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BLOG SUR LE ZIMBABWE de Nov. 2007 à Avril 2010: Contexte Notre fille Agnès Lesage a quitté la Croix Rouge pour rejoindre au Zimbabwe son mari Rui Possolo, mozambicain rencontré en Angola et au Darfour et épousé en Sept. 2007 Rui est chef de la délégation du PAM (Plan Alimentaire Mondial) à Bulawayo, deuxième ville du pays. Il tente de pallier les immenses pénuries et l’inflation vertigineuse de ce pays gouverné par le vieux chef Mugabe après la décolonisation de cette Rhodésie du Sud, les exactions contre les de fermiers blancs, les sanctions internationales. Agnès a commencé un « blog » en Nov. 2007 à son retour de Paris où est né son petit Rafael Voici quelques extraits du « blog » que vous pouvez consulter sur http://bulaniouses .blogspot.com, sur lequel nous avons nous–mêmes écrit lors de notre séjour et que j’ai transcrit dans l’ordre chronologique. On y peut voir aussi des photos Résumé : I- Nov.2007-Avril 2008. Avant les élections, le pays continue de s’enfoncer dans la crise (Inflation, misère, systèmes D) II- Mai 2008-Février 2009. Les deux tours des élections présidentielles et parlementaires sont très contestées. L’inflation et la désorganisation sont à leur comble. Alain et Marie-José Lesage observent aussi le pays lors de leur séjour. III- Février 2009-Avril 2010. Après un accord gouvernemental et la disparition du dollar zimbabwéen, quelques signes d’espoir ? I-NOV. 2007 À AVRIL 2008, AVANT LES ÉLECTIONS : LE PAYS SENFONCE MISÈRE, MISÈRE En allant chercher Rui au bureau ce midi, je me suis fait arrêter par un vieux monsieur, tout vieux, tout digne, tout désespéré, qui n'arrivait pas à rentrer dans les bureaux du PAM pour réclamer de l'aide alimentaire. Il commence à être connu le PAM ici, c'est lui qui fournit actuellement un panier alimentaire de base à 2,5 millions de Zimbabwéens - sur les 12 millions que compte le pays. Deux programmes sont réalisés tout au long de l'année: le "school feeding", équivalent de nos "goûters scolaires" de l'après-guerre et le soutien nutritionnel aux malades du Sida, qui sont plusieurs centaines de milliers au Zimbabwe. Et puis comme l'an dernier a connu une grande sécheresse, s'ajoutant aux ratés de la réforme agraire, il y a, jusqu'à la fin de la période de soudure, en avril, un programme plus massif dans les zones rurales en faveur des "populations vulnérables", ciblées par les ONG partenaires dans les différents districts les plus affectés. Résultat: en ce moment, il y a des dizaines de camions en file le long de la route où se trouve l'entrepôt et les bureaux du PAM, dans la zone industrielle. Et des gardes qui précisément gardent ces entrepôts et contrôlent les entrées. Mon vieux bonhomme était donc bien content de m'attraper, croyant que je travaillais pour le PAM, m'expliquant qu'il était malade, et sans

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BLOG SUR LE ZIMBABWE de Nov. 2007 à Avril 2010:Contexte  Notre fille Agnès Lesage a quitté la Croix Rouge pour rejoindre au Zimbabwe son mari Rui Possolo,

mozambicain rencontré en Angola et au Darfour et épousé en Sept. 2007 Rui est chef de la délégation du PAM (Plan Alimentaire Mondial) à Bulawayo, deuxième ville du pays. Il

tente de pallier les immenses pénuries et l’inflation vertigineuse de ce pays gouverné par le vieux chef Mugabe après la décolonisation de cette Rhodésie du Sud, les exactions contre les de fermiers blancs, les sanctions internationales.

Agnès a commencé un « blog » en Nov. 2007 à son retour de Paris où est né son petit Rafael Voici quelques extraits du « blog » que vous pouvez consulter sur http://bulaniouses.blogspot.com, sur

lequel nous avons nous–mêmes écrit lors de notre séjour et que j’ai transcrit dans l’ordre chronologique. On y peut voir aussi des photos

Résumé :I- Nov.2007-Avril 2008. Avant les élections, le pays continue de s’enfoncer dans la crise (Inflation, misère, systèmes D)II- Mai 2008-Février 2009. Les deux tours des élections présidentielles et parlementaires sont très contestées.

L’inflation et la désorganisation sont à leur comble. Alain et Marie-José Lesage observent aussi le pays lors de leur séjour.

III- Février 2009-Avril 2010. Après un accord gouvernemental et la disparition du dollar zimbabwéen, quelques signes d’espoir ?

I-NOV. 2007 À AVRIL 2008, AVANT LES ÉLECTIONS : LE PAYS S’ENFONCE MISÈRE, MISÈREEn allant chercher Rui au bureau ce midi, je me suis fait arrêter par un vieux monsieur, tout vieux, tout digne,

tout désespéré, qui n'arrivait pas à rentrer dans les bureaux du PAM pour réclamer de l'aide alimentaire.Il commence à être connu le PAM ici, c'est lui qui fournit actuellement un panier alimentaire de base à 2,5

millions de Zimbabwéens - sur les 12 millions que compte le pays. Deux programmes sont réalisés tout au long de l'année: le "school feeding", équivalent de nos "goûters scolaires" de l'après-guerre et le soutien nutritionnel aux malades du Sida, qui sont plusieurs centaines de milliers au Zimbabwe. Et puis comme l'an dernier a connu une grande sécheresse, s'ajoutant aux ratés de la réforme agraire, il y a, jusqu'à la fin de la période de soudure, en avril, un programme plus massif dans les zones rurales en faveur des "populations vulnérables", ciblées par les ONG partenaires dans les différents districts les plus affectés. Résultat: en ce moment, il y a des dizaines de camions en file le long de la route où se trouve l'entrepôt et les bureaux du PAM, dans la zone industrielle.

