26
Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 1 COGIS Danièle IUFM de Paris 56 bd des Batignolles 75017 PARIS [email protected] CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET ORTHOGRAPHE : VERS UN NOUVEAU CONTRAT DIDACTIQUE Mots clés : orthographe – verbalisations métagraphiques – construction – interaction – didactique Si la construction des connaissances semble une idée entendue aujourd’hui, derrière ce consensus, n’y a-t-il pas plutôt un grand malentendu quand on observe des pratiques de classe qui laissent toujours aussi peu de place à l’activité mentale et langagière des élèves, et où l’hypothèque de l’évaluation semble toujours biaiser l’apprentissage ? Cet article s’intéresse au rôle fondamental du langage dans la construction des connaissances dans un domaine encore peu interrogé sous cet angle, celui de l’orthographe, et qui semble a priori fort éloigné d’une telle approche. Traditionnellement établie comme une discipline scolaire à part entière, autocentrée sur ses préoccupations, ses modes d’enseignement et d’évaluation sous le regard d’une société obsédée par la faute et exigeant des résultats quasi immédiats, l’orthographe est appréhendée aujourd’hui selon d’autres points de vue : § théorisée par la linguistique structurale, l’orthographe du français est décrite comme un plurisystème graphique des plus complexes en raison de sa

CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 1

COGIS Danièle

IUFM de Paris 56 bd des Batignolles 75017 PARIS [email protected]

CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET ORTHOGRAPHE :

VERS UN NOUVEAU CONTRAT DIDACTIQUE

Mots clés : orthographe – verbalisations métagraphiques – construction – interaction –

didactique

Si la construction des connaissances semble une idée entendue aujourd’hui,

derrière ce consensus, n’y a-t-il pas plutôt un grand malentendu quand on observe des

pratiques de classe qui laissent toujours aussi peu de place à l’activité mentale et

langagière des élèves, et où l’hypothèque de l’évaluation semble toujours biaiser

l’apprentissage ?

Cet article s’intéresse au rôle fondamental du langage dans la construction des

connaissances dans un domaine encore peu interrogé sous cet angle, celui de

l’orthographe, et qui semble a priori fort éloigné d’une telle approche.

Traditionnellement établie comme une discipline scolaire à part entière,

autocentrée sur ses préoccupations, ses modes d’enseignement et d’évaluation sous

le regard d’une société obsédée par la faute et exigeant des résultats quasi immédiats,

l’orthographe est appréhendée aujourd’hui selon d’autres points de vue :

§ théorisée par la linguistique structurale, l’orthographe du français est décrite

comme un plurisystème graphique des plus complexes en raison de sa

Page 2: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 2

morphographie particulièrement lourde, peu prédictible par la phonographie

(Catach, 1980 ; Jaffré, 1997) ;

§ forme matérielle du langage écrit, elle est intrinsèquement liée aux processus

d’écriture et a, de ce fait, bénéficié des recherches théoriques et didactiques dans

le domaine de la production écrite (Reuter, 1996 ; Fayol, 1997) ;

§ envisagée dans une perspective psycholinguistique, et dans le prolongement des

travaux consacrés à l’entrée dans l’écrit (Ferreiro, 1988), son acquisition apparait

comme le résultat à long terme de processus actifs propres au sujet.

En accédant à l’écrit et en apprenant l’orthographe, les élèves n’apprennent pas

seulement un nouveau savoir, mais entrent dans de nouvelles sphères d’échanges et

s’engagent dans un autre rapport au monde, rapport où le langage devient objet et

instrument de connaissance dans une communauté culturelle et discursive fondée sur

la culture écrite (Vygotski, 1934/1997 ; Lahire, 1993 ; Olson, 1994 ; Bernié, 1998).

Pour montrer ce rôle du langage dans la construction des savoirs

orthographiques, on se réfèrera à des recherches récentes qui partent de ce que

disent de jeunes scripteurs lorsqu’ils explicitent leurs choix graphiques au cours

d’entretiens (Jaffré, 1995), ainsi qu’à certaines observations empiriques en classe.

Après avoir examiné l’enseignement traditionnel de l’orthographe au regard de

quelques contradictions et de récentes recherches, cet article se propose de montrer

en quoi, le langage étant un point nodal de l’acquisition de l’orthographe,

l’apprentissage tire parti de nouvelles formes scolaires fondées sur les échanges en

classe ; cette approche débouche sur un nouveau contrat didactique à la lumière de la

notion de communauté discursive scolaire (Bernié, 2002).

Page 3: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 3

I. Un enseignement en question

La confrontation entre les principes et les méthodes de l’enseignement

traditionnel de l’orthographe et les résultats auxquels il estime parvenir aurait dû depuis

longtemps conduire à des modifications profondes. Dans quel secteur, en effet, se

plaint-on autant de la médiocrité des résultats sans reconsidérer ses façons de faire ?

Mais, par bien des côtés, il y a de l’exception française dans cet enseignement.

Un enseignement extra-ordinaire

L’enseignement traditionnel de l’orthographe se caractérise par la combinaison

de deux couples d’activités, à savoir les leçons-exercices et les dictées-corrections.

Partant de là, plusieurs contradictions internes peuvent être relevées :

– on estime que l’orthographe du français est une des plus difficiles du monde ;

pourtant, on l’évalue au CE2, après seulement deux ans d’apprentissage systématique

de l’écrit1 ;

– on est obligé de proposer la même orthographe aux novices qu’aux experts

(alors qu'on peut, par exemple, étudier la respiration en sciences comme un échange

au niveau des poumons avant de l’aborder au niveau de toute cellule de l'organisme) ;

pourtant, en dictée, on n’accorde aux premiers qu’un crédit de dix ou vingt points sur

ce que feraient les seconds ;

– on enseigne l’orthographe essentiellement comme un savoir ; pourtant, c’est en

tant que savoir-faire que le niveau orthographique des élèves est véritablement évalué

(écrits scolaires ou professionnels) ;

1 « Les résultats en orthographe restent très moyens, qu’il s’agisse de l’orthographe lexicale (mots invariables) ou de l’orthographe grammaticale (marques du pluriel) » (MEN-DPD, 2001, 13).

