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Considérations sur la création de banques de données muséographiques aux État s-Unis d'Amérique par Everett Ellin 18 Les musées ont pris conscience avec un certain retard des problèmes soulevés et des vastes possibilités ouvertes par les progrès des techniques d'information. Quoiqu'il soit plus nécessaire que jamais de bien comprendre les arts et les humanités, les musées qui traitent des disciplines traditionnelles semblent avoir perdu l'art d'utiliser leurs possibilités autant que le demandent leurs responsabilités. Tandis que nous assistions en spectateurs apparemment indifférents aux étonnants développements des sciences de I'information, il nous devenait impossible de faire face au problème intérieur posé par le traitement des données muséographiques essentielles. I1 est regrettable que nous nous soyons aussi aisément laissés intimider par la technique même qui, employée à bon escient, aurait pu nous permettre de donner à nos services une extension nouvelle. Mais, aujourd'hui, la nécessité nous a enfin obligés à introduire l'ordinateur dans le domaine de la muséographie. Les premières tentatives expérimentales ont abouti à des résultats très prometteurs : un exposé du projet visant à créer aux Btats-Unis d'Amérique un réseau muséogra- phique d'ordinateurs (Museum Computer Network) permettra de se faire une idée de ce qu'on peut attendre de telles entreprises. En raison des difficultés que les musées rencontrent en matière de tenue à jour des registres et de la multiplication des demandes d'informations auxquelles ils ont à répondre, vingt-cinq musées de New York et de Washington, D.C., se sont associés, au début de 1967, en vue d'organiser un système d'informations commun destiné à emmagasiner et à diffuser au moyen d'ordinateurs des données relatives aux principales collections publiques d'ceuvres d'art des États-Unis. Dans l'idéal, il s'agira de créer un service d'archives central qui assurera la diffusion des informa- tions grâce à un réseau de communications s'étendant aux musées, aux biblio- thèques et aux établissements d'enseignement. Ce service d'archives automatisé s'occupera tout d'abord des collections situées dans les deux villes - New York et Washington - puis il s'étendra peu à peu au pays tout entier. A mesure qu'une telle banque centrale de données se développera, sa valeur, pour l'éducation et la recherche, augmentera dans des proportions colossales ; mais, dès le début, un tel système pourra contribuer puissamment à faciliter les travaux quotidiens des spé- cialistes de musée. Avec l'aide de fondations privées du New York State Council on the Arts, les responsables du projet ont mené à bien en deux ans une enquête visant principale- ment à élaborer et mettre à l'essai des techniques d'utilisation des ordinateurs pour rassembler, emmagasiner et diffuser les données qui serviront de base au fonction- nement des archives, ainsi qu'à évaluer les ressources qui devront être fournies par les musées participants. Les recherches ont été axées sur la constitution, à titre expé- rimental, d'un ensemble de données de base urées de certains catalogues de musées choisis de fason à simuler les problèmes auxquels il faudr-a faire face dans un réseau plus complet. Ces travaux représentent une étape à franchir avant de procéder aux hvestisse- ments très importants qui seront nécessaires pour assurer le fonctionnement du système et ils doivent précéder la création proprement dite de toute banque de don- nées de grande envergure. I1 faut qu'ils soient exécutés avec le concours technique de spécialistes des ordinateurs ayant l'expérience des problèmes particuliers relatifs aux recherches de sciences humaines faites à l'aide d'ordinateurs. Aussi le Museum Computer Network a-t-il fait appel sur ce point à l'assistance d'un groupe de cher- cheurs dirigé par M. Jack Heller qui s'intéresse spécialement à la question, et il a chargé David Vance, archiviste du Museum of Modern Art, de s'occuper des aspects techniques du projet. Les responsables du Museum Computer Network se sont principalement employés jusqu'ici à surmonter les importants obstacles techniques que soulève une entreprise

Considerations in the formation of museum data banks in the United States of America

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Considérations sur la création de banques de données muséographiques aux État s-Unis d'Amérique

par Everett Ellin

18

Les musées ont pris conscience avec un certain retard des problèmes soulevés et des vastes possibilités ouvertes par les progrès des techniques d'information. Quoiqu'il soit plus nécessaire que jamais de bien comprendre les arts et les humanités, les musées qui traitent des disciplines traditionnelles semblent avoir perdu l'art d'utiliser leurs possibilités autant que le demandent leurs responsabilités.