Et des gardes qui précisément gardent ces entrepôts et contrôlent les entrées.Mon vieux bonhomme était donc bien content de m'attraper, croyant que je travaillais pour le PAM,

m'expliquant qu'il était malade, et sans ressources, qu'il voudrait bien aussi un peu d'aide pour manger. Je lui explique que je ne travaille pas ici, et aussi qu'il n'arrivera pas à rentrer : ce sont les ONG partenaires qui sélectionnent les bénéficiaires - le PAM évite d'intervenir dans leur travail, et surtout de gérer les cas individuels. A vrai dire je ne savais pas très bien vers quelle ONG l'orienter, à part World vision, les noms des autres, qui sont des ONG zimbabwéennes dont j'avais connaissance, m'échappaient. En attrapant Rui je le lui demande et il me rappelle que le PAM n'intervient pas en zone urbaine (jamais, c'est une politique poursuivie partout pour diverses raisons) du coup, je ne m'arrête pas pour renseigner mon bon monsieur; je le vois tenter d'arrêter sans grand succès Antonio, le responsable des programmes, sur sa moto - et nous filons à la maison. Je me dis que j'ai manqué d'à propos: il aurait fallu lui demander d'où il vient, peut-être a-t-il une chance dans son village. Le sentiment de sa détresse me poursuit, et en raccompagnant Rui j'imagine qu'il sera peut-être encore là mais non, je vais voir les réceptionnistes, et je tombe sur un garde que je connais un peu car il est très gentil: "this old man? he is a little bit crazy you know ... no, he went away, but he is always coming here, and we keep telling him that he cannot get food here, he has to go to his village and be registered by the NGO. But you know, some of them, they dont want to go to their villages ...» Songeant que ce qui a été pour moi une petite expérience troublante à midi est le quotidien des gardes ... et qu'ils assurent autant que possible, avec gentillesse, l'information des malheureux qui viennent quémander à leurs portes. Ultime visage, aussi humain que possible, de la machine humanitaire contemporaine : sourde et aveugle face à la détresse d'un homme quand elle assure la survie de centaines, de milliers et de millions d'anonymes.

Cette détresse, on la voit quotidiennement aussi dans les yeux des petits vendeurs des parkings, lorsqu'ils comprennent qu'on ne négociera même pas le prix, ils abandonnent leur mine de bonimenteur pour révéler une simple peur de ne rien ramener à la maison ce soir, pour mettre dans la sadza (purée de maïs). La pauvreté, on la voit aussi dans les magasins, quand une femme, bébé sur le dos, vient régler à la caisse "une" pomme de terre, celle qu'elle peut se payer aujourd'hui. Les Zimbabwéens vivent au jour le jour; de toutes façons, avec l'inflation,

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mieux vaut dépenser ce que l'on a, on verra plus tard. On est étonné souvent de voir les difficultés des Blancs, surtout les personnes âgées dont la pension a perdu depuis bien longtemps toute valeur, et qui ne cessent de se lamenter dans les magasins du prix des légumes ... Mais aussi le jeune handicapé qui vend des bonbons à la sortie de Spar ... le grand gaillard qui garde le parking du supermarché grec ... le « clodo » des rues du bas de Bulawayo ... noir en revanche, et un peu arriéré mental, le petit cireur de chaussures qui attend sagement devant le supermarché sans jamais alpaguer personne ...

L’INFLATION Les queues à la banque sont quant à elles toujours interminables (heureusement, généralement on se débrouille

autrement.). Après une première expérience de 1h au distributeur qui m'a valu un coup de soleil, mon nouveau record de queue est de 2h30 ! Maintenant, je prends un livre ... et quand je le termine au milieu de la queue, je le recommence ! Tout ça pour des retraits limités à 50 millions par jour, soit moins de 10 USD ... Depuis des semaines en effet, les banques limitent les retraits pour cause de pénurie de cash ... Certains disent que le papier coûte plus cher que le billet ..

Les petits prix qui grimpent qui grimpent, qui grimpent !On aurait ainsi battu le record d'inflation de l'Allemagne de Weimar (32 500%), avec des estimations variant

de 60 à 100 000% ... mais il est vrai qu'elles sont hasardeuses, les produits du "panier de la ménagère" n'étant pour la plupart tout simplement pas disponibles!

Extrait de la revue de presse de l'ambassade de France: "Si tant est que le client parvienne à retirer de l'argent de la banque, ce ne sera même pas l'équivalent du prix d'une boîte de thon … Un exemple en valant mille, on notera en effet que la boîte de thon, lorsqu'elle est disponible, se négocie ces jours-ci à près de 20 MZWD, soit 666 US $ au taux officiel et quand même 10 US $ au taux parallèle pour les espèces.

La spirale inflationniste s'accélère avec des augmentations quasi quotidiennes des prix. On aurait même vu un restaurant de Harare augmenter ses prix entre la commande et le dessert …"

Mais pour tout, les prix ont beaucoup augmenté, même en calculant au taux de change du marché noir (donc au-delà même de l'inflation). Une pomme, un concombre reviennent à presque 1 USD! Sauf a considérer "l'autre" taux de change au noir, car il y a maintenant un taux "électronique" (si quelqu'un vire de l'argent sur ton compte) qui est 4 à 5 fois plus avantageux que le taux "cash", pour cause de ... pénurie d'argent !

Pour finir, nous avons mangé à "Alo alo", le resto bar de l'Alliance française, où je me suis fait arnaquer de 15 millions de dollars zim: soit deux paquets de 20 billets de 750 000, ceux qui constituaient le fond de sauce de notre porte monnaie (je devrais dire cabas en plastique) pour le week-end. Les billets de 750, c'est les pire: on a beau savoir que en paquets de 4, ça fait 3 millions, et en paquets de 20, on a 15 millions, on est tous un peu confus à les manipuler. Et là, ça n'a pas raté: la serveuse est revenue me disant qu'il en manquait- on ne peut pas la blâmer de ne pas compter devant vous quand il faut une machine pour compter les liasses. Enfin, tout ça ne m'a coûté finalement que ... 3 USD, pas de quoi en faire un fromage.

(Lundi 28 janvier 2008)Juste un ou deux chiffres récents pour finir de vous étourdir.Cette semaine, j'ai dû renoncer à un sachet de poivre gris, quand je me suis aperçue, à la caisse, qu'il me

coûterait 80 millions (soit quand même presque 6 USD) et non 8 comme j'avais cru le lire - il faut dire que les machines qui impriment les étiquettes des supermarchés comme les relevés de banque manquent souvent de zéros pour refléter la réalité exponentielle du pays et mieux vaut toujours avoir sa petite idée du "juste prix".

Dans le même temps, j'ai cédé aux sollicitations d'une grand mère blanche qui, dans le parking du supermarché, m'a demandé de la dépanner de 15 millions pour payer son modeste loyer: 30 millions - soit, en cette fin de mois, 2 à 3 USD par mois !