Page 4: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 4

– on constate tous les jours que publications et courriels n’échappent pas aux

« coquilles » ; pourtant, on attend des élèves une perfection orthographique dans la

moindre de leur prise de notes ;

– on admet que la réussite des exercices par les élèves, leur connaissance des

règles et les multiples corrections auxquelles les enseignants s’astreignent et les

astreignent ont peu d’effet ; pourtant, on continue à compter sur le rappel des règles,

les exercices et les corrections pour remédier aux problèmes des élèves.

Arrêtons là cette énumération qui fait apparaître bien peu rationnels les

présupposés et les choix de cet enseignement et dont le paradoxe est finalement de

ne pas accorder à l’apprentissage la place qu’il nécessite.

Un cadre périmé qui résiste

Depuis les années soixante-dix, les recherches dans des champs très divers

n’ont pas manqué, donnant à la fois des clés pour décrypter les constats et des pistes

pour une intervention didactique en adéquation avec ces constats.

Effectivement, la mixité de l’orthographe française avec des phénomènes tels

que la plurifonctionnalité des graphèmes, la morphographie en partie silencieuse et

combinée à une grande part d’homophonie/hétérophonie, suffisent à expliquer

l’impossibilité d’une maîtrise rapide de l’orthographe française. Effectivement, il y a une

rupture entre connaître des règles d’orthographe et mettre en œuvre des procédures

orthographiques. Effectivement, la complexité des opérations simultanées en

production écrite place tout scripteur en situation de surcharge mentale et provoque

des « ratés de gestion ». Effectivement, pour un élève qui doit écrire dans des formes

culturelles peu familières ou totalement inconnues, la complexité de l’élaboration d’un

discours monogéré est décuplée, alors que sa connaissance du fonctionnement de

l’orthographe est encore limitée.

Page 5: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 5

Cependant, le plus décisif se situe sur le plan psycholinguistique, avec la mise en

évidence des représentations des élèves : comme dans les autres disciplines, ceux-ci

développent sur le système graphique du français des conceptions qui jouent un rôle

crucial dans l’apprentissage. Ces conceptions, très variées et instables au départ,

donnent naissance à quelques procédures graphiques majeures, parmi lesquelles des

procédures de type morphosyntaxique finissent par dominer. La méthodologie des

entretiens a ainsi permis de se dégager de la problématique de la « faute » et des

« difficultés » des élèves mesurées par le nombre d’écarts à la norme, symptômes

supposés de dysfonctionnements, et voie royale vers l’échec scolaire (Cogis, 2001), au

profit d’une description de la dynamique de l’acquisition débouchant à long terme sur la

maîtrise de la norme (Bousquet et al., 1999 ; Brissaud, Cogis, 2002). Mais les

conceptions peuvent aussi se figer à un niveau de formulation inadéquat et faire

obstacle à l’acquisition de la norme. Il importe alors que l’activité cognitive des élèves

s’exerce sur leurs conceptions pour les faire évoluer, ce qui implique de nouvelles

formes didactiques.

Dans l’approche traditionnelle, au croisement du linguistique et du

psychologique, deux séries de phénomènes conduisent à surévaluer les

connaissances réelles des élèves, ce qui empêche de prendre la mesure du travail à

mener.

D’une part, du fait que Kamel respecte le singulier dans elle était ridé et Céline le

féminin dans les sœur jalouse, on en tire — à tort — l’idée qu’ils peuvent le faire dans

des main ridé ou les sœurs éné. Or, étant donné certaines caractéristiques de notre

orthographe (cas non marqués du singulier ou du masculin, e diacritique pour noter

une consonne finale, notamment), il est possible de produire une graphie attendue non

comme l’application d’une règle d’accord, mais par une procédure phonographique,

inefficace dans un cas sur deux.

Page 6: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 6

D’autre part, du fait que les élèves emploient les termes féminin, nom, pluriel,

verbe, on tire — toujours à tort — l’idée qu’ils savent ce que c’est et on impute à de

l’inattention la non-application des règles afférentes. Or les entretiens métagraphiques

montrent à quel point ce que les élèves entendent par ces mots diffère de ce que ces

mots recouvrent en réalité. Quand on suit de près ce qu’ils disent, on s’aperçoit de très

nombreuses approximations, de glissements sémantiques, de confusions, qui passent

souvent inaperçues, mais qui témoignent d’une construction notionnelle largement

encore inachevée. On retrouve là l’analyse de Vygotski sur la différence entre les mots

utilisés par les enfants et les adultes : s’ils désignent les mêmes objets et permettent

de communiquer, leur signification et les opérations cognitives mises en jeu ne

coïncident pas.

L’enseignement traditionnel, qui classe les fautes en fonction du savoir achevé,

répète les règles connues dans une métalangue vide de sens et ne travaille pas les

conceptions à l’origine d’erreurs qui ne peuvent que se reproduire, gaspille un temps

non négligeable dans des exercices ou des corrections qui ne correspondent pas aux

besoins cognitifs des élèves.

Pourtant, tous les constats critiques semblent impuissants à susciter une autre

approche didactique. Même un dispositif aussi léger que la relecture différée des écrits,

pratiquée par tout expert, dont l’efficacité et l’intérêt pour la réflexion métalinguistique

ont été dépeints (Fabre, 1990 ; Angoujard, 1994 ; Cogis, 2000) engendre une certaine

réticence, alors qu’elle épargne du travail à l’enseignant. C’est d’ailleurs ce qui suggère

qu’on touche là à une remise en cause plus profonde. Exposer le savoir et corriger les

erreurs ne sont-ils pas les maîtres mots du métier de professeur ?