Tandis que nous assistions en spectateurs apparemment indifférents aux étonnants développements des sciences de I'information, il nous devenait impossible de faire face au problème intérieur posé par le traitement des données muséographiques essentielles. I1 est regrettable que nous nous soyons aussi aisément laissés intimider par la technique même qui, employée à bon escient, aurait pu nous permettre de donner à nos services une extension nouvelle. Mais, aujourd'hui, la nécessité nous a enfin obligés à introduire l'ordinateur dans le domaine de la muséographie. Les premières tentatives expérimentales ont abouti à des résultats très prometteurs : un exposé du projet visant à créer aux Btats-Unis d'Amérique un réseau muséogra- phique d'ordinateurs (Museum Computer Network) permettra de se faire une idée de ce qu'on peut attendre de telles entreprises.

En raison des difficultés que les musées rencontrent en matière de tenue à jour des registres et de la multiplication des demandes d'informations auxquelles ils ont à répondre, vingt-cinq musées de New York et de Washington, D.C., se sont associés, au début de 1967, en vue d'organiser un système d'informations commun destiné à emmagasiner et à diffuser au moyen d'ordinateurs des données relatives aux principales collections publiques d'ceuvres d'art des États-Unis. Dans l'idéal, il s'agira de créer un service d'archives central qui assurera la diffusion des informa- tions grâce à un réseau de communications s'étendant aux musées, aux biblio- thèques et aux établissements d'enseignement. Ce service d'archives automatisé s'occupera tout d'abord des collections situées dans les deux villes - New York et Washington - puis il s'étendra peu à peu au pays tout entier. A mesure qu'une telle banque centrale de données se développera, sa valeur, pour l'éducation et la recherche, augmentera dans des proportions colossales ; mais, dès le début, un tel système pourra contribuer puissamment à faciliter les travaux quotidiens des spé- cialistes de musée.

Avec l'aide de fondations privées du New York State Council on the Arts, les responsables du projet ont mené à bien en deux ans une enquête visant principale- ment à élaborer et mettre à l'essai des techniques d'utilisation des ordinateurs pour rassembler, emmagasiner et diffuser les données qui serviront de base au fonction- nement des archives, ainsi qu'à évaluer les ressources qui devront être fournies par les musées participants. Les recherches ont été axées sur la constitution, à titre expé- rimental, d'un ensemble de données de base urées de certains catalogues de musées choisis de fason à simuler les problèmes auxquels il faudr-a faire face dans un réseau plus complet.

Ces travaux représentent une étape à franchir avant de procéder aux hvestisse- ments très importants qui seront nécessaires pour assurer le fonctionnement du système et ils doivent précéder la création proprement dite de toute banque de don- nées de grande envergure. I1 faut qu'ils soient exécutés avec le concours technique de spécialistes des ordinateurs ayant l'expérience des problèmes particuliers relatifs aux recherches de sciences humaines faites à l'aide d'ordinateurs. Aussi le Museum Computer Network a-t-il fait appel sur ce point à l'assistance d'un groupe de cher- cheurs dirigé par M. Jack Heller qui s'intéresse spécialement à la question, et il a chargé David Vance, archiviste du Museum of Modern Art, de s'occuper des aspects techniques du projet.

Les responsables du Museum Computer Network se sont principalement employés jusqu'ici à surmonter les importants obstacles techniques que soulève une entreprise

de cette ampleur. Ils ont estimé qu'il fallait trancher les questions liées au fonction- nement des ordinateurs et évaluer à ce point de vue la possibilité de mettre en œuvre le projet avant d'aborder les problèmes des études qui impliquent nécessairement une telle réorganisation des ressources documentaires. Comme il a été admis d'emblée qu'une banque de données qui centraliserait la documentation muséographique rendrait de précieux services aux conservateurs et présenterait de grands avantages pour les chercheurs et les éducateurs, le projet était orienté avant tout vers les pro- blèmes de la "science de l'informatique" auxquels il avait à faire face.

Cette étude a maintenant été menée à bien, et les administrateurs du projet consi- dèrent que le plan a été mis à l'essai d'une faSon satisfaisante. Le comité administratif a recommandé aux institutions qui patronnent le projet, ainsi qu'à l'ensemble des muskes des gtats-Unis d'Amérique, de commencer à prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre éventuelle du système. A cet effet, il faudrait tout d'abord terminer l'élaboration des programmes (qui est déjà en bonne voie) et assurer le rassemblement des données (c'est-à-dire la traduction de la documentation muséographique en langage machine) sur une base plus large qu'il n'a été possible de le faire jusqu'ici.

