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Source : La troisième Révolution Industrielle en marche ! – CCI Région Nord de France, Conseil régional NPdC Séance Plénière du mardi 29 septembre 2015 Rapport de M. Pierre THOMAS Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais Le rapport est rédigé et présenté sous la responsabilité du rapporteur Le rapport ne fait pas l’objet d’un vote de l’assemblée

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Source : La troisième Révolution Industrielle en marche ! – CCI Région Nord de France, Conseil régional NPdC

Séance Plénière du mardi 29 septembre 2015

Rapport de M. Pierre THOMAS

Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins et

nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

Le rapport est rédigé et présenté sous la responsabilité du rapporteur Le rapport ne fait pas l’objet d’un vote de l’assemblée

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 3 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

Monsieur Pierre THOMAS, vice-président en charge du groupe prospectif « Métiers

et activités de demain » et rapporteur de ce travail tient à remercier tous ceux qui, au cours des mois de réflexion, ont contribué, par leurs écrits leurs interventions, ou simplement leurs idées, à la rédaction des présents rapport et avis. Sa gratitude va tout particulièrement aux membres du groupe prospectif composé de : Mesdames BAZAN Laure, CAPURON Gilberte, ROUSSEL Angélique et VIS Pascale ; Messieurs DORCHIES Stéphane, HILLEWAERE Jean-Pierre, LECLUSE Francis et VANDERSCHUEREN Olivier ; Madame MEURET Anne (chargée de mission) ; Ainsi qu’à messieurs PELTIER Henri et TOURMENT Michel pour leur participation. Ce rapport s’appuie sur de nombreux entretiens réalisés auprès d’acteurs de l’économie de la fonctionnalité en Nord – Pas de Calais. Qu’ils soient également remerciés pour leur participation et leur réactivité. Il s’agit de :

DATE INTERVENANTS

11 mars 2014 LIPOVAC Jean-Christophe, Coordinateur des programmes, CERDD

BOUTONNE Antoine, Chargé de mission, CERDD

1er avril 2014 PEYNEN Morgane, Chargée de mission au C2RP

REDMANN Claude, Responsable de la Mission OREF – C2RP

6 mai 2014 DUMONT Didier, Président, Dumont Energies LEDEZ Simon, Chargé de mission, Réseau ALLIANCES COPIN Didier, Manager des projets DD, CCIR

1er juillet 2014

DE MEYER Sonia, Présidente de la commission Fondation du NPDC, MACIF CAPON Sylvie, Responsable, Crédit coopératif HOUSET Nicolas, Directeur adjoint, Nord Actif BARA Benoît, Directeur adjoint, Pas de Calais Actif

2 septembre 2014 ROCQUET Christian, Chef d’entreprise, société QUADRA DIffusion

7 octobre 2014 LEFEBVRE Thierry, Président, société Lambin CABARET Sophie, Chef de projets, CCI Grand Lille

4 novembre 2014 GIBOUR Antoine, Bouygues Construction WYTTYNCK Luc, Ingénieur commercial industrie, NORPAC

20 novembre 2014 GIORGINI Pierre, Président Recteur, Université Catholique de Lille

3 février 2015 CAYMARIS-MOULIN Frédéric, Directeur Général, LOKEO

7 avril 2015 ROUSSET Philippe, Président, Fédération des syndicats d’agents généraux d’assurance

6 juillet 2015 DENYS Grégory, Directeur général, CERFrance NPdC

REMERCIEMENTS

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 5 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

SOMMAIRE

SYNTHESE ....................................................................................................................... 11

PREMIERE PARTIE : DEFINITION DE LA NOTION D’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE, ETAT DES LIEUX EN NPDC, APPORTS ET LIMITES DE L’ETUDE ............................................ 15

I- QUELQUES DEFINITIONS DE LA NOTION D’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE ......... 15

I-1- LES ORIGINES DU CONCEPT ET LA DEFINITION RETENUE DANS LE CADRE DE CE

TRAVAIL.............................................................................................................................. 15 I-1-a- Aux origines de ce concept, les travaux de W. Stahel et O. Giarini ...................................... 15 I-1-b- La définition retenue dans le cadre de ce travail, celle de de C. Du Tertre prend en compte le basculement de l’économie vers les services ................................................................................. 15 I-1-c- Au-delà de la prise en compte de l’entrée de nos économies dans une ère des services, la définition de C. du Tertre intègre de nouveaux principes .............................................................. 16

I-2- TYPOLOGIES D’ENTREPRISES ET D’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE : LES

TYPOLOGIES EXISTANTES, CELLE RETENUE PAR LE GROUPE POUR FAIRE EMERGER DES

TENDANCES EN MATIERE D’EVOLUTION DES METIERS, COMPETENCES ET BESOINS EN

FORMATION ....................................................................................................................... 17 I-2-a- Les typologies existantes : des PSS au “bouquet” en passant par les typologies prenant en compte plus particulièrement le lien entre les entreprises et le territoire ..................................... 17 I-2-b- Un essai de classification des entreprises auditionnées par le groupe de travail tenant compte des spécificités du panel .................................................................................................... 18

II- L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE EN NORD PAS-DE-CALAIS ................................ 21

II-1- UNE ACTION VOLONTARISTE DES POUVOIRS PUBLICS REPRISE PAR UNE DYNAMIQUE

GLOBALE PORTEUSE .......................................................................................................... 21 II-1-a- Des actions collectives organisées par les organismes institutionnels et les réseaux… ...... 21 II-1-b- …Actions relayées par la dynamique lancée par la Troisième Révolution Industrielle (TRI) … ......................................................................................................................................... 22 I-1-c- … Dynamique dans laquelle s’inscrit pleinement le NPDC avec l’adoption d’un Master plan TRI ......................................................................................................................................... 22

II-2- DES ACTIONS ACCOMPAGNEES PAR DES ACTEURS INSTITUTIONNELS, DES CENTRES

DE RESSOURCE ET D’EXPERTISE, DES RESEAUX D’ENTREPRISES ........................................ 24 II-2-a- Les acteurs institutionnels ................................................................................................... 24 II-2-b- Les centres de ressource et d’expertise ............................................................................... 24 II-2-c- Les réseaux d’entreprises régionaux et nationaux ............................................................... 25

II-3- APPORTS ET LIMITES DE CETTE APPROCHE ................................................................ 26 II-3-a- Les apports de cette approche : mettre en valeur une évolution, un signal émanant du monde économique et battre en brèche quelques idées reçues .................................................... 26 II-3-b- Les limites du rapport : elles sont liées à la méthodologie mais aussi à la complexité d’approche du concept ................................................................................................................... 27

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6 | Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins

et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

DEUXIEME PARTIE : L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE DANS LES ENTREPRISES : IMPACTS SUR LES METIERS, LES COMPETENCES, LES BESOINS ET NOUVELLES FORMES DE FORMATION ................................................................................................................... 29

I- LE GROUPE DES ENTREPRISES POUR LESQUELLES L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE EST UN PROCESSUS EN COURS D’ADOPTION ET D’APPLICATION ...................................... 29

I-1- UNE TRANSFORMATION EN COURS QUI IMPACTE LA STRATEGIE ET L’ORGANISATION

DE L’ENTREPRISE ................................................................................................................ 29 I-1-a- Les entreprises de ce groupe : des TPE-PME régionales qui ont repensé la conception et la production de leur prestation autour du client .............................................................................. 29 I-1-b- Une transformation qui impacte la stratégie et l’organisation des entreprises .................. 29

I-2- IMPACTS SUR LES METIERS, LES COMPETENCES ET LA FORMATON ............................ 31 I-2-a- Une évolution des métiers qui doit être préparée : accompagnement et formation ........... 31 I-2-b- Des compétences enrichies et complétées en lien non seulement avec la relation - client mais également avec la spécificité des entreprises........................................................................ 31

II- LES ENTREPRISES PRESENTES SUR PRESQUE TOUTES LES ETAPES DU PROCESSUS MENANT A LA MISE EN PLACE D’UN MODELE DE LA FONCTIONNALITE ............................ 32

II-1- MODELE DE LA FONCTIONNALITE ET IMPACT SUR L’ORGANISATION : UNE PRESENCE

SUR TOUTES LES ETAPES DE LA CHAINE DE VALEUR EN LIEN AVEC LA STRATEGIE DE

L’ENTREPRISE ..................................................................................................................... 32 II-1-a- Définition - Des entreprises qui se veulent au plus proche d’un modèle de la fonctionnalité . ......................................................................................................................................... 32 II-1-b- Impact sur l’organisation et la stratégie : chez Bouygues, au-delà du béton et du court terme ......................................................................................................................................... 33 I-1-c- Une organisation qui évolue autour de la R et D et de la prospective .................................. 35

II-2- EVOLUTION DES METIERS, DES COMPETENCES ET DES BESOINS EN FORMATION ..... 35 II-2-a- Des métiers reposant sur l’expertise et les nouvelles technologies (informatique, énergie, ...) ......................................................................................................................................... 35 II-2-b- Des compétences permettant d’avoir une vision globale du projet et favorisant un travail collaboratif, façonnées par une forte culture de la formation en interne ..................................... 36

III- FONCTIONNALITE ET POSITIONNEMENT SUR UNE ETAPE / UN PRINCIPE PARTICULIER DU PROCESSUS ............................................................................................................... 37

III-1- LA FONCTION DE LOCATION A TRAVERS LOKEO, L’ACCENT MIS SUR

L’ENVIRONNEMENT ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL A TRAVERS LA SOCIETE LAMBIN, LE

RENFORCEMENT DE LA VALEUR « PROXIMITE » A TRAVERS CER FRANCE – PRESENTATION, ORGANISATION, STRATEGIE .............................................................................................. 37 III-1-a- Trois structures très différentes : LOKEO, un « pure player » filiale d’une holding ; Lambin, une PME du secteur rural, CER France – NPDC, membre d’un réseau associatif ........................... 37 III-1-b- Stratégie et organisation centrées sur une des facettes de l’économie de la fonctionnalité . ......................................................................................................................................... 39

III-2- EVOLUTION DES METIERS, DES COMPETENCES ET DES BESOINS EN FORMATION.... 40 III-2-a- Une poussée des métiers liés à la technologie (technologie de l’internet pour LOKEO et technologie de la mécanique pour Lambin) et des métiers de proximité ...................................... 40 III-2-b- Compétences et formation ................................................................................................. 40

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TROISIEME PARTIE : FACTEURS DE CROISSANCE ET FREINS AU DEVELOPPEMENT DE L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE – PRECONISATIONS .............................................. 43

I- FACTEURS DE CROISSANCE ET FREINS ....................................................................... 43 I-1- FACTEURS DE CROISSANCE .......................................................................................... 43 I-1-a- Du côté des consommateurs : une période de mutation difficile qui fait émerger des signaux faibles en matière de consommation................................................................................ 43 I-1-b- Et qui aboutit à de nouveaux modes de consommation ...................................................... 44 I-1-c- Du côté des entreprises, une flambée des prix des matières premières jusqu’en 2013/2014 qui laisse la place à une grande instabilité et volatilité des marchés ............................................ 45

I-2- LES FREINS AU DEVELOPPEMENT DE CES ACTIVITES DU COTE DES COLLECTIVITES ET

POUVOIRS PUBLICS, DES CONSOMMATEURS ET DES ENTREPRISES .................................. 46 I-2-a- Les collectivités et pouvoir publics en manque d’information et de formation .................... 46 I-2-b- Une population trop peu sensibilisée située sur un territoire qui doit encore relever de nombreux défis ............................................................................................................................... 46 I-2-c- Des entreprises engagées mais qui doivent faire face, en se lançant dans cette démarche, à de nombreuses difficultés dans leurs environnements internes (finance, gestion, …) et externes (clients, …) ...................................................................................................................................... 47

II- PRECONISATIONS ..................................................................................................... 48

II-1- EN DIRECTION DES ENTREPRISES SOUHAITANT SE LANCER DANS L’ECONOMIE DE LA

FONCTIONNALITE OU AVANCER DANS LE PROCESSUS ...................................................... 48 II-1-a- Une progression étape par étape ........................................................................................ 48 II-1-b- Une progression sur la base de la participation de tous ..................................................... 49 I-1-c- Une progression sur la base du partenariat et de la communication ................................... 49

II-2- EN DIRECTION DES OPERATEURS DE TERRAIN............................................................ 50 II-2-a- Une communication adaptée .............................................................................................. 50 II-2-b- Une diversification du travail en réseau sur toute la chaîne de valeur du produit .............. 50 II-2-c- Un accompagnement dans le financement des projets ....................................................... 51

II-3- EN DIRECTION DES COLLECTIVITES ET POUVOIRS PUBLICS ........................................ 51

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et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 9 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

INTRODUCTION Notre époque est à l’intersection de plusieurs événements. D’une part, les crises successives que nous vivons, la dernière datant de 2008, révèlent les failles du modèle actuel de production et de développement économique. Elles ont mis en lumière ses limites et ses effets secondaires, non négligeables pour l’environnement. Une brèche s’est ainsi constituée ouvrant la voie à des modèles innovants qui, pour autant, devront relever le défi du développement économique durable dans un monde entrepreneurial toujours contraint par des impératifs de rentabilité et de compétitivité. D’autre part, ces nouveaux modèles trouveraient un terrain favorable d’application dans notre société qui vivrait actuellement ce que certains auteurs appellent une « transition fulgurante ». Ainsi, les bouleversements engendrés par l’hyper puissance digitale, par l’ « homme connecté », par la 3 D et les nanosciences libèreraient les forces créatives de notre société à l’origine de ces nouveaux modèles de production. Désormais, les conditions sont réunies pour que, dans un premier temps, cohabitent modèles industriels « classiques » et modèles alternatifs tels que l’économie circulaire, l’économie collaborative, mais aussi l’économie de la fonctionnalité ou économie de l’ « usage ». Terre industrielle, le NPDC a pris conscience de ces changements pour les mettre à son profit et y trouver de nouvelles sources de dynamisme et de croissance pour ses entreprises. Non seulement des actions en faveur du développement économique durable se sont succédé mais elle fut aussi un laboratoire d’expérimentation pour certains de ces nouveaux modèles dont, l’économie de la fonctionnalité. Soutenu dans son développement par les pouvoirs publics en région, ce modèle peut se révéler un créneau intéressant de création d’emplois, d’activité et de croissance. Et les médias se font désormais l’écho de ces nouveaux modes de consommation basés sur la location ou le partage. Un tel modèle cependant impacte non seulement les modes d’organisation des entreprises mais surtout les personnes au travers des compétences et qualifications exigées, au travers des métiers requis. Pour exemple, chacun se souviendra des conséquences de l’application des principes du « taylorisme » sur les qualifications et savoir-faire des salariés de l’industrie. Au regard de l’importance de la population salariée potentiellement touchée en NPDC, la question se pose donc des conséquences de ce nouveau modèle sur les métiers, les compétences et les besoins en formation. Encore très jeune, l’ « économie de la fonctionnalité » mérite que l’on s’arrête un peu sur sa définition. Aussi, ce rapport sera consacré (partie I) à une présentation de cette économie mais aussi aux difficultés rencontrées dans la réalisation de cette étude liées, justement, à la jeunesse de ce concept. A partir d’auditions d’entreprises, nous tenterons d’analyser (partie II) son impact sur les métiers, compétences et besoins en formation. Puis, nous formaliserons des préconisations favorisant le développement de ces activités, des compétences et qualifications requises (partie III).

