Contes Slaves

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    CONTESDES PAYSANS ET DES PATRES SLAVES

    PARIS. - IMPRIMERIE GENERALE DE CH.

    LAHURERue de Fleurus, 9

    TRADUITS EN FRANAIS

    ET RAPPROCHES DE LEUR SOURCE INDIENNE

    PAR

    ALEXANDRE CHODZKO

    Charg du cours de langue et littrature slaves

    au Collge de France

    Les Slaves, si l'on avait runi leurs contes populaires, auraient dequoi produire un systme mythologique tout aussi vaste que celui des

    Hindous.

    A. MICKIEWICZ.

    PARIS

    LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie

    BOULEVARD SAINT-GERMAIN, N 77

    1864

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    La rdition numrique en mode texte de cet ouvrage,maintenant dans le domaine public, a t ralise par

    l'association Contes, Vents et Mares et estgracieusement distribue par celle-ci. Tout usage

    commercial de ce fichier est interdit.

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    PRFACE

    Le grand narrateur des Contes des Fes, Perrault, lesaura appris de la bouche de sa nourrice, sans doutequelque bonne paysanne de Picardie ou de Bretagne. Il ahonte, lui, Parisien, de l'avouer en pleine cour de LouisXIV! Il cherche rhabiliter la mmoire de ses hrones :

    aussi les voit-on reparatre dans son livremtamorphoses en autant de prcieuses, coiffes laMaintenon, avec du fard, des mouches de la bonnefaiseuse et montes en carrosse attel de six chevaux d'unbeau gris de souris pommel, entoures de laquais auxhabits chamarrs, que sais-je ? Aprs avoir dnatur ainsiles simples rcits de la muse rustique, il les fait suivre depices de vers qui parfois n'ont rien d'analogue avec lecontenu du fabliau. N'importe, les charmes du style dePerrault et la beaut indigne de la morale des contesqu'il a choisis, leur ont assur un succs qui grandit avecles annes. Aucun livre Paris n'a eu plus d'ditions que

    le sien. La tradition populaire, source la-

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    II PREFACE

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    quelle Perrault a puis ses inspirations, tarie en France,abonde encore dans les pays slaves. Les habitants descampagnes y passent les longues soires de l'automne etde l'hiver couter les rcits de quelque conteur (baar)de profession. Ce qu'on lui demande avant tout, c'estl'exactitude de la narration. La moindre faute ouchangement d'expression sont aussitt relevs et corrigspar des auditeurs, car tout le monde y sait par cur plusou moins de contes nationaux ; tout le monde les aime, et

    on ne craint pas de tomber dans des redites. Nousdonnons ici un chantillon de ces rcits.

    Peut-tre nous fera-t-on reproche d'avoir os trop et enmme temps d'avoir commis un anachronisme encomparant ces fabliaux d'un peuple illettr aux chefs-d'uvre littraires de l'Inde antique. L'histoire, nousobjectera-t-on, ne commence parler des Slaves qu'ausixime sicle ; elle ne les aurait pas oublis s'ils eussentexist antrieurement notre re. Mais est-ce le seuloubli qui se rencontre dans les annales de l'histoirecrite ? Nous a-t-elle, par exemple, dit pour quelles

    raisons un des idiomes slaves, le lituanien, offre avec lesanscrit plus de rapports qu'aucune des languesaujourd'hui vivantes ? A-t-elle aid beaucoup dissiperles doutes qui obscurcissent encore la

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    PREFACE III

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    question des origines et des migrations d'autres peuplesde l'Europe?

    Heureusement la science moderne trouve des moyensde suppler, du moins en partie, aux rticences deschroniques. Nous n'avons pas nous tendre ici surl'importance des rsultats obtenus par la philologiecompare. Il suffira de rappeler qu'on a russi dj classer les langues dans l'ordre de leur drivation et, parconsquent, distribuer les peuples qui les parlent enautant de races. En les comparant les unes avec les autres,en remontant du mot l'ide qu'il exprime, on s'estaperu que tant des plus nobles, grandes et belles chosesque la foi et le gnie de l'homme aient jamais conues ouralises dans l'Inde, en Grce, en Italie et, en dernierlieu, chez les peuples de la chrtient, que toutes cesconqutes intellectuelles et morales, dis-je, dont notresicle s'enorgueillit bon droit, sont, pour la plupart,l'uvre d'une seule race (aryane) d'hommes.

    L'on s'est aperu aussi qu'en s'attachant aux lmentsde leur parole et leurs mythes, on peut retrouver maintsanneaux, de la chane traditionnelle qui relie les peuplesde cette race illustre. Il n'est pas plus permis de douterque toutes leurs mythologies ne soient issues d'un mmepoint de dpart, et il n'y a pas lieu de s'tonner que leshros de l'Iliade et de

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    IV PREFACE

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    l'Odysse ressemblent ceux du Ramayana et duMahabharata, la mtempsycose de Pythagore celle dupanthisme indien, ou les Ides de Platon aux Avatarasdes brahmanes, et ainsi de suite. Si les Grecs d'autrefoisallaient en gypte tudier l'astronomie et le calcul, cesleons de sagesse smite ne s'adressaient qu' leurintelligence ; mais leur cur et leur imagination seretrempaient sous le ciel de la Hellade, dans les traditionsorales du peuple grec des colonies ioniennes, ou de leurs

    voisins, les Perses. Hrodote composa son histoired'aprs des rcits qu'il recueillit, en voyageant dans l'AsieMineure, de mme que, notre contemporain Grimm, ardig sa mythologie germanique en transcrivant lescontes des paysans allemands.

    Puisse ce mot philologie, mot d'ennuyeuse mmoire etmalsant dans une prface de contes populaires, ne pointpouvanter nos lectrices bnvoles ! On n'a qu' ouvrir levolume pour se convaincre que la forme et le fond de cesfabliaux campagnards ont t laisss intacts. Desremarques qui les accompagnent se trouvent relgues

    soit au bas des pages, soit dans l'PILOGUE final, et cesremarques sont peu nombreuses, parce que nous n'avonscherch dire que ce qui n'a pas t dit avant nous cesujet.

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    LE SJOUR DES DIEUX

    (Traduit du texte tchque de Bogna Nemova:

    Slovensk Povesti, 1857, Prague.)

    I : LE ROI DU TEMPS (1)

    Deux frres habitaient un petit patrimoine. L'an taitfort riche, mais, en mme temps, mchant et impie. Lecadet n'avait pas d'gal pour la bont du cur etl'honntet, mais avait une nombreuse famille et il tait sipauvre, que parfois elle manquait du pain quotidien. Un

    jour, ne pouvant plus endurer la faim, il alla voir sonfrre, le richard, et lui demanda un morceau de pain, maisil se repentit de

    ______________

    (1) Nous avons runi ici ces trois contes qui contiennent des donnespleines d'intrt sur l'Olympe du paganisme slave. Le savant Hanush,dans son calendrier mythologique (Baieslovny kalendar, 1860,Prague), dit que les Slaves paens croyaient qu'au-dessus de la terre, ily avait une triple rgion : 1 Nbo, rgion des nuages ; 2 Ra, sjourdes bienheureux ; et enfin 3 Mo-

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    l'inutilit de celle dmarche. Le richard, aprs l'avoirtrait de paresseux et de mendiant, lui ferma la porte aunez.

    Renvoy d'une faon si brutale, l'infortun frre cadetmarchait sans savoir trop o diriger ses pas. Il avait faim,ses jambes le tranaient avec peine, et il grelottait de froidfaute de vtements. N'osant plus rentrer chez lui lesmains vides, il se dirigeait vers la montagne de la fort. Ily trouva un poirier sauvage, et se rgala de quelquespoires dures, qui jonchaient la terre, content de cettebonne fortune, quoiqu'elles lui eussent agac les dents.Cependant, une nourriture si chtive ne pouvait lerchauffer, et la bise glaciale le pntrait d'outre en outre.Il se demandait : " O aller? que devenir? Dans macabane, il n'y a ni pain ni feu, et mon frre m'a chass dechez lui! " A la vue d'une montagne qui se dressait devantlui, il se rappela avoir ou dire qu'elle avait un sommet deverre, sur lequel brlait un feu ternel. " Essayons d'yaller, pensa-t-il, peut-tre russirai-je m'y rchauffer unpeu, je suis si malheureux ! "

    ______________

    drne (sanscrit indra), l'espace azur, ayant la transparence et l'clat duverre (sl. sklo, lat. coelum). Sur une montagne au mamelon vitreux(sklny vrkh), sjournaient les Saisons, les Mois de l'anne et autresdivinits secondaires subordonnes la direction de l'Etre suprme.

    En effet, on verra dans les trois contes figurer le roi du Temps ou chefdes dieux, les Saisons, les Mois, les lments (l'eau, le feu, le vent), etune foule de divinits malfaisantes (stryga).

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    Il s'avanait donc en montant. Bientt, parvenu lacime, l'infortun aperut, non loin de lui, douze individus(1) assis autour d'un grand feu. Il s'arrta. Puis, aprs unmoment d'hsitation, s'offrit son esprit cette pense : Qu'as-tu donc perdre, toi? pourquoi les craindrais-tu ?Dieu est avec toi, en avant! Arriv prs du feu, il lessalua en les priant :

    " Braves gens, ayez piti de ma dtresse, je suispauvre, personne ne se soucie de moi et je n'ai point defeu dans ma chaumire. Permettez-moi de me rchaufferprs du vtre. "

    Tous le regardaient avec bienveillance, et l'un d'euxlui parla ainsi :

    " Mon fils, assieds-toi avec nous, et rchauffe-toi notre chaleur. "

    Il entra donc dans le cercle et se chauffait leurcontact ; mais comme ils gardaient silence, lui aussin'osait entamer la conversation. Ce qui l'tonnait surtout,

    c'est qu'ils changeaient de place l'un aprs______________

    (1) Les douze dieux, dont il s'agit ici, diffrent des douze Mois duconte de Marouchka. Ici les douze dieux, que le narrateur ne nommepas, obissent leur chef Kral Tchaou, ou le roi du Temps, qui, ceme semble, est une rminiscence du mythe de Zeudavesta :

    L'Etre suprme, Zmani-Bikrne (le Temps sans bornes), est lesouverain ternel. Il a tabli Hormuzd pour 12000 ans et il l'a aiddans tout ce qu'il fait. La dure du monde est de 12 000 ans, selon lesdouze signes de zodiaque. "

    (Anquetil du Perron, Zendavesta, vol. II, p. 799.)

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    l'autre. De cette manire, ayant accompli le tour du feu,ils revinrent chacun l'endroit o il les avait trouvs enarrivant. Enfin, au moment o il s'approchait du feu, il vitsurgir du milieu des flammes un vieillard barbe blanche tte chauve, qui lui adressa ces paroles (1) :

    " Homme, ne perds pas ici ta vie, retourne ta cabanepour y travailler et vivre honntement. Tu peuxt'approvisionner de braise notre foyer. Prends-en discrtion, sans quoi nous la laisserions se consumer icien pure perte. "

    Aprs avoir ainsi parl, le vieillard disparut. Lesdouze se levrent de leurs places ; ils remplirent de braiseun gros sac, ils en chargrent les paules du pauvrehomme, et lui enjoignirent de rebrousser chemin pourretourner chez lui.