Le but principal de toute grande banque de données muséographiques sera de déterminer où se trouve tel ou tel objet, et de classer les informations qui s'y rappor- tent de fason à en permettre l'exploitation. Au cours de ce processus, on obtien- drait un certain nombre d'avantages subsidiaires : il serait possible par exemple de compléter les registres d'une institution à l'aide d'indications pertinentes figurant dans les registres d'une autre, ou de sauvegarder des données connexes souvent perdues faute de place ou de moyen commode de les emmagasiner. Une banque de données de ce genre serait utilisée à la fois par les musées participants et par les parti- culiers et les institutions qui tirent parti des informations relatives aux collections publiques.

Dans l'idéal, un réseau de ce genre devrait être capable d'emmagasiner et de dif- fuser aussi bien des textes que des images ; mais il faudrait avant tout qu'il réponde aux besoins des usagers. Le système auquel songent les responsables du Museum Computer Network serait assez souple pour traiter n'importe quelle catégorie d'informations muséographiques propre à intéresser les spécialistes, les étudiants ou les profanes. I1 reste toutefois à fixer les modalités de fonctionnement du réseau de fason à les adapter aux habitudes de travail des utilisateurs potentiels.

Le personnel des musées est bien entendu tout particulièrement qualifié pour contribuer à cet aspect de la mise au point du système. Le technicien de l'informa- tique ne saurait avoir la connaissance intime du sujet qui caractérise le spécialiste appelé à utiliser la banque de données ; son rôle est plutôt de veiller à ce que l'ordi- nateur fournisse bien des informations du type requis. Cette collaboration au pro- cessus même de l'élaboration du réseau exige à la fois un technicien capable de comprendre les qualités propres des utilisateurs, et un utilisateur capable de tenir compte des limitations techniques des ordinateurs.

On aura bientôt le plus grand besoin, dans lek musées, d'un personnel familiarisé avec le fonctionnement des ordinateurs, qui sera chargé non seulement, au stade expérimental, de contribuer à la mise au point des techniques d'application de l'in- formatique dans le domaine muséographique, mais aussi d'orienter l'emploi fait des nouveaux instruments pendant les années suivantes. A quelques exceptions près, les universités seront tenues de faire de l'initiation à l'informatique une partie inté- grante des études quelle qu'en soit la discipline. On constate déjà l'apparition de cette tendance dans certaines branches des sciences humaines où les spécialistes qui sont à même d'exploiter un très grand nombre de données bénéficient d'avantages évidents. Et les universités qui assurent la préparation aux carrières muséographiques seront forcément amenées à faire de même.

Comme les difficultés techniques que soulève le fonctionnement de systèmes d'informations muséographiques sont en train d'être surmontées un peu plus vite qu'on ne le pensait à l'origine, il apparaît de plus en plus que les responsables des projets visant à créer de grandes banques de données doivent se préoccuper surtout, dans l'immédiat, du rassemblement de ces données. En dernière analyse, ce sont des hommes qui devront d'abord décider quelles informations seront emmagasinées. Bien que des méthodes de captage des données extrêmement efficaces soient en cours d'élaboration (notamment dans les quelques musées qui participent activement à

l’exécution d‘importants projets de ce genre : Museum of Modern Art, Metropolitan Museum of Art et Museum of Natural History de la Smithsonian Institution), chaque musée devra en assumer la tâche pour que des banques de données d’un caractère interinstitutionnel puissent Ctre constituées dans un avenir prévisible. I1 s’agit là, certes, d’une entreprise qui semble ennuyeuse à première vue, mais les avantages qu’on pourra en retirer devraient justifier largement les efforts déployés.

[ Tradztit de Z’aHgZaiis]

Considerations in the formation of museum data banks in the United States of America

by Everett Ellin

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Museums have been somewhat tardy in recognizing the problems and evident potentialities attendant upon advances in information technology. Although the need for understanding in the arts and humanities is more acute than ever before, museums which work in the traditional subjects seem to have lost the knack of matching opportunities to their responsibilities.

While we have stood by seemingly indifferent to the startling developments in information science, our internal problem in managing essential data resources has got out of hand. It is unfortunate that we allowed ourselves to be so easily intimida- ted by the very technology which, when properly used, could extend our services to new frontiers. Now out of necessity, the computer has finally been ushered into the realm of the museum. The results of the first experimental efforts in this direction show great promise; indicative of what may be expected is the experience of the Museum Computer Network project in the United States of America.