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 11 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

SYNTHESE

Ce travail part de la définition de Christian Du Tertre pour lequel l’économie de la fonctionnalité est « la production d’une solution intégrée de biens et services, basée sur la vente d’une performance d’usage et/ou territoriale, permettant de prendre en compte les externalités sociales et environnementales et de valoriser les investissements immatériels dans une économie désormais tirée par les services ». Ce modèle de développement repose sur plusieurs caractéristiques : il prend en compte l’entrée de nos économies dans une ère de services, l’environnement et l’importance de l’intégration des entreprises dans leur territoire. Dans le NPDC, ce modèle s’inscrit dans un contexte porteur. En effet, des actions collectives sont organisées par les pouvoirs publics (Conseil Régional, DREAL, …) et reprises dans une dynamique globale porteuse qui est celle de la Troisième Révolution Industrielle impulsée par J. Rifkin. Ces actions sont accompagnées par des acteurs institutionnels (Etat, CCI, …), les centres de ressource et d’expertise tels que le Centre de Ressources et de Développement Durable (CERDD), les réseaux d’entreprises régionaux et nationaux (réseau Alliances, club NOE, CJD, …). Les apports de ce travail portent avant tout sur son aspect prospectif. Peu d’entreprises ont investi ce que l’on appelle également l’ « économie de l’usage ». « Signal faible » émanant du tissu économique, son observation peut être à l’origine de nouveaux créneaux d’activité et de création d’emplois. Par ailleurs, ce rapport bat en brèche quelques idées reçues selon lesquelles il s’agirait d’une économie de la pauvreté, …. Quant à ses limites, celles-ci tiennent à la méthodologie mais aussi à la complexité d’approche du concept. La construction du rapport repose sur la méthode des auditions et témoignages. Son contenu est donc fonction des entreprises/structures qui ont accepté de témoigner et fonction des informations délivrées. Tous les secteurs d’activité ne sont pas couverts et l’information est parfois parcellaire. Afin d’éviter que ce rapport ne ressemble à un catalogue de monographies dont il serait impossible de déduire des tendances en matière de formation et d’évolution des métiers et des compétences, il a été décidé de regrouper les entreprises selon leur appropriation, différenciée d’une structure à l’autre, du modèle de l’économie de la fonctionnalité. Un des groupes rassemble les entreprises auditionnées qui ont entamé le processus de transformation et dont il est prévu qu’il soit mené à terme. Celles-ci sont présentes principalement sur les étapes de la conception et production de la solution / prestation. Dans le 2ème groupe, les entreprises sont présentes sur presque toutes les étapes du processus de transformation menant à la mise en place au sein de leur organisation d’un modèle de la fonctionnalité. Une seule entreprise de notre panel appartient à ce groupe (Bouygues). Enfin, certaines entreprises ont également choisi de se positionner sur une étape en particulier du processus. Pour toutes les entreprises / structures analysées, on note que l’impact principal du modèle de la fonctionnalité sur les métiers et compétences porte sur la mise en avant de la relation client avec une poussée des métiers liés au marketing / commercial et des compétences d’écoute, de confiance, d’ouverture sur l’extérieur, de souplesse, d’adaptabilité. Les qualifications et besoins en formation s’élèvent. Des compétences relationnelles sont nécessaires pour accepter le changement. Pour ce qui est des formes de formation, les dirigeants d’entreprise font souvent appel aux formations en interne.

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12 | Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins

et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

De façon plus précise, l’impact de l’économie de la fonctionnalité sur les métiers et compétences dépendra également de son niveau d’appropriation du modèle et de sa volonté d’aller jusqu'à bout ou de se spécialiser sur une étape en particulier du modèle. Pour les entreprises les plus avancées dans le modèle (Bouygues), on note le renforcement des fonctions de conception, R et D, veille et prospective. Quant aux entreprises dont le processus de transformation est en cours mais n’est pas achevé, celles-ci se différencient surtout des premières par une organisation qui ne formalise pas encore complètement les transformations induites par l’économie de l’usage (création d’une direction de la R e t D ou de la prospective, travail de veille formalisé et organisé, …). Les entreprises ayant choisi de demeurer sur certaines étapes du processus développeront les compétences et métiers en lien avec leur spécialité : approfondissement des connaissances de la technique (Lambin, connaissance en mécanique) ou de la technologie (Lokeo, « pure player » va rechercher des métiers d’informaticiens), développement des métiers de l’animation pour les structures ayant fait le choix de la proximité (CER France). L’évolution de ces métiers et compétences passe par le développement de ce modèle, lui-même potentiellement porteur de création d’emplois et d’activité. Il est donc important de mieux en connaître les freins et facteurs de développement. Du côté des consommateurs, la période de mutation que nous vivons fait émerger de nouvelles règles en matière de consommation et favorise l’ « usage ». Ainsi, une consommation plus « raisonnée » et « durable » gagne peu à peu sa place dans nos modes de vies. La volonté de consommer de façon « raisonnée » passe par des intentions d’achat différés et priorisées. Une consommation « durable » implique, quant à elle, la redécouverte de l’entraide, de l’échange, de la solidarité dans le respect de l’environnement. Un nouveau mode de consommation gagne ses lettres de noblesse : la consommation alternative (récupération, …) et responsable. Du côté des entreprises, la flambée des prix des matières premières qui a caractérisé les marchés jusqu’en 2013/2014 a largement incité ces dernières à mettre en place des processus de production plus économes en matière. Depuis, c’est l’instabilité et la volatilité des prix qui marquent les marchés. Alors qu’il s’avère risqué d’effectuer des prévisions, une politique économe en matières premières paraît la plus raisonnable. Parmi les freins au développement de l’économie de l’usage, on note, le manque d’informations des collectivités, le manque de sensibilisation et de formation des responsables des achats publics sur le coût global d’un produit, une sensibilisation encore insuffisante de la population, un contexte économique, social et environnemental régional peu porteur (indicateurs sociaux dégradés, taux de chômage important, …). Les freins sont aussi juridiques. D’une part, il est très difficile pour l’entreprise qui choisit de s’engager sur un résultat (et non sur le moyens) de trouve un assureur. D’autre part, l’économie de la fonctionnalité adopte une temporalité différente prenant en compte la totalité de la durée de vie du produit. En conclusion, le CESER émet des préconisations en direction des entreprises qui souhaitent adopter ce modèle de développement, des opérateurs de terrain et des collectivités et pouvoirs publics. En direction des entreprises, le CESER préconise :

- Une progression étape par étape dans la démarche et sur la base du volontariat et de la communication ;

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 13 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

- Une progression sur la base de la participation de tous ; - Le renforcement de l’accompagnement du dirigeant ; En direction des opérateurs de terrain :

- Une communication adaptée et claire autour d’une définition simplifiée de l’économie de la fonctionnalité et des principes qui font sa spécificité (l’environnement, ...)

- De favoriser le travail en réseau (thématique, de filières, de territoire, …) - D’assurer la présence d’opérateurs sur toute le chaîne de valeur autour du cycle de vie du produit ; - De faciliter l’accès aux sources de financement par la formation des dirigeants et la sensibilisation des financeurs à la spécificité de ce modèle de développement, …

En direction des collectivités et pouvoirs publics : - L’application du droit à l’expérimentation afin de permettre aux collectivités d’instituer de nouveaux critères de choix en matière d’achat public comme l’ « usage », … ; - De sensibiliser et former les directions « Commande publique » des collectivités et représentations de l’Etat en région à l’achat d’un usage plutôt qu’un bien ;

En direction des acteurs de la formation et de l’enseignement : - La sensibilisation et la formation des enseignants et apprenants en particulier de la formation continue et de l’enseignement supérieur à ce nouveau modèle économique.

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et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 15 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

PREMIERE PARTIE : DEFINITION DE LA NOTION D’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE, ETAT DES LIEUX EN NPDC, APPORTS ET LIMITES DE L’ETUDE

I- QUELQUES DEFINITIONS DE LA NOTION D’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE

I-1- LES ORIGINES DU CONCEPT ET LA DEFINITION RETENUE DANS LE CADRE DE CE TRAVAIL

I-1-a- Aux origines de ce concept, les travaux de W. Stahel et O. Giarini

C’est au début des années 80 qu’émerge le concept d’économie de la fonctionnalité. Pour W Stahel et O. Giarini1, parmi les fondateurs de ce qui sera considéré, par la suite, comme un nouveau modèle économique, « l’économie de la fonctionnalité, qui optimise l’usage ou la fonction de biens et services, se concentre sur la gestion des richesses existantes, sous la forme de biens, de connaissances et de capital naturel. L’objectif économique en est de créer une valeur d’usage la plus élevée possible pendant le plus longtemps possible, tout en consommant le moins de ressources matérielles et d’énergie possible ». Si la contrainte environnementale n’est pas encore mise en valeur, les auteurs sont les premiers à établir un lien entre l’optimisation des coûts énergétiques, le bouclage du cycle de vie des produits et l’économie circulaire, enfin la nécessité de développer l’usage d’un produit et non la vente du produit lui-même.

I-1-b- La définition retenue dans le cadre de ce travail, celle de de C. Du Tertre prend

en compte le basculement de l’économie vers les services 2

Parmi les représentants du courant français de recherche sur l’économie de la

fonctionnalité, Christian Du Tertre propose quant à lui de la définir comme la « production d’une solution intégrée de biens et services, basée sur la vente d’une performance d’usage et / ou d’une performance territoriale, permettant de prendre en compte les externalités sociales et environnementales et de valoriser les investissements immatériels dans une économie désormais tirée par les services ».

1 « L’économie de fonctionnalité : principes, éléments de terminologie et proposition de typologie », J. Van Niel, « Développement durable et territoires », février 2014. 2 « Ecologie industrielle, économie de la fonctionnalité, entreprises et territoires : vers de nouveaux modèles productifs et organisationnels », M. Maillefert et I. Robert, « Développement durable et territoires », février 2014 ; « Des modèles de développement économique durable pour la métropole », NOVA7 pour le centre de ressources prospectives du Grand Lyon, janvier 2010.

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16 | Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins

et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

Au-delà du renforcement de la notion de valeur d’usage, cette définition, en faisant référence à la vente d’une « solution globale », prend acte d’une valeur ajoutée désormais créée par les services, plus que par le produit en lui-même. En effet, la vente d’une solution durable, sans pour autant qu’il y ait obligatoirement vente d’un produit implique une relation de long terme avec le client basée sur la connaissance de ses besoins plus que sur la propriété d’un produit. Cette connaissance ne peut être acquise que par l’écoute, voir la co-construction de cette solution avec le client / consommateur. Par rapport au modèle de production fordien, l’entreprise passe d’une relation de transaction à une relation de coopération avec le client afin de mieux cerner ses attentes. Source : « Economie de la fonctionnalité, une nouvelle synergie entre le territoire, la firme et le consommateur ? », VAILEANU-PAUN I., BOUTILLIER S., Innovations 2012/1

I-1-c- Au-delà de la prise en compte de l’entrée de nos économies dans une ère des services, la définition de C. du Tertre intègre de nouveaux principes3

En effet, dans sa définition, C. du Tertre insiste sur le principe du découplage entre

croissance économique et consommation de matières premières. Ce découplage, au premier regard paradoxal, est cependant rendu possible par une diminution de l’usage de ressources matérielles et un accroissement de l’usage de ressources immatérielles. Cette vision de l’économie de la fonctionnalité repose également sur la prise en compte d’externalités environnementales et sociales. Selon cet auteur, les questions relatives à la protection de l’environnement et à l’évolution nécessaire des ressources humaines et de l’organisation du travail doivent être intégrées à la stratégie de l’entreprise. Cela signifie concrètement :

- la recherche d’une plus grande efficacité énergétique ;

3 « Eléments de repère sur l’économie de la fonctionnalité et le contexte régional », J.C. LIPOVAC, audition au CESER du 11.03.2014 ; « Modèles économiques : quoi de neuf ? Les limites du modèle industriel. Mise en débat des modèles de l’économie circulaire et de l’économie collaborative », C. du TERTRE et P. VUIDEL, Club Economie de la fonctionnalité, juin 2014.

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 17 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

- dans le domaine de l’emploi et de l’organisation du travail, une plus grande place laissée à la compétence, la confiance, la santé,… ; - dans le cadre du développement des ressources immatérielles, un travail de formalisation, dans la structure de l’entreprise, des retours d’expérience, ….