    Les ayant remercis humblement, il revenait sanspouvoir s'expliquer pourquoi la braise contenue dans lesac ne le brlait pas. Il en trouvait la chargeextraordinairement lgre, comme si c'et t du papier.

    Il se rjouissait en pensant qu'il allait avoir de quoi fairedu feu dans sa cabane. Mais quel fut son bonheurlorsqu'en arrivant chez lui et dchargeant le sac de sespaules, il y trouva autant de pices d'or

    ______________

    (1) " Voici que, tout coup, sortant du feu sacr, apparut devant sesyeux un grand tre, d'une splendeur admirable et tout pareil aubrasier"

    (Ramayana, vol. I, p. 122, trad. Fauche.)

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    qu'il y avait nagure de miettes de braise. Peu s'en fallutqu'il ne devint fou de joie, se voyant en possession d'unesomme d'argent si considrable. Il bnissait en esprit lalibralit des donateurs, qui avaient bien voulu leprserver tout jamais de la misre.

    Ainsi devenu riche, et heureux de pouvoir assurer lebien-tre de sa famille, il voulut savoir au juste combiende pices d'or il possdait. Ne sachant pas compter, ilenvoya sa femme auprs du richard, en le priant de leurprter un litre. Cette fois-ci, le frre accda leurdemande, mais tout en riant :

    " Qu'avez-vous donc mesurer, gueux que vous tes?

    La femme rpondit :

    " Le voisin nous doit un peu de bl, et nous voulonsnous assurer s'il nous rend bonne mesure. "

    Le richard intrigu conut quelques soupons et, l'insu de sa belle-sur, il fit empoisser l'intrieur du litre.Le stratagme russit, car le richard en reprenant son litre

    trouva une pice d'or colle aux parois. Frappd'tonnement, il ne pouvait s'expliquer ce fait, qu'ensupposant que son frre s'tait associ quelque bande devoleurs. Aussi courut-il aussitt chez le cadet, et menaade le traduire devant la justice s'il ne lui avouait pas d'oil tenait ses pices d'or. Le pauvre homme embarrass etne voulant pour rien au monde offenser

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    son frre, finit par lui raconter toutes les particularits deson voyage au sommet de la montagne de Verre.

    L'an ne manquait point d'or, mais il enviait la bonnefortune du cadet. Celui-ci usait si honntement et si biende ses richesses qu'il mrita l'estime universelle, au granddplaisir de son frre qui rsolut enfin, lui aussi, devisiter la montagne de Verre.

    " Ce qui a russi mon frre peut me russir de

    mme, " se dit-il.Quelque temps aprs, il arriva effectivement jusqu' la

    cime cristalline et il parla ainsi aux douze individus assisautour du feu :

    " Je vous prie bien, mes braves gens, de me laisserchauffer votre feu, car je suis pauvre et je manque desmoyens de m'abriter contre les froids de cet hiverrigoureux. "

    A quoi l'un des douze rpondit :

    " Mon fils, tu tais n dans une heure propice ; tupossdes assez de richesses, mais tu es un avare et unmchant homme. Or, pour avoir os mentir devant nous,tu souffriras la peine que tu mrites. "

    Atterr et effray de ces menaces, le richard demeuraitimmobile au milieu des douze, n'osant profrer aucuneparole. Quant aux douze, ils changeaient de sigesuccessivement : le premier allait

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    occuper la place du deuxime, celui-ci celle du troisimeet ainsi de suite, jusqu' ce qu'aprs avoir achev laronde, chacun se fut rassis son ancienne place. L-dessus, du milieu du feu, se dressa le vieillard la barbeblanche, que nous avons dj vu, et qui, d'une voixsvre, dit au richard :

    " Malheur aux gens pervers ! Ton frre est un hommevertueux, c'est pourquoi je l'ai bni ; quant toi, tu es unhomme mchant, tu n'chapperas pas notrevengeance ! "

    Cela dit, les douze se levrent de leurs siges ; lepremier, saisissant le richard, le frappa et le remit audeuxime, celui-ci au troisime, et de cette manire, lecoupable passant de mains en mains, tomba finalemententre les mains du vieillard qui disparut dans le feu avecsa proie.

    Au chteau du riche on avait beau attendre. Personnene savait ce qu'il tait devenu. Le frre cadet s'en doutaitun peu, mais il garda le silence.

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    II : LE TEMPS ET LES ROISDES LMENTS

    Il y avait deux poux qui s'aimaient tendrement : lemari n'et pas chang sa femme contre les richesses dumonde entier, et elle ne faisait que ce qu'il dsirait. Aussivivaient-ils comme deux grains dans un mme pi.

    Une fois, tandis qu'il travaillait aux champs et qu'elle

    vaquait chez eux aux soins du mnage, il se sentit un teldsir de la voir que, sans attendre l'heure du coucher dusoleil, il courut la maison. Hlas! sa femme chrie n'ytait plus! Il cherche partout, il court, il pleure, ill'appelle, peine perdue, il ne trouve sa compagne nullepart!

    Bris par la douleur, il prit la vie en dgot, car il nepensait qu' sa compagne, qu'aux moyens de la retrouver.Aprs quelques jours d'attente, il rsolut de parcourir lemonde sa recherche. Mais o? comment? n'importe. Ils'achemine et s'avance dans une direction inconnue, l o

    Dieu dirigera ses pas. Triste et pensif, il passa maintsjours marcher

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    jusqu' ce qu'il fut arriv aux bords d'un grand lac, prsd'une cabane riveraine.

    " Je me reposerai ici un peu, se dit-il ; qui sait si je n'yapprendrai pas quelques dtails? "

    Il entre, mais une femme, qui l'aperoit dans lacabane, veut l'en chasser en lui criant :

    " Que cherches-tu ici, malheureux? Si mon mari te

    voit, tu priras l'instant mme. O est-il donc, ton mari? demanda le voyageur.

    Comment, tu ne le connais pas? Mon mari est le roide l'Eau. Tout ce qui est humide obit ses ordres.Sauve-toi, au nom de Dieu, car s'il arrive ici inopinment,il ne manquera pas de te dvorer aussitt.

    Mais peut-tre il aura piti de mes souffrances ;cache-moi ici quelque part. Je suis rendu de fatigue et jen'ai pas de gte pour la nuit. "

    La reine, se laissant flchir, le cacha derrire le pole.Un moment aprs, arriva le roi de l'Eau, et il n'avait pasencore franchi la porte qu'il s'criait

    " Femme, je sens ici une odeur de chair humaine ;donne-la-moi bien vite. J'ai faim! "

    Esclave de son poux, la reine eut beau nier; bon grmal gr, elle dut faire voir la cachette du voyageur. Celui-ci frissonnait de tous ses membres comme la feuille dutremble. Saisi de frayeur, il se mit balbutier quelquesexcuses.

    " Mais je n'ai rien fait de rprhensible, moi, je

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    ne suis venu ici que pour demander des nouvelles de mapauvre femme. Aidez-moi la retrouver, je ne puis vivresans elle.

    Eh bien, rpondit le roi de l'Eau, puisque tu aimes sitendrement ta femme, je te pardonne d'tre venu ici, mais

    je ne puis pas t'aider la retrouver, j'ignore ce qu'elle estdevenue. Cependant je me rappelle avoir vu hier deuxcanards dans le lac, or, il peut se faire que ta femme soitl'un des deux. Tu ferais bien d'aller te renseigner auprsde mon frre le roi du Feu, il pourrait t'en diredavantage."

    Le voyageur, enchant d'en tre quitte pour la peur,remercia le roi de l'Eau de ses bonts, et le lendemain semit en route pour aller chez le roi du Feu. Mais celui-ciignorait le lieu o rsidait l'objet de toutes ces recherches,et il conseilla au voyageur d'aller demander d'autresrenseignements son troisime frre, le roi des Vents.Celui-ci, bien que son souffle et pntr dans tous lesrecoins du monde, ne pouvait pas renseigner le pauvreplerin. Toutefois, il lui donna quelque peu d'espoir endisant qu'il croyait avoir aperu une femme au pied de lamontagne de Verre (1).

    Cette nouvelle rjouit beaucoup le voyageur quicourut incontinent la recherche de sa femme

    ______________

    (1) Montagne de verre, Skleeny vrkh (ou pic vitreux). Dans

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    chrie au pied de la montagne de Verre, prcisment lamme prs de laquelle se trouvait leur chaumire.

    Aussitt arriv, il se pressa tellement que, sans avoirjet un coup d'il dans l'intrieur de sa maison, il se mit gravir la montagne, en remontant le lit du torrent qui endcoulait. Maints canards, qui barbotaient dans les maresdu torrent, lui criaient :

    " Brave homme, n'y va pas, tu y priras, brave

    homme! "______________

    les mythes brahmanes, une des trois cimes du mont Tricringa est enlapis-lazuli. Il se trouvait dans la partie septentrionale du monde etvoici la description qu'en fait Valmiki :

    " Par del ces lieux, on voit une montagne appele Tricringa (ou lesTrois cimes), qui baigne ses pieds dans un lac grand et cleste, maillde lotus d'or.

    " Une des cimes de la montagne est d'or, la deuxime resplenditcomme du feu, l'autre s'lve entirement de lapis-lazuli.

    " Avant que nul tre ne ft encore n, Vivakarma (architecte cleste),l'an de toutes les cratures, naquit un jour de la terre, si l'on en croitla renomme.

    " La montagne aux trois cimes fut, dans les temps primitifs,l'Agnithora* de ce magnanime. C'est l, sans aucun doute, que lestrois feux ont jadis commenc. "

    (Ramayana, vol. V, p. 200, trad. Fauche.) Le Blourdagh, mont de lachane himalayenne, porte un nom qui signifie : Montagne de cristal(Blour). C'est sur les plateaux alpestres qui s'tendent a ses pieds quese trouvait la patrie des Aryas primitifs.

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    Tous ces avertissements ne le retardaient point dans samarche. Il poursuivit courageusement son chemin,rencontra plusieurs chaumires et ne s'arrta que dans laplus grande d'entre elles.

    Une multitude de magiciens et de magiciennes l'yentoura, en lui criant qui mieux mieux " Que cherches-tu ici?

    Je cours la recherche de ma femme, je pense

    qu'elle se trouve quelque part ici, rpondit-il. Elle y est en effet, elle y est, criaient les Strygas (1),

    mais tu ne l'obtiendras que si tu peux la reconnatre aumilieu de deux cents femmes qui lui ressemblent.

    Moi ne pas la reconnatre, moi ? Mais, la voici, c'estbien elle ! " s'cria-t-il en la serrant dans ses bras.

