Contes de Perrault, Extraits

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  • 7/30/2019 Contes de Perrault, Extraits

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    Perrault, La Barbe bleue Anne, ma sur Anne, ne vois-tu rien venir ? Je vois, rpondit-elle, deux cavaliers qui viennent de ce ct, mais ilssont bien loin encore. Dieu soit lou ! scria-t-elle un moment aprs, ce sont mes frres ; je

    leur fais signe tant que je puis de se hter. La Barbe bleue se mit crier si fort que toute la maison en trembla. Lapauvre femme descendit, et alla se jeter ses pieds tout pleure et toutchevele. Cela ne sert rien, dit la Barbe bleue ; il faut mourir. Puis, la prenant dune main par les cheveux, et de lautre, levant lecoutelas en lair, il allait lui abattre la tte. La pauvre femme, se tournantvers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner unpetit moment pour se recueillir. Non, non, dit-il, recommande-toi bien Dieu ; et, levant son brasDans ce moment, on heurta si fort la porte que la Barbe bleue sarrtatout court. On louvrit, et aussitt on vit entrer deux cavaliers, qui mettant

    lpe la main, coururent droit la Barbe bleue.Il reconnut que ctaient les frres de sa femme, lun dragon et lautremousquetaire, de sorte quil senfuit aussitt pour se sauver ; mais lesdeux frres le poursuivirent de si prs quils lattraprent avant quil ptgagner le perron. Ils lui passrent leur pe au travers du corps, et lelaissrent mort. La pauvre femme tait presque aussi morte que son mari,et navait pas la force de se lever pour embrasser ses frres.Il se trouva que la Barbe bleue navait point dhritiers, et quainsi safemme demeura matresse de tous ses biens. Elle en employa une partie marier sa sur Anne avec un jeune gentilhomme dont elle tait aimedepuis longtemps ; une autre partie acheter des charges de capitaines ses deux frres, et le reste se marier elle-mme un fort honntehomme, qui lui fit oublier le mauvais temps quelle avait pass avec laBarbe bleue.

    MORALITLa curiosit, malgr tous ses attraits,Cote souvent bien des regrets ;On en voit, tous les jours, mille exemples paratre.Cest, nen dplaise au sexe, un plaisir bien lger ;Ds quon le prend, il cesse dtre.Et toujours il cote trop cher.

    AUTRE MORALITPour peu quon ait lesprit sensEt que du monde on sache le grimoire,On voit bientt que cette histoireEst un conte du temps pass.Il nest plus dpoux si terrible,Ni qui demande limpossible :Ft-il malcontent et jaloux.Prs de sa femme on le voit filer doux ;Et de quelque couleur que sa barbe puisse tre,On a peine juger qui des deux est le matre.

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    Les Fes

    Il tait une fois une veuve qui avait deux filles ; l'ane lui ressemblait sifort et d'humeur et de visage, que qui la voyait voyait la mre. Ellestaient toutes deux si dsagrables et si orgueilleuses qu'on ne pouvaitvivre avec elles. La cadette, qui tait le vrai portrait de son Pre pour ladouceur et pour l'honntet, tait avec cela une des plus belles filles qu'onet su voir. Comme on aime naturellement son semblable, cette mretait folle de sa fille ane, et en mme temps avait une aversioneffroyable pour la cadette. Elle la faisait manger la cuisine et travaillersans cesse.Il fallait entre autres choses que cette pauvre enfant allt deux fois le jourpuiser de l'eau une grande demi lieue du logis, et qu'elle en rapporttplein une grande cruche. Un jour qu'elle tait cette fontaine, il vint elleune pauvre femme qui la pria de lui donner boire. - Oui-d, ma bonne

    mre, dit cette belle fille ; et rinant aussitt sa cruche, elle puisa de l'eauau plus bel endroit de la fontaine, et la lui prsenta, soutenant toujours lacruche afin qu'elle bt plus aisment. La bonne femme, ayant bu, lui dit :- Vous tes si belle, si bonne, et si honnte, que je ne puis m'empcher devous faire un don (car c'tait une Fe qui avait pris la forme d'une pauvrefemme de village, pour voir jusqu'o irait l'honntet de cette jeune fille).

