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Concevoir vert, construire vert et exploiter vert

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Michel Mooij, architecte et consultant en organisation et espaces de travail, hollandais, nous propose une réflexion sur la manière dont les modes de travail peuvent contribuer au développement durable.

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,....CONCEVOIR VERT STRATÉGIES I 27

Conception des espacesou création des usages ?CONCEVOIR VERT,CONSTRUIRE VERT ET Utiliser plus d'espace est-i!

bon ou mauvais ? Moins demètres carrés cela veut diremoins d'émissions de CO2

EX P L 0 IT E R V E RT ~u fait du chauff~ge, ai~si qu~ moins de déchets à lafin du cycle de Vle. MalS Ie raisonnement vaut-i! tou-jours pour un bätiment labellisé ou Ie CO2 est extraitet qui est totalement passif énergétiquement gräce à

I'utilisation de panneaux solaires ou d'éoliennes ? Ne doit-on pas plutotconsidérer qu'un bätiment aux volumes plus importants et plus spacieuxrend l'atrnosphère et Ie climat intérieur plus sain et plus stabIe ?Les bätiments sont responsables de plus de 35 % des émissions deCO2 et sont aussi de grands pourvoyeurs de déchets de toute sorte.Toutefois ce n'est pas leur présence mais bien leur exploitation quicontribue au réchauffement de la planète. Comment utilisons-nousces bätiments ? Quelles règles y déterminent notre comportement ?Une exploitation judicieuse peut en effet contribuer au développe-ment durable et au respect de I'environnement.Construire c'est transposer ses idées (ou celles des autres) dans laréalité. Construire est couteux, gourmand en matières premières eten général irréversible. Concevoir en revanche ne I'est pas, on n'uti-lise que du papier et un crayon ! Pour bi en construire il ne faut passeulement être habile à mettre en forme des idées, il faut aussi savoirécouter les utilisateurs et intégrer leurs demandes. Si on construit desbätiments c'est en vue de les exploiter. Et pour bien les exploiter ilconvient qu'un certain nombre de fonctions soient supportées. Maisles demandes d'ordre fonctionnel émanant des utilisateurs sont géné-ralement intégrées en aval, au cours du processus constructif, alorsqu'une analyse en amont aurait permis une évolution conceptuelledu bätiment. Dans d'autres cas I'analyse de ces retours d'expériencemontrera qu'il est préférable de modifier les règles d'exploitationplutot que de modifier physiquement Ie bätiment.Chaque phase du processus a son propre cycle de vie. Durantpresque un siècle c'est Ie concept {(standardisation des immeu-bie de bureaux» qui a été l'idéologie dominante. La durée devie du concept s'est révélée plus longue que celle des bätiments.Aujourd'hui par contre les concepts deviennent rapidement caducset les bätiments deviennent alors obsolètes. La période d'exploi-tation est devenue plus courte que la durée de vie de l'immeuble.La fonction ne peut donc plus être plus la référence absolue pourconcevoir un immeuble.

Michel Mooij, architecte et consultant enorganisation et espaces de travail, hollandais,nous propose une réflexion sur la manièredont les modes de travail peuvent contribuerau développement durable. Les partisansdes « nouveaux » modes de travail clamenthaut et fort que ces modes sont, par essencemême, « durables ». Leurs contradicteurssoulignent que ces modes de travailmultiplient les déplacements en voiture eten avion et que la consommation d' énergienécessaire à faire tourner les centresinformatiques génère de grosses émissionsde eo2. Peut-on vraiment travailler vertquand tout Ie monde est connecté ?Aftn de comprendre les interactionsentre toutes ces initiatives vertes dansl'environnement de travail, un nouveau cadrethéorique et méthodologique est nécessaire.

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Le premier pas vers le développementdurable pourrait donc être la recherched 'une meilleure synchronisation descycles de vie pour éviter la déconstructionde nombreux biitiments.

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conceptioncycle de vie desconcepts verts

exploitationcycle de vie de

l"exploitation verte

constructioncycle de vie desbatiments verts

Les trois phases du cycle : concevoirvert, construire vert, exploiter vert

Le premier pas vers Ie développement durable pourrait donc être larecherche d'une meilleure synchronisation des cycles de vie pouréviter la déconstruction de nombreux bätiments.