    En effet, il dcouvrit sa femme du premier coup d'il.Elle, de son ct, heureuse de le revoir et d'tre avec celuiqu'elle aimait, lui prodiguait des caresses. Au bout d'unmoment, elle lui dit l'oreille

    " Cher ami, tu as russi me reconnatre aujourd'hui,mais j'ignore si tu me reconnatras demain, car nousserons nombreuses et toutes vtues

    ______________

    (1) Divinits malfaisantes, d'o le latin stryx, hibou, chouette, oiseaude mauvais prsage.

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    l'une comme l'autre, sans la moindre diffrence. Sais-tuce qu'il faut faire? A l'arrive de la nuit rends-toi sur lacime de Verre, tu y trouveras le roi du Temps et sesdouze serviteurs (1). Demande-lui comment tu pourraisme reconnatre. Si tu es vertueux, ils t'aideront, mais si tues mchant, ils ne manqueront pas de te dvorer, si vite etsi bien, qu'il ne restera pas de toi un seul os!

    Soit, je ferai comme tu veux, femme chrie, maisdis, raconte-moi par quelle raison tu m'as abandonn sisubitement? Ah ! si tu savais combien j'ai souffert dj,en courant le monde pour te retrouver !

    Je ne t'ai point quitt, rpondit-elle. Un chasseurm'invita venir voir le torrent de la montagne. L il se fitasperger avec de l'eau. Je vis qu'aussitt des ailes luipoussaient sur les paules. En secouant ses plumes, ilchangea de forme, de manire que l'un et l'autre, lui etmoi, nous devnmes deux canards. Ds lors, bon gr malgr, je devais le suivre. Arrive ici, j'ai pu redevenirfemme, comme tu me vois. Maintenant, pour t'appartenir tout jamais, il ne me reste qu'une dernire difficult vaincre, celle d'tre reconnue par toi. "

    ______________

    (1) On voit que le roi du Temps commande non seulement aux troislments, l'eau, le feu, et le vent ou l'air, mais aussi aux douze signesde zodiaque, qui, sur la cime azure, entourent le feu ternel, c'est--dire le Soleil.

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    A ces mots ils se quittrent, elle disparut au milieud'autres femmes, et lui partit pour continuer sonascension la montagne de Verre. Sur la cime, il trouva,autour d'un immense feu, douze individus assis. C'taientdes serviteurs du roi du Temps. Le voyageur s'approchaen saluant respectueusement l'assemble.

    " Que nous veux-tu?

    J'ai perdu ma pauvre femme, je veux que vous

    m'enseigniez le moyen de la reconnatre au milieu de centfemmes habilles de mme.

    Brave homme, nous ne pouvons pas te renseigner l-dessus, mais attends un moment, il peut se faire que notreroi le sache."

    A l'instant mme, du milieu des flammes, se dressa unvieillard, la tte chauve, aux cheveux blancs, qui,aussitt la demande entendue, rpondit :

    " Mon cher enfant, toutes ces femmes serontpareillement vtues, mais la tienne aura un fil noir dans la

    chaussure de son pied droit. "

    A ces mots, le vieillard disparut et le voyageur, aprsavoir remerci cordialement les douze serviteurs,descendit de la montagne.

    Le lendemain, il n'aurait certainement pas russi reconnatre sa femme au milieu de tant d'autres, s'iln'avait pas aperu un fil noir sur sa chaussure du pieddroit. Les magiciennes avaient beau vou-

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    loir la cacher, le charme du mystre fut rompu, et le mari,heureux du succs, s'empressa de reconduire sa bien-aime dans leur chaumire.

    III : LES DOUZE MOIS.

    Une veuve vivait avec ses deux filles, l'une,Marouchka, qu'elle avait eue de feu son mari, l'autre,Hlne, que celui-ci avait eue d'un premier lit. Aussi

    aimait-elle Hlne et ne pouvait-elle pas souffrirl'orpheline, d'autant plus que celle-ci tait de beaucoup laplus jolie. La bonne Marouchka, ne se doutant pas de sespropres charmes, ne pouvait jamais s'expliquer pourquelle raison le dpit de sa martre clatait toutes les foisqu'elle la regardait. Les plus pnibles travaux du mnagetaient la charge de la malheureuse orpheline. Ellefaisait les chambres et la cuisine, blanchissait, cousait,filait, lissait, apportait du foin, gardait la vache, et toutcela sans que personne l'aidt au milieu de tant de peines.Hlne se parait et allait

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    d'un divertissement l'autre. Marouchka subissait toutesles fatigues sans se plaindre, et elle endurait lesrprimandes et les outrages de sa belle-sur et de samartre, le sourire la bouche, avec la patience d'unagneau.

    L'anglique rsignation de l'orpheline ne lesadoucissait pas. Au contraire, elles devenaient tous les

    jours plus exigeantes et plus acaritres parce que, avec lesannes, Marouchka augmentait en beaut, tandisqu'Hlne enlaidissait faire peur. La martre pensait :"Il faut en finir, je chasserai de la maison cette belleorpheline, car aussi longtemps qu'elle restera ici, tous lespouseurs lui donneront la prfrence et ma fille netrouvera pas de mari. " Ds lors, elles rsolurent de luirendre insupportable le foyer paternel. La faim, lesprivations de toute sorte, les coups, les outrages

    journaliers, rien n'tait nglig pour la dcourager.Cependant Marouchka devenait de jour en jour plusdocile et plus charmante. Le plus mchant des hommesn'aurait pas imagin de svices plus impitoyablement

    atroces ni plus raffins que ceux que les deux mgres luiinfligeaient.

    Un jour, au plus fort de l'hiver, Hlne voulut avoirdes violettes de la fort :

    " Oh, l-bas! Marouchka, tu iras sur la montagne mechercher des violettes, je veux en avoir un bouquet moncorset. Dpche-toi et vite, il m'en faut

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    de bien fraches et bien odorantes. Entends-tu? criaHlne d'une voix courrouce.

    Ah! mon Dieu, tu ne penses pas ce que tu dis,bonne sur ; a-t-on jamais vu des violettes fleurir sous laneige? rpondit la pauvre orpheline.

    Fille de malheur ! oses-tu donc dsobir mesordres? s'cria Hlne. Pas un mot de plus, et en route!Rappelle-toi bien que si tu ne m'apportes pas des violettes

    du mont de la fort, je te tuerai. "La martre ajouta quelques injures. D'un vigoureux

    coup de poing, elle poussa dehors Marouchka, et refermales portes derrire elle. La jeune fille, en pleurant,s'avanait vers la montagne. Les neiges taient profondessans une trace humaine dessus. Longtemps elle rda,s'garant dans le bois. Elle avait faim, elle tremblait defroid et priait Dieu de la faire mourir.

    Enfin, ayant aperu une lumire briller dans lelointain, elle se dirigea vers elle, montant toujours,

    jusqu' ce qu'elle atteignit le sommet de la montagne. Lsur la crte la plus leve, brlait un grand vatra (1) et,tout autour du feu, gisaient douze blocs de pierre. Sur cespierres, elle vit douze individus assis, dont trois avec descheveux blancs, trois moins gs, enfin trois plus jeuneset plus beaux.

    ______________

    (1) Le mot vatra en sanscrit et chez les Serbes signifie " feu. "

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    Ils ne disaient rien, mais chacun, assis sur sa pierre,regardait attentivement le feu. Ces douze personnagesn'taient autres que les douze mois de l'anne. Le grandSetchne (janvier) (1), qui restait assis au-dessus de sescompagnons, avait la chevelure et les moustachesblanches comme la neige, et un bton la main.

    Marouchka en eut peur. Aprs quelques moments destupeur et de silence, elle se sentit du courage et ens'approchant d'eux demanda :

    " Hommes de Dieu, permettez-moi de me rchauffer votre feu, l'hiver me fait frissonner.

    Le grand Setchne, hochant la tte, demanda

    " Pourquoi viens-tu ici, ma fille, que cherches-tu?

    Je cherche des violettes, rpondit Marouchka.

    Ce n'est pas la saison des violettes, ne vois-tu pas de laneige partout? fit Setchne.

    Je le sais bien, mais ma soeur Hlne et la martrem'ont ordonn d'apporter des violettes de votre montagne,et si je ne leur en apporte pas,

    ______________

    (1) Les noms que les Slaves donnent aux mois de l'anne diffrentselon la contre. La signification de la plupart de ces noms n'a pasencore t explique. Le mois setchne (janvier), plus ancien que lesonze mois, ses subordonns, obit son tour au Kral-Tchaou, roi duTemps. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que la succession dessaisons est ici symbolise par le changement de place que les douzemois effectuent l'un aprs l'autre.

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    elles me tueront. Je vous en supplie, ptres, dites-moi opourrai-je en trouver?

    Ici le grand Setchne, se levant, alla prs du plus jeunedes Mois et, aprs lui avoir remis le bton entre lesmains, dit :

    " Frre Brzne (mars), va, prends la place la plushaute ! "

    Le mois de Brzne alla se mettre sur la pierre quimarquait la plus haute place, et il fit un geste de sonbton au-dessus du feu. En un clin dil les flammes

    jaillirent vers le ciel et aussitt la neige se mit fondre,les arbres et les buissons bourgeonner. Au-dessous, onvit l'herbe reverdir et, au milieu d'elle, s'panouissaientdes boutons de primevres. C'tait le printemps. Sous lesbranches des arbustes, on vit fleurir des violettes ; toute lapelouse en bleuissait.

    " Hte-toi de les cueillir, Marouchka, s'cria Brzne,vite! "

    La belle orpheline, toute joyeuse, s'empressa d'en fairesa cueillette, si bien qu'elle en ramassa un gros bouquet.Aprs avoir remerci poliment les Mois, gaie et heureuse,elle retourna en courant la maison.

    Grand fut l'tonnement de la martre et d'Hlne, lavue du bouquet de fleurs fraches. Quand elles ouvrirentla porte pour recevoir Marouchka, toute 1a maisons'emplit du suave parfum des violettes:

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    " Tiens, o les as-tu donc cueillies ? demanda Hlne.

    L-haut, sous des arbrisseaux du mamelon de lamontagne, " rpondit-elle.

    Hlne s'empara aussitt du bouquet ; elle ensavourait le parfum, les faisait sentir sa mre, sanslaisser une seule violette Marouchka, sans mme laremercier.

    Le lendemain, comme Hlne se prlassait devant lepole bien chauff, il lui prit envie d'avoir des fraises.Elle fit appeler sa sur et lui dit :

    " Marouchka, cours vite dans la montagne pour mechercher des fraises ; j'en veux de bien douces, bienmres.

    Mon Dieu, a-t-on jamais ou dire que les fraisesmrissent sous la neige ?

    Veux-tu te taire, guenille de Cucendron ? Point derpliques ; si je n'ai pas mes fraises tout l'heure, nous le

    ferons tuer, tiens-toi pour avertie. "Aprs cette menace d'Hlne, la martre saisit sa

    belle-fille, la poussa violemment dans la cour et ferma lesportes au verrou.