C’est en montrant la réalité des représentations des élèves, les effets des

interactions verbales dans la construction des connaissances orthographiques et les

atouts de certains dispositifs que l’on peut espérer ouvrir une brèche dans la

Page 7: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 7

conception monolithique de l’enseignement de l’orthographe pour en faire un

enseignement ordinaire, qui intègre pleinement la dimension de l’apprentissage.

II. Le langage, creuset de la construction des connaissances orthographiques

L’orthographe matérialise une énonciation écrite, sa codification porte sur des

objets construits historiquement par le langage (lettres, mots, classes, structures,

règles), sa transmission se fait par un discours formalisé dans une métalangue, son

acquisition nécessite la médiation du langage : écrire est une activité métalinguistique

qui oblige à comprendre la fonction des lettres qu’on inscrit sur la page, comme on va

le voir dans deux types de situations, un entretien et une séquence en classe.

Le rôle médiateur des verbalisations métagraphiques

Certains entretiens de recherche sont remarquables en ce sens qu’un travail de

transformation s’y effectue en direct. On s’intéressera à l’un de ceux où les interactions

et l’activité langagière participent de la construction des connaissances

orthographiques aux yeux mêmes du sujet. Le travail cognitif s’y accomplit par le biais

des deux fonctions majeures du langage que sont la communication et la

représentation. En effet, le travail d’explicitation que requiert l’entretien amène l’élève à

revenir sur son action et à déployer pour l’autre ses procédures et les objets sur

lesquels portent celles-ci. De ce fait, l’élève a une certaine prise sur ses propres

opérations mentales et peut exercer un certain contrôle2.

• Une belle fleur noir ?

D’abord, Manuel, CE2, hésite : « Quand il y a e, c’est au féminin, donc là je me

dis qu’il doit y avoir un e… Je suis pas très sûr ». Il a d’ailleurs écrit plus loin la fleur

noire, avec un e, mais, même après réflexion, il ne sait pas lequel est le bon.

2 On ne peut proposer qu’une synthèse de ce qui apparaît comme des mouvements de pensée dans cette interaction verbale.

Page 8: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 8

L’examen d’araignée blanche et d’une fourmi verte l’amène à dire que blanche

est au féminin, mais verte le fait encore hésiter : « Je l’ai vu beaucoup de fois, mais,

peut être il n’y a pas de e, mais je suis pratiquement sûr qu’il y en a un » ; il se ravise

très vite : « Oui… Pas avec le mot fourmi devant… Parce que c’est au féminin, et au

féminin, on met toujours un e. Pas dans tous les mots, mais… ».

C’est alors le moment de revenir à la seconde fleur noire. Il fait un premier

constat : « Si je trouve, soit j’enlève le e, soit je le mets aux autres… ». Il ajoute : « À

mon avis, il y a quand même un e ». S’il hésite encore, il penche pour e : « C’est une

fleur… Ça me fait penser qu’il y a un e à mon avis. C’est au féminin. Une fleur, on dit ».

Et de préciser : « C’est e qu’il arrive quand c’est au féminin ». À la question de savoir si

ce qu’il a dit va changer des choses, il répond : « Oui, qu’il faudra rajouter un e au

premier », ce qu’il fait.

Cette décision diffère par bien des points la correction d’une faute. En lieu et

place d’une devinette (« Tu n’as pas oublié quelque chose à noir ? »), ou d’une

exécution sur injonction (« Quelle est la règle ? »), les dix minutes qui séparent noir de

noire font en effet passer l’élève d’une intuition hésitante à une certitude agissante.

L’interaction l’amène à envisager successivement le rôle du e et ses limites (pas tous

les mots), le paradigme d’une unité lexicale (noir/noire/noirs/noires), le genre féminin

de blanche et de verte, la relation entre mot source (fourmi) et mot cible (verte), entre

le déterminant et le genre. Pourtant, les interventions de l’adulte ne lui ont apporté

aucune information directe.

• Un ciel bleue ?

Le travail d’élaboration est relancé avec l’examen d’un dernier item, une fourmi

bleue. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’est nullement question d’une

marque d’accord : bleu s’écrit toujours bleue. Mais il s’interroge devant un ciel bleue :

« Il y a un e, mais ça me fait quand même hésiter… Parce que c’est un ciel bleu », en

Page 9: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 9

appuyant sur le déterminant un. Par contre, il n’hésite pas pour un ciel noir : « On ne

mettrait pas de e à un ciel noir parce que c’est masculin ».

Son hésitation croît au fur et à mesure qu’il compare un ciel noir, un ciel rouge et

un ciel bleue. Il repère le rôle diacritique du e dans rouge et résume ainsi le problème :

« Il y a des exemples qui n’ont pas de e et il y a des exemples qui en ont ». En réponse

à la question de savoir ce qui guide le choix, puisqu’il connaît toutes les formes de noir,

il répond : « Ça dépend… C’est le nom commun ou l’adjectif… Non, c’est adjectif

plutôt ».

Un nouveau cycle s’enclenche alors, plus rapide, qui amène Mathieu à conclure :

« Avant je croyais que ça s’écrivait comme ça, maintenant j’en suis moins sûr ».

Dans cette partie de l’entretien, le problème qui surgit avec bleu se construit

totalement dans l’interaction. La tension naît du décalage entre un savoir déjà-là, une

conception ancienne (bleu s’écrit toujours bleue) et les contenus de savoirs construits

depuis le début de l’échange sur les différentes fonctions du e. Les rapprochements et

les contradictions modifient la posture épistémique initiale : d’une position de certitude,

elle évolue vers l’expression d’un doute souligné comme croissant et enfin vers la

reconnaissance d’une évolution (avant/maintenant) précédant de peu l’ultime

vérification qui viendra sceller la remise en cause de la conception erronée : s’alignant

sur le paradigme de noir, bleue pourra s’écrire bleu.