NB: La plupart des loyers, comme les services d'eau et d'électricité, sont excessivement bon marché. Si l'on continue de se référer aux taux de change du marché noir, alors notre budget s'élève pour ces deux derniers mois à 0,5 USD pour l'eau (certes épisodique), autant pour les taxes locales (essentiellement la collecte des ordures), 1 USD pour le téléphone (c'est vrai que je pourrais appeler plus souvent!) et 1,5 USD pour l'électricité et ses coupures.

A prix également incroyablement bas - car subventionné - quelques milliers de tracteurs ont été cédés en décembre dernier au prix de 10 millions (soit à l'époque environ 10 USD) - payables en 3 fois! Il est vrai que les élections approchent et que les nouveaux fermiers sont dans les petits papiers ...

Mais les retraités, eux, sont vraiment mis à dure épreuve. Selon un reportage de la BBC qui a du être tourné en janvier, les retraites de nombreux Zimbabwéens sont toujours de 200 000 dollars - à peine 0,20 USD à l'époque, et pas de quoi acheter le quart d'un kilo de patates. Selon ce même reportage, en récupérant des sacs plastiques dans les décharges, ils arrivaient à collecter quelques 20 à 30 USD pour "boucler leur fin de mois".

Qui veut gagner des millions? (Lundi 11 février 2008)

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Ça y est, j'ai démarré les cours à l'Alliance française - j'aime bien en fait, c'est sympa, j'essaye de trouver des trucs pédagogiques et puis ça me fait rencontrer des gens différents. Après le 2è cours, l'assistante du directeur m'a demandé si on m'avait parlé du salaire - je lui ai dit non. A l'Alliance, on paye une cotisation de quelques millions qui ne font guère que quelques dollars pour l'année, nous donnant accès à quantités de livres, des DVD, et des invitations pour les quelques événements culturels qui égayent la vie Bulawayesque. Alors, les cours de conversation, je pensais bien leur en faire cadeau ...

Le salaire, m'a-t-elle dit, n'est pas extraordinaire : 7 millions de l'heure - soit, début février, un petit dollar américain (aujourd'hui quoi 60 centimes d'euros ?). A ceux qui trouvent cela lamentable, je dois dire que ce petit dollar constitue le salaire non pas horaire, mais journalier, de nombreux Zimbabwéens. Et puis, me suis-je dit quand elle m'a proposé de me payer 4 semaines à l'avance : "pourquoi pas? je vais pouvoir acheter un filet d'oignons, sans aller faire la queue à la banque!" J'ai donc accepté avec fierté mon premier salaire de millionnaire. Et j'ai bien fait d'acheter « dare-dare » mes oignons : 2 semaines plus tard, il faut 15 et 20 millions de dollars zimbabwéens pour un dollar américain, soit encore une dévalorisation de 100% !

Ceci pour le taux de change sur la marché parallèle, bien sûr: le change officiel ne varie pas à 30 000 depuis des mois. Moyennant quoi, mon heure de conversation est rémunérée plus de 230 USD, qui dit mieux ?

Mais les 10 photocopies que je fais pour mon cours me coûtent 10 millions, soit plus que mon salaire.

COMPLICATIONS DE LA VIE : l’eau, l’électricité, le téléphone et les courses Entre coupures d'électricité, d'eau, de téléphone et les diverses sorties en ville pour y parer, ça n'a pas l'air,

mais je manque de temps !Le quotidien est en effet un peu compliqué. Hier, c'était le téléphone: ils n'envoient plus les factures (faute de

papier apparemment) et du coup si on ne paye pas, ils coupent la ligne! Il m'a fallu faire 3 queues au "France Télécom" local pour la rétablir.

L'eau du puitsNous avons réussi cahin-caha à faire raccorder la pompe du puits au réseau domestique, mais ce n'est pas

terminé - Rui avait payé 100% à l'avance, avant d'attendre un mois, pour se faire dire que le prix des matériels avait - forcément - augmenté, repayer à l'avance, attendre encore, et puis la veille du départ en vacances de l'entreprise (ils prennent quand même 3 semaines à Noël) les ouvriers ont plus ou moins installé les tuyaux, mais pas fait l'installation électrique qui nous permettrait de faire fonctionner la pompe à pression sur notre générateur. Résultat: nous avons de l'eau seulement si nous avons de l'électricité de la ville - et les coupures durent souvent plus de 8h en cette période de Noël ! Enfin, là, ça fait 4 jours sans coupure, alors même qu'on nous annonce que le Mozambique, après l'Afrique du Sud et le Botswana, cesse de fournir de l'électricité au Zimbabwe faute de paiement... je croise les doigts.

Nos challenges à nous.Dans ces circonstances, une invitation dominicale se transforme facilement en exploit ... Car pour faire un

rôti, ça n'a l'air de rien, on peut cuisiner avec l'eau stockée dans les baignoires, faire la vaisselle avec l'eau de la piscine ... mais il faut bien faire fonctionner le four ! Pronostiquer, aux premières heures de la matinée, sur les horaires habituellement pratiqués par ZESA (l'EDF local) ... faire du feu "au cas où"... recalculer les temps de cuisson ... ou encore trouver la phase du générateur qui permet de rallumer le four, en éteignant tout le reste, y compris la prise qui nous permet de faire bouillir l'eau ou de cuire le riz etc, etc ... ! Alors on me dira: pourquoi se compliquer la vie avec un rôti ? ! Mais parce qu'on cuisine ce qu'on trouve, et qu'on est drôlement content de l'avoir trouvé ce rôti ! Encore faut-il dire qu'en matière de rôti, on n'est jamais sûr de rien ... car en fait nous avions à faire à un énigmatique "beef-roll", tel qu'on peut le trouver dans ce nouveau contexte de boucherie sauvage et ces incertitudes n'arrangent pas le calcul des temps de cuisson !

Mais enfin, ce sont des difficultés toutes relatives face à celles auxquelles est confrontée l'immense majorité des Zimbabwéens, dont le pouvoir d'achat se réduit comme peau de chagrin. Mon amie de l'agence « web » me disait que les manœuvres qui travaillent dans son compound n'ont pas mangé de viande depuis 2 mois ...