Enfin, c’est un autre rapport entre la firme et le territoire que propose cette vision de la fonctionnalité. Désormais, les solutions proposées ont un ancrage territorial. Celles-ci sont directement liées aux attentes des consommateurs, eux-mêmes intégrés à un espace local bien identifié. De la même manière, la production de ces solutions doit tenir compte du contexte local et s’inscrire dans ce contexte pour l’enrichir (création d’emplois, formation, …) ou le faire évoluer (réalisation d’investissements, …).

I-2- TYPOLOGIES D’ENTREPRISES ET D’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE : LES TYPOLOGIES EXISTANTES, CELLE RETENUE PAR LE GROUPE POUR FAIRE EMERGER DES TENDANCES EN MATIERE D’EVOLUTION DES METIERS, COMPETENCES ET BESOINS EN FORMATION

I-2-a- Les typologies existantes : des PSS au “bouquet” en passant par les typologies prenant en compte plus particulièrement le lien entre les entreprises et le territoire4

Pour aller au-delà de la seule accumulation de monographies et pouvoir déterminer des tendances en matière d’évolution des métiers et compétences, il était nécessaire d’utiliser un mode de classification des entreprises auditionnées. Au regard de la spécificité du panel, il est rapidement apparu que les typologies existantes ne permettaient pas ce classement. Ainsi, une première typologie des économies de la fonctionnalité et des entreprises s’y référant émane du courant anglo-saxon et porte plus largement sur les « Product-Service Systems » (PSS) ou littéralement les « systèmes Produit-Service ». Cette typologie s’applique aux entreprises cherchant à développer une offre de prestations allant du produit aux services complémentaires s’y rattachant5. Cette typologie dépasse donc la seule économie de la fonctionnalité Des auteurs français tels que P. Moati, pour leur part, s’attachant à décrypter l’évolution des échanges entre entreprises (Business to Business ou « B to B ») parleront de « bouquets ». Ceux-ci se définissent comme une offre commerciale composée de biens et services vendus habituellement séparément et destinés à répondre plus précisément et individuellement à la demande du client, dans une logique de service. Enfin, la typologie proposée par N. Buclet s’attache, quant à elle, à mettre en avant la nature du lien entre la firme et le développement durable du territoire. En conclusion, on s’apercevra que chaque typologie met en avant un élément en particulier de l’économie de la fonctionnalité : la logique de l’usage ou du service, le lien entre l’entreprise et son territoire dans un contexte de développement durable,…

4 Source : « L’économie de fonctionnalité entre éco-conception et territoire : une typologie », N. Buclet, Développement durable et territoires, février 2014 5 Plusieurs types de PSS ont été identifiés. La typologie de PSS la plus utilisée est celle de K. Hockerts, différenciant le PSS orienté « Produit » (offre d’un service additionnel), le PSS orienté « usage » (location) et le PSS orienté « performance » (garantie de la satisfaction des besoins du client).

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18 | Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins

et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

I-2-b- Un essai de classification des entreprises auditionnées par le groupe de travail tenant compte des spécificités du panel

La méthodologie de travail utilisée pour construire ce rapport est l’audition d’acteurs de terrain. Plusieurs organismes (entreprises, opérateurs intermédiaires, financeurs, …) se sont succédé au cours des différents groupes de travail pour nous faire part de leur sentiment et de leur vécu dans la mise en œuvre d’un « modèle » de la fonctionnalité et de ses impacts sur les métiers et compétences. Le panel d’entreprises interrogées présente certaines caractéristiques : il mélange petites entreprises et grands groupes, ces entreprises étant issues de secteurs d’activité différents. Enfin, il ne peut être considéré comme représentatif de la diversité de l’économie de la fonctionnalité tant ce concept ouvre de champs possibles d’expérimentations. L’examen de ce panel a permis de faire émerger un constat : si aucune entreprise auditionnée n’applique dans sa totalité le modèle de la fonctionnalité tel que décrit par C. du Tertre, certaines ont atteint un stade avancé alors que d’autres sont plus présentes sur certaines étapes du processus. Le mode de regroupement des entreprises sera donc fonction de leur appropriation, différenciée, des éléments du modèle économique de la fonctionnalité. Pour faire émerger ces groupements, le modèle a été décomposé en chacun de ces éléments : - la performance d’usage : l’usage que l’on a d’une solution et non la propriété ; - la performance territoriale : les liens avec le territoire ; - la prise en compte des externalités environnementales

- la prise en compte des externalités sociales (positives et négatives, concernant l’entreprise et son environnement) : création ou pertes d’emplois, besoins en formation, investissements,… ; - la valorisation des investissements immatériels : valorisation des connaissances, de son ouverture sur l’extérieur, d’un travail de veille / prospective,… .

Ces éléments, non dissociables, sont appliqués à chaque étape du cycle de vie de la solution « intégrée » : - la conception de la solution / du produit ; - la production de la solution / du produit ; - l’usage de la solution (accompagnement, services, …) ;

- logistique (achat et transport des matières premières, livraison de la solution / du produit) ;

- recyclage de la solution / du produit ; - inscription dans la gouvernance et l’organisation de l’entreprise des investissements immatériels : sous forme de création d’un service, d’une direction, …

Ainsi, on distingue 3 groupes : - les entreprises ayant entamé le processus, qui souhaitent le mener à terme, et présentes actuellement principalement sur les étapes de la conception et production de la solution (Quadra Diffusion, Dumont) ; - les entreprises présentes sur presque toutes les étapes du processus menant à la mise en place au sein de leur organisation d’un modèle de la fonctionnalité (exemple du groupe Bouygues) ; - Les entreprises ayant choisi de se positionner sur une étape en particulier du processus (Lokeo, Lambin, CER France).

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 19 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

Critères de

l’économie de la fonctionnalité

Cycle de vie Du produit

Performance d’usage : Privilégie l’usage et non le

produit, apport de services,

écoute du client, co-conception et

production avec le client

Performance territoriale :

proximité, prise en compte

et inscription dans les enjeux territoriaux

Prise en compte des externalités, positives et

négatives, sociales (internes à l’entreprise :

adéquation de la compétence des salariés

par la formation ; externe à l’entreprise : pertes

d’emploi,…)

Prise en compte des externalités

environnementales

Valorisation des investissements

immatériels : Expertise, compétence

Ouverture sur l’extérieur, R et D

Conception de la solution / du produit

Bouygues (co-conception avec le client) Quadra Diffusion (co-conception avec le client) D. Dumont (co-conception avec le client d’une solution de chauffage) CER France (co-conception du service avec le client)

Bouygues (Norpac en NPDC) Quadra Diffusion (implantation locale, emplois locaux) D. Dumont (implantation locale, emplois locaux) CER France (délégués territoriaux)

Bouygues (formation des salariés, système de compagnonnage) Quadra Diffusion (formation des salariés et amélioration des conditions de travail) D. Dumont (formation des salariés)

Bouygues (prise en compte de la contrainte environnementale dans la conception des bâtiments projets urbains) Quadra Diffusion (en cours de réflexion) D. Dumont (en cours de réflexion) CER France (prise en compte de l’évolution de la réglementation)

Bouygues (recherche dans le cadre de la conception de logiciels, R et D collaborative, formation des salariés, système de compagnonnage) Quadra Diffusion (Ouverture sur l’extérieur) D. Dumont (ouverture sur l’extérieur)

Production de la solution / du produit

Bouygues (contrats globaux, travail en réseau avec de multiples acteurs) Quadra Diffusion (co-conception et production avec le client) D. Dumont (co-conception et production avec le client)

Bouygues (projets en lien avec les habitants et les acteurs locaux) Quadra Diffusion (production sur place) D. Dumont (production sur place) CER France (production sur place)

Bouygues (formation des salariés, système de compagnonnage) Quadra Diffusion (formation des salariés et amélioration des conditions de travail) D. Dumont (formation des salariés)

Bouygues (prise en compte de la contrainte environnementale dans la construction des bâtiments et la mise en œuvre de projets urbains) Quadra Diffusion (en cours de réflexion) D. Dumont (production sur place) CER France (mise aux normes des clients)

Bouygues (recherche dans le cadre de la conception de logiciels, formation des salariés, système de compagnonnage) Quadra Diffusion (Ouverture sur l’extérieur) D. Dumont (ouverture sur l’extérieur)

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20 | Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins

et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

Usage de la solution / du produit

(accompagnement, services,…)

LOKEO (location de biens avec services au client)

LOKEO (implantation locale)

LAMBIN (vente d’outils portables afin d’éviter les troubles musculo-squelettiques)

LOKEO (pas de vente mais location d’un bien. Privilégie l’usage) LAMBIN (vente d’outils utilisant l’électricité et non de l’essence)

LOKEO (innovation nécessaire dans des domaines tels que : le mode de paiement du service, …)

Logistique : Achat et transport des

matières premières, livraison de la solution

Bouygues (en réflexion : une contractualisation permettant à Bouygues de rester propriétaire de ses matériaux, ce qui limite les questions liées à la livraison et au déplacement des matières premières) LOKEO (respect des délais de livraison)

Recyclage du produit / de la solution

Bouygues (en réflexion : une contractualisation permettant à Bouygues de rester propriétaire de ses matériaux pour recyclage et réutilisation)

Bouygues (en réflexion : réutilisation des matériaux recyclés sur place)

Bouygues (en réflexion : une contractualisation permettant à Bouygues de rester propriétaire de ses matériaux)

Inscription dans la gouvernance et

l’organisation de l’entreprise

Bouygues (renforcement de service commercial et des compétences en commercial

Bouygues (actionnariat salarié) CER France (gouvernance associative)

Bouygues (création d’une nouvelle direction « Prospective et marketing stratégique ») Quadra Diffusion (formation des salariés) D. Dumont (formation des salariés)

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 21 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

II- L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE EN NORD PAS-DE-CALAIS

II-1- UNE ACTION VOLONTARISTE DES POUVOIRS PUBLICS REPRISE PAR UNE DYNAMIQUE GLOBALE PORTEUSE

II-1-a- Des actions collectives organisées par les organismes institutionnels et les réseaux…6

L’intérêt pour l’économie de la fonctionnalité en Nord – Pas de Calais naît d’une initiative préalable en 2010 – 2011 : une étude action commandée par la Région et réalisée avec l’aide du cabinet de conseil Atemis que dirige C. du Tertre et de plusieurs réseaux d’entreprise. 4 réseaux ont participé à cette étude ainsi que 9 entreprises. A partir de cette étude, le CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) et le réseau Alliances (accompagnement d’entreprises dans la mise en place d’un modèle de la fonctionnalité) ont lancé une action d’accompagnement commune suivie par une première vague de 22 entreprises (2012-2013). Ce parcours comporte 2 étapes. La première se donne pour objectif d’accompagner les dirigeants afin qu’ils définissent « une nouvelle vision ou une nouvelle proposition de valeur » ainsi que « les grande étapes pour concrétiser cette vision ». La seconde apporte une aide aux dirigeants dans la co-construction d’un « écosystème favorable à la concrétisation de leur intuition ». L’action a été relancée et est suivie par une dizaine d’entreprises. De son côté la CCI Grand Lille a lancé une action collective d’accompagnement à l’économie de la fonctionnalité à laquelle participent 5 entreprises. Celle-ci se construit sur deux phases. La première aboutit à la mise en évidence des enjeux et perspectives qu’ouvre l’évolution du modèle de l’entreprise vers la prise en compte des principes de la fonctionnalité. La seconde, phase « action », identifie dans l’entreprise une activité « produit service » test et offre un suivi individuel de l’intégration par l’entreprise des règles de la fonctionnalité. Enfin, un groupe de réflexion prospective s’est constitué autour de la thématique « Villes durables et nouveaux modèles économique et de développement ». Ce groupe, initié par le CERDD et la CCI Grand Lille, se donne pour finalité de permettre une appréhension collective des mutations qui touchent la ville et les modes de vie durable, d’impulser de nouveaux rapports entre les « acteurs de la ville » et de faciliter l’émergence d’expérimentations et d’innovations urbaines.

6 Auditions de J.C. Lipovac (CEntre Ressource du Développement Durable) le 11 mars 2014, S. Ledez (réseau Alliances) le 2.06.2015, S. Cabaret (CCI Grand Lille) le 7.10.2014.

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22 | Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins

et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

II-1-b- …Actions relayées par la dynamique lancée par la Troisième Révolution Industrielle (TRI)7 …

L’auteur du concept de Troisième Révolution Industrielle, Jérémy Rifkin, part du constat que notre modèle de développement se révèle trop consommateur d’énergie fossile (pétrole, charbon, gaz naturel). Cette sur-consommation aboutit notamment à des bouleversements climatologiques (réchauffement de la planète) qui remettraient en cause nos modes actuels de développement et d’existence. Une solution consisterait à aller vers un / des modèle(s) de développement plus soutenable(s), moins consommateur(s) d’énergie, allant même jusqu’ à la production d’une énergie distribuée, circulant dans des réseaux de façon intelligente. Ainsi, alors même qu’une révolution industrielle se définirait, selon lui, comme la convergence d’une technologie des communications avec un système énergétique, nous passerions d’une « seconde révolution industrielle » basée sur le lien entre communication électrique et moteur à combustion, à une « troisième révolution industrielle » axée sur la jonction entre la communication par internet et les énergies renouvelables. 5 piliers forment les fondements de la TRI vue par J. Rifkin : - Le passage aux énergies renouvelables ;

- La transformation du parc immobilier de tous les continents en ensemble de microcentrales énergétiques qui collectent sur site des énergies renouvelables ; - le déploiement de la technologie de l’hydrogène et d’autres techniques de stockage dans chaque immeuble et dans l’ensemble de l’infrastructure, pour stocker les énergies intermittentes ; - L’utilisation de la technologie internet pour transformer le réseau électrique de tous les continents en inter-réseau de partage de l’énergie fonctionnant comme internet ;

- le changement de moyens de transport par passa ge aux véhicules électriques. En 2007, le Parlement européen faisait de la Troisième Révolution Industrielle sa vision à long terme de l’évolution de l’Europe et sa feuille de route.