Ainsi, en explicitant ses savoirs et ses doutes, l’élève construit discursivement

des objets linguistiques, en l’occurrence les constituants de la notion d’accord en

genre ; amené à rapprocher des éléments d’ordre lexical, graphique, morphologique,

syntaxique, il manipule des propriétés et progresse du concept encore flou de féminin

vers le concept de genre, en donnant un contenu à ce que la règle permettra ensuite

de synthétiser. Ce parcours notionnel constitue l’acte d’apprendre. Dans ce travail

cognitivo-langagier, les nombreux rephrasages, les reformulations, les arguments et

Page 10: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 10

les objections proférés en direction de l’autre s’adressent avant tout à lui-même —

discours extérieur avant de devenir discours intérieur, selon l’hypothèse de Vygotski.

Bien sûr, rien de cela ne serait possible sans l’enseignement préalable reçu et

dont on perçoit la trace. C’est bien l’enseignement qui tire le développement, toujours

selon Vygostki. Mais, s’il se limite à la présentation de faits linguistiques dans un

discours magistral assorti de quelques exercices d’application et de corrections des

fautes, il est insuffisant.

Ce travail de reprises, de redites, ces verbalisations qui examinent les objets de

discours sous toutes les coutures, ces bribes de raisonnement pas à pas, ces retours

en arrière passagers, ces graphies transitoires, c’est bien ce qui permet de construire

comme appartenant aux mêmes classes et de rassembler sous une même étiquette

des éléments très divers. Tant que ce travail d’élaboration n’est pas achevé, les élèves

n’ont pas recours à la métalangue, ils utilisent les mots en mention. C’est ici une autre

des sources de l’inefficacité de l’enseignement traditionnel qui fait de la règle et de la

métalangue le tout de la connaissance orthographique, alors qu’elles sont surtout le

point d’arrivée : Manuel retrouve à la fin les termes nom et adjectif dont il a une

certaine connaissance. Dans la situation interactive, l’élève remanie des éléments de

son savoir actuel et les coordonne pour atteindre un niveau supérieur de

conceptualisation : l’usage spontané de la terminologie témoigne non seulement d’un

gain en clarté cognitive, mais d’une nouvelle posture métalinguistique.

Si, pour comprendre et assimiler l’orthographe, les élèves ont besoin de passer

par des interactions verbales, il faut alors pouvoir répondre à cette nécessité dans la

classe même. Dans cette optique, de nouvelles formes scolaires ont vu le jour, telles

que la dictée sans faute (Angoujard, 1994) ou l’atelier de négociation graphique (Haas,

2002). On va s’intéresser ici à un dispositif didactique similaire, la phrase dictée du

Page 11: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 11

jour, et à la manière dont il permet la construction des connaissances orthographiques

(Cogis, Ros Dupont, à paraître)3.

La controverse orthographique, un rouage fondamental

Une phrase étant dictée, les graphies des élèves sont collectées au tableau :

l’existence d’un problème à résoudre se lit dans la présence de propositions différentes

pour un même mot. La classe s’engage alors dans une discussion, parfois aux allures

de controverse, dont le but est de déterminer quelle est la bonne et pour quelle raison.

Au fur et à mesure, les graphies non pertinentes sont effacées. Si un accord ne peut se

faire, elles sont conservées pour un travail ultérieur. On va suivre l’activité d’un CM2

confronté à quatre reprises au déterminant leur4.

• leurs chambre ?

Lors de la deuxième séance, la phrase Une fois rentrés chez eux, les sept nains

découvrirent une jeune fille endormie dans leur chambre est dictée. Voici les graphies

recueillies :

leure chambres

leurs chambre

leur

Le cas de leure est vite réglé, leurs est en passe de l’être : « C’est au singulier, il

y a qu’une seule chambre ». Mais un élève fait une objection, en s’appuyant sur la

première séance, où les trois petits cochons se réfugiaient chacun dans leur maison :

« Ils étaient chacun dans une seule maison, mais là, il faut un s à leur, car c’est une

chambre pour tous ».

3 Ce dispositif, mis au point au sein d’un groupe de formateurs de l’ IUFM de Paris, est repris actuellement dans un certain nombre de classes. 4 Merci à Joëlle Hardy-Vulbeau, maitre-formateur à l’ IUFM de Paris et à ses élèves, ainsi qu’aux professeurs -stagiaires qui ont participé à ce travail en janvier 2003, en menant notamment les séances 2 et 4.

Page 12: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 12

La classe se divise alors en deux camps irréductibles. Devant l’impossibilité d’un

accord, les deux graphies litigieuses sont encadrées et le débat suspendu jusqu’à sa

reprise.

Cette séance a permis de révéler un conflit cognitif masqué lors du premier

travail : pour une dizaine d’élèves, en effet, leurs chambre est une graphie logique,

« parce que c’est la chambre de tous les nains ». Le conflit ne se résout pas, car les

adversaires utilisent une même procédure de type morphosémantique, tout en

construisant une référence différente pour sélectionner une marque plutôt qu’une autre

(nombre de chambres vs nombre de nains). En outre, ils ont tous le sentiment

d’appliquer la règle enseignée. Seul, un élève avance un argument morphosyntaxique :

« Si c’est chambre au singulier, il n’y a pas de raison de mettre leur au pluriel », mais le

débat est clos, comme le lui signifie une élève.

L’enseignante de la classe met donc en place un autre type de travail dans la

troisième séance. Les arguments étant rappelés au tableau, les élèves doivent

observer un corpus de neuf phrases. Ils repèrent alors la concordance entre nom et

déterminant (leur lettre/leurs chaussures ), et dégagent les notions d’objet et de

possesseur, parallèlement aux variations en genre et en nombre, ce qu’un tableau

avec tous les possessifs formalise ensuite.

• leurs dure journée ?

Lors de la séance qui les confronte à nouveau à leur, le débat prend une autre

allure à partir des graphies suivantes 5 :

5 Voir Annexe.

Page 13: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 13

leur dure journé

e

leurs dur journé

dûre journai

s

dure

nt

Sabine a choisi leur : « J’avais pensé une journée », tandis que Cléa engage le

débat là où il s’était arrêté à la deuxième séance, en soulignant la contradiction de la

proposition d’un élève : « Il y a un truc bizarre, un s à leur, ça veut dire qu’il faut un s à

dure et à journée, et pourtant, Roland, il a pas mis de s à dure et à journée ». Réponse

de l’interpellé : « Ils sont sept, les nains, leurs, c’est à eux ».