    La malheureuse orpheline, les yeux en larmes,avanait vers la montagne de la fort. Les neiges taientprofondes et sans une trace humaine. Marouchka,connaissant dj le chemin, ne s'gara plus, mais ellemonta directement jusqu' la cime

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    de la montagne, o, tout autour d'un grand feu, elle vitassis les douze Mois. Le grand Setchne occupait la plushaute place.

    " Hommes de Dieu, permettez-moi de me chauffer votre feu, l'hiver me fait trembler, " fit-elle ens'approchant d'eux.

    Le grand Setchne hocha la tte et demanda :

    " Pourquoi viens-tu et que cherches-tu ici? Je viens chercher des fraises, rpondit Marouchka.

    Nous sommes en plein hiver, les fraises ne croissentpas dans la neige, fit Setchne.

    Je le sais, dit tristement Marouchka, mais ma surHlne et ma martre m'ordonnent de leur apporter desfraises, faute de quoi, elles me tueront. Je vous supplie,bons ptres, indiquez-moi, o je puis en trouver. "

    Le grand Setchne se leva de son sige, s'approcha duMois qui tait assis vis--vis de lui et, en lui remettant unbton, dit :

    " Frre Tchervne (Juin), prends la plus haute place. "

    Le mois de Tchervne alla se mettre sur la pierre quioccupait la place la plus leve; il fit un geste du btonau-dessus du feu, les flammes jaillirent vers le ciel. Dansun instant le dgel fit fondre les neiges, la terre se couvritde verdure, les arbres se revtirent de feuilles, les oiseauxse mirent

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    chanter, et des fleurs diverses s'panouirent dans la fort :c'tait l't. Sous les htres, il y avait une foule de petitestoiles blanches, comme si on les et semes. A vuedil, ces petites toiles se transformaient en autant defraises, qui mrissaient instantanment, de faon qu'avantque Marouchka et le temps de se signer, elles couvrirenttoute la clairire ; on et dit une mare de sang.

    " Vite, vite, hte-toi de faire ta cueillette, Marouchka,"lui dit le mois de Tchervne.

    Toute joyeuse, elle se mit les cueillir et en remplitson tablier. Aprs quoi, ayant poliment remerci les mois,elle revint bien gaie la maison.

    Hlne et sa mre s'tonnrent de voir Marouchkaapporter des fraises. Elles coururent lui ouvrir la porte;aussitt qu'elle fut ouverte on sentit l'arme des fraisesparfumer toute la maison.

    " Mais o les as-tu donc trouves? demanda avecaigreur Hlne.

    L, tout haut, dans les montagnes, on en trouve pasmal sous les htres. "

    Hlne s'appropria la totalit des fraises; elle en donnaune partie sa mre, celle-ci dvora le reste sans avoirinvit l'orpheline y goter.

    Le troisime jour, rassasie des fraises, Hlne eutenvie de pommes rouges frachement cueillies, et dit :

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    " Marouchka, vite et lestement, va sur la montagne mechercher des pommes rouges.

    Mon Dieu, tu sais bien que pendant l'hiver lespommiers restent sans feuilles ni fruits.

    Vilaine paresseuse, sus! et grimpe lestement sur lamontagne, car si tu ne m'en apportes pas des pommes,entends-tu, nous te faisons tuer."

    Comme d'habitude, la martre la saisit rudement, et,aprs l'avoir expulse de la maison, ferma les portes auverrou.

    L'orpheline, pleurant amrement, s'enfona dans lafort du ct de la montagne. Les neiges taientprofondes, et sans une trace humaine. Elle ne s'y garapoint, mais se dirigea sans hsiter vers la cime de lamontagne, o flamboyait le grand feu entour des douzeMois. Ils restaient immobiles sur leurs siges, et au plushaut point tait assis le grand Setchne.

    " Hommes de Dieu, laissez-moi me rchauffer auprs

    de votre feu, l'hiver me fait frissonner, disait-elle ens'approchant du feu.

    Le grand Setchne hocha la tte et se mit questionner la fille :

    " Pourquoi es-tu venue ici, et que cherches-tu ?

    Je viens chercher des pommes rouges, rpliquaMarouchka.

    Mais nous sommes en hiver, et ce n'est pas la

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    saison des pommes rouges, fit observer le grandSetchne.

    Je ne l'ignore point, mais la sur Hlne et lamartre m'ordonnent de leur apporter des pommes rougesde la montagne, sinon elles me tueront. "

    L-dessus le grand Setchne se leva de son sige pouraller rejoindre l'un des Mois, g dj, auquel il remit lebton, disant :

    " Frre Zar (septembre) monte la place d'honneur. "

    Le mois de Zar s'assit sur la pierre la plus leve, etfit un geste du bton au-dessus du feu. Les flammesrejaillirent aussitt en prenant une teinte rougetre. Laneige disparut. Cependant les feuilles ne tenaient pasferme leurs arbres, elles tombaient l'une aprs l'autre, et,s'parpillant et l emportes par une bise froide,

    jaunissaient le sol de la clairire. L'orpheline n'y voyaitque fort peu de fleurs, celles de l'automne seulement,comme des turankas, des cariophylles roses. Dans les

    ravins, on apercevait quelques colchiques d'automne etsous les htres de hautes fougres ou des touffes debruyres borales.

    Marouchka cherchait inutilement ses pommes rouges,lorsque, tout coup, elle remarqua un pommier ayant, une hauteur considrable et tout au milieu de sesbranches, quelques pommes carlates.

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    " Hte-toi de les cueillir, Marouchka, " cria le Moisd'une voix imprative.

    La jeune fille, toute joyeuse, se mit secouer lepommier; une pomme en tomba. Aprs une autresecousse encore une s'en dtacha pour rouler ses pieds.

    " Tu en as assez, reprit le Mois, dpche-toi de rentrer la maison. "

    L'orpheline obit, et aprs avoir ramass les deuxpommes et avoir remerci les Mois, elle rebroussachemin gaiement.

    Hlne s'tonna, la martre s'tonna aussi de voirMarouchka revenir avec des pommes. Elles coururent luiouvrir la porte et recevoir les pommes qu'elle leur donna.

    " Bah! comment as-tu fait pour en cueillir? demandaHlne.

    Il en reste encore sur le pommier du sommet de lamontagne, reprit Marouchka.

    Pourquoi donc n'en as-tu pas pris davantage? criaHlne courrouce. Tu en auras mang quelques-unes,chemin faisant, vilaine sotte !

    Non, bonne sur, je n'y ai pas mme got, fitMarouchka. La premire fois que j'ai secou le pommier,il n'en est tomb qu'une seule, et la deuxime secousse,encore une pomme, et voil tout. On ne m'a pas permisde secouer l'arbre davantage. Ils m'ont ordonn de revenir la maison.

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    Puisse Perun te foudroyer! " cria Hlne levant lesmains pour frapper sa belle-sur. Marouchka n'eut quedes larmes pour sa dfense. Elle en appela au ciel, priantDieu de la reprendre, plutt que de la laisser mourir sousles coups de sa mchante belle-sur et de sa martre. Ellese sauva dans la cuisine.

    Hlne, friande de bons fruits, ajourna lesperscutions et se mit mordre dans la pomme, qui luiparut si exquise qu'elle n'en avait jamais savour depareille. La martre tait du mme avis. Chacune ayantmang sa pomme, elles dsiraient en avoir d'autres.

    Sais-tu, maman, dit Hlne, donne-moi une pelisse, j'irai dans la montagne moi-mme. Cette fainante deCucendron finirait par s'en gorger toute seule, cheminfaisant. Je saurai bien trouver la montagne avec lepommier, et une fois l-bas, les ptres auront beau crier,

    je ne lcherai pas prise avant d'avoir secou toutes lespommes. "

    Nonobstant les conseils de sa mre, Hlne endossa la

    pelisse, se coiffa d'un bonnet chaud et prit le chemin de lamontagne. La mre, debout sur le seuil de la maison,suivit des yeux sa fille jusqu' ce qu'elle eut disparu dansle lointain.

    ______________

    (1) Perun ou Perkounas, le dieu de la foudre chez les Slaves paens.

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    La neige couvrait tout ; pas une empreinte de piedshumains sa surface. Hlne rda et l, elle s'garalongtemps; enfin voyant briller du feu au-dessus d'elle,elle s'y dirigea rsolument. Au bout de quelque temps,elle atteignit le sommet de la montagne, o elle aperutun feu flamboyant et, tout autour, sur douze blocs depierre, les douze Mois assis. D'abord elle hsita, saisie depeur; puis, se ravisant, elle s'avana tout prs du feu et ytendit ses mains pour les rchauffer. Elle ne demande pas

    aux Mois " Puis-je ou non m'y chauffer? " Elle ne daignemme pas leur adresser une parole polie.

    " Qu'est-ce qui t'amne ici, que cherches-tu? demandad'une voix svre le grand Setchne.

    Je n'ai pas de compte te rendre vieux barbu ;pourquoi veux-tu savoir o je vais? " lui rponditfirement Hlne en tournant le dos au feu et se dirigeantvers la fort.

    Le grand Setchne frona le sourcil, et il fit un gestedu bton au-dessus de sa tte.

    En un clin d'il, le ciel se couvrit de nuages, le feubaissa, la neige se mit tomber gros flocons, et un ventglacial se dchana en rugissant dans la montagne. Auxhurlements de cette pouvantable bourrasque, Hlnemlait des maldictions contre sa belle-sur et contreDieu. La chaleur de la pelisse ne suffit plus rchaufferses membres engourdis. Sa mre l'attend, elle regarde parla fe-

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    ntre, elle regarde du perron, sa fille ne parat point. Lesheures se passent les unes aprs les autres, Hlne nerevient pas.

    " Se serait-elle donc affole des pommes, au pointd'oublier la maison? qu'y a-t-il? il faut que j'aille lachercher moi-mme. "

    A ces mots, la mre le couvre les paules d'unepelisse, la tte d'un capuchon et court la recherche

    d'Hlne. Les neiges ont tout envahi, et nulle part on nevoit de traces de pieds humains. Aucune voix ne rpond ses cris ritrs. Pendant longtemps elle erra au hasard, laneige tombait en avalanches, la bise glaciale soufflaitdans la montagne.

    Marouchka avait dj prpar le dner, elle avait traitla vache, mais ni Hlne ni la martre n'arrivent. Voilque la quenouille de l'orpheline est dj pleine, l'ouvragede la journe est achev, la nuit s'assombrit et elles nerentrent pas.

    " Serait-il arriv quelque malheur? ah mon Dieu !" sedemanda l'excellente fille, en ouvrant la fentre.

    L'orage s'est calm, le ciel rayonne d'toiles, la neigebrille de leur clat - nulle crature humaine l'horizon.Marouchka referme tristement la fentre, elle se signe etprie Dieu pour sa sur et sa mre. Le lendemain, elle lesattend pour djeuner, puis pour dner, mais en vain; niHlne ni la ma-

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    rtre ne revinrent. L'une et l'autre avaient gel dans lamontagne. L'hritage d'une maisonnette, d'une vache etd'un petit champ chut la bonne Marouchka. Avec letemps, un honnte fermier s'y trouva aussi ; et ilsvcurent heureux et tranquilles.