I-1-c- … Dynamique dans laquelle s’inscrit pleinement le NPDC avec l’adoption d’un Master plan TRI

Le NPDC fait partie de ces régions fortement consommatrices en énergie de par sa spécialisation industrielle. Mais c’est aussi pour cette même raison que la région a entamé rapidement des actions en faveur de la sauvegarde de l’environnement : mise en œuvre dès les années 90 d’une politique de développement durable, adoption d’un Agenda 21 régional (2004), adoption du Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire (SRADDT, 2006,…). C’est dans ce contexte que s’inscrit la réflexion puis l’adoption conjointe entre la CCI de Région Nord de France, le Conseil régional et J. RIFKIN d’un master plan. Le Master plan8 est l’adaptation du concept de la Troisième Révolution Industrielle aux spécificités du NPDC. Il a fait l’objet d’une présentation au public dans sa version finale en

7 « La troisième révolution industrielle », J. RIFKIN, 2011, édition LLL

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 23 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

Source : « La troisième révolution industrielle – Master plan », 2013, Conseil Régional du NPDC, CCI Région Nord de France

octobre 2013, lors de la séance plénière terminale du World Forum Lille. Il a été suivi de la publication d’une feuille de route régionale. Le master plan reprend les 5 piliers de la TRI et y ajoute l’économie de la fonctionnalité ainsi que l’économie circulaire.

La feuille de route9 décline concrètement les finalités et ambitions de la TRI appliqués à la région. Elle précise également les moyens mis à la disposition de la démarche (outils de financement, …) ainsi que des indicateurs de suivi. Ces finalités sont : d’assurer une parfaite compatibilité entre la TRI et le processus dans lequel s’est engagé la région de transition énergétique, de revenir sur la trajectoire des objectifs 2020 en matière d’émission de carbone et de développer une économie « post-carbone ». Faire preuve d’une plus grande sobriété énergétique responsable, mettre en place d’autres formes de mobilité, développer des énergies renouvelables intelligentes sont les ambitions inscrites de la feuille de route. Face à des entreprises qui consomment beaucoup d’énergie par rapport à leur production, l’efficacité énergétique et la réduction des gaz à effet de serre sont un des enjeux majeurs de la région. La question de la mobilité est importante dans une région très peuplée et la question va se poser de façon plus actuelle avec la fusion des régions picardes et NPDC. Un programme de mobilité alternative devrait voir le jour. Enfin, le développement des énergies renouvelables s’accompagnera de nouvelles formes de distribution grâce aux réseaux intelligents.

8 « La troisième révolution industrielle – Master plan », 2013, Conseil Régional du NPDC, CCI Région Nord de France 9 « Feuille de route régionale de la Troisième Révolution Industrielle en NPDC », 27 Mai 2014, Conseil Régional du NPDC

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24 | Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins

et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

II-2- DES ACTIONS ACCOMPAGNEES PAR DES ACTEURS INSTITUTIONNELS, DES CENTRES DE RESSOURCE ET D’EXPERTISE, DES RESEAUX D’ENTREPRISES

II-2-a- Les acteurs institutionnels Il faut rappeler ici le rôle incitatif que peuvent et doivent jouer les pouvoirs publics. Ainsi, les débats lancés en 2007 par l’Etat autour du Grenelle de l’Environnement donnèrent lieu à la constitution d’un groupe de travail autour de la thématique des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi. La question de l’économie de la fonctionnalité est posée. Le groupe proposera, afin de la promouvoir : le passage de la dénomination « économie de la fonctionnalité » à « économie de l’usage », le repérage des freins à son développement et l’apport de solutions,…10 A cela il faut bien évidemment ajouter le rôle joué par les collectivités et chambres de commerce locales. Rappelons les actions collectives initiées depuis 2010-2011 par le Conseil Régional du NPDC ainsi que par la CCI Grand Lille (cf II-1-a)

II-2-b- Les centres de ressource et d’expertise En NPDC, le Centre de Ressource du Développement Durable (CERDD) aide toute organisation, privée ou publique, à prendre en compte des enjeux de développement durable et de changement climatique dans ses objectifs et à être actrice de la transition économique, sociale et écologique. Il a pour mission : de mobiliser et susciter l’engagement de tous, faciliter et outiller la réalisation de projets de développement durable et d’identifier et stimuler les innovations. Parmi ses thèmes de travail figurent les nouveaux modèles économiques « comme voie de transition vers des territoires durables ». Le CERDD est également co-fondateur avec la CCI Grand Lille d’un groupe de réflexion et d’action sur les « Villes durables et les nouveaux modèles économiques ». Le Centre de Développement des Eco-Entreprises (CD2E) a pour vocation de promouvoir les éco-entreprises dans le NPDC. L’association est chargée des missions de :

- soutien à la création et au développement des éco-entreprises par l’apport de solutions techniques, de R et D,… ; - veille sur ce secteur afin d’anticiper les évolutions à venir ; - développement de filières régionales.

Au niveau national et européen, il faut mentionner notamment le rôle important du cabinet de conseil animé par Christian du Tertre, ATEMIS et la création en 2014 de l’Institut Européen de l’Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération (IEEFC). ATEMIS est un cabinet de conseil et un « laboratoire d’idées » co-fondé par C. du Tertre sur l’Analyse du Travail Et des Mutations Industrielles et des Services (ATEMIS). Le cabinet s’est spécialisée sur plusieurs thématiques dont le développement économique, écologique et social du territoire (agendas 21, responsabilité sociale des entreprises,…). Dans ce cadre,

10 Ministère de l’environnement et du développement durable, restitution du groupe 6 « Promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi », 2007

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 25 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

Atemis intervient auprès des collectivités et entreprises en associant conseil et recherche sur la base de nouvelles approches du travail, des services et du territoire. C’est également C. du Tertre, en compagnie de C. Sempels (SKEMA) qui est à l’origine de l’Institut Européen de l’Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération (IEEFC). Créé en 2014-2015, cet institut intervient sur des missions :

- d’accompagnement des territoires dans leur capacité à s’approprier les enjeux économiques, sociaux et environnementaux qui s’imposent à eux ; - de soutien à l’émergence de nouveaux modèles économiques et à leur appropriation par les acteurs du développement sociétal ;

- de réflexion sur de nouveaux modes de travail ensemble et de coopération. L’IEEFC s’est donné différents leviers d’action qui vont de la formalisation de référentiels à la professionnalisation des acteurs (actions de formation), en passant par des actions d’animation et montage de clubs, de supervision et suivi des actions menées, …

II-2-c- Les réseaux d’entreprises régionaux et nationaux Le réseau ALLIANCES et le club NOE en NPDC sont très impliqués dans le développement et l’appropriation par les entreprises des principes de l’économie de la fonctionnalité. Le réseau ALLIANCES (« Entrepreneurs de croissance responsable », association datant de 1993) regroupe environ 230 adhérents et partenaires. Il s’est donné pour objectif d’être « LE réseau d’entreprises de la Responsabilité Sociétale des Entreprises » (RSE). L’association diffuse les « bonnes pratiques » en la matière, anime des réseaux et communautés autour de thématiques voisines. Si la RSE reste le cœur de l’intervention d’ALLIANCES, celle-ci trouve ses prolongements dans : la « mobilité durable », « la diversité et insertion », les « achats responsables » l’ « économie de la fonctionnalité ». Le club NOE, « Nouveaux modèles économiques et développement durable, vers l’économie de la fonctionnalité et de la coopération », est issu de l’action collective mise en place en 2011-2012 par la Région, ATEMIS et le CJD. Son rôle consiste à concourir au développement d’une dynamique de la fonctionnalité et d la coopération à l’échelle du NPDC. En complément du réseau ALLIANCES et de la CCI Grand Lille, le club est un lieu de ressources, de formation de rencontres et de coopération pour toute organisation intéressée par le modèle de la fonctionnalité. Sur le plan national, le cabinet ATEMIS a créé en 2007 le club « Economie de la fonctionnalité et développement durable ». Il réunit des chercheurs en sciences sociales, des cadres d’entreprise, des consultants et des membres d’institutions territoriales. Les échanges qui ont eu lieu au sein de ce groupe ont pour but de repérer et analyser l’émergence de dynamiques de la fonctionnalité, de socialiser et créer une communauté de réflexion et d’action et d’animer un réseau de recherche. Du côté des entreprises, le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) et surtout son antenne en NPDC participe aussi de ce mouvement en faveur de l’économie de la fonctionnalité.

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26 | Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins

et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

II-3- APPORTS ET LIMITES DE CETTE APPROCHE

II-3-a- Les apports de cette approche : mettre en valeur une évolution, un signal émanant du monde économique et battre en brèche quelques idées reçues

Les entreprises qui ont entamé aujourd’hui en NPDC une démarche de sensibilisation et/ou d’initiation au modèle de l’économie de la fonctionnalité sont à peu près 60. Sans qu’il soit encore possible de parler de grande et lourde tendance de fond, ce signal mérite d’être analysé, étudié et diffusé. C’est un des apports de ce travail que de mettre en valeur des modèles alternatifs de développement économique et sociétal, cela correspond également à la vocation du groupe « Métiers et activités de demain », en tant que groupe prospectif. Par ailleurs, ce document met en valeur, communique autour de « bonnes pratiques », d’expériences et d’exemples concrets. Dans ce cadre, la diffusion de l’information dépasse alors le monde de l’entreprise pour atteindre les différentes composantes de la société civile. Enfin, le travail réalisé par ce groupe s’est effectué en toute objectivité et avec une certaine prise de distance donnant tout leur sens aux préconisations auxquelles aboutit le rapport. Cette approche a permis aussi de revenir sur quelques idées reçues et sur quelques a priori. Il n’est en effet pas rare d’associer « économie de la fonctionnalité » à « économie de la pauvreté ». Les arguments expliquant cette comparaison font souvent référence au coup de projecteur mis sur ces modèles alternatifs (économie de la fonctionnalité mais aussi économie circulaire, économie servicielle, …) depuis la crise de 2008-2010, ou à l’importance donnée à la notion d’usage s’apparentant à de la location de biens que l’on substituerait à l’acte d’achat devenu plus difficile en temps de crise. Viennent alors en tête le rôle joué par certaines associations auprès de familles en difficulté en matière de prêt de matériel,… Il faut abandonner cette idée reçue. En effet, la prise en compte par une organisation des principes du modèle de la fonctionnalité, c’est-à-dire :

- l’apport d’une solution intégrée de biens et services : présence sur toute la chaîne de valeur, apport de services ; - basée sur une performance d’usage et/ou territoriale : concevoir la solution afin de privilégier l’usage par rapport à la propriété (travail sur la conception, le service à partir d’une adaptation forte aux besoins du client) en lien avec un territoire ; - prenant en compte les externalités environnementales : prise en compte sur tout le cycle de vie du produit de la contrainte environnementale (depuis la conception jusqu’en fin de vie) telles que l’utilisation d’énergie et de matière première, … - prenant également en compte les externalités sociales : organisation du travail, bien-être au travail, qualification des personnes et besoins en formation, … - avec valorisation des investissements immatériels : connaissance, ouverture sur l’extérieur, ce qui peut aller, dans le cadre d’une « valorisation », jusqu’à l’inscription dans l’organisation de l’entreprise de ces investissements immatériels (mise en place d’un système de compagnonnage, organisation d’un service de veille,…)

implique : - de la R et D, un travail important en matière de conception des solutions ;

- la formation des dirigeants et des personnes, l’application, même partielle, de ce modèle dans une organisation s’accompagne très généralement d’une hausse des qualifications et d’une forte sollicitation des compétences ;

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Économie de la fonctionnalité : impacts sur les métiers, les compétences, les besoins 27 | et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

- une trésorerie importante (notamment pour les « loueurs »); - une organisation suffisamment solide pour prendre en compte toutes les externalités environnementales et sociales ;

- … Il ne peut donc s’agir d’une « économie de la pauvreté ». L’économie de la fonctionnalité ne peut pas non plus être réduite à la seule activité de location de biens. Comme l’ont montré les auditions réalisées, chaque entreprise s’approprie différemment ce modèle, mettant en valeur la progression dans un processus ou seulement la présence sur une étape en particulier de la définition. C’est à cette dernière conception du modèle de la fonctionnalité que fait référence la notion de location. Certaines entreprises ont en effet choisi de se spécialiser sur l’usage sans pour autant intervenir sur la conception des produits ou sur la fin de vie des produits. D’autres, au contraire, ont abordé cette « économie » dans une optique d’évolution, l’idée étant de progresser étape par étape afin de se rapprocher le plus possible de ce modèle sans pour autant mettre l’entreprise en difficulté financière. Enfin, l’économie de la fonctionnalité n’est pas seulement une économie servicielle. Si celle-ci s’inscrit complètement dans une économie de service et met en valeur l’apport de service dans l’apport d’une solution intégrée, elle se différencie en prenant en compte les dimensions sociales et environnementales de la production d’une solution. Enfin, aucune des entreprises auditionnées n’applique tous les principes de l’économie de la fonctionnalité. Toutes s’y réfèrent. Certaines avancent étape par étape. D’autres se sont spécialisées sur un segment du modèle. Une seule nous en a semblé s’en approcher, sans pour autant parvenir à remplir tous les critères, mais elle aussi continue son évolution. Remplir tous les critères s’avère extrêmement complexe, lourd en termes de R et D tout en respectant la contrainte de rentabilité.

