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11 Conseils et conseillers sous François I er 1 Cédric MICHON Introduction. Difficulté d’une histoire des Conseils Dans le prolongement de deux historiographies, ce livre voudrait participer à l’ouverture d’un champ de recherche un peu négligé. La première historiographie, est celle de la genèse de l’État moderne. Depuis une trentaine d’années, il y a d’abord eu les analyses capitales portant sur la « construction de l’État » réalisées dans le cadre de programmes de recherches organisés par le CNRS et la Fondation européenne de la Science. Dans cette dynamique, Jean-Philippe Genet s’est intéressé à la notion complexe de « société politique » et a notamment montré que la vitalité de cette dernière était une condition sine qua non de l’affirmation de l’État moderne qui a besoin de la participation active des couches possédantes, seules susceptibles de financer son action, et avec lesquelles il entretient un dialogue essentiel à sa stabilité 2 . De leur côté, William Beik et Michaël Braddick ont cherché à nuancer la dimension volontariste des évolutions en s’efforçant de montrer que l’évolution de l’État reflétait les intérêts communs de la couronne et des élites locales 3 . Ils ont mis l’accent sur la « formation » de l’État plutôt que sur sa « construction ». Dans cette perspective, les conseillers constituent une entrée réflexive très précieuse et permettent de prolonger la réflexion sur la société politique et sa collaboration avec le pouvoir royal. La deuxième historiographie est celle de la cour, qui, comme objet historiogra- phique, est sortie d’un long purgatoire depuis, là encore, une trentaine d’années. Alors que les études se sont longtemps limitées aux aspects culturels ou anecdotiques, les travaux sur la cour comme centre politique se sont multipliés depuis les années 1970. En effet, étant donné la confusion entre le public et le privé, entre le personnel et le social dans la personne du monarque, le lieu où il vit et gouverne ne peut qu’être 1. Cette introduction est le résultat d’un travail collectif et de discussions approfondies avec l’ensemble des auteurs, en particulier au cours d’une journée d’études tenue au Mans le 11 mai 2010. Une première version a été relue par Philippe Contamine, Bernard Barbiche et Boris Bove et, parmi les auteurs, par Rémy Scheurer, Olivier Poncet et ierry Rentet. Je ne saurais assez les remercier pour le temps qu’ils ont accepté d’y consacrer ainsi que pour toutes les corrections, précisions et remarques qu’ils m’ont suggérées. Il n’en reste pas moins que tous les propos de cette introduction n’engagent que leur auteur. 2. Jean-Philippe GENET, La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre, Paris, 2003. 3. William BEIK, Absolutism and Society in Seventeenth-Century France: State Power and Provincial Aristocracy in Languedoc, Cambridge, 1985. Michael J. BRADDICK, State Formation in Early Modern England, c. 1550-1700, Cambridge, 2000. [« Les conseillers de François Ier », Cédric Michon (dir.)] [ISBN 978-2-7535-1313-6 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]

Conseils et conseillers sous François I - pur-editions.fr · 1999), Steven J. G UNN et Antheun J ANSE (Th e Court as a Stage: ... par rapport à celles consacrées à leurs prédécesseurs

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Conseils et conseillers sous François Ier 1

Cédric MICHON

Introduction. Diffi culté d’une histoire des Conseils

Dans le prolongement de deux historiographies, ce livre voudrait participer à l’ouverture d’un champ de recherche un peu négligé. La première historiographie, est celle de la genèse de l’État moderne. Depuis une trentaine d’années, il y a d’abord eu les analyses capitales portant sur la « construction de l’État » réalisées dans le cadre de programmes de recherches organisés par le CNRS et la Fondation européenne de la Science. Dans cette dynamique, Jean-Philippe Genet s’est intéressé à la notion complexe de « société politique » et a notamment montré que la vitalité de cette dernière était une condition sine qua non de l’affi rmation de l’État moderne qui a besoin de la participation active des couches possédantes, seules susceptibles de fi nancer son action, et avec lesquelles il entretient un dialogue essentiel à sa stabilité 2. De leur côté, William Beik et Michaël Braddick ont cherché à nuancer la dimension volontariste des évolutions en s’eff orçant de montrer que l’évolution de l’État refl était les intérêts communs de la couronne et des élites locales 3. Ils ont mis l’accent sur la « formation » de l’État plutôt que sur sa « construction ». Dans cette perspective, les conseillers constituent une entrée réfl exive très précieuse et permettent de prolonger la réfl exion sur la société politique et sa collaboration avec le pouvoir royal.

La deuxième historiographie est celle de la cour, qui, comme objet historiogra-phique, est sortie d’un long purgatoire depuis, là encore, une trentaine d’années. Alors que les études se sont longtemps limitées aux aspects culturels ou anecdotiques, les travaux sur la cour comme centre politique se sont multipliés depuis les années 1970. En eff et, étant donné la confusion entre le public et le privé, entre le personnel et le social dans la personne du monarque, le lieu où il vit et gouverne ne peut qu’être

1. Cette introduction est le résultat d’un travail collectif et de discussions approfondies avec l’ensemble des auteurs, en particulier au cours d’une journée d’études tenue au Mans le 11 mai 2010. Une première version a été relue par Philippe Contamine, Bernard Barbiche et Boris Bove et, parmi les auteurs, par Rémy Scheurer, Olivier Poncet et Th ierry Rentet. Je ne saurais assez les remercier pour le temps qu’ils ont accepté d’y consacrer ainsi que pour toutes les corrections, précisions et remarques qu’ils m’ont suggérées. Il n’en reste pas moins que tous les propos de cette introduction n’engagent que leur auteur.

2. Jean-Philippe GENET, La genèse de l’État moderne. Culture et société politique en Angleterre, Paris, 2003.3. William BEIK, Absolutism and Society in Seventeenth-Century France: State Power and Provincial Aristocracy in Languedoc,

Cambridge, 1985. Michael J. BRADDICK, State Formation in Early Modern England, c. 1550-1700, Cambridge, 2000.

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un lieu essentiel de la vie du pouvoir. C’est la prise de conscience de cette réalité qui explique la revalorisation du rôle politique de la cour depuis trente ans 4.

Pour autant, ce livre part du constat qu’au cours de la première modernité, si la cour est le centre du pouvoir politique, le Conseil du roi reste le principal organe de gouvernement et l’infl uence des grands offi ciers par exemple dépend très largement de leur présence ou non en son sein. Or les études sur les Conseils et les conseillers de la première modernité française sont rares. De ce point de vue, il y a une vraie diff érence entre les historiens du Moyen Âge et ceux de la première modernité. Pour la période du XIIe au XVe siècle, en eff et, on peut s’appuyer, pour le règne de Louis VI , sur les travaux d’Eric Bournazel 5 ; pour celui de Philippe Auguste , sur les travaux de John Baldwin 6 ; pour celui de Philippe le Bel sur les travaux de Jean Favier 7 ; pour celui de Philippe V sur les travaux d’Olivier Canteaut 8 ; pour celui de Philippe VI sur les travaux de Raymond Cazelles 9 ; pour celui de Charles V sur les travaux de Françoise Autrand 10. Les conseillers de Charles VII et Louis XI ont fait l’objet de deux gros articles de Pierre-Roger Gaussin (en 1982 et 1985) 11. Les conseillers de Charles VIII et Louis XII ont fait l’objet de l’énorme thèse de Mikhael Harsgor, Recherches sur le personnel du Conseil du roi, soutenue en 1972 et publiée par l’Atelier de reproduction des thèses de l’université de Lille III, en 1980. Le livre de Roland Mousnier sur Le Conseil du roi de Louis XII à la Révolution propose un survol de l’histoire de l’ins-titution et de ses membres à l’époque moderne 12. Pour le règne de François Ier , on ne dispose sur le Conseil que des quelques dizaines de pages de la thèse de Francis Decrue, De consilio regis qui date de 1885, et, fort heureusement, de La prise de décision en France (1525-1559) 13. Pour la seconde moitié du siècle, même s’ils ne sont pas centrés sur le Conseil en tant que tel, on dispose des travaux de Nicolas Le Roux 14. Pour les siècles suivants il faut attendre le XVIIIe et la fi gure imposante de Michel Antoine 15. La plupart des biographies consacrées aux rois de France de François Ier à Louis XVI

4. Parmi de très nombreux travaux, on peut retenir les ouvrages dirigés par Arthur G. DICKENS (Th e Courts of Europe: Politics, Patronage and Royalty, 1400-1800, Londres, 1977), John ADAMSON (Th e Princely Courts of Europe, Londres, 1999), Steven J. GUNN et Antheun JANSE (Th e Court as a Stage: England and the Low Countries in the Later Middle Ages, Boydell, 2006), José MARTINEZ MILLAN (La corte de Carlos V, Madrid, 2000) ainsi que les livres de Rita COSTA GOMES (Th e Making of a Court Society, Cambridge, 2003), Monique CHATENET (La cour de France, Paris, 2003) et Robert J. KNECHT (Th e French Renaissance Court, Yale, 2008).

5. Eric BOURNAZEL, Louis VI le Gros, Paris, 2007, notamment le chapitre VIII « L’entourage royal » (p. 209-231), le chapitre IX, « La familia regis » (p. 233-256), et le chapitre X « Le gouvernement capétien » (p. 257-274).

6. John BALDWIN, Philippe Auguste et son gouvernement. Les fondements du pouvoir royal en France au Moyen Âge, Paris, 1991 [1986].

7. Jean FAVIER, Philippe le Bel , Paris, 2005 [1978], en particulier chapitre II, « Le roi en son Conseil », p. 25-58 et id., Enguerran de Marigny , Paris, 2005 [1963].

8. Olivier Canteaut, Philippe V et son Conseil : le gouvernement royal de 1316 à 1322, thèse de l’École des chartes, 2000.9. Raymond CAZELLES, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, 1958.

10. Françoise AUTRAND, Charles V , Paris, 1994, p. 688-712 (« Chapitre XXIX. Les conseillers de Charles V : un esprit nouveau »). Voir aussi Raymond CAZELLES, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, 1982.

11. Pierre-Roger GAUSSIN, « Les conseillers de Charles VII (1418-1461). Essai de politologie historique », Francia, 10, 1982, p. 67-130 et « Les conseillers de Louis XI , 1461-1483 », dans La France de la fi n du XVe siècle. Renouveau et apogée, Bernard Chevalier et Philippe Contamine (éd.), Paris, 1985, p. 105-134.

12. Roland MOUSNIER (et collab.), Le Conseil du roi de Louis XII à la Révolution, Paris, 1970. Voir aussi les quelques pages consacrées à « Ministériat, Conseil et règne personnel », dans Fanny COSANDEY et Robert DESCIMON, L’absolutisme en France, Paris, 2002, p. 138-147.

13. Roseline Claerr et Olivier Poncet (éd.), La prise de décision en France (1525-1559), Paris, 2008.14. Nicolas LE ROUX, La faveur du roi, Seyssel , 2000.15. Michel ANTOINE, Le Conseil du roi sous Louis XV , Genève, 2010 [1970].

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ne réservent que de courtes sections au Conseil, ce qui constitue une vraie diff érence par rapport à celles consacrées à leurs prédécesseurs.

Pour les contemporains de François Ier , la situation est nettement plus brillante. Comme la plupart des aspects du gouvernement des Tudors, le Conseil a été le sujet en Angleterre d’importantes recherches ces soixante dernières années 16. Pour l’Espagne, le troisième volume de la somme collective consacrée par José Martinez Millan à La corte de Carlos V, troisième volume intitulé Los consejos y los consejeros de Carlos V constitue un dictionnaire de 500 pages des conseillers de Charles Quint en Espagne. Centrés sur l’Europe du Nord-Ouest, plusieurs ouvrages collectifs abordent également la question 17.

En s’intéressant aux principaux conseillers de François Ier , ce livre souhaiterait donc combler un vide et apporter, à travers le cas français, des éléments permettant de mieux comprendre les modes de fonctionnement de l’État moderne dans la France de la Renaissance aussi bien dans sa dimension sociale, que culturelle et politique. Son objet paraît évident à première vue. C’est pourtant loin d’être le cas. Il convient d’abord de ne pas confondre les Conseils et les conseillers. Le Conseil du roi est à l’époque une réalité complexe et multiple. Il n’y a peut-être qu’un seul Conseil comme le rappelle Michel Antoine, mais ses incarnations sont nombreuses, à tel point que ceux qui portent, ou au moins revendiquent, le nom de conseiller sont nombreux, des membres du Conseil privé du souverain aux conseillers au Parlement, en passant par les membres du Grand Conseil. L’approche privilégiée dans ce livre est une approche politique : la vingtaine d’auteurs qui ont participé à ce projet se sont eff orcés de circonscrire la liste des hommes et des quelques femmes qui ont participé au gouvernement du royaume au cours du règne de François Ier. Ont donc été éliminés tous ceux qui portent le titre de conseiller mais qui ne se sont jamais rendus au Conseil. Mikhael Harsgor évoque « l’immense nombre de ces conseillers du roi qui ne sont pas du Conseil, si ce n’est d’un gigantesque et mystique Conseil comprenant tous les fi dèles gens de bien du royaume ; pour ceux-ci la fi délité affi chée dans leur beau titre mensonger, titre accepté par le pouvoir, joue le rôle d’un symbole d’estime et d’honneur. C’est un hommage que la société rend à l’institution suprême de la monarchie, et à son personnel 18 ». Ces hommes qui n’ont de conseillers que le titre ont été laissés de côté. À l’inverse, d’autres, rarement mentionnés au Conseil, mais manifestement infl uents durant une courte période ou sur certaines aff aires, ont été retenus (Jean-Jacques Trivulce , Jean de Brinon, Philibert Babou par exemple). Le même traitement a été réservé à ceux que François Nawrocki appelle les « antichambres de la décision » (la duchesse d’Étampes , le cardinal de Meudon , Marguerite de Navarre par exemple) qui, sans participer vérita-blement au Conseil, ou alors de manière tout à fait exceptionnelle, peuvent peser sur certaines décisions, soit par le contrôle qu’ils exercent sur certains conseillers, soit par les relations privilégiées qui les lient au roi. Restaient les nombreux conseillers clé de François Ier qui aujourd’hui encore sont méconnus des historiens, alors qu’ils sont abondamment évoqués par les contemporains, qu’ils soient mémorialistes ou ambassadeurs du roi d’Angleterre, de l’empereur, du pape, des ducs de Ferrare ou de

16. On signalera par exemple Dale HOAK, Th e King’s Council in the Reign of Edward VI, Cambridge 2008 [1976].17. Alain Marchandisse (éd.), À l’ombre du pouvoir. Les entourages princiers au Moyen Âge, Droz, 2003 ; Roger Stein

(éd.), Powerbrokers in the Late Middle Ages: Les Courtiers Du Pouvoir Au Bas Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2001.18. Mikhael HARSGOR, Recherches sur le personnel du Conseil du roi sous Charles VIII et Louis XII , Lille, 1980, p. 213.

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Mantoue ou encore de la république de Venise. Nombreux sont en eff et les conseillers de François Ier à n’être connus que par des vieilles publications ou des thèses inédites lorsqu’ils ne sont pas toujours en attente de leur historien. C’est ce patchwork histo-riographique que ce livre voudrait unifi er.

La présente introduction vise un triple objectif. D’abord, présenter le Conseil dans son principe et ses expressions diverses avant François Ier . Ensuite, analyser en détail le Conseil de François Ier. Enfi n, esquisser le profi l de ses membres.

Histoire, réalités et principes du Conseil du Roi

Le Conseil sous les Capétiens et les premiers Valois

De la Curia regis aux organes de gouvernement : le lent dégagement du Conseil de la Curia regis

Le Conseil est une émanation de la Curia regis. Cette dernière, aux premiers temps capétiens, groupe les vassaux et les clercs qui assistent le souverain et remplissent auprès de lui le devoir de conseil. La Curia regis peut-être défi nie comme le Conseil et l’organe des décisions politiques, judiciaires, fi nancières et administratives. Elle ne doit pas être confondue avec la « cour du roi » telle qu’on l’entend à partir du XVIe siècle, cette dernière correspondant davantage à l’Hôtel du roi d’alors (avec d’importantes modifi -cations et une considérable extension, bien entendu) 19. Présent dans son principe et même, d’une certaine manière, dans les faits, dès les débuts de la Curia regis, le Conseil tel qu’on l’entend au XVIe siècle met plusieurs siècles à se dégager de cette dernière, tout comme le Parlement qui en était à l’origine la section judiciaire et la Chambre des comptes qui en était la section fi nancière. En eff et, en Europe, la plupart des insti-tutions centrales naissent dans les maisons ou à la cour des princes, puis deviennent, par la suite, indépendantes, et quittent la cour 20.

Dès le IXe siècle les mots « aide et conseil » (auxilium et consilium) désignent la collaboration des grands seigneurs au gouvernement royal, collaboration d’ailleurs plus demandée par le pouvoir royal que revendiquée par les grands féodaux, témoin Abbon de Fleury, qui, à la fi n du Xe siècle, dénonce les Grands désertant la cour d’Hugues Capet . Il leur rappelle qu’ils lui doivent précisément « aide et conseil » après lui avoir prêté serment :

« Comme la fonction du roi est de régler les aff aires du royaume en son ensemble, comment pourra-t-il pourvoir à de telles tâches, si les évêques et les grands du royaume ne sont pas d’accord avec lui. Comment exercera-t-il sa fonction/ministerium, si les grands du royaume/primores regni ne lui fournissent pas, par l’aide et le conseil, l’hon-neur et le respect qui lui sont dus 21 ? »

19. Sur la genèse administrative de l’État monarchique et l’apparition des subdivisions successives de la Curia regis, voir le schéma de synthèse dans Boris BOVE, Le temps de la Guerre de Cent ans. 1328-1453, Paris, 2010, p. 25 et aussi « Démembrement et spécialisation de la curia regis » dans Robert DESCIMON, Alain GUÉRY et Jacques LE GOFF, Histoire de France. La longue durée de l’État, Paris, p. 118-123.

20. Pere MOLAS RIBALTA, « L’impact des institutions centrales » dans Les élites du pouvoir et la construction de l’État en Europe, Wolfgang Reinhard (éd.), Paris, 1996, p. 25-52.

21. Abbon DE FLEURY, Canones, cité par Éric BOURNAZEL, Louis VI le Gros, Paris, 2007, p. 257 et « La royauté féodale en France et en Angleterre (Xe-XIIIe siècles) », dans Éric Bournazel et Jean-Pierre Poly (éd.), Les Féodalités, Paris, 1998, p. 405. Voir sur cette question les commentaires de Jean-François LEMARIGNIER, Le Gouvernement royal

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Auxilium et consilium sont deux éléments clé du système féodo-vassalique. Lorsqu’il défi nit les devoirs du vassal, en 1020, Fulbert évêque de Chartres distingue le service de cour et le service de plaid. Par le premier, il doit, dans le cadre des assemblées de vassaux, conseiller son suzerain dans les décisions politiques. Par le second, il doit siéger à la cour qui juge les litiges de nature féodo-vassalique 22. Jusqu’à la fi n du XIIe siècle, la Curia regis remplit des fonctions multiples sans que l’on observe pour autant ni régularité dans le rythme de ses réunions ni stabilité dans sa composition. Le processus est le suivant : le roi convoque où il se trouve, les vassaux de son choix, pour consultation sur des questions qu’il a défi nies. Tout au plus remarque-t-on que les grandes fêtes religieuses (Noël, Pâques, Pentecôte et Toussaint) s’imposent comme les dates privilégiées de ces assemblées qui réunissent aux membres de la famille royale et aux grands offi ciers quelques grands prélats et barons. Ces réunions débattent des aff aires diplomatiques et intérieures (aff aires fi nancières, administratives et judiciaires). Pour autant, même si l’on observe au cours du long règne de Philippe Ier (1060-1106) la naissance d’un embryon de cour stable, avec grands offi ciers, il est clair que les grands vassaux ne sont présents que lors des occasions exceptionnelles, et rarement tous ensemble. La pensée politique de l’époque qui insiste, on l’a vu, sur l’auxilium et consilium, et donc sur l’idée que le roi gouverne avec le conseil des Grands est en décalage avec le fonctionnement réel du pouvoir : les grands offi ciers et les principaux commensaux du souverain sont issus essentiellement de l’aristocratie châtelaine d’Île-de-France voire de simples lignages de chevaliers 23. À partir du milieu du XIIe siècle, dans le cadre de la lutte contre les Plantagenets, le roi réunit les barons qui lui sont fi dèles, dans de grandes assemblées. En s’appuyant sur le devoir de conseil issu du droit féodal, il leur demande à la fois de prendre part aux grandes décisions militaires et de rendre justice dans les litiges de nature féodale qui mettent en cause de grands vassaux du roi, comme dans le cas de la commise des fi efs de Jean sans Terre en 1202. C’est à ce moment-là, vers 1150 donc, que naît véritablement le Conseil comme institution distincte et autonome avec l’émergence d’un consilium nostrum. On se dégage alors de plus en plus nettement des réunions informelles de la familia pour voir apparaître une entité distincte qui apparaît comme telle dans les actes royaux 24. Dès Louis VI le Gros au début du siècle, puis à partir de Suger donc, et plus encore à partir de Philippe Auguste , la tendance est à écarter les plus puissants des nobles de la Curia regis, même si la royauté a bien conscience que son intérêt n’est pas de les éliminer totalement, mais

aux premiers temps capétiens (987-1108), Paris, 1965 et Dominique BARTHÉLEMY, La Mutation de l’an mil a-t-elle eu lieu ? Servage et chevalerie dans la France des XIe et XIIe siècles, Paris, 1997, p. 247-248.

22. Françoise AUTRAND, article « Conseil » dans Claude Gauvard, Alain de Libera et Michel Zink (éd.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 333 qui cite Fulbert lorsqu’il écrit : « Ce n’est pas en se contentant de ne pas nuire à son seigneur que le fi dèle mérite son casement. S’il veut en paraître digne, il doit fournir fi dèlement à son seigneur aide et conseil. »

23. François MENANT, « La France capétienne de 987 à 1108. L’entourage royal », p. 47-48 dans François MENANT et  al., Les Capétiens, Paris, 1999 et surtout, Eric BOURNAZEL, Louis VI le Gros, Paris, 2007, notamment le chapitre VIII « L’entourage royal » (p. 209-231), le chapitre IX, « La familia regis » (p. 233-256), et le chapitre X « Le gouvernement capétien » (p. 257-274).

24. Jean-Louis HAROUEL, Jean BARBEY, Eric BOURNAZEL, Jacqueline THIBAUT-PAYEN, Histoire des institu-tions de l’époque franque à la Révolution, Paris, 1993, p. 226 ; Eric BOURNAZEL, Louis VI le Gros, Paris, 2007, « L’institutionnalisation du conseil », p. 270-274 ; Éric BOURNAZEL, « Réfl exions sur l’institution du Conseil aux premiers temps capétiens (XIIe-XIIIe siècles) », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 7|2000, [En ligne], mis en ligne le 3 janvier 2007. URL : http://crm.revues.org//index876.html ; Florian Mazel, Féodalités (888-1180), Paris, 2010, p. 586-587.

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plutôt de maintenir un réseau de fi délités hors du Domaine, avec une préférence pour les féodaux de niveau moyen et une défi ance envers les tenants des très grands fi efs 25.

On assiste au cours du XIIIe siècle à d’importantes mutations. En eff et, devant la technicité croissante des problèmes de plus en plus nombreux soumis à la Curia regis, les féodaux manquent à la fois de la compétence et du goût pour traiter des dossiers qui leurs sont soumis. Le roi va donc progressivement limiter leur convocation à de grandes assemblées exceptionnelles au cours desquelles sont abordés des problèmes qui concernent le royaume dans son ensemble (notamment l’essor de l’impôt extraor-dinaire) et sur lesquels le souverain désire obtenir l’assentiment de la société politique à la tête de laquelle il se trouve. C’est de cette pratique que naissent, au début du XIVe siècle, les états généraux, inaugurés par Philippe le Bel en 1302 à l’occasion de son diff érend avec Boniface VIII. Toutefois, cela ne règle pas le problème de la gestion quotidienne des aff aires de l’État pour laquelle le souverain s’appuie de plus en plus sur un personnel technique de juristes qui s’impose, à partir des années 1250 comme le noyau stable et eff ectif de la Curia regis nouvelle manière, aux sessions de plus en plus nombreuses et de plus en plus longues de laquelle ils assistent avec la plus grande régularité 26. À partir du milieu du XIIIe siècle, donc, est en place une double composante dynamique du Conseil composée d’héritiers d’une part et de parvenus compétents d’autre part. La triple fonction de la Curia regis autour des activités de justice, de fi nance et de conseil aboutit ainsi au milieu de XIIIe siècle à la subdivision de la Curia regis en Curia in parlamento, Curia in compotis et Curia in consilio. Naissent alors le Parlement, la Chambre des comptes et le Conseil nouvelle manière. Cela implique une séparation entre l’administration de l’État, qui est confi ée au chancelier, au Conseil, au Parlement et à la Chambre des comptes, et le service domestique du roi, qui relève de l’Hôtel. Dans la pratique toutefois, le même personnel peut appartenir à l’Hôtel en même temps qu’au Conseil 27. Au niveau de l’administration, une diff érence de fond réside dans le fait que le Conseil reste itinérant à la suite du roi tandis que le Parlement et la Chambre des comptes se sédentarisent à Paris. Pour autant, il subsiste des traces de l’origine commune du Conseil du roi, du Parlement et de la Chambre des comptes. Ainsi, le titre offi ciel des magistrats du Parlement reste celui de « conseiller du roi en sa cour de Parlement ». Le Parlement revendique d’ailleurs toujours un droit de conseil, et tente régulièrement sa chance, notamment en période d’aff aiblissement de la monarchie 28. Enfi n il arrive même, au cours des lits de justice, que se reconstitue 25. Gérard SIVERY, Saint Louis et son siècle, Paris, 1999 [1983], p. 23.26. « Il est aussi important de remarquer l’amorce d’un changement de taille dans la composition du Conseil royal et

du Parlement après le retour du roi et, sans doute […] dès la période de “gouvernement” du prince héritier, Louis, en 1252-1254. Un certain nombre de “parlementaires” sont qualifi és de “maîtres”. Il semble bien s’agir de titulaires de titres universitaires, essentiellement de maîtres en droit, en droit civil. Ils inventent un droit monarchique qui se manifeste par une injection de droit romain dans le droit coutumier, qui devient de plus en plus un droit écrit et qui réalise peu à peu une synthèse effi cace entre le droit romain, arraché au monopole impérial, et le droit féodal, une synthèse au service de la construction de l’État monarchique. Ces “maîtres”, les contemporains les appellent “légistes” et ils connaîtront leur apogée sous le règne du petit-fi ls de Saint Louis, Philippe IV le Bel. » (Jacques LE GOFF, Saint Louis, dans Héros du Moyen Âge, le Saint et le Roi, Paris, 2004, p. 362.)

27. Parmi de multiples exemples, on retiendra celui de Bureau de La Rivière , premier chambellan de Charles V et l’un de ses principaux conseillers (Françoise AUTRAND, Charles V, Paris, 1994, p. 698-702).

28. De surcroît, jusqu’en 1673, des présidents du Parlement siègent à l’occasion au Conseil du roi, tandis que des membres du Conseil sont nommés conseillers d’honneur au Parlement. La suprématie du Conseil du roi sur l’ensemble des autres corps administratifs est une longue évolution qui culmine sous Louis XIV . Dans les années 1660, pour commencer, le roi de France interdit aux cours de justice de se qualifi er de « souveraines » et substitue à cette épithète celle de « supérieures ». Puis, un nouveau règlement du Conseil en 1673 déclare que la

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une forme ancienne de la Curia regis : la venue du roi a en eff et pour conséquence de suspendre la délégation d’autorité judiciaire ordinairement dévolue au Parlement.

Un Conseil ou des Conseils ?

D’entrée de jeu, la Curia in consilio issue de la Curia regis connaît des expressions variées en fonction de sa composition et de son ampleur. En formation plénière, on parle, avec Philippe de Beaumanoir (1250-1296), de « Grand Conseil ». En forma-tion plus restreinte, de « Conseil étroit » en 1316, puis de « Conseil secret » à la fi n du règne de Philippe VI . Dans sa dimension effi ciente, il comporte rarement plus de 20 conseillers. Échappant à tout cadre formel, son étude est rendue d’autant plus diffi -cile qu’il laisse peu ou pas d’archives. D’entrée de jeu, il relève, par essence, des registres consultatif et exécutif. On observe la formation progressive, du XIVe au XVIe siècle, d’un Conseil intime appelé à délibérer sur les aff aires d’État les plus importantes. De bonne heure, la confi ance plus grande que le Roi témoigne à quelques-uns se traduit par un titre spécial. Ainsi, les conseillers les plus intimes de Jean le Bon se qualifi ent, vers 1356, de conseillers du Grand et Secret Conseil. Grand et Étroit Conseil a peut-être, quelques années plus tard, une signifi cation semblable. Au début du XVe siècle, la réunion des conseillers les plus intimes, proches parents, ministres ou familiers du Roi est appelée le principal Conseil, le plus spécial Conseil du Roy, et ces expressions, employées par Froissart ou d’Escouchy, ont des équivalents dans les chartes (Secretius, Superius, Majus Consilium) 29.

En 1436, Charles VII fait un choix parmi les membres de son Grand Conseil ; il décerne à plusieurs d’entre eux (par exemple à Prégent de Coëtivy) le titre de « conseillers especiaulx » et les désigne « pour conduire, conseiller et adrecier ses plus haulz et grans afaires », pour « besoigner continuelment auprès de sa personne, tant en la compagnie des princes du sang qu’autrement ». D’ailleurs, sous le règne de Charles VII et aussi sous celui de Louis XI , les protocoles nous apprennent à distinguer deux classes de conseillers du Roi : les simples « conseillers » admis aux « Conseilz et aff aires » et les « conseillers du Grand Conseil » appelés aux « plus grans Conseils et besoignes », ces derniers probablement seuls initiés aux secrets de la politique 30.

Un état de l’Hôtel du Roi, que l’on peut rapporter vraisemblablement aux dernières années du règne de Louis XI , oppose au Conseil des choses communes celui des choses especiales :

dignité de conseiller d’État est incompatible avec les offi ces de judicature. Voir Bernard BARBICHE, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, 2001, p. 105 et 284. Toutefois, « l’étude attentive de la titulature des conseils établis dans les provinces frontalières et dans les colonies montre […] à l’évidence que le changement de vocabulaire imposé par le Roi Soleil au début de son règne personnel n’a eu qu’un eff et limité. Les conseils d’ancienne création n’en ont tenu aucun compte ; ils n’ont jamais renoncé à leur appellation d’origine, celle que portait leur sceau. » (Bernard BARBICHE, « Conseils souverains ou conseils supérieurs ? Un enjeu politique », dans Jean-Luc EICHENLAUB [dir.], Les conseils souverains de la France d’Ancien Régime, XVIIe-XVIIIe siècle, Colmar, Archives départementales du Haut-Rhin, 1999.)

29. Noël VALOIS, « Étude historique sur le Conseil du roi », dans Inventaire des arrêts du Conseil d’État (règne de Henri IV ), t. I, Imprimerie nationale, 1886, p. XXXVIII ; Chroniques de Jean Froissart, Simon Luce (éd.), Paris, 1869-1899, t. 1, 2 (1307-1340), p. 96 ([1329] « Ne demora gaires de temps, puissedi, que li rois de France envoia en Engleterre, de son plus especial conseil, l’evesque de Chartres et l’evesque de Biauvais etc. ») ; « Per Regem in suo Majori Consilio, in quo dominus dux Bitturicensis, dominus Jacobus de Borbonio, Vos, dominus de Baqueville, et plures alii erant » (AN, II 161, fo 30 vo [septembre 1406]).

30. Noël VALOIS, op. cit., p. XXXIX.

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« Item est a scavoir quil y a le Conseil des choses communes, le Conseil des choses especiales et Conseil du fait de la justice.

Item et au regard du Conseil de la justice, le chancelier et ceux du Grand Conseil nen doivent point entreprendre la cognoissance, mais la doivent renvoyer aux juges ordinaires, sinon que ce soit dun grand cas de enormité qui requierre prompte provi-sion ou que le roy leur commette la dicte matiere par sa commission pour grandes et urgentes causes et non autrement.

Item ou Conseil commun la ou viennent les maistres des requestes ordinaires, les conseillers a pention, le grand maistre dostel, le connestable, les mareschaux, le maistre des arbalestriers et ladmiral et deux ou trois secrétaires des plus notables et non plus, les matieres touchant le roy et le bien du royaume et de la chose publique se doivent traitter et illec y estre donne provision selon le bon vouloir du roy ainsi que la matiere le requiert.

Item il y a un autre Conseil particulièrement d’aucunes secretes matières que le prince ne veut pas que guere de gens en ayent cognoissance, et icelles il les peut commettre à telles gens, à telles personnes et à tel nombre que son plaisir est, et ne se doit nul ingerer d’y aller, s’il n’est appelé 31. »

À la même époque, Robert de Balsac distingue, lui aussi, un Conseil étroit et un Conseil général 32. Dans le prolongement de ces distinctions, Claude de Seyssel , dans La Monarchie de France, présente le Conseil idéal comme une réalité déclinable en trois cercles concentriques. En dépit de la dimension théorique de cet écrit, il n’est pas inintéressant de l’évoquer ici car il correspond assez bien à l’esprit du Conseil.