Concevoir vert. Notre société est de plus en plusconsciente qu'elle fait fausse route. Depuis que la planètea été photographiée de l'espace pour la première fois,l'image de la terre a bien changé.Ce qui semblait un monde sans fin est maintenant réduit à unepetite sphère, verte et vulnérable, perdue dans un univers illimité.L'expression {(vaisseau spatial Terre » venait d'apparaître quand,en 1972, fut publié Ie rapport du Club de Rome. Avec des modèlessophistiqués et I'aide d'un ordinateur, Ie rapport montrait, pour lapremière fois, que nos ressour-ces naturelles étaient limitées.En 1998, John Elkington publiaun papier intitulé « Le triplerésultat » (The Tripple BottomLine, People-Planet-Profit). IJ ypropose que l'on adjoigne à larecherche du bénéfice pure-ment financier (Profit) , celledu bien-être de l'humanité (People), et celle du respect des éco-systèmes terrestres (Planet) . Pendant des années, cette idéologieverte, portée par les partis de gauche et les mouvements protesta-taires, sera farouchement combattue par les entreprises, opposéesà toute législation sur la protection de l'environnement. Mais en2006 Ie film d'AI Gore, Une vérité qui dérange, change Ie rapport deforces. Les grandes entreprises commencent à faire alliance avec lesONG issues des mouvements écologistes. Non pas ces entreprisesaient basculé à gauche mais parce que la survie est perçue commel'affaire de tous.Le modèle économique {(produire et jeter» semble toucher à sa fin.On ne peut continuer à fabriquer toujours plus de nouveaux pro-duits, consommant toujours plus de matières premières et d'énergie(donc CO2), et générant toujours plus de rebuts mis en déchargesans recyclage. Une solution émerge en 2002, quand Ie chimisteMichael Braungart et l'architecte William McDonough publient leur

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livre « Du berceau au berceau» (Cradle to Cradle) dans lequel ilssuggèrent une toute autre orientation. Ils proposent de remplacerla solution écologiste d'alors (<< Accroître l'efficacité pour limiter lesdégäts) par un modèle révolutionnaire de production : « Produireplus, consommer plus, mais différemment ». Dès la conceptiondu produit on doit penser au-delà de la fabrication et de la com-mercialisation. Il faut aussi intégrer et optimiser la production, Ietransport et l'élaboration des matières premières, l'utilisation duproduit, puis sa récupération et son recyclage. IJ ne s'agit plus decréer un produit, mais de concevoir un système complet.

Construire vert. Les bätiments interagissent avec leurenvironnement et avec les écosystèmes dont ils font partie.S'ils sont bien intégrés dans ces systèmes dès leur concep-tion ils sont moins nocifs et peuvent même contribuerpositivement à l'amélioration de l'environnement.C'est pourquoi il faut construire vert. Et tous les acteurs de lachaine sont concernés à commencer bien sûr par les entreprises dubàtiment qui doivent « verdir » les opérations mêmes de construc-tion. Aux Pays-Bas, c'est Ie Conseil de la construction verte quidélivre depuis 2008 les certificats et labels de qualité environne-mentale aux bàtiments et aux quartiers. Son système d'audits etd'évaluations a été adapté des critères britanniques BREEAM.L'impact du comportement des utilisateurs sur l'environnementn'est pris en compte que partiellement par les audits de typeBREEAM.On considère la situation géographique du bàtiment eton calcule les conséquences théoriques sur les temps de trajet des

utilisateurs ; mais l'optimisationthéorique des déplacements estsans intérêt si les utilisateurs nechoisissent pas Ie bon moyen detransport. Si un site est bien des-servi par les transports en com-mun, il sera classé vert, mais cecine signifie aucunement que lesutilisateurs seront incités à utili-

ser ces transports publics. Un immeuble véritablement vert n'estdonc pas un objet isolé, mais bien au cceur d'un système completqui comprend aussi l'utilisateur.

Exploiter vert. L'exploitation durable couvre tout ce quine peut être imputé au bätiment lui-même. Par exem-ple les voyages en avion du personnel, la quantité depapier consommée par les procédures administrativesou les nombreux trajets domicile-travail quand Ie télé-travail ou Ie travail eh ez soi ne sont pas encouragés.En 1995, dans son livre « L'homme numérique» (Being digital), Ni-cholas Negroponte professait qu'il fallait préférer Ie transfert de bitsnumériques au transport d'atomes. De la sorte on économise énergieet argent, on augmente la flexibilité des systèmes et on raccourcitles temps de réponse. Le résultat est aujourd'hui visible aux Pays-Bas: quand c'est I'information qui fait voyager, c'est une nouvelle