Le noir à HarareOn a redécouvert les charmes de la capitale.D'abord, du noir ! Et l'on s'aperçoit que ce n'est rien d'avoir une coupure d'électricité à la maison, il faut la voir

en capitale ! Ça nous a pris à l'hôtel les deux mains dans le lavabo, Rafael dedans, l'eau qui refroidit, Rafael qui pleure et moi, seule dans la chambre, qui ne sait trop m'orienter dans le noir pour trouver serviette, sac, et surtout, lampe de poche ! Un bonheur. Et l'on mesure la mouise dans laquelle se trouve le pays ; le Bronte, qui n'est pas, certes un hôtel de luxe mais quand même un bel hôtel de l'époque coloniale, a un générateur qui ne couvre qu'une partie de ses chambres et ostensiblement pas les moyens de s'en payer un plus gros. Il est vrai que la suite (3 pièces et salle de bains) nous est revenue à 40 USD avec le petit déjeuner pour 3 ! L'un des managers qui m'a finalement amenée une lampe de poche et à qui je demandais "mais qu'est-ce qui se passe ?" n'a su que me répondre d'un air las "mais c'est le Zimbabwe Madame"!

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C'est la 2ème panne générale dans le pays en quelques jours. D'habitude, c'est un quartier, un secteur, ça tourne, mais il y a un peu de lumière dans les rues. Là, c'est toute la ville qui est noire, et ça fait drôle ... on cherche, à la lumière des phares de voiture, un endroit accueillant où se reposer les yeux et le reste. En vain. Et puis, quand un ami vous donne les instructions pour trouver son chemin, ce n'est pas facile ... car "au 2e feu rouge tu tournes à droite", ben il faut le voir le feu rouge, dans le noir !

Il faut dire par ailleurs que Harare est une jolie ville; de nombreux diplomates qui y ont passé un bout de carrière, y avaient acheté une de ces magnifiques villas à la végétation luxuriante et à l'ameublement soigné, qui faisaient du pays, avec son climat de rêve et ses conditions privilégiées, "un petit coin de paradis".

Shopping au Botswana voisin La pire des queues c'est celle que nous avons vue à la frontière du Botswana. Rui voulait y aller pour la journée

samedi. J'ai suggéré de partir vendredi et d'y passer la nuit, j'ai bien fait. L'une des queues faisait plusieurs centaines de mètres ... sous la pluie. Nous y étions avec Rafael, un couple d'italiens et leur bébé et heureusement nous avons pu arguer des laissez passer des Nations Unies pour passer devant ... en bons latins. Quelqu'un nous a dit ce jour là avoir passé 8h pour traverser ce double poste frontière ! Les Zimbabwéens sont d'une patience ... Et encore au Botswana, tu les vois faire la queue pour changer de l'argent ! La ville de Francistown est une série de supermarchés à ciel ouvert et le jeu consiste à faire tous les magasins le plus vite possible ... Nous qui aurions besoin, après les étalages vides de Bulawayo, de retrouver le plaisir du shopping, nous devons le faire au pas de course. Et de fait, cette expérience ne nous donne pas envie d'y retourner.

De retour à Bulawayo, nous allons au poste d’essence où Rui peut se ravitailler avec des coupons distribués par le PAM. Pas de queue ... c'est louche. Il demande au pompiste "il y a du fuel"?". "Oui, il y a du fuel, mais il n'y a pas d'électricité". Tout s'explique... « welcome back to Zim » !

A vrai dire, on trouve maintenant plus de choses ici. Pas de tout, pas partout, pas tout le temps, alors quand tu rencontres des amis ça donne des conversations du genre "et as-tu vu des yaourts récemment ?" "Tu sais où trouver du pain en ce moment ?" Et puis, certains produits des plus courants ont déserté les circuits officiels pour ne se vendre qu’au noir : c'est vrai de la viande - on ne trouve plus que les bas morceaux en magasins, et de temps en temps quelques rares pièces, tandis que les bonnes se vendent dans des "boucheries domestiques". Ont aussi disparu des magasins : le « milimil » (mil de maïs qui est à la base de l'alimentation des zimbabwéens), l'huile, le sucre ... Nous avions l'habitude de les fournir en nature à nos employés de maison, ce n'est plus possible sauf à courir les trafiquants ...

NOS AIDES : Jennifer et Gogo (la nounou et la femme de ménage) (Lundi 4 février 2008)Impayable GogoAujourd'hui je voudrais repeindre en blanc la table en bois ronde qui n'en peut plus. A grand renforts de

tournées de tous les magasins de la ville, j'ai trouvé :peinture, white spirit, pinceaux, papier de verre et même des chevilles électriques qui feront office de clous, faute d'en trouver de vrais à moins de 80 mm !

Je prépare donc mon matériel avant d'en mettre partout et vais demander à Gogo si nous avons de vieux journaux. Je sais qu'elle les garde pour les donner à sa famille quand elle rentre au village; ils s'en servent pour honorer leurs postérieurs de quelques diatribes politicardes locales et puis Gogo se roule aussi quelques cigarettes quand elle n'a plus que du vieux tabac. "Mama ? yes we do", et voila Gogo qui va fouiller dans la cabane en bois derrière la cuisine, la cabane où je l'ai trouvée hier fumer sa cigarette, juchée pieds nus sur un seau en plastique en regardant la pluie tomber à flots juste au delà du nez de sa cigarette chérie.

"Is this one OK ?" et Gogo de sortir une série de "Sélection hebdomadaire du Monde", ainsi que quelques "Monde diplomatique", tout emballés de leurs plastiques "port payé en France" autant dire à prix d'or. Et nous qui nous demandions si le service postal s'était tellement dégradé, que nous n'avions toujours pas reçu le nouvel abonnement contracté il y a plus d'un mois !

Devant ma tête éberluée, Gogo ne se laisse pas impressionner! "You have told me that I can use these ones, didn't you? »

"Oh, keep one for me to clean the windows" ajoute Jennifer, tandis que je tente de leur expliquer "sure, you can use them, but only after we read them !"

Bon en attendant, ça me fait de la lecture avant d'attaquer la peinture.

Quand Gogo attrape Rafael, elle lui fait des drôles de têtes et lui raconte des tas de choses à vive allure :"why are you crying baby ? why cry ? cry baby, cry baby, cry""you must go to school ? no more crying, tomorrow go to school ? ! go to school !""you must stop eating your hands, with what are you going to work if you eat them all ?""look at my face, old gogo", "call me Gogo, Gogo has no teeth, just like you !"