In recognition of their difficulties in record-keeping and responsive to the obli- gation to service the intensified demands made of them today for information, a group of twenty-five museums of New York City and Washington, D.C., joined forces early in 1967 to launch the Museum Computer Network, a project which anticipates the formation of a single computer-based information system for the storage and dissemination of data, descriptive of this nation’s principal public collections of art. Ideally, this archive would be maintained at a central location from which information would be distributed over a communications network extending to museums, libraries, and educationa1 institutions. The proposed computerized archive would deal first with collections in the metropolitan areas of New York and Washington and eventually be extended to cover the entire country. As it grows in size, the value of a central data bank of this scope for education and research would increase dramatically; but even in its earlier stages such a system will be of enormous help to the museum professional.

With the assistance of private foundations and the New York State Council on the Arts, the Museum Computer Network has pursued a two-year study concerned principally with the design and testing of computer techniques for gathering, storing and disseminating the basic data from which the archive is to be constructed, and with an assessment of the resources that must eventually be committed to such a scheme by the museums responsible for maintaining the archive. These investigations have involved the assembly of an experimental data base drawn from actual museum catalogue records selected to simulate the problems to be anticipated in a more comprehensive system.

This research activity is a preliminary step to the major funding ultimately required to implement such a system and must precede the actual construction of any large- scale data bank. It requires the technical collaboration of computer scientists ex- perienced in the unique problems of computer-oriented humanistic research. The Museum Computer Network is being assisted in this aspect of the project by Dr. Jack Heller and his associates, a group whose special interest is computer research in the humanities. David Vance, Registrar of the Museum of Modern Art, has taken on the technical responsibilities on behalf of the network.

The principal thrust of the Museum Computer Network thus far has been in the direction of solving the substantial technical problems involved in an undertaking of this scope. It was felt that the computer aspects should be mastered, and the fea- sibility of the undertaking assessed from this standpoint, before the project considered the scholarly problems that necessarily emerge in any restructuring of information resources along the lines proposed. Since it was assumed from the very beginning that any comprehensive data bank of museum records would be a valuable research tool and a great aid to education, the project addressed itself first to the computer science problems which it faced.

The study has now been completed, and the project’s administrators are of the view that the scheme has been satisfactorily tested. The project’s Administrative Committee has therefore recommended to its sponsoring institutions-and to the American museum community at large-that steps be taken to ensure the eventual implementation of the proposed information system. This would require, initially, completion of the computer programmes specified for the system (which are already in advanced form) and the collection of data (i.e. the conversion of individual museum records into computer-readable form) on a broader front than has been possible thus far.

The chief aim of any comprehensive data bank of museum resources is to locate objects and to bring the information pertaining to them under meaningful control. In this process, a number of ancillary benefits accrue, such as the completion of records by bringing together facts relevant to one institution’s holdings which appear in the records of another, or the salvage of associative data often discarded for want of a convenient storage medium. Such a data bank would be used both by the museums which maintained it and by those individuals and institutions which rely on the information pertaining to public collections.

Ideally, such a system should be capable of storing and disseminating both textual and visual data, but above all it must be responsive to the needs of its users. The system which the Museum Computer Network envisages would be flexible enough to accommodate any class of museum information which may be of value to the professional, the student or the layman. What remains to be done is to shape the performing characteristics of the system to conform to the working habits of those who can be expected to make use of it.

The museum professional is, of course, uniquely qualified to contribute to this phase of the system’s design. The computer scientist cannot provide the insight of the scholar who is to use the system; his function is rather to ensure that the computer will deliver what is expected of it. This collaboration in the design process itself requires both a technician sensitive to the unique qualities of the user, and a user responsive to the technical limitations of the computer.

A corps of museum professionals who have acquired a conversant knowledge of the computer will therefore soon be needed, not only to help in the experimental years when the application of the machine to their field is still in its formative state, but to direct the uses of this new tool in the future. With a few exceptions, the universities must train people for this function by extending to the student the op- portunity to acquire a computer proficiency as an integral aspect of his academic prep- aration. This is already taking place in some disciplines within the humanities, particularly in fields where the scholar who is equipped to handle large bodies of data is at an obvious advantage. The university responsible for preparing museolo- gists will soon find it necessary to do the same.

As the technical problems implicit in the operation of museum information systems are being surmounted more rapidly, it is becoming increasingly apparent that of paramount concern in the construction of large-scale data banks is the prob- lem of collecting the data itself. In the final analysis, it is the human being who must first decide what information is to be stored. Although highly efFìcient methods for data capture are being developed at those few museums actively engaged in sizable projects of this nature (the Museum of Modern Art, the Metropolitan Museum of Art and the Museum of Natural History at the Smithsonian Institution), museums will have to perform the task individually if we are to assemble data banks of an interinstitutional character within the foreseeable future. 141though the job is a tedious one, the potential rewards should more than justify the effort. 21