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modification du batimentAménagement sur le principe

« La forme suit la fonction »

Transférer des bits outransporter des atomes,telle est la question.

modes de travail

manière de travailler qui apparaît. C'est ce que l'on appelle ici « LeNouveau Mode de Travail (N.M.T.)>>(Het Nieuwe Werken).Les premières innovations vinrent du constat que les bureauxétaient de plus en plus souvent inoccupés du fait de la dimi-nution du temps de travail et de l' augmentation constante dutemps partiel à partir des années 1980. Partager des postes detravail devint {(Ie » moyen de diminuer Ie coût des locaux parréduction du nombre de mètres carrés nécessaires. Gràce auxnouvelles technologies de communication,il devenait possible de travailIer, seul ouen groupe, n'importe ou n'importe quand.L'utilisation des logiciels de réseaux sociauxet des possibilités offertes par Ie Web 2.0changea progressivement la manière deconcevoir Ie travail. Part ager l'information,faire confiance à ceux qui font partie du même réseau, choisirde recevoir les données ou et quand on Ie souhaite. Autantde nouvelles modalités qui permettent de choisir ou, quandet comment travailler : quand envoyer un courriel ; quanddiscuter par messagerie instantanée ; quand prendre sa voiturepour aller à une réunion. Transférer des bits ou transporter desatomes, telle est la question.

modes de travail

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bàtiment

« Fonctions non définies, durée de vie allongée ».La plupart des entreprises considèrent comme normald'héberger tous leurs collaborateurs dans leurs locaux.C'est Ie role du facility manager d'analyser les modes de travail,d'identifier les relations fonctionnelles et de déterminer un dia-gramme des processus pour établir un cahier des charges avanttout aménagement. Ce système fonctionne gràce à l'expériencedu facility manager en matière de processus de travail et à une

certaine stabilité desdits processus.Mais ces méthodes de conception sont-ellesadaptées à la création d'environnements detravail durables ? Les processus de traitementde I'information sont numérisés et consom-ment donc de moins en moins d'espace etde temps. Si l'information est disponible à

tout moment et en tout lieu sur un réseau, alors I'endroit ou voustravaillez n'importe plus. Vous contactez vos collègues par Ie mêmeréseau et travaillez virtuellement avec eux.La dynamique du N.M.T. dépend dès lors du comportement descollaborateurs auxquels il est laissé l'entière liberté de choix dulieu et du moment appropriés à la réalisation des tàches, de mêmeque la détermination des interactions nécessaires.

Aménagement vert sur le principe« Fonctions non définies, durée de vie allongée »

bàtiment

Michel
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En termes d'aménagement, c'est la fin dufonctionnalisme. Ce n'est plus la fonetion de l'objetqui doit guider Ie concepteur mais bien son raleen ta nt que partie d'un ensemble plus large à cyclede vie long.On ne construira un bätiment tertiaire que s'il a un potentiel decontribution à son environnement immédiat. Les aménagementsintérieurs tireront alors Ie meilleur profit des particularités dela localisation et de la structure du bàtiment. Du coté Ie moinsbruyant on implantera les espaces de concentration, près desaccès on créera des zones de réunion et du coté ensoleillé onorganisera l'espace pour profiter de lumière naturelle. Ce n'estplus Ie bàtiment et ses équipements qui doivent s'adapter c'estIe comportement des utilisateurs qui doit évoluer (fonctions nondéfinies). Ainsi les performances du bàti-ment sont maximisées car l'utilisation dessurfaces, des matériaux et de l'énergie estoptimisée et l'empreinte au sol réduite.Cette approche, dite ad hoc, qui consisteà tirer profit de toutes les particularitésd'un environnement donné est caracté-ristique du N.M.T. Alors que Ie fonction-nalisme postule que l'environnement de travail doit dépendrede l'étude approfondie des fonctions à supporter, l'approchead hoc présuppose que c'est gràce à sa capacité créative quel'homme adapte son mode de travail à n'importe quel environ-nement. L'homme perçoit et exploite toutes les potentialités deson environnement. Et puisqu'il s'approprie l'environnementil en fait un usage respectueux.