Soulignant les contraintes contradictoires que représentent la nécessité pour le roi de demander conseil sur des aff aires complexes, l’impossibilité dans laquelle il est d’exclure de son Conseil certains individus « pour raison de leur degré, condition ou dignité » et l’exigence du secret pour les aff aires de l’État, Claude Seyssel conclut à la nécessité pour le roi de disposer de trois Conseils diff érents :

« Pour satisfaire à tout, me semble qu’il est requis qu’un Roi et grand Prince ait trois manières de conseil, tout ainsi qu’avait Notre Rédempteur Jésus-Christ […] car il avait premièrement son Grand Conseil qui était de LXXII disciples […]. Son second Conseil était des XII apôtres, auxquels il communiquait ordinairement toutes choses secrètes. Le tiers était de trois desdits XII, à savoir : saint Pierre, saint Jean et saint Jacques, auxquels il communiquait les choses les plus intrinsèques et les plus hauts mystères […]. Et encores, entre Ses trois, y en avait un auquel il révéla plusieurs grands secrets qu’il cela aux autres, à savoir saint Jean l’Évangéliste, quand il reposa sur sa poitrine en la Cène. »

Claude de Seyssel précise un peu les attributions et la composition des diff érents Conseils. Il commence par le Conseil élargi qui d’ailleurs est lui-même divisé entre ce que l’on pourrait appeler un « Conseil élargi » et un « Conseil très élargi »

« le Roi doit les grands et communs aff aires du royaume communiquer à un Grand Conseil, assemblé de bons et notables personnages de divers États – tant d’Église que séculiers et tant de robe longue que de robe courte, – à savoir ceux qui sont qualifi és à cause de leur degré, état ou offi ce, comme sont en France les Princes du sang, les

31. Collection des meilleurs dissertations, notices et traités particuliers relatifs à l’histoire de France : composée, en grande partie, de pièces rares, ou qui n’ont jamais été publiées séparément, pour servir à compléter toutes les collections de mémoires sur cette matière, t. 19, C. Leber (éd.), Paris, 1838, « L’estat des offi ces de lostel du roi » (non daté, cet acte date sans doute de la fi n du XVe siècle), p. 176-185 (ici, 183-184).

32. Philippe CONTAMINE, Le Moyen Âge. Le roi, l’Église, les grands, le peuple. 481-1514, Paris, 2002, p. 385.

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Évêques, les Chefs d’offi ce, les Chambellans, les Maîtres des requêtes et Maîtres d’hôtel qui se trouvent en court ; et encores selon l’importance des aff aires, y doit l’on appeler des présidents des cours souveraines, des prélats absents et autres notables person-nages que l’on sait être sages et expérimentés. Mais cela de convoquer tels personnages absents ne se fait (ni doit faire) guères souvent, pour éviter confusion et dépense ; ains seulement quand il occourt quelque chose qui n’advient pas souvent et est de grande conséquence à tout le royaume, comme d’entreprendre une guerre nouvelle, de faire lois et ordonnances générales concernants la justice ou la police universelle du royaume et autres cas semblables – auxquels cas il est quelquefois expédient d’appeler quelque petit nombre de gens des cités et villes capitales du royaume […]. Et ceci […] est une assemblée casuelle, laquelle ne se doit faire sinon quand les cas le requièrent. Mais celle qui se fait des autres personnages qui se trouvent en Cour dont j’ai parlé se peut appeler le Conseil général ou le Grand Conseil du Prince. Lequel se peut et doit assembler plus souvent, à savoir, en toutes matières de grande importance 33 ».

Il y a donc deux Conseils élargis : un qui réunit largement ceux qui sont présents à la cour et un autre encore plus large qui fait revenir en cour des personnages éloignés pour élargir encore son assise. Ce Conseil élargi s’apparente aux états généraux ou aux assemblées de notables. Il est très rarement convoqué et n’a pas de véritable rôle politique. Il apparaît à l’occasion des crises et le roi l’envisage pour légitimer une politique, notamment fi scale. Ainsi, au moment de la captivité qui suit Pavie, François Ier envoie en France des lettres patentes pour faire couronner roi de France le jeune dauphin François et préconise la réunion d’un « Grand Conseil » au sens de Seyssel . Il écrit :

« Voulons et ordonnons que ledict gouvernement et aucthorité de nostredicte dame et mere, tel que dessus, sur nostredict fi lz aisné, encores qu’il soit roy couronné, et sur chascun de nosdicts autres enfants, dure et continue jusques à ce qu’ils soient en age de pleine puberté et de discretion, selon l’advis de nostredicte dame et mere et du Conseil estroit qui sera autour d’elle pour ce temps […] prians et exhortans nostredicte dame et mere de chose que sçavons certainement luy estre agreable, c’est assavoir : qu’il luy plaise avoir et tenir tousjours autour d’elle et de nostredict fi ls aisné, après qu’il sera couronné Roy, le conseil des princes, prelatz, chancellier, presidens et autres nos offi ciers tels qu’elle sçait et dont l’avons advertie, lesquels elle pourra demettre et oster quand bon luy semblera et y en mettre d’autres 34. »

Ce Conseil élargi a donc une fonction légitimante pour une royauté en crise. Il est toutefois important de souligner que François Ier évoque à la fois l’importance de la réunion de ce large Conseil et la liberté de choix absolue dont dispose la régente pour sa composition.

Mais revenons à Claude de Seyssel . Selon lui, après les Conseils élargis vient un Conseil plus restreint qui

« doit être ordinaire et seoir tous les jours quand aff aires sont grands et urgents – comme en temps de guerre – ou à tout le moins trois jours de la semaine, encores qu’il n’y eût matière fort précise […] Et ce Conseil doit être établi de gens sages et expérimentés, et surtout qui aient bon zèle au Bien public du Roi et du royaume. Et

33. Claude DE SEYSSEL , La Monarchie de France, Jacques Poujol (éd.), Paris, 1961, p. 135.34. AN, X1A 8612, fo 91 vo-94 vo (publié dans Aimé Champollion-Figeac [éd.], Captivité du roi François Ier , Paris,

1847, p. 421-422).

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ne doit-on à l’élection d’iceux avoir regard à hautesse de sang, à offi ce ni dignité, mais tant seulement à la vertu expérience et prudhomie : lesquelles vertus ne naissent pas avec les hommes, mais les faut acquérir par exercitation […]. Et si ne faut pas que le nombre soit excessif ; ains suffi t qu’il y ait jusques à X ou XII […]. Et pour garder cet ordre, faut que le Prince et Monarque y ait la superintendance ; ou, pour le décharger (s’il ne peut ou ne veut en avoir le soin si continuellement) est besoin que sous lui y ait un Chef et Président qui soit de telle autorité et prudence que le Roi s’en puisse reposer sur lui : auquel les autres portent révérence, autant ou plus pour sa vertu que pour raison de son offi ce. Et nonpourtant est très requis qu’icelui Roi et Monarque se trouve souvent audit Conseil 35 ».

Ce Conseil opérationnel, on le verra, ressemble à un mélange du Conseil de l’après-midi et de certaines séances du Conseil du matin. En eff et, à côté du principal conseiller et de 2 ou 3 autres conseillers, il y a toujours comme un pool d’une petite dizaine de conseillers qui entourent le roi. Mais il est vrai que le Conseil resserré du souverain est organisé autour de quelques individus, comme le préconise Seyssel :

« Outre ce Conseil est bien requis que le Prince ait un petit nombre de ceux-mêmes dudit Conseil – jusques à trois ou quatre, ou bien peu plus, entre lesquels le chef et président soit l’un, et les autres soient ceux qu’il répute les plus sages et expérimentés et les plus féables à lui – avec lesquels il communique à part des matières occurentes avant qu’elles soient proposées au Conseil ordinaire […] Et par ainsi est requis, avant que ledit Conseil s’assemble et que le Prince entende et débatte avec ce petit nombre – que l’on peut appeler le Conseil secret – quelle matière l’on doit proposer 36. »

Ce Conseil réduit qui prend les décisions, a toujours intéressé les théoriciens de l’État. Qu’ils le critiquent ou qu’ils le louent, tous ont conscience des qualités spéci-fi ques requises de la part de ses membres, qualités diff érentes de celles nécessaires à ceux qui participent aux Conseils élargis ou aux Conseils contentieux. Dans un passage au sein duquel il affi rme que « dans la monarchie, les ministres ne doivent pas juger », Montesquieu évoque les qualités attendues des conseillers les plus proches du souverain et la nature de leur travail :

« Il y a par la nature des choses, une espèce de contradiction entre le Conseil du monarque et ses tribunaux. Le Conseil des rois doit être composé de peu de personnes, et les tribunaux de judicature en demandent beaucoup. La raison en est que, dans le premier, on doit prendre les aff aires avec une certaine passion et les suivre de même ; ce qu’on ne peut guère espérer que de quatre ou cinq hommes qui en font leur aff aire. Il faut au contraire des tribunaux de judicature de sang-froid, et à qui toutes les aff aires soient en quelque façon indiff érentes 37. »

Nous aurons l’occasion de voir dans quelle mesure les préconisations de Claude de Seyssel et les caractéristiques soulignées par Montesquieu correspondent à la réalité du Conseil tel qu’il se pratique sous François Ier . Le Conseil est en eff et une réalité diverse, symbolique parfois, très concrète à d’autres moments. Quoi qu’il en soit, il a donné lieu à une littérature théorique abondante.

35. Claude DE SEYSSEL , op. cit., p. 137.36. Ibid.37. MONTESQUIEU , De l’Esprit des lois, Paris, 1951, p. 316 (Livre VI, chapitre 6).

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Du devoir au droit : la place du Conseil chez les penseurs de la fi n du Moyen Âge

Fermeture du Conseil et constitution de partis sous les premiers Valois 38

On a évoqué plus haut comment, dans le contexte de l’essor de l’État administratif, on observe, à partir de la fi n du XIIIe siècle, un rétrécissement de l’équipe qui entoure le roi. Parallèlement, la place des grands vassaux recule au profi t de celle des techniciens, notamment des juristes et des gens de fi nance. Ce resserrement du groupe dirigeant s’explique aussi bien par une exigence d’effi cacité que par la loyauté de ces techniciens qui doivent leur fortune au roi. Ce phénomène est renforcé par la guerre qui lui donne de surcroît une dimension institutionnelle. En eff et, la nécessité pour Philippe VI de négocier l’impôt avec le royaume l’amène à élargir le Conseil en assemblées regroupant des représentants des trois états. En conséquence, on assiste à une dilution du Conseil qui engendre logiquement la constitution dès 1335 d’un Conseil secret restreint qui assume, de fait, la réalité du gouvernement. Pour autant, cette évolution est fort mal acceptée par la société politique, car la coterie au pouvoir tend à confi squer les places. On remarque par exemple sous Philippe VI une domination au Conseil des Bourguignons et des Champenois, au détriment des gens de l’ouest et, tout parti-culièrement, des Normands qui formaient jusque-là le noyau de l’entourage royal. Progressivement donc, face au parti royal qui promeut une idéologie souverainiste, se mettent en place un ou deux partis d’opposition qui portent quant à eux les couleurs de la réforme. C’est dans ce contexte qu’il faut lire l’enrichissement de la pensée politique qui s’interroge de plus en plus précisément sur les relations entre le roi et son Conseil, sur la question de la maîtrise de sa composition aussi bien que sur celle de savoir dans quelle mesure le roi doit tenir compte des avis de ses conseillers.

Le point de vue des rois de France

Certains rois de France, par des écrits spécifi ques ou par des proclamations, ont contribué à la théorisation de la place du Conseil dans la monarchie française. Saint Louis par exemple, dans ses Enseignements à son fi ls, insiste sur la nécessité pour le roi d’agir par « sages conseils de bonnes gens », fi dèle en cela à l’un des thèmes essentiels des « Miroirs des princes » chrétiens dans lesquels il est réaffi rmé sans cesse que le roi doit consulter, choisir de bons conseillers et les écouter 39. De son côté, Charles V , en 1374, dans le préambule de l’ordonnance sur la majorité des rois de France, souligne l’impor-tance du Conseil en affi rmant : « Nous et nos prédécesseurs avons toujours gouverné et gouvernons en tous nos faits par nombre de sages hommes, clercs ou laïques. » Il ne prend aucune décision sans « bonne et mûre délibération 40 ». C’est là une constante de la philosophie politique de la monarchie française et Bossuet ne dit pas autre chose qui écrit : « Tout se fait parmy les hommes par l’intelligence et par le conseil […] et le salut

38. Boris BOVE, Le temps de la Guerre de Cent ans. 1328-1453, Paris, 2010, p. 136-139.39. Sur ces Enseignements, voir Jacques LE GOFF, « Les Enseignements à son fi ls et à sa fi lle », dans son Saint Louis,

republié dans Héros du Moyen Âge, le Saint et le Roi, Paris, 2004, p. 529-539.40. ORF, IV, p. 438. Voir aussi, par exemple, VI, p. 26, 45 et 51 ; VII, p. 518 et 705. Voir Jeannine QUILLET, Charles V .

Le roi lettré, Paris, 2002 [2004], Jeanine QUILLET, D’une cité l’autre. Problèmes de philosophie politique médiévale, Paris, 2000 et Françoise AUTRAND, Charles V, Paris, 1994.

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se trouve là où il y a beaucoup de conseil 41. » Cette idée est très largement répandue et la conviction de Louis XIV , trois siècles plus tard, est d’ailleurs que la présence de conseillers auprès du monarque importe autant à celui-ci qu’à ses sujets. On trouve dans les Mémoires de Louis XIV pour l’instruction du Dauphin les lignes suivantes :

« Délibérer à loisir sur toutes les choses importantes et prendre conseil de diff érentes gens, n’est pas, comme les sots se l’imaginent, un témoignage de foiblesse, mais plutôt de prudence et de solidité […]. Les conseils qui nous sont donnés ne nous engagent à les suivre qu’en tant qu’ils nous paroissent raisonnables, et loin de diminuer l’esprit de notre propre capacité, ils la relèvent plus assurément que toute autre chose, parce que tous les gens de bon sens sont d’accord que tout ce qui se fait ou se propose de bon dans l’administration de l’État se doit rapporter principalement au prince et qu’il n’y a rien qui fasse mieux voir son habileté que lorsqu’il bien se faire servir et bien conseiller par ses principaux ministres 42. »

Monthyon, ancien conseiller de Louis XV , dit à peu près la même chose, qui écrit :« Non seulement les Conseils ne portent point atteinte à la puissance des rois, mais ils

servent à la conserver et empêchent que les ministres ne l’usurpent […]. Par la discussion des aff aires dans un Conseil en présence du prince, non seulement le prince, d’après l’opinion qu’il est à portée de former, juge par lui-même les aff aires, mais il juge même ses ministres, parce que par cette discussion et par la collision des avis, il a la mesure de leur capacité. En même temps que le Conseil maintient dans les mains du prince la puissance qui lui appartient, il l’augmente, parce qu’il attache aux déterminations de la couronne la considération et la confi ance qu’inspirent le résultat d’une mûre délibération et l’opinion d’hommes sages et instruits 43. »

Cet esprit de conseil et de délibération est une composante essentielle des insti-tutions monarchiques françaises. Il est indissociable de l’existence des corps intermé-diaires tels qu’ils fonctionnent car alors qui dit corps dit nécessairement délibération 44. C’est en tout cas l’esprit qui réside dans les réfl exions de bon nombre de ceux qui ont réfl échi à la place du Conseil dans l’économie monarchique à la fi n du Moyen Âge. Tous s’accordent sur le caractère impérieux du Conseil.

Entre savoir du prince et nécessité du Conseil chez les penseurs politiques de la fi n du Moyen Âge

De ce point de vue, l’approche théorique du Conseil est très diff érente, entre, d’une part, Abbon de Fleury et Fulbert de Chartres, que nous avons déjà mentionnés et qui, pour le premier, admoneste les grands qui désertent la cour d’Hugues Capet et, pour le second, rappelle aux vassaux du roi de France le devoir de conseil, et, d’autre part, Jean Gerson qui insiste, avec la plupart des penseurs politique de la fi n de la période médiévale, sur la nécessité pour le roi de prendre conseil 45. En eff et, alors 41. BOSSUET, Politique tirée des propres paroles de l’Écriture Sainte, Paris, 1709, livre V, art. I, prop. I.42. Mémoires de Louis XIV pour l’instruction du Dauphin, Charles Dreyss (éd.), Paris, 1860, t. I, p. 149-150.43. Auget DE MONTHYON, Particularités et observations sur les ministres des fi nances de France les plus célèbres, depuis

1661 jusqu’en 1791, Paris, 1812, p. 369-371 (cité par Michel ANTOINE, op. cit., p. 25).44. Analyse allant dans ce sens d’Eric BOURNAZEL (Louis VI le Gros, Paris, 2007, « Délibération et conseil », p. 266-270)

à Michel ANTOINE (op. cit., p. 25).45. On notera qu’en théorie, tous les sujets sont tenus au devoir de Conseil « qu’ils soient individuellement consultés

en raison de leurs compétences particulières ou collectivement dans le cadre de leur regroupement en corps divers

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qu’aux premiers temps de l’ère capétienne, la participation des Grands au Conseil a un pouvoir légitimant sur les décisions du souverain, la consolidation du pouvoir royal rend cette participation politiquement moins précieuse, voire antinomique avec l’affi rmation de l’autorité du prince. Plus que jamais donc, le roi de France s’eff orce de maîtriser l’entrée à son Conseil, quitte à écarter princes du sang, aristocrates, et même, bientôt, offi ciers des organes centraux, c’est-à-dire tous ceux qui sont susceptibles, par leur légitimité propre, de faire de l’ombre à son pouvoir. La nouvelle préoccupation des penseurs politique consiste alors au contraire à insister sur l’importance du Conseil en défi nissant le gouvernement par Conseil comme le gouvernement idéal. À partir de Charles V donc, les théoriciens du Conseil ne mettent plus l’accent sur l’auxilium et consilium. La logique a changé : il ne s’agit plus d’essayer d’attirer les Grands au Conseil, mais plutôt d’essayer de convaincre le roi de s’entourer des meilleurs conseillers possibles, c’est-à-dire de conseillers qui soient sages (savants) et représentatifs. Le Conseil n’est plus pensé comme une émanation de la féodalité et l’accent est plutôt mis sur l’avantage que représente le Conseil pour le roi. Pour Philippe de Beaumanoir (1250-1296) par exemple, les ordonnances royales, pour être reçues dans tout le royaume, doivent être prises par délibération du Conseil 46. L’approche qui consiste à mettre l’accent sur le Conseil vient compléter une autre approche, bien connue, qui est celle du savoir du prince 47. Cette perspective est ancienne et déjà les clercs carolingiens exigent l’union du pouvoir et de la science, témoin Alcuin s’adressant à Charlemagne :

« Heureux peuple, celui qui est régi par un prince savant et pieux, comme on peut le lire dans Platon qui déclare que les royaumes sont heureux lorsque les philosophes, c’est-à-dire les amis de la sagesse, gouvernent, ou bien lorsque les rois s’appliquent à l’étude de la philosophie 48. »

On connaît la postérité de cet éloge du savoir comme dimension essentielle de la puissance, cristallisé dans la formule du Policraticus de Jean de Salisbury (1159) reprise par d’innombrables miroirs des princes :

« Un roi sans instruction est comme un âne couronné (Rex illiteratus est quasi asinus coronatus). » [Policraticus, IV, 6.]

Pour autant, les penseurs politiques de la fi n du Moyen Âge ne croient manifeste-ment plus à l’idée que le souverain sait gouverner seul. Gerson (1363-1429) s’inter-roge : « Qu’est-ce que le sens d’un homme seul ? Fais tout par conseil et jamais ne t’en repentiras. » Pour lui, la consultation des représentants des divers états et des divers lieux du royaume est une nécessité, « car un roi sans prudent Conseil est comme une tête sans yeux, sans oreilles et sans nez 49 ». De la même manière, Christine de Pizan (1364-1430) voit dans un roi sans Conseil « comme le chef en ung corps, sans yeulx, sans oreillez et sans nez ». La position de Christine de Pizan est toutefois radicalement

(comme les villes, l’université, les corps des métiers ») (Jean-Louis HAROUEL, Jean BARBEY, Eric BOURNAZEL, Jacqueline THIBAUT-PAYEN, op. cit., p. 324).

46. Françoise AUTRAND, article « Conseil » dans Claude Gauvard, Alain de Libera et Michel Zink (éd.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 334.

47. Ran Halevi (éd.), Le savoir du prince. Du Moyen Âge aux Lumières, Paris, 2002.48. Cité par Jacques KRYNEN, « Le droit : une exception aux savoirs du Prince », dans Ran Halevi (éd.), op. cit., Paris,

2002, p. 51.49. Vivat rex !, discours au roi pour la réformation du royaume, 7 novembre 1405, dans Jean Gerson , Mgr Palémon

Glorieux (éd.), Œuvres complètes, Paris, 1960-1973, 10 volumes, t. 7 (2), p. 1166.

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diff érente de celle de Gerson. Alors qu’elle tient pour la dimension consultative du Conseil, Gerson affi rme lui que « le seigneur ne doit pas seulement lui demander conseil mais le croire et l’exécuter 50 ». Alain Chartier (1385-1449) a une position assez proche, qui écrit

« Ung homme seul peut estre roy suz autres mais il ne peult pas regner par ung seul sens. Ce qui a plusieurs touche et appartient doit par plusieurs estre traicté ».

Il s’appuie là sur la célèbre formule Quod omnes tangit ab omnibus tractari debet (« ce qui touche tous doit être traité par tous »). On ne sera pas surpris dans ce contexte des critiques formulées à l’encontre de Louis XI , dont le cheval est censé porter, et le chapeau contenir, tout son Conseil 51.

Au XVIe siècle, l’affi rmation de la nécessité de l’appel au Conseil est renforcée par l’idée que la consultation du Conseil correspond à l’intérêt bien compris du souverain, sur l’idée donc que le prince peut retirer du Conseil des avantages politiques. En eff et, selon certains théoriciens, grâce au Conseil, le roi est en mesure d’imposer des ordres sévères qui passeront d’autant mieux auprès de la société politique ou du royaume en son entier du fait qu’ils auront été éclairés par la réfl exion et les conseils de personnages d’autorité. Ces théoriciens reprennent donc à leur compte le pouvoir légitimant du Conseil, qui avait conduit les théoriciens politiques contemporains des carolingiens et des premiers Capétiens à défendre l’idée du devoir de conseil. Ils gauchissent un peu cette approche, en transformant le devoir des vassaux en un intérêt bien compris des rois, comme Jean Bodin dans La République :

« Car il n’y a rien qui plus autorise les loix, et mandement d’un Prince, d’un peuple, d’une seigneurie, que les faire passer par l’advis d’un sage conseil, d’un Sénat, d’une Cour : comme Charles V , surnommé le Sage, ayant receu les appellations et plaintes de ceux de Guyenne, subjects du Roy d’Angleterre, contrevenant directement au traicté de Bretigni, il assembla tous les Princes en Parlement, disant qu’il les avoit faict venir pour avoir leur advis, et se corriger s’il avoit faict chose qu’il ne deust faire. Car les sujects voyans les edicts et mandements passez contre les resolutions du conseil, sont induits à les mespriser : et du mespris des loix vient le mespris des magistrats, et puis la rebellion ouverte contre les Princes, qui tire apres soy la subversion des estats 52. »

Le pouvoir légitimant du Conseil est indiscutable au cours du règne de François Ier . En eff et, on trouve régulièrement trace, dans les mentions hors teneur des actes, de la présence de personnages comme le duc de Vendôme , le duc de Lorraine, le duc de Gueldres, le connétable de Bourbon, le comte de Vaudémont et, dans un autre registre, des présidents au Parlement dont il est manifeste qu’ils n’ont aucune infl uence politique ou en tout cas, pas d’infl uence majeure. Leur présence au Conseil s’explique manifestement par la volonté royale de légitimer ses décisions par le prestige d’illustres signatures.

Si le Conseil est indispensable par son pouvoir légitimant, il l’est aussi par la complexité des aff aires à traiter que le roi ne peut maîtriser seul. Il doit donc s’entourer de conseillers compétents. Car dire que le prince a besoin d’un Conseil n’est que la première étape de la réfl exion. Il faut ensuite réfl échir à la manière de peupler le

50. Ibid.51. Philippe CONTAMINE, op. cit., p. 382.52. Jean BODIN , Les Six Livres de la République, Paris, 1986, III, p. 9.

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Conseil. Claude de Seyssel met en garde contre la diffi culté de gestion des aff aires, embrassant en une seule mise en garde le roi et ses conseillers :

« Il n’est pas possible qu’un seul homme, ni encores un petit nombre de gens, quelque accomplis qu’ils soient, puissent entendre et manier tous les aff aires d’une si grosse monarchie 53. »

Dès Seyssel au moins, donc, est perçue l’importance du Conseil dans la légitimation du pouvoir royal. Lourd fardeau qui porte en germe le discrédit potentiel de cette assemblée, formulé deux siècles plus tard par Montesquieu :

« Le Conseil du prince […] est, par sa nature, le dépôt de la volonté momentanée du prince qui exécute, et non pas le dépôt des lois fondamentales. De plus, le Conseil du monarque change sans cesse ; il n’est point permanent ; il ne sauroit être nombreux ; il n’a point à un assez haut degré la confi ance du peuple ; il n’est donc pas en état de l’éclairer dans les temps diffi ciles, ni de le ramener à l’obéissance 54. »

Institution pivot du pouvoir exécutif, le Conseil porte donc en lui les éléments de sa délégitimation. C’est pourquoi il importe d’asseoir de la manière la plus ferme possible ses fondations. Cela passe notamment par la composition la plus pertinente qui doit trouver le bon équilibre entre compétence et représentativité du corps politique.

Pour une composition diversifi ée du Conseil

La complexité des aff aires à traiter, d’un point de vue technique, mais aussi, de manière plus générale, la complexité de l’exercice du pouvoir amène les théoriciens du Conseil à insister sur les compétences diverses qui doivent être réunies en son sein. Ghillebert de Lannoy (1386-1462), dans son Instruction d’un jeune prince pour se bien gouverner envers Dieu et le monde, invite le duc de Bourgogne à s’entourer de 8 à 12 conseillers notables « soit clercs ou chevaliers 55 ». À l’occasion on déplore les déséquilibres. En 1413 par exemple, l’université et la ville de Paris regrettent que le Grand Conseil de Charles VI ne soit pas composé simplement de « bons prudhommes », sages gens, clercs et chevaliers mais au contraire soit une instance désordonnée, où chacun est admis 56.

Christine de Pizan (1364-1430), dans la trilogie qu’elle écrit pour l’éducation du futur roi, Louis, duc de Guyenne, petit-fi ls de Charles V , traite de l’éducation du prince et de ses vertus. Et dans son œuvre, le prince n’est pas seul. Il est mis à sa place, à la tête du corps politique dont les autres membres (les nobles et le peuple) reçoivent aussi leur lot d’enseignements et de conseil 57. Dans le Livre de la Paix, elle recom-

53. Claude DE SEYSSEL , op. cit., p. 134. Cette condamnation de la confi scation du pouvoir par un petit nombre est une constante dans l’histoire politique. On peut penser aux attaques de 2004 contre le mode de décision informel et autoritaire instauré par Tony Blair, sans discussion collective du cabinet (« government by sofa » ou « sofa style »). Voir notamment Tony BLAIR, Mémoires, Paris, 2010, p. 26-27.

54. MONTESQUIEU , De l’Esprit des lois, Paris, 1951, p. 249 (Livre II, chapitre 4).55. Œuvres de Ghillebert de Lannoy , voyageur, diplomate et moraliste, C. Potvin et J.-C. Houzeau (éd.), Louvain, 1878

(p. 327-426, Instruction d’un jeune prince pour se bien gouverner envers Dieu et le monde et p. 369-376 « cy dist de quels meurs, estas et conditions princes doivent eslire leurs conseilliers et offi ciers principaulx ». La citation est p. 372). Les avis de Ghillebert de Lannoy ne sont peut-être pas sans infl uence car Philippe le Bon décide par lettres patentes du 6 août 1446 d’instaurer un Grand Conseil (lettres patentes publiées p. 432-442).

56. Philippe CONTAMINE, op. cit., p. 384.57. François AUTRAND, Christine de Pizan . Une femme en politique, Paris, 2009, p. 336.

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mande le choix de conseillers de « quatre sortes d’état 58 ». Il s’agit d’abord de nobles « de deux sortes », d’une part des « chevaliers et écuyers […] éprouvés dans l’exercice des armes » qui sont « propres à bien conseiller sur le fait des guerres » et d’autre part, « d’autres prud’hommes, chevaliers d’âge ou autres nobles de bon sens naturel » auxquels seront dévolus les offi ces de l’Hôtel royal. Il s’agit ensuite des « clercs légistes et autres sages […] prélats ou autres » auxquels l’étude du droit a appris à « gouverner policie ». Ils sont donc « idoines à conseiller sur le fait de la justice » mais également à s’occuper de l’attribution des offi ces de justice et de fi nances. C’est au sein de ce vivier de légistes que seront choisis le chancelier, les prévôts et baillis des grandes juridictions et les maîtres des requêtes. Les laïcs enfi n sont des bourgeois qui, sans avoir étudié à l’université, sont, par leurs activités, compétents en matière de fi nances et de comptes.

« Le bon prince doit prendre conseil de diverses gens selon les diverses choses qu’il a à faire. Pour gouverner sa justice, il ne doit pas prendre conseil de ses gens d’armes ni de ses chevaliers, mais des légistes et clercs spécialistes, et pour ses armes il ne doit pas consulter ses clercs ; semblablement des autres choses […]. En la chose publique bien gouvernée [chacun doit être mis à sa place] selon ce de quoi il doit se mêler 59. »

Elle ne dit pas autre chose dans le Livre du corps de policie lorsqu’elle écrit que le gouvernement par experts a été recommandé par Aristote lui-même :

« Et à propos de croire les sages de user de leur conseil, dit la très grand dyalectique, qu’on doit avoir chascun en son art. C’est à entendre que le bon prince se doit conseillier à diverses gens selon ce qu’il a à faire diverses choses. Car du fait de gouverner sa justice […] de ce ne se doit mie conseillier à ses gens d’armes ne à ses chevaliers, mais aux ligistes et clers en icelle science 60. »

Si les penseurs politiques prennent acte du fait que la diversité des aff aires implique une composition hétérogène du Conseil, les rapports de forces entre le souverain et les diff érentes composantes de la société politique interviennent évidemment de manière essentielle dans la composition du Conseil.

Héritiers et parvenus : féodaux et légistes

En eff et, à partir du XIIIe siècle, les places au Conseil se répartissent entre deux groupes au gré des circonstances politiques, des aff aires à traiter et de la person-nalité des monarques. Chevaliers et clercs, conseillers nés et légistes, héritiers ou parvenus, on trouve toujours la même dichotomie dans la composition du Conseil selon des équilibres et des arbitrages divers en fonction des circonstances.

Féodaux et légistes

Les membres du Conseil sont, pour une partie, des « conseillers nés » issus de la famille royale et des grands lignages féodaux et, pour l’autre, des légistes qui diff èrent58. Christine DE PIZAN , Le Livre de Paix, Charity Cannon Willard (éd.), La Haye, 1958, p. 75-77. Voir aussi Philippe

CONTAMINE, op. cit., p. 383 et Jacques KRYNEN, Idéal du prince et Pouvoir royal en France à la fi n du Moyen Âge (1380-1440). Étude sur la littérature politique du temps, Paris, Picard, 1981.

59. Christine DE PIZAN , Livre du corps de Policie, Angus J. Kennedy (éd.), Paris, 1998, p. 37 et 40 (cité par Françoise AUTRAND, op. cit., p. 365 et 374).

60. Jacques KRYNEN, op. cit., p. 147, n. 349. Voir aussi Mikhael HARSGOR, thèse citée, p. 189.

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presque en tout des héritiers. Ils sont d’origine relativement modeste. Ce sont généra-lement des bourgeois ou des chevaliers qui ont suivi une formation universitaire. On les appelle légistes car ils ont appris la lex (c’est-à-dire le droit romain). Même si le roi a une certaine réticence à l’égard d’un arsenal juridique qui exalte la puissance de son rival l’empereur, le droit romain est le seul qui puisse permettre en même temps la réaffi rmation théorique d’un pouvoir royal en expansion. De surcroît, les légistes qui entourent le souverain connaissent également les « us et coutumes de France » – en fait surtout de la région parisienne. Le roi se retrouve donc ainsi avec, au sein de son Hôtel, des « chevaliers es lois » qui sont en mesure de dire la loi, qui sont présents constamment à ses côtés, qui lui off rent leur fi délité (bien plus fi able que celle des princes et des aristocrates) et leur compétence. Des hommes du roi en quelque sorte, qui lui off rent un service essentiel pour une monarchie qui s’affi rme. Ce sont eux qui mettent en forme les questions que l’opportunité politique invite alors à soumettre à l’avis des Grands du royaume.

