est forcément gratuit ? Ces questions sont généra-lement sans réponse. Cette inadaptation du cadre contrac-tuel rend la gestion des conflits compliquée. Nous vivons un choc des cultures : l’innovation suppose une démarche ité-rative, ce qui n’est souvent pas compris par la personne pu-blique qui vit son partenaire plutôt comme un prestataire de services « finis ». Le rapport contractuel n’est pas égali-taire. La culture de la commande publique, les clauses exor-bitantes du droit commun et les règles des marchés publics enferment la personne publique dans une posture qui ne lui sied plus et dont elle est souvent elle-même la première à se plaindre. Il faut donc sortir de l’approche régalienne. Impli-qués dans le développement économique, les acteurs publics doivent renouer avec le consensualisme. Surtout quand leur

partenaire est un digital native… Face à cette contre-culture, collaborative et en bêta-test permanent, notre code des mar-chés publics est bien désuet. Il faut produire une relation ho-rizontale, bottom up, propice à l’innovation, dans une rela-tion qui reste fondamentalement top down.

Quelles seraient les solutions face à de tels cas de figure ?Ne pas hésiter à utiliser les textes. Par exemple, les concours permettent aux acteurs publics d’échapper à la publicité préalable et la mise en concurrence. Dans ce cas, la personne publique négocie librement avec le lau-réat du concours. Mais tout ne se prête pas à un concours qui d’ailleurs, implique intrinsèquement, du moins en ap-parence, une mise en concurrence. Autre exception prévue par l’article 35 : le pouvoir adjudicateur est libre de négo-cier lorsque l’opérateur économique dispose d’une spécifi-cité technique ou d’une exclusivité telle qu’il est seul sur son marché. Cette exception a toujours été interprétée res-trictivement. Il faut pouvoir l’élargir. C’est évidemment le cas du titulaire d’un brevet qui ne souffre aucun concurrent mais pourquoi ne pas envisager qu’une société innovante, même si elle ne détient pas de brevet mais une innovation « originale », ne puisse pas répondre seule à la demande, ce qui suppose que l’on admette que l’innovation de services est une innovation comme une autre ! La deuxième solution est bien sûr de réformer le code des marchés publics. C’est un chantier ambitieux mais il me semble que les pouvoirs publics sont aujourd’hui prêts à l’entendre. On ne compte plus les incubateurs et accélérateurs de start-up, privés ou publics, auxquels sont associés des acteurs publics. Troi-sième solution, créer des agences régionales véritablement indépendantes de la personne publique, aptes à signer des expérimentations avec des opérateurs privés. Elles comp-teraient majoritairement en leur sein des entrepreneurs. Nous inventerions ainsi une nouvelle gouvernance privé-public. Quatrième solution, qui peut être entreprise immé-diatement avec tous les acteurs concernés, c’est imaginer une approche dite de « soft law », en édictant ensemble des règles non contraignantes auquel les acteurs privés et pu-blics pourraient souscrire volontairement. Et pourquoi pas un modèle de contrat de type expérimental ?

Pas de confiance sans tiers de confiancePar Bruno Marzloff, ChronosLes partages plongent au cœur de la confiance. L’opérateur de covoiturage Blablacar fait la démonstration que la confiance est le moteur essentiel du succès de sa place de marché. Sans implication des usagers, pas de confiance ; donc pas de don-nées, pas d’échanges, pas de mise en relation ; donc pas de services et pas de marché. La transaction à distance en ap-pelle à des « accords » transparents qui ne peuvent être ga-rantis que par des tiers. S’agissant plus largement de tous les services issus de la donnée, la loi et l’État sont concer-

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Régie de données territoriales

nés. Mais ils ne pourront seuls assurer cette gouvernance. Celle-ci se jouera dans une forme nouvelle, elle-même fondée sur le partage, dans une logique de multi-partenariat (multi stakeholders). La reconnaissance du jeu d’acteurs et sa mise en œuvre sont subtiles, mais incontournables pour définir les tiers de confiance.