    Je vous donne pour don, poursuivit la Fe, qu' chaque parole que vousdirez, il vous sortira de la bouche ou une Fleur, ou une Pierre prcieuse.Lorsque cette belle fille arriva au logis, sa mre la gronda de revenir sitard de la fontaine.- Je vous demande pardon, ma mre, dit cette pauvre fille, d'avoir tard silongtemps ; et en disant ces mots, il lui sortit de la bouche deux Roses,

    deux Perles, et deux gros Diamants. - Que vois-je ? dit sa mre touttonne ; je crois qu'il lui sort de la bouche des Perles et des Diamants ;d'o vient cela, ma fille ? (Ce fut l la premire fois qu'elle l'appela safille.) La pauvre enfant lui raconta navement tout ce qui lui tait arriv,non sans jeter une infinit de Diamants. - Vraiment, dit la mre, il faut que

    j'y envoie ma fille ; tenez, Fanchon, voyez ce qui sort de la bouche devotre sur quand elle parle ; ne seriez-vous pas bien aise d'avoir le mmedon ? Vous n'avez qu' aller puiser de l'eau la fontaine, et quand unepauvre femme vous demandera boire, lui en donner bien honntement.Il me ferait beau voir, rpondit la brutale, aller la fontaine. Je veux quevous y alliez, reprit la mre, et tout l'heure.

    Elle y alla, mais toujours en grondant. Elle prit le plus beau Flacon d'argentqui ft dans le logis. Elle ne fut pas plus tt arrive la fontaine qu'elle vitsortir du bois une Dame magnifiquement vtue qui vint lui demander boire :c'tait la mme Fe qui avait apparu sa sur mais qui avait pris l'air etles habits d'une Princesse, pour voir jusqu'o irait la malhonntet decette fille.- Est-ce que je suis ici venue, lui dit cette brutale orgueilleuse, pour vousdonner boire, justement j'ai apport un Flacon d'argent tout exprs pourdonner boire Madame ! J'en suis d'avis, buvez mme si vous voulez. -Vous n'tes gure honnte, reprit la Fe, sans se mettre en colre ; hbien ! puisque vous tes si peu obligeante, je vous donne pour don qu'

    chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpentou un crapaud.

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    Cendrillon

    En les coiffant, elles lui disaient : - "Cendrillon, serais-tu bien aise dallerau bal ?" - "Hlas, mesdemoiselles, vous vous moquez, de moi : ce nestpas l ce quil me faut." - "Tu as raison, on rirait bien, si on voyait unCucendron aller au bal." Une autre que Cendrillon les aurait coiffes detravers ; mais elle tait bonne, et elle les coiffa parfaitement bien. Ellesfurent prs de deux jours sans manger, tant elles taient transportes de

    joie. On rompit plus de douze lacets, force de les serrer pour leur rendrela taille plus menue, et elles taient toujours devant le miroir.Enfin lheureux jour arriva ; on partit, et Cendrillon les suivit des yeux leplus longtemps quelle put. Lorsquelle ne les vit plus, elle se mit pleurer.Sa marraine, qui la vit tout en pleurs, lui demanda ce quelle avait. "Jevoudrais bien... je voudrais bien..." Elle pleurait si fort quelle ne putachever. Sa marraine, qui tait fe, lui dit : - "Tu voudrais bien aller au bal,

    nest-ce pas ?" - Hlas! oui." dit Cendrillon en soupirant. - Eh bien ! seras-tu bonne fille ? dit sa marraine, je ty ferai aller."Elle la mena dans sa chambre, et lui dit : - "Va dans le jardin, et apporte-moi une citrouille. " Cendrillon alla aussitt cueillir la plus belle quelle puttrouver, et la porta sa marraine, ne pouvant deviner comment cettecitrouille la pourrait faire aller au bal. Sa marraine la creusa et, nayantlaiss que lcorce, la frappa de sa baguette, et la citrouille fut aussittchange en un beau carrosse tout dor. Ensuite elle alla regarder dans lasouricire, o elle trouva six souris toutes en vie. Elle dit Cendrillon delever un peu la trappe de la souricire, et chaque souris qui sortait, ellelui donnait un coup de sa baguette, et la souris tait aussitt change enun beau cheval : ce qui fit un bel attelage de six chevaux, dun beau gris

    de souris pommel. Comme elle tait en peine de quoi elle ferait uncocher :- "Je vais voir, dit Cendrillon, sil ny a pas quelque rat dans la ratire, nousen ferons un cocher." - "Tu as raison, dit sa marraine, va voir." Cendrillonlui apporta la ratire, o il y avait trois gros rats. La fe en prit un dentreles trois, cause de sa matresse barbe, et, layant touch, il fut changen un gros cocher, qui avait une des plus belles moustaches quon ait

    jamais vues. Ensuite elle lui dit :"Va dans le jardin, tu y trouveras six lzards derrire larrosoir : apporte-les moi. " Elle ne les eut pas plutt apports, que sa marraine les changeaen six laquais, qui montrent aussitt derrire le carrosse, avec leurs

    habits chamarrs, et qui sy tenaient attachs comme sils neussent faitautre chose de toute leur vie.La fe dit alors Cendrillon :- "Eh bien! voil, de quoi aller au bal : nes-tu pas bien aise ?"- Oui, mais est-ce que jirai comme cela, avec mes vilains habits ?"Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en mme temps seshabits furent changs en des habits dor et dargent, tout chamarrs depierreries ; elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus

    jolies du monde.