Princes, aristocrates et vassaux voient leur infl uence diminuer lorsque le règne d’un nouveau monarque correspond à une affi rmation de l’État. D’une part, le souverain s’eff orce dans ces conjonctures de limiter l’infl uence des plus puissants. D’autre part, ces plus puissants ne sont alors pas en mesure de répondre aux nouvelles exigences de technicité qui vont de pair avec le développement administratif. Par ailleurs, dans la perspective du pouvoir princier, les héritiers ont leurs avantages mais aussi leurs inconvénients. D’une part, il est clair que le prince trouve son intérêt à employer les élites du pouvoir déjà en place car elles sont opérationnelles immédiatement, politi-quement et socialement, pour assurer le relais de l’autorité du prince. Il appartient au prince de les intégrer à sa cour et dans ses institutions centrales pour essayer de les convaincre de l’intérêt que représente pour elles une association avec lui. Mais cela exige un pouvoir royal fort et sûr de lui. Toute faiblesse est payée comptant. Les élites traditionnelles risquent en eff et d’être largement indépendantes et de prendre très au sérieux leurs fonctions de représentantes de l’intérêt commun. Une bonne économie du pouvoir implique donc, sauf pouvoir princier très fort, un certain renouvellement des élites impliquées dans le gouvernement central. On observe bien d’ailleurs, à la fi n du Moyen Âge, en France et ailleurs un eff ort princier pour diminuer l’implication des grands dans les organismes centraux. On assiste ainsi au cours des siècles à une partie à trois entre le roi, les féodaux et les légistes dont les meneurs changent en fonction de la puissance du roi.

Le roi, les féodaux et les légistes (fi n XIIe-fi n XVe siècle)

Les règnes de Philippe Auguste , Philippe le Bel , Charles V , Charles VII ou Louis XI correspondent ainsi à des périodes au cours desquelles les hommes nouveaux et les techniciens prennent le pas sur les grands féodaux 61. Sous Philippe Auguste par exemple, et tout particulièrement après 1190, les grands offi ciers et les hauts seigneurs sont écartés des décisions politiques. Les princes territoriaux sont toutefois bien

61. On notera que sur le plan local, les choses sont un peu plus complexes sous Charles V qui, dans un souci de ménager les particularismes locaux, notamment dans la conduite de la guerre, lance un mouvement de décen-tralisation pour répondre à la demande des réformateurs. « Cet essai de décentralisation avait l’immense mérite d’associer la société politique au gouvernement et aux profi ts de la fi scalité. » (Boris BOVE, op. cit., p. 161 – et, plus généralement, « Une tentative de réforme par le haut », p. 159-161.)

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présents à la cour et fi gurent en grande pompe dans les occasions solennelles, de même qu’ils participent à la diplomatie royale. Mais les contemporains n’en sont pas moins frappés, voire off usqués, par le nombre réduit et l’origine modeste des conseillers du souverain, généralement issus de lignages chevaleresques, qui jouissent de la confi ance absolue du roi et exercent en son nom, mais sans titre particulier, des pouvoirs très étendus. C’est la nature même du Conseil royal qui change alors. En eff et, une fois écartés les grands seigneurs, le Conseil n’est plus constitué que d’hommes qui sont réellement en charge des aff aires. Il a alors tendance à se transformer en une institution permanente et peu formelle. Sous Philippe Auguste, les principaux conseillers, parmi lesquels on compte les frères Gautier , les chevaliers Barthélemy de Roye et Henri Clément , ainsi que le clerc du roi frère Guérin appartiennent pour une bonne part à des familles investies dans le service aulique depuis plusieurs générations. Ce sont donc des héritiers aussi, mais de plus petites dimensions que les princes terri-toriaux. Ils ont sensiblement le même âge que le roi. Ce qui les caractérise, outre la formation universitaire dans le cas des clercs, c’est la fi délité au souverain 62. On retrouve les mêmes caractéristiques, un siècle plus tard sous le règne de Philippe IV le Bel, comme le dénonce Geoff roy de Paris :

« Trahi êtes, chacun le pense […]Par vos chevaliers de cuisine. »

On trouve toutefois également au Conseil de Philippe le Bel ses frères Louis d’Évreux et Charles de Valois , ses fi ls, en particulier le futur Louis le Hutin, ainsi que de grands feudataires comme le comte d’Artois. En fonction des aff aires traitées, on y convoque des spécialistes comme le bourgeois parisien Benoît Cocatrix ou les marchands fl orentins Biche et Mouche lorsqu’il s’agit de parler fi nances. En revanche, pour les aff aires touchant à l’administration générale, le roi a recours aux légistes. Ils sont une grosse vingtaine à s’imposer sur les trente années du règne. On les répartit traditionnellement entre ceux qui sont passés par l’université d’Orléans (Pierre de Belleperche , Raoul de Presles et Pierre de Latilly ) et la cohorte des juristes du Midi (Pierre Flote , Guillaume Nogaret ). Il faut y ajouter le chevalier Enguerran de Marigny qui, sans appartenir au sérail des juristes, s’impose comme un conseiller polyvalent de tout premier plan 63. Si les légistes pâtissent d’un faible capital de légitimité sociale, ils le compensent partiellement par leur assiduité et leur réelle maîtrise des dossiers qui équilibrent la légitimité des princes et des nobles qui, de leur côté, pâtissent aux yeux du souverain de la menace qu’ils peuvent représenter. Aussi, lorsque les souverains parviennent à surmonter les crises, comme c’est le cas de Charles V au lendemain de la révolte d’Étienne Marcel, ils s’entourent de Conseils très restreints constitués d’hommes qui se caractérisent à la fois par leur compétence et leur fi délité (Jean de La Grange , Philippe de Mézières , Jean et Bureau de La Rivière , Jean et Guillaume de Dormans ) 64. Le génie politique de Charles V est de s’imposer comme un maître du 62. John BALDWIN, Philippe Auguste et son gouvernement. Les fondements du pouvoir royal en France au Moyen Âge,

Paris, 1991 [1986] et notamment chapitre VI, « Les nouveaux hommes du roi », p. 141-184. Voir aussi François MENANT, « Philippe Auguste (1180-1223) : “un temps de mutations” pour l’autorité capétienne », dans François MENANT et al., Les Capétiens, Paris, 1999, p. 222-269 (particulièrement p. 248-250).

63. Jean FAVIER, Philippe le Bel , Paris, 2005 [1978], en particulier chapitre II, « Le roi en son conseil », p. 25-58 (p. 51 pour la citation de Geoff roy de Paris ) et Jean FAVIER, Enguerran de Marigny , Paris, 2005 [1963].

64. Françoise AUTRAND, Charles V , Paris, 1994, p. 688-706 (« Chapitre XXIX. Les conseillers de Charles V : un esprit nouveau »).

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gouvernement par Conseil dont il sait exploiter le pouvoir légitimant 65. C’est ainsi que lorsque les circonstances l’exigent, il élargit son Conseil en de vastes assemblées de consultation et d’information (par exemple en mai 1369, au moment de la reprise de la guerre contre l’Angleterre, ou dix ans plus tard, en mai 1379, lorsqu’il s’agit de reconnaître le pape d’Avignon Clément VII ).

À l’inverse, dans les périodes diffi ciles, lorsque le pouvoir royal peine à s’imposer, comme aux lendemains de la mort de Philippe le Bel , au cours du règne de Louis X , on assiste au remplacement des légistes par de grands féodaux au sein d’un Conseil qui est alors qualifi é, de manière signifi cative, de « Conseil des grands seigneurs de France 66 ». D’une manière logique, les premiers mis en cause dans ce changement de pouvoir sont les principaux conseillers du roi défunt. Pierre de Latilly , évêque de Châlons, et Raoul de Presles sont accusés d’avoir contribué à la mort du roi, tandis qu’Enguerran de Marigny est accusé de tous les maux et exécuté. Dès l’automne 1314, une réorga-nisation du Conseil en écarte les légistes, les chevaliers et les clercs du roi. Largement contrôlé par Charles de Valois , le nouveau Conseil est composé de 24 personnes auxquelles s’ajoutent le chancelier Étienne de Mornay , un fi dèle de Charles de Valois, le connétable, les maréchaux, le président de la Chambre des comptes et deux évêques 67. La situation se dégrade encore au début du règne de Philippe V qui cède à ce Conseil féodal certaines prérogatives royales parmi lesquelles les grâces, les nominations aux offi ces et aux bénéfi ces et l’examen du budget. Toutefois, Philippe V reprend rapidement la main. La thèse d’Olivier Canteaut a montré comment son règne correspond à une période d’omnipotence du roi qui réunit autour de lui ses conseillers rassemblés autour de la Chambre des comptes, instrument de la cristallisation progressive d’un Conseil autonome 68. La Chambre des comptes forme, avec le Parlement, le service le plus structuré de l’administration royale. Elle constitue un vivier de conseillers polyvalents et fi ables. Philippe V tient fermement les rênes du gouvernement du royaume, notamment à partir de 1318 en exerçant un contrôle étroit sur l’exécution de ses décisions et sur l’ensemble de l’administration. C’est lui qui fait l’infl uence politique des uns et des autres. Si Philippe V fait de Pierre d’Arrablay , chancelier jusqu’en janvier 1317, l’un de ses principaux conseillers, il cantonne ses successeurs, Pierre de Chappes et Jean de Cherchemont , aux tâches matérielles de la chancellerie. Le Conseil du roi se compose alors de deux cercles concentriques : le plus restreint, le Conseil proprement dit, comprend quelques membres choisis par le roi ; le second, la Curia regis, est peuplée d’un grand nombre de « conseillers ».

La situation se complique à nouveau pour le souverain au lendemain de l’accession de Philippe VI au trône de France, lorsque les barons facturent au Valois le soutien qu’ils ont apporté à sa candidature, ou bien entendu au lendemain de la capture de Jean II le Bon à la suite du désastre de Poitiers. De ce point de vue, la captivité de François Ier aux lendemains de Pavie n’a pas les mêmes traductions, tant le pouvoir est 65. À l’inverse de Charles VII que l’on accuse d’être le jouet de ses favoris successifs, Louvet, Giac ou encore Le Camus

de Beaulieu. Outre le rôle excessif de ses favoris, on lui reproche le fait que les décisions sont prises hors du Conseil. Voir par exemple Philippe CONTAMINE, « Charles VII, roi de France, et ses favoris. L’exemple de Pierre, sire de Giac († 1427) », dans Werner Paravicini (éd.), Der Fall des Günstlings : Hofparteien in Europa vom 13. bis zum 17. Jahrhundert, 8, Ostfi ldern, 2004, p. 139-162.

66. Olivier GUILLOT, Albert RIGAUDIÈRE et Yves SASSIER, Pouvoirs et institutions dans la France médiévale. Des temps féodaux aux temps de l’État, Paris, 2003 [1999], p. 170.

67. François MENANT et al., op. cit., Paris, 1999, p. 435.68. Olivier Canteaut, thèse citée.

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bien tenu par Louise de Savoie : les grands féodaux se tiennent à peu près cois ; seul le Parlement pousse sa chance, un peu en vain, avant d’être remis au pas sévèrement au retour de François Ier. À l’occasion de la captivité de Jean II le Bon, on trouve expri-mée chez certains la rancœur des héritiers face à l’ouverture sociale d’un État qui va chercher ses serviteurs où il le veut, semblant mépriser le positionnement social. Le chroniqueur Jean Le Bel reproche ainsi à Philippe VI et à Jean II le Bon d’avoir privi-légié en leur Conseil « de ces maîtres des comptes et trésoriers plutôt que des seigneurs et barons » 69. De la même manière, parmi les critiques formulées dans les années 1420 à l’encontre du futur Charles VII , considéré comme circonvenu par les Armagnacs, l’une d’elles lui reproche de s’être entouré de conseillers « en petit nombre », « de petite extraction », imposant leur « voulenté déraisonnable » 70. Toutefois, ces retours de fl amme de l’aristocratie sont toujours sans lendemain.

Qu’il s’agisse donc des théories du Conseil, de sa composition, de ses pratiques, on retrouve au cours des siècles les mêmes enjeux, tant il est vrai qu’il y a comme une idée du Conseil qui traverse les siècles.

Le Conseil, une institution nécessaire, secrète, représentative, unique, domestique, sous contrôle royal, omnicompétente, consultative, judiciaire

Le Conseil est d’abord une nécessité puisque, le roi n’étant pas un tyran, il ne peut gouverner seul, même s’il est libre de ne pas tenir compte de l’avis de son Conseil. Le Conseil est ainsi une sorte d’organe représentatif, d’où l’enjeu que représentent le contrôle de son entrée et les revendications de l’aristocratie d’en faire partie. Le roi convie donc au Conseil des représentants de la société politique dont il est le sommet pour les prendre à témoin de l’exercice du pouvoir et pour leur demander assistance dans cet exercice. Le Conseil est ainsi tendu entre un double objectif : celui de l’effi cacité et du secret qui exige une composition resserrée ; et celui de la représentativité qui implique une présence plus large de représentants de la société politique dans son ensemble. La dimension de secret est d’autant plus importante qu’elle est parfois à l’origine de l’appel-lation de certaines sessions du Conseil. Claude Seyssel ne s’y trompe pas qui écrit :

« Et véritablement, la principale chose qui doit être en un Conseil – surtout en celui qui est étroit et réduit à petit nombre – est de tenir les choses secrètes 71. »

Pour ce qui touche à la dimension représentative, si le Conseil, dans sa formation plénière ou élargie, est clairement un lieu essentiel de dialogue entre le roi et le pays, on peut également se demander dans quelle mesure, dans sa dimension étroite, il n’est pas, toujours, un lieu de dialogue entre le roi et le pays par l’intermédiaire de la clientèle du puissant magnat qui peut en être la tête 72. Le contrôle du Conseil est l’un des éléments qui permet de souligner la convergence d’intérêts entre le pouvoir royal en marche vers l’absolutisme et une élite politique dont l’objectif est de pénétrer le cœur de la machinerie royale.

69. Olivier GUILLOT, Albert RIGAUDIÈRE et Yves SASSIER, op. cit., p. 170.70. Philippe CONTAMINE, op. cit., p. 384.71. Claude DE SEYSSEL , op. cit., p. 141. Voir aussi Michel ANTOINE, op. cit., p. 31.72. On notera en revanche que les techniciens du droit ne semblent pas être au Conseil l’émanation des institutions

dont ils sont issus et qui revendiquent un pouvoir. Sous François Ier par exemple, le chancelier Duprat n’est d’aucune manière un cheval de Troie du Parlement dont il est issu et dont il est même la cible d’attaques régulières.

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Nécessaire dans l’économie du pouvoir monarchique français, le Conseil du roi est également unique, et cela, malgré les apparences. Si le Conseil avait été un corps ou une juridiction, les diff érenciations de compétence et de composition entre ses séances auraient pu en masquer ou en rompre l’unité ; mais comme il est toujours et partout le roi accompagné de ceux qui l’assistent dans l’administration qui lui est propre, il tire de cette référence perpétuelle à la personne du monarque une unité et une indivisibilité inaltérables. Cette unité est réaffi rmée comme un dogme jusqu’au XVIIIe siècle, comme lorsqu’en 1739 les conseillers d’État proclament que « les Conseils n’ont esté distin-gués jusqu’à présent que par leur objet, c’est-à-dire par les diff érentes natures d’aff aires qui y sont portées, ce qui ne donne aucune atteinte à l’unité du Conseil 73 ». Elle est parfaitement valable pour le règne de François Ier et est même encore plus manifeste par la diffi culté qu’il y a à essayer de démêler les diff érentes composantes du Conseil en fonction des aff aires traitées.

En eff et, l’un des principes fondamentaux du Conseil est qu’il est inséparable de la personne du roi, et qu’il la suit dans tous ses déplacements. La présence constante du Conseil aux côtés du souverain est indispensable. Le roi le loge donc toujours tout près de ses appartements. C’est particulièrement vrai pour le règne de François Ier ou de son fi ls. Le roi doit pouvoir le consulter à tout moment et à tout propos. Les témoi-gnages des ambassadeurs soulignent d’ailleurs un va-et-vient permanent du roi entre sa chambre, sa garde-robe, son cabinet et la salle. On tient là une autre caractéristique du Conseil du roi qui est sa dimension domestique, dimension qui est renforcée sous le règne de François Ier par sa composition, son fonctionnement et son caractère informel 74. En eff et, les conseillers les plus importants sont la plupart du temps des offi ciers de sa maison et l’on assiste fréquemment à des séances de Conseil réduit dans le cabinet du roi ou dans l’embrasure d’une fenêtre. Cet aspect domestique est conservé jusqu’à la fi n de l’Ancien Régime 75. C’est là une composante qui distingue le Conseil de toutes les autres institutions centrales et qui va de pair avec une autre caractéristique qui est que tout ce qui touche à sa composition, sa convocation, ses réunions, sa discipline, son étiquette, sa procédure est à l’entière discrétion du roi. C’est clair pour sa composition notamment : nul ne peut entrer dans le Conseil du roi s’il n’a pas été appelé par lui.

Dans ces conditions, le Conseil n’étant qu’une extension de la personne royale, on ne sera pas surpris qu’il soit omnicompétent. Rien d’important, qu’il s’agisse de diplomatie ou d’aff aires intérieures, de fi nance ou de justice, d’administration ou de guerre n’échappe à la compétence du Conseil. Cette omnicompétence n’empêche pas, encore une fois, que le Conseil n’est en théorie qu’un organe consultatif, la décision appartenant toujours au roi en dernier ressort. En eff et, le souverain ne délègue en rien une quelconque parcelle de son pouvoir à son Conseil. S’il est essentiel que le roi consulte son Conseil avant toute décision importante, il n’est en rien tenu par les avis qu’il peut lui donner. Dans un projet de réponse royale aux représentations du parlement de Paris du 22 février 1767, Gilbert de Voisins fait dire à Louis XV :

73. AN, U 870 (« Observations sur la séance du Conseil » par les conseillers d’État [1739]), cité par Michel ANTOINE, op. cit., p. 29.

74. On notera bien sûr que, sur le plan institutionnel, le Conseil n’est pas « domestique » puisqu’il ne relève pas de l’Hôtel.

75. Michel ANTOINE, op. cit., p. 30.

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« Mon Conseil n’est ny un corps, ny un tribunal séparé de moi ; c’est moi-mesme qui agis par lui 76. »

Cette conception du Conseil comme simple extension de la personne royale existe déjà, telle quelle, sous la plume d’Henri II dans une lettre à Jean Du Bellay et Claude d’Urfé du 13 mars 1549 77 :

« Vous advisant, monsr le cardinal, que j’ay entendu que vous avez faict quelque off re a nostredit Sainct-Pere de faire approuver et signer par les gens de mon Conseil privé le contenu en mes lettres-patentes de declaration touchant les pretenduz actemptatz de Prouvence et Bretaigne pour mieulx asseurer sa Saincteté de l’entretenement et observation d’icelles, chose que je ne puys croyre. Et, si ainsi estoit, la trouveroys beaucoup plus estrange et moings faisable que la publication et esmologation qu’il requiert en estre faicte en mes cours de Parlemens. Et me semble que la ou est apposé mon grand sceau avec le seing de l’un de mes secretaires d’Estat, qu’il ne fault poinct autre approbation ne caution des gens de mon Conseil privé, qui ne sont ne peulvent estre que moy-mesmes. Parquoy je vous prye me faire sçavoir ce qu’il est dudict off re. Et s’il en avoit esté riens mis par vous en avant, regarder les moiens de rhabiller cela car je ne le puys ne le veulx approuver. Et vous prye encores une foys voulloir bien regarder et considerer ma dessusdicte depesche et vous trouverez autre voie pour eschapper que ceste-la. »

La colère d’Henri II face à ce qu’il considère comme un contresens, voire un non-sens constitutionnel, est éloquente. Le Conseil n’est rien d’autre que le roi et les conseillers n’ont aucune autre légitimité que la volonté royale. Auguste ne dit pas autre chose à Cinna lorsqu’il analyse les fondements de son pouvoir :

« Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient ;Elle seule t’élève, et seule te soutient ;C’est elle qu’on adore, et non pas ta personne :Tu n’as crédit ni rang, qu’autant qu’elle t’en donne ;Et pour te faire choir je n’aurais aujourd’huiQu’à retirer la main qui seule est ton appui 78. »

De ce point de vue, la conception royale considère que le roi fait entrer en son Conseil, par faveur, qui il veut ; que le Conseil délibère sur les sujets qui lui sont proposés par le souverain ; et que le roi décide ensuite, sans être tenu par les avis de son Conseil. Toutefois cette conception n’exclut pas les revendications des Grands du royaume, qui, en fonction des époques, sont plus ou moins vives. La position des Grands est incarnée par le père de Chimène, comte de Gormas, qui voudrait voir dans le Conseil le lieu d’affi rmation de la volonté de l’aristocratie. Il affi rme ainsi à Elvire, suivante de sa fi lle, dans la première scène du Cid :76. AN, K 147, no 8 bis (cité par Michel ANTOINE, op. cit., p. 27). C’est pourquoi Bernard Barbiche peut écrire :

« Aussi le Conseil, sous l’Ancien Régime comme au Moyen Âge, demeure-t-il offi ciellement un organisme unique, même s’il structure et répartit son activité en formations spécialisées. » (Bernard BARBICHE, « Le Conseil du roi dans tous ses états. Question de vocabulaire », La Revue administrative, 3, 1999, p. 20-26.)

77. Henri II à Jean Du Bellay et Claude d’Urfé , 13 mars 1549 (Copie, BnF, ms frçs 3921, fos 18-19 ; autres copies : Dijon, Bibl. mun., ms. 539, p. 79-81 ; Montpellier, Bibl. de la Fac. de médecine, H 24, p. 106-108). Je remercie vivement Rémy Scheurer de m’avoir signalé cette lettre, puis de m’en avoir communiqué une copie.

78. CORNEILLE, Cinna, acte V, scène 1 (v. 1527-1532) (CORNEILLE, Œuvres complètes, Paris, 1980, p. 961). On opposera toutefois à cette déclaration pour le moins brutale les propos tenus par Auguste quelques vers plus haut à Cinna et Maxime lorsque, en proie au doute, il leur affi rme « Votre avis est ma règle, et par ce seul moyen/Je veux être Empereur, ou simple Citoyen » (v. 403-404) (CORNEILLE, Œuvres complètes, Paris, 1980, p. 925). Il semble alors s’en remettre entièrement à la décision de ses conseillers, décision à laquelle il n’entend pas prendre part.

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« L’heure à présent m’appelle au conseil qui s’assemble,Le Roi doit à son fi ls choisir un Gouverneur,Ou plutôt m’élever à ce haut rang d’honneur.Ce que pour lui mon bras chaque jour exécute,Me défend de penser qu’aucun me le dispute. »

Il entre au Conseil persuadé que ses mérites seront récompensés et oublie l’absolue liberté du roi. Devant son échec, il ne lui reste plus, à la sortie du Conseil, qu’à affi rmer rageusement à Don Diègue :

« Enfi n vous l’emportez, et la faveur du RoiVous élève en un rang qui n’était dû qu’à moi,Il vous fait Gouverneur du prince de Castille 79. »

Gormas considère que le Conseil n’est que le lieu de l’expression et de la validation de la volonté des Grands. Il semble dans cette scène découvrir la toute puissance de la faveur et des décisions du roi 80.

Toutefois, si le roi est maître de son Conseil, il n’en reste pas moins que ce dernier est une véritable clef de voûte de l’organisation administrative du royaume dont il contrôle le fonctionnement par le jeu des nominations ou des réformes.

Il convient également de ne pas oublier non plus qu’en dépit de son poids politique, le Conseil reste aussi une sorte de cour suprême de justice, que le roi agisse par le procédé de l’évocation (depuis le XIVe siècle) ou celui de la cassation (beaucoup plus tardif, importante en matière administrative à partir de la fi n du XVIe siècle, mais dont les modalités d’application ne sont défi nies que par le règlement du Conseil de 1738). Cette composante de l’activité du Conseil engendre progressivement, et de manière clairement visible à partir de la seconde moitié du XIVe siècle la spécialisation de certaines séances (séances des requêtes) qui sont animées par des conseillers spécialisés dans le jugement des aff aires soumises au Conseil. C’est ainsi que le Grand Conseil se dégage progressivement du Conseil. Cette formation nouvelle s’autonomise progressivement. Si elle est composée d’un personnel spécifi que, elle conserve avec son institution mère la caractéristique d’être un Conseil mobile qui suit le roi dans ses pérégrinations 81.

Enfi n, un dernier point doit être rappelé. Comme il n’est pas un corps, ni une juridiction, qu’il est inséparable de la personne du souverain et qu’il n’a aucune autorité 79. CORNEILLE, Le Cid, acte I, scène 1 (v. 28-32) et scène 4 (v. 145-147) (CORNEILLE, Œuvres complètes, Paris, 1980,

p. 710 et 780).80. On signalera que la pièce originale (Las mocedades del Cid de Guillén de Castro y Bellvis ) va encore plus loin

dans l’inversion des rapports de force entre le souverain, son Conseil et ses conseillers. En eff et, le roi convoque le comte d’Orgaz, Peransules, Lainez et Arias Gonzalo en leur disant « vous quatre qui faites la renommée de notre Conseil […] je veux que le prince ait Diègue Lainez pour gouverneur. Mais mon désir est que ce soit avec votre assentiment à tous quatre, qui êtes les colonnes de ma couronne ». Devant la colère du comte d’Orgaz qui naît de sa déception de ne pas avoir été choisi, le roi en est réduit à prononcer des « Il suffi t ! », « Diègue Lainez ! », « Mes vassaux », « Comte ! », « Je suis votre roi ! » jusqu’au souffl et reçu par Diègue Lainez. Le souverain s’exclame alors « Saisissez-vous de lui ! ». À quoi le comte d’Orgaz répond : « Tu es irrité ? Attends, grand et puissant roi, évite que le scandale, s’il a eu lieu dans ton palais, n’éclate au-dehors [le code d’Alphonse X le Sage (1221-1284) punissait de mort quiconque tirait l’épée en présence du souverain, ou provoquait verbalement une autre personne. Il semble que le cas ait été toutefois assez fréquent et qu’une casuistique de l’honneur considérait qu’il n’y avait pas d’off ense si l’outrage demeurait secret] [le comte d’Orgaz poursuit :] Songe qu’il n’est pas bon que les rois sages fassent arrêter les hommes tels que moi, qui sont le bras des souverains, les ailes de leur pensée et l’âme de leur État. » (Guillén DE CASTRO Y BELLVIS, Les Enfances du Cid [Las mocedades del Cid] dans Th éâtre espagnol du XVIIe siècle, Paris, 1994, p. 865-867.)

81. Ainsi, c’est à Amiens, où réside la cour, que l’évêque Jean de Langeac remplace le chancelier Duprat comme président du Grand Conseil au début du mois de novembre 1532 (BnF, PO 1639, fo 164). Voir plus bas.

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propre, le Conseil ne peut, en droit, promulguer ou publier aucune décision. Ce n’est jamais lui qui décide, c’est toujours le roi. Dans la pratique, pourtant, on parle par commodité des « arrêts du Conseil ». Il n’en reste pas moins que cette expression est juridiquement et diplomatiquement inexacte. Une formule plus juste serait celle d’« arrêts pris en Conseil » ou d’« actes en Conseil » 82.

Voilà pour les caractéristiques immuables du Conseil que l’on retrouve au cours des siècles. Qu’en est-il de sa réalité au cours du règne de François Ier ?

Le Conseil sous François Ier

Si l’on s’intéresse au Conseil de François Ier , il est important, pour commencer, de ne pas perdre de vue que si l’on a aff aire à une institution tout à fait essentielle de la machine royale, elle se caractérise avant tout par son caractère non institutionnel 83. S’il est possible d’observer des choses qui peuvent rappeler les Comités de ministre du règne de Louis XV ou le Travail du roi de Louis XIV , elles ne sont pas nommées comme telles et sont une pratique souple, bien plus qu’une réalité institutionnelle. En eff et, dans l’histoire du Conseil, le règne de François Ier précède la période à partir de laquelle les règlements organisant les activités du Conseil et les répartissant entre des formations spécialisées se multiplient. Ces règlements se comptent par dizaines  entre 1557 et 1628. En eff et, « la diversifi cation du Conseil du roi en formations spécialisées ne s’est amorcée nettement que dans la seconde moitié du XVIe siècle et s’est préci-sée dans la première moitié du XVIIe siècle […]. Pendant cette période (1550-1650 environ) se sont détachés successivement du Conseil d’État, organe centrale aux compé-tences indiff érenciées : un puis deux Conseils chargés de la politique générale ; un puis deux Conseils chargés des fi nances ; enfi n un Conseil de caractère purement judiciaire 84 ». La période à laquelle est consacré ce livre se situe donc juste avant la formalisation des séparations diverses entre les composantes du Conseil. La longueur (plus de 32 années) et le calme relatif du règne de François Ier expliquent sans doute, en partie au moins, que se mettent en place à ce moment-là, un certain nombre de pratiques qui sont formalisées par la suite au cours de règnes plus courts et souvent plus mouvementés 85.

82. Michel ANTOINE, op. cit., p. 31.83. Bernard BARBICHE, « Le Conseil du roi dans tous ses états. Question de vocabulaire », La Revue administrative,

3, 1999, p. 20-26.84. Bernard BARBICHE, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, 2001, p. 286-287.85. Il faut remonter à Charles VII ou attendre Louis XIII pour retrouver des règnes aussi longs, et, d’ailleurs, politi-

quement tout aussi importants. Cela fait penser à la remarque de Julien Gracq : « Dans la série des règnes de la monarchie française (mis à part le fondateur, le falot Hugues Capet ), on compte six rois seulement pour les 227 premières années. Six rois également pour les 218 dernières […]. Il y a des raisons de croire que ces règnes anormalement longs ont contribué tout aussi fortement à consolider le jeune État du début qu’à scléroser plus vite que de raison la monarchie absolue de la fi n. » (Julien GRACQ, Carnets du grand chemin, dans Julien GRACQ, Œuvres complètes, t. 2, Paris, 2010, p. 1054.)

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Deux Conseils sous François Ier

Beaucoup de noms pour deux Conseils sous François Ier :Conseil étroit, Conseil des aff aires, Conseil privé, Conseil des parties, Conseil ordinaire et Conseil d’État

L’omnicompétence du Conseil et notamment la tension entre ses attributions politiques, administratives et judiciaires est susceptible de provoquer un engorgement dans la gestion du royaume. C’est pourquoi des sections spécialisées émergent progres-sivement du Conseil au cours des siècles. Les fl ux les plus nombreux sont manifes-tement constitués par les aff aires judiciaires. C’est pour cela qu’à partir du règne de Louis XI , on trouve les traces d’une section judiciaire du Conseil du roi appelé Grand Conseil 86. Ce Grand Conseil traite essentiellement des aff aires qui concernent les grands fi efs, les causes bénéfi ciales, et, jusqu’en 1539, les procès en matière d’offi ces. Il s’agit en fait d’une cour de justice souveraine, présidée par le chancelier et à laquelle le roi ne se rend jamais. La naissance du Grand Conseil obéit au même processus que celui observé quelques siècles plus tôt et qui avait vu le Parlement et la Chambre des comptes sourdre de la Curia regis. Toutefois, dès le règne de François Ier , l’importance du Grand Conseil commence à diminuer, notamment à partir du moment où Duprat s’en détache et cesse de le présider 87. De surcroît, les charges de conseillers au Grand Conseil tendent à devenir vénales et transmissibles et échappent donc partiellement au contrôle du pouvoir royal. L’eff acement progressif du Grand Conseil engendre la multiplication des séances du Conseil du roi consacrées aux aff aires de justice. C’est ainsi que le roi retient certaines évocations et fait juger ces procès au cours de séances spéciales, créant, de facto, une nouvelle section judiciaire du Conseil qui prend, sous le règne d’Henri II, le nom de « Conseil privé » ou de « Conseil des parties » (30 octobre 1557). Il semble pourtant que la répartition est au départ plus temporelle qu’institutionnelle : la première partie des séances du Conseil est consacrée aux aff aires d’État, la seconde à l’examen des aff aires judiciaires, avec participation des maîtres des requêtes. Le témoignage de Matteo Dandolo est intéressant :

« Sa Majesté a son Conseil étroit, que l’on pourrait assimiler à notre Conseil des Pregadi [requêtes], parce que en son sein se traitent des aff aires presque de même nature. Ce Conseil se réunit chaque jour après que Sa Majesté s’est retirée pour dormir, et sa réunion a lieu dans une salle. Y entrent le chancelier, l’amiral [Chabot ], monsieur d’Annebault, les révérendissimes cardinaux de Tournon et Du Bellay, qui est le frère de monsieur de Langey, ledit seigneur de Langey, le révérend et illustrissime [cardinal]

86. C’est toutefois « à partir de d’octobre 1483 seulement que sont conservés les registres d’arrêts de cette juridic-tion […] par l’édit du 2 août 1497, Charles VIII érigea en un collège les dix-sept conseillers qui étaient alors en fonction. Par l’édit du 13 juillet, Louis XII augmenta ce collège de trois membres et lui donna une autorité souveraine […] Les conseillers ordinaires au Grand Conseil sont au nombre de vingt-quatre en 1523, de trente en 1543, de trente-deux en 1544 […] les conseillers ordinaires se maintiennent au Grand Conseil en moyenne dix ans ; après quoi, ils obtiennent des offi ces de conseillers au parlement de Paris, de présidents aux parlements, de maîtres des Requêtes de l’Hôtel. En dehors des fonctions judiciaires qu’ils exercent au Grand Conseil, les conseillers se voient attribuer par le roi des commissions spéciales durant les six mois de leur service annuel […] de 1515 [à 1540] les absences du chancelier devenant plus fréquentes, c’est le plus ancien des maîtres des Requêtes de l’Hôtel qui préside le Grand Conseil » (Monique PELLETIER, Le Grand Conseil de Charles VIII à François Ier (1483-1547), Positions de thèses de l’École des chartes, 1960, p. 85-90).