Ces deux répliques ont réactualisé la controverse. Mais l’argument déjà débattu

et réfuté lors du travail sur corpus a été repéré et est immédiatement contesté par

remue-ménage de la classe. De fait, seuls deux élèves vont soutenir cette position

dans le débat qui s’ensuit.

Les premiers échanges pointent la relation entre leur et journée : « Oui, mais

c’est une journée, c’est pas plusieurs ». Anne renchérit en rappelant l’acquis

précédent : « Mais on a travaillé dessus, sur leur avec s et leur sans s. Leur, ça va pas

avec les sept nains, ça va avec journée ». Non sans peine, Roland admet qu’elle a

raison. Un élève fait alors la synthèse : « Il y a deux orthographes possibles : soit c’est

tout au singulier, soit c’est tout au pluriel ».

Leurs est sur le point d’être effacé quand Maria en reprend la défense et s’attire

la même salve de contre-arguments. Elle accepte finalement de se rallier, mais, au

dernier moment, elle doit reconnaître qu’elle n’a pas compris.

Page 14: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 14

En trois répliques, on passe alors d’une réexplication à l’identique : « C’est les

sept nains qui sont fatigués de leur dure journée de travail, donc c’est une journée », à

la formulation de Marguerite qui amorce un argument morphosyntaxique : « Là, le

groupe, c’est leur dure journée », propos requalifié ensuite par Cléa en termes

métalinguistiques : « Le groupe nominal, c’est leur dure journée ». C’est alors que

Roland, à l’origine du conflit du jour, fait une annonce, adoptant pour de bon cette fois

le point de vue du singulier : « Je pense que je me suis trompé, ça peut pas être leur

dure journée à eux, à plusieurs… ». Sauf pour une élève, l’obstacle référentiel a donc

cédé.

Plusieurs éléments sont à noter. D’une part, dans une séance où il semble se

passer peu de chose6, c’est bien du différent qui s’introduit : la plupart des élèves

admettent la compatibilité entre leur et le singulier en dépit d’un signifié antagonique.

Comme dans l’entretien avec Mathieu, le changement semble passer par de

nombreuses redites : pas moins de sept « une (seule) chambre » sont proférés, leur

assignant par l’intonation un statut de preuve. On peut voir dans cette mise en écho

l’indice d’une prise de conscience en chaîne de cette chose inouïe, à savoir le singulier

de leur, dans le mouvement défini par Vygotski qui va de l’interpsychique à

l’intrapsychique.

C’est sans doute la raison pour laquelle la classe ne sanctionne pas, comme elle

sait le faire, ces redites qui n’en sont pas à ses yeux. De fait, elle ne traite pas de la

même manière Roland qui, selon elle, ne tient pas compte du savoir construit

collectivement dans la troisième séance et considéré comme s’imposant à tous

désormais, et le même Roland qui refait une dernière fois le constat du singulier de

leur en disant qu’il s’était trompé et qu’il a maintenant vraiment compris ; de même, elle

6 Selon plusieurs professeurs -stagiaires à l’issue de l’observation de la séance.

Page 15: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 15

peut redire avec patience une explication « étayante » pour Maria qui vient d’admettre

son incompréhension.

Pendant le débat, on voit donc que la réflexion silencieuse continue, comme en

témoignent notamment ce cheminement de Roland, mais aussi celui de Marguerite ou

de Cléa au travers de leurs différentes interventions.

D’autre part, Maria qui a semblé tirer la classe en arrière l’a fait avancer. En effet,

dans leur effort d’explicitation, Marguerite et Cléa ont poussé plus loin la réflexion et

ouvert la voie morphosyntaxique en parlant de groupe, puis de groupe nominal. C’est

le signe qu’elles commencent à appréhender les mots d’une phrase d’un autre point de

vue, autant comme des évènements particuliers que comme des faits linguistiques

généralisables. Comme chez Mathieu, le recours à la métalangue survient à la fin d’un

parcours plutôt sinueux, en tant que résultat du travail cognitif.

Enfin, la confrontation à la norme est décisive dans l’évolution de la classe. Mais

cette confrontation a un autre statut que l’habituelle présentation de graphies normées.

En effet, depuis le début de leur scolarité, ces élèves de CM2 ont eu leur content de

leçons, d’exercices, de corrections sur les notions en jeu. Cela ne les a pas empêchés

de construire des combinaisons impossibles, qu’ils n’ont évidemment jamais vues

écrites, sinon par eux, telles que leurs chambre ou leurs dure journée. Dans cette

séquence, le recours à un corpus avec le travail de clarification qu’il provoque vient

apporter une réponse à une question que les élèves se posent vraiment après deux

séances où elle n’a pas pu être tranchée définitivement (elle restera encore vive

jusqu’à la fin de la quatrième). Le débat, qui a mené les élèves jusqu’au point de

rupture, les rend prêts à prendre en compte le réel linguistique : littéralement, on ne

perçoit que ce que l’on peut comprendre.

De fait, c’est tout le rapport entre norme et graphies des élèves qui bascule : si la

première reste le but de l’apprentissage, les secondes, posées a priori comme des

Page 16: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 16

productions intelligentes et considérées comme des propositions, ont le statut d’écrits

de travail soumis a posteriori à la réflexion critique de tous.

Grâce à l’étayage de l’enseignant qui régule les échanges, soutient et relance le

débat, facilite le travail par l’inscription des graphies au tableau ou l’oriente en

introduisant au moment opportun un tiers extérieur pour rompre la tension entre deux

positions qui s’affrontent sans pouvoir se dépasser, les élèves sont amenés à expliciter

leurs procédures, confronter leurs savoirs actuels, prendre conscience de certaines de

leurs conceptions et, à terme, à remettre celles-ci en cause.

