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formation | dossier 12 OptionBio | Lundi 8 mars 2010 | n° 432 Conduite à tenir devant une élévation des transaminases chez la personne âgée L’exploration biologique hépatique peut avoir plusieurs objectifs. Cela peut être l’étude de la fonction de synthèse protéique avec notamment l’objectivation d’une insuffisance hépatocellulaire, ou l’appréciation de la fonction biliaire avec la mise en évidence de syndromes comme celui de la cholestase ou également d’un syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique. L’exploration biologique hépatique peut mettre en évidence un syndrome de cytolyse hépatique caractérisé par une élévation des transaminases prédominant sur les ALAT (rapport ALAT/ASAT augmenté). L a cytolyse est modérée si l’augmentation des ALAT est comprise entre 1,5 et 5 fois la limite supérieure de la nor- male, et majeure si elle atteint 5 à 50 fois cette valeur. L’exploration peut aussi apprécier la fonction biliaire et mettre en évidence un syndrome de cholestase ; elle permet égale- ment d’étudier la fonction de synthèse protéique, et d’objec- tiver une éventuelle insuffisance hépatocellulaire (IHC) carac- térisée par la diminution de la production des facteurs de la coagulation non vitamine K-dépendants comme le facteur V, et une diminution de la production d’albumine, de cholestérol... Principales étiologies d’une cytolyse aiguë Les hépatites médicamenteuses Chez la personne âgée, il existe une variation de l’élimination des médicaments, car le débit sanguin hépatique diminue. La capacité métabolique du foie est également modifiée, avec diminution de la phase I d’oxydation, perturbation toxique du cytochrome P450 et diminution d’activité des enzymes anti-radicalaires, d’où une plus grande toxicité hépati- que des médicaments, pouvant entraîner une nécrose des hépatocytes. La fixation des médicaments aux protéines sériques est aussi réduite, du fait de la diminution de la concentration de ces pro- téines, principalement l’albumine, avec un effet physiologique majoré ; et une diminution de l’élimination rénale du médica- ment est observée, également potentiellement toxique. Concernant les hépatites médicamenteuses cytolytiques aiguës, il peut s’agir d’intoxications volontaires au paracé- tamol ou aux barbituriques, ou bien d’une toxicité iatrogène par antituberculeux, antiépileptiques, statines, inhibiteurs de la pompe à protons, macrolides, quinolones, sulfamides..., pou- vant entraîner des hépatites souvent mixtes, cholestatiques et cytolytiques. Le plus difficile est d’établir l’imputabilité (souvent réalisée a posteriori) ; il faut savoir substituer le médicament et raisonner par exclusion. En pratique, il convient de reprendre l’histoire de la mala- die, d’exclure les autres causes potentielles, d’observer les comorbidités cardiovasculaires, hépatobiliaires, alcoolique ou un contexte d’hépatite virale, et rechercher des signes clini- ques d’hypersensibilité de type éruption cutanée, arthralgies, fébricule, éosinophilie, thrombopénie, pouvant évoquer un mécanisme immuno-allergique. Certains auteurs suggèrent que l’imputabilité d’un médicament est raisonnable si le délai d’apparition de la cytolyse est com- pris entre 5 et 90 jours après la mise en route du traitement et/ou moins de 15 jours après son arrêt. En dehors de ces délais, la mise en cause du médicament semble peu probable. À l’arrêt du traitement, les signes de cytolyse doivent disparaî- tre (diminution de moitié des ALAT en 7 jours). La récidive en cas de réintroduction du médicament est également un bon argument en faveur de son rôle causal dans la cytolyse. L’obstacle biliaire La prévalence de l’obstacle biliaire (principalement lithiase biliaire au-delà de 80 ans) augmente après 75 ans, en raison d’une moindre sensibilité à une hormone, la cholécystokinine, entraînant une augmentation du volume de la vésicule biliaire, qui se contracte moins bien. La stase induite fait le lit de la production de calculs. Un obstacle biliaire aigu se traduit par une cytolyse aiguë isolée initialement, prédominant sur les ALAT (< 10 fois la normale dans 90 % des cas). Puis, si l’obstacle perdure, apparaît au bout de 48 heures, une cholestase associée. Les signes cliniques sont frustes, comme souvent en géria- trie : douleur atypique, absence d’hyperthermie ou d’hyper- leucocytose. Il convient alors de pratiquer un cathétérisme