87. Voir note 69. Il semble d’ailleurs que l’importance du Grand Conseil diminue d’autant plus qu’il apparaît comme trop éloigné aux justiciables du royaume (Monique PELLETIER, op. cit., p. 88-90).

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de Ferrare, seul Italien (on n’en vit plus aucun depuis le seigneur Jacques Trivulce), le révérendissime évêque de Soissons et le secrétaire Bayard, qui s’occupe des expéditions et des mandements de sa Majesté, comme les privilèges, grâces et choses similaires 88. »

Ainsi, malgré l’affi rmation de Du Tillet selon laquelle François Ier et ses prédécesseurs avaient divisé le Conseil en trois composantes (la guerre et les aff aires d’État, les fi nances, la justice), il semble bien que le Conseil sous François Ier se soit plutôt caractérisé par une double composante : le Conseil étroit (qui se tient le matin), qui traite des aff aires politiques et qui prend les édits, et le Conseil privé (qui se tient l’après-midi) où se déroulent les requêtes et où l’on procède à l’expédition des actes. Le règlement de 1557 formalise la séparation en prévoyant des réunions spécifi ques deux jours par semaine pour « vaquer au fait des particuliers et rendre raison et justice à chacun ». C’est ce Conseil de l’après-midi qui prend sous Henri III le nom de Conseil d’État. Dans la seconde moitié du siècle, les conseillers qui rendent la justice à ce Conseil n’ont, sauf exception, leur entrée qu’à ce Conseil (par exemple les 5 présidents du parlement de Paris). Ce Conseil ordinaire ou Conseil d’État est composé de quelques dizaines de conseillers et est présidé par le chancelier 89. Il se déroule en général en l’absence du souverain. Saint-Mauris , ambassadeur impérial en France au début du règne d’Henri II écrit que le roi participe parfois au Conseil d’après dîner, mais tous les jours au Conseil du matin, qu’il appelle « Conseil estroict 90 ». Le Conseil privé ou Conseil d’État a une compétence aussi large que technique : aff aires et contentieux administratifs et fi scaux, diff érends nés de l’exécution des ordonnances, audience des députations urbaines, questions d’administration militaire et aff aires consulaires. Ainsi, en août 1544, la ville de Senlis envoie une délégation à Tournon, Bayard « et autres du Conseil privé 91 ». On sait que le connétable et le chancelier y siègent et même qu’ils s’y sont aff rontés 92.

Cette apparition du Conseil privé correspond à la mise en place d’une distinction, essentielle pour le XVIIe siècle, entre les Conseils politiques (dits de gouvernement) présidés par le roi en personne et les Conseils contentieux ou Conseils de justice et d’administration présidés par le chancelier 93. Ce que l’on observe pour le règne de François Ier prouve que cette réalité existe bel et bien dès la première moitié du XVIe siècle. Toutefois, le degré d’institutionnalisation de ce Conseil des Aff aires ou Conseil étroit est encore très faible et ses délibérations, par exemple, ne font pas l’objet de procès-verbaux, même si c’est lui qui décide des grandes orientations de la politique, de la diplomatie et de la guerre 94. Sa composition, réduite, varie en fonction des aff aires qui y sont abordées. On notera toutefois que dans le « roolle de ceulx que le Roy veult entrer en son Conseil pour le fait de ses fi nances », François Ier établit une distinction presque offi cielle entre Conseil étroit et élargi et que dans cette optique,

88. Eugenio ALBERI, Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato durante il secolo decimo sesto, Florence, 1839-1863, série I, t. IV, p. 33-35. Cité et traduit par François NAWROCKI, thèse citée, p. 520.

89. Sur le Conseil d’État, voir Roger DOUCET, op. cit., I, p. 144-146.90. Charles PAILLARD, « La mort de François Ier », Revue historique, V, 1877, p. 112.91. AM Senlis, BB 6, fo 10 ro, 17 vo et 31 vo. Cité par David POTTER, op. cit., p. 31792. Saint-Vincent à Charles Quint, 16 février 1541, Vienna HHSA, Frankreich, 9 (cité par David POTTER, op. cit., p. 317).93. Jean-Louis HAROUEL, Jean BARBEY, Eric BOURNAZEL et Jacqueline THIBAUT-PAYEN, op. cit., p. 328 ;

Bernard BARBICHE, op. cit., p. 131-132, 289-290.94. On notera que, même au cours des siècles suivants, il n’y a pas eu (sauf exception) de procès-verbaux du Conseil

(cf. Bernard BARBICHE, op. cit., p. 304).

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ce sont les fi nances qui servent à départager les conseillers 95. Il n’existe pas toutefois, à proprement parler, de Conseil des fi nances pour le règne de François Ier 96.

C’est ce Conseil politique qui est l’objet du présent ouvrage. Ce Conseil exécutif a sans doute toujours existé puisqu’il est ce dont a besoin le souverain pour prendre ses décisions. Toutefois, aucun règlement n’en fi xe le fonctionnement, la composition ni même l’existence. Aucune procédure, aucun arrêt ou presque. On ne dispose pour en connaître le fonctionnement que de sources indirectes, notamment les correspon-dances diplomatiques et, dans une moindre mesure, les Mémoires.

La fl uidité des Conseils sous François Ier

Encore une fois, il est absolument essentiel de ne jamais perdre de vue que le Conseil est à cette époque quelque chose de tout à fait informel et qu’il ne faut à aucun prix systématiser de manière trop rigide une réalité qui ne s’y prête guère. Cela est manifeste si l’on examine les appellations du Conseil. Il semble que dans les années 1520 et 1530, le terme de Conseil étroit ait été utilisé de manière presque indiff érenciée avec celui de Conseil privé. À partir du milieu des années 1530, le terme de Conseil étroit s’impose au détriment de celui de Conseil privé 97. L’ambassadeur de l’empereur, François Bonvalot , qualifi e quant à lui Jean Du Bellay de « membre du conseil d’État 98 ». En fonction des sources et de la nationalité des ambassadeurs, il importe donc de retenir que l’appellation de Conseil d’État est anachronique dans la bouche d’un Français (mais qu’un impérial peut l’employer dès le règne de François Ier ), que l’appellation de Conseil étroit peut désigner le Conseil de l’après-midi chez un Italien (qui parlera alors de Conseil très étroit pour le Conseil du matin), qu’un Anglais pourra désigner le Conseil étroit comme Conseil privé. Pour les besoins de l’analyse, il est donc surtout utile d’opposer le « Conseil du matin » (Conseil étroit ou Conseil des aff aires), qui est un Conseil politique, et le « Conseil de l’après-midi » (Conseil privé ou Conseil d’État dans la seconde moitié du XVIe siècle) qui est un Conseil juridique.

Toutefois, Conseil étroit et Conseil privé restent parfois diffi ciles à diff érencier de la même manière que Conseil du matin et Conseil de l’après-midi. En janvier 1532 par exemple Jean Du Bellay écrit que « cest après-disner […] [François Ier ] a occupé en son Conseil troys ou quattre bonnes heures » à traiter des aff aires générales de l’État 99. Le 24 avril 1542, le Conseil du matin, après avoir traité des aff aires générales est réuni à nouveau après le déjeuner, dans une composition légèrement diff érente pour

95. BnF, ms frçs 3005, fo 109, et BnF, ms Clair. 339, fo 3, et copie tardive dans les portefeuilles Fontanieu, BnF, NAF 7695, fo 285-286, « roolle de ceulx que le Roy veult entrer en son Conseil pour le fait de ses fi nances » ; publié en appendice de la thèse latine de Francis DECRUE, De consilio Regis Francisci I, Paris, 1885, p. 91-92.

96. L’émergence d’un Conseil des fi nances est un phénomène complexe et tout sauf univoque. Si le rôle de 1543 évoque le Conseil « estably tant pour les dictes fi nances que pour les matières d’estat », il faut attendre 1560 pour que l’appellation de « Conseil des fi nances » se développe pour désigner les séances consacrées spécifi quement aux problèmes fi nanciers. Et ce n’est que le 23 octobre 1563, qu’un texte normatif prescrit la tenue d’un Conseil pour les fi nances (Bernard BARBICHE, op. cit., p. 256, 281, 288. Roger DOUCET, op. cit., I, p. 149-152). Toutefois, ce « Conseil des fi nances » fait retour en 1600 au Conseil dont il était issu. Ce dernier prend alors le nom de « Conseil d’État et des Finances ».

97. David POTTER, op. cit., p. 100. Francis DECRUE, De consilio Regis, app. II et III, p. 58. Ambassades de Jean Du Bellay , p. 109, 114, CCJDB, I, p. 195, n. 197 (Jean Du Bellay y évoque le « Conseil estroict »).

98. Victor Louis BOURRILLY et C. WEISS, « Jean Du Bellay , les Protestants et la Sorbonne », BSHPF, 52, 1903, p. 114.99. CCJDB, I, p. 250.

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traiter des aff aires militaires 100. En décembre 1541, William Paget , ambassadeur du roi d’Angleterre affi rme que le travail est tel que le Conseil, constitué de Chabot , Poyet, Annebault, des cardinaux de Tournon, de Ferrare et Du Bellay se réunit de l’aube jusqu’à 6 heures du soir 101. Le 4 janvier suivant, le rythme est un peu moins soutenu, mais reste très lourd 102. Pour désigner ce Conseil très actif qui traite des aff aires de l’État, Paget, sans doute infl uencé par le vocabulaire anglais, parle de « Privy Council ». En 1544, après un Conseil prolongé dans sa chambre tôt dans la matinée, François Ier donne une audience à l’ambassadeur impérial au sujet de la paix de Crépy, puis se rend à la messe. Au moment de franchir le pas de sa porte, on lui remet un paquet de lettres venues d’Italie. Il les ouvre lui-même et en lit deux ou trois, puis les remet toutes entre les mains des secrétaires Bochetel et Bayard 103. En 1554, à Compiègne, le roi, après avoir donné quelques audiences après le dîner, passe deux heures avec les cardinaux de Lorraine, de Tournon et de Guise et le duc de Guise à « parler des aff aires », tandis que le connétable les quitte pour se rendre au Conseil 104. Il est donc très clair qu’il est impossible de séparer absolument les deux Conseils et la répartition qu’ils opèrent entre les diff érentes aff aires. De surcroît, les ambassadeurs discutent parfois avec les conseillers sans le roi. Ainsi, en juin 1541, les cardinaux de Tournon, Du Bellay, de Lorraine et de Ferrare amènent un ambassadeur du pape auprès du roi. Ce dernier l’écoute dans sa chambre privée. Puis le roi se retire dans sa garde-robe et laisse l’ambassadeur d’Angleterre s’entretenir avec son Conseil 105.

Ainsi, il n’est pas toujours facile de distinguer Conseil du matin et Conseil de l’après-midi, Conseil étroit et Conseil privé. Par ailleurs, il est essentiel de ne pas perdre de vue qu’il y a bien d’autres endroits où un souverain peut trouver conseil qu’à son Conseil 106. Les principaux conseillers du roi jouent d’ailleurs ce rôle de conseiller en dehors des réunions. Ainsi, si le Conseil dans sa dimension exécutive peut prendre la forme d’une réunion en petit eff ectif, elle peut également revêtir une forme encore moins formelle qui peut être une audience individuelle ou encore un entretien dans l’embrasure d’une fenêtre. Il convient également d’évoquer ceux que François Nawrocki appelle les « antichambres de la décision » (la duchesse d’Étampes , le cardi-nal de Meudon , Marguerite de Navarre par exemple) qui, sans participer au Conseil, ou alors en y participant de manière tout à fait exceptionnelle, peuvent infl uer par le contrôle relatif de certains conseillers ou par l’oreille du roi.

On le voit, ce qu’il faut retenir, ce n’est pas le nom du Conseil, qui n’est pas établi avec fermeté, c’est plutôt la souplesse de cet instrument de gouvernement, qui s’ajuste en permanence. Car en dehors de la question des aff aires traitées (gouvernement,

100. Le Conseil est réuni à nouveau après le « dîner » autour du roi, avec le chancelier, l’amiral Chabot , Claude d’Annebault « and three of his generals, as they call them here », sans doute Galiot (artillerie), Brissac (chevau-légers) et son père René de Cossé (gens de pied) (LP, XVII, p. 149, no 269. William Paget à Henri VIII , Rivière, 24 avril 1542). Voir aussi François Nawrocki, thèse citée, p. 519.

101. LP, XVI, 1427 (7 décembre 1541).102. « Th e Privy Council here have dissolved their continual sitting; but, since he last wrote, some of them have sat harder

than before, for, for four or fi ve days after the coming of “him of Liege” those of the Privy Council attending on the King at his dinner talked only of their secret matters, the ushers setting the meat upon the table and departing. » (LP, XVI, 1427, Paget à Henri VIII , 4 janvier 1542.)

103. Vienna, HHSA, Frankreich, Varia 5, fo 171 vo (cité par David POTTER, op. cit., p. 104 et 318).104. BnF, ms frçs, 4052, fos 19 et 47-48 (cité par David POTTER, op. cit., p. 104 et 318).105. LP, XVI, 895.106. Peter LEWIS, « Être au Conseil au XVe siècle », dans Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur

de Philippe Contamine, Jacques Paviot et Jacques V erger (éd.), Paris, 2000.

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administration, fi nance, justice etc.), un autre paramètre intervient à l’occasion : la présence (ou l’absence) du monarque. Ainsi, à l’été 1521, alors que le roi part inspecter les garnisons de Champagne, Semblançay reste à Autun avec Louise et René de Savoie et peut-être Florimond Robertet : ce Conseil de l’arrière est alors visiblement chargé de l’essentiel du travail fi nancier 107. De la même manière, du 14 juin au 23 juillet 1543, tandis que le roi suit les armées sur la frontière nord, il laisse un Conseil à Paris sous la direction de François de Tournon . Il semble que le Conseil étroit, où sont traitées les principales aff aires de l’État, notamment militaires, suit le roi en campagne, tandis que le Conseil privé, instruisant notamment les aff aires ordinaires, examinant les requêtes et délivrant les actes courants, siège à Paris. À partir du mois d’août, François Ier rassemble les deux composantes de son Conseil désormais composé du nouveau garde des sceaux, François Errault , du comte de Saint-Pol et du cardinal de Tournon : en septembre, Martin Du Bellay , envoyé par d’Annebault et le duc d’Orléans afi n d’informer le roi des succès récents et de lui demander où doit se diriger l’armée, trouve le roi avec le comte de Saint-Pol et le cardinal de Tournon « qui avoit le maniement de ses aff aires en l’absence de monseigneur l’amiral [sic] 108 ». On peut comparer cette situation à celle que l’on observe durant la campagne militaire d’Henri II dans l’Empire, le fameux « voyage d’Allemagne », d’avril à juillet 1552 au cours de laquelle Catherine Médicis est investie d’une délégation de pouvoirs souverains 109. Bernard Barbiche a montré à ce sujet la distinction qu’il faut opérer entre, d’une part, les régences d’absence, organisées par le roi, qui reste l’unique détenteur de la souveraineté et n’en délègue que des parties à sa mère ou à son épouse, et, d’autre part, les régences de minorité pendant lesquelles la régente « dispose, grâce à l’appui du parlement de Paris, de tous les pouvoirs, le roi étant trop jeune pour gouverner lui-même 110 ».

En guise de conclusion : comparaison entre le Conseil d’En haut de Louis XIV et le Conseil étroit de François Ier

Le règne de François Ier est donc particulièrement intéressant en ce qu’il est dépourvu de règlements sur les Conseils, mais qu’il précède à peine les premiers règle-ments qui apparaissent dès les tout débuts du règne d’Henri II, en 1547. En ce sens, le moment François Ier correspond à une étape tout à fait intéressante dans la mise en place du Conseil tel qu’on l’observe dans les siècles suivants. C’est en eff et au cours de son règne que se précise la mise en place des diff érentes composantes du Conseil dont la formalisation se précise au cours du siècle qui suit la mort de François Ier (1550-1660). Dans un règlement du Conseil de 1615, il est évoqué le « Conseil des aff aires où se lisent les dépêches du dedans et dehors le royaume ». Sous Mazarin, il commence à porter le nom qu’il porte ensuite jusqu’à la fi n du XVIIe siècle, de « Conseil

107. Voir Philippe HAMON, L’Argent du roi, Paris, 1994, p. 369 et article « Semblançay » du présent livre.108. François NAWROCKI, thèse citée, p. 300. Plus tard, un jour de 1546, on soumet au roi, alors en train de chasser

au nord de Fontainebleau, un problème de confl it juridictionnel avec l’empereur. Le roi répond qu’il ne peut le résoudre car son Conseil n’est pas avec lui. L’aff aire est donc remise au Président Rémon. Au mois de novembre suivant, le problème est soumis devant le chancelier au Conseil du matin (AN, J 794, no 25/34, cité par David POTTER, op. cit., p. 318).

109. Bernard BARBICHE, « La première régence de Catherine de Médicis (avril-juillet 1552) », dans Combattre, gouverner, écrire. Études réunies en l’honneur de Jean Chagniot, Paris, Economica, 2003, p. 37-45.

110. Ibid., p. 45.

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d’En haut 111 ». Il n’est pas inintéressant de comparer le Conseil des Aff aires ou Conseil du matin de François Ier avec le Conseil d’En haut de Louis XIV . Si l’on retient les 3 caractères essentiels de la composition de ce dernier (Conseil très peu nombreux, de 3 à 6 membres ; aucun membre de droit, tous les conseillers sont nommés par le roi ; suppression de tout acte écrit de nomination par lettre patente au profi t d’une invita-tion du roi à participer à une séance du Conseil) 112, on ne peut qu’être frappé par les points communs avec ce qui se passe, mais de manière très informelle, pour le Conseil du matin de François Ier. Le Conseil d’En haut de Louis XIV est une réaffi rmation par le souverain de son indépendance, après plus d’un siècle de règlements qui n’existent pas sous François Ier. C’est une sorte de retour aux sources, mais de retour aux sources insti-tutionnalisé. Là où Louis XIV fait inscrire dans la loi sa liberté de décider, François Ier use de cette liberté, sans éprouver le besoin de la rappeler 113.

Favori, principal conseiller et protecteurs du Conseil

La composition diverse du Conseil en fonction des moments et les concep-tions divergentes d’un Conseil représentant une large société politique ou bien d’un Conseil resserré impliquent plusieurs types de gouvernement. Dans le cas du Conseil large, on peut parler du « gouvernement par Conseil » tandis que dans le cas du Conseil restreint, on pourrait parler de « gouvernement par le Conseil » 114. Dans ce deuxième cas, il faut également faire la part entre le principal conseiller, souvent un favori, et les quelques conseillers qui viennent juste derrière et qui ont souvent une dimension technicienne plus prononcée. Il peut sembler paradoxal, ou tout au moins contraire à l’esprit du Conseil de traiter ensemble du favori et du Conseil. En eff et, le Conseil est un groupe, même réduit, qui participe au gouver-nement du royaume. Le favori est un homme seul qui peut faire tomber le roi dans l’erreur soulignée par Seyssel de se « trop adonner et arrêter à un homme seul », alors même qu’il « est impossible et ou bien diffi cile d’en trouver un qui soit accompli de toutes les qualités qui sont requises pour démêler par son seul sens les aff aires d’un royaume ». Gouvernement par favori et gouvernement par Conseil sont donc deux réalités très diff érentes. À moins que l’on considère, toujours avec Seyssel, que « pour décharger [le souverain] est besoin que sous lui y ait un Chef et Président qui soit de telle autorité et prudence que le Roi s’en puisse reposer sur lui : auquel les autres portent révérence, autant ou plus pour sa vertu que pour raison de son offi ce 115 ». C’est donc une sorte de protecteur du Conseil qu’évoque Claude de Seyssel. Or, indiscutablement, le règne de François Ier est marqué par une succession d’individus qui s’imposent plus ou moins longtemps et avec plus ou moins d’ampleur dans la faveur du roi et à la tête de son Conseil.

D’une manière générale, l’institution du ministre-favori est un moyen effi cace pour le roi de contrôler l’administration, la cour et le patronage royal. Les ministres-

111. Bernard BARBICHE, op. cit., p. 286.112. Bernard BARBICHE, op. cit., p. 291-292.113. Un élément qui souligne bien que l’on a changé de monde est la possibilité, une fois que l’on a participé au

Conseil d’En haut, de porter toute sa vie le titre de ministre d’État, même dans le cas d’une éventuelle disgrâce, et de toucher jusqu’à sa mort une pension de 20 000 livres par an (Michel ANTOINE, op. cit., p. 198-199).

114. Philippe HAMON, Les Renaissances. 1453-1559, Paris, Belin, 2009, p. 214-216.115. Claude DE SEYSSEL , op. cit., p. 140 et 137 pour les deux citations.

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favoris dans l’Europe du premier XVIIe siècle sont bien connus et off rent des modèles qu’il peut être intéressant de comparer à la situation du règne de François Ier 116. Le ministre-favori constitue en eff et une entrée réfl exive qui nous apprend beaucoup sur les relations entre le pouvoir royal et les élites. Dans le cas de Lerma, il constitue une réaction aristocratique au gouvernement des secrétaires et en même temps un moyen de contrôler les factions nées de la re-aristocratisation des Conseils ; à l’inverse, dans celui de Concini, il correspond à une tentative de contrer l’affi rmation des grands lignages face au pouvoir royal. Dans le cas de Luynes, il représente la voix de la noblesse moyenne face à l’aristocratie. Dans le cas de Buckingham, il incarne le choix d’une faction aristocratique contre une autre. Dans celui de Richelieu et Olivares une tentative de défense de l’autorité royale face aux Grands menaçants 117. Qu’en est-il au cours du règne de François Ier ?

Il importe d’abord de souligner que la succession des favoris et de ce que l’on serait tenté d’appeler des « principaux ministres » ou des « principaux conseillers » correspond à deux réalités qui ne se recoupent pas parfaitement. Ainsi, on peut discuter du quali-fi catif de favori appliqué à Artus Gouffi er ou René de Savoie , mais ils ont bien été pendant quelques années, l’un après l’autre, parmi les tout premiers conseillers de François Ier . Même si c’est bien par des mécanismes liés à la faveur qu’Artus Gouffi er parvient à la place qu’il occupe auprès de Louise de Savoie , puis de François Ier, il est plutôt un « mentor », de par ses fonctions avant l’avènement, mais sans doute aussi à partir de 1515 : s’il est omniprésent au Conseil, ce n’est pas qu’il soit omnipotent ; c’est plutôt que François Ier souhaite ne pas prendre de décision sans avoir recueilli son avis, comme il le faisait sans doute sur toutes sortes de sujets avant l’avènement. Cela étant, ce terme de « mentor » ne recouvre vraisemblablement pas toutes les dimensions de l’action d’Artus Gouffi er auprès de François Ier : son activité diplomatique et son rôle dans les fi nances royales y échappent au moins en partie. On pourrait faire une analyse proche pour qualifi er le positionnement de René de Savoie. À l’inverse, un Guillaume Gouffi er ou un Odet de Foix ont indiscutablement été des favoris de François Ier dans la première moitié de la décennie 1520, mais l’on hésitera à les qualifi er de principaux ministres, ne serait-ce qu’en raison de la présence dominante de Louise de Savoie. En revanche, si l’on s’en tient à une approche curiale, on observe que, sur l’ensemble du règne, une succession d’offi ciers titulaires des charges de cour les plus prestigieuses occupent une position dominante au Conseil de François Ier. Ce sont, chronologiquement, Artus Gouffi er (grand maître), puis René de Savoie (grand maître) et Guillaume Gouffi er (amiral), puis Chabot (amiral) et Montmorency (grand maître), puis Montmorency seul, puis Chabot seul, puis Annebault (amiral). Ces principaux conseillers font partie d’un noyau dur qui assure en fait le gouvernement du royaume et qui est constitué, au-delà d’eux-mêmes et selon les moments, de quelques autres personnages. Il y a d’abord la puissance tutélaire de Louise de Savoie jusqu’à sa mort en 1531, puissance qui ne saurait être surévaluée. Il y a ensuite, pour la même époque, la forte présence du chancelier Antoine Duprat et du secrétaire Florimond Robertet . Par la suite, Montmorency s’associe le cardinal Jean de Lorraine , avant qu’à la fi n du règne, l’amiral d’Annebault constitue un duo avec le cardinal François de Tournon

116. John H. Elliott et L.W.B. Brockliss (éd.), Th e World of the Favourite, New Haven et Londres, 1999.117. Cédric MICHON, « Les élites et l’État », dans Cédric MICHON et Annie ANTOINE (dir.), Les sociétés au XVIIe siècle.

Angleterre, Espagne, France, Rennes, 2006, p. 391-432 (part. p. 411-418).

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tandis qu’en coulisse la duchesse d’Étampes , maîtresse du roi, mais aussi Marguerite, sœur du roi, s’eff orcent, elles aussi, d’infl uer sur les aff aires du royaume.

Dans ce contexte, quelles sont les attributions réelles du principal conseiller ? Quelle est la nature de son pouvoir et de son infl uence ? Comment fonctionne le Conseil sous sa domination ?

La domination du grand offi cier sur les autres conseillers

Pour commencer, il y a clairement une domination politique des conseillers favoris sur les autres conseillers, qu’ils soient chancelier, secrétaire ou cardinal. Pour la seconde moitié du règne, les exemples de Montmorency et Annebault soulignent bien la domination de l’offi cier sur le cardinal. L’association de Montmorency et Lorraine maintient une hiérarchie très claire avec le grand maître à la direction du duo. Plusieurs épisodes l’illustrent bien. À la fi n de l’année 1539, par exemple, alors que l’empereur est en route pour Paris, François Ier , malade, ne peut aller à sa rencontre. Il envoie alors Anne de Montmorency et ses deux fi ls. Le connétable quitte la cour début novembre, laissant « derrière lui le cardinal de Lorraine , pour le remplacer temporairement dans ses fonctions auprès du roi 118 ». Toutefois, Montmorency entend conserver intactes ses prérogatives. Il précise à l’ambassadeur de l’empereur que, durant son voyage, aucune tentative ne doit être faite pour traiter d’un point de la paix à venir. Nettement plus équilibré, mais quand même inégal, est le couple formé par Claude d’Annebault avec François de Tournon . Martin Du Bellay résume parfaitement la situation lorsqu’il écrit que Tournon a le maniement des aff aires en l’absence de l’amiral 119. Cette pratique du gouvernement avec un principal ministre secondé par un bras droit qui peut le remplacer à tout moment est particulièrement confortable pour le souverain qui peut ainsi sans cesse s’appuyer sur un homme de dossier et de pouvoir. Elle est renforcée généralement par un troisième homme (le cardinal de Lorraine dans la décennie 1540 par exemple). On s’aperçoit de l’effi cacité de ce système au cours des rares moments où les deux principaux ministres sont absents. Ainsi, en août 1546, en l’absence de l’amiral et du cardinal de Tournon, le gouvernement est provisoirement désorganisé et cela d’autant plus que le cardinal de Lorraine est lui aussi absent. Les agents du roi, tel Odet de Selve, sont alors désarmés. Ce dernier demande à qui il doit adresser les paquets, en l’absence de l’amiral et du cardinal de Tournon, malade. François Ier désigne alors un quatrième homme, le cardinal de Ferrare qui se trouve ainsi du jour au lendemain devoir tenir une table aussi fréquentée que celle de l’amiral en temps normal 120. De manière générale, la réticence de François Ier à laisser s’éloigner de la cour l’amiral d’Annebault témoigne de sa prééminence dans la gestion des aff aires du royaume 121. Il semble ainsi que l’une des fonctions du favori est d’agir comme le protecteur du Conseil en établissant les listes de présence et les ordres du jour. C’est sans doute le conseiller favori qui prépare l’ordre du jour, en fonction des discussions

118. Calendar of State Papers [cité CSPSP] 1538-1542, p. 203. Déjà, en juillet 1537, en l’absence du grand maître, le cardinal de Lorraine , s’occupait de toutes les aff aires (ASModena, busta 14, Alberto Turco au duc de Ferrare [Paris] 29 juillet 1537).

119. Voir François NAWROCKI, thèse citée, p. 522-528.120. ASModena, busta 23, Giulio Alvarotti au duc de Ferrare, Moulins, 29 août 1546. Cf. une analyse assez comparable

de l’empereur in CSPSp 1544, p. 379 (lettre de l’empereur à ses ambassadeurs en Angleterre, le 1er octobre 1544).121. François NAWROCKI, thèse citée, p. 528-533.

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qu’il a pu avoir avec le roi la veille. Il est vraisemblable qu’il suggère alors la présence de tel ou tel, même s’il est clair que le roi n’a pas besoin de formaliser les noms de ceux de son Conseil. Ils savent s’ils sont les bienvenus ou non. Dans certains cas seulement, on peut sans doute être convoqué un peu plus formellement. C’est sans doute le cas des présidents de parlement ou des avocats. En l’absence d’un protecteur du Conseil les choses dysfonctionnent rapidement. Ainsi il semble qu’au lendemain de la disgrâce du connétable, en 1541, François Ier tente d’établir un gouvernement collégial qui ne soit plus entre les mains d’un ministre tout-puissant. Mais cette tentative est un échec. Catherine de Médicis rapporte comment, à la suite de cette décision, le roi arrive un jour au Conseil et que, constatant qu’aucun dossier n’a été préparé, il s’en prend violemment à Claude d’Annebault et au cardinal de Lorraine 122. Toutefois, la domination sur les autres conseillers implique-t-elle que le principal conseiller décide ? Où se situe le principal conseiller entre orientation de la politique royale et exécution de la volonté royale ?

Le principal conseiller relais de la volonté royale, fi ltre, fusible et broker

Les raisons de l’ascension de tel ou tel noble d’épée à la tête du Conseil relèvent de logiques diff érentes et se traduisent par une direction des aff aires de natures diverses. Ainsi, le parcours des frères Gouffi er souligne l’interconnexion de la faveur privée et de la faveur politique. Leur accès aux leviers du pouvoir a été permis et accompagné par l’exercice patient, plusieurs décennies durant, d’une charge strictement domestique, a priori dénuée de tout contenu politique, le gouvernement des enfants de France. Pierre Carouge montre comment Artus puis Guillaume ont été l’un puis l’autre pendant les dix premières années du règne les principaux relais des décisions du roi et les principaux représentants de sa personne, en vertu d’une délégation de pouvoir. Pour autant, peu de grandes orientations de la politique royale peuvent être mises au crédit des Gouffi er, à part sans doute l’esquisse du Trésor de l’Épargne (qui d’ailleurs n’est pas formulée au Conseil) 123. Il n’y a donc pas de programme politique clair associé aux noms des Gouffi er. Ces derniers sont les instruments, dans une large mesure consentants et conscients, du pouvoir royal. Serviteurs de confi ance du roi, ce dernier leur remet une délégation de compétence dont l’ampleur dissimule d’autant mieux l’absence d’une réelle autonomie de décision. Une analyse tout à fait comparable peut sans doute être formulée au sujet de René de Savoie , oncle de François Ier , qui succède à Artus comme l’un des principaux conseillers du roi, jusqu’à la purge de Pavie. Dans le cas d’Artus, comme dans celui du Bâtard de Savoie, la question pertinente n’est peut-être pas celle de l’opposition entre infl uence politique et rouage administratif. En eff et, Artus Gouffi er est avant tout le gouverneur du dauphin François d’Angoulême. On peut se demander dans quelle mesure il n’est pas resté le tuteur de François Ier auquel on demande à la fois d’approuver et de légitimer les décisions du roi de France. Il dispose d’une autorité morale dont le roi se sert. Il n’est pas surprenant dans cette 122. Propos tenu par Catherine de Médicis au cours des états généraux de Blois, cité par Charles-Joseph DE MAYER,

Des états généraux et autres assemblées nationales, Paris et La Haye, 1788-1789, t. XIII, p. 106, cité par Robert J. KNECHT, Un prince de la Renaissance : François Ier et son royaume, Paris, 1998, p. 617.

123. C’est Guillaume Bonnivet en eff et qui, dans une lettre de 1521, pose les bases de ce qui donne lieu à la grande réforme des fi nances de 1523, et à la création du Trésor de l’Épargne (BnF, ms frçs 2994, fo 11, Bonnivet au roi, Montreuil-Bonnin, 11 août 1521). Cf. aussi Philippe HAMON, op. cit., p. 360 et 368.

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perspective que le jeune roi pousse, pour lui succéder dans cette fonction, son oncle René qui obéit à des caractéristiques comparables (âge et expérience) auxquelles il ajoute le sang princier. Le cas de Guillaume Gouffi er est un peu diff érent. Tout comme Odet de Foix , il occupe un peu une place de grand frère 124. Bonnivet et Lautrec sont d’ailleurs, en termes d’infl uence, clairement un cran au-dessous des fi gures paternelles que sont Artus Gouffi er et René de Savoie.