II-3-b- Les limites du rapport : elles sont liées à la méthodologie mais aussi à la complexité d’approche du concept

Dans le cadre de ses auditions, le groupe a invité plusieurs entreprises à témoigner de leur expérience. Ces entreprises sont issues de secteurs d’activité différents et de filières différentes. Ce modèle, encore confidentiel, étant peu développé dans le tissu économique, il n’a pas été possible d’adopter une approche par secteur ou filière. Le groupe a donc travaillé avec les entreprises qui ont accepté de livrer leur témoignage, en fonction des informations que chacune a accepté de donner au groupe. Le panel est ainsi très diversifié, la précision de l’information, différente selon le niveau d’avancement de l’entreprise dans ce processus et chaque société ayant, nous l’avons découvert par la suite, une compréhension spécifique de la fonctionnalité. A partir de ces quelques expériences, d’informations et de résultats sensiblement disparates, il s’est révélé très difficile de faire émerger de grandes tendances de fond en matière d’évolution des métiers et compétences notamment. Par ailleurs, le concept d’économie de la fonctionnalité est assez complexe d’approche pour deux raisons. La première se rapporte à sa définition même. C. du Tertre a proposé une définition de ce modèle, définition qui a été prise comme base dans ce rapport. Cependant,

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le monde anglo-saxon n’a pas la même approche. Le courant français se différencie par la prise en compte d’externalités alors que le mouvement anglophone s’attachera plutôt à la notion d’usage. Enfin, la définition donnée par C. du Tertre ouvre la voie à des interprétations différentes de ce que l’on peut entendre par « solution intégrée de biens et services », « performance d’usage et/ou territoriale », « externalités environnementales et sociales », « valorisation des investissements immatériels ». A chaque fois, les mêmes questions reviennent : jusqu’où peut-on, doit-on aller ? Et la rentabilité de l’entreprise ? …

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DEUXIEME PARTIE : L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE DANS LES ENTREPRISES : IMPACTS SUR LES METIERS, LES COMPETENCES, LES BESOINS ET NOUVELLES FORMES DE FORMATION

I- LE GROUPE DES ENTREPRISES POUR LESQUELLES L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE EST UN PROCESSUS EN COURS D’ADOPTION ET D’APPLICATION

I-1- UNE TRANSFORMATION EN COURS QUI IMPACTE LA STRATEGIE ET L’ORGANISATION DE L’ENTREPRISE

I-1-a- Les entreprises de ce groupe : des TPE-PME régionales qui ont repensé la conception et la production de leur prestation autour du client

Cette classification regroupe les entreprises pour lesquelles le modèle de la fonctionnalité tel que décrit par C. du Tertre est l’idéal-type à atteindre. Elles ont donc entamé un processus étape par étape en tenant compte à chacune d’elles de contraintes notamment de rentabilité afin de ne pas mettre en péril la société. Cette transformation doit donc se faire « en douceur » dans le respect des règles en vigueur dans un système économique plus « traditionnel ». Ces entreprises sont principalement présentes sur les étapes de la conception et production de la solution. Dans notre idéal-type de modèle de la fonctionnalité, cette solution comprend toute les étapes depuis sa conception qui prend en compte les besoins particuliers de chaque client (co-conception, voire co-évaluation) jusqu’à la production de cette solution avec les services s’y référant (livraison, maintenance, …) en passant par son usage, sa livraison, son recyclage (si nécessaire). A chaque étape les conditions du modèle doivent être respectées : performance d’usage et / ou territoriale, prise en compte des externalités sociales et environnementales et valorisation des investissements immatériels. Par ailleurs, ces entreprises sont soumises à une double obligation : celle de fournir à leur client une prestation répondant à certaines contraintes, et respectant eux-mêmes, en interne, ces contraintes.

I-1-b- Une transformation qui impacte la stratégie et l’organisation des entreprises Deux entreprises ont accepté de témoigner : Quadra Diffusion et Dumont Energies. Ces 2 entreprises ont suivi l’action collective en 2010-2011 proposée par ATEMIS, la Région et le CJD sur l’économie de la fonctionnalité. L’application des principes de ce nouveau modèle a eu pour conséquence de faire évoluer l’organisation et la stratégie de leur entreprise.

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Créée au début des années 2000 puis rattachée en 2004 au groupe Quadra Informatique, Quadra Diffusion est une société d’édition de solutions logicielles métiers. Ses clients sont des afficheurs, lotisseurs ou bailleurs sociaux, … Le dirigeant a souhaité participé à l’action collective « Economie de la fonctionnalité » afin de se différencier des autres entreprises du secteur et de sortir de « cette course à la concurrence » dans laquelle l’entraînait un « modèle à bout de souffle ». Pour l’entreprise, il s’agissait donc de passer de la vente d’un produit à la vente d’un usage ». Le dirigeant a donc repensé la conception des logiciels en lien avec la demande du client et a décidé de réduire la partie « maintenance » de sa prestation (60 % du chiffre d’affaires). L’objectif est le « zéro maintenance / zéro défaut » dans les 5 ans à venir. Les prestations ont été reconstruites en prenant en compte les besoins réels des clients, tout en tenant compte de contraintes environnementales et sociales. La société propose, par exemple à l’un de ses clients de passer de la conception d’un logiciel de gestion de la lubrification de machines à la vente d’heures de disponibilité des machines. L’objectif n’est plus de gérer les besoins et manque en matière de lubrification mais que la machine reste disponible. Didier DUMONT, dirigeant de la société Dumont Energie (environ 40 personnes) a effectué le même travail de remise en question. A l’origine spécialisée dans la mécanique, la société, créée en 1949, s’est peu à peu repositionnée sur l’électricité puis le chauffage et la plomberie. La sensibilité du dirigeant au développement durable a entraîné l’entreprise vers les énergies renouvelables. Le chauffe-eau solaire, la géothermie, le photovoltaïque ou l’éolien sont désormais les axes de développement de la société. A partir de 2010-2011, la participation de D. DUMONT à l’action collective « Economie de la fonctionnalité » l’incite à repositionner ses prestations non pas sur de la vente de matériel ou d’un outil de chauffage, par exemple, une chaudière mais sur l’usage recherché par le client, à savoir, « être bien chauffé », le matériel s’adaptant alors aux spécificités de la clientèle (type d’habitat, mode de vie de la personne, …). L’entreprise partira alors à la re-découverte de ses clients. D. Dumont sera également à l’origine du club NOE. Parallèlement les organisations ont évolué. Chez Quadra Diffusion, quelques-unes de ces évolutions portent, tout d’abord, sur un renforcement du service en charge de la clientèle. Le client, est ici remis au centre du processus de création de valeur. Une fois de plus, l’objectif est de répondre le plus précisément à ses attentes en proposant une offre personnalisée. Cela nécessite donc une bonne connaissance de ses activités, de son environnement, de ses priorités. L’offre doit être co-construite avec le client. Autre service à renforcer : le service juridique, en lien avec le renforcement de l’obligation de résultat devant laquelle se trouve désormais l’entreprise. Par ailleurs, l’entreprise réfléchit actuellement à la mise en place d’un laboratoire d’innovation. Pour cela, un rapprochement avec le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche est prévu. Source : www.quadra-diffusion.fr

Enfin, c’est également au service « Production » d’être réorganisé, la plupart de interventions concernant, jusqu’à maintenant, des opérations de maintenance. L’objectif « zéro maintenance / zéro défaut » suppose une augmentation du nombre de tests de

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contrôle qualité de même qu’une transformation des produits avec des applications désormais plus simples et plus petites.

I-2- IMPACTS SUR LES METIERS, LES COMPETENCES ET LA FORMATON

I-2-a- Une évolution des métiers qui doit être préparée : accompagnement et formation

C’est, dans un premier temps, le dirigeant qui doit faire évoluer ses missions et son métier. S’impliquer dans cette démarche nécessite, tout d’abord, de la part du dirigeant un certain état d’esprit. En effet, celui-ci doit accepter de se remettre en cause et de remettre en cause sa manière de travailler. Il doit être convaincu de la nécessité de respecter les principes de la responsabilité sociale et environnementale. Il va chercher à ancrer son développement sur le développement local. De plus, il doit porter ce changement dans l’entreprise, auprès de ses salariés qu’il doit préparer. Celui-ci doit donc afficher parmi ses compétences celle d’animateur d’équipe, d’agent / promoteur / accompagnateur du changement auprès de ses équipes. Ce changement, sans être imposé, doit être accepté. Du côté des équipes, les futurs métiers vont largement suivre cette évolution de l’organisation vers le service au client et la redécouverte de son besoin. Leur transformation va plutôt aller dans le sens d’une plus grande qualification. Dans l’avenir, les recrutements que pourraient envisager l’entreprise concerneraient plutôt les métiers d’ergonome ou designer. Une autre évolution est attendue avec des besoins en direction des métiers en amont tels que la formation, le marketing / commerce, l’assistance, …. En matière de formation, l’effort à consentir est important : chez Quadra, l’investissement dans la formation représente 4 % de la masse salariale. Des changements de cette nature au sein de l’organisation d’une entreprise doivent être préparés et accompagnés. Chez Quadra Diffusion, la mise en place de ce nouveau modèle, tourné vers le client, s’est accompagné d’actions de sensibilisation, information, communication.

I-2-b- Des compétences enrichies et complétées en lien non seulement avec la relation - client mais également avec la spécificité des entreprises

L’évolution des compétences dans ce groupe d’entreprises suit plusieurs tendances. Parmi elles, on note, en lien avec le renforcement de la relation avec le client, la recherche de compétences en matière d’écoute, et de compréhension des besoins des clients. Celles-ci s’inscrivent dans le contexte d’une co-construction de la prestation avec le client et de co-création d’une offre globale. Ce qui implique la capacité à savoir créer un climat de confiance. L’adoption par les entreprises de ce nouveau modèle de développement implique une plus grande ouverture sur son environnement, une perméabilité de l’entreprise aux évolutions de

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son environnement et de la société en règle générale. Cela se traduit par un accroissement des compétences en matière de veille et d’ouverture sur l’extérieur. Pour Quadra Diffusion, cette veille est nécessaire car l’entreprise peut ainsi transformer de l’information recueillie dans son environnement (en clientèle, dans la presse, …) par les salariés en connaissances à exploiter dans la construction d’une nouvelle offre de service. L’ouverture sur l’extérieur peut prendre la forme de l’accueil d’étudiants au sein de la société, d’un enrichissement de ses prestations par de la formation dispensée à des salariés ou dirigeants extérieurs à la structure. L’information ainsi recueillie peut, elle aussi, créer de nouvelles opportunités en matière d’offre de prestations. Enfin, une autre évolution des compétences est à chercher du côté de la spécificité de chaque entreprise et de son secteur d’activité voire de son mode d’intervention chez le client. La pratique des métiers de l’informatique s’accompagne désormais de la nécessité de bien connaître le milieu dans lequel on intervient : connaissance du métier de son client, de son secteur d’activité, de son environnement, de ses contraintes,… La double compétence, en informatique et dans un autre domaine d’activité, est de plus en plus recherchée, de même qu’une capacité à co-construire la solution avec le client.

II- LES ENTREPRISES PRESENTES SUR PRESQUE TOUTES LES ETAPES DU PROCESSUS MENANT A LA MISE EN PLACE D’UN MODELE DE LA FONCTIONNALITE

II-1- MODELE DE LA FONCTIONNALITE ET IMPACT SUR L’ORGANISATION : UNE PRESENCE SUR TOUTES LES ETAPES DE LA CHAINE DE VALEUR EN LIEN AVEC LA STRATEGIE DE L’ENTREPRISE

II-1-a- Définition - Des entreprises qui se veulent au plus proche d’un modèle de la fonctionnalité

Ainsi que nous l’avons fait remarquer, aucune entreprise du panel ne parvient à appliquer tous les principes de l’économie de la fonctionnalité. Aucune, pour des questions de coût, rentabilité,… n’a donc adopté ce modèle dans sa totalité. Mais certaines tendent à s’en approcher. Dans notre panel, l’entreprise Bouygues appartiendrait à ce groupe. Cela peut paraître choquant qu’un constructeur ait une démarche « économie de la fonctionnalité ». Bouygues est en effet beaucoup plus connue pour ses immeubles et son goût prononcé pour le béton que pour ses démarches en faveur du développement durable. Et c’est le cas de nombre d’entreprises du bâtiment qui, souffrant d’une mauvaise réputation (métiers difficiles, salissants, pénibles, pour des activités polluantes dégradant l’environnement), ne sont reconnues que pour les désagréments qu’elles apportent et non pour leurs efforts visant à minimiser l’empreinte écologique de leurs activités. En 2014, l’entreprise Rabot Dutilleul Construction est auditée par l’AFNOR (Association Française de NORmalisation), sur sa

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démarche d’éco-conception. L’association décernera à l’ETI une note lui conférant un niveau exemplaire en matière d’éco-conception. Comme le montre le tableau de classification des entreprises (cf p.17-18), Bouygues est présent sur toute la chaîne de création de valeur avec des ouvrages (bâtiments, écoquartiers, …) plus durables et « recyclables », la recherche d’une performance globale depuis la conception jusqu’au recyclage en passant par l’exploitation et la maintenance des ouvrages, des externalités environnementales et sociales (pour la partie formation) prises en compte et l’inscription dans son organisation d’un travail régulier de veille et de prospective. Cette présence sur toute une chaîne de valeur, sur tout le cycle de vie d’un ouvrage est rendu possible par d’intenses efforts non seulement de formation mais aussi de R et D.

II-1-b- Impact sur l’organisation et la stratégie : chez Bouygues, au-delà du béton et du court terme

Bouygues, groupe de 49 filiales, spécialisé dans 4 grands métiers11 représente en NPDC (société NORPAC) 880 collaborateurs dont 110 à la direction technique. Au début des années 2000, Bouygues revoit sa stratégie. Il lui faut en effet tenir compte de plusieurs éléments :

- le changement de son environnement, de la société et l’évolution de la demande de ses clients vers la prise en compte des principes de développement durable; - la nécessité de se démarquer de ses concurrents et de lisser l’activité du groupe sur toute l’année ; - l’évolution des technologies avec l’importance du numérique.