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NDLR: gogo, c'est grand-mère en ndebele, surnom usuel de toute personne dont on ne sait plus l'âge. Gogo on sait à peu près, puisqu'elle m'a dit récemment qu'elle en avait 67, et « 70 l'an prochain !"

Et puis parfois elle lui dit des choses en ndebele que Jennifer me traduit en rigolant :"you are so white, white, white, we will send you to the village keep the goats and you take some colors""yes you will eat sadza, when your mother goes to town we will give you sadza,!"NDLR: la sadza est le plat national, une purée de maïs assez mastoc mais pas mauvaise que les Zim mangent à

tous les repas de l'âge de 2 ou 3 mois jusqu'à leurs derniers jours. Gogo adore ça, mais sent subrepticement qu'il vaudrait mieux se cacher de moi pour mieux en faire profiter Rafael.

II- LES ELECTIONS

Elections générales dans un pays tourmenté (vendredi 28 mars 2008 ; avant les élections)Pour toutes les organisations cela signifie une révision des plans de contingence, pour faire face "au cas où". Si

la situation est jugée critique, le PAM peut par exemple demander préventivement aux expatriés de prendre des vacances en dehors du pays "le temps de voir": nous étions tout prêts à en profiter pour faire une virée en voiture dans le centre du Mozambique! Malheureusement ou heureusement, aucune consigne de ce genre du bureau national Zimbabwe...

A Bulawayo donc, la campagne électorale a démarré de façon assez atone: tandis que les citoyens avaient 15 jours pour se faire réenregistrer sur les listes, à Bulawayo on ne ressentait ni la réalité ni l'imminence du scrutin. Puis sont apparues ça et là une affiche de l'opposition, se battant en duel sur les panneaux publics avec celle de miss Valantine ; dans les journaux, les pubs pleine page du parti au pouvoir, déclinant son discours sur les complots impérialistes dont le Zimbabwe est victime... Et puis, l'arrivée, à côté du leader traditionnel de l'opposition, d'un nouveau candidat, dissident du parti au pouvoir, a un peu secoué les esprits et sans doute ravivé quelques enthousiasmes. Sans grand effet cependant: entre les Zimbabwéens qui sont à l'extérieur du pays, ceux qui n'ont pu s'inscrire et surtout tous ceux qui sont démotivés, je crois que je n'en connais pas beaucoup qui vont voter! Mais finalement, les derniers jours ont vu les uns et les autres (et notamment ma Gogo) commencer de s'échauffer et attendre avec impatience ce jour de vote. Durant cette dernière semaine préélectorale ce sont même les avions militaires qui, survolant nos contrées, semblent appeler chacun à une discipline citoyenne exemplaire...! En ville, on a même vu l'estafette des observateurs électoraux de la SADC... C'est qu'un des sujets de discorde entre le pouvoir et l'opposition est précisément lié à la régularité du scrutin: sa tenue en date et heure, comme le souhaitait le Président, est le résultat d'une médiation de la SADC menée par le Président sud-africain, malgré un certain nombre de défauts dont se plaint l'opposition.

Et puis, il semble que le gouvernement soigne ses ouailles: ces quelques semaines préélectorales sont pourvues en annonces tonitruantes ("indigénisation" des entreprises, menace de saisie des magasins qui refuseraient de baisser leurs prix pour infléchir une inflation à 100 000 %, injonction aux industriels de satisfaire le marché dans les 48h sous peine d'amende...), et des mesures tout aussi convaincantes: augmentation fracassante des salaires des fonctionnaires, des militaires et des policiers, vaste distribution de tracteurs, outils, et mêmes de voitures dans certaines zones aux chefs de villages, dont on attend des efforts exemplaires pour motiver leurs troupes dans cet exercice électoral, en plus de dispenser avec discernement les rares sacs de milimil disponibles auprès du Bureau national de marketing, je n'en dis pas plus...! Les policiers eux-mêmes devraient être présent dans les bureaux de vote, pour s'assurer que tout se passe bien - on dit qu'ils vont même pouvoir aider les personnes âgées et handicapées à mettre leur bulletin dans l'urne. Le nombre de votants, mais aussi celui inattendu des centenaires, est d'ailleurs également un sujet de dispute semble-t-il pour l'opposition...

Voilà, on attend donc peu de surprise de ces élections, avec quand même une certaine appréhension... Cette après midi, c'était l'effervescence en ville, chacun faisant un peu tous les magasins pour remplir les frigidaires "au cas où"... au cas où l'annonce des résultats apporte quelque trouble, au cas où la mise au pas des magasins occasionne de nouvelles pénuries, au cas où...

- Premier tour (3 avril 2008)Non, ces élections ne sont pas très claires ... Depuis samedi, jour de l'élection, la ZEC (la Zim. Electoral

Commission) publie les résultats au compte goutte et c'est seulement hier qu'elle a fait le tour des circonscriptions parlementaires, pour donner la majorité au MDC (opposé à Mugabe) devant le Zanu-PF (parti de Mugabe), mais attention, le MDC n'a la majorité absolue qu'en comptabilisant les sièges d'une branche dissidente. Toujours pas de résultats pour les présidentielles, pourtant, la ZEC les a forcément, sans doute depuis au moins lundi quand les observateurs SADC ont remis leur rapport jugeant que les élections avaient été correctes. En attendant, le leader du MDC a dit qu'il attendrait les résultats officiels aussi longtemps que nécessaire, mais le lendemain son parti faisait une conférence de presse l'annonçant vainqueur dès le 1er tour. Ils se basent je crois sur les éléments donnés par le ZESN (Zim Elections Support Network, un réseau

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d'organisations de la société civile), basés apparemment sur les résultats affichés devant chaque bureau de vote (une subtilité des dispositions électorales qui a fait toute la différence dans ces élections !). Mais je ne sais pas trop, apparemment ce sont des extrapolations, avec une marge d'erreur ... et ils donnent Tsvangirai ( MDC) gagnant à 50,4% contre 42 %pour Mugabe. Le pouvoir voit d'un très mauvais œil ces déclarations anticipatoires. On ne croit pas que Mugabe pourrait vouloir un 2ème tour (humiliant pour lui qui est le petit père du peuple !), mais on a du mal à croire aussi qu'il est prêt a lâcher le pouvoir, ses généraux non plus - tandis que le président promettait que l'opposition ne gouvernerait pas de son vivant, les supérieurs de l'armée et la police annonçaient, il y a 10 jours, qu'ils ne serviraient pas une force autre que le parti de l'indépendance ! Les gens ici sont calmes, mais anxieux, partagés entre une joie possible et la crainte.