Rares sont les favoris qui s’imposent véritablement en déchargeant le roi d’une partie de son fardeau. Le seul qui aille jusque-là est peut-être Anne de Montmorency . C’est d’ailleurs le seul qui subit une disgrâce. Il s’est en eff et imposé en défendant une politique clairement identifi able : la négociation avec l’empereur. À la suite de l’échec de cette politique, il doit quitter la cour et le Conseil. Présentant un cas de fi gure intermédiaire entre ceux proposés par Gouffi er et Montmorency, l’amiral d’Annebault n’associe pas véritablement son nom à une politique (si ce n’est que toute la diplomatie de la fi n du règne est tournée contre l’empereur). Symptomatique est de ce point de vue le passage rapporté par Monluc sur le déroulement d’une séance du Conseil en 1544. Blaise de Monluc ayant plaidé avec vigueur en faveur de l’aff rontement, l’amiral d’Annebault, silencieux pendant la plaidoirie du capitaine, demande alors au souverain :

« Sire, quelle opinion vous prent-il à present ? » Le Roy, après avoir demeuré quelque peu, se tourna vers moy, disant comme en s’escriant : « Qu’ils combatent ! Qu’ils combatent ! – Or doncques, il n’en faut plus parler, dit monsieur l’admiral ; si vous perdez, vous seul serez cause de la perte, et si vous gaignez, pareillement ; et tout seul en aurez le contentement, en ayant donné seul le congé 125. »

Encore une fois, il convient sans doute d’essayer de sortir d’une opposition entre l’infl uence politique de certains et la réduction des autres au statut de simple rouage administratif. Ce problème qui se pose aux historiens des grands commis de l’État de l’époque contemporaine, dans leur positionnement par rapport aux historiens des hommes d’État ou des hommes politiques en général, ne se pose pas d’une manière aussi nette aux historiens de la première modernité. La diffi culté pour les historiens de l’époque contemporaine qui s’intéressent aux grands commis de l’État réside dans le fait qu’en vertu de l’idéologie républicaine même, l’action du haut fonctionnaire est censée se confondre avec l’État qu’il est réputé servir 126. Comment faire, dans ces conditions, pour saisir l’action individuelle d’un grand commis de l’État ? L’homme doit alors, théoriquement, s’eff acer au profi t de la fi gure abstraite de l’administrateur, normalement interchangeable, et par nature impersonnelle et même anonyme. Raymond Aron, en réfl échissant à la nature du pouvoir des « grands fonctionnaires » dans ses rapports avec le pouvoir des hommes politiques, conclut : « Les fonction-naires sont diff érents, en essence, parce que, eux, gouvernent selon la rationalité et prétendent représenter l’universalité de la collectivité […], d’où une tension virtuelle entre fonctionnaires et hommes politiques 127. » L’historien contemporain de la première modernité pâtit sans doute de cette distinction qui, féconde pour les historiens du politique travaillant sur l’époque contemporaine, gêne sans doute l’appréhension

124. Guillaume Gouffi er est né vers 1482, Odet de Foix est né vers 1483. François Ier est né quant à lui en 1494.125. Blaise DE MONLUC , Commentaires, Paris, Gallimard, 1964, Paul Courteault (éd.), p. 147-148.126. Olivier FEIERTAG, « La biographie d’un haut fonctionnaire des fi nances », p. 6-9, dans Wilfrid Baumgartner.

Un grand commis des fi nances à la croisée des pouvoirs (1902-1978), Paris, 2006.127. Raymond ARON, La lutte des classes, nouvelles leçons sur les sociétés industrielles, Paris, Gallimard, 1964, p. 167.

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de temps plus anciens. Car, d’une part, le technicien de la première modernité a la possibilité d’habiter avec plus ou moins de vitalité et de liberté sa fonction et dépasse précisément le statut de commis de l’État ; et, d’autre part, le favori, à l’inverse, peut, dans une large mesure, n’être que l’extension d’une volonté qu’il sert et dont il n’est que la courroie de transmission. Cela expliquerait la diffi culté qu’il y a à associer les noms d’Artus Gouffi er , de René de Savoie , d’Odet de Foix , et même, dans une large mesure, de Claude d’Annebault , à une politique clairement identifi able.

La nature même du conseiller du roi sous le règne de François Ier consiste peut-être, plus que tout, à défendre la volonté du roi, plus qu’à décider de la politique du royaume. Le rapport de Cavalli est de ce point de vue intéressant, qui écrit :

« A mon avis, [les échecs] sont advenus faute d’exécuteurs diligents et parce que Sa Majesté ne veut pas avoir la charge [entière], ni aucune part à cette exécution, ni être jamais superintendant, parce qu’il lui paraît qu’il suffi t de bien faire sa propre part, qui est de donner des ordres et de décider, et de laisser ensuite le reste aux autres 128. »

Selon Cavalli , donc, la nature du pouvoir des principaux conseillers consiste à la mise en œuvre de la décision souveraine. L’intervention du principal conseiller se situe alors en aval de la décision royale.

On peut se demander de manière générale dans quelle mesure la fonction principale du conseiller n’est pas de servir d’intermédiaire entre le roi et ses sujets, en faisant remonter, certes, la rumeur du royaume, mais en faisant descendre également vers le royaume ou ses représentants, l’humeur du roi et sa volonté. Prenons l’exemple de la résistance opposée par le parlement de Paris à l’enregistrement du concordat. Lorsqu’en juin 1517, François Ier donne l’ordre au Parlement d’enregistrer le concordat, il envoie son oncle René assister aux délibérations pour donner plus de poids à son ordre. La mission du Bâtard de Savoie est de lui rapporter « à la vérité comme la matière aura esté dépeschée, et les diffi cultez qui s’y seront tant en général que en particulier trouvées 129 ». Le 15 janvier 1518, c’est Artus Gouffi er que le roi envoie au parlement de Paris pour lui demander de présenter par écrit ses observations 130. Au printemps suivant, comme le parlement de Paris refuse toujours avec obstination d’enregistrer le concordat, un troisième conseiller, La Trémoille, est envoyé par le roi pour y prononcer un discours lourd de menaces qui amène le Parlement à enregistrer le traité en présence de l’envoyé du roi, le 22 mars 131.

Le principal conseiller est donc un intermédiaire entre le roi et ses interlocuteurs. C’est aussi un écran dressé autour de sa personne, qui participe à engendrer l’image d’un souverain littéralement hors du commun. Le principal conseiller favori est en eff et une sorte de « fi ltre de l’information » (François Nawrocki). C’est lui qui reçoit les ambas-sadeurs étrangers et les envoyés du roi, et qui juge de l’intérêt d’une rencontre avec le roi. Ainsi, lorsque Philibert Naturelli et Philippe Haneton se rendent en mars 1519 à la cour de France pour exposer, au nom de Marguerite d’Autriche , leurs griefs relatifs à la présence de Fleuranges et de ses troupes dans Mouzon, ils sont reçus par Louise de

128. E. ALBERI, Relazioni degli ambasciatori veneti al Senato durante il secolo decimo sesto, Florence, 1839-1863, Série I, I, p. 238-239. Cité et traduit par François NAWROCKI, thèse citée, p. 583.

129. AN, XAa 1519, fo 203 ro/vo.130. Roger DOUCET, Étude sur le gouvernement de François Ier dans ses rapports avec le Parlement de Paris, 1921-1926,

2 vol., t. I, p. 98.131. Ibid., chap. 3. Roger Doucet a utilisé le registre des délibérations du Parlement (AN, X1A 1520, fos 113-126).

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Savoie et Artus Gouffi er 132. Pas une fois, ils ne rencontrent François Ier . Plus tard, dans les années 1530, les travaux entrepris dans le vieux Louvre, au premier étage de l’aile sud, ouvrent deux portes dans la garde-robe du roi. L’une permet d’accéder au cabinet du roi situé dans la tour d’angle. L’autre ouvre sur une galerie, qui elle-même ouvre sur la chambre du grand maître 133. Autrement dit, pour accéder au roi, il faut passer par Anne de Montmorency . On pourrait multiplier les exemples de cette nature. C’est en eff et le conseiller favori qui gère les audiences du roi 134. Cette confi guration ne va pas sans une certaine ambigüité pour le détenteur réel du pouvoir, l’individu écran pouvant suggérer l’idée que c’est lui qui gouverne le royaume. Mais là encore, le roi y trouve son compte qui peut toujours, en cas d’échec, rejeter la responsabilité sur son favori qui joue alors le rôle de « fusible ». C’est le cas de Bonnivet qui trouve la mort à Pavie, mais également, au cours de disgrâces passagères, de Chabot et de Montmorency, avant que ce dernier ne connaisse une disgrâce défi nitive. « Fusible », le principal conseiller sert ainsi à l’occasion de doublure au monarque. Cette dimension apparaît également lorsqu’il s’impose comme broker, c’est-à-dire comme principal médiateur pour l’obtention des faveurs royales 135. En eff et, par les offi ces qu’il détient et tout particulièrement celui de grand maître, et par son infl uence politique, le principal conseiller de François Ier agit comme intermédiaire dans les largesses du roi en direction de ses sujets. En dehors des cas particuliers de Louise de Savoie et de la duchesse d’Étampes , c’est en eff et toujours le principal conseiller qui est le mieux placé pour attribuer honneurs, charges, pensions et bénéfi ces. Dès le règne de François Ier, le ministre-favori est ainsi un « patronage manager », organisant la distribution des charges et canalisant les mécon-tentements éventuels. D’une certaine manière, le principal ministre se substitue à son souverain dans les tâches d’arbitrage de la faveur royale susceptibles de compromettre la dignité monarchique. Pour autant, la puissance du pouvoir royal est telle que, si les fonctions du principal ministre se traduisent naturellement par la constitution d’une clientèle personnelle, celle-ci n’est pas toute puissante. Montmorency, le plus puissant des principaux ministres de François Ier, ne dispose pas de « créatures » ou de hechuras sur le modèle de celles de Richelieu et d’Olivares. En revanche, sa clientèle, comme celles du cardinal et du valido, a un eff et centripète qui concourt à imposer la cour comme LE centre de patronage qui compte au cœur du royaume. La contribution de Th ierry Rentet sur Montmorency souligne le rôle que joue l’implantation parisienne du connétable dans le choix du roi qui sait qu’il pourra ainsi compter sur une puissante parentèle et une large clientèle qu’il lui appartient de développer.

L’infl uence du principal conseiller peut toutefois rencontrer ses limites lorsqu’elle aborde certains dossiers techniques, et notamment celui des fi nances.

132. André LE GLAY, Négociations diplomatiques entre la France et l’Autriche pendant les trente premières années du XVIe siècle, 2 vol., Paris, 1845, t. II, p. 348 et suiv.

133. Détail des travaux dans BnF, ms frçs 2976, fos 53-54 (Villeroy au grand maître, Paris, 13 août 1530). Monique CHATENET, La cour de France au XVIe siècle. Vie sociale et architecture, Paris, 2002, p. 72 et 78 propose un schéma de l’enfi lade.

134. Sur Philippe Chabot gestionnaire des audiences du roi, voir E. ALBERI, op. cit., I, IV, p. 33-35. Sur Claude d’Annebault gestionnaire des audiences du roi, voir Arch. Di Stato di Mantova, A.G. 640, Gian Battista Gambara à la duchesse de Mantoue, Soissons, 6 août 1543 et François NAWROCKI, thèse citée, p. 544-547 (« Les audiences du roi »).

135. Sharon KETTERING, Patrons, Brokers and Clients in seventeenth Century France, Oxford-New York, 1986.

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Le principal conseiller « tuteur fi nancier » ?

Dans ce secteur de gouvernement, la fi délité des hommes et leur intelligence politique peuvent buter sur une faiblesse toute simple, l’incompétence ; la diffi culté qu’il y a à équilibrer un budget, à faire correspondre l’argent qui sort et l’argent qui entre. Il est particulièrement diffi cile pour un noble d’épée de pénétrer toutes les subtilités d’un secteur aussi complexe 136. On ne saurait donc sous-estimer l’infl uence en ces matières des secrétaires des fi nances, à la fois de par leur fonction, proches du Conseil, et, de par leur profi l, informés des réalités fi nancières. Pour autant, il ne saurait être question pour le souverain de remettre les décisions en matière de fi nances à un groupe de spécialistes. Seuls le principal conseiller et son entourage immédiat connaissent les besoins de l’État. Une fois de plus, c’est la fi gure de l’intermédiaire qui apparaît chez le principal conseiller, cette fois-ci entre le roi et les techniciens des fi nances. Philippe Hamon a ainsi montré que l’on assiste, dans le second quart du XVIe siècle, à une redistribution des cartes entre les deux pratiques du contrôle et de la délégation, autrement dit à une reprise en main des fi nances par le Conseil du roi et quelques proches. Le Bourgeois de Paris rapporte ainsi les événements :

« [1524] 1523, en février, le Roy pourvoiant à ses fi nances avec son Conseil, délibéra faire rendre comte à messire Jacques Beaulne, seigneur de Samblançay […] de toute la charge et administration qu’il avoit eue, tout le temps passé, des fi nances du Roy. Et pour ce faire, luy furent ordonnéez six personnes pour ouïr ses comptes […]. Et ordonna le Roi, que doresnavant, ses fi nances ne passeroient plus par nuls fors que par les mains du trésorier Babou, et que rien ne se fairoit plus sans le Conseil du Roi 137. »

Dans la perspective de cette politique, Philippe Hamon a suggéré que le grand maître de France joue alors un rôle de tuteur fi nancier. C’est d’abord Boisy qui remplit cette fonction, puis le Bâtard de Savoie et enfi n Montmorency . Après la disgrâce de ce dernier, il semble bien que Claude d’Annebault , qui exerce les fonctions de grand maître sans le titre reprenne, aussi, cette tutelle des fi nances 138. De même, il est vraiem-blable qu’au cours de la période qui sépare la domination du Bâtard de Savoie de celle de Montmorency, ce soit le chancelier Duprat qui gère l’essentiel des fi nances 139.

Il apparaît toutefois que le tuteur fi nancier n’est pas toujours en mesure de suivre de près des dossiers complexes qui exigent une grande réactivité. De nombreux témoi-

136. Même si l’exemple de Sully montre que cela n’est pas impossible.137. Ludovic Lalanne (éd.), Journal d’un bourgeois de Paris, Paris, 1854, p. 195.138. Ce rôle de tuteur fi nancier est resté informel jusqu’en 1564, lorsque qu’Artus de Cossé devient « superinten-

dant des fi nances ». Il est manifeste toutefois qu’Artus Gouffi er est chargé par le roi de superviser l’ensemble des questions d’argent comme en témoignent quelques épisodes. En 1518, par exemple c’est à Artus Gouffi er que Semblançay fait expédier les états des trésoriers de France et des recettes générales de Picardie, Bourgogne, Provence et Dauphiné (AN, KK 289, fo 514). C’est toujours chez Artus Gouffi er que se réunissent Henri et Th omas Bohier , Jean d’Albret et Guillaume de Beaune , le 25 janvier 1519, pour rassembler des fonds en vue de l’élection impériale (BnF, Italien 1998, p. 278). On trouve aussi des mentions d’échanges réguliers avec les généraux de fi nances (BnF, Carré d’Hozier 303, fo 24. Mention de deux comptes rendus par Jacques Hurault à Artus Gouffi er, le 25 mai 1517 et le 27 décembre 1518. AN, KK 289², fo 616 vo. Paiements à un chevaucheur de l’écurie du roi pour avoir porté, en 1517 ou 1518, des lettres des généraux des fi nances à Artus Gouffi er) et les trésoriers de France (AN, KK 289², fo 704 vo. Paiement à un chevaucheur de l’écurie du roi pour avoir porté une lettre d’Artus Gouffi er à Philibert Babou ).

139. Un rapport adressé au parlement de Paris signale en 1526 que le chancelier Duprat « a la totalle administracion, superintendance et gouvernement des fi nances et s’en repose le Roy sur luy du tout, et tellement que, en matière de fi nances, on ne sauroit bailler ung solt, sinon par son commandement » (séance du 17 avril 1526, AN, X1A 1529, fo 211 ro). Voir aussi l’article sur Antoine Duprat dans le présent ouvrage.

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gnages soulignent combien, sur le fait des fi nances, le roi et Montmorency , même au faîte de sa puissance, se reposent sur le chancelier Antoine Du Bourg 140. En son absence, les décisions prises sont parfois dénoncées comme incohérentes. Ainsi, les sources conservent la trace d’une colère du cardinal François de Tournon alors que le Conseil l’a assigné sur le Languedoc pour payer les troupes de Piémont. Or le système des quartiers empêche qu’il n’en reçoive « ung quatrin » avant la fi n de janvier. D’où son mécontentement :

« Se monsieur le chancelier ou le général de Normandie [Guillaume Preudhomme, trésorier de l’Épargne] y eussent esté quant la despeche m’a esté faicte, ils eussent bien sceu remonstré ce que je diz cy dessus estre véritable, comme ceulx qui ont la charge et l’intelligence des fi nances 141. »

L’accusation à l’encontre des autres conseillers de leur incompétence en matière de fi nance est très claire. Dans une lettre au chancelier Du Bourg, il semble d’ailleurs remettre également en cause la compétence du chancelier, puisqu’il lui écrit :

« Demandez a ceulx qui manyent les fi nances, et vous trouverez que je ne sçaurois recevoir ung denier, ny des restes du quartier passé ne de ce qui peult escheoir au commencement d’icellui qui vient, que a la fi n du moys de janvier prochain […] ; vous trouvez tout ce que j’escriptz le meilleur du monde […] mais vous ne m’envoiez pas de quoy payer [les troupes] 142. »

L’utilisation d’un principal ministre pour gouverner est donc ce qui caractérise le Conseil sous François Ier . Le roi sait à l’occasion moduler cette pratique en utili-sant deux principaux ministres (René de Savoie et Guillaume Bonnivet au début de la décennie 1520, Philippe Chabot et Anne de Montmorency à la fi n de la décennie 1520). Mais il ne semble pas que l’on connaisse sous François Ier de « gouver-nement par Conseil » avec dilution des responsabilités entre plusieurs conseillers. Tout au plus peut-on évoquer, semble-t-il, une confi guration originale aux lendemains de la disgrâce du connétable. En eff et, François Ier tente alors d’établir un gouver-nement collégial qui ne soit plus entre les mains d’un ministre tout-puissant. Mais, on l’a vu, cette tentative est un échec et cet épisode semble bien isolé. En revanche, sur l’ensemble du règne, le principal ministre peut s’appuyer sur des techniciens de premier ordre : le chancelier et les secrétaires. On notera là une diff érence de fond avec ce que l’on observe en Angleterre à la même époque, où le principal ministre est, presque tout le temps, un technicien (Th omas Wolsey , puis Th omas Cromwell ) auquel sont subordonnés les hommes d’épée (Charles Brandon , duc de Suff olk ou Th omas Howard, duc de Norfolk). Quoi qu’il en soit, le règne de François Ier compte quelques techniciens d’exception qui dominent les autres.

Chanceliers, secrétaires et maîtres des requêtes

Au cœur du Conseil ou à sa périphérie, quelques offi ciers jouent un rôle tout à fait essentiel. Parmi eux, le chancelier, les secrétaires et les maîtres des requêtes.

140. Philippe HAMON, L’argent du roi : les fi nances sous François Ier , Paris, 1994, p. 415.141. BnF, ms frçs 5125, fos 171 vo-172 (cité par Philippe HAMON, op. cit., p. 416).142. BnF, ms frçs 5125, fo 173 (cité par Philippe HAMON, op. cit., p. 416).

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Le chancelier

En théorie, le chancelier n’est en dignité que le deuxième des grands offi ciers après le connétable. Toutefois, la place qu’il occupe au cœur des institutions centrales est prépondérante. Cette prépondérance s’explique par le statut ambigu de la fonction de chancelier qui relève de sphères aussi diverses que celles de la justice, de l’administration et du gouvernement. Plus que d’autres institutions encore, il symbolise la multifonction-nalité des offi ces médiévaux. En France, le chancelier est assez souvent un ecclésiastique (20 chanceliers sur 48 sont des ecclésiastiques, entre 1328 et 1573). L’offi ce, supprimé en 1227, est rétabli en 1315. Son titulaire est nommé par le roi (sauf de 1372 à 1441 où il est élu par une large assemblée). Le titre principal de ses fonctions réside dans le fait qu’il est dépositaire du sceau de France, qu’il appose sur les actes royaux. Il doit s’assurer de la régularité de ces actes et peut donc être amené à refuser l’apposition du sceau s’il juge les lettres contraires aux ordonnances ou préjudiciables aux intérêts du roi. Le chancelier s’impose progressivement (dès la fi n du XIIIe siècle) comme chef de la justice. À partir de là, ses compétences s’élargissent à des besognes administratives et gouverne-mentales. C’est ainsi que sa charge prend progressivement, selon certains, l’apparence d’une « lieutenance du roi dans les aff aires du royaume ». En théorie, c’est lui qui préside le Conseil en l’absence du roi ; il participe à l’élaboration des lois et à la nomination des offi ciers ; il est la « bouche du roi 143 ». Le règne de François Ier est particulièrement intéressant dans l’histoire des chanceliers et de leur rôle au Conseil en ce sens qu’il permet de souligner la distance qui sépare la théorie de la pratique et qu’il correspond en même temps à une période au cours de laquelle les choses se précisent.

Tout d’abord, il importe de rappeler que les chanceliers, comme les autres conseillers du roi, sont avant tout des agents polyvalents : on les croise souvent dans des missions d’ordre logistique ou fi nancier. Ils constituent ainsi des ponts avec toute l’administration judiciaire. Car les chanceliers ne sont pas des hommes seuls ; ils sont entourés d’équipes qui nous échappent largement – un peu comme les équipes qui entourent les secrétaires d’ailleurs.

Sur la distance qui sépare la pratique de la théorie, plusieurs points doivent être évoqués. Sur le chancelier comme « bouche du roi » par exemple, on dispose du témoi-gnage des ambassadeurs de Charles de Habsbourg qui, à Compiègne en février 1515, ont la surprise de voir le roi, malgré la présence de Duprat et d’autres conseillers, leur faire lui-même réponse à l’exposé de leur charge 144. Par ailleurs, s’il est vrai que, sous François Ier , le chancelier est le chef né du Conseil, il s’agit de celui qui traite des questions judiciaires, donc plutôt du Conseil qui se tient l’après-midi et qui deviendra le Conseil d’État dans la seconde moitié du siècle. Cela revient à poser la question de l’infl uence politique des chanceliers, particulièrement délicate à évaluer. Il faut en eff et faire la part entre le statut du chancelier et ce qu’en fait l’homme qui détient l’offi ce. On observe pour le règne de François Ier des profi ls de cancellariat très divers, entre Antoine Duprat (chancelier de 1515 à 1535), Antoine Du Bourg (1535-1538), Guillaume Poyet (1538-1542) et François Olivier (1545-1552) 145.143. Jean-Louis HAROUEL, Jean BARBEY, Eric BOURNAZEL et Jacqueline THIBAUT-PAYEN, op. cit., p. 321.144. K. Lanz (éd.), Correspondenz des Kaisers Karl V., t. I, Leipzig, 1844, p. 6.145. Techniquement chancelier jusqu’en 1545, Poyet perd les sceaux en 1542, englobé dans la débâche montmorencéenne

de 1541. De son côté François Olivier est techniquement chancelier jusqu’en 1560, mais les sceaux sont remis à Jean Bertrand (ou Bertrandi) dès janvier 1551. Sur les gardes des sceaux, voir Bernard BARBICHE, « De la

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Antoine Duprat bénéfi cie de plusieurs caractéristiques qui assurent son poids politique. D’abord, ce n’est pas un nouvel arrivant lorsqu’il devient chancelier, puisqu’il a 52 ans et qu’il a derrière lui une longue et brillante carrière de magistrat. Ensuite, il évolue en toute sécurité car il est sous la protection de Louise de Savoie . Enfi n, il s’appuie sur tout un réseau de familles auvergnates qui lui confère une assise solide. Autant d’éléments qui peuvent lui assurer une certaine autonomie et un poids politique. Du Bourg en revanche est réduit à sa fonction au sens où il se trouve là parce que Duprat l’a placé là. Lorsque Duprat disparaît, il semble sans doute naturel au roi de se tourner vers Du Bourg. Pour autant, le favori du moment est Montmorency . Du Bourg doit donc travailler avec le grand maître, mais il n’a pas la main. Son successeur en revanche, Guillaume Poyet , est une créature de Montmorency et disparaît d’ailleurs institutionnellement et politiquement à la suite de son patron. François Olivier , qui lui succède en 1545, est très largement dépourvu d’infl uence. Il est d’ailleurs sympto-matique de son faible poids politique que lorsque le 3 avril 1547, Henri II tient son premier Conseil, il soit le seul rescapé du Conseil de François Ier 146. Il semble donc que le chancelier exerce une infl uence politique pleine et entière à partir du moment où il est proche du « protecteur du conseil », en l’occurrence Louise de Savoie pour Duprat et Montmorency pour Poyet.

Toutefois, dès que l’on a besoin d’un document offi ciel, c’est au chancelier que l’on s’adresse. Dispose-t-il alors d’une marge de manœuvre ou n’est-il qu’un greffi er de la décision politique ? En théorie, il peut demander à ce que l’on réévalue une décision politique ou refuser de sceller un acte qui lui paraît mauvais 147. On dispose, pour le règne de François Ier d’exemples où Duprat, Du Bourg ou Poyet rechignent à apposer le sceau 148. C’est particulièrement vrai dans le cas de Poyet à tel point que Paget écrit le 9 août 1542 que

« the commun bruite asscribeth his ruyne to that he woold not seale certain writinges at the Kinges commaundement 149 ».

De ce point de vue, Guillaume Poyet est peut-être celui des chanceliers de François Ier qui revendique la plus grande liberté à l’égard de l’autorité du roi ou de ses principaux ministres. Toutefois, cette attitude a un coût politique, et Poyet s’aliène beaucoup de gens qui lui feront défaut lorsqu’il sera en diffi culté aux lendemains de la disgrâce de Montmorency . D’ailleurs, une grande partie des rares lettres de Poyet que l’on a conservées visent à rattraper des situations de crise qu’il a créées en refusant d’accéder à des requêtes qu’on lui avait soumises. C’est sans doute une des clés de sa disgrâce.

Si les chanceliers ont donc une possibilité, très circonscrite, de résistance à la volonté politique sous François Ier , qui peut être le signe d’un pouvoir d’opposition à la volonté politique du roi ou d’autres conseillers, ont-ils un pouvoir d’impulsion législative ? Pour poser la question diff éremment, quel est le rôle joué par le chancelier

commission à l’offi ce de la Couronne : les gardes des sceaux de France du XVIe au XVIIIe siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 151, 1993.

146. Son maintien est également révélateur du nouveau statut du chancelier (cf. plus bas).147. Sous Louis XI par exemple on dispose de l’exemple du chancelier Doriole qui, en mars 1479, refuse de sceller

un don qui lui paraît abusif, obligeant le roi à réitérer son ordre (Jean FAVIER, Louis XI, Paris, 2001, p. 321).148. Voir les notices sur Duprat, Du Bourg et Poyet.149. SP, IX, p. 116-117. Il a déjà provoqué la colère du connétable, le 2 mars 1539, et avait craint celle du duc de

Guise, le 12 avril suivant (voir la contribution de Marie Houllemare sur Guillaume Poyet dans le présent livre).

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dans l’élaboration des décisions ? Les contributions du présent livre montrent que l’on n’en sait pas grand-chose. Même pour un chancelier aussi puissant que Duprat, il n’y a pas d’éléments probants sur son infl uence réelle 150. Il a pu être assez fréquemment utilisé par défaut en tant qu’expert. Il a pu jouer un rôle dans la formalisation. Il est diffi cile d’aller plus loin. Il est tout aussi diffi cile d’évaluer la nature exacte de son rôle fi nancier. Sur les aff aires fi nancières, les rentes sur l’hôtel de ville par exemple, les sources postérieures le présentent comme l’auteur de ces innovations. Les sources contemporaines ne disent rien de tel. On peut parfaitement supposer que d’autres conseillers ou proches du Conseil comme René de Savoie , Pierre Filleul ou Semblançay ont joué un rôle. De la même manière, quel est le rôle exact du chancelier Poyet dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts ? Une bonne partie des articles de l’ordonnance ont déjà été écrits dans celles qui l’ont précédée. La nouveauté réside dans son ampleur. Mais elle aurait très bien pu sortir sous Du Bourg. Le contexte a sans doute une infl uence décisive sur le poids politique des chanceliers. À partir des années 1535 et malgré quelques interruptions signifi catives, l’urgence ne réside plus dans l’eff ort de fi nancement des campagnes militaires. Il y a alors l’espace nécessaire pour lancer des réformes administratives d’ampleur. Dans ce contexte, le chancelier retrouve son infl uence – un peu comme Duprat au moment de la pose militaire de 1517.

Enfi n, il ne faut pas perdre de vue par ailleurs que la charge de chancelier évolue et que quelques innovations notables interviennent précisément, ou se renforcent, au cours du règne de François Ier . Il existe ainsi quelques secteurs plus ou moins nouveaux dans lesquels le chancelier dispose d’une infl uence politique. Du Bourg a une infl uence politique réduite aux strictes limites de sa charge : sur l’imprimerie par exemple, la délivrance des privilèges lui confère un pouvoir renouvelé. Par ailleurs, la volonté d’unifi cation juridique passant forcément par lui, lui donne un pouvoir très lourd – plusieurs ordonnances traitent de cette question. Le chancelier est donc titulaire d’un offi ce qui se transforme. Il prend un poids plus lourd en matière législative, donc son périmètre politique augmente et cela parce qu’il se mêle de choses dont il ne se mêlait pas avant (et dont le roi lui-même ne se mêlait pas). C’est le cas des privilèges de foires par exemple. Pour autant, cette extension de ses prérogatives n’appartient pas à tel ou tel individu, mais va avec la fonction. Il est en eff et essentiel de distinguer entre la fonction et l’homme et également de souligner que la fonction de chancelier croît sous François Ier. Une comparaison avec Louis XI est de ce point de vue révélatrice. Sous Louis XI, les chanceliers se succèdent sans égard aux positions acquises ou aux services rendus : Guillaume Jouvenel des Ursins est purement et simplement remercié en 1461, remplacé par Pierre de Morvilliers, puis rappelé en 1465 à la fi n du Bien Public. Il ne semble pas que les Princes aient été particulièrement attachés au chancelier de Charles VII , mais tout simplement que Louis XI lui-même n’ait plus eu confi ance dans le successeur qu’il lui avait donné. Après la mort de Guillaume Jouvenel des Ursins en 1472, le roi nomme Pierre Doriole , qu’il congédie au printemps de 1483 sur des soupçons et qu’il remplace par un « rallié », Guillaume de Rochefort , dont il avait su, mieux que Charles de Bourgogne, reconnaître les qualités. Soit 4 chanceliers en 22 ans de règne, avec 3 renvois 151. Louis XII , à l’inverse, reprend le chancelier de Charles VIII . Duprat jouit d’un cancellariat sans histoire (du point de vue du pouvoir 150. Voir le chapitre sur Duprat dans le présent livre.151. Pierre-Roger GAUSSIN, Louis XI . Roi méconnu, Paris, 1988, p. 196.

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royal) de près de vingt ans. Guillaume Poyet , de son côté, a beau être disgracié, il n’est pas destitué. Le traitement qui lui est réservé fait jurisprudence. C’est à partir de lui que l’offi ce de chancelier devient inamovible.

L’infl uence politique des chanceliers et donc leur place au Conseil ou dans le processus de décision dépend donc à la fois de la personnalité de celui qui détient l’offi ce, de la conjoncture générale (guerre ou paix), et du processus qui l’a amené à la tête de la chancellerie. Pour disposer d’une infl uence politique, il est en eff et indis-pensable qu’il bénéfi cie du soutien du principal ministre.