Construire les conditions de sécurisationQuatre éléments plaident pour la définition de tiers de confiance robustes dans le contexte data/services.• La vulnérabilité de la donnée circulante et son illusoire

anonymisation.• La massification de la consommation collaborative appelle

forcément un tiers entre les pairs qui échangent des biens et services.

• Les producteurs de services en appellent à une garantie de pérennité de l’abondement de données.

• La structuration des données, leur normalisation, leur croi-sement, leur valorisation doivent être assurés.

Une récente enquête d’Orange souligne l’effondrement de la confiance que l’usager accorde aux plateformes. Pour un meilleur et un pire encore mal évalué, on peut savoir tout de chacun. L’anonymat n’est plus une option et sa garantie technologique est vaine. Face à l’intégration de données in-dividuelles, quelles sont les conditions possibles de sécurisa-tion concernant l’usage par des tiers ? Prism a fait éclater la bulle de confiance. Tout est à reconstruire. Cette révélation est une bonne chose, car l’exercice de lucidité est acquis pour se prémunir contre les légitimes résistances des usagers et l’assèchement de leurs données. C’est une chance pour pen-ser d’autres bases et d’autres modalités que celles des pla-teformes globales de services qui bafouent cette confiance. Un tiers s’impose.

Conserver la souveraineté individuelle de la donnéeLes mécanismes d’abondement de la donnée sont également tributaires de la confiance, condition nécessaire de la qualité et de la pertinence des services. Ceci a conduit le gouverne-ment britannique à lancer le programme Mydata, répliqué en France par le programme MesInfos. Ces démarches ont pour postulat la souveraineté individuelle de la donnée. Dès lors, la garantie de l’abondement de la donnée des consom-mateurs et usagers passe par un mécanisme de rétroaction (gratifier l’usager qui accepte d’abonder sa donnée), lui-même cautionné par un tiers.À l’identique, la structuration de ces données, leur normalisa-tion, leur croisement, leur valorisation doivent être garantis. L’enjeu de la confiance dans cet univers dématérialisé s’étend donc mécaniquement au traitement de la chaîne de données dans la filière de la coproduction des services. Les partenaires qui participent de ces dispositifs n’ont pas seulement besoin de se voir assurer la pérennité des flux de données constitu-tives des services, mais du monitoring de leur pertinence. Ils ont également besoin de se voir affirmer les équilibres des flux

économiques liés à ces échanges. Voilà pourquoi la notion de tiers de confiance est cruciale. Voilà pourquoi il faut en établir les principes et en définir la gouvernance. C’est une des mis-sions du projet de Régie de données portée par Datact

Plaine-Commune - Ile-de-France : territoire d’expérimentation de la régie de donnéesLa saison 3 de Datact s’est donnée pour ambition la rédaction d’un cahier des charges fonctionnel de la Régie de données. En janvier 2014, les membres du groupement Datact choisis-saient pour cette expérimentation le dossier présenté par la Région Ile-de-France et Plaine Commune (communauté d’ag-glomération située en Seine-Saint-Denis, au nord de Paris, rassemblant les villes de Saint-Denis, Aubervilliers, La Cour-neuve, Épinay-sur-Seine, L’Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Ouen, Stains, Villetaneuse).

Connecter les acteurs territoriaux par la donnéeL’objectif : enclencher une dynamique d’attractivité et déve-lopper les services sur un territoire accueillant les sièges de grandes entreprises. Plaine-Commune est par ailleurs un territoire urbain en pleine mutation, confronté à des ques-tions de forte circulation automobile, de congestion des trans-ports publics, à des phénomènes (réels et supposés) d’insé-curité, à la cohabitation de salariés non-résidents avec des résidents non-salariés.Le cas particulier de Plaine Commune réunit toutes les condi-tions : la présence de grands groupes privés (dont la SNCF, Bosch, PSA ou SFR), un tissu important de TPE/PME, no-tamment représenté par l’association Plaine Coworking, une population touchée par le chômage, un territoire où le déve-loppement économique est une priorité, un fort tissu asso-ciatif, une offre culturelle pléthorique, des services publics à valoriser, etc. Le potentiel de ce territoire situé aux portes de Paris est indéniable, la connexion des acteurs par un sys-tème de régie de données pourra faire levier.