En effet, l’environnement des entreprises du bâtiment change. Au-delà du béton, les bâtiments sont de moins en moins nombreux mais de plus en plus intelligents : adaptables, peu consommateurs d’énergie, préservant l’environnement, recyclables, …. Pour donner quelques exemples. Dans les sociétés occidentales, l’enseignement supérieur représente le 1er patrimoine consolidé et un domaine important pour les pays émergents. Mais l’enseignement supérieur évolue : on passe de la salle de cours classique ou de l’amphithéâtre à l’essor des cours en ligne,…. Les locaux n’ont plus la même utilité : les étudiants n’y suivent plus des enseignements mais y vont pour trouver un incubateur d’entreprise, …Il faut donc reconcevoir l’université et ses bâtiments. Dans le domaine de la santé, on passe d’un modèle de prise en charge du patient à 100 % sur une longue période à la médecine ambulatoire avec une prise en charge minimale du patient. Même chose pour le patrimoine immobilier que représentent les bureaux. Ceux-ci sont occupés moins de 30 % du temps. A cela s’ajoute le fait que les personnes ont de plus en plus envie de travailler chez elles. Il faut donc réfléchir à une diminution de la construction en surface avec des solutions telles que les télécentres. Et il n’est plus seulement question de repenser la conception des bâtiments mais aussi de recréer des quartiers. La demande va en effet vers des quartiers recréant du lien social, plus

11 Bâtiment, travaux publics, énergie et services, concessions.

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renouvelables et écologiques, plus connectés et intermodaux12. Les éco-quartiers, projet d’aménagement respectant les principes du développement durable tout en s’adaptant aux caractéristiques du territoire, rencontrent un succès de plus en plus grand. Le quartier de l’Escalette à Mouvaux

Source : Nord-Pas de Calais : la Troisième Révolution Industrielle en marche ! p.21

Par ailleurs, pour se différencier de ses concurrents et afin de lisser son activité, le groupe fait le choix de l’expertise et de l’ingénierie (en génie climatique, énergie,…). Ce choix va se traduire concrètement par l’évolution de son offre de prestations. Bouygues proposera des contrats de performance globale, intervenant donc dans un ouvrage depuis sa conception jusqu’à son entretien / exploitation / maintenance. La performance de la prestation doit donc porter sur toute la chaîne de valeur. Enfin, la dernière évolution marquante vient de la technologie. Celle-ci transforme non seulement le mode de conception des projets (logiciels Building Information Model)13 mais fait également évoluer les matériaux (matériaux plus écologiques tels que le bois), les modes de production (impression 3D), d’exploitation et de travail. Chez Bouygues, les ingénieurs travaillent désormais sur des maquettes numériques leur permettant de visualiser en 3D toute la complexité d’un bâtiment. A cela s’ajoute une salle de réalité virtuelle permettant de réaliser des simulations physiques sur un bâtiment dans des conditions réelles. En exploitation émerge également de nouveaux outils tels que des logiciels de mesure et de prévision des consommations d’énergie et de fluides, des outils de modulation de l’éclairage en fonction de la météo ou de l’heure, des bornes de recharge pour les véhicules électriques, …

12 Exemples d’éco-quartiers conçus par Bouygues : Issygrid, éco-quartier conçu à partir d’un pilotage énergétique local intelligent (smart grid) ; le projet « 2000W » de la GreenCity de Zurich ; l’éco-village du Val de Reuil. Plusieurs constructeurs promoteurs travaillent sur ce type de projet comme Rabot Dutilleul dans le cadre du projet de requalification du quartier de l’Escalette de Mouvaux. 13 Chaque entreprise dispose de ses propres outils et logiciels. Chez Rabot Dutilleul, ETI familiale du nord de la France, le logiciel ASAP (As Sustainable As Possible) est déployé. Sur des thématiques de développement durable telles que la biodiversité, la justice sociale, la consommation énergétique, la santé ou la sous-traitance le logiciel permet de déterminer le niveau souhaité pour le projet.

« Le projet de requalification de ce quartier de 11 hectares, créé dans les années 50 pour loger les ouvriers du textile, a été retenu parmi les chantiers démonstrateurs du Master plan de Rifkin. Le tandem Vilogia et Rabot Dutilleul prévoit la réhabilitation de maisons individuelles, la création d’ilôts neufs et la valorisation économique du quartier ».

Source : Nord-Pas de Calais : la Troisième Révolution Industrielle en marche ! p.20

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I-1-c- Une organisation qui évolue autour de la R et D et de la prospective Chez Bouygues, 4 tendances marquent l’évolution de l’organisation du groupe. La première porte sur l’émergence et le renforcement de certaines directions. C’est le cas des directions relatives à l’ingénierie, l’énergie, la maintenance – exploitation, en lien avec la volonté du groupe d’accroître son expertise et d’être présent sur toute la chaîne de valeur d’un projet, depuis la conception jusqu’ à la maintenance. Bien évidemment, l’intégration des technologies du numérique dans le groupe invite à repenser les directions en lien avec la conception, l’exploitation et la maintenance des projets. Autre évolution : un besoin du groupe en termes de projection dans l’avenir, de meilleure connaissance des grands changements à venir dans son environnement et, bien sûr, de recherche et développement. Sur ce dernier point le groupe n’a donné aucun chiffre. Par contre, de nouveaux projets de R et D émergent notamment du côté de la R et D collaborative et de l’innovation ouverte. L’innovation ouverte consiste, pour une entreprise, à créer des liens avec une autre structure sur un même projet mais sur des thématiques différentes. Chacun travaille ainsi sur une partie du projet en complémentarité avec l’autre. Dans le cas de Bouygues, des collaborations sont ou vont être entamées avec le textile et Renault. Dans le premier cas, la collaboration va concerner la mise au point de nouveaux matériaux isolants pour le bâtiment. Quant à la collaboration avec Renault, celle-ci s’établira autour de la thématique de l’électromobilité (gestion de l’énergie renouvelable au niveau local). En lien avec ce nécessaire regard sur l’avenir et une meilleure connaissance des évolutions de son environnement, le groupe a souhaité créer une nouvelle direction : « Prospective et marketing stratégique ». La dernière évolution vient du renforcement de la relation entre le fournisseur de la solution et son client, principe intrinsèque à l’économie de la fonctionnalité (mais pas seulement). La consolidation de ce lien passe, sur le plan organisationnel, par le renforcement, en parallèle, des directions marketing et commerciale.

II-2- EVOLUTION DES METIERS, DES COMPETENCES ET DES BESOINS EN FORMATION

II-2-a- Des métiers reposant sur l’expertise et les nouvelles technologies (informatique, énergie, ...)

Le choix stratégique de Bouygues s’est porté sur une présence sur toute la chaîne de valeur, depuis l’amont, la conception, jusque l’aval, la maintenance. Parmi les grandes tendances marquant les métiers chez Bouygues, la première on note une forte poussée des métiers de l’ingénierie. Les solutions fournies par le groupe nécessitent en effet une expertise importante, que celle-ci soit technique, juridique ou financière. Sur le plan technique, des problèmes relatifs aux matériaux, aux nouveaux modes de production, à l’acoustique, à l’énergie se posent dès la conception ou dès l’ « éco-conception » de la solution (bâtiment,

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travaux publics,…) jusqu’ à la maintenance, voire même le recyclage de l’ouvrage. Sur le plan juridique, l’obligation de résultat allant de pair avec une contractualisation sur une performance globale nécessite la rédaction d’acte juridique protégeant toute les parties et précisant les obligations de chacun. A cela s’ajoute un nouveau projet pour l’entreprise : re / devenir propriétaire des matériaux utilisés, ce qui faciliterait leur recyclage. Autres métiers développés par la société : la maintenance, l’accompagnement / exploitation. Sont également en forte poussée les métiers en phase avec la clientèle. La convergence s’effectue entre les objectifs du groupe, son organisation et les métiers en croissance. Le numérique envahit les métiers du bâtiment. On note une montée en puissance de métiers liés à l’informatique de modélisation et d’équation. Enfin, émerge en tant que nouveau métier, celui de producteur d’énergie locale. La conception d’un éco-quartier nécessite la capacité à travailler avec de nombreux acteurs, très différents les uns des autres. Pour exemple, la mixité fonctionnelle permet, sur une surface limitée, d’avoir beaucoup d’utilisateurs d’énergie et beaucoup de possibilités de mutualisation des énergies. Il faut donc apprendre à travailler avec les énergéticiens,… pour aboutir à cet objectif propres aux éco-quartiers de diminution de la consommation d’énergie et d’accroissement de la quantité d’énergie produite localement.

II-2-b- Des compétences permettant d’avoir une vision globale du projet et favorisant un travail collaboratif, façonnées par une forte culture de la formation en interne

Un nouveau contexte, une nouvelle stratégie d’entreprise et de nouveaux métiers s’accompagnent de nouvelles compétences, bien sûr, en numérique et informatique, en amont de la chaîne de valeur (conception et ingénierie). Deux évolutions semblent particulièrement intéressantes à signaler. D’une part, il est nécessaire que les collaborateurs aient une vision globale d’un projet. Une présence de l’entreprise sur toute la chaîne de valeur implique un recul suffisant pour prendre en compte toutes les étapes de la construction d’un ouvrage (bâtiment, écoquartier, …) : la conception, la construction et l’exploitation. Par ailleurs, le travail se veut de plus en plus collaboratif, les métiers plus convergents et l’accompagnement est primordial : accompagnement des collectivités à tous les stades de leurs projets d’ouvrage (écoquartier,…), coordination des différentes parties prenantes et des différents corps de métier, liens entre les sous-traitants, les fournisseurs, … dans le respect des délais et des engagements pris. Dans le bâtiment, désormais le constructeur se mue en « assemblier » de compétences, métiers, … avec pour objectif : la performance globale. Parce que producteur de notre quotidien (l’habitat, le quartier, les infrastructures, …), quotidien lui-même en forte mutation, le secteur du bâtiment vit donc une révolution depuis plusieurs années, dans son organisation et ses ressources humaines. La culture d’entreprise joue alors tout son rôle afin de conserver une cohésion à l’organisation. Entreprise encore familiale, Bouygues fait reposer sa culture d’entreprise sur des valeurs telles que l’innovation, l’expertise, le service, la confiance. La transmission de cette culture passe notamment par

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l’actionnariat salarié et la formation interne. Ainsi, les Compagnons du Minorange, ordre créé en 1963 par Francis Bouygues, ont pour mission de récompenser les meilleurs ouvriers pour leurs compétences, leur conscience professionnelle et leur état d’esprit sur les chantiers. Comptant aujourd’hui plus de 1 000 membres, l’ordre est un vecteur d’excellence, il véhicule les valeurs du groupe, il joue un rôle essentiel dans l’innovation mais aussi la transmission de savoir-faire, l’encadrement et l’intégration des nouveaux arrivants. L’importance de la formation interne a fait son chemin dans la construction. L’Université Rabot Dutilleul a vu le jour en 2011. A l’origine, celle-ci proposait aux managers un espace de ressourcement sur des thématiques telles que la maîtrise des fondamentaux de l’entreprise, l’innovation et la créativité autour des priorités de l’entreprise. Aujourd’hui, l’Université regroupe toutes les actions de formation transverses au groupe.

III- FONCTIONNALITE ET POSITIONNEMENT SUR UNE ETAPE / UN PRINCIPE PARTICULIER DU PROCESSUS

III-1- LA FONCTION DE LOCATION A TRAVERS LOKEO, L’ACCENT MIS SUR L’ENVIRONNEMENT ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL A TRAVERS LA SOCIETE LAMBIN, LE RENFORCEMENT DE LA VALEUR « PROXIMITE » A TRAVERS CER FRANCE – PRESENTATION, ORGANISATION, STRATEGIE

III-1-a- Trois structures très différentes : LOKEO, un « pure player » filiale d’une holding ; Lambin, une PME du secteur rural, CER France – NPDC, membre d’un réseau associatif

Fondée en 2009, la société LOKEO, location de matériel électroménager et multimédia en « pure player »14, est une filiale de la holding HTM Group15. Le concept porté par LOKEO est né, lors d’un groupe de travail, de la réflexion d’un consommateur sur l’usage d’un produit plutôt que sur sa possession. Ce groupe a fait émerger 4 problématiques relatives à la consommation d’électroménager et de multimédia : - la technologie est rapidement dépassée ; - la fréquence des pannes est élevée ; - les technologies sont complexes ; - les prix sont élevés. A cela s’ajoute des changements dans la société déjà largement mentionnés : préoccupations environnementales, changements dans les habitudes de consommation, baisse du pouvoir d’achat, … Le concept sur lequel repose la société est donc que l’importance revient à l’usage et non la possession d’un bien, ce qui permet au client de bénéficier de technologies de pointe.

14 Société exerçant ses activités uniquement sur internet. 15 High Tech Multicanal Group

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A partir de ce constat, la holding a donc décidé de réaliser une expérience avec les étudiants de l’école de commerce SKEMA reposant sur de la location de produits. L’expérience fut un succès. L’entreprise fait aujourd’hui travailler 17 personnes, possède un portefeuille de 8 000 clients pour 16 000 produits loués. Son chiffre d’affaires, défini comme la somme des loyers payés par les clients, augmente de 36 % par an. La société est partie prenante dans la Troisième Révolution Industrielle.

Source : Diaporama présenté par M. Caymaris, Directeur de la société LOKEO- audition du 3 février 2015

La société Lambin, spécialisée dans la vente de matériel pour les espaces verts, quant à elle, a fait l’objet d’une reprise en 2007 par son dirigeant actuel. Implantée à Orchies (40 personnes) et Pérenchies (7 personnes), son chiffre d’affaire est de 8 à 10 M €. C’est par conviction que le dirigeant de Lambin souhaitait monter un projet en relation avec le développement durable. Cette entreprise suit l’action collective proposée par la CCI Grand Lille d’accompagnement à l’économie de la fonctionnalité. CER France NPDC fait partie d’un réseau associatif fournissant à ses adhérents des prestations dans les domaines de la gestion, de la comptabilité et de la mise aux normes. La structure est inscrite au tableau de l’Ordre Régional des Experts Comptables. Ses domaines d’intervention sont : la gestion, le social et l’environnement. 21 agences maillent le territoire et emploient 675 collaborateurs pour un CA de 40 millions € et 13 600 clients. Désormais l’association souhaite faire évoluer ses prestations vers le conseil et apparaître comme un « facilitateur d’affaires ».