Ainsi, le langage est doublement impliqué dans la construction des

connaissances orthographiques : en tant qu’objet d’apprentissage — notions

orthographiques construites dans le langage et pour le langage écrit —, et en tant que

lieu d’accomplissement — verbalisations et interactions verbales ouvrant peu à peu

l’accès aux concepts scientifiques. À la différence de l’entretien de recherche qui ne

vise pas l’apprentissage, mais le déclenche parfois, l’enjeu véritable de la controverse

orthographique est bien d’amener les élèves à faire un pas dans ce que Vygotski a

appelé la zone de développement prochain, hors de la pression de la norme et d’une

évaluation trop hâtive et nécessairement négative.

Les déplacements ne sont d’ailleurs pas les mêmes. Pour certains, c’est la prise

en compte de la possibilité du singulier de leur qui prévaut à présent, mais ils

conservent une procédure de type morphosémantique (« une seule journée ») ; pour

d’autres, qui avaient sans doute admis cette possibilité lors d’une séance précédente,

c’est la nécessaire concordance entre mots qui vont ensemble (leur dure journée).

Quelques-uns, en un pas de plus, s’approprient des savoirs enseignés7 et commencent

à réélaborer la notion de groupe nominal en tant qu’ensemble unifié par des marques,

c’est-à-dire sur la base d’une propriété morphosyntaxique : pour ceux-là, la

7 Le groupe nominal a été étudié au début de l’année.

Page 17: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 17

réorientation du concept spontané de pluriel comme dénombrement du réel par le

concept linguistique du nombre a commencé (procédure morphosémantique vs

procédure morphosyntaxique).

Apparaît ainsi nettement le rôle d’une argumentation qui, aussi bien en situation

duelle (entretien) qu’en collectif (CM2) ou en petits groupes (atelier de négociation

graphique) vise autant à convaincre l’autre qu’à explorer un point particulièrement

délicat et encore mal connu (Nonnon, 1996). La dispute8 au sein de la communauté

sociodiscursive que forme la classe se révèle donc un rouage essentiel de

l’assimilation de l’orthographe : les remaniements qu’elle produit constituent le

mouvement de l’apprentissage.

Vers un nouveau contrat didactique

L’école jusqu’à présent s’est peu souciée de la manière dont les élèves

construisent leurs connaissances orthographiques, alors qu’on sait que les acquisitions

n’obéissent pas à la programmation a priori des leçons et exercices, ni à la pauvreté

tyrannique des corrections. La phrase du jour (ou tout dispositif similaire qui ne vise

pas à corriger des fautes, mais à travailler les raisonnements et notions

métalinguistiques), se révèle donc comme un lieu privilégié d’intégration des

connaissances par le langage, la pièce manquante de l’enseignement traditionnel. À

l’instar d’autres disciplines, il s’agit bien d’établir un nouveau contrat didactique que le

concept de communauté discursive scolaire aide à cerner.

Du côté des élèves, le sens qu’ils confèrent à la situation de communication leur

permet d’entrer avec une relative aisance dans une activité de réflexion où le langage

est un objet de connaissance. Grâce aux échanges qui mettent l’accent sur des

propriétés que certains perçoivent et d’autres pas (et inversement), la classe parvient à

8 « Discussion entre deux ou plusieurs personnes sur un point de théologie, de philosophie ou de science » (Littré).

Page 18: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 18

composer des objets plus complexes, qui impliquent des concepts d’un autre ordre, en

rupture avec le sens commun et les concepts spontanés.

Dans ce cadre, de nouvelles attitudes qui renvoient aux pratiques sociales de

référence se construisent avec des buts propres à l’école. Ayant le choix des

thématisations, les élèves apprennent à observer des faits linguistiques, à chercher, à

comparer, à définir des critères et des propriétés, à classer, à dénommer, à trouver des

contre-exemples, à s’appuyer sur des sources de savoir diverses (connaissances déjà-

là, leçons antérieures, ouvrages spécialisés), à spécifier le nécessaire et le possible, et

pas seulement le vrai et le faux (Orange et al., 2001), à aller vers un contrôle conscient

des processus.

Des changements de posture se dessinent ainsi, qui viennent de l’intérieur de

l’activité : par exemple, c’est la même Cléa qui, en soulevant le caractère impératif de

la concordance en nombre, lance la controverse et qui, avec la dénomination de

groupe nominal, la clôt, faisant appel à un savoir externe, un outil conceptuel

historiquement constitué, en circulation dans la communauté des linguistes sous le

terme de syntagme nominal.

Les élèves apprennent également à argumenter, à s’écouter, à se soumettre à la

critique des pairs, à nouer leur apport à celui des autres, à évaluer l’effort de

coopération et la pertinence de la contribution de chacun dans une activité dont le but,

le fonctionnement, la mémoire, sont co-assumés : autrement dit, ils sont partie

prenante dans la construction du contrat de communication impliqué par le dispositif

d’apprentissage.

Du côté de l’enseignant, le nouveau contrat didactique exige beaucoup, puisqu’il

s’agit d’une mise en retrait délibérée dans les échanges et dans la présentation du

savoir, condition pour que s’ouvre un espace interlocutif qui permette aux élèves de

penser/parler/apprendre. C’est donc bien lui qui détient la clé. Or, si l’on en juge par les

Page 19: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 19

réactions en formation, la posture de la « réticence didactique » (Sensevy, Quilio,

2002) ne va pas de soi9.

Pourtant, le domaine de l’orthographe, terrain d’élection des formes

traditionnelles d’enseignement, pourrait devenir, paradoxalement, un levier pour

contribuer à instaurer d’autres pratiques d’enseignement à l’école, notamment si les

jeunes enseignants se reconnaissent dans cette autre configuration de leur métier :

être le garant du savoir orthographique, sans nécessairement devoir l’exposer par la

parole et la démonstration magistrales, reconnaître le travail sous la faute

d’orthographe considérée comme graphie intermédiaire, saisir les progrès dans

l’évolution des procédures graphiques, privilégier l’activité étayée de sujets estimés

capables d’une réflexion intelligente, qui apprennent dans les interactions verbales et

des situations d’apprentissage ouvertes plutôt que dans l’exécution de tâches limitées

et les exercices routiniers — bref, s’ils forment avec leurs élèves une communauté

discursive scolaire, où chacun a un rôle à tenir dans l’activité commune d’observation

réfléchie de la langue. Cette transformation à faire n’a donc rien d’un ajustement léger.