Conduite à tenir devant une élévation des transaminases chez la personne âgée

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formation | dossier

12 OptionBio | Lundi 8 mars 2010 | n° 432

Conduite à tenir devant une élévation des transaminases chez la personne âgée

L’exploration biologique hépatique peut avoir plusieurs objectifs. Cela peut être l’étude de la fonction de synthèse protéique avec notamment l’objectivation d’une insuffisance hépatocellulaire, ou l’appréciation de la fonction biliaire avec la mise en évidence de syndromes comme celui de la cholestase ou également d’un syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique. L’exploration biologique hépatique peut mettre en évidence un syndrome de cytolyse hépatique caractérisé par une élévation des transaminases prédominant sur les ALAT (rapport ALAT/ASAT augmenté).

La cytolyse est modérée si l’augmentation des ALAT est comprise entre 1,5 et 5 fois la limite supérieure de la nor-male, et majeure si elle atteint 5 à 50 fois cette valeur.

L’exploration peut aussi apprécier la fonction biliaire et mettre en évidence un syndrome de cholestase ; elle permet égale-ment d’étudier la fonction de synthèse protéique, et d’objec-tiver une éventuelle insuffisance hépatocellulaire (IHC) carac-térisée par la diminution de la production des facteurs de la coagulation non vitamine K-dépendants comme le facteur V, et une diminution de la production d’albumine, de cholestérol...

Principales étiologies d’une cytolyse aiguëLes hépatites médicamenteusesChez la personne âgée, il existe une variation de l’élimination des médicaments, car le débit sanguin hépatique diminue. La capacité métabolique du foie est également modifiée, avec diminution de la phase I d’oxydation, perturbation toxique du cytochrome P450 et diminution d’activité des enzymes anti-radicalaires, d’où une plus grande toxicité hépati-

que des médicaments, pouvant entraîner une nécrose des hépatocytes.La fixation des médicaments aux protéines sériques est aussi réduite, du fait de la diminution de la concentration de ces pro-téines, principalement l’albumine, avec un effet physiologique majoré ; et une diminution de l’élimination rénale du médica-ment est observée, également potentiellement toxique.Concernant les hépatites médicamenteuses cytolytiques aiguës, il peut s’agir d’intoxications volontaires au paracé-tamol ou aux barbituriques, ou bien d’une toxicité iatrogène par antituberculeux, antiépileptiques, statines, inhibiteurs de la pompe à protons, macrolides, quinolones, sulfamides..., pou-vant entraîner des hépatites souvent mixtes, cholestatiques et cytolytiques. Le plus difficile est d’établir l’imputabilité (souvent réalisée a posteriori) ; il faut savoir substituer le médicament et raisonner par exclusion.En pratique, il convient de reprendre l’histoire de la mala-die, d’exclure les autres causes potentielles, d’observer les comorbidités cardiovasculaires, hépatobiliaires, alcoolique ou un contexte d’hépatite virale, et rechercher des signes clini-ques d’hypersensibilité de type éruption cutanée, arthralgies, fébricule, éosinophilie, thrombopénie, pouvant évoquer un mécanisme immuno-allergique.Certains auteurs suggèrent que l’imputabilité d’un médicament est raisonnable si le délai d’apparition de la cytolyse est com-pris entre 5 et 90 jours après la mise en route du traitement et/ou moins de 15 jours après son arrêt. En dehors de ces délais, la mise en cause du médicament semble peu probable. À l’arrêt du traitement, les signes de cytolyse doivent disparaî-tre (diminution de moitié des ALAT en 7 jours). La récidive en cas de réintroduction du médicament est également un bon argument en faveur de son rôle causal dans la cytolyse.