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III-1-b- Stratégie et organisation centrées sur une des facettes de l’économie de la fonctionnalité

L’une comme l’autre se sont positionnée sur un principe de l’économie de la fonctionnalité : LOKEO, sur la performance d’usage par la location d’électroménager et multimédia, Lambin sur les externalités environnementales et sociales par la recherche de la protection de l’environnement et de l’amélioration des conditions de travail. LOKEO garantit un usage au client de produits de technologie avancée dans le domaine de la TV, Hi-fi, électroménager avec un accompagnement sous forme de différents services. Les produits proposés présentent plusieurs caractéristiques : il s’agit de produits de marque, de milieu – haut de gamme, à la pointe de la technologie et peu gourmands en énergie. Les services accompagnant la location comportent :

- l’installation complète sur tout le territoire ; - une garantie permanente afin de minimiser la rupture d’usage ; - une hot line experte et intégrée.

En matière de fonctionnement et d’organisation, la société a innové dans de nombreux domaines. Celle-ci est en effet passée d’une logique de prix d’achat à une logique de coût d’utilisation. Par ailleurs, réaliser de la location en « pure player » a nécessité de mettre en place une organisation particulière pour l’installation du produit, son retour et le mode de paiement utilisé. Enfin, la relation avec le client a changé pour s’intensifier et devenir permanente. L’entreprise a également externalisé certains services tandis que d’autres sont en cours de réintégration car porteurs de valeur ajoutée pour l’entreprise. Les activités externalisées apportant peu de valeur ajoutée ou utilisée de façon trop ponctuelle ou encore nécessitant un matériel et des procédures particulières sont la publicité, la logistique (livraison) et la hot line. Par contre, les appels sortants sont pris en charge par la société car les informations émanant des entretiens avec les clients peuvent être source de valeur ajoutée pour LOKEO. Le dirigeant de la société Lambin part du même constat : le besoin du client n’est pas d’acheter une tondeuse mais d’avoir une herbe tondue à moindre coût. La société a traduit ce constat par un changement de produit : passage de matériels tractants aux robots (robots de tonte) et passage d’outils thermiques aux outils portables avec batterie (taille-haies électrique, …). Ce type de produit peut, selon le dirigeant de Lambin, diminuer le nombre de personnes atteintes de troubles musculo-squelettiques (TMS), améliorer les conditions de travail des personnes et le bien-être au travail. Les métiers de jardinier, notamment, sont physiques et développent des pathologies propres aux métiers exigeant des efforts physiques quotidiens. La Mutuelle Sociale Agricole s’est révélée intéressée par ce type d’outils. La prise en compte des externalités sociales passe également par le rôle d’insertion que peuvent jouer les activités proposées par l’entreprise. Une action est engagée avec l’association Lille Sud Insertion pour l’entretien d’espaces verts. CER France va jouer la proximité et le lien avec le territoire et ses adhérents. Celle-ci prend la forme de l’implantation de nombreuses antennes locales animées par des délégués territoriaux. Vis-à-vis de l’adhérent / client, cette proximité prend la forme d’une évolution des prestations fournies (vers le conseil), un engagement sur les résultats et un travail en équipe sur les demandes des clients (parfois jusqu’à 10 collaborateurs).

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III-2- EVOLUTION DES METIERS, DES COMPETENCES ET DES BESOINS EN FORMATION

III-2-a- Une poussée des métiers liés à la technologie (technologie de l’internet pour LOKEO et technologie de la mécanique pour Lambin) et des métiers de proximité

Dans ce groupe d’entreprises, là aussi, il est difficile de repérer des tendances globales tant les situations sont différenciées. Mais on peut dire que les métiers requis sont en lien avec la stratégie de l’entreprise et donc en lien, tout au moins pour partie, avec l’étape / l’aspect de l’économie de la fonctionnalité privilégiée. Pour ce qui est des équipes, on repère trois grands types de métier chez LOKEO, la persistance d’une tendance chez Lambin et la création d’un nouveau métier chez CER France. LOKEO va, de façon évidente, privilégier dans un premier temps les métiers de l’informatique et du e-commerce : analystes du trafic sur le site internet et chargé de campagnes de communication (trafic manager), gestionnaires de site (design manager) chargés de l’approvisionnement du site sont les métiers nécessaires. A cela s’ajoute les métiers en relation avec le « Service aux clients », à savoir un responsable de la logistique et un chargé du service après-vente. Enfin, dans la mesure où l’entreprise s’est spécialisée sur la performance d’usage (location et services), la notion de risque prend tout son sens. Les métiers liés à la gestion du risque sont renforcés : le scoring16 et le recouvrement représentent plus de 20 % de la totalité de l’effectif de l’entreprise. LOKEO étant une société jeune s’adressant principalement à un public plutôt jeune passionné de technologie, celle-ci recrute des jeunes (âge moyen : 27 ans) sans expérience. Le niveau de recrutement se situe à Bac + 4/5 pour les responsables d’équipe et au niveau Bac pour les autres membres de l’équipe. Les métiers pratiqués chez Lambin sont principalement des métiers de la mécanique (2 temps et 4 temps diesel) et le restent. Seule change la technologie. Les mécaniciens ont donc été convertis puis formés à de nouvelles machines (électriques) et à un autre mode d’utilisation et de fonctionnement. CER France, pour sa part, a créé le métier d’animateur territorial. Sur 2 ans, environ 100 emplois ont vu le jour (en création pure, recomposition et réaffectation). Ces animateurs, agissant en amont de la relation avec le client, ont pour mission d’écouter les adhérents, d’anticiper les nouveaux besoins qui pourraient apparaître. La structure développe également des métiers en relation avec la relation client.

III-2-b- Compétences et formation En ce qui concerne les équipes, les compétences recherchées chez LOKEO sont en correspondance avec son statut de « pure player » et portent sur l’informatique. Les compétences requises portent sur le traitement des données et de flux d’informations

16 Scoring : méthode d’évaluation destinée à apprécier le risque de défaillance d’un particulier. Pour effectuer cette évaluation, différents indicateurs sont pris en compte : revenus, mode de paiement, produit demandé, …

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dans le cadre de la réalisation d’enquêtes clients, par exemple. Pour ce qui est de la société Lambin, les compétences recherchées relèvent plutôt de l’écoute client, d’un surcroît d’autonomie et de responsabilité et de la formation. Les compétences demandées aux « nouveaux managers » changent, elles aussi. Ancien gérant d’un magasin Boulanger, le dirigeant de LOKEO s’est adapté aux exigences de son nouveau poste et des caractéristiques de sa nouvelle activité. Alors que celui-ci avait, en tant que gérant de magasin, développé des compétences dans le domaine de la vente, en vitesse de réaction et en capacité à motiver les équipes, il lui faut désormais être, notamment, chef de projet. Le dirigeant de Lambin, quant à lui, ancien salarié de Hewlett Packard, est passé d’une culture de l’ingénieur au management d’une équipe ayant peu de formation dans une entreprise située en milieu rural. Les compétences purement techniques ont donc fait place à des compétences en matière d’écoute, de formation mais aussi d’éducation, de communication, de sensibilisation. Le dirigeant a également fait évoluer le mode de management de l’entreprise le faisant passer d’un management centralisé, paternaliste à un management reposant sur l’autonomie et la responsabilité. La formation prend une place particulière chez Lambin. En effet, celle-ci a été fortement sollicitée, d’une part, en direction des salariés de l’entreprise, afin de leur apprendre le maniement et l’entretien de ce nouveau matériel, d’autre part, en direction des clients de Lambin. Les formations dispensées aux salariés l’ont été par les constructeurs eux-mêmes. Pour ce qui est des formations en direction des clients, celles-ci sont assurées par les salariés de l’entreprise. Ces formatons ont pour objectif de permettre aux clients de mieux utiliser le matériel afin de limiter le bruit et la pollution. 3 modules de formations sont proposées (« 2 temps » pour le matériel portable ; « 4 temps » pour le matériel tels que les tondeuses et le diesel) et ont pour public cible les jardiniers. La partie « théorique » est assurée par le dirigeant et la partie « pratique » par le chef d’atelier.

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TROISIEME PARTIE : FACTEURS DE CROISSANCE ET FREINS AU DEVELOPPEMENT DE L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE – PRECONISATIONS

I- FACTEURS DE CROISSANCE ET FREINS

I-1- FACTEURS DE CROISSANCE

I-1-a- Du côté des consommateurs : une période de mutation difficile qui fait émerger des signaux faibles en matière de consommation

La crise de 2008 aura été le point de départ d’une période particulière. Elle aura notamment mis en lumière certaines des difficultés du modèle de croissance actuel et fait émerger l’idée de mutations en cours dans la société. Or, ces mutations tardent à se mettre en place, atteignant le cœur de la société. Ainsi, les populations d’Europe et notamment françaises vivent encore cette période difficile de mutation avec pour conséquence une baisse de confiance et de moral. Selon l’étude réalisée par l’Observatoire Cetelem17, en 2013, la note attribuée par les français à la situation générale du pays était de 4,1 / 10 (contre 3,6 / 10 qui est la note moyenne attribuée par les européens à la situation générale de leur pays). Et même si les français jugent leur situation personnelle meilleure que celle du pays, lui attribuant une note de 5,3 / 10, il n’en demeure pas moins que la consommation reste très contrainte : 36 % des français déclarent avoir les moyens de consommer, mais ils sont 58 % à déclarer le contraire.

17 « La consommation alternative », Observatoire CETELEM, 2013

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Mais elle aura également permis de donner un coup de projecteur sur des pistes de solutions alternatives. En effet, parmi ceux qui auraient les moyens de consommer, on note l’émergence d’un signal faible à savoir la volonté de consommer de façon plus raisonnée et durable. La consommation « raisonnée » passe par des intentions d’achat différées et « priorisées ». Quant à la consommation plus « durable », celle-ci implique la redécouverte de l’entraide, l’échange, la solidarité dans le respect de l’environnement.

I-1-b- Et qui aboutit à de nouveaux modes de consommation Ainsi, les français se donnent en matière de consommation de nouvelles règles, faisant émerger de nouveaux modes de consommation : « alternatifs » et « responsable ». La consommation alternative prend la forme de : - La récupération, le troc ou l’occasion ; - L’achat groupé, le partage ; - L’échange de services ; - Le « fait maison » ; - La location, l’usage. Elle prend en compte le resserrement de la contrainte budgétaire des ménages tout en permettant à chacun d’avoir accès à un grand nombre de produits. Bien sûr, ce mode de consommation ne pourrait exister sans l’internet et les réseaux sociaux. Elle se doit d’être connectée. En France, en 2013, 62 % des personnes interrogées par CETELEM pensaient que dans les années à venir elles feraient davantage appel à l’entraide, à l’échange de produits ou de services / coups de main plutôt que de payer. Selon un sondage effectué par TNS SOFRES pour La Poste18 la même année, près d’un français sur deux (48 %) pratiquerait déjà régulièrement ce type de consommation, et 17% de cette population aurait déjà eu recours, notamment, au covoiturage.

18 Enquête « Nouvelles consommations, nouvelle confiance, les français et la consommation collaborative », TNS / Observatoire de la Confiance, 2013, éléments repris dans La Tribune du 24.01.2014 « Le partage, un vrai business émergent »

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La consommation se veut également « durable ». La nécessaire protection de l’environnement et l’appropriation par chacun de l’existence de contraintes sur la quantité de matières premières disponibles sont en bonne voie. La prise de conscience s’étend et en France, 53 % des personnes interrogées en 2013 par CETELEM affirmaient qu’elles se préoccuperaient de plus en plus des questions environnementales dans les années qui viennent.

I-1-c- Du côté des entreprises, une flambée des prix des matières premières jusqu’en 2013/2014 qui laisse la place à une grande instabilité et volatilité des marchés

A partir de 2007-2008, le cours des matières premières flambe, ce qui va encourager les industriels à limiter leurs consommations de matières premières et privilégier le recyclage. Les prix de produits tels que le pétrole, le nickel, l’étain mais aussi le blé, le maïs, … atteignent des sommets. Ce sera le début d’une autre crise, celle qui s’ajoutera à la crise financière internationale. Au-delà de données spécifiques tels que la situation géopolitique d’un pays, des conditions climatiques extrêmes ou l’infestation de cultures, des conseillers du FMI19 ont identifié plusieurs des causes à l’origine de ce mouvement :

- le boom industriel des pays émergents, allié à une rapide augmentation des revenus personnels (ce qui a amplifié le rythme de l’industrialisation) et à un important essor démographique ; - les biocarburants, lesquels, fortement stimulés par une politique d’aide en Europe et aux USA, ont eu pour conséquence de réorienter l’usage de nombre d’aliments destinés aux hommes et animaux, contribuant à la flambée des cours des produits utilisés ; - une réaction plus lente de l’offre, notamment de pétrole, par rapport à une forte et rapide poussée de la demande ; - la répercussion de l’évolution du prix des matières premières sur les autres marchés : une hausse du prix du maïs va en effet se répercuter sur le prix des produits nécessitant l’utilisation de cette matière première. Il en est de même pour le pétrole, … - la faiblesse des taux d’intérêt et la dépréciation du dollar, en raison de l’expansion des marchés financiers de matières premières.

L’année 2015 met un coup d’arrêt à cette flambée. Elle laisse place à une plus grande volatilité et instabilité des marchés. Ainsi, le prix du pétrole a reculé en moyenne de 7 % alors que ceux du blé et du maïs ont respectivement baissé de 10-15% et 30%. Selon le rapport CYCLOPE 201520, plusieurs facteurs expliquent cette situation nouvelle qui, si elle perdurait, pourrait obliger les industriels à revoir leur position sur le recyclage :

- une croissance chinoise désormais moins forte et donc moins gourmande en ressources naturelles ;

- la multiplication de catastrophes climatiques ; - les liquidités injectées dans l’économie par les banques centrales, ce qui limite l’attrait des marchés de matières premières.

19 « Finances et développement », Helbling T., Mercer-Blackman V., Cheng K., FMI, 2008 20 Cyclope 2015 : « Les marchés mondiaux », sous la direction de Ph. Chalmin

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Cependant, d’après l’auteur de ce rapport, les corrections apportées aux cours ne seraient que limitées. L’avenir est donc bien incertain.