La convergence actuelle des didactiques devrait constituer un atout pour cette

« révolution copernicienne » (Bucheton, Bautier, 1996).

En travaillant au plus près de leurs représentations, les élèves, particulièrement

ceux habituellement considérés comme faibles, en difficulté, en échec, éloignés de la

culture écrite, découvrent que la langue fonctionne comme un système de relations

entre unités et non de façon aléatoire10, à tout jamais hors de leur portée. Engagés

dans un travail intellectuel et vivant une nouvelle expérience du langage et de la

langue, ces élèves découvrent un rôle social/scolaire différent ; ils peuvent ainsi

9 Doutes régulièrement formulés en formation initiale ou continue du premier et du second degré : « Ça prend du temps », « Ils disent des choses fausses », « Ils fixent des graphies erronées », « On pourrait quand même leur dire ce que c’est », « C’est plus simple de rappeler la règle ». 10 La classe de CM2 (de bon niveau) a déclaré récemment : « C’est pour ça qu’on fait de la grammaire, il y a des règles qui nous servent à écrire ! ».

Page 20: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 20

amorcer un nouveau rapport au langage et au savoir, et trouver la possibilité de

construire une tout autre image d’eux-mêmes (Brossard, 1982 ; Bautier, 2002) et d’une

discipline qui n’est plus nécessairement synonyme de dénigrement et d’humiliations.

Au contraire, l’orthographe semble même pouvoir devenir un outil concret pour

participer à la réflexion générale que le langage suscite chez les êtres humains —

voire éprouver la curiosité et la pugnacité du linguiste, quand des discussions se

poursuivent au-delà de la porte de la classe sur une question restée en suspens.

Références bibliographiques

Angoujard, A. (Éd.) (1994), Savoir orthographier, Paris : Hachette/INRP.

Bautier, É. (2202), Du rapport au langage : question d’apprentissages différenciés ou

de didactique ? Pratiques n° 113-114 (pp. 41-54).

Bernié J.-P. (1998), Éléments théoriques pour une didactique interactionniste de la

langue maternelle. In M. Brossard et J. Fijalkow (Éds.) (pp. 155-197). Apprendre à

l’école : perspectives piagetiennes et vygotskiennes, Bordeaux : PUB.

Bernié J.-P. (2002), L'approche des pratiques langagières scolaires à travers la notion

de « communauté discursive », Revue française de Pédagogie n° 141 (pp. 77-88).

Bousquet S., Cogis D., Ducard D., Massonnet J., Jaffré J.-P. (1999), Acquisition de

l’orthographe et mondes cognitifs, Revue française de Pédagogie n° 126 (pp. 23-

37).

Brissaud C. et Cogis D., (2002), La morphologie verbale écrite, ou ce qu’ils en savent

au CM2, Lidil n° 25 (pp. 31-42).

Brossard M. (1982), Approche interactive de l’échec scolaire, Psychologie scolaire

n° 38 (pp. 12-28).

Page 21: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 21

Bucheton D. et Bautier, É. (1996), Interactions : co-construction du sujet et des savoirs,

Le Français aujourd’hui n° 113 (pp. 24-32).

Catach N. (1980), L’Orthographe française, Paris : Nathan.

Cogis D. (2000), Et l’orthographe ? In J.-M. Fournier (Éd.), La rédaction au collège.

Pratiques, normes, représentations (pp. 142-164), INRP, Rapports de Recherches.

Cogis D. (2001), Difficultés en orthographe : un indispensable réexamen, Revue

française de linguistique appliquée VI-1 (pp. 47-61).

Cogis D. et Ros Dupont, M. (à paraitre), Les verbalisations métagraphiques :

un outil didactique en orthographe ?, Dossiers de l’éducation.

Fabre C. (1990), Les Brouillons d’écoliers ou l’entrée dans l’écriture, Grenoble :

Ceditel/L’Atelier du Texte.

Fayol M. (1997), Des idées au texte. Psychologie cognitive de la production verbale,

orale et écrite, Paris : PUF.

Ferreiro E. (1988), L’écriture avant la lettre. In H. Sinclair (Éd.), La Production de

notations chez le jeune enfant — Langage, nombres, rythmes et mélodies (pp. 17-

70), Paris : PUF.

Haas G. (2002), Une nouvelle activité orthographique : l’atelier de négociation

graphique. In G. Haas (Éd.), Apprendre, comprendre l’orthographe autrement, de la

maternelle au lycée (pp. 59-72), CRDP de Bourgogne.

Jaffré J.-P. (1995), Les explications métagraphiques. Leur rôle en recherche et en

didactique. In R. Bouchard et J.-C. Meyer (Éds.), Les Métalangages de la classe de

français(137-138), DFLM, Actes du 6e colloque.

Jaffré J.-P. (1997), Des écritures aux orthographes : fonctions et limites de la notion de

système. In L. Rieben, M. Fayol, C. Perfetti (Éds.), Des orthographes et leur

acquisition (19-36), Lausanne-Paris : Delachaux et Niestlé.

Page 22: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 22

Lahire B. (1993), Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l’échec scolaire à

l’école primaire, Lyon : PUL.

MEN-DPD (2001), Évaluations CE2-sixième. Repères nationaux septembre 2000, Les

dossiers, n° 124.

Nonnon É. (1996), Activités argumentatives et élaboration de connaissances

nouvelles : le dialogue comme espace d’exploration, Langue française n° 112

(pp. 67-87).

Olson D. (1994, trad. 1998) L’univers de l’écrit. Comment la culture écrite donne forme

à la pensée, Paris : Retz.