Rédiger un cahier des charges fonctionnelLes premiers besoins identifiés donnent des pistes dans le secteur des mobilités (par la rationalisation et l’optimisa-tion de services existants), le service à la personne (dans son statut de salarié et de résident), le développement de groupements d’achats locaux, de monnaies locales, le dé-veloppement de tiers-lieux en réponse à l’absentéisme des cadres, la co-création de systèmes de valorisations du ter-ritoire à l’international. Les axes de recherches sont nom-breux et seront explorés tout au long du premier semestre 2014, par une série d’ateliers, d’enquêtes de terrain et de tra-vaux plus techniques de modélisation d’un service de traite-ment de données. Les mécaniques devront être applicables à tout type de domaine et surtout de passer à l’échelle. Le cahier des charges fonctionnel fera référence pour les ac-

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teurs publics et privés qui souhaiteront dépasser l’open data et travailler à de nouvelles formes d’innovation, dans un mo-dèle de rupture proche de celui défendu récemment par Ta-riq Krim, entrepreneur, vice-Président du Conseil National du Numérique, qui appelle dans un rapport remis à Fleur Pellerin en mars 2014 (16), à la nécessaire valorisation de « la capacité de créer de la valeur par le produit ou par de l’au-dience, la capacité de construire des modèles de croissance naturels (growth hacking). »

Concevoir un modèle réplicableLes parties prenantes trouveront avec le déploiement de cette Régie un tiers de confiance qui agira sur le traitement de leurs propres données, pour en améliorer la qualité et fa-voriser leur interopérabilité, générateur de flux de données remises à jour périodiquement, doté de « robinets » de sorties

sous formes d’API auquel les entrepreneurs pourront venir se brancher pour utiliser les données pour améliorer un ser-vice existant ou en créer de nouveau. La Région Ile-de-France intervient dans ce dossier en étroite collaboration avec Plaine Commune, pour que ce laboratoire d’expérimentation soit un modèle réplicable dans plusieurs territoires. Le choix d’une colonne institutionnelle partant de la ville vers la Région, passant par la communauté d’agglo-mération et le département, doit permettre de déterminer quel niveau de l’échelle territoriale est le bon pour développer ce type de modèle d’innovation par le partage de la donnée. Il n’y a probablement pas d’échelle idéale, mais un ensemble de connexions, quartiers, agglomération, départements… in-teropérables, selon les cas. La Région Ile-de-France répon-drait ainsi à la sempiternelle question : quelle est l’échelle idéale pour penser le développement territorial ?

Notes

1) Source : opendata-map.org, projet en ligne de l’association nantaise Libertic ayant « pour vocation d’identifier les projets de collectivités pu-bliques, en cours ou déjà réalisés, de mise à disposition de données publiques transversales ».

2) Bulb in Town est un système français de financement participatif local dé-dié aux petits commerces et associations de proximité, bulbintown.com

3) La notion de fab lab désigne un lieu ouvert à tous où il est mis à disposition du public toutes sortes d’outils pour la conception et la réalisation d’objets, no-tamment des machines-outils pilotées par ordinateur (source : Wikipedia.fr).

4) Cécile Crouzel, 2013. « L’e-administration a encore des progrès à faire », Le Figaro [en ligne], 28 mai 2013. http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/05/28/20002-20130528ART-FIG00420-l-e-administration-a-encore-des-progres-a-faire.php

5) Sylvain Henry, 2014, Fleur Pellerin : « L’État peut réaliser d’importantes économies grâce au numérique », Acteurs publics [en ligne], 5 mars 2014.