C'est demain la date limite pour la déclaration des résultats. De fait les nouvelles d'aujourd'hui ne sont pas très bonnes. Le parti du Président Mugabe dit qu'il le soutiendra dans la lutte (2ème tour auquel chacun semble se préparer), mais on apprend également que les résultats du Sénat sont suspendus indéfiniment, que le parti au pouvoir réunit demain son « politburo », que le Président pourrait prolonger de 3 semaines à 3 mois le délai avant un 2ème tour, et on parle aussi de mise en alerte des forces de police et des "war vets"... Ce serait si simple que l'opposition gagne, mais je crois que ça ne va pas se passer comme ça.

(Entre les deux tours d’élection)Réflexions des parents, Alain et Marie José Lesage lors de leur séjour du 8 au 26 mai 20085 

Tout notre voyage, fut jalonné de ???Connaissant par la presse et le métier de Rui la pénurie alimentaire du pays, nous nous attendions à de maigres repas et une cuisine rudimentaire. C’était sans compter avec les provisions prévues par Agnès avant notre arrivée et les talents culinaires de Jennifer et de Gogo qui rivalisent dans la confection de sauces et vont jusqu’à préparer à la fois du riz pour Rui et des patates pour Alain (que les hommes sont difficiles !). Jennifer avait envie d’apprendre de nouvelles recettes de cuisine; avec les ingrédients du coin; je n’ai réussi à lui enseigner que celle de la blanquette et encore sans crème. Il a fallu se passer le plus souvent de serviettes, de fromage et surtout de pain, ce qui est assez frustrant pour des français. Pourtant on me dit que le Zimbabwe était le «bread-basket» de l’Afrique australe. Alors, pourquoi n’est-ce plus le cas ? Les Anglais et Mugabe se renvoient la balle et Rui compte les points avec le PAM en distribuant de la farine de maïs américain !

Les températures n’ont pas non plus été celles que nous attendions dans ce pays tropical. Pourtant en géographe, j’aurais dû les calculer non pas en fonction de la latitude (20° Sud) mais en fonction de l’altitude (1357 m) et de la longueur des jours en cette saison hivernale. En outre, je n’avais pas imaginé une maison tellement bien conçue pour lutter contre la chaleur estivale qu’on pouvait aussi y avoir froid les soirs d'hiver ! Je n’avais apporté à Agnès et pour moi que des robes d’été. J’ai souvent superposé des pulls et Alain n’a guère quitté son foulard. Je n’ai pas eu le courage de me plonger dans la piscine claire, profonde mais glaciale même après une journée chaude. Rui au contraire y plonge Rafael pour l’aguerrir et cela marche puisqu’il n’y attrape pas de «rhumes Lesage». Il a donc fallu venir ici pour avoir droit à de belles soirées au coin du feu de cheminée. Avec une bougie pour nous éclairer lors des nombreuses coupures d’électricité, c’était encore plus romantique. Et le jour, la température et la pureté du ciel étaient idéales: pas un brouillard, pas une goutte de pluie.

Promenade en ville. Je m’attendais à voir la misère; or j'ai vu des gens avec des tenues soignées, des rues propres et sans mendiant, des enfants allant à l’école dans des uniformes impeccables, la circulation policée. Les faubourgs traversés ont de vastes maisons; leurs jardins sont bordés de murs souvent recouverts de magnifiques fleurs rouges de bougainvillées. Même l’espace entre le mur et la route est soigné, tondu, arrosé et orné de plantes grasses. Mais où est donc la misère tant annoncée ?

Elle se cache là où je ne l’attendais pas. Dans les magasins d’abord.- Premier libre service; les rayons sont aux trois quarts vides. Cependant, à la caisse un panneau nous avertit que l’on peut «limiter le nombre d’articles si cela est jugé nécessaire»! Voilà ce que les écolos français pourraient suggérer aux « hypers » français ! - Deuxième visite cachée dans une banlieue huppée; au fond d’un magnifique jardin se tiennent deux jeunes femmes de type nordique qui proposent un choix de produits que l’on ne trouve nulle part ailleurs; d’où cela vient-il? Agnès n’y trouve quand même pas l'ersatz de Nutela dont elle rêve et elle leur demande d’en trouver; par quelle voie, sans doute de marché noir ? - Autre libre service mieux achalandé. Par bonheur il y a du beurre; alors, malgré le prix qui lui paraît exorbitant, Agnès en achète deux paquets; mais quand elle veut payer avec sa carte visa, la machine le lui refuse car elle ne peut entrer autant de zéros! Alors, elle se contente d'un paquet et reviendra. - Visite à la boulangerie; impossible de trouver du pain ordinaire car il disparaît aussitôt sorti du four. On ne trouve que des petits pains de luxe, plus chers et d’ailleurs pas très bons. Le pain ordinaire est-il subventionné ou

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son prix est-il limité autoritairement ? Mais est ce Mugabe qui a dit qui a dit que « s'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche » ?Bon, j’ai au moins compris pourquoi Agnès avait besoin de personnel pour avoir du temps afin de faire ses courses.