Les secrétaires

Les puissants secrétaires d’État de la seconde modernité ont une humble origine. Il est vraisemblable qu’il a toujours existé quelque chose comme des secrétaires, sous une forme ou sous une autre, depuis qu’il existe quelque chose comme des rois. À partir du XIVe siècle toutefois, la situation se précise avec les deux ordonnances de 1309 et 1317. On rencontre à partir de cette époque, et tout au long du XIVe siècle, de manière inter-changeable, les expressions « notaires », « secrétaires », « clercs du secret » ou « secré-taires des fi nances » 152. La tâche de ce personnel subalterne de « notaires-secrétaires » qui entoure le chancelier consiste à mettre en forme les ordres du roi 153. Ils tirent leur nom du fait qu’ils prennent des notes et qu’ils sont tenus au secret. Quelques-uns d’entre eux émergent et acquièrent le droit de signer en fi nance. Vers 1400, on compte 6 secrétaires des fi nances et 4 autres secrétaires. Le nombre de ces secrétaires a tendance à augmenter comme en témoigne la régularité des ordonnances qui s’eff orcent d’en limiter le nombre. Une ordonnance de 1413 en limite le nombre à 8 et précise que le roi ne peut recevoir comme secrétaire un individu qui n’est pas déjà notaire. On assiste ainsi à la constitution progressive du prestigieux collège des « six vingts » notaires et secrétaires du roi, dont les statuts sont précisés par l’ordonnance de novembre 1482 qui confi rme ses privilèges, bientôt complétés par l’anoblissement d’offi ce et le monopole de l’expédition des lettres passées en chancellerie. Censés être 60 (y compris le roi), ils sont en fait 119 car chaque offi ce a été subdivisé pour des raisons fi nancières. Leur quartier général se trouve aux Augustins à Paris. C’est donc de ce vivier que sont issus quelques secrétaires qui s’imposent auprès du roi et préfi gurent les secrétaires d’État en jouant un rôle politique en plus de leur travail administratif. À partir du milieu du XVe siècle, en eff et, une dizaine de secrétaires bien mieux rémunérés que leurs confrères se distinguent au sein du collège, mais aussi en dehors de lui 154. Certains en font partie, en raison de leur champ de compétence, par exemple la signature exclusive de toutes

152. Nicola Mary SUTHERLAND, Th e French Secretaries of State in the Age of Catherine de Medici, Westport, 1976 [Londres, 1962], chapitre I : « Th e Origins of the Secretaries and their Rise to Importance under Francis I », p. 7-17 ; André LAPEYRE et Rémy SCHEURER, Les Notaires et secrétaires du roi sous les règnes de Louis XI , Charles VII et Louis XII (1461-1515), Notices personnelles et généalogies, deux tomes, Paris, 1978 ; Sylvie CHARTON-LE CLECH, Chancellerie et culture au XVIe siècle (les notaires et secrétaires du roi de 1515 à 1547), Toulouse, 1993.

153. Toutefois, et cela dès le XIVe siècle, les clercs et notaires remplissent également des missions diverses à la cour, au Conseil, à la Chambre des comptes, au Parlement, dans les cours provinciales et dans la diplomatie (Nicola Mary SUTHERLAND, op. cit., p. 10-11).

154. En eff et, en dépit de la banalisation des notaires et secrétaires du roi, il y a toujours eu des notaires plus spécia-lement aff ectés au service du roi. Ainsi, les lettres missives et closes de Charles VIII ont été contresignées par 43 notaires et secrétaires, mais les trois quarts d’entre elles l’ont été par 3 secrétaires seulement (Bernard BARBICHE, op. cit., p. 174).

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les lettres de fi nances. D’autres, plus récemment apparus, sont simplement des offi ciers domestiques de l’hôtel du roi qui remplissent les fonctions de secrétaires particuliers. À partir du règne de Charles VIII , on les dit secrétaires de la Chambre. Leur champ d’action est l’expédition des lettres missives hors chancellerie dont l’accroissement considérable résulte du développement de l’action personnelle du roi dans ses relations directes avec ses sujets et plus encore avec les autres princes.

L’exercice de la fonction de secrétaire des fi nances est bien spécifi que en ce qu’il assure une grande proximité avec le roi. Au quotidien, le secrétaire des fi nances doit en eff et faire signer au roi des rôles et divers documents. De surcroît, comme il semble que François Ier ne signe que ce qu’il se souvient d’avoir décidé ou entériné, le secrétaire des fi nances est amené à dialoguer avec le souverain. Il peut en outre, du fait de son exceptionnelle insertion dans l’appareil monarchique et de sa proximité physique, tant orale qu’écrite avec une masse d’informations, infl uer éventuellement par ses dossiers et par son expertise sur le cours des débats, de même qu’il occupe une position d’infor-mateur pour les principaux conseillers lorsqu’ils sont absents 155.

Sous François Ier , deux secrétaires des fi nances se distinguent particulièrement. Florimond Robertet , le plus important des deux, transforme même son secrétariat en une fonction quasi ministérielle, et cela dès le règne de Louis XII . Il doit en partie l’essor de sa carrière au fait qu’il est le protégé de Georges d’Amboise . Il sait ensuite conserver sous François Ier l’infl uence qu’il est parvenu à acquérir sous Louis XII. Gilbert Bayard , neveu par alliance de Florimond Robertet, est le deuxième secrétaire des fi nances le plus infl uent du règne de François Ier. C’est un conseiller et un acteur diplomatique de premier plan. Véritable poisson pilote de Louise de Savoie au moment de la Paix des Dames, c’est la protection de la mère du roi qui lui assure une infl uence diplomatique et politique. À la mort de Louise de Savoie, il s’eff ace, puis réapparaît sur les aff aires impériales et anglaises quelques années plus tard, en particulier dans les années 1544-1545. Il est alors l’un des plus proches collaborateurs de Claude d’Annebault , y compris hors des sessions du Conseil. Signe, si l’on veut, de son infl uence politique, il connaît au début du règne d’Henri II une disgrâce très brutale. Sa chute relève de la disgrâce personnelle, signe d’une visibilité politique forte, même s’il est clair que son rôle depuis le début des années 1540 le destine à être mis à l’écart dès l’avènement d’Henri II et le retour en grâce de Montmorency 156. En eff et, sous le règne de François Ier, les secrétaires les plus infl uents tirent leur poids politique de leur association avec le favori du moment (voir graphique des actes contresignés par Jean Breton et Gilbert Bayard qui s’explique par l’évolution du positionnement de leur protecteur). Ainsi, de même que l’on observe souvent au cours du règne l’alliance entre un offi cier et un cardinal, on observe, aux côtés des couples formés par Anne de Montmorency et Jean de Lorraine puis par Claude d’Annebault et François de Tournon , des associations entre un favori et un secrétaire. Guillaume Bonnivet travaille ainsi très étroitement avec Florimond Robertet, Anne de Montmorency avec Jean Breton et Claude d’Annebault avec Gilbert Bayard (cf. graphique). Il est vraisemblable que ce sont ces couples qui préparent les réunions du Conseil. De surcroît, annonçant ce qui se passe dans la suite du siècle, il semble bien que le choix de tel ou tel secrétaire pour telle ou telle séance du Conseil est fonction des aff aires qui vont y être traitées. On peut signaler par exemple 155. Voir la notice de Philippe Hamon sur Jean Breton dans le présent livre.156. Il meurt dans sa prison de Melun le 2 juin 1548.

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à la fi n du règne la présence de Bayard quand on traite des aff aires anglaises et celle de Bochetel ou L’Aubespine pour les aff aires allemandes. De la même manière, Breton, puis Bayard sont secrétaire et contrôleur général des guerres et assistent au Conseil où les questions militaires sont débattues 157.

Tous ces secrétaires constituent un petit monde très lié. Gedoyn, confi rmé dans ses fonctions au moment de l’avènement de François Ier , a succédé à son beau-père, Robineau, et cède lui-même sa charge, en 1526, à François Robertet , fi ls de Florimond . Gilbert Bayard , Jean Breton et Guillaume Bochetel se sont formés chez Florimond Robertet . On l’a vu, Gilbert Bayard est d’ailleurs le neveu par alliance de ce dernier. L’Aubespine est quant à lui le gendre de Bochetel.

Pour autant, l’infl uence politique des uns et des autres n’est pas automatique. L’habit de secrétaire des fi nances n’existe qu’en taille unique. C’est celui qui le porte qui le fait grand ou petit. Ainsi, Claude Robertet , fi ls de Florimond, malgré la puissance de son père, n’est qu’un simple exécutant. En deçà donc de Florimond Robertet et de Gilbert Bayard , toute une série de secrétaires, parmi ceux qui contresignent les lettres royales, n’ont, au cours du règne de François Ier qu’une part infi me dans les discussions du Conseil et dans la formulation de la politique royale. C’est le cas dans une certaine mesure de Jean Breton , qui est un fi dèle de Montmorency et qui est entraîné dans la chute de ce dernier 158. C’est le cas également de Nicolas de Neufville , un cran en dessous lui et dont la prestigieuse descendance ne doit pas induire en erreur 159. C’est enfi n le cas à la toute fi n du règne de Guillaume Bochetel et Claude de L’Aubespine dont l’ascension commence sous François Ier mais s’affi rme véritablement sous Henri II 160. D’autres secrétaires des fi nances comme Robert Gedoyn , Th ierry Fouet dit Dorne ou Jean Duval sont quant à eux manifestement dépourvus de toute infl uence politique 161.

157. Sous Henri II, c’est Clausse qui succède à Bayard dans ces fonctions de contrôleur des guerres.158. Il meurt en 1542, mais a perdu la plupart de ses offi ces l’année précédente à la suite de la disgrâce du connétable.159. On notera que sur le plan culturel, la hiérarchie s’inverse (Neufville, Breton, Bayard). Dans le cercle de François Ier ,

Neufville pèse un grand poids.160. Henri II les inclut d’ailleurs dans la première promotion des secrétaires des commandements et fi nances de 1547.

Bochetel est mentionné dans le fameux rôle du 26 février 1543 qui mentionne ceux que le roi veut voir en son Conseil pour le fait des fi nances (BnF, ms frçs 3005, fo 109).

161. Sans parler des simples secrétaires comme François Deslandes ou Jean de La Chesnaye qui contresignent réguliè-rement mais dont les fonctions sont manifestement celles de simples greffi ers.

Actes contresignés par Jean Breton et Gilbert Bayard d’après les ORF et la série X1A.

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Robertet et Bayard ont ainsi ouvert la voie à une modifi cation de la fonction et donc du statut des secrétaires. Sanctionnant cette évolution, leur appellation évolue. Ils deviennent, dès le règlement du 1er avril 1547, secrétaires des commandements et fi nances 162. Ce même règlement confi rme ce que l’on observe déjà dans le rôle de février 1543 à propos de Bayard et Bochetel 163. Il porte en eff et que les quatre secré-taires doivent être présents au Conseil du matin. Toutefois, ils conservent des fonctions rédactionnelles de premier plan. Ainsi, des lettres patentes de 1547 rappellent qu’ils sont établis « pour faire les expéditions et les dépêches de l’État » sur lesquelles ils apposent leur signature après celle du souverain. Il semble qu’ils aient tenus ensemble les registres du Conseil entre 1547 et 1554. Ils tiennent aussi des registres paral-lèles qui ont survécu à partir de 1546. De surcroît, les secrétaires conservent les minutes des lettres ordonnées par le roi ainsi que la correspondance d’État passive. Le 1er septembre 1558, enfi n, apparaît offi ciellement le titre de « secrétaire d’État » à l’occasion de la nomination d’un nouveau secrétaire, Florimond Robertet de Fresnes, pourvu le 1er septembre 1558 de « l’offi ce de notre conseiller et secrétaire d’État et de nos fi nances que souloit exercer feu Me Cosme Clausse ».

Les secrétaires des fi nances révèlent donc la mise en place d’une machinerie d’État cohérente à la fois dans la constitution de dynasties de serviteurs du roi et dans la mise en place d’une bureaucratie puissante dotée d’une mémoire.

Les maîtres des requêtes

Apparus à la fi n du XIIIe siècle, les maîtres des requêtes connaissent au départ une double hiérarchie de clercs et de lais qui disparaît rapidement 164. Au nombre de 6 à l’origine, leur fonction de départ consistait à trancher les diff érends portés devant le roi. Ils vont toutefois considérablement diversifi er leur compétence et leur rôle à la fi n du Moyen Âge est tout à fait essentiel, puisque, comme assesseurs du chancelier, ils jouent le rôle d’intermédiaire entre les organes décisionnels (Conseil) et les offi ciers chargés de rédiger les actes traduisant ces décisions 165. Leur fonction consiste notamment à rapporter les aff aires importantes sur lesquelles le Conseil délibère. Un règlement du 11 juin 1544 prévoit que les maîtres des requêtes servent en alternance, par quartier (trimestre), au Conseil du roi et dans leur tribunal des Requêtes de l’hôtel 166. Leur rôle est celui de rapporteurs présents à chaque fois que le Conseil est sollicité pour se prononcer sur des aff aires particulières. Ils assistent debout et tête nue à ces séances au cours desquelles il leur est possible « d’opiner », c’est-à-dire qu’ils peuvent donner leur avis sur les aff aires en délibération dont ils ont assuré l’examen puis le rapport. Selon le chancelier Olivier, « leur autorité apportait grande conséquence à la suite des opinions 167 ». 8 à la fi n du XVe siècle, ils sont 22 sous François Ier , 55 sous Charles IX et une centaine sous Henri IV 168. Si le sectionnement du Conseil après François Ier les 162. Ces quatre secrétaires des commandements et fi nances sont Guillaume Bochetel , son gendre Claude de L’Aubespine ,

Cosme Clausse et Jean Duthier .163. BnF, ms frçs 3005, fo 109.164. Maïté ETCHEGOURY, Les Maîtres des Requêtes de l’Hôtel du roi sous les derniers Valois (1553-1589), Paris, 1991, p. 20.165. Hélène MICHAUD, La Grande chancellerie et les écritures royales au XVIe siècle, Paris, 1967, p. 80.166. Bernard BARBICHE, op. cit., p. 121.167. Mémoire adressé au cardinal de Lorraine par le chancelier Olivier (AN, KK 625, fo 71). Voir aussi Noël VALOIS,

op. cit., p. XLIX et CXVII.168. Jean-Louis HAROUEL, Jean BARBEY, Éric BOURNAZEL et Jacqueline THIBAUT-PAYEN, op. cit., p. 323.

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en exclut en ne leur réservant un accès qu’à ses formations contentieuses (Conseil privé et Conseil des fi nances, cf. le règlement de 1582), le règne de François Ier correspond à un moment où on les y trouve souvent pour rapporter sur de nombreuses aff aires techniques. Les maîtres des requêtes sont en eff et utilisés pour des missions judiciaires fi nancières, militaires et diplomatiques 169. Le règne de François Ier correspond égale-ment au moment où, pourvus de lettres de commission, certains eff ectuent des inspec-tions en province et bientôt des missions d’autorité au nom du roi.

Toutefois, leur présence au Conseil du matin est tout à fait exceptionnelle. Tout au plus peut-on retenir le nom de certains d’entre eux qui semblent avoir été un peu plus présents que les autres. On retiendra notamment les noms de Jean Caluau , Jean de Langeac , Claude Dodieu , Lazare de Baif ou Charles de Marillac 170.

Le roi maître du Conseil

Le roi au cœur du Conseil

L’analyse du rôle des diff érents conseillers révèle la présence en creux d’un person-nage qui les domine tous et au service duquel ils consacrent l’essentiel de leur énergie. En eff et, une étude du Conseil en revient toujours au roi et à son rôle dans la gestion des aff aires. Plusieurs questions se posent. D’abord, quel contrôle le roi exerce-t-il sur la composition de son Conseil ? Ensuite, une fois le Conseil constitué, dans quelle mesure le roi le contrôle-t-il ? Le fait qu’il ne fasse rien ou presque sans son Conseil, ne signifi e pas forcément qu’il en soit l’instrument. Pour autant, dans quelle mesure en est-il le maître ? Dans quelle mesure est-il libre de suivre ou non les suggestions des experts et des favoris qui le peuplent et qui assurent le suivi des dossiers ? Disons d’entrée de jeu que François Ier a beau ne pas être un roi de dossier, sur le modèle d’un Philippe II d’Espagne , il n’en reste pas moins qu’il a le souci de son autorité et qu’il décide souvent, soit que son Conseil attende l’expression de son opinion pour se prononcer, soit qu’il aille contre les avis de son Conseil. De ce point de vue, il importe de ne pas commettre de contresens sur la conception du pouvoir qui est la sienne. En eff et, une vulgate qui s’appuie sur quelques témoignages contemporains le présente comme un souverain nonchalant qui laisserait le soin des aff aires à quelques favoris et à quelques grands commis. Giustiniano écrit en 1537,

« le roi Très-Chrétien n’aime pas les aff aires ni le souci de l’État, mais plutôt la chasse et les plaisirs […] [Il est] docile à l’avis de ses conseillers 171 ».

Il lui oppose Charles Quint attaché à son labeur et se conduisant « d’après son propre avis ». L’analyse de son successeur, Marino Cavalli , va dans le même sens, qui écrit en 1546 :

« Autant ce roi supporte bien les fatigues corporelles et les endure sans jamais plier sous le fardeau, autant les soucis de l’esprit lui pèsent et il a presque tout remis au révérendissime Tournon et à l’illustrissime amiral [d’Annebault], et il ne répond et

169. Maïté ETCHEGOURY, op. cit., p. 22.170. Voir Cédric MICHON, op. cit., passim.171. Niccolò Tommaseo (éd.), Relations des ambassadeurs vénitiens sur les aff aires de France au XVIe siècle, t. I, Paris,

1838 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France), p. 175.

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ne négocie que selon ce que ces deux-là lui conseillent et veulent. Et s’il venait à faire quelques concessions dans ses réponses aux ambassadeurs, ou à donner des ordres à d’autres (ce qui toutefois arrive rarement) sans avoir consulté ces deux-là, et que ce qu’il ait dit leur déplaise, ils le révoquent, ou plutôt le changent à leur goût 172. »

L’idée du favori gouvernant à la place du prince est un lieu commun des fantasmes sur le principal conseiller. On les trouve chez les diplomates aussi bien que chez les ennemis des favoris. Ainsi, le dernier des 41 chefs d’accusation portés par le juriste Jean d’Asnières à l’encontre d’Enguerran de Marigny à la veille du dimanche des Rameaux 1315 porte

« que il avoit fait commandement aux trésoriers et aux maistres des comptes, que pour mandement que le roy fesist, que ils n’obéissent sé ils ne véoient ainsois son séel 173 ».

On n’est pas très loin de l’analyse de Marino Cavalli . Les choses semblent donc entendues. Pourtant, Cavalli lui-même apporte une précision à la suite de son analyse qui change radicalement l’image de la gestion politique de François Ier :

« Il est vrai que dans toutes les aff aires d’État de la plus haute importance et dans les projets de guerre, Sa Majesté veut que, comme en les autres matières Elle s’en remette à eux, dans celles-ci eux et tous les autres s’en remettent à Elle ; et dans ces cas, il n’est personne de la cour, quelque autorité qu’il possède, qui ait l’audace de Lui adresser un seul mot contraire. »

François Ier est clairement pénétré de l’étendue de son autorité. De la même manière qu’il se plie de bon cœur à l’usage qui lui impose une vie publique tout en sachant à l’occasion se rendre inabordable, voire invisible, il sait, quand il le faut, faire preuve dans l’exercice de son pouvoir de la plus grande fermeté. Brantôme rapporte d’ailleurs que François Ier voue une grande admiration à Louis XI . Il le

« louoit extrêmement, fors qu’il estoit un peu trop cruel et sanguinaire, [car] c’estoit celui qui avoit jetté les roys de France hors de page ».

Selon Brantôme , François Ier considère qu’avant Louis XI « les roys n’estoient que my roys, et n’avoient gaigné encor l’authorité et prééminence

sur leur royaume comme depuis ; mesmes que les estats et courts de parlements se mesloient fort de contreroller et censurer leurs actions, volontez et ordonnances : au lieu que cestuy-cy, assemblant ses estats et courts, ne disoient et ne faisoient rien si non ce qu’il vouloit ; jugeoit, ordonnoit, condemnoit, pardonnoit, absolvoit, le tout à son bon plaisir. Et disoit le roy Françoys qu’ainsy il falloit régner 174 ».

Même si ces propos sont apocryphes, ils illustrent bien l’attitude de François Ier comme, par exemple, la remise au pas du Parlement à laquelle il procède en 1527. On ne sera pas surpris que François Ier agisse de même dans les relations qu’il entretient avec son Conseil. Il est manifestement pénétré de la philosophie de la prise de décision exposée par le général de Gaulle au président Richard Nixon :

172. E. ALBERI, op. cit., I, I, p. 238-239.173. Les Grandes Chroniques de France, Paulin Paris (éd.), Paris, 1837, t. V, p. 217.174. BRANTÔME , Œuvres complètes, Ludovic Lalanne (éd.), Paris, 1864-1882, t. II, p. 346. Cité par Philippe HAMON,

L’argent du roi, Paris, 1994, p. 403.

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« Un jour, de Gaulle m’a fait une confi dence – je crois bien d’ailleurs qu’il a dit la même chose à Kennedy. Il m’a dit : “Lorsqu’il faut prendre une décision, c’est en soi qu’il faut chercher la réponse à apporter, certes il faut écouter l’avis des conseillers, mais, ensuite, il faut décider par soi-même.” Un chef doit pouvoir analyser la situation, avoir la force de caractère et le courage de faire et d’assumer des choix diffi ciles 175. »

Plus proche de François Ier , Machiavel ne dit pas autre chose dans Le Prince :« Un prince prudent doit [choisir] dans sont État des hommes sages, et laisser à

ceux-là seuls qu’il a choisis la voie libre, pour qu’ils lui disent la vérité, et seulement sur ce qu’il leur demande et sur rien d’autre – mais il doit leur demander un avis sur chaque chose – et il doit écouter leur opinion ; ensuite, il doit décider par lui-même, à sa façon 176. »

Louis XIV tient un discours identique à son petit-fi ls Philippe V au moment où ce dernier part régner sur l’Espagne :

« Souvenez-vous que c’est à vous à décider ; mais, quelque expérience que vous ayez, écoutez toujours les avis et tous les raisonnements de votre Conseil, avant que de faire cette décision […]. Je fi nis par un des plus importants avis que je puisse vous donner. Ne vous laissez pas gouverner, soyez le maître, n’ayez jamais de favori ni de premier ministre. Ecoutez, consultez votre Conseil, mais décidez. Dieu, qui vous a fait Roi, vous donnera toutes les lumières qui vous sont nécessaires, tant que vous aurez de bonnes intentions 177. »

Plus proche toujours, mais précédant François Ier cette fois-ci, on pense à l’analyse de l’autorité de Philippe le Bel à laquelle procède Jean Favier qui écrit qu’il a souvent laissé faire ses conseillers, en se contentant de présider les assemblées et en s’accordant toujours le temps de la réfl exion : « Il intervient pour conclure, quand les choses sont au point ». Selon lui, « le roi choisit telle politique, que propose tel conseiller, et cela même fait de ce conseiller l’homme le plus infl uent du Conseil 178 ».

Les exemples ne manquent pas qui soulignent l’autorité de François Ier . Non seulement il est capable de prendre des décisions, mais, en outre, il semble toujours l’emporter. Parfois, sans doute, ses conseillers n’osent pas s’opposer à lui. D’autres fois, ils le font avec une mollesse qui ne permet pas de contrecarrer sa volonté. Sans doute enfi n, conservent-ils tous à l’esprit que c’est le roi qui décide en dernier recours et qu’en cas de désaccord, c’est la volonté du roi qui doit l’emporter. On connaît par exemple la détermination de François Ier décidant de s’engager dans la campagne pour l’élection impériale, contre l’avis de certains conseillers. On sait aussi qu’en septembre 1543, le Conseil est d’avis d’évacuer Luxembourg après en avoir rasé les fortifi cations ; François Ier pourtant, « quelque persuasion qu’on luy feist, demeur[e] en son opinion de garder ceste ville », et se préoccupe ensuite d’assurer le fi nancement de l’approvisionnement de la place 179. L’année suivante, lorsque le roi autorise les175. Richard Nixon. Entretien avec Jean BÉLIARD, De Gaulle en son siècle [Colloque], Fondation Charles de Gaulle,

1991 (http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/de-gaulle-et-le-monde/de-gaulle-et-les-etats-unis/temoignages/richard-nixon.php).

176. MACHIAVEL , Le Prince, Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini (éd.), Paris, 2000, p. 191.177. Mémoire donné par Louis XIV à Philippe V partant pour l’Espagne, le 3 décembre 1700 (publié par C. ROUSSET

dans Correspondance Louis XV -Noailles, I, Paris, 1865, p. 26-33, § 15 et 33).178. Jean FAVIER, Philippe le Bel , Paris, 2005 [1978], en particulier chapitre II, « Le roi en son conseil », p. 25-58

(p. 49 pour la citation).179. Mémoires de Martin et Guillaume Du Bellay , Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini (éd.), Paris, 1908-1919,

4 vol., t. IV, p. 160-161.

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troupes du Piémont à livrer bataille aux Impériaux, ouvrant ainsi la voie à la victoire de Cérisoles (14 avril 1544), il décide de nouveau contre l’avis du Conseil. La scène très célèbre nous est rapportée par Blaise de Monluc dont le récit souligne qu’il cherche à convaincre le roi beaucoup plus que le Conseil 180. Malgré l’opposition frontale du comte de Saint-Pol et, dans une moindre mesure, de Claude d’Annebault , dont le silence est éloquent, le roi décide de suivre l’avis de l’ardent capitaine 181.

Les moyens du roi pour contrôler son Conseil

La question se pose toutefois de la manière dont le roi peut être infl uencé par ses conseillers. C’est d’ailleurs ce qui est implicite dans l’épisode rapporté par Monluc. Le capitaine sous-entend clairement que sa verve gasconne convainc le roi contre la prudence de Saint-Pol. Il ne s’agit pas évidemment de prendre pour argent comptant le plaidoyer pro domo, même talentueux, du mémorialiste. Il n’en reste pas moins que le roi est certainement infl uencé, à l’occasion, par la présentation des dossiers qui lui est faite. Le roi est particulièrement exposé à une telle infl uence sur les dossiers techniques, qu’il s’agisse des questions judiciaires, fi nancières ou religieuses. Pour ne pas subir le joug des techniciens, toutefois, les souverains disposent de moyens divers. Le premier d’entre eux consiste à appeler à son Conseil, en parallèle ou en même temps, des concurrents dont les objectifs ou les points de vue sont opposés ou tout au moins diff érents. Un témoignage touchant Henry VIII est particulièrement intéressant de ce point de vue. Dans une lettre au réformateur Capiton , de juillet 1537, l’archevêque de Canterbury, Th omas Cranmer , rapporte :

« Le roi est le plus rigoureux et le plus vigilant dans toutes les aff aires et a coutume de remettre les livres de cette espèce [livre envoyé par Capiton à Henry VIII] […] à l’un de ses intimes afi n qu’il le lise et qu’il lui donne son avis. Il le communique ensuite à quelqu’un d’autre totalement opposé au parti précédent dans sa manière de penser. Ainsi, une fois seulement qu’il a obtenu leur avis et qu’il l’a suffi samment pondéré […] il fait part de sa décision 182. »

D’ailleurs, dans le cadre des négociations de 1538 avec l’ambassade envoyée par la Ligue de Smalkalde, Henry VIII prend le soin de se faire conseiller par Cuthbert Tunstall , évêque conservateur de Durham. Dans cette aff aire, la détermination du roi d’Angleterre à disposer des conseils d’un prélat non acquis à la cause protestante est attestée par le fait qu’il n’hésite pas à faire revenir à cette occasion Tunstall des marches écossaises, où il occupe les fonctions de président du Council in the North 183. Henry VIII se libère ainsi de sa dépendance à l’égard des clercs trop favorables aux idées réformées 184.180. Sur cet épisode des Commentaires, voir Paul COURTEAULT, Blaise de Monluc historien. Étude critique sur le texte

et la valeur historique des « Commentaires », Paris, 1907, p. 152-155. Il montre notamment comment certains détails, qui concourent à la dramatisation de l’épisode, sont absents de la rédaction primitive.

181. François Ier n’est pas isolé dans cette pratique : on connaît également les exemples de Charles VIII imposant à ses conseillers la descente en Italie ou d’Henri II imposant la paix dans la péninsule italienne à des conseillers hostiles.

182. Lettre citée (dans une traduction anglaise) par Diarmaid MACCULLOCH, Th omas Cranmer : a life, New Haven/Londres, 1996, p. 183.

183. Sur l’implication de Tunstall dans ces négociations, voir Rory MCENTEGART, Henry VIII, the League of Schmalkalden and the English Reformation, Londres, 2001, p. 116-133 et Diarmaid MACCULLOCH, Th omas Cranmer …, p. 218-221 et Public Record Offi ce [cité PRO], SP 1/133, fo 204 (LP, t. XIII/I, p. 466, no 1267, et SP, t. V, p. 128).

184. Sur l’utilisation de théologiens dans la diplomatie anglaise de la décennie 1530, voir Luke Mac Mahon, Th e Ambassadors of Henry VIII, 1509-47, thèse inédite de l’université du Kent, 1999, p. 109-110. Sur Robert

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François Ier , dans sa gestion de la diplomatie à l’égard des princes protestants, utilise une méthode assez proche. La grande question de la diplomatie française de la décennie 1540 est en eff et celle du positionnement du royaume entre l’Angleterre et l’Empire et celle de son attitude à l’égard des princes protestants allemands. Dans cette perspective, François Ier choisit de mettre en concurrence deux politiques d’alliance avec les princes allemands, incarnées par deux de ses conseillers. L’une, a-confession-nelle, est préconisée par le cardinal François de Tournon , qui entend, avant tout, contrarier les intérêts de l’empereur en Allemagne ; l’autre, politico-religieuse, vise le même objectif mais encourage en même temps le dialogue religieux. Elle s’appuie notamment sur les réseaux allemands du cardinal Jean Du Bellay 185.

On observe ainsi durant la décennie 1540 un chassé-croisé d’infl uences entre les deux cardinaux et les deux politiques, qui sont souvent menées en même temps. En juin 1540, par exemple, François Ier envoie Lazare de Baïf à la diète de Haguenau, avec pour mission offi cielle d’encourager la recherche d’un accord entre catholiques et protestants, dans un esprit cher à Du Bellay. Sa mission offi cieuse, toutefois, consiste, avant toute autre chose, à ruiner la position de l’empereur et à s’eff orcer de gagner les princes protestants au roi de France :

« Monsieur de Bayf, a vous parler ouvertement, entendez que le plus grant service que vous me sçauriez faire, comme je vous ay dernièrement escript, ce sera d’avoir bien l’œil a ce que a la dyette la ou vous estes il ne se face, conclue, ny arreste chose qui puysse estre au bien, prouffi t et utilité desditz empereur et roy des Rommains, ny de leur grandeur et advantaige […] et sur tout mectez peine de bien entretenir tous mes amys, et de m’en gaigner encores de nouveaulx, s’il est possible 186. »

Par son esprit, cette lettre relève clairement de l’infl uence de Tournon. Par la suite, le cardinal fait d’ailleurs dire par Barnabé de Voré, lors du colloque de Worms, à la fi n de 1540, que le roi de France n’entend pas négocier sur le point de l’orthodoxie religieuse. Dans l’immédiat, pourtant, Jean Du Bellay , pour renforcer la dimension théolo-gique des relations franco-allemandes, fait envoyer Sleidan à Haguenau, secrètement et à l’insu de Lazare de Baïf , pour solliciter des Allemands l’envoi d’une ambassade en France 187. Il semble établi que Du Bellay agit de son propre chef dans cette aff aire. Le conseiller échappe alors au contrôle de son souverain. Le roi dispose dans ces cas-là d’une arme imparable : le retrait de la faveur 188. C’est d’ailleurs ce qu’il advient comme en témoigne une lettre de Guillaume Du Bellay à Montmorency de janvier 1541 :

Barnes, voir J. P. Lusardi (éd.), « Th e Career of Robert Barnes », dans Th e Complete Works of St. Th omas More , Yale, VIII, III, p. 1387-1392.

185. Michel FRANÇOIS, Le cardinal François de Tournon , homme d’État, diplomate, mécène et humaniste, Paris, 1951, p. 176-183 et Jean-Daniel PARISET, Les relations entre la France et l’Allemagne au milieu du XVIe siècle, Strasbourg, 1981 p. 32.

186. Bnf, ms frçs 3020, fo 77 ; Lucien PINVERT, Lazare de Baïf (1496 ?-1547), Paris, 1900, p. 70-77 et 117-119.187. Lucien PINVERT, op. cit., p. 75-76, et Hermann Baumgarten (éd.), Sleidans Briefswechsel, Strasbourg, 1881, p. 6

et 28.188. L’analyse de Pierre-Roger GAUSSIN, « Les conseillers de Charles VII (1418-1461). Essai de politologie historique »,

Francia, 10, 1982, p. 103 est de ce point de vue éloquente, qui évoque le jeu des infl uences par lesquelles s’affi rme l’absolutisme royal : « Les Armagnacs dominent, le roi les abandonne, ils tombent ; la Tremoille l’emporte, le roi retire de lui sa main protectrice, il disparaît ; Richemont croit tenir le pouvoir, en 1425, puis en 1433, mais le roi ne le supporte guère, l’infl uence du connétable s’estompe ; le duc de Bourbon croit se hisser au sommet, l’échec de la Praguerie devant la résolution du roi l’en précipite. Ceux qui demeurent, ce sont les plus habiles, ceux qui s’avancent à pas feutrés et savent rester à leur place, sans en prendre trop pour pouvoir donner de l’ombrage au roi : Charles d’Anjou, Dunois , Gaston de Foix , sans parler de ceux qui doivent tout au roi au point que celui-ci

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« Aucuns mes amys de par dela m’ont escript qu’il leur avoyt esté defendu de par le roy qu’ilz n’escripvissent plus riens a mon frere ni a moy, mais principalement a mon frere 189. »

Le roi conserve toutefois en réserve les contacts de Du Bellay. En novembre 1545, la situation ayant évolué en Allemagne, le roi lui demande de relancer ses réseaux allemands 190. Le triomphe de Du Bellay est toutefois de courte durée. À la mi-décembre, les négociations d’Ardres entre Français et Anglais, autour des médiateurs allemands, échouent 191. Plus rien de concret ne se passe jusqu’à la fi n du règne. Quoi qu’il en soit, dans cette aff aire, le roi montre une bonne maîtrise de ses conseillers. Si le réseau allemand de Du Bellay est privé d’effi cacité lorsqu’il ne dispose pas du soutien royal, cela n’empêche pas le cardinal de vouloir lui donner sa propre orientation. Ainsi, il apparaît clairement que le roi entend rester maître du jeu et que, par conséquent, la décision lui appartient toujours. Du Bellay, en tant que conseiller spécialiste des aff aires allemandes, ne joue pas un rôle plus important dans le processus de décision que le cardinal de Tournon . Les limites de la marge de manœuvre des spécialistes dans le processus de décision apparaissent ici clairement.