6) Nicolas Colin, « Numérique et administration : l’effondrement des cathédrales », colin-verdier.com, mars 2014. http://colin-verdier.com/numerique-dans-l-administration-l-effondrement-des-cathedrales/

7) Renaissance numérique, si 60 % des candidats parlent de numérique, la compréhension des outils reste faible, mars 2014 [en ligne] http://www.renaissancenumerique.org/fr/presse/communique-de-presse/608-observatoire-numerique-des-campagnes-municipales-si-60-des-candidats-parlent-de-numerique-la-comprehension-des-outils-reste-faible

8) Lire les articles sur http://www.newcitiesfoundation.org, onglet event - cities-on-the-move/. Anthony Townsend est l’auteur de « Smart City. Big data, civic hackers, and the quest for new utopia ».

9) Baisse en un an de 66 % à 20 %. Orange a livré en février 2014 une étude du cabinet Loudhouse.

10) Pierre Bellanger, « La souveraineté numérique », Stock, 2014.

11) Jaron Lanier, « Who owns the Futur ? », Allen Lane, 2013.

12) Marcel Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les so-ciétés archaïques », L’année sociologique, 1923-1924.

13) Mumsnet.com

14) Etude de l’Observatoire numérique des campagnes, coordonnée par le think tank Renaissance numérique, février 2013.

15) Yann Moulier Boutang, « L’abeille et l’économiste », Edition Carnets Nord, Paris 2010.

16) Le capitalisme cognitif est une forme nouvelle de capitalisme, dans la-quelle la production de connaissances et, plus généralement, « la produc-tion de l’homme par l’homme » jouent le rôle principal, alors que, dans le fordisme, prédominaient la spécialisation des tâches, la recherche d’écono-mies d’échelle et l’investissement matériel. A lire : « Le capitalisme cognitif », Multitudes n° 32, éd. Amsterdam, printemps 2008.

17) Le cartel des sept sœurs, un regroupement de compagnies pétrolières américaines et néerlandaises – Standard Oil of New Jersey (Esso), Anglo-Persian Oil Company (BP), Royal Dutch Shell, Standard Oil of California (Chevron), Texaco, Standard Oil of New York (Exxon Mobil), Gulf Oil (absor-bée par Chevron) – qui s’accordaient sur le marché pétrolier jusqu’en 1959. Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cartel_des_sept_soeurs

18) Nicolas Colin et Henri Verdier, « L’âge de la multitude, entreprendre et gou-verner après la révolution numérique », Paris, Armand Colin, 2012.

19) FabLab ou Laboratoire de fabrication, des ateliers ouverts au public où il est mis à sa disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets.

20) Les Makers sont un mouvement de personnes utilisant les outils numé-riques pour créer – grâce à l’open source » de nouveaux produits et réaliser des prototypes. Certaines activités débouchent désormais sur de véritables entreprises, déjà présentes dans le tissu économique. Lire : Chris Anderson, Makers : « La nouvelle révolution industrielle », Pearson, 2012.

21) « Les développeurs, un atout pour la France », rapport de Tariq Krim, entre-preneur vice-président du Conseil national du numérique en charge des éco-systèmes et de l’International remis au ministère des Petites et moyennes en-treprises, de l’Innovation et de l’économie numérique.

Ce cahier ne peut être vendu séparément. Principal actionnaire : Groupe Moniteur Holding • société éditrice : Groupe Moniteur SAS au capital de 333 900 euros • rcs : Paris 403 080 823 • siège social : 17 rue d’Uzès, 75108 Paris Cedex 02 • Numéro de commission paritaire : 1008 T 83807 ISSN : 0769-3508 • Président/Directeur de la publication : Christophe Czajka • impression : Roto Champagne, rue des Frères Garnier, 52000 Chaumont • Dépôt légal : mai 2014

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