Il faut aussi du temps pour changer de l’argent. Alain n’ayant pas voulu changer beaucoup d’argent le jour de notre arrivée de peur des dévaluations pendant notre séjour, je suis allée à la banque au milieu du séjour; j’ai attendu 2 heures et demi, juste le temps pour Agnès de faire corriger un chèque mal libellé. C’est long car il n’y a pas de machine pour compter les billets. On vous en donne tant que vous avez l’impression d’être riche ! L’employé de banque est même si honnête qu’il vous donne les chiffres exacts du change avec des billets de 50 000 et 100 000 en vous prévenant qu’ils ne vous serviront à rien car le plus petit achat coûterait davantage… Moi, après cela, j’étais prête à tout changer d’un coup car même si nos« zims» se dévaloriseront de moitié pendant notre séjour, cela n’est rien à côté de l’inflation de 1 000 000 000 % par an que subissent en ce moment les habitants du pays. Non, je ne me suis pas trompée de zéros en écrivant cela mais habituellement je me perdais tellement dans tous ces zéros que je confiais mon sac à Agnès pour qu’elle y puise les billets nécessaires pour mes petits achats. Quand j’achetais un petit souvenir à 1 million de «zims», elle me rassurait en me disant que cela ne faisait que quelques centimes, aussi je devrais avoir honte d’avoir trouvé chers des objets vendus par des organisations de femmes malades qui ne savaient pas changer leurs prix assez souvent. Nous sommes allés chez un particulier plus malin qui vendait ses produits artisanaux en les étiquetant en dollars américains et lorsqu’on passait à la caisse, il les traduisait en dollars zimbabwéens avec le cours du jour. Au sujet du change il y a eu pourtant un gros changement lors de notre séjour : les taux du change officiel et du change au noir ont été subitement alignés; mais pourquoi ? Agnès, Rui, une journaliste américaine et un membre de MSF rencontrés lors de notre séjour en ont longuement et passionnément discuté. Je n’ai pas bien compris leurs arguments en anglais, mais j’ai deviné qu’ils avançaient quatre hypothèses différentes; par exemple: cela permettrait peut-être à l’Etat de lever des taxes nouvelles sur des transactions plus visibles, ou encore Mugabe se sentirait tellement perdu qu’il ferait n’importe quoi, y compris l’inverse de la politique précédente … Bref, même pour eux la conduite de ce pays est incompréhensible, alors, vous pensez, pour nous, ce n’est qu’un mystère supplémentaire! La misère, je l’ai aussi respirée lorsque Agnès m’a menée dans la zone industrielle où Rui a ses bureaux. Au milieu des poussières émises par une centrale thermique sans doute bien vieille, des usines délabrées marchent au ralenti, des gens mangeant sur le bord de la route, un atelier de cordonnier se tient dans une pièce minuscule et sombre, avec 3 ou 4 personnes qui attendent que la lumière revienne pour travailler. Cette ville autrefois industrielle ne produit plus grand chose. Agnès ne peut y trouver un matelas d’enfant, un casque ou des rétroviseurs pour sa moto; on les lui poserait bien mais il faudrait qu’elle les apporte; il faudrait les trouver en Afrique du Sud mais le garage ne le fera pas faute de moyen … Il y a heureusement le système D qu’Agnès a bien intégré; par exemple elle a fait faire des meubles en osier par un vanneur rencontré sur le bord de la route et a même fait de plans avec Alain pour lui faire construire une barrière afin d'éviter à Rafael de tomber dans la piscine. La crise s’étale aussi dans les jardins publics, anglais à l’origine; on en voit de beaux restes dans le Parc du Centenaire au cœur de la ville. Ce n’est plus entretenu car la ville n’en a plus les moyens, les buissons envahissent les parterres, les balançoires sont rouillées …, cela n’empêche pas les jeunes mariés de venir s’y faire photographier. Dans un jardin aux portes de la ville réputé pour ses aloès géants, la vue du belvédère encore aménagé est bouchée par la végétation folle du premier plan; pourtant les membres d’un club viennent encore y faire des barbecues le samedi …

Ce qui m’a le plus navrée en tant que ancien professeur c’est la situation de l’éducation. La population du pays était autrefois très bien éduquée, formée à toutes sortes de métiers; c’est ainsi qu’aujourd’hui beaucoup d’avocats, de médecins etc. ont pu trouver des emplois en Afrique du Sud.En parlant au fils de Jennifer (17 ans), j’ai compris à quel point le système des écoles publiques était ruiné; les enseignants, généralement hostiles à Mugabe n’y sont plus payés si bien qu’ils sont perpétuellement en grève. L’examen de fin d’études a donné dans son école publique un taux de 3 % de réussite, taux qu’il ne comprend d’ailleurs pas puisque les profs n'ont pas corrigé l'examen (mais les résultats ont été peut-être achetés ?). Autre mystère: pourquoi alors ces enfants en uniformes ? Ils vont pour la plupart dans des écoles privées, payantes. Là, on peut passer d’autres examens corrigés à Cambridge et permettant de faire des études ailleurs qu’au Zimbabwe; une année de cours en école privée coûtera à Jennifer son salaire de 8 mois, alors Jennifer, veuve avec 4 enfants, a fait appel à une ONG, mais celle-ci n’accepte pas l’échec d'une seule matière … Comment un pays pourra-t-il se relever avec un tel déficit dans sa jeunesse ? La culture n’est pourtant pas absente de ce pays; nous avons vu à Bulawayo un musée digne de comparaison avec le Musée d’histoire naturelle du Jardin des Plantes et un festival de musique classique avec de bons artistes;

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il est vrai que dans le premier il y avait plus de gardiens que de visiteurs et que dans le second il n’y avait guère que des blancs, surtout des femmes aux cheveux blancs (la retraite est ici plus douce qu’en Angleterre). Dans un autre musée de la ville, le bibliothécaire a eu tout loisir de montrer à Alain un livre très bien fait sur la sculpture moderne au Zimbabwe; nous avons d’ailleurs pu admirer de belles oeuvres vivantes et originales taillées dans la serpentine locale en d’autres lieux. N’oublions pas l’Alliance française qui diffuse des livres et des films et nous avons pu mesurer ainsi les grands progrès de Rui qui en suit les activités. En dépit de quelques anglicismes, il se fait maintenant très bien comprendre et il nous a «permanently» exposé la situation, en français, ce que nous avons fort apprécié.

Les randonnées magnifiquement organisées par Rui et Agnès nous ont aussi apporté leur lot de surprises.- Premier dimanche dans le parc des Matopos. Pique nique près d’un lac paisible digne d’«Out of Africa» avec nappe et verres à pied; puis c’est la montée à travers de grandes boules de granite, au sommet de la colline la plus haute vers le tombeau de Cecil Rhodes; il avait lui-même choisi cet endroit pour sa beauté empreinte de spiritualité; mais il est bien étonnant de voir ce pays actuellement encore hostile à l’Angleterre, accusant Rhodes d’être à l’origine de toute sa misère, respecter cette tombe pieusement gardée par une association, et à côté de la tombe, des sculptures monumentales dans un style bien pompeux, vantant sans vergogne les batailles de Rhodes contre les shonas ! Reconnaîtrait-on donc ici «les effets positifs de la colonisation» ?