I-2- LES FREINS AU DEVELOPPEMENT DE CES ACTIVITES DU COTE DES COLLECTIVITES ET POUVOIRS PUBLICS, DES CONSOMMATEURS ET DES ENTREPRISES

I-2-a- Les collectivités et pouvoir publics en manque d’information et de formation Le sujet et les principes de l’économie de la fonctionnalité, sont encore, il faut le répéter, assez nouveaux et l’information existante sur le sujet ne répond pas toujours à toutes les questions que chacun est en droit de se poser. L’expression elle-même symbolisant la priorité donnée à l’usage et non la propriété n’est pas encore définitive : économie de la fonctionnalité, économie de l’usage voire même, pour certaines activités, économie collaborative, … difficile de faire la différence. D’ailleurs, faut-il la faire ? Face à ces nouveaux enjeux et ces nouveaux modèles, certaines collectivités se sont montré pro-actives, d’autres, plus attentistes. Mais toutes ont besoin d’informations, les milieux économiques (entreprises, organisations professionnelles, acteurs du développement économique sur un territoire) étant encore eux-mêmes, en phase exploratoire sur la question. Par ailleurs, la sensibilisation et formation des responsables de collectivités à de nouvelles formes d’achat public n’est pas suffisamment développée. La commande publique est, en effet, une source importante d’activité mais les critères de choix des entreprises restent trop souvent, notamment en période de restriction budgétaire, très classiques (« moins disant »). On peut même avancer que la non prise en compte par les acheteurs publics de ces nouveaux modèles reposant sur l’usage, la performance, le résultat peut aller jusqu’à défavoriser les entreprises qui ont pris le risque de se lancer dans l’aventure. A la décharge des collectivités, il est difficile pour elles de prendre en compte dans l’achat public les principes régissant ces nouveaux modèles alors que les entreprises qui les appliquent sont assez peu nombreuses. Enfin, les collectivités ne disposent pas d’informations sur les « effets secondaires » que pourrait engendrer la généralisation de certains métiers. Il est fait référence ici au risque de voir les transports (par camion, …) se développer dans les grandes et moyennes agglomérations avec l’extension des métiers de la location. La logistique pourrait avoir de beaux jours devant elle.

I-2-b- Une population trop peu sensibilisée située sur un territoire qui doit encore relever de nombreux défis

Un des freins au développement d’une économie de l’ « usage » au sein de la population du NPDC reste très certainement une insuffisante sensibilisation de cette dernière aux enjeux d’une consommation plus durable et responsable. Même si plusieurs enquêtes menées au cours des dernières années (cf § I-1-a) semblent montrer que ce concept de consommation

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plus militante fait son chemin, il n’en demeure pas moins qu’une partie importante de la population reste en dehors de ce schéma. Il faut cependant remarquer que le contexte économique, social et environnemental dans lequel s’inscrit cette population peut ne pas paraître réellement porteur. En effet, le rapport sur le développement durable en NPDC21 montre que la région doit encore relever de nombreux défis face à une situation qui tend à s’améliorer mais reste encore difficile. Ainsi, le NPDC se caractérise encore par :

- un PIB par habitant faible reposant sur de faibles taux d’activité, un chômage élevé avec pour conséquence, des revenus bas ; - des indicateurs sociaux dégradés du point de vue de l’espérance de vie, du niveau de diplôme et du surendettement ;

- sur le plan environnemental, plusieurs indicateurs également dégradés. Dans ces conditions, il apparaît normal de positionner ses priorités ailleurs que dans une consommation responsable.

I-2-c- Des entreprises engagées mais qui doivent faire face, en se lançant dans cette démarche, à de nombreuses difficultés dans leurs environnements internes (finance, gestion, …) et externes (clients, …)

Ces freins sont tout d’abord financiers. Obtenir un financement de la part de tout organisme financier, quel qu’il soit, implique le respect de certaines contraintes, dont la réalisation d’un business plan. Or, à ce moment, le banquier comme le jeune entrepreneur sont confrontés au problème de l’estimation du capital d’une entreprise qui aura pour

21 INSEE : « Le développement durable en NPDC », 2013

Problématiques identifiées : - le chômage de longue durée ; - la persistance au chômage ; - une précarité de l’emploi ; - une faible qualification opposée à un besoin de main-d’œuvre qualifiée ; - l’adéquation sur le marché du travail ; - un recul de la création d’entreprises ; - la baisse des effectifs en emploi salarié ; Leviers identifiés : - une population jeune ; - une diversité du tissu économique ; - un taux de création d’entreprises plus favorable que la moyenne métropolitaine ; - la progression des DPAE (Déclarations Préalables A l’Embauche) hors intérim.

Source : Diagnostic socio-économique 2014 – Région Nord-Pas de Calais – Analyse de Pôle Emploi

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particularité d’être immatériel : comment estimer la valeur d’un capital immatériel ? Comment mesurer la valeur d’un service apporté ? Le problème financier ne se pose pas seulement dans cette circonstance mais également dans le cas de certaines activités telles que la location. Ces entreprises ont besoin d’un volant de trésorerie important. Si l’entreprise n’est pas rattachée à un groupe plus important, la constitution de ce volant de trésorerie apparaît comme un vrai frein. Les freins sont aussi juridiques et portent sur la difficulté pour l’entreprise de trouver un assureur. D’une part, en effet, l’entreprise s’engage sur un résultat et non plus seulement un moyen. D’autre part, certaines sociétés sont également soumises à un risque « client » lié à la déresponsabilisation de ces derniers (en cas de location d’un bien) et au manque de solvabilité de certains. Or, l’assureur fonctionne selon une logique propre à son métier. Ce dernier va en effet chercher à limiter les aléas et assurera le risque qu’il peut chiffrer. L’élément le plus important est donc l’évaluation de la couverture de risque. Cette évaluation passe par un calcul de risque effectué à partir de données statistiques obtenues sur une longue période. Cela signifie que l’assureur, pour assurer une activité, a besoin d’informations chiffrées sur cette dernière et ce sur une période suffisamment longue. La nouveauté de l’économie de la fonctionnalité ne permet pas toujours cette analyse. Pourtant, certains contrats déjà existants se rapprocheraient de futurs contrats sur une obligation de résultat, l’assurance décennale. Dans ce cadre, l’assureur s’engage sur 10 ans, ce qui pourrait être l’équivalent d’une assurance sur le résultat. Enfin, un autre frein apparaît, en lien avec le mode de fonctionnement actuel des entreprises. Dans les entreprises, tout va plus vite : réponse au client, production, livraison, … Celles-ci sont dans le court, voire le très court terme et la contrainte du quotidien est très forte. A l’opposé, l’économie de la fonctionnalité adopte une temporalité très différente portant sur la totalité de la durée de vie d’un produit (de la conception au recyclage).

II- PRECONISATIONS

II-1- EN DIRECTION DES ENTREPRISES SOUHAITANT SE LANCER DANS L’ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITE OU AVANCER DANS LE PROCESSUS

II-1-a- Une progression étape par étape Il est difficile pour une entreprise de se lancer dans ce modèle et le militantisme du dirigeant ne suffit pas. En effet, respecter tous les principes propres à ce modèle s’avère assez complexe et peu d’entreprises peuvent y répondre. Cela implique donc une vraie stratégie : faire des choix, « prioriser » les résultats que l’on veut atteindre et le message à faire passer, une préparation des collaborateurs, un budget adéquat, des clients sensibilisés, voire formés, …

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Le CESER préconise donc : - Une avancée dans le modèle étape par étape afin d’éviter le manque de résultat, le découragement, … et de façon plus pratique le goulet d’étranglement que peut représenter le besoin en fonds de roulement ; - Une association de tous les acteurs de l’entreprise (dirigeants, fondateurs, salariés, …) à la montée en puissance de l’entreprise dans ce processus avec diffusion d’informations et réponse aux questions à chaque étape ; - Une inscription de cette démarche dans le projet de développement de l’entreprise ; - Une 1ère étape sur un développement approfondi de la relation client (enquête auprès des clients actuels, adaptation des prestations, travail de veille auprès des clients, …) puis prise en compte peu à peu des externalités, inscription de ces avancées dans l’organisation de l’entreprise (formaliser dans une direction, un service le travail de veille, …) ; - Pour ce qui est du plan de financement, celui-ci doit correspondre aux exigences du financeur, quel qu’il soit (banque, financement participatif, …). Cela peut impliquer, dans un 1er temps, un redimensionnement du projet.

II-1-b- Une progression sur la base de la participation de tous L’engagement du dirigeant dans la démarche « économie de la fonctionnalité » est indispensable mais elle n’est pas suffisante. Si les salariés ne sont pas eux-mêmes mobilisés, elle ne peut aboutir à des résultats sensibles. Le CESER préconise :

- La mise en place d’une démarche de sensibilisation et de formation des salariés à partir d’exemples concrets mettant en lumière les impacts positifs de la démarche ; - Le suivi des salariés (individualisé ou en équipe, selon l’organisation de l’entreprise et du travail) : montée en qualification, évolution des compétences, … ; - La mise en place de formations en internes et continues : en direction des salariés, en direction des clients (formation à l’utilisation des matériels, …) ; - Une inscription de façon formelle, dans l’organisation de l’entreprise, de l’ouverture vers l’extérieur demandée aux salariés (remontée de « notes d’étonnement », organisation d’une direction / d’un service « veille, …) ; - Une reconnaissance réelle du travail de « veille » effectué par les salariés ; - une gouvernance de l’entreprise qui pourrait être partagée.

I-1-c- Une progression sur la base du partenariat et de la communication De nombreux réseaux, clubs, clusters, maillent le domaine du développement économique en NPDC. Le CESER préconise :

- D’avoir recours au travail en réseau et aux réseaux présents sur le territoire : utiliser les compétences et ressources des CCI, clubs et réseaux, fédérations professionnelles, clusters, … ;

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- D’inciter les entreprises qui le peuvent à innover en ayant recours au réseau JINNOVE, aux CCI, … ; - D’inciter les entreprises à utiliser les réseaux sociaux afin de communiquer sur leur inscription dans l’économie de la fonctionnalité, les caractéristiques de leur démarche et les résultats attendus et obtenus.

II-2- EN DIRECTION DES OPERATEURS DE TERRAIN

II-2-a- Une communication adaptée Répondre en tous points à la définition que donnent ses partisans de l’économie de la fonctionnalité se révèle difficile. Il revient donc aux CCI, clusters et autres opérateurs intermédiaires de veiller à faciliter l’accès des entreprises à cette démarche tout en en respectant les éléments principaux, la spécificité. Le CESER préconise :

- De communiquer et vulgariser les principaux critères qui spécifient le modèle de la fonctionnalité :

- privilégier l’usage (de quelque manière que ce soit) ; - la prise en compte des externalités environnementales et/ou sociales : externalités à préciser ; - le lien avec le territoire ;

Dans tous les cas, la définition « première » de l’économie de la fonctionnalité nécessite une simplification afin d’être rapidement adoptée par les entreprises. - De veiller, malgré tout, à la bonne compréhension par les entreprises, notamment lorsque celles-ci veulent participer à une action collective financée par les pouvoirs publics, de ces principes de base.

II-2-b- Une diversification du travail en réseau sur toute la chaîne de valeur du produit

Le travail en réseau est un outil que les opérateurs intermédiaires et pouvoirs publics ne cessent de vanter mais encore trop peu utilisés par les entreprises. Le CESER préconise : - D’encourager, former et accompagner les entreprises dans le travail en réseau ;

- D’encourager les clusters à mettre en commun des compétences différentes et complémentaires sur une même thématique ; - De veiller à la continuité de la chaîne de valeur entre les différents intervenants du cycle de vie du produit (depuis sa conception et la R et D nécessaire, jusqu’au recyclage du produit).

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II-2-c- Un accompagnement dans le financement des projets Pour un entrepreneur, la question du financement est sensible. Et lorsque l’activité présente un certain degré de nouveauté, les questions qui se posent de part et d’autre (côté « dirigeant » et côté « banque ») sont encore plus légitimes. Les opérateurs de terrain peuvent alors jouer leur rôle à plein : formation, sensibilisation, accompagnement, … Le CESER préconise :

- Que les opérateurs mettent en place des « tours de table » réunissant des financeurs (Crédit Coopératif, FINORPA, business angels, …) ; - La sensibilisation des financeurs à la spécificité des entreprises ayant le projet d’adopter ce nouveau modèle de développement ; - Que les opérateurs insistent sur les actions visant à sensibiliser les dirigeants sur la nécessité de réaliser un business plan correspondant aux attentes des banquiers et investisseurs ; - Que les opérateurs sensibilisent les dirigeants et financeurs à co-élaborer des outils d’évaluation et de suivi.

II-3- EN DIRECTION DES COLLECTIVITES ET POUVOIRS PUBLICS

Les pouvoirs publics représentent un acteur important de l’innovation par l’intermédiaire de la commande publique. Le CESER préconise :

- Le recours au droit à l’expérimentation afin de permettre aux collectivités, notamment, d’instituer de nouveaux critères de choix dans la commande publique dont l’ « usage », la « performance globale », … ; - De sensibiliser et former les directions « Commande publique » des collectivités et représentations de l’Etat en région à l’achat d’un « usage » plutôt qu’un bien.

II-4- EN DIRECTION DES ACTEURS DE LA FORMATION ET DE L’ENSEIGNEMENT Les acteurs de la formation sont au cœur de l’émergence de ce modèle économique et de ce paradigme (le passage de l’obligation de moyen à l’obligation de résultat et la mise en valeur de l’usage d’un bien plutôt que sa propriété) :

Le CESER préconise :

- La sensibilisation et la formation des enseignants et apprenants en particulier de la formation continue et de l’enseignement supérieur à ce changement de paradigme.

Le développement de la fonctionnalité ne prendra son essor que si la société dans son ensemble en reconnaît l’intérêt. Cette condition influencera nécessairement les métiers, les compétences, les besoins et nouveaux modes de formation.

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et nouveaux modes de formation dans les entreprises du Nord-Pas de Calais

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