    ______________

    (1) Ce conte, ainsi que celui de Kovlad, p. 53, traduits en allemand etun peu modifis, ont dj attire l'attention de M. Laboulaye, qui en afait deux charmants fabliaux franais. Voyez, dans ses CONTES

    BLEUS,Le pain d'or et Les douze mois.

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    LE SOLEIL

    ou

    LES TROIS CHEVEUX D'OR DU VIEILLARDVSEVEDE (1)

    (TRADUIT DU TCHEQUE, voy. ERBEN, Ma, 1860, Prague.)

    Est-ce vrai on non ? On raconte qu'il y avait un roi fortpassionn pour la chasse aux btes fauves de ses forts.Une fois, il poursuivit le cerf, si loin et si longtemps, qu'ils'gara. Se voyant dans la solitude et surpris par la nuit, leroi fut content de trouver une chaumire habite par uncharbonnier.

    ______________

    (1) C'est un des contes dont les variantes se retrouvent chez tous lespeuples slaves. Il est marqu au coin d'une haute antiquit. La variantetchque, que nous traduisons ici, fut recueillie en Bohme, par Erben.En la reproduisant, le savant mythologue compare toutes les variantesentre elles, et il conclut que les trois cheveux en question dsignent lestrois sjours que le soleil fait dans les trois rgions de la nature, l'air, laterre et l'eau.

    Au point de vue qui nous occupe ici principalement, c'est--dire desrminiscences du Rig-Vda et de la Ramayana que l'on peut constaterdans les contes slaves, nous nous bornerons

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    Veux-tu bien me conduire d'ici jusque sur le grandchemin? Je t'en rcompenserai gnreusement.

    Je le ferais volontiers, rpondit le charbonnier, mais j'ai une femme en couches et je ne puis la laisser seule.Du reste, pourquoi ne consentiriez-vous pas passer lanuit chez nous ? Reposez-vous dans le grenier en haut surune meule de foin odorant que vous y trouverez, etdemain matin, je vous servirai de guide.

    ______________ faire observer que le vieillard (vcved) de notre rcit ressemble onne peut mieux une divinit vdique. Son nom est sanscrit, composdu sl. vc, sanscr. viva (tout), et sl. vida, sanscr. vda (savoir,connaissance), dieu qui sait tout, et pour cette raison on l'appelle dansla petite Ruthnie vechtchoun (le prophte) et en Moravie sibilla (laprophtesse).

    Il est vieux (ded), et notre conte dit positivement, comme nous leverrons plus bas, que le soleil, rveill de son sommeil, est un enfantaux cheveux d'or; midi il est un tre plein de vigueur et vers le soir,devenu vieillard, il a faim. Or c'est prcisment ce que disent leshymnes du Rig-Vda, en parlant du dieu Agni. Ce dieu, l'tatd'embryon, dort dans le briquet de bois, l'Arani; rveill, il en jaillit

    sous la forme d'une tincelle :

    Agni! tu nais, et aussitt tes rayons brillent au souffle du vont quianime leur clat. Agni tourne sa langue aigu contre le bois du bcher,et sous sa dent disparaissent les aliments solides qui le nourrissent. Ilmonte vers les rgions suprieures. Vers la fin de la nuit, Agni*devient la tte du monde. "

    D'aprs les Vdas, le soleil est le fils d'Aditi (la nature). Le vieillardVsvd a pour mre une Soudia (la parque), qui le nourrit, et il dortsur ses genoux.

    Le conte parle des vents qui souillent au moment o le soleil

    * Rig-Vda, tome IV, p. 315, trad. Langlois.

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    Quelques moments aprs, la femme du charbonnieraccoucha d'un fils.

    Le roi ne pouvait s'endormir. A minuit il remarquaque des lumires s'agitaient au-dessous de lui, dans lachambre de l'accouche. En les examinant plusattentivement, travers une fissure du plafond, il aperutdistinctement : d'abord le charbonnier qui dormait ; puissa femme demi vanouie ; et enfin, tout ct del'enfant nouveau-n, trois vieilles femmes, debout, vtuesde blanc, chacune tenant un cierge allum et conversantentre elles.

    ______________

    arrive sa maison , ainsi qu'au moment o il en sort. Dans les hymnesdu Rig-Vda, les vents Marouts accompagnent Indra et cooprent aveclui pendant tous ses travaux. On le voit arriver au milieu des Aryas enprire, pour dvorer les holocaustes qu'ils lui offrent, s'enivrer dubreuvage soma, et se reposer au milieu de ses fidles sur une couched'herbe koua. Le Soleil voit tout, et cause de sa clairvoyance ilporte l'pithte de lil du monde dans les hymnes du Rig-Vda etl'pithte de lil du jour dans les chants que le pote Kochauswski arecueillis de la bouche des paysans illettrs dans les Carpathes.

    Le vdique Savitri (le soleil crateur) est un dieu la chevelure d'or.L'anne indienne, de mme que celle des Slaves du paganisme,comptait trois saisons seulement : la chaude, la tempre et la froide.On verra dans notre conte que les trois cheveux d'or arrachs de la ttedu Vsvde, tombent comme les ptales d'une fleur qui a vcu sonprintemps, comme les pis de l't sous la faucille du moissonneur,comme les feuilles de l'automne sous le givre d'une bise glaciale.

    Plavacek, que les dieux aiment pour les prires qu'il leur adresse etpour ses vertus, continue la mission de Manus (slave Monge). Ilreprsente une incarnation divine. Son existence profite la terre et auciel. Cela ressort du contenu mme des faits.

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    La premire disait :

    " A ce garon j'accorde le don d'affronter de grandsdangers."

    La deuxime disait :

    Moi, je lui accorde la facult de pouvoir heureusementchapper tous ces dangers, et de vivre longtemps. "

    La troisime dit :

    " Quant moi je lui accorde d'pouser la princesse ne l'heure qu'il est et fille de ce roi mme qui dort ici enhaut, dans le grenier. "

    Avec ces dernires paroles, les lumire s'teignirent etle silence se rtablit.

    Ces vieilles femmes taient les Soudiki (1) enpersonne.

    Le roi restait atterr de douleur et de surprise, commes'il et reu un coup d'pe en pleine poitrine.

    Jusqu' l'aube du jour, sans fermer l'il, il pensa auxmoyens d'empcher que les prdictions des Parques ne seralisassent.

    Aux premires lueurs du matin, l'enfant nouveau-n semit pleurer. Le charbonnier se leva,

    ______________

    (1) Les Parques. Le texte tchque dit soudicky ou soudice, de la racinecoud qui se trouve dans toutes les langues slaves dans le sens dejugement, arrt, d'o ooud (destin, fatum, dcret divin), ooudi, vasepour recueillir les suffrages des votants, et soudia ou souder (juge).

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    s'approcha de lui, et trouva que sa femme avait cess devivre.

    " Pauvre petit orphelin! s'cria-t-il douloureusement,que deviendras-tu sans les soins d'une mre

    Confie-moi cet enfant, dit le roi, j'en aurai soin et ils'en trouvera bien. Quant toi, je te donnerai tant d'argentque tu n'auras plus besoin de te fatiguer brler descharbons. "

    Le charbonnier y consentit avec plaisir, et le roi partiten promettant d'envoyer quelqu'un pour chercher l'entant.La reine et les courtisans avaient cru mnager unesurprise agrable leur matre, en lui annonant lanaissance d'une charmante petite princesse, venue aumonde la nuit mme o le roi sou pre avait eu l'occasionde voir les trois Parques. Le roi frona le sourcil et,appelant un de ses domestiques, lui dit :

    Tu iras tel endroit, dans la fort, la chaumire ducharbonnier, auquel tu remettras cet argent, en change

    d'un enfant nouveau-n. Prends le marmot et, cheminfaisant, noie-le bien quelque part. Seulement, souviens-toi que s'il n'est pas dment noy, tu le seras toi-mme sa place. "

    Le domestique reut l'enfant dans un panier et,arrivant au milieu d'une passerelle qui runissait les deuxrivages d'un fleuve large et profond, il y prcipita lepanier avec l'enfant.

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    " Bon voyage, monsieur mon gendre, " dit le roi, aprsavoir entendu le rcit du domestique.

    Le roi pensait que l'enfant avait pri dans les eaux ;mais il n'tait rien moins que noy ou mort. Au contraire,le petit voguait balanc mollement dans son panier,comme dans un berceau. Il y dormait aussi doucementque si sa mre et chant pour l'endormir.

    Le panier aborde aux environs de la cabane d'un

    pcheur. Celui-ci, occup de rparer ses filets, aperut unobjet surnageant au milieu du fleuve, sauta aussitt dansune barque, le recueillit, et courut annoncer sa femme labonne nouvelle :

    " Tu dsirais toujours avoir un fils, tiens, en voici unbien beau, la rivire nous l'a apport. "

    La femme du pcheur reut l'enfant avec une extrme joie et elle le soignait comme le sien propre. Ils lenommrent Plavacek (qui surnage), parce qu'il leur taitarriv en flottant sur les eaux.

    Le fleuve coule, les annes se passent, le petit garondevient un bel homme, et les villages d'alentour n'ont pasde jouvenceau comparable lui. Or, il advint qu'un jour,en t, le roi chevauchait tout seul. La chaleur tantexcessive, il arrta son cheval devant la cabane dupcheur, pour lui demander un verre d'eau frache.Plavacek vint le lui offrir ; le roi le regarda avecattention, puis, se tournant vers le pcheur, dit :

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    Tu as l un beau garon, est-ce ton fils?

    Oui et non, rpondit le pcheur. Il y a une vingtained'annes, j'ai trouv un tout petit enfant, dans un panier,nageant au milieu du fleuve, nous l'avons adopt etlev."

    Le roi devint ple comme la mort, car il devina quec'tait bien le mme enfant qu'il avait condamn trenoy. Ensuite, se ravisant, il descendit de cheval et dit:

    " J'ai besoin d'envoyer un message au chteau, et jen'ai personne avec moi ; pourriez-vous l'y envoyer ?

    Trs certainement, reprit le pcheur, Votre Majestpeut compter sur son intelligence. "

    L-dessus, le roi s'assit pour crire la reine cesmots :

    " Le jeune homme qui t'apportera ce message, est leplus dangereux de tous mes ennemis. Aussitt arriv,fais-lui couper la tte. Point de retard, point de piti ; il

    faut qu'il soit excut avant mon retour au chteau, je leveux. " Aprs avoir pli soigneusement la lettre, il lacacheta de son sceau royal.

    Plavacek prit la lettre et incontinent se mit en route travers la fort. Elle tait si grande et si paisse qu'il s'ygara. Surpris par la nuit au milieu

    ______________

    (1) Comparez ce passage avec la variante de Glinski , vol. III, p. 133.

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    de sa course aventureuse, il rencontra une vieille femme.

    " O vas-tu donc, Plavacek, o vas-tu ? lui demanda-t-elle.