L’obstacle biliaireLa prévalence de l’obstacle biliaire (principalement lithiase biliaire au-delà de 80 ans) augmente après 75 ans, en raison d’une moindre sensibilité à une hormone, la cholécystokinine, entraînant une augmentation du volume de la vésicule biliaire, qui se contracte moins bien. La stase induite fait le lit de la production de calculs.Un obstacle biliaire aigu se traduit par une cytolyse aiguë isolée initialement, prédominant sur les ALAT (< 10 fois la normale dans 90 % des cas). Puis, si l’obstacle perdure, apparaît au bout de 48 heures, une cholestase associée.Les signes cliniques sont frustes, comme souvent en géria-trie : douleur atypique, absence d’hyperthermie ou d’hyper-leucocytose. Il convient alors de pratiquer un cathétérisme

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dossier | formation Biologie du sujet âgé

OptionBio | Lundi 8 mars 2010 | n° 432 13

endo sco pique rétrograde biliopancréatique, diagnostique et thérapeutique, car il permet de récupérer le calcul. Comme chez les sujets jeunes, les complications dues au calcul sont rares : une pancréatite survient dans 7 % des cas. En revanche, si une cholécystectomie doit être effectuée en urgence, les complications seront sévères chez la personne âgée, entraî-nant le décès dans 10 à 15 % des cas.

Cytolyse hypoxiqueIl peut s’agir d’une cytolyse de congestion ou bien d’une hypoxie aiguë. La cytolyse hépatique peut être sévère avec des ALAT à 20 à 30 fois la valeur supérieure de la normale. L’augmenta-tion des transaminases se chronicise souvent dans les formes congestives, dont les principales étiologies sont une insuffi-sance cardiaque droite ou globale, une péricardite constrictive ou un syndrome de Budd-Chiari. Dans 30 % des cas, la cytolyse prédomine sur les ASAT – une cholestase est associée dans 60 % des cas et une insuffisance hépatocellulaire dans 25 % des cas (foie cardiaque). L’échographie permet d’objectiver la dilatation des veines sus-hépatiques.L’hypoxie aiguë est également fréquente en gériatrie : l’étio-logie est le choc. Tous les chocs peuvent entraîner une cyto-lyse précoce, à des valeurs supérieures à 20 fois la normale et réversible avec le traitement. En cas d’hypoxémie pure, la cholestase est absente.

Les hépatites virales A, B et CDans ce contexte, les ALAT prédominent sur les ASAT attei-gnant souvent des valeurs supérieures à 10 fois la normale. L’hépatite A est rare en gériatrie, mais grave après 65 ans ; l’hépatite B est rare après 65 ans, mais la prévalence des anticorps anti-HBc est élevée. L’hépatite C est chronique dans plus de 80 % des cas. Le risque de cirrhose, voire de carcinome hépatocellulaire, dépend de l’âge au moment de la contamination. Le diagnostic repose sur la sérologie et, éventuellement, la charge virale.

Les différentes étiologies des cytolyses chroniquesLes hépatopathies alcooliques chroniques Les hépatopathies alcooliques chroniques entraînent une cytolyse chronique (ASAT/ALAT > 2), souvent associée à une cholestase.

Les stéato-hépatites non alcooliques Les stéato-hépatites non alcooliques (NASH) entraînent une augmentation des ALAT (x 2 à 5) accompagnée d’une stéa-tose dont le diagnostic est histologique. Cette pathologie est habituellement observée chez des patients ayant un syndrome métabolique avec un index de masse corporelle supérieur à 28 kg/m2, un diabète, une dyslipidémie, ou bien chez des sujets traités par certains médicaments ou sous nutrition paren-térale prolongée.

Les hépatites auto-immunes Les hépatites auto-immunes (HAI) surviennent généralement sur un terrain particulier. L’élévation des ALAT prédomine sur celle des ASAT et les IgG sont augmentées. Les HAI de type 1 (les plus fréquentes) sont le plus souvent associées à des Ac antinucléaires et antimuscles lisses, les HAI de type 2, à des anti-LKM1 et/ou anti-LC1 et les HAI de type 3 à des anti-SLA (soluble liver antigen).

Les hépatites chroniques virales Les hépatites chroniques virales peuvent aussi être responsa-bles d’une cytolyse chronique.

Une néoplasie ou des métastases Une néoplasie ou des métastases hépatiques sont parfois en cause.

Orientation en fonction des transaminasesSi les transaminases (ALAT) sont très élevées (> 10 fois la normale), il faut évoquer par ordre de fréquence, une hépatite aiguë d’origine médicamenteuse, lithiasique, virale, cardiaque et alcoolique ; si l’élévation des ALAT est modérée, il faut recher-cher une hépatite chronique NASH, virale ou auto-immune. |

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