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    Le Petit Poucet

    L'Ogre avait sept filles, qui n'taient encore que des enfants. Ces petitesogresses avaient toutes le teint fort beau, parce qu'elles mangeaient de lachair frache, comme leur pre ; mais elles avaient de petits yeux gris ettout ronds, le nez crochu, et une fort grande bouche, avec de longuesdents fort aigus et fort loignes l'une de l'autre. Elles n'taient pasencore fort mchantes; mais elles promettaient beaucoup, car ellesmordaient dj les petits enfants pour en sucer le sang.On les avait fait coucher de bonne heure, et elles taient toutes sept dansun grand lit, ayant chacune une couronne d'or sur la tte. Il y avait dans lamme chambre un autre lit de la mme grandeur: ce fut dans ce lit que lafemme de l'Ogre mit coucher les sept petits garons; aprs quoi, elle s'allacoucher auprs de son mari.Le petit Poucet, qui avait remarqu que les filles de l'Ogre avaient des

    couronnes d'or sur la tte, et qui craignait qu'il ne prt l'Ogre quelquesremords de ne les avoir pas gorgs ds le soir mme, se leva vers lemilieu de la nuit, et prenant les bonnets de ses frres et le sien, il alla toutdoucement les mettre sur la tte des sept filles de l'Ogre, aprs leur avoirt leurs couronnes d'or, qu'il mit sur la tte de ses frres, et sur la sienneafin que l'Ogre les prt pour ses filles, et ses filles pour les garons qu'ilvoulait gorger.La chose russit comme il l'avait pens ; car l'Ogre, s'tant veill sur leminuit, eut regret d'avoir diffr au lendemain ce qu'il pouvait excuter laveille. Il se jeta donc brusquement hors du lit, et, prenant son grandcouteau:" Allons voir, dit-il, comment se portent nos petits drles; n'en faisons pas

    deux fois. "Il monta donc ttons la chambre de ses filles, et s'approcha du lit otaient les petits garons, qui dormaient tous, except le petit Poucet, quieut bien peur lorsqu'il sentit la main de l'Ogre qui lui ttait la tte, commeil avait tt celles de tous ses frres. L'Ogre, qui sentit les couronnes d'or :" Vraiment, dit- il, j'allais faire l un bel ouvrage; je vois bien que je bustrop hier au soir. "Il alla ensuite au lit de ses filles, o ayant senti les petits bonnets desgarons:" Ah ! les voil, dit-il, nos gaillards ; travaillons hardiment. "En disant ces mots, il coupa, sans balancer, la gorge ses sept filles. Fort

    content de cette expdition, il alla se recoucher auprs de sa femme.Aussitt que le petit Poucet entendit ronfler l'Ogre, il rveilla ses frres, etleur dit de s'habiller promptement et de le suivre. Ils descendirentdoucement dans le jardin et sautrent par-dessus les murailles. Ilscoururent presque toute la nuit, toujours en tremblant, et sans savoir oils allaient.L'Ogre, s'tant veill, dit sa femme :" Va-t'en l-haut habiller ces petits drles d'hier au soir. "L'Ogresse fut fort tonne de la bont de son mari, ne se doutant point dela manire qu'il entendait qu'elle les habillt, et croyant qu'il lui ordonnaitde les aller vtir, elle monta en haut, o elle fut bien surprise, lorsqu'elleaperut ses sept filles gorges et nageant dans leur sang. Elle commena

    par s'vanouir, car c'est le premier expdient que trouvent presque toutesles femmes en pareilles rencontres.

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    L'Ogre, craignant que sa femme ne ft trop longtemps faire la besognedont il l'avait charge, monta en haut pour lui aider. Il ne fut pas moinstonn que sa femme lorsqu'il vit cet affreux spectacle."Ah ! qu'ai-je fait l ? s'cria-t-il. Ils me le payeront, les malheureux, ettout l'heure. "

    Il jeta aussitt une pote d'eau dans le nez de sa femme ; et, l'ayant faitrevenir:" Donne-moi vite mes bottes de sept lieues, lui dit-il, afin que j'aille lesattraper. "