    Je suis charg d'une lettre pour le chteau royal,mais je me vois gar. Ne pourriez-vous pas, bonneMre, m'indiquer mon chemin?

    Aujourd'hui, mon enfant, impossible. Il fait sombre

    et tu n'aurais pas le temps d'y arriver, fit observer lavieille. Reste chez moi cette nuit. Tu ne l'auras pas passechez des trangers, je suis ta marraine, moi. "

    Le jeune homme obit et ils entrrent dans une joliechaumire qui sembla tout coup surgir de dessous laterre.

    Or, pendant que Plavacek dormait, la vieille changeasa lettre en une autre, ainsi conue :

    " Aussitt aprs rception de cette lettre, tu conduirasle porteur chez la princesse, notre fille. Ce jeune homme

    est notre gendre, et je veux qu'ils soient maris avant monretour au chteau. Telle est ma volont. "

    La reine, aprs avoir lu la lettre, ordonna de prparertout ce qu'il fallait pour clbrer les noces. Toutes deux,la reine et sa fille, se plaisaient beaucoup dans la socitdu jeune homme. Rien ne troublait le bonheur desnouveaux maris.

    Aprs quelques jours, le roi fut de retour au ch-

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    teau, et, ayant appris ce qui tait arriv, il se mit injurierla reine.

    Mais vous m'avez ordonn expressment de les fairemarier avant votre retour ; relisez votre lettre que voici, "rpondit la reine.

    Il examina attentivement la lettre. En effet, le papier,l'criture, le sceau, tout tait d'une authenticitirrprochable. Il appela donc son gendre pour l'interroger

    lui-mme sur les dtails de son voyage.Plavacek n'en omit aucun son beau-pre, racontant,

    comment il s'tait gar et comment il avait pass touteune nuit dans la cabane de la fort.

    Comment est-elle, cette vieille femme? " demandale roi.

    En coutant le signalement que Plavacek lui en donna,le roi comprit que c'tait prcisment la mme inconnuequi, vingt ans auparavant, avait prdit le mariage de laprincesse avec le fils du charbonnier.

    Aprs avoir rflchi, le roi ajouta :

    Ce qui est fait est fait. Seulement tu ne seras pasmon gendre pour si peu de chose, oh non! En guise decadeau de noces, tu dois m'apporter trois cheveux d'or dela tte du Dde-Vsvde (1). "

    Il croyait pouvoir par ce moyen se dbarrasser de songendre dont la prsence l'importunait.

    ______________

    (1) Nous avons dit dj que dd signifie vieillard, et vsved, qui sait

    tout et qui voit tout.

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    Plavacek se spara de sa femme et partit. " Je ne saiso aller, pensait-il, mais c'est gal; ma marraine, laParque, saura bien y aviser. "

    En effet, il trouva sans peine la vritable direction,marchant longtemps par monts et par vaux, traversant gu les rivires, si bien qu'il atteignit les ctes de la merNoire. Il y aperut une barque (1) avec son batelier et luidit :

    " Dieu vous bnisse, vieux batelier! Et toi aussi, mon jeune voyageur. O veux-tu aller ?

    Au chteau de Dde-Vsevde pour chercher troischeveux d'or.

    S'il en est ainsi, sois le bienvenu. J'attends depuislongtemps l'arrive d'un envoy tel que toi. Voil bienvingt ans que je fais passer des voyageurs et aucun d'euxn'a rien fait pour me dlivrer. Si tu me promets dedemander au Dde-Vsvde quand

    ______________(1) Une barque avec un batelier sont le symbole, comme l'asavamment observ Erben, du passage solaire de l'hiver au printemps.Le batelier, Charon de la mythologie slave, s'appelle dans les autresvariantes thart (le diable), et obr (le gant).

    Dans la variante veliko-russe, il n'y a ni batelier ni barque, mais kite-ryba, c'est--dire une baleine, couche sur la surface des eaux etservant de passerelle d'un bord l'autre. Elle est meurtrie des coups depied des passagers qui la maltraitaient, mais elle n'en sera dlivre quelorsqu'elle aura retir, du fond de la mer, les douze navires chargs derichesses du marchand Marko Bohaty. La baleine expie le crime deleur avoir fait subir un naufrage.

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    j'aurai un remplaant pour me librer de mes peines, je tepasserai dans mon bateau. "

    Plavacek promit et le batelier le conduisit jusqu'aurivage oppos. Il continua sa marche et approcha d'unegrande ville, qui tait moiti ruine. Non loin d'elle, ilaperut un convoi funbre : le roi du pays accompagnaitle cercueil de son pre et des larmes grosses comme despois inondaient ses joues.

    " Dieu veuille vous consoler de votre dtresse, ditPlavacek.

    Merci, bon voyageur! O vas-tu?

    Je me rends chez le Dde-Vsvde, en qute de sestrois cheveux d'or.

    Vraiment, chez le Dde-Vsvde ? Quel dommageque tu ne sois pas venu il y a quelques semaines ! Nousattendons depuis longtemps un envoy tel que toi. "

    Plavacek s'tant prsent la cour du roi, celui-ci lui

    dit :" Nous avons appris que tu te rends en mission chez le

    Dde-Vsvde. Hlas! nous avions ici un pommier quiproduisait des fruits de Jouvence. Une seule de sespommes, aussitt mange, mme par un moribond, leferait gurir et rajeunir. Mais voil que depuis vingt ansle pommier ne porte ni fleurs ni fruits. Peux-tu mepromettre d'en demander la cause au Dde-Vsvde?

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    Je vous le promets. "

    Aprs quoi Plavacek arriva vers une ville belle etgrande, mais triste et silencieuse. Prs de la porte, ilrencontra un vieillard qui, la canne la main, s'avanaitavec beaucoup de peine :

    " Dieu vous bnisse, bon vieillard !

    Soyez bni, vous aussi. O allez-vous donc, beau

    voyageur?Chez le vieux Vsvde pour chercher ses trois

    cheveux d'or.

    Ah ! tu es justement l'envoy que j'attendais depuislongtemps. Il faut que je te fasse parvenir jusqu' monmatre et roi. Allons-y. "

    Aussitt qu'ils furent arrivs, le roi lui demanda :

    " J'ai entendu dire que tu vas en ambassade, auprs deDde-Vsvde. Nous avions ici un puits avec de l'eau quise renouvelait d'elle-mme, et si merveilleuse dans seseffets, qu'en la faisant boire aux malades ils redevenaientbien portants. Quelques gouttes rpandues sur un cadavrele faisaient ressusciter. Eh bien, depuis une vingtained'annes, le puits reste sec. Si tu t'engages demanderau vieillard Vsvde le moyen de remplir notre puits, jet'en rcompenserai royalement. "

    Plavacek promit, et le roi le congdia avecbienveillance.

    Ensuite, il avait traverser de longues forts som-

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    bres, au milieu desquelles il aperut une grande prairietoute pleine de belles fleurs, et au milieu un chteau d'or.

    C'tait le palais du Dde-Vsvde, tout rayonnant desplendeur; on l'et dit construit de feu. Plavacek entrasans rencontrer un tre qui bouget, except une vieillefemme blottie dans un coin et occupe filer.

    " Salut, Plavacek, je suis bien aise de te revoir ! "

    C'tait encore sa marraine, la mme qui lui avait offertun gte dans sa cabane forestire lorsqu'il portait lemessage du roi.

    " Dis-moi donc ce qui t'amne ici de si loin?

    Le roi ne veut pas que je sois son gendre sans l'avoirpay; il m'envoie donc. ci pour lui rapporter trois cheveuxd'or du Dde-Vsvde. "

    La Parque se mit rire en disant :

    " Le Dde-Vsvde? mais je suis sa mre, c'est lesoleil brillant, en personne. Tous les matins, il est enfant; midi, il devient homme, et le soir il vieillit comme uncentenaire dcrpit ! Soit, je te

    ______________

    (1) Voici quelques passages du Rig-Vda qui prouvent que ceux quiles improvisaient, il y a plus de trente sicles, s'imaginaient, de mmeque les montagnards slovaques d'aujourd'hui, que le Soleil renouvelaitson existence tous les jours. Seulement les Aryas primitifs motivaientses trois ges et ils croyaient que le Soleil provenait du feu (agni)sacr, qu'ils ne

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    Avant d'obir, Plavacek pria la Parque de s'informerauprs du Dde-Vsvde relativement trois questionsdont il s'tait engag d'apporter la rponse.

    Je le lui demanderai ; mais toi, prte une oreilleattentive ce qu'il me rpondra. "

    Tout coup le vent se dchana du dehors, et, par unefentre du chteau, du ct de l'ouest, arriva le Soleil.

    C'tait un vieillard la tte d'or." Je sens ici de la chair humaine, s'cria-t-il, je le sens

    bien ; ma mre, tu as ici quelqu'un.

    Astre du jour, rpondit-elle, qui pourrais-je, avoir icisans que tu l'eusses aperu avant moi? Le fait est qu'envolant travers le monde durant toute la journe, tuflaires si souvent les hommes, qu'il n'y a rien d'tonnantque le soir, rentrant dans ta maison, tu continues sentirl'odeur de la chair humaine. "

    Le vieillard ne rpondit mot, mais il s'assit souper.

    Aprs le repas, il posa sa tte d'or sur les genoux de laParque (1) et se mit sommeiller.

    Aussitt qu'elle eut remarqu qu'il dormait dj, ellelui arracha un cheveu et le jeta par terre. Le cheveu entombant fit retentir un son

    ______________

    (1) Cette Parque, mre du soleil, correspond la vdique Aditi (lanature).

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    mtallique, comme la vibration d'une corde de guitare.

    " Que me veux-tu, ma mre? demanda le vieillard.

    Rien, mon fils. Je sommeillais, et j'ai cru avoir rvquelque chose de bien trange.

    Qu'tait-ce donc, ma mre ?

    J'ai cru voir un endroit, je ne sais lequel, o il y avaitun puits aliment par une source dont l'eau gurissait lesmalades, mme agonisants, sitt qu'ils en avalaient unegorge. Il y a plus, les cadavres mme ressuscitaientlorsqu'on les arrosai de quelques gouttes de cette eaumerveilleuse. Mais voil que, depuis vingt ans, le puitsreste sec. Que faut-il faire pour le remplir commeautrefois?

    C'est tout simple, et il est facile d'y remdier. Unegrenouille qui s'est loge dans l'orifice de la sourceempche les eaux de jaillir. Il faut tuer la grenouille,curer l'intrieur du puits, et on verra l'eau sourdre commeautrefois. "

    Lorsque le vieillard se fut rendormi, la vieille luiarracha un autre cheveu d'or et le jeta par terre.

    " Que me veux-tu, ma mre?

    Ce n'est rien, mon fils, rien. En sommeillant, j'ai cruvoir quelque chose d'trange. Il me semblait que leshabitants d'une ville, je ne sais plus la-

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    quelle, avaient dans leur jardin un pommier, dont lespommes possdaient la vertu de faire rajeunir les vieux.Une seule de ces pommes mange par un vieillard luirendait les forces et la fracheur de la jeunesse. Or, depuisune vingtaine d'annes, le pommier ne porte plus defruits. Quels sont les moyens de le faire fructifier ?