Enfi n, il est souvent diffi cile de savoir quelle est l’intensité des convictions des conseillers du roi et dans quelle mesure les serviteurs du roi n’endossent pas un person-nage qui n’est pas le refl et d’une position personnelle, mais plutôt le témoin d’un souverain metteur en scène distribuant les rôles pour chaque public. Il y a ainsi le philo-papal (Lorraine), le philo-protestant (Du Bellay), le philo-anglais (Du Bellay), etc. et quelques conseillers polyvalents (Chabot , Tournon, Annebault). Un tel fonctionne-ment rassure les interlocuteurs en les persuadant qu’ils disposent d’un cheval de Troie dans la place et leur permet d’entendre ce qu’ils désirent entendre 192. Ce pseudo-allié envoie des signes favorables, même lorsque les positions défendues offi ciellement sont contraires. Il n’est pas pour autant un traître ou un indépendant. Il joue le rôle que le roi lui demande de jouer. Lorsque le souverain ou le contexte décident de réorienter la politique, le sérieux avec lequel il a joué son personnage le désigne pour reprendre les négociations. La situation est résumée de façon limpide dans le cadre de négociations franco-anglaises par le secrétaire Bayard dont les propos sont rapportés par Stephen Gardiner , évêque de Winchester :

« Comme je [Gardiner ] leur parlais [aux envoyés de François Ier ] avec franchise, je fus […] qualifi é de mauvais Français. Bayard me dit qu’il m’aimait d’autant plus pour ma franchise […] “on m’appelle le pire des impériaux, et je suis”, ajouta-t-il, “unique-

ne peut voir dans leur pouvoir que le refl et du sien : Bureau, Jouvenel, Chevalier, Estouteville , Bueil et Villequier, celui-ci enchainé de curieuse façon par son mariage avec la maîtresse du roi. »

189. Bnf, ms frçs 3020, fo 68.190. CCJDB, III, p. 328 (Guy de Marillac à Jean Du Bellay , Compiègne, 21 novembre 1545). Sur tout cet épisode,

voir Cédric MICHON, « Conseils, conseillers et prise de décision sous François Ier », dans La prise de décision en France (1525-1559), études réunies par Roselyne Claerr et Olivier Poncet, Paris, 2008, p. 21-27.

191. Michel FRANÇOIS, op. cit., p. 201 ; BnF, ms frçs 3921, fo 75 ; ibid., ms latin 8584, fo 4 ; ibid., ms frçs 3921, fo 62 ; ibid., ms latin 8584, fos 5-9. Voir sur le projet d’une médiation allemande, Rory MCENTEGART, Henry VIII, the League of Schmalkalden…, op. cit., p. 208-211.

192. Voir sur ces questions les travaux de Retha M. WARNICKE, « Family and kinship relations at the Hernician court: the Boleyns and Howards », in Tudor Political Culture, Dale Hoak (éd.), Cambridge, 1995, p. 46-48, qui montrent comment le duc de Norfolk , lorsqu’il affi rme à l’ambassadeur de l’empereur qu’il est hostile au mariage de sa nièce Anne Boleyn avec Henri VIII , ne fait que dire à celui-là ce que le roi veut lui faire croire, et ce qu’il est tout disposé à entendre.

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ment le serviteur de mon maître” [“my masters servaunt oonly”] […] je ne peux pas supporter un homme qui favoriserait les aff aires d’un autre prince que son maître 193. »

Il apparaît donc que le roi est tout au long de son règne le maître de son Conseil. Pour autant, le roi est évidemment assisté dans ses prises de décision par les conseils de techniciens, du droit et des fi nances et par les conseils d’individus que la faveur royale a appelé auprès du souverain et qui, ni « lieutenant » ni chefs de l’exécutifs, assistent le roi dans ses prises de décisions tout en étant en permanence bien conscients de la place qui est la leur, au second rang après le roi et dans une dimension qui n’est pas celle de la souveraineté. Il est temps de s’intéresser aux principaux d’entre eux.

Les conseillers de François Ier

Diffi cultés d’établir une liste des conseillers du matin

Problèmes pratiques

L’évolution du Conseil au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge témoigne de la plasticité de l’institution. Elle souligne combien les institutions royales sont vivantes. Les évolutions des structures, des compétences et de la composition du Conseil montrent bien ses facultés d’adaptation et le fait qu’il est là pour servir au mieux les intérêts de l’État, lorsque le roi est fort ; de la société politique, lorsque le roi est faible.

La tâche se complique pour l’historien lorsqu’il s’attaque à la question de la compo-sition du Conseil du matin. Pour le règne de François Ier , encore une fois, le seul texte normatif dont on dispose est le rôle de 1543 qui souligne très clairement la volonté de diviser le Conseil en deux, avec d’une part ce qui relève des aff aires de fi nances (et vraisemblablement des aff aires politiques et diplomatiques en général), et d’autre part ce qui relève des « requêtes ». Une distinction est alors faite entre ceux qui assistent aux deux Conseils et ceux qui ne participeront qu’aux requêtes, « s’ils le veulent ». L’objet de ce livre est d’essayer de faire le tour de l’ensemble de ceux qui participent au premier Conseil tel qu’il est défi ni en 1543 par ce rôle. Il est en eff et vraisemblable que la tentative de normalisation dont relève ce rôle de 1543 intervient après une pratique de ce type déjà ancienne. Quoi qu’il en soit, on en est encore à quelque chose de très offi cieux. Il n’y a pas, par exemple, pour le règne de François Ier de notion juridique du conseiller. Il n’y a ni gage ni pensions (cf. plus bas).

L’histoire des Conseils est diffi cile à écrire en grande partie du fait qu’avant le règne d’Henri II, les sources sont peu nombreuses, notamment les procès-verbaux et les règlements 194. Jusqu’à ce règne, le Conseil est en eff et faiblement institution-nalisé. L’histoire à laquelle procède ce livre est donc celle de la période qui précède 193. SP X, p. 675, Gardiner , Th irlby et Carne à Henri VIII , 11 novembre 1545.194. Voir par exemple le règlement du 3 avril 1547 (AN, KK 625). Il semble bien que le Conseil ait eu des Procès-

verbaux réguliers au XVe siècle puisque nous avons conservé un registre du Conseil de Régence de Charles VIII pour l’année 1484-1485 et qu’il est fait mention, de manière éparse, de l’existence de registres du Conseil étroit (voir par exemple l’édit du 24 juillet 1527 et le règlement du 11 novembre 1528, ORF, nos 463 et 497). Toutefois, ces quelques exemples sont l’exception et il n’y a pas de série régulière avant 1594. Pour le Conseil Privé, nous avons des fragments pour les années 1547-1554, 1563-1567 et 1578-1593. Pour le Conseil des fi nances, quelques fragments pour les années 1566-1569 et 1582-1586. Voir l’introduction de Noël VALOIS dans Inventaire des arrêts du Conseil d’État et Roger DOUCET, op. cit., p. 132.

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immédiatement la première formalisation d’un organe essentiel de gouvernement. De surcroît, les sources dont on dispose posent toutes des problèmes spécifi ques. Les règle-ments immédiatement postérieurs à la séquence chronologique qui nous retient ici se contentent sans doute la plupart du temps de consacrer une réalité existante depuis quelque temps. Les autres sources, indirectes (rapports d’ambassadeurs, mémoires) posent d’autres types de problèmes.

Il est donc nécessaire pour les besoins de l’analyse de procéder à une construction historique, tout en gardant bien à l’esprit que le Conseil de François Ier n’est pas une réalité institutionnelle comparable au Conseil d’en haut de Louis XIV par exemple. Le Conseil des aff aires tel qu’il existe sous François Ier n’est pas une institution reine. C’est au contraire une institution très mouvante. Ainsi, il arrive, on l’a vu, que le Conseil se réunisse une première fois après le déjeuner pour traiter d’aff aires générales, puis, une deuxième fois, après le dîner en début d’après-midi pour traiter des aff aires de guerre, pendant que le Conseil privé se tient avec d’autres conseillers 195. Il ne s’agit pas pour autant d’un autre Conseil, mais d’une confi guration particulière de ce Conseil des aff aires 196.

On dispose de quelques indications de mentions dans les ordonnances des rois de France lorsqu’il est écrit « Par le roi en son Conseil où estoyent… ». On dispose ensuite des rapports d’ambassadeurs qui évoquent la présence de tel ou tel au Conseil du roi. Il est important pour eux de savoir qui prend les décisions et à qui s’adresser pour avancer les aff aires du prince qui les envoie. Toutefois, les ambassadeurs ne sont pas là pour donner des descriptions institutionnelles. Ils sont là pour savoir à qui s’adresser et de ce point de vue toutes les approches institutionnelles qu’ils peuvent fournir à l’historien méritent d’être examinée avec la plus grande circonspection et en aucune manière ne doivent être prises pour argent comptant. Cela est d’autant plus vrai que les ambassadeurs voient les choses de manière déformée et qu’ils utilisent un vocabulaire qui permet des similitudes avec ce qu’ils connaissent.

Matteo Dandolo évoque ce Conseil des aff aires qui se réunit le matin et dont il esquisse la composition :

« Sa Majesté a aussi son Conseil très secret, qui s’appelle les aff aires [et que Dandolo oppose au Conseil étroit – le Conseil de l’après-midi], auquel sont présents la sérénis-sime reine Marguerite de Navarre sa sœur, qui, pour cette raison doit se trouver en tout lieux où se trouve Sa Majesté […], le sérénissime roi de Navarre son époux, quand il est à la cour, monsieur l’amiral [Chabot ], monsieur d’Annebaut, le révérendissime [cardinal] de Lorraine et monsieur le Dauphin, sans aucun secrétaire 197. »

Si Dandolo semble bien saisir le principe du Conseil des aff aires, la composition qu’il propose comprend toutefois de nombreuses erreurs et il semble bien qu’il ait généralisé une situation qu’il n’a pu observer sans doute qu’une seule fois. Tout d’abord, la présence de Marguerite de Navarre et de son mari au Conseil du matin semble avoir été exceptionnelle. Ensuite, l’absence systématique des secrétaires est

195. LP, XVII, p. 149 no 269, William Paget à Henri VIII , Rivière, 24 avril 1542. Le Conseil réuni après le dîner pour traiter de questions militaires réunit le roi, le chancelier, l’amiral Chabot , Claude d’Annebault « and three of his generals, as they call them here », vraisemblablement Galiot (artillerie), Brissac (chevau-légers) et le père de ce dernier, René de Cossé (gens de pied).

196. François NAWROCKI, thèse citée, p. 522.197. Eugenio ALBERI, op. cit., I, t. IV, p. 33-35.

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surprenante. On a vu que la réforme d’Henri II du 1er avril 1547, à l’origine des secré-taires d’État, institutionnalise le rôle politique essentiel, et déjà ancien, des secrétaires. Enfi n, aucun commentaire n’est fait sur l’absence du cardinal de Tournon qui constitue pourtant l’un des piliers de ce Conseil. L’absence du chancelier mériterait également un éclaircissement de la part de l’ambassadeur.

La fausse piste des lettres de retenue, des pensions et des gages

Comment faire pour établir la composition du Conseil avec une certaine fi abilité puisqu’on en est encore à quelque chose de très offi cieux ? Il n’y a pas, par exemple, au début de l’époque moderne, contrairement à ce que l’on évoque parfois, de notion juridique du conseiller. Il n’y a d’abord ni gages ni pensions pour les membres du Conseil du matin. Tout au plus trouve-t-on à l’occasion pour certains secrétaires la mention de pension, généralement de 2 000 livres tournois, mais il s’agit sans doute de gages liés à leur participation au Conseil privé 198. Manifestement, la rémunération des conseillers passe aussi par des cadeaux exceptionnels de nature diverse. Ainsi en 1534, François Ier distribue vingt-trois bourses de velours incarnat brodé contenant chacune cent jetons d’argent « à messeigneurs les Daulphin, ducs d’Orléans et d’Angoulesme, et aux princes, seigneurs et autres offi ciers qui sont et assistent ordinairement au Conseil privé du dit seigneur 199 ».

De la même manière, contrairement à ce qui est écrit parfois, il n’y a pas de lettres de retenue pour le Conseil des aff aires, ce qui d’ailleurs irait à l’encontre de l’idée que le roi appelle qui il veut en son Conseil. En eff et, les conseillers sont appelés au coup par coup ; ils ne sont pas nommés et peuvent être révoqués quand le roi le veut ; il lui suffi t de ne pas les convier. Les quelques lettres de retenue dont on a conservé la trace concernent sans doute les conseillers qui participent au Conseil privé du roi, mais non au Conseil des aff aires 200. On trouve des traces de ces lettres de retenue dès le début du XIVe siècle 201. Sous Charles VII et sous Louis XI , les protocoles des notaires du roi fournissent diff érents modèles de retenues du Grand Conseil, les unes donnant le chiff re des gages, les autres en renvoyant la fi xation à une époque ultérieure, toutes confi ant au chancelier le soin de recevoir le titulaire 202. Les quelques lettres de retenue dont on dispose pour le règne d’Henri II concernent très clairement le Conseil privé, de l’après-midi, et non le Conseil étroit du matin. D’après Noël Valois, sous Henri II, les nominations se font par le moyen de lettres scellées, mais on prend alors l’habitude de dresser, après la réception, un brevet sous forme indirecte, signé par un secrétaire d’État. On peut en donner deux exemples concernant d’abord le futur maréchal de Vieilleville , puis le sieur d’Urfé :

198. On trouve trace d’une pension de 2000 lt pour Philibert Babou (cf. notice Philibert Babou du présent ouvrage) et pour Gilbert Bayard (Perrenot à Charles Quint, Amiens, 2 octobre 1544, ÖStA, Frankreich, Varia, Karton 3, fos 191-195 vo).

199. « Extraits des comptes de dépenses de François Ier » dans Archives curieuses de l’histoire de France, Cimber et Danjou (éd.), Ie série, t. III, p. 90.

200. Des lettres de retenue ont ainsi été rédigées pour Ymbert de Batarnay le 1er juin 1468 qui demandent au chance-lier de recevoir son serment et de l’« appeler en noz conseilz et aff aires » (B. DE MANDROT, Ymbert de Batarnay, seigneur du Bouchage , Paris, 1886, p. 295-296).

201. Noël VALOIS, op. cit., p. CX-CXI qui en cite quelques exemples.202. BnF, ms frçs 5024, fos 58 vo, 60 vo ; BnF, ms frçs 14351, fos 32 vo, 33 ro ; BnF, ms frçs 5727, fo 68 ro.

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« Alors, le Roi prit des mains de M. le Chancelier les lettres d’état de conseiller du Roi en son Privé Conseil au nom de M. de Vieilleville , toutes scellées, et les lui donna, disant : “Je vous honore de cest estat, monsieur de Vieilleville, pour aulcunement cognoistre vos bons services, et ce, pour ung commencement de quelque remunération, m’asseurant que vous m’y servirez aussi fi dellement comme vous avez faict en tout ce que le feu roy, mon seigneur et père, et moy, vous avons jamais commandé ; et pour ce que vostre suffi -sance et valeur, prudence et fi délité, me sont assez cognues, je n’en vouldrois nullement prendre le serment de vous ; mais estant ceste forme et usance en tel cas accoustumée, et de toute ancienneté observée, monsieur le chancelier, faictes lever la main.” Et cepen-dant entra en la chambre de la Royne. Le serment presté, M. de L’Aubespine l’endossa bientost sur ces lettres sur le champ ; et entrerent en ladicte chambre, de laquelle Leurs Majestez estoient prestes à sortir.

Mais auparavant le Roy dist à M. de Vieilleville à part, qu’il estoit venu coucher là exprès pour oster à ung chacun l’oppinion que d’aultre que de luy, et de son propre mouvement, il avoit esté promeu à ceste dignité ; car si cela fust advenu en sa chambre, tout le monde eust pansé que la faveur du mareschal de Saint-André y fust intervenue ; mais il vouloit que l’on creust qu’il n’avoit eté convié à l’honorer de ce grade que par soy-mesme, et du désir qu’il avoir de l’advancer en recognoissance de ses merites […] [Vieilleville] s’adresse alors au Prince de La Roche-sur-Yon pour le supplier] de continuer ceste bonne volonté, ayant plus que jamais besoing de son assistance, car il falloit combattre deux des plus maulvais et dangereux garçons de toute toute la Cour. Et le pressant le prince, comme desja tout esmeu de colere, de les luy nommer, M. de Vieilleville ne luy peut donner la bourde toute entiere ; car, forcé de rire, il luy nomma M. le chancelier et M. de L’Aubespine, luy monstrant tout aussitost ses lettres d’estat de conseiller du privé conseil, avec son serment desja endossé ; et luy discourut tout au long comme toutes choses avoient passé, sans oublier le très honneste langaige que le Roy lui avoit tenu, qu’il estimoit plus que tout le reste 203. »

Clairement, le futur maréchal de Vieilleville est appelé au Conseil privé c’est-à-dire au Conseil de l’après-midi, sorte de Conseil élargi dépourvu d’infl uence politique. Un autre exemple concernant le sieur d’Urfé va dans le même sens :

« Aujourd’hui, XIIIe jour de janvier, l’an mil cinq cens cinquante ung, le Roy estant à Blois en son Conseil du matin, ouquel MM… estoyent presens, le sieur d’Urfé , cheval-lier de l’ordre dudict seigneur, gouverneur des personne et maison Mgr le Daulphin, a esté receu au serment et institué en la place et estat de conseiller du Roy en son Conseil Privé, auquel il a esté retenu, pour en joïr aux honneurs, auctoritez, prerogatives, preeminences, franchises, libertez, gaiges, pensions, droictz, proffi ctz et emolumens qui y appartiennent, comme les autres ses semblables. Et m’a commandé ledit seigneur luy en expedier ce present acte de retenue et reception qu’il veult estre enregistré au registre de son Conseil privé. Du Th ier 204. »

Là encore, une distinction est implicitement faite entre Conseil du matin et Conseil privé. On notera en passant que ces deux exemples évoquent le serment. On en a la trace depuis au moins 1269 205. Le serment de conseiller est reçu soit par le roi, soit par le chancelier, soit par une personne déléguée à cet eff et. Mais en aucune manière

203. François DE SCEPEAUX, sire DE VIEILLEVILLE , Mémoires et vie, Michaud et Poujoulat (éd.), Paris, 1838, t. IX, p. 117-118.

204. BnF, ms frçs 18153, fo 299 ro (Noël VALOIS, op. cit., p. CXI).205. Ibid., p. CXI.

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le serment n’existe pour les membres des Conseils politiques sous François Ier 206. Concrètement, cela signifi e que plus les conseillers sont infl uents politiquement, moins ils ont laissé de traces administratives.

Les conseillers des rois de France de Charles VII à Louis XII

On dispose pour le siècle qui précède le règne de François Ier des recherches de Pierre-Roger Gaussin et de Mikhael Harsgor sur les conseillers de Charles VII à Louis XII . Que nous disent-elles ?

Les conseillers de Charles VII

Pierre-Roger Gaussin a recensé l’ensemble des conseillers de la période 1418-1461 207. La première information qui ressort de son étude est la dimen-sion honorifi que du titre de conseiller 208. Ainsi, sous le règne de Charles VII , sur 370 personnages qui portent le titre de conseiller, seuls 283 (76 %) ont réellement siégé et beaucoup d’autres n’ont siégé qu’occasionnellement. Ainsi, seuls 95 (36 %) ont siégé au moins 6 trimestres (un an et demi) et seuls 50 (13,5 %) ont siégé au moins 12 trimestres (trois ans).

Par ailleurs, on connaît l’origine géographique de 232 conseillers de Charles VII . Les gros contingents viennent des pays de la Loire (55 viennent de Touraine, d’Anjou, de l’Orléanais et du Berry), du Centre (38 viennent du Bourbonnais, du Forez, de l’Auvergne, du Limousin, de La Marche et du Rouergue), de l’Ouest (21 viennent du Poitou et de l’Angoumois). Cela n’est pas surprenant si l’on se rappelle qu’il s’agit des pays demeurés en mains royales, ou de ceux où l’infl uence du souverain est appuyée par des princes fi dèles. La région parisienne et la Normandie fournissent respectivement 23 et 18 conseillers. La géographie politique du Conseil révèle donc les espaces terri-toriaux sur lesquels le souverain peut s’appuyer.

On ne connaît avec certitude l’âge que d’une minorité de conseillers 209. On sait que 58 (73 %) ont siégé au Conseil pour la première fois entre 20 et 50 ans. On observe une diff érenciation des situations en fonction des origines sociales : les princes sont appelés au Conseil nettement plus jeunes que les roturiers. On observe également un vieillissement du Conseil au cours du règne.

L’origine sociale des conseillers est bien connue. On compte 63 princes, comtes et vicomtes (22 %), 25 seigneurs (9 %), 94 nobles (34 %) et 100 roturiers (35 %). Si l’on s’en tient aux 49 conseillers les plus infl uents sous Charles VII , on compte 12 princes, comtes et vicomtes (24 %), 23 nobles (47 %) et 14 roturiers (29 %). En découpant les diverses phases du règne par période de 5 à 10 ans (période armagnaque, époque dominée par La Tremoille, période angevine, époque de Brézé, époque de 206. On signalera à titre indicatif qu’aucun des auteurs du présent ouvrage n’a trouvé dans ses recherches de mention

de lettres de retenue, de pensions ou de serment pour aucun des conseillers sur lesquels ils ont eff ectué leurs recherches.

207. Entre 1418 et 1422, Charles VI est toujours roi de France, mais Charles, dauphin, qui a fui Paris aux mains des Bourguignons, s’est proclamé régent du royaume.

208. Pour tout ce passage sur les conseillers de Charles VII , voir Pierre-Roger GAUSSIN, « Les conseillers de Charles VII (1418-1461). Essai de politologie historique », Francia, 10, 1982, p. 67-130.

209. 9 (11 %) l’ont été à moins de 20 ans, 18 (22 %) l’ont été entre 20 et 30 ans, 17 (22 %) l’ont été entre 30 et 40 ans, 23 (29 %) l’ont été entre 40 et 50 ans, 11 (14 %) l’ont été entre 50 et 60 ans, 2 (2 %) l’ont été à plus de 60 ans.

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la victoire), Pierre-Roger Gaussin observe la domination à chaque époque de 10 à 20 principaux conseillers. Enfi n, Pierre-Roger Gaussin observe la pérennisation du personnel politique 210.

Les conseillers de Louis XI

Sous le règne de Louis XI , la réalité est assez proche. Sur 462 personnages qualifi és de conseillers du roi, seuls 155 (33 %) ont été présents à au moins 3 séances du Conseil. Si l’on retient ceux qui semblent avoir occupé une position politiquement infl uente, ils ne sont plus que 33 (7 %). Là encore, ce sont les nobles qui constituent numériquement le contingent le plus important, avec quelques variantes (entre les deux cinquièmes et la moitié des conseillers). Le début du règne correspond à une augmentation du nombre de bourgeois, tandis qu’aux lendemains de la Ligue du Bien Public, les nobles reprennent l’avantage. Sur l’ensemble du règne, on compte 63 princes, comtes et vicomtes (15 %), 162 nobles (38 %) et 204 roturiers (47 %). Princes et nobles diminuent en proportion (respectivement de 22 à 15 % et de 43 à 38 %), tandis que les roturiers augmentent (de 35 à 47 %). Sur les 33 conseillers les plus importants, 7 sont des princes, comtes ou vicomtes (21 %), 14 sont des nobles (42 %), 12 des roturiers (37 %). Là encore, la proportion des princes et des nobles baisse, tandis que celle des roturiers augmente. D’un point de vue institutionnel, et non plus social, cela veut dire que, parmi les principaux conseillers de Louis XI, 42 % sont des grands commis, et 33 % sont des familiers.

Géographiquement, le règne de Louis XI correspond à une confi rmation de la domination ligérienne et centrale ce qui ne saurait surprendre puisqu’il s’agit des deux régions contrôlées par les maisons princières qui se trouvent être en même temps les plus proches de la monarchie, à savoir les maisons d’Anjou et de Bourbon. On observe toutefois une progression relative des conseillers venus des Flandres et du Languedoc. De leur côté, l’Ouest, la Bretagne, les régions de Seine, la Normandie et la région parisienne voient leur contingent diminuer. Enfi n, les travaux de Pierre-Roger Gaussin ont montré que, si plus de 45 % des conseillers de Charles VII ont plus de 40 ans lorsqu’ils entrent au Conseil, ils sont plus de 61 % sous le règne de Louis XI.

Les conseillers de Charles VIII à François Ier

Si le Conseil de régence de Charles VIII élimine 10 des 29 principaux conseillers de la fi n du règne de Louis XI (et en conserve 19 donc), les pressions politiques font monter les eff ectifs du Conseil à 39, avec une répartition à peu près équitable entre partisans des Beaujeu et partisans des princes. Toutefois, le chiff re à retenir est que 66 % des conseillers de Louis XI sont toujours présents au cours du règne suivant.

Pour ses recherches sur le personnel du Conseil de Charles VIII et Louis XII , Mikhael Harsgor s’est appuyé sur 747 témoignages mentionnant les noms des membres du Conseil, en grande partie tirés de la série JJ des Archives nationales. Il en ressort que pendant tout le règne de Charles VIII, puis de Louis XII, un noyau central a dominé le Conseil du roi que les crises politiques ou militaires n’ont pas

210. Ce qui n’empêche pas que l’on compte 20 conseillers destitués (7 %), 8 conseillers arrêtés (3 %) et 3 exécutés.

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sérieusement entamé. On assiste à un renouvellement naturel par décès et changement de génération, mais aussi à une grande continuité. Au début des années 1480, 69,4 % des conseillers de Charles VIII ont une expérience remontant au règne précédent. La continuité est frappante aussi dans le Conseil de Louis XII. 59 % de ses conseillers sont issus du règne précédent et, parmi les conseillers les plus infl uents, seuls 2 sont nouveaux 211. On observe donc une grande continuité autour d’un noyau de conseillers qui restent en place malgré les changements de règne. Ainsi, sous Louis XII, le petit noyau est-il composé du cardinal d’Amboise , de Guy de Rochefort, du chancelier Ganay, de Florimond Robertet , d’Étienne Poncher et d’Ymbert de Batarnay. Les renouvellements au Conseil interviennent selon un processus lent et naturel, par la mort ou la retraite. Nous aurons l’occasion de voir qu’il en va de même pour le Conseil de François Ier auquel il est temps de s’intéresser à présent.

Les conseillers de François Ier

Le Conseil du matin : 50 conseillers en 30 ans

Un dépouillement systématique des Ordonnances des rois de France pour les années 1515 à 1539 et de la série X1A 8613-8615 pour les années 1539-1545 donne les noms de près de 140 conseillers participant au Conseil 212. Parmi eux, si le connétable de Montmorency est mentionné 53 fois et le cardinal de Tournon 48 fois, 45 individus ne sont mentionnés qu’une fois, 21 ne sont mentionnés que 2 fois, 20 sont mentionnés entre 3 et 5 fois. 86 personnes (près de 62 %) sont donc mentionnées moins de 5 fois. Comme pour les périodes antérieures, il est manifeste que le noyau du Conseil est constitué, sur l’ensemble du règne, par quelques dizaines d’individus, une cinquantaine dans le cas précis. La constitution de la liste des principaux conseillers qui nous servira de base de travail est issue d’un traitement à la fois quantitatif et qualitatif des sources dont on dispose.

Si l’on s’en tient à une approche strictement statistique et que l’on retient par exemple les personnages cités plus de 4 fois dans les ORF et la sous-série X1A 8613-8615 des Archives nationales, on arrive à 63 noms. Cette liste appelle quelques commentaires. D’abord, cette approche strictement statistique, dont les chiff res renvoient au Conseil de l’après-midi, ancêtre du Conseil privé, confi rme très largement ce que l’on sait par ailleurs des conseillers politiquement les plus infl uents. La présence en tête des noms de Montmorency , Tournon, Boisy et Brion constitue une illustration chiff rée d’une réalité bien connue. À l’arrivée, seule une poignée de noms peut surprendre (Georges de Vercle , Lazare de Baïf , Charles de Milly , Adam Fumée ). Il s’agit de techniciens dont l’action a laissé des traces dans les décisions prises par le Conseil, davantage en tout cas que l’action de diplomates comme Charles Hémard de Denonville ou Gabriel de Gramont , dont la participation au Conseil sur les aff aires italiennes, cruciales pour

211. Mikhael HARSGOR, thèse citée, p. 438-442.212. En dehors du fait que ces sources oublient certainement les noms de quelques conseillers secondaires, elles

englobent souvent des anonymes dans des formules comme « et autres présents », mais aussi « gens de fi nances ». La série X1A 8615 couvre la période qui va jusqu’en 1547 mais est tellement pauvre pour les années 1546-1547 que les deux dernières années du règne ont été laissées de côté. Les dépouillements des ORF sur lesquels s’appuie cette section ont été eff ectués par Th ierry Rentet. Les dépouillements de la série X1A 8613-8615 des Archives nationales ont été eff ectués par Cédric Michon.

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le règne de François Ier , n’ont pas laissé autant de traces dans les archives qui ont trait au Conseil.

Dans la perspective de l’étude qui est la nôtre, il faut donc améliorer qualitati-vement cette liste de 63 noms en éliminant les participants aux Conseil dépourvus d’infl uence politique et en y ajoutant à l’inverse quelques conseillers qui, sans avoir laissé beaucoup de traces au Conseil, n’en ont pas moins, pendant une courte période, ou sur une question précise, joué un rôle réel de conseiller du roi. On arrive ainsi à un groupe de 54 conseillers.

Du groupe initial des 63 noms cités plus de 4 fois dans les ORF et la série X1A des Archives nationales, 15 noms ont été éliminés. Ont ainsi été supprimés, parmi les secrétaires, ceux qui sont manifestement dépourvus de toute infl uence politique (Delachesnaye , Deslandes , Gedoyn et Claude Robertet ). Ont également été retirés de la liste quelques fi nanciers appelés occasionnellement au Conseil pour traiter des aff aires fi nancières (Guillaume Preudhomme, Georges de Vercle , Adam Fumée ), trois nobles d’épée, conseillers vraiment occasionnels (François de Rochechouart, sr de Champdeniers ; Louis de Brézé ; Gaspard de Châtillon ), des maîtres des requêtes (Lazare de Baïf , Charles de Marillac , Claude Dodieu , Charles de Milly ). Ont été en revanche ajoutés des conseillers eff ectifs, sur les questions militaires au début du règne (Jean-Jacques Trivulce ), très proches de Louise de Savoie au moment de Pavie (Jean de Brinon), des familiers de la duchesse d’Étampes poussés par elle (Antoine Sanguin , Nicolas Bossut de Longueval ), un éphémère garde de sceaux (François de Montholon ), un fi nancier (Philibert Babou ).

Il est clair que cette liste, élaborée collectivement par les auteurs de ce livre, pourrait être discutée à la marge. Quelques exemples préciseront la logique qui a présidé à sa constitution. Un Guillaume Preudhomme par exemple est régulièrement cité sur les aff aires fi nancières et on pourrait discuter de son intégration dans cette liste. Claude de Guise , présent près de Louise de Savoie au moment de Pavie, et intermédiaire du pouvoir par ses responsabilités provinciales, était sans doute écouté à l’occasion par le souverain. Guillaume Du Bellay , spécialiste des aff aires anglaises et allemandes, est également, à sa manière, un conseiller du roi. Pierre Du Chastel , souvent mentionné par les ambassadeurs italiens, animateur du colloque de Melun et protecteur du Collège royal est lui aussi un conseiller occasionnel du souverain sur les questions religieuses et sur tout ce qui touche au Collège royal 213. Pour autant, intégrer ces noms aurait exigé, pour être cohérent, d’en ajouter des dizaines d’autres, notamment parmi les ambassadeurs qui, par leurs fonctions exercent, de fait, le rôle de conseiller et sont souvent amenés, à une occasion ou à une autre, à participer au Conseil en tant qu’expert. Des choix ont donc été faits et des noms éliminés. Nous pensons qu’aucun conseiller majeur n’a été oublié. Quoi qu’il en soit, cette liste ne doit pas faire perdre de vue, une fois encore, la dimension fl uide du Conseil, son absence de rigidité et le fait que dans la pratique, de Blaise de Monluc à Claude Dodieu , des présidents de Parlement aux grands féodaux, le roi n’hésite pas, à l’occasion à appeler à son Conseil tous ceux qui peuvent l’éclairer sur les décisions à prendre ou donner du poids à celles qui ont déjà été prises par lui.

213. AN, X1A 8615, fo 246 (participation de Pierre Du Chastel à une séance du Conseil consacrée au statut des « lecteurs et escripvains es trois langues » [mars 1546]).