Orange C., Fourneau J.-C., Bourbigot J.-P. (2001), Ecrits de travail, débats

scientifiques et problématisation à l’école élémentaire, Aster n° 33 (pp 82-111).

Reuter Y. (1996), Enseigner et apprendre à écrire, Paris : ESF.

Sensevy G. et Quilio S. (2002), Les discours du professeur. Vers une pragnatique

didactique, Revue française de Pédagogie n° 141 (pp. 47-56).

Vygotski L. (1934), Pensée & Langage, réédition (1997) Paris : La Dispute.

Page 23: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 23

ANNEXE

Séance n° 4 : leur dure journée

M désigne le professeur-stagiaire qui mène la séance, F un formateur.

1- La bonne graphie leur : « une journée »

M. : Sabine, pourquoi tu as écrit leur sans s ?

Sabine : Moi, j’avais pensé une journée et c’est les sept nains. Moi, j’ai pas

pensé à mettre un s.

F. : Et tu penses qu’il en faut un ?

Sabine : Non.

2- Problème : critère de nécessité

Cléa : Moi, je trouve qu’il y a un truc bizarre, un s à leur, ça veut dire qu’il faut un

s à dure et à journée, et pourtant, Roland, il a pas mis de s à dure et à journée.

3- Argumentation de type morphosémantique

M. : Roland, pourquoi tu avais mis leurs avec un s ?

Roland : Parce qu’ils sont sept, les nains, leurs, c’est à eux.

Remue-ménage dans la classe.

M. : Explique-nous.

Roland : Non…

M. : Va jusqu'au bout de ton idée.

Roland : Parce que c’est eux qui sont fatigués de leur journée, dure.

M. : Si je te suis bien, leur avec s, ça se rapporte au fait qu’ils sont fatigués ?

Sabine : Oui, mais c’est une journée, c’est pas plusieurs.

Roland : Oui, mais c’est eux tous…

Élèves : Oui, mais…

M. : Pas tous à la fois.

Page 24: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 24

Roland : C’est eux tous…

4- Référence aux acquis : relation leur/journée

Anne : Mais on a travaillé dessus, sur leur avec s et leur sans s. Leur, ça va pas

avec les sept nains, ça va avec journée.

M. : Tu as entendu ?

F. : Et qu’est-ce que tu en penses ?

Roland : Que c’est bon.

F. : C’est-à-dire ?

Roland : Qu’est-ce qu’elle a dit, mais j’avais pas vu, parce que c’est leur journée

à eux tous.

Élève : Moi, je suis pas d’accord.

Anne : En plus, si il y avait pas plusieurs nains, on dirait sa dure journée et pas

leur dure journée.

M. S’il y avait un seul nain, on dirait sa dure journée.

Elle écrit au tableau sa dure journée.

5- Synthèse

Élève : Il y a deux orthographes possibles : soit c’est tout au singulier, soit c’est

tout au pluriel.

6- Problème : critère de possibilité

Élève : Ça fait peut-être deux jours qu’ils sont dans leurs tunnels, qu’ils rentrent

et ils vont se coucher…

M. : Il y a plusieurs journées ou une seule ?

Élève : On peut pas savoir.

M. : Ah bon ?

Élève : Une, ça parait logique, mais on pourrait dire qu’il y a deux journées.

M. : Donc, là, on est d’accord, on est dans le cadre d’une seule journée.

Page 25: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 25

7- Reformulations

Élève : Quand il y a leur, ça appartient à plusieurs, mais là il y a une seule

journée.

Marguerite : La journée, elle est toute seule.

Sabine : Moi, je serais d’accord pour un s si c’était plusieurs journées, mais là,

c’est une journée, donc pas de s.

M. : Bon, alors, vous êtes tous d’accord pour éliminer leurs ?

8- Problème : retour au morphosémantique

Maria : Non, moi je ne suis pas d’accord. Parce que c’est la journée des sept

nains, parce que je sais pas, ils sont plusieurs, alors…

M. : Donc tu penses que comme ils sont plusieurs, il faudrait mettre un s, c’est

ça ?

Maria : Oui, parce qu’ils disent leurs profonds tunnels, ils parlent pas de la

journée.

Line : Non mais, je suis pas d’accord, c’est une dure journée de travail.

M. : Tu as entendu ?

Maria : Oui.

M. : Tu n’es toujours pas d’accord avec ça ?

Maria : Ben si, je suis d’accord.

M. : Tu as compris l’argumentation de Line ?

Maria : Oui, un peu.

M. : Tu pourrais la reformuler ?

Maria : Oui, ben parce que… Non, j’ai pas compris.

9- Construction d’une argumentation de type morphosyntaxique

Line : C’est les sept nains qui sont fatigués de leur dure journée de travail, donc

c’est une journée.

Page 26: CONSTRUCTION DES CONNAISSANCES, LANGAGE ET …airdf.ouvaton.org/archives/bordeaux-2003/pdf/cogis.pdfColloque pluridisciplinaire : « 2Construction des connaissances et lang age dans

Colloque pluridisciplinaire :

« Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » Bordeaux 2003 26

Marguerite : Et aussi, quand on a fait la dictée, on n’est pas censé savoir que…

on le sait qu’à la fin que ce sont les sept nains qui sont fatigués, alors que là, le

groupe, c’est leur dure journée. Et là, on est sûr de savoir.

Cléa : Et après on avance. En tout cas, Maria, on peut savoir que leur, ça

s’adresse à dure journée, car le groupe nominal, c’est leur dure journée, alors

que pour tunnels, c’est de profonds tunnels, c’est pas leurs de profonds tunnels.

10- Décision

Roland : Je pense que je me suis trompé, ça peut pas être leur dure journée à

eux, à plusieurs…

M. : Bon, on va peut-être supprimer leurs, tout le monde est d’accord ?

Élèves : Oui.

F. : Maria, tu n’es pas complètement d’accord, mais tu sais qu’on y reviendra.