    Les moyens ne sont pas difficiles. Une vipre,cache dans les racines du pommier, en dtruit la sve. Ilfaut tuer le reptile, transplanter le pommier, et on le verra,comme autrefois, se couvrir de fruits. "

    L-dessus, le bon vieillard se rendormit dans un clindil. La vieille lui arracha un troisime cheveu d'or.

    Mais, voyons donc, tu ne me laisses pas dormir, mamre ? dit le vieillard fch et il voulait se lever.

    Couche-toi, mon fils chri, et ne bouge pas. Jeregrette de t'avoir rveill. C'est que je sommeillais aussiet j'ai eu un rve bien trange. Imagine-toi, il nie semblaitvoir un batelier, aux bords de la mer Noire, qui se

    plaignait de travailler, depuis vingt ans dj, sans quepersonne arrivt pour le remplacer; quand finira-t-il doncde ramer, ce pauvre vieillard ?

    C'est un imbcile et voil tout. Il n'aurait qu'remettre sa rame entre les mains du premier venu

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    et lui-mme sauter sur le rivage. Celui qui recevra larame le remplacera en qualit de batelier. Mais laisse-moitranquille, ma mre, et ne me rveille plus; je dois melever de grand matin et il me faudra d'abord aller scherles larmes de la princesse, femme du fils d'uncharbonnier. La pauvrette passe toutes ses nuits pleurerson mari, envoy par le roi pour lui apporter les troischeveux d'or de ma tte. "

    Le lendemain matin on entendit hurler les vents endehors du palais du Dde-Vsvde, et, au lieu d'unvieillard, un bel enfant, aux cheveux d'or, se rveilla surles genoux de la vieille femme. C'tait le Soleil divin ; ilprit cong de sa mre et s'envola par la fentre de l'orient.

    La vieille femme courut retourner le baquet et dit Plavacek :

    " Tiens, voici les trois cheveux d'or et tu connais djles trois rponse (1) que Dde-Vsvde a donnes.Maintenant, bon voyage, et puisse Dieu te conduire. Tune me reverras plus, car tu n'auras plus besoin de moi. "

    Plavacek la remercia avec gratitude et partit.

    ______________

    (1) Erben fait remarquer que les questions, rsolues par le Soleil,dsignent allgoriquement les renouvellements priodiques de lanature. L'arbre qui a cess de fructifier, et le puits qui ne fournit plusd'eau, symbolisent la saison des frimas. En change du service rendu,Plavacek reoit beaucoup de richesses. Ce seraient les moissons et lesfruits gards pendant l'hiver.

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    Arriv la ville au puits dessch, et interrog par leroi sur ce qu'il apportait de bon, il rpondit :

    " Faites soigneusement curer votre puits. Ensuite, tuezla grenouille qui obstrue la source, et vous verrez l'eaumerveilleuse sourdre comme par le pass. Le roi fit fairece que disait Plavacek, et heureux de revoir son puitsplein, il lui donna en cadeau douze chevaux, blancscomme des cygnes. I1 y ajouta autant d'or et d'argent qu'ilen pouvait emporter.

    En arrivant la deuxime ville, questionn par le rois'il lui apportait de bonnes nouvelles, il rpondit :

    " Excellentes, on ne peut meilleures. Vous n'avez qu'faire extraire de la terre votre pommier, et tuer le reptilequi s'est tabli dans ses racines. Puis, faites replanterl'arbre et il produira des pommes pareilles cellesd'autrefois. "

    En effet, le pommier, aussitt replant, se couvrit defleurs comme si on l'avait inond de roses. Le roi ravi de

    joie, lui fit cadeau de douze chevaux, noirs comme descorbeaux, et chargs d'autant de richesses qu'ils taientcapables d'en porter.

    Il poursuivit donc son voyage jusqu'aux bords de lamer Noire. Le batelier lui demanda s'il avait appris lemoment de sa dlivrance. Plavacek se fit d'abord passer,avec ses douze chevaux, sur la rive oppose, et ensuiteconseilla au batelier de

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    remettre sa rame au premier voyageur qui viendraitrclamer ses services, afin qu'il le remplatdfinitivement.

    Le roi, beau-pre de Plavacek, ne voulait pas d'abordcroire ses yeux en se voyant possesseur de troischeveux d'or de Dde-Vsvde. Quant la jeune pouse;elle pleurait chaudes larmes non plus de tristesse, maisde la joie d'avoir revu son bien-aim si heureusement deretour, et elle lui disait :

    " Comment donc as-tu fait, cher poux, pour acqurirde si magnifiques chevaux avec tant de richesses? "

    Il lui rpondit :

    " Tout cela a t pay au poids de l'me, avec del'argent comptant des peines que j'ai prises, et desservices que j'ai rendus. Ainsi par exemple, un roi, j'aiindiqu le moyen de rentrer dans la possession de sespommes de Jouvence ; un autre j'ai appris le secret derouvrir les sources de l'eau qui donne la sant et la vie.

    Des pommes de Jouvence! De l'eau de la vie!interrompit le roi eu s'adressant Plavacek : mais oui,

    j'irai chercher ces trsors moi-mme. Ah quel bonheur !Aprs avoir mang une de ces pommes je redeviendrai

    jeune! Puis je boirai quelques gorges de l'eaud'immortalit et je vivrai tout, jamais!... "

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    Sans plus attendre, le roi partit la recherche des deuxobjets, et jusqu'aujourd'hui, il n'en est pas revenu (1).

    ______________

    (1) Une variante dit que le roi, aussitt arriv au passage, fut forc parle Charon slave d'accepter sa rame et de devenir batelier sa place.

    Pour clore ces quelques remarques, nous ajoutons qu'une varianteallemande de ce conte fut publie dans le recueil des frres Grimm,sous le titre Der Teufel mit den drei goldenen Haaren, et ce n'est pas leseul larcin de traditions orales que la Germanie a fait aux peupleslimitrophes. Guillaume Grimm avait recueilli et transcrit une grandepartie de ses contes Erdmannsdorf, dans la Silsie, aujourd'huiprussienne, au district de Lechnicki, c'est--dire dans une contre siseau milieu des populations slaves de Moravie, de Pologne et de Lusace.Cette contre, aujourd'hui germanise quant la langue, n'a jamaiscess de demeurer slave quant ses murs et ses traditions. Leconte se maintient avec son caractre slave, dont les exploits du hrosprincipal sont empreints. Plavacek, au type des hros des Bakas, estun homme de Dieu, une expansion de l'ide rdemptrice. De lviennent son amour et sa sympathie pour les animaux.

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    * * *

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    KOVLAD (1)

    OU

    LE SOUVERAIN DU RGNE MINRAL.

    (CONTE TRADUIT DE BOGNA, N. p. 321-328.)

    I : LE RVE,Il y avait une veuve, mre d'une fort jolie fille. La

    mre tait une bonne et humble personne, mais sa filletait pleine d'orgueil et d'ambition.

    Maints pouseurs se prsentaient, pour obtenir la mainde la jeune beaut; mais leur grand nombre et leurs offresne faisaient qu'accrotre sa prsomption et ses refusddaigneux. Une fois, par un beau clair de lune, la mres'tant rveille et ne

    ______________

    (1) Le substantif kovlad est un compos de deux mots slaves, kov, cequi est mallable, le mtal, el vlad, matre. Il y a aussi un autre motqui rpond, pour la forme ainsi que pour le sens,

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    Rdition numrique par Contes, Ventes & Marres.

    pouvant plus se rendormir, se mit grener le rosaire,priant Dieu d'assurer le bonheur de son enfant unique,qui, soit dit en passant, lui rendait la vie parfois lourde supporter. La fille dormait ses cts. La pauvre mrecontemplait avec amour les charmes juvniles de sonenfant; et, voyant un sourire s'panouir sur ses lvres, ellese demanda : " Quel serait donc ce rve qui la rend siheureuse ?" Ce disant, elle acheva ses patentres,suspendit le rosaire au clou, et, posant sa tte sur l'oreiller

    de son enfant, s'endormit.Le lendemain, elle dit :

    " Raconte-moi donc, fille chrie, qu'as-tu vu de sibeau, cette nuit, pour avoir ri dans ton sommeil?

    Ah ! oui, maman, c'tait un rve bien dlicieux.Imagine-toi : Je rvais qu'un riche seigneur est venu cheznous, dans un magnifique char de cuivre, et qu'il medonnait une bague orne de pierres qui rayonnaientcomme les toiles du ciel. Puis, lorsque je suis entre l'glise, il y avait beaucoup

    ______________

    Kuvra* (Plutus), dieu des richesses de la mythologie indienne. Enlisant ce conte et celui qui le suit immdiatement, on verra qu'outrel'analogie du nom, il y a celle des dtails mythiques. La descriptionque donne l'pope de Valmiki, des richesses minrales et vgtales duroyaume de Kuvra et de son chteau, rappelle en plusieurs points lascenerie des contres souterraines parcourues par la jeune meunire(p. 72) avec l'enfant perdu. Nous reproduisons ce passage.

    (*) Kovyra-ti en russe veut dire fouiller, creuser, estropier, dfigurer.Le dieu indien Kuvera tait boiteux.

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    de monde et tous me trouvaient divine et adorable commela Sainte-Vierge.

    Ah! mon enfant, tu blasphmes; Dieu te prserve desonges pareils! " rpondit la vieille mre, tandis que safille, fredonnant une chansonnette, courait gaiementvaquer aux soins du mnage.

    Le mme jour, on vit, dans leur village, un jeune etbeau fermier arriver dans son chariot de campagne, en les

    priant de venir partager le pain rustique. Il tait charmantet il plut beaucoup la mre, mais la fille repoussa saproposition avec rudesse.

    " Quand mme tu serais venu pour me conduire dansun char de cuivre, quand mme tu m'aurais offert unebague orne de pierres rayonnantes comme les toiles duciel, je n'aurais jamais consenti t'pouser, toi, paysan! "

    Le jeune homme, choqu de ces impertinences, larecommanda Dieu et s'en retourna tristement chez lui.La mre la rprimanda en lui reprochant sa duret.

    La nuit suivante, la mre se rveilla derechef, prit sonrosaire et pria avec encore plus de ferveur afin que Dieudaignai bnir sa fille; celle-ci, tout en dormant, partit d'unclat de rire :

    " Qu'a-t-elle donc, la pauvre entant? toujours desrves ! " se dit-elle; puis elle soupira, pria encore, et,posant sa tte sur l'oreiller de sa fille, voulut se

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    Les gentilshommes se retournrent dpits etrebroussrent chemin. La mre la tana d'importancepour tant d'orgueil.