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Ce sont donc 54 conseillers qui ont été retenus 214. Ce groupe nous dit beaucoup de choses.

214. Sur le graphique, l’axe des ordonnées donne le nom des conseillers tandis que l’axe des abscisses indique le nombre de mentions de chacun des conseillers dans les ORF et dans la série X1A 8613-8615 des Archives nationales. Par ailleurs, sont en noir les nobles d’épée et en blanc les juristes ainsi que les fi nanciers.

Principaux membres du Conseil de François Ier d’après les ORF, la série X1A des Archives nationales et les rapports d’ambassadeurs (54 noms).

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Un Conseil dominé par les nobles d’épée

L’examen de cette liste souligne la domination des hommes d’épée. Ils sont plus nombreux que les juristes ou les fi nanciers (33 sur 54, soit 61 %) et, qualitativement, ils sont plus importants. Si on laisse de côté les secrétaires, qui, par leurs fonctions, sont cités beaucoup plus souvent que tous les autres, et que l’on retient tous les conseillers mentionnés plus de 10 fois, on trouve 22 noms dont 17 nobles d’épée (77 %). Si l’on s’en tient aux conseillers les plus infl uents, ceux qui, à un moment ou à un autre, ont fait partie du duo ou du trio de tête du Conseil (y compris donc un secrétaire comme Florimond Robertet ), on ne compte que deux techniciens (Florimond Robertet et Antoine Duprat ) pour dix nobles d’épée, clercs ou laïcs (Louise de Savoie , Artus Gouffi er , René de Savoie , Guillaume Gouffi er , Odet de Foix , Anne de Montmorency , Philippe Chabot , Jean de Lorraine , Claude d’Annebault , François de Tournon ).

Sur les 33 nobles d’épée, on ne compte qu’une minorité de princes et grands féodaux, 8 au total, soit 15 % 215. L’écrasante majorité des nobles au Conseil, et en particulier des plus infl uents d’entre eux est constituée par une association d’individus issus de la petite et de la moyenne noblesse (Artus et Guillaume Gouffi er , Anne de Montmorency , Claude d’Annebault , François de Tournon , Jean Du Bellay par exemple). Si certains, comme Montmorency, sont en voie d’aristocratisation, beaucoup d’entre eux ne se survivront pas (Gouffi er, Annebault, Du Bellay parmi d’autres). Cette domination de la noblesse petite et moyenne ne va pas de soi si l’on songe à l’Angleterre d’Henri VIII dont le Conseil est dominé successivement par deux techni-ciens, Th omas Wolsey , fi ls de boucher, puis Th omas Cromwell , fi ls d’aubergiste, qui relèguent nobility et gentry au second rang.

Le Conseil comme point de contact : cinquante conseillers venus de tout le royaume

Un autre élément apparaît clairement à l’examen de cette liste : la cinquantaine des principaux conseillers de François Ier est issue des diff érentes régions du royaume. Là encore, si l’on s’en tient à la dizaine de conseillers les plus infl uents, ceux qui, à un moment ou à un autre ont fait partie du duo ou du trio de tête du Conseil, on compte deux Auvergnats (Florimond Robertet et Antoine Duprat ), deux Poitevins (Artus et Guillaume Gouffi er ), un Saintongeo-Bourguignon (Philippe Chabot ), un Languedocien (Odet de Foix ), deux Savoyards (Louise et René de Savoie ), un Lorrain (Jean de Lorraine ), un Normand (Claude d’Annebault ), un Francilien (Anne de Montmorency ), un Vivarais (François de Tournon ).

Si on élargit à présent aux cinquante principaux conseillers du règne, on confi rme la très grande diversité des origines géographiques des conseillers.

Une observation attentive de la répartition géographique apporte quelques ensei-gnements. On observe tout d’abord une évolution dans les origines géographiques des conseillers de François Ier au cours du règne. Au début, le Conseil est partiellement aff ecté par les origines des Valois d’Angoulême (Artus et Guillaume Gouffi er , Jean Caluau , Louis de La Tremoille, Philippe Chabot pour la partie Angoulême ; Louise de Savoie et René de Savoie pour la partie Savoie). À partir de la fi n de la décennie 1520,

215. Le roi de Navarre ; le duc d’Alençon ; Jean d’Albret ; le duc de Bourbon, connétable ; le duc de Vendôme et les frères de celui-ci, le cardinal Louis de Bourbon et le comte de Saint-Pol .

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on entre dans un balayage géographique beaucoup plus large, avec des représentants de Picardie (les frères Bourbon), de Normandie (Annebault), du Maine (Du Bellay), du Béarn (Gramont , Albret), du comté de Foix (Lautrec), du Vivarais (Tournon), de Bourgogne (Chabot à nouveau), de Lorraine (Jean de Lorraine ). Les juristes et les fi nanciers appartiennent essentiellement à trois régions, quelque soit l’époque du règne : Paris (Brinon, Neufville, Longuejoue , Montholon ), le Massif central et ses contreforts (Robertet, Bohier, Bayard, Duprat, Selve, Du Bourg), la vallée de la Loire (Semblançay, Poncher, Breton, Bochetel , Poyet, Errault).

Le Conseil joue donc un rôle de point de contact entre le centre et les périphé-ries. Le pouvoir royal fait venir à lui des représentants de l’ensemble du royaume qui peuvent ensuite servir d’intermédiaire entre le centre et les périphéries. Cette dimension est confi rmée par le nombre de conseillers qui occupent des fonctions de gouverneur ou de lieutenants de gouverneur, même si l’on observe, au cours du règne, un aff aiblissement de la place des conseillers parmi les gouverneurs (voir les cartes « Conseillers de François Ier gouverneurs de provinces ») 216. Les liens entre le 216. Ces cartes des gouverneurs de province ont été réalisées par Th ierry Rentet.

Origines géographiques des 11 principaux conseillers de François Ier.

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Conseil et l’administration des provinces sont encore plus manifestes si l’on observe les conseillers du roi qui sont lieutenants de gouverneur ou qui ont un frère gouverneur ou lieutenant de gouverneur (Claude de Guise en Bourgogne, Charles de Gramont en Guyenne, François de Montmorency en Île-de-France et en Picardie, Guillaume Du Bellay en Piémont, Claude de Savoie en Provence). Enfi n, à titre indicatif, on peut mentionner la petite quarantaine de baillis et sénéchaux conseillers ou fi ls ou frères de conseillers 217.

217. Une liste non exhaustive fournit les noms de Guillaume Du Bellay à Amiens, Claude Gouffi er à Auxerre, Georges de La Tremoille puis Anne de Montmorency en Auxois, Guillaume de Dinteville à Bar-sur-Seine, Jean Breton à Blois, Jean de Dinteville à Chauny, Antoine puis Guillaume Bohier dans le Cotentin, Jean puis Nicolas de Poncher à Étampes, Claude d’Annebault à Évreux, Jean Babou à Gien, Henri Bohier à Mâcon, Regnaud de Langeac dans les Montagnes d’Auvergne, Antoine Duprat à Paris, Florimond Robertet puis François de Montmorency au Palais, Jacques de Beaune puis Guillaume de Beaune en Touraine, Gaucher puis Jean de Dinteville à Troyes, Artus Gouffi er puis Philippe Chabot en Valois, Claude Gouffi er puis Nicolas Bossut de Longueval en Vermandois, Galiot de Genouillac en Armagnac, Just de Tournon en Auvergne, Henri Bohier à Lyon, François de Green puis Guy Chabot dans le Périgord, Galiot de Genouillac puis François de Genouillac dans le Quercy.

Origines géographiques des 50 principaux conseillers de François Ier (hors fi ls du roi et maîtresse royale).

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Conseillers de François Ier gouverneurs de provinces.

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Un Conseil aux mains d’hommes d’expérience

L’âge moyen du Conseil n’est pas inintéressant non plus. Il oscille sur l’ensemble du règne entre 44 et 51 ans. 218 219 220 221 222 223 224

Année Âge moyen des conseillers Âge de François Ier

1515218 46,5 ans 19 ans

1520219 50,5 ans 26 ans

1525220 47,6 ans 31 ans

1530221 44 ans [37 ans] 36 ans

1536222 45 ans 42 ans

1540223 50 ans 46 ans

1545224 51 ans 51 ans

Pourtant, cet âge moyen assez constant des conseillers s’explique, au fur et à mesure que le règne avance, par des raisons diff érentes. En 1515, le noyau du Conseil est constitué par quelques survivants du règne précédent et quelques nouveaux venus, de la génération de Louise de Savoie . Cinq ans plus tard, on retrouve, grosso modo, les mêmes conseillers… avec 5 ans de plus. En 1525, dans le contexte de Pavie, Louise de Savoie s’appuie sur les mêmes anciens et quelques jeunes féodaux (Charles de Bourbon -Vendôme et Lautrec) pour assurer son assise, d’où un léger rajeunissement de

218. Pour arriver à cette moyenne, ont été retenus les principaux conseillers de cette année (Louise de Savoie , Artus Gouffi er , Antoine Duprat , Florimond Robertet , Neufville, Jean Caluau , Semblançay, René de Savoie , La Palice , La Trémoille). D’autres conseillers ont également participé au Conseil cette année-là, mais, n’ont pas été retenus pour le calcul de cette moyenne en raison de leur rôle secondaire au Conseil (Lautrec, duc d’Alençon , duc de Vendôme , connétable, généraux des fi nances, Chandenier, Antoine Le Viste , Jean d’Albret d’Orval , Bouchage, Hurault, présidents du parlement de Paris, duc de Gueldres, duc Lorraine, Bonnivet, Châtillon , Gedoin, Deslandes , Du Tillet , Petidé, Geneste, Barthélemy, Charbonnier, Maillart, Geuff roy).

219. Principaux conseillers de cette année : Louise de Savoie , Antoine Duprat , Florimond Robertet , René de Savoie , Guillaume Gouffi er , Lautrec, Semblançay. Présents cette année, mais non retenus pour la moyenne : Neufville, Étienne Poncher, Jean de Langeac , Bohier, Gedoyn, Delachesnaye , Deslandes , Bordet, de Besze, Garbot, J. Guiot, De Lautier.

220. Principaux conseillers de cette année : Louise de Savoie , Antoine Duprat , Florimond Robertet , Lautrec, Vendôme, François de Tournon , Jean de Brinon, Jean de Selve . Présents cette année, mais non retenus pour la moyenne : Chabot , Jean de Lorraine , cardinal de Bourbon , comte de Saint-Pol , Bertrandi, Claude de Lorraine , La Barre , comte de Vaudémont, Gedoyn, Jean Breton , Gilbert Bayard , Claude Robertet , Th ierry Fouet dit Dornes.

221. Principaux conseillers de cette année : Louise de Savoie , Antoine Duprat , Philippe Chabot , Anne de Montmorency , François de Tournon , Jean de Lorraine , Jean Breton . Présents cette année, mais non retenus pour la moyenne : Gilbert Bayard , Charles de Bourbon -Vendôme, Galiot de Genouillac, Louis de Bourbon , comte de Saint-Pol , Th éodore Trivulce, Deslandes , Claude Robertet , Th ierry Fouet dit Dorne, Gedoyn, Duvernay.

222. Principaux conseillers de cette année : Anne de Montmorency , Jean de Lorraine , Philippe Chabot , François de Tournon , Jean Du Bellay , Jean Breton , Antoine Du Bourg , Mathieu de Longuejoue . Présents cette année, mais non retenus pour la moyenne : roi de Navarre , Jacques Hurault , Jean de Laval , sr de Chateaubriant, Guillaume Preudhomme, Gilbert Bayard , Guillaume Bochetel , Delachesnaye , Rappouel, Deslandes , Henri duc d’Orléans, Juvineau, Goret , Ruault.

223. Principaux conseillers de cette année : Anne de Montmorency , Jean de Lorraine , François de Tournon , Jean Du Bellay , Charles Hémard de Denonville , Guillaume Poyet , Mathieu de Longuejoue , Jean Breton . Présents cette année, mais non retenus pour la moyenne : Lazare de Baïf , Gilbert Bayard , Guillaume Bochetel , Delachesnaye , Claude Robertet .

224. Principaux conseillers de cette année : Claude d’Annebault , François de Tournon , Hippolyte d’Este , Gilbert Bayard , François Olivier . Présents cette année, mais non retenus pour la moyenne : Antoine Sanguin , Lazare de Baïf , Passy, archevêque de Rouen, évêque d’Albi, L’Aubespine, Delachesnaye , de Neufville, Duthier , Le Picart.

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la moyenne d’âge. En 1530, à la suite de l’hécatombe de Pavie, une nouvelle génération est arrivée et l’âge moyen est tombé à 44 ans (et même à 37 ans – soit l’âge du roi –, si on laisse de côté Louise de Savoie et Antoine Duprat ). En 1536, la génération du roi l’a emporté défi nitivement. Il n’y a plus de conseillers du règne de Louis XII et plus de conseillers de la génération de sa mère. Dans la première moitié du règne donc, le Conseil est aux mains de la génération de Louise et de quelques vieux conseillers d’expérience. Dans la seconde moitié du règne, en revanche, le Conseil est aux mains de la génération de François Ier qui est lui-même devenu un homme d’expérience. La constante est que le Conseil est toujours aux mains d’hommes d’expérience : malgré les apparences, la campagne enthousiaste de Marignan n’est pas décidée par une bande de jeunes conseillers désireux d’en découdre. Elle est voulue par un jeune roi chevalier, mais organisée militairement par de vieux conseillers chefs de guerre (La Tremoille, La Palice , Galiot de Genouillac, le maréchal Trivulce), fi nancée par un vieux fi nancier (Semblançay), négociée par un vieux juriste (Duprat), pendant que, restée au royaume, la mère du roi veille sur la maison France.

La stabilité du personnel du Conseil

Par ailleurs, ces conseillers d’expérience restent assez longtemps au Conseil, avec une moyenne de 6,75 ans pour l’ensemble des 54 principaux conseillers. La moyenne est nettement plus élevée (12,75 ans) si l’on ne retient que la dizaine de conseillers les plus infl uents, ceux qui, à un moment ou à un autre ont fait partie du duo ou du trio de tête du Conseil (Louise de Savoie , Florimond Robertet , Antoine Duprat , Artus Gouffi er , René de Savoie , Guillaume Gouffi er , Odet de Foix , Anne de Montmorency , Philippe Chabot , Jean de Lorraine , Claude d’Annebault , François de Tournon ). Pour ces 12 conseillers, on ne compte qu’une seule disgrâce éclatante (Montmorency), deux brèves disgrâces (Chabot et Montmorency), 7 morts en fonction (Louise de Savoie, Florimond Robertet, Antoine Duprat, Artus Gouffi er, René de Savoie, Guillaume Gouffi er, Odet de Foix, Philippe Chabot, Jean de Lorraine), trois conseillers survivant au roi (Anne de Montmorency, Claude d’Annebault, François de Tournon) et retrouvant sous son fi ls une infl uence de premier plan (Montmorency) ou secon-daire (Claude d’Annebault, François de Tournon). C’est le signe d’une réelle stabilité du Conseil dans son noyau et donc d’une réelle stabilité de l’exécutif. Là encore, la diff érence avec le règne d’Henri VIII est éclatante : deux disgrâces retentissantes (Th omas Wolsey et Th omas Cromwell ), de multiples disgrâces (Th omas More , Stephen Gardiner , Th omas Howard , etc.).

Les réseaux d’accès au Conseil : la maîtrise royale

Il est intéressant également d’essayer de faire apparaître les réseaux d’accès au Conseil. Une fois reconnu que seul le roi décide de qui entre en son Conseil, reste à déterminer qui présente au souverain les candidats. Plusieurs cas de fi gure existent, plus ou moins clairs. La situation la plus simple est peut-être celle des secrétaires, qui, très liés entre eux, se succèdent souvent de père en fi ls, de beau-père à gendre ou d’oncle à neveu. Un autre cas de fi gure normalement assez simple est celui du conseiller-né. S’il s’agit là d’une race en voie d’extinction sous François Ier , elle a encore un certain nombre de représentants.

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C’est ainsi que le roi n’hésite pas à l’occasion à appeler à son Conseil des princes ou des ducs. Quelques-uns d’entre eux sont appelés plus fréquemment que les autres (le roi de Navarre ; le duc d’Alençon ; Jean d’Albret ; le duc de Bourbon, connétable ; le duc de Vendôme et les frères de celui-ci, le cardinal Louis de Bourbon et le comte de Saint-Pol ). Toutefois, à l’exception de ce dernier, aucun d’entre eux n’a de poids politique signifi catif, même le duc de Vendôme au moment de Pavie. Il reste à tous ces grands féodaux la possibilité d’introduire auprès du souverain des nobles de leur clientèle. Très peu d’entre eux parviennent à s’imposer au Conseil. Parmi les rares exemples, on peut citer Jean Du Bellay , élevé chez les Bourbon-Vendôme, mais qui doit l’essor de sa carrière à Montmorency . Ce dernier exemple incite à se demander si les conseillers les plus infl uents sont davantage en mesure que les féodaux de peupler le Conseil de leurs clients. La réponse est claire : seuls deux conseillers y parviennent. Le premier est la mère du roi, Louise de Savoie , qui maintient et soutient au Conseil Florimond Robertet et Semblançay, mais introduit également Artus Gouffi er , François de Tournon , Jean Caluau , Jean de Selve , Philibert Babou , Jean Brinon et Gilbert Bayard , soit 17 % des principaux conseillers du règne. Montmorency est le seul à l’approcher en puissance, qui pousse au Conseil Jean Breton , Jean Du Bellay, Claude d’Annebault , Charles Hémard de Denonville , François de Montholon , Guillaume Poyet , Mathieu de Longuejoue , soit 13 % des principaux conseillers du règne. Chabot ne compte à son actif que Gabriel de Gramont et Claude d’Annebault, qu’il partage d’ailleurs avec Montmorency. On ne peut attribuer à Annebault avec certitude que le parrainage de François Errault , à Duprat que celui d’Antoine Du Bourg et, dans une moindre mesure, de Gilbert Bayard. Quant à la duchesse d’Étampes, c’est péniblement qu’elle amène aux portes du Conseil ses parents Antoine Sanguin et Nicolas Bossut sans jamais leur obtenir beaucoup mieux qu’une antichambre. La composition du Conseil, relève donc véritablement du souverain, même s’il faut reconnaître à Louise de Savoie et à Anne de Montmorency un statut qui s’apparenterait à celui de protecteur du Conseil, statut que l’on ne peut pas appliquer en revanche à Artus Gouffi er, même s’il a poussé son jeune cousin Montmorency, ni à Chabot, Lorraine, Annebault ou Tournon.

Là encore, la situation des secrétaires est à part, avec la fi gure dominante de Robertet chez qui se forment Gilbert Bayard , Jean Breton et Guillaume Bochetel , le premier étant d’ailleurs le neveu par alliance de Florimond Robertet . Si les secrétaires constituent une sorte de vaste parentèle, qu’en est-il pour l’ensemble de la cinquantaine des principaux conseillers de François Ier ? Parmi eux, 18 (35 %) n’ont aucun lien de famille avec les autres conseillers qui ont, eux, des liens de famille les uns avec les autres. Là encore, la parentèle la plus imposante est celle de Montmorency qui est lié avec les Gouffi er, Brinon, La Tremoille, les Dinteville, René de Savoie , et, par là, avec Louise de Savoie et le roi lui-même ! Pour le reste, en dehors de la fratrie Bourbon, liée au roi et aux Lorraine, on compte entre un et deux liens directs (Odet de Foix et son beau-père Jean d’Albret d’Orval ; Nicolas Bossut de Longueval , Antoine Sanguin et la duchesse d’Étampes par exemple). Une fois de plus donc, la place de Montmorency est bien spécifi que. Car sur une cinquantaine de conseillers, seuls 13 ont des relations familiales directes ou indirectes avec le roi et là encore, rares parmi eux sont ceux qui occupent une place de premier plan (René de Savoie ; Louise de Savoie ; Anne de Montmorency ; Charles, connétable de Bourbon ; Charles, duc d’Alençon ; les trois fi ls du roi ; les trois frères de Bourbon ; Florimond Robertet ; Henri d’Albret ).

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Le profi l des conseillers : des hommes du roi, 2/3 d’héritiers et 1/3 de parvenus

La maîtrise du roi dans le recrutement de ses conseillers fait donc de chacun d’entre eux des hommes du roi. Leur profi l social et politique est toutefois divers. En eff et, en lien avec la part dominante des nobles parmi les conseillers du roi, on compte 36 héritiers (67 %) pour 16 hommes nouveaux (30 %). Est ici défi ni comme héritier un conseiller qui doit en partie sa place au positionnement de sa famille au cœur du pouvoir depuis au moins une génération. Est homme nouveau celui qui est le premier membre de sa famille à accéder au cœur du pouvoir. Sont donc des héritiers aussi bien les frères de Bourbon-Vendôme qu’Antoine Bohier dont le père est déjà secrétaire signant en fi nances en 1493-1494, Gilbert Bayard dont le père et l’oncle sont déjà détenteurs de grands offi ces de fi nances, ou François de Montholon , apparenté au chancelier Jean de Ganay . Est en revanche un homme nouveau un gentilhomme beauceron comme Charles Hémard de Denonville , un cardinal issu de la gentilhom-merie moyenne comme Jean Du Bellay , un fi nancier comme Philibert Babou ou un juriste comme Jean de Selve .

On le voit, le pouvoir, dans son noyau le plus central, s’appuie sur une élite ancienne pour les 2/3 et encourage un renouvellement des élites pour le tiers restant. Le renou-vellement se fait essentiellement par l’entrée au Conseil de spécialistes de la diplomatie (Du Bellay, Hémard de Denonville ) et de juristes (Duprat, Du Bourg, François Errault , François Olivier , Jean de Selve , Mathieu de Longuejoue ). En revanche, il y a chez les fi nanciers, même si certains sont des hommes nouveaux (Philibert Babou ), une dimension d’héritier plus prononcé, comme si l’on ne pouvait pas s’imposer comme un fi nancier sans une assise familiale et fi nancière solide (Semblançay bien sûr, mais aussi Antoine Bohier et Gilbert Bayard ).

Un Conseil équilibré entre domesticité et technicité

La question de la répartition entre héritiers et parvenus ne recoupe donc que partiellement celle de la dimension domestique et/ou bureaucratique de la monarchie. Il y a des techniciens qui sont des héritiers et à l’inverse des proches du roi qui sont des hommes nouveaux. Si l’on s’en tient à cette question du profi l domestique ou technique de la composition du Conseil, quelques remarques s’imposent. D’abord, il convient de rappeler que la démarche qui consiste à aborder l’histoire du Conseil par la part respective des courtisans d’épée et des techniciens ne renvoie pas à une spécifi cité de la Renaissance. On peut penser notamment au paradigme de l’admi-nistrative kingship de Charles Warren Hollister et John W. Baldwin qui insiste sur la dimension déjà bureaucratique des monarchies française et anglaise sous Philippe Auguste (1179-1223) et Henri Ier (1100-1135) 225. Hollister et Baldwin soulignent aussi bien les innovations institutionnelles que la concentration de l’autorité entre les mains de quelques membres qui appartiennent à la maison royale. Ces derniers sont soit des hommes nouveaux (dans la France de Philippe Auguste), soit une association d’hommes nouveaux et de familles baronniales (dans l’Angleterre de Henri Ier). Dans les deux cas, des tensions interviennent entre les nouveaux venus et les héritiers en

225. C. Warren HOLLISTER et John W. BALDWIN, « Th e Rise of Administrative Kingship: Henry I and Philip Augustus », American Historical Review, 88 (1978), p. 867-905.

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place qui sont délogés avec plus ou moins de brutalité. Il existe des aff rontements de cette nature entre certains conseillers de François Ier . L’attitude de Jean Du Bellay à l’égard du chancelier Antoine Duprat est de ce point de vue tout à fait signifi cative. À la fi n de la décennie 1520, l’évêque de Bayonne montre à l’égard du chancelier une hostilité très forte qui s’explique assez largement par le retard mis par Duprat à envoyer l’argent réclamé par l’évêque de Bayonne en mission à Londres. Quoi qu’il en soit, l’hostilité qu’il lui marque se traduit par l’expression d’un mépris social manifeste. Le 20 mai 1528, Du Bellay s’exclame : « J’ay tousjours la teste rompue de ce chancellier 226 » avant de le renvoyer à « l’Auvergne [et à] toutes les herbes de la Limaigne 227 ». Du Bellay, le gentilhomme de la vallée des rois, a un profond mépris pour le juriste d’Issoire, aussi haut qu’il soit arrivé. Avec ironie, il évoque « Saint Antoine » et affi rme qu’il « espère en Dieu et en monseigneur maistre Duprat 228 ». Du Bellay approuverait certainement le poème-pamphlet très hostile à Duprat qui circule à Lyon en 1525 :

« Ton grant orgueil se magnyfye,Toy, fi lz d’un faiseur de sabotz,Portes les robbes de drap d’or :

[…]Toute noblesse de toy haÿe,Tu as mis villains en avant,

Et chassé les bons et sçavans.Ta fyn sera selon ta vye :

Ort chancellier, Dieu te maudye 229 ! »

L’animosité de Du Bellay à l’égard de Duprat souligne combien l’opposition héritier/parvenu ne dit pas tout de la question de la dimension domestique et bureau-cratique du Conseil. En eff et, Antoine Duprat est gentilhomme de la chambre à partir de 1524 alors que Jean Du Bellay ne fait pas partie de la maison du roi 230. D’ailleurs, l’un et l’autre sont, chacun à leur manière, des hommes nouveaux. Pour autant, Du Bellay est socialement et culturellement bien plus proche du roi que son chancelier. Si l’on en revient à la question des charges domestiques, il est intéressant de voir que 21 des 54 principaux conseillers de François Ier occupent des charges domestiques au sein de la Maison du roi auxquels il faut ajouter des conseillers comme Jean de Lorraine , Hippolyte d’Este et le comte de Saint-Pol qui, sans faire partie de la maison du roi, sont de ses plus proches familiers 231. Ce sont donc 24 des 54 principaux

226. Victor-Louis Bourrilly (éd.), Ambassades en Angleterre de Jean Du Bellay, Paris, 1905, p. 261 (Jean Du Bellay à Montmorency , Londres, 20 mai 1528). 9 jours plus tôt, dans une lettre à Marguerite de Navarre il a évoqué l’hostilité du chancelier à l’égard de son frère : « Depuys quelque temps mondict seigneur le chancellier a, comme j’ay entendu, voulu brouiller mon frère, si ne luy eussiez esté en ayde. » (Ibid., p. 255, Jean Du Bellay à Marguerite de Navarre, Londres, 11 mai 1528.)

227. Victor-Louis Bourrilly (éd.), op. cit., p. 258. Il se moque des clients de Duprat évoquant le général des fi nances Preudhomme et le « sainct qu’il adore ».

228. CCJDB, I, p. 89. Jean Du Bellay à Gilles de La Pommeraye, Londres, 24 septembre [1529].229. Chanson faite a Lyon contre le chancelier de France sur sa conduite pendant la régence, citée par Aimé CHAMPOLLION-

FIGEAC, op. cit., p. 376-378.230. BnF, ms frçs 21449 « Offi ciers et domestiques de la Maison de François Ier (1516-1534) ». Je remercie Th ierry

Rentet de m’avoir communiqué cette référence.231. Artus Gouffi er , René de Savoie et Anne de Montmorency sont grand maître ; Claude d’Annebault et Guillaume

Gouffi er sont premier gentilhomme de la Chambre, Philippe Chabot de Brion et Antoine Duprat sont gentils-hommes de la Chambre ; Charles de Bourbon -Montpensier, Charles d’Angoulême et Henri d’Orléans sont grands

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conseillers de François Ier qui sont de ses familiers soit près de 50 %. Le Conseil de François Ier relève donc, pour moitié, d’une dimension domestique, et pour moitié, d’une dimension technicienne (juridique, fi nancière, diplomatique, etc.). Cette situa-tion s’éclaire si l’on établit une distinction, pas nécessairement exclusive d’ailleurs, entre les faveurs politique et privée 232. Sous François Ier, à la diff érence de ce qui se passe sous Henri III , il n’y a pas confusion entre les sphères du politique et du privé à la tête de l’État, mais subtil chevauchement, parfaitement maîtrisé par un souverain suffi samment maître du jeu pour joindre ou disjoindre à volonté les deux univers selon ses intérêts 233. L’exemple de Jean de Lorraine est de ce point de vue éloquent. Le cardinal de Lorraine connaît ainsi une trajectoire originale, de compagnon des plaisirs à conseiller de premier plan avant d’être à la fois renvoyé aux plaisirs et conservé en réserve 234. Le favori peut donc être, au choix, et successivement, simple compagnon des plaisirs, ministre, puis conseiller de second plan. L’usage que fait François Ier de la faveur fait de lui un intermédiaire entre Henri III et Henri IV 235. Là où Henri III unit les sphères privée et politique, Henri IV les dissocie, tandis que François Ier les mêle et les démêle à volonté. Le Conseil illustre bien la nature mixte de la monarchie de la Renaissance qui relève à la fois d’une dimension domestique et d’une dimension bureaucratique ou technicienne.

BAu terme de ce parcours, il apparaît que le Conseil ne doit donc être réduit ni à une

dimension institutionnelle qui n’existe pas vraiment, ni à une réalité sociologique qui est multiple, ni à un programme idéologique ou volontariste impossible à démontrer. Il s’agit plutôt d’essayer de pénétrer « l’esprit du Conseil » c’est-à-dire sa logique et sa cohérence historique, le processus qui fait qu’il est ce qu’il est. La diffi culté de circons-crire avec fermeté le Conseil est une illustration de plus de la dimension éminemment pragmatique de l’affi rmation du pouvoir royal et de sa mue permanente qui révèle une capacité d’adaptation perpétuelle.

Ce qu’il faut retenir de l’étude du Conseil de François Ier , ce n’est donc pas son nom (Conseil étroit, privé, des aff aires, secret, d’État, du matin, de l’après-midi, etc.), qui n’est pas établi avec fermeté, c’est plutôt sa souplesse en tant qu’instrument de gouvernement, qui s’ajuste en permanence aux nécessités du moment. Sous le règne d’un souverain maître du jeu comme François Ier, on observe ainsi un équilibre au sein de son Conseil, qui voit la coexistence de conseillers incarnant le dynamisme de

chambriers ; Louis II de La Tremoille est premier chambellan ; Philibert Babou est valet de chambre ; Galiot de Genouillac est grand écuyer ; Antoine Sanguin est grand aumônier ; Charles Hémard de Denonville est aumônier de la chapelle royale ; François de Tournon est maître de la chapelle de musique ; Guillaume de Montmorency est premier chambellan de Louise de Savoie ; Gilbert Bayard , Guillaume Bochetel , Jean Breton et Nicolas de Neufville sont secrétaire de la Chambre. On peut y ajouter Florimond Robertet , maître d’hôtel des enfants de France entre 1521 et 1524 au moins (BnF, ms frçs 21449 « Offi ciers et domestiques de la Maison de François Ier [1516-1534] » et BnF, ms Clairambault 835 « Offi ciers des maisons des rois de Louis XI à Henri II »). Je remercie Th ierry Rentet de m’avoir communiquées toutes ces informations.

232. Montmorency est une parfaite illustration de la défi nition du favori donnée par N. LE ROUX comme étant « le personnage qui se caractérise à un moment donné par la plus grande capitalisation de signes de l’exception, qu’il s’agisse de prérogatives symboliques, de dignités ou de récompenses », Nicolas LE ROUX, La faveur du roi, Paris, 2000, p. 12. Jean de Lorraine est l’incarnation d’une faveur plus personnelle.

233. Nicolas LE ROUX, op. cit., p. 718, qui insiste sur la confusion entre les deux univers sous le règne d’Henri III .234. Voir la contribution sur Jean de Lorraine dans le présent livre.235. Cf. les analyses comparatives sur Henri III et Henri IV dans Nicolas LE ROUX, op. cit., p. 719-720.

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la monarchie domestique (Lautrec, Montmorency , Chabot , Annebault), d’autres qui annoncent le développement technicien et bureaucratique (Robertet, Semblançay, Duprat, Breton), et d’autres enfi n qui soulignent l’ouverture d’un souverain prêt à appeler quelques grands féodaux quand cela peut servir ses intérêts (connétable de Bourbon, duc de Vendôme , comte de Saint-Pol ).

Le Conseil du roi sous François Ier constitue un précipité de l’essence même de la monarchie française de la Renaissance qui est fondamentalement une monarchie de l’équilibre. François Ier est un roi qui décide, mais qui réunit son Conseil presque tous les jours. C’est un souverain convaincu que son pouvoir est absolu, mais qui ne manque pas de consulter des représentants de la société politique. Il les choisit parmi ses courtisans et les techniciens de son administration. Comme la monarchie dans son ensemble, son Conseil est donc constitué d’un mixte de formes domestiques et bureau-cratiques ou pré-bureaucratiques. Ses conseillers sont tous des hommes d’expérience, ni imberbes ni barbons. Issus de la capitale et des provinces, ils permettent de surcroît d’équilibrer les relations entre le pouvoir central et les périphéries.

Ainsi, le Conseil de François Ier , stable, équilibré et éminemment labile est un instrument de pouvoir particulièrement bien adapté aux réalités de la monarchie de la Renaissance.

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