Se déplacer vert. Vingt-deux pour cent des émissionsde CO2 générées par les espaces tertiaires sont duesaux déplacements des utilisateurs. C'est là une raisonsuffisante pour regarder de près co mme nt se fait Iechoix du moyen de transport.En général les gens se déplacent pour une des trois raisons sui-vantes : aller travailIer, communiquer et se rendre sur d'autressites (par exemple une visite de chantier pour un architecte). Lechoix dépend du motif du déplacement et de la distance à par-courir. Et la quantité de COzémis n'est pas Ie critère discriminantunique. La facilité d'accès est aussi prise en compte, ce qui expli-que pourquoi la voiture est souvent privilégiée. Mais la durée dutrajet est également importante et peut parfois rendre la voiturepénible. D'autant que les embouteillages sont des pertes de temps

et qu'on ne peut rien faire en voiture,sauf téléphoner. Alors que dans Ie trainon peut travailler. .. sauf s'il est bondé,évidemment !Tous ces éléments sont pris en comptepour organiser un déplacement. Mais ilfaut aussi retenir la possibilité de ne passe déplacer. Si tout Ie monde travaillait

chez soi un jour par semaine, la circulation serait réduite de 20% .Si ['on se déplace pour assister à une réunion, il peut être pertinentde remettre en cause la nécessité d'une rencontre physique. Nepourrait-on pas la remplacer par une conférence téléphonique ?Solution intéressante uniquement si la réunion téléphonique a étéprogrammée et qu'une durée suffisante pour épuiser I'ordre du joura été prévue. Si vous devez vous voir, vous pouvez organiser une

visioconférence ou une réunionen téléprésence.Quand il s'agit d'une visite sursite, I' analyse est différente.Faut-il y aller si régulièrement ?Quelques photos ne rendraient-elles pas les déplacements inuti-les ou moins fréquents d'ou uneréduction immédiate d'émissionde COz et des économies detemps et d'argent?Les déplacements entre sitessitués dans une même ville nesont pas nécessairement despertes de temps car ils repré-sentent une rupture bienvenuede la routine quotidienne. Lesvoyages au long cours ne doi-vent être autorisés qu'en casde besoin absolu. IJ faut alorschercher à minimiser les tempsde trajet et à compenser lesémissions de COz.

22 % des émissions de CO2générées par les espacestertiaires sont dues auxdéplacements des utilisateurs.

L.:homme sait percevoir et exploiter toutes les possibilitésde son environnement [Photo : Darren Baker/Fotolial

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Vous conviendrez que nombre de ces bonnes pratiques peuvent êtremises en ceuvre sans qu'il soit besoin d'entamer un cycle complet,conception, construction et exploitation vertes. N'attendez pas demettre en chantier une nouvelle construction pour agir et prendreles mesures pOUfverdir votre exploitation.

Trois suggestions pour Ie facility manager désireuxde passer à l'action sans tarder :l. S'engager dans la numérisation totale de tous les processus de trai-tement de l'information et inciter les gens à travailler sans papier2. Elaborer une politique incitative de déplacements et mettre enplace un vrai plan de transport comprenant des objectifs quantifiésde réduction des pertes de temps et des émissions de COz'3. Délaisser l'approche fonctionnelle des bàtiments (la forme suitla fonction) et adopter une approche durable (fonctions non dé-finies - durée de vie allongée) SUfIe principe « de la conceptiondes espaces à la création des usages ».

Michel Mooij - Texte traduit de L"anglais par F.Bronner et J.P. Fournier •

Ce n'est pas parce qu'il y des transports en communque les gens les utilisent IPhoto : Marc Rigaud/Fotolia)

A propos de l'auteurMichel Mooij est architecte diplomé de l'Université deDelft et de l'Académie d'Architecture de Groningen eta travaillé 8 ans dans l'architecture et l'urbanisme degrands projets. Fasciné par l'analogie entre la conceptionde batiments et l'architecture informatique, il deviendraconsultant-analyste en systèmes d'information chezCap Gemini. Lalliance de ces deux compétences lui feraintégrer par la suite le cabinet de conseil en organisationTwijnstra Gudde, ou il déploiera ses talents à guider lesentreprises dans leur passage aux nouveaux systèmesd'information, modes de travail et stratégies spatiales.En 1997, il crée son agence IWorkspace consultancy)et devient un acteur reconnu en termes de conceptiond'environnements de travail et de stratégies immobilières.En 2008 WorkSpace fusionne avec l"agence Proven Partnerspour devenir Proven Workspace. Michel Mooij a écrit denombreux articles sur les environnements de travail, ainsiqu'un livre Espaces pour nouveaux modes de travail ISpacefor new ways of working) uniquement disponible pour lemoment en néerlandais. Iwww.provenworkspace.nll

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