    " Fille de malheur, lui criait-elle, l'orgueil est unsouffle de l'enfer: sois donc humble, honnte et douce. "

    Mais la fille se riait de toutes ces remontrances. Latroisime nuit, la fille dormait profondment, tendue ct de sa mre. Celle-ci, au contraire, ne pouvait fermer

    l'il. Tourmente de sinistres pressentiments, ellecraignait quelque malheur pour sa fille et grenait lerosaire en priant avec ferveur. Tout coup, la jeuneendormie se mit ricaner et rire convulsivement.

    " Dieu de misricorde! s'cria la vieille, quels sontdonc les rves qui hantent ce pauvre cerveau ? "

    Et elle continua prier pour sa fille jusqu' l'aube dujour.

    Le matin, elle demande :

    " Qu'est-ce qui t'a donc fait ricaner si affreusement,cette nuit? Tu fais de mauvais rves, ma pauvre enfant.

    Voyons, maman, tu m'as l'air de vouloir mesermonner encore une fois.

    Je veux que tu me racontes quel tait ton rve.

    Eh bien! sachez que je rvais qu'on tait venu

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    me demander en mariage dans un char tout dor, et que j'ai reu un magnifique manteau tissu d'or pur. Lorsquenous sommes arrivs l'glise, la foule se pressait pours'agenouiller devant moi.... "

    La mre se tordit douloureusement les mains, tandisque la fille prenait ses robes et sortait, afin d'achever satoilette et d'viter les dolances de sa mre.

    Le mme jour, on vit arriver dans la cour trois chars

    de cuivre, d'argent et d'or. Le premier tait attel de deux,le second de trois et le troisime de quatre magnifiquescoursiers. Des chars de cuivre et d'argent, descendirentdes messieurs ayant des gants couleur carlate, despardessus verts. Du char d'or descendit un beau seigneurdont les vtements d'or resplendissaient au soleil.

    Tout le cortge alla directement trouver la veuve, etlui demander la main de sa fille.

    " Je doute que nous soyons dignes de tant d'honneur, "rpondit humblement la veuve ; mais la fille, au premier

    coup dil qu'elle jeta sur le solliciteur, le reconnut pourle fianc de ses rves. Aussi s'tait-elle retire dans unechambre part, pour y tresser une aigrette en plumes decouleur. (1)

    En change d'une aigrette de son propre ouvrage

    ______________

    (1) Prsent emblmatique, que les filles slovaques font celui qu'ellesdsirent pouser.

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    que la fille offrit au fianc, celui-ci lui mit au doigt unebague enchsse de pierres, qui brillaient comme lestoiles au ciel, et la revtit d'un manteau en drap d'or. Lafiance se pmait de joie, et vite se retira pour compltersa toilette.

    En attendant, la mre, soucieuse et en proie de tristespressentiments, demanda son gendre :

    " Puisqu'elle consent partager votre pain, dites-moi

    de quelle farine est ce pain? Il y a chez nous du pain de cuivre, du pain d'argent

    et du pain d'or ; libre ma femme de choisir. "

    La mre s'tonnait de plus en plus de tout cela, et s'enaffligeait galement, tourmente par des pressentimentsde plus en plus sombres.

    Quant la fille, elle ne demandait rien, ne voulaitsavoir rien, pas mme ce qui se passait dans l'me de sapauvre mre. Une fois la toilette acheve, la fiance taitrellement magnifique, dans son manteau d'or. Lorsque le

    seigneur la prit par la main, pour aller l'glise clbrerles fianailles, elle eut soin de ne demander ni labndiction maternelle, ni la permission de prendre congde sa mre ou de ses compagnes, selon l'usage ancien deses anctres. La veuve toute plore, debout sur le seuilde la maison, murmurait une prire pour le salut de l'mede son unique enfant. Aprs la crmonie, les nouveauxmaris montrent dans le char

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    d'or, et les messieurs dans les chars d'argent et de cuivre.Les voil partis, sans que la fille et fait ses adieux samre en larmes.

    Le cortge poursuivit son chemin, sans s'arrter, jusqu' ce qu'il arrivt au bas d'un rocher. En guise deporte cochre, il y avait, une large caverne. Les chevaux, peine entrs, suivirent une pente rapide, de plus en plusbas, et, derrire eux, le gant Zmotras (qui fait lestremblements de terre) eut hte de boucher l'entre de lacaverne avec le quartier d'un roc. Ils s'avanaient dans lestnbres, presque ttons. La marie avait grand'peur,mais l'poux la rassura :

    " Ne crains rien, attendons un peu ; il fera clair etbeau. "

    De tous cts accouraient des pygmes, portant destorches allumes. Tous ils saluaient et acclamaient leurroi Kovlad, et ils clairaient le chemin du cortge nuptial.Ce fut pour la premire fois, que l'orgueilleuse filles'aperut qu'elle avait pous Kovlad. Cependant elle ne

    s'en chagrina point (1).______________

    (1) Kouvra et Kovlad exercent leur pouvoir dans des rgionssouterraines; ils touchent l'enfer et sont ordinairement hostiles auxdieux de la lumire et aux hommes dous de vie. Kovlad enlve lajeune fille et veut qu'elle se nourrisse de mtaux ; il retient prisonnierdans ses royaumes souterrains le jeune enfant, pour une faute de sanourrice, Kouvra maudit un Gandharva cleste qui ne peut entrer auparadis qu'aprs avoir t tu par Rama. Voyez ce sujet un belpisode de la Ramayana, vol. IV, p. 41, trad. Fauche.

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    Sortant de ces gouffres tnbreux, ils arrivrent enplein air, au milieu de forts et de monts immenses, quis'levaient jusqu'au ciel. Et, chose trange, tous lesarbres, sapins, ifs, htres, toutes les montagnes y taientde plomb massif.

    Quand ils eurent travers ces monts tonnants, on vitderechef arriver le gant Zmotras. Il s'empressa decombler toutes les issues du chemin qu'ils venaient deparcourir.

    Des montagnes de plomb, le cortge nuptial dbouchadans de vastes plaines rayonnantes de beaut, et, aumilieu d'elles, se trouvait un chteau d'or, incrust depierres prcieuses. Il y avait tant de choses voir, que lamarie, fatigue de l'examen de toutes ces merveilles, nerespira plus librement qu'en remarquant les pygmes entrain de prparer un festin. Elle avait faim, on s'assit table.

    On servait des mets frits et cuits de diffrents mtaux,de cuivre, d'argent et d'or. Tous s'en rgalaient, hormis la

    jeune marie, qui ne pouvait manger. Elle pria son pouxde lui faire donner un morceau de pain.

    " Je le ferai bien volontiers, madame, " rponditKovlad et, sur son ordre, on apporta une miche de paintout de cuivre. Elle ne put en manger. Le matre fitapporter une miche d'argent ; la marie ne put en manger.Le matre fit donner une miche

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    d'or. Les domestiques s'empressrent d'en servir madame, mais elle ne put pas non plus en manger.

    Je serais bien aise de vous satisfaire, mais nousn'avons pas ici d'autres pains que ceux-l. "

    Ce n'est qu'alors, qu'elle s'aperut entre quelles mainselle s'tait livre, et elle se mit pleurer amrement.

    Tu as beau verser des larmes et te plaindre, dit

    Kovlad, tu savais bien quel pain tu aurais rompre; or, tavolont a t faite. "

    Et, en effet, il n'en fut pas autrement. Ce qui est faitest fait. La jeune marie dut dsormais demeurer sousterre, chez son mari Kovlad, le dieu des mtaux, dans leurchteau d'or, parce qu'elle n'avait cherch que de l'or etqu'elle n'avait jamais voulu rien de mieux. Ainsi soit-il.

    II : L'ENFANT PERDU

    Un seigneur possdait des richesses incalculables.

    C'tait bien, mais elles ne lui profitaient gure, car iln'avait pas d'hritier auquel il et pu les lguer.

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    Dj sur le retour de l'ge, il se sentait vieux pluttque jeune. Pauvre homme! Tous les jours il allait avec safemme, l'glise, prier Dieu qu'il daignt leur octroyer labndiction d'avoir un fils.

    Et cela dura longtemps, jusqu' ce qu'une fois, lafemme se sentit en tat de maternit. Leurs esprancescroissaient de jour en jour. Or, la veille de la venue aumonde de l'enfant, le pre eut un songe. Il rvait que safemme lui donnerait un garon, mais que celui-cin'existerait qu' condition de ne jamais toucher la terre,avant le terme de douze ans accomplis.

    Des nourrices nombreuses, averties d'avance,veillaient soigneusement ce que cette condition ftremplie sans faute. L'enfant approchait de la fin de sadouzime anne. Il ne lui restait plus que peu de jours, eton ne lui avait jamais permis de toucher la terre. Lesnourrices tantt le portaient sur leurs bras, et tantt leberaient dans son berceau d'or (1).

    Dj le pre commenait les prparatifs d'une fte

    splendide, qu'il se proposait de donner l'occasion de ladlivrance de son fils du joug des conditions si onreusesdu destin. Tout coup, un tracas pouvantable et des crisinsolites branlrent les remparts de la cour du chteau.La nourrice,

    ______________

    (1) Les dieux indiens restent debout sur la terre sans la toucher.

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    tenant alors l'enfant dans ses bras, et voulant connatre lacause de l'alarme, oublia un tel point ses devoirs, que lamalheureuse posa l'enfant par terre et courut regarder lafentre.

    Le bruit cessa. La nourrice revint reprendre le garondans ses bras. Impossible de raconter son chagrin,lorsqu'elle s'aperut que l'enfant n'y tait plus et qu'elleavait nglig les ordres de son matre. Attirs par ses criset ses lamentations, tous les domestiques du chteauaccoururent. Le seigneur ne tarda pas venir aussi ; touteffray, il s'enquiert, il demande ce qui est arriv et o estle garon. La nourrice, frmissante comme la feuille dutremble, inonde de larmes, raconta au pre une unetoutes les circonstances de la disparition de son filsunique.

    On ne saurait s'imaginer l'immensit de l'angoisse duseigneur, lorsqu'il vit ses esprances les plus chress'anantir d'une faon si inattendue Dans un clin dil, ildpcha des serviteurs dans toutes les directions pourchercher l'enfant. Il ordonnait, il suppliait, il versait del'or pleines mains, promettant tout, pourvu qu'on luirament son fils. Les recherches les plus minutieuses nefirent pas dfaut, mais personne ne put dcouvrir l'enfant,qui disparut comme s'il n'et jamais exist.

    Quelque temps aprs, le seigneur afflig apprit que,dans une des plus belles salles du chteau

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    chaque soir, minuit prcis, on entendait quelqu'unmarcher et pousser des gmissements plaintifs. Il voulutremonter la source de cette apparition, car unpressentiment lui disait que l'enqute pourrait le conduire la dcouverte si ardemment dsire. Or, il fit proclamer,dans toutes les localits de son royaume, qu'il donneraittrois cents pices d'or quiconque consentirait veillerune nuit dans la salle en question.

    Les gens de bonne volont ne manquaient point. Maisaucun d'eux n'eut le courage de subir l'preuve jusqu' lafin ; chacun, aussitt qu' minuit les gmissementscommenaient se faire entendre, aimait mieux se sauverque de risquer sa vie au prix