- Deuxième long week-end en se dirigeant vers Victoria Falls. Nous traversons le pays sur plus de 400 Km sans difficulté puisque les barrages de police laissent passer la voiture du PAM assimilée à une voiture diplomatique. La route est bonne et sûre; il y a très peu de circulation; beaucoup de forêts. Je pensais voir des paysans; je ne sais pas où sont les champs, on aperçoit parfois des cases aux toits de chaumes mais pas d’arbres fruitiers (pourquoi si peu de fruits dans ce pays?), quelques vaches errantes, très peu d'espaces exploités, mais parfois des gens attendant je ne sais quoi sur le bord de la route ou portant sur leur tête de gros sacs ou même des valises; aucune ville sur ce parcours mais quelques passages à niveau, quelques stations essence avec des bicoques assez moches.Etape d’une nuit à Ivory Lodge; là, tout est serein, beau, de bon goût; lodge tenu par un jeune blanc : apéritif dans des transats prés de la piscine. Presque personne dans la belle salle à mange; rencontre surprise avec des humanitaires de MSF connus d'Agnès et Rui. Ne seraient-ils pas désormais les seuls touristes possibles dans ce pays? En tout cas c’est très intéressant de les entendre partager leurs motivations ; cela ressemblerait presque à un séminaire informel ! On nous indique nos lodges dans de belles cabanes en bois sur pilotis. Il y a des moustiquaires, mais pas de moustiques. Je réaliserai un peu tard que nous avons fait des frais de traitement anti- paludéen pour rien. Agnès et Rui n’en ont pas pris et Agnès a souvent oublié de le donner à Rafael. Vue merveilleuse à partir de ces lodges sur un petit lac où viennent s’abreuver successivement : gracieux impalas, zèbres et enfin paisibles éléphants; nous avons cru détecter un chacal et les appareils de photo s’en sont donné à coeur joie. Le lendemain, lever à 5 heures pour partir avec un guide dans une voiture ouverte à tous les vents dans le parc naturel de Huange. Malgré les couvertures fournies, Agnès y a attrapé un rhume car elle allaitait en même temps Rafael alors que nous, nous nous arrêtions pour apercevoir (d’assez loin rassurez-vous) des lions et autres fauves. . Et subitement, moi qui n'avais jamais été très intéressée par les animaux, j’avais trente six questions à leur sujet. Je suis toutefois un peu choquée de voir 60 personnes employées par une ONG dans une nurserie pour « painted-wolfs», une espèce de loups en voie de disparition. Se donne-t-on autant de mal pour les orphelins du Sida ? (20 % de la population en est atteint).A Vic Falls, nous avons un « lodge » encore plus confortable comprenant une cuisine aménagée avec tous les appareils modernes imaginables; mais lorsque nous voulons acheter des vivres pour nous nourrir, nous ne trouvons aucun aliment à acheter dans cette ville pourtant très touristique et cossue d’apparence. Alors, nous allons au restaurant où nous avons que l’embarras du choix ! Le lendemain c’est le clou du voyage: les chutes du Zambèze : impressionnantes, indescriptible, même avec les photos d’Agnès; je vous invite donc à y aller vous-même, si Agnès et Rui vous le proposent; Alain les compare à celles du Niagara et trouve celles du Zambèze bien plus belles, pas abîmées par la main de l’homme…Nous en revenons trempés mais heureux.Alors Rui a voulu prolonger la visite en nous faisant passer la frontière de l’autre côté des chutes, en Zambie après la traversée d’un pont au-dessus des gorges qui succèdent aux chutes; et alors ce fut une équipée incroyable: nous, trempés, respirant les gaz d’échappement d’une file interminable d’immenses camions à remorque en attente du passage de la douane, Rafael hurlant dans sa poussette cahotante sur une route criblée de trous et de flaques, le passage à la première douane pour avoir un laisser- passer ( on y voit un douanier jouant aux cartes sur son ordinateur tandis que les camionneurs doivent bien attendre une journée entière ce passage) . Bon, on a traversé ce fameux pont vertigineux et enjambé une voie ferrée mais on a dû renoncer à aller jusqu’en Zambie. Cela s’est terminé par un repas de bouillie froide administrée sur le comptoir de la deuxième douane à un Rafael enfin un peu rasséréné ! Retour dans l’autre sens plus calme; des camionneurs s’abritent sous leur

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camion pour prendre leur repas; mais au fait où vont ces camions lourdement chargés, de minéraux semble-t-il ? N’alimenteraient-ils pas les navires destinés à la Chine plutôt que les usines du Zimbabwe?

- Dernier samedi dans un autre parc, celui d’ Antilope Park à 200 Km de Bulawayo; il y a paraît-il régulièrement des visiteurs car on y reçoit à grands frais des étrangers étudiants en environnement naturel; ici les lodges sont alimentés en eau chaude par des sortes de fours à bois extérieurs à un groupe de logements; c’est très joli, sur un lac, et avec des pelouses arrosées bien vertes. Au buffet, les portions sont un peu justes; mais comment s’en plaindre à la serveuse en attendant indéfiniment le dessert alors qu’elle confie que’ «ils souffrent trop». Elle dit qu’elle prie beaucoup pour que cela change; je n’ose pas suggérer qu’il faudrait surtout aller voter. Promenade à pied dans la savane avec un guide; il nous explique qu’un bushman ne mourra jamais de faim dans la nature car il sait tout y trouver; mais apparemment tous les Africains ne sont pas des bushmen! Sa science sur les animaux est, il est vrai, impressionnante. Enfin, apprenant que notre dernier jour tombe en France- ,le jour de la fête des mères, Rui nous dissuade d’aller écouter de la musique occidentale au Festival de musique et nous invite à prendre un thé dans un lieu de réception étonnant proche de Bulawayo, Nebitt Castel. Un vrai château, style Tudor dans un jardin aux arbres majestueux, des fontaines, des pelouses à l’anglaise, du personnel stylé nous fait visiter l’intérieur avec ses suites princières, ses salles de trophées, d’armures; les cuivres étincellent; nous y sommes seuls;origine de la fortune du constructeur? «Construit vers 1900 par le maire de Bulawayo»; mais encore? «Directeur d’une compagnie minière»: Je comprends mieux! Mais aujourd’hui comment entretenir si bien ce manoir avec tant de personnel et aucun client?- «Il y a de temps en temps des mariages de zimbabwéens… de la diaspora»; il y a donc de beaux restes dans ce pays et des émigrés providentiels pour entretenir une «sleeping beauty».

C’est la fin du voyage. Adieux à notre petit Rafael que nous ne reverrons sans doute pas avant un an …mais maintenant nous imaginons mieux la vie d'Agnès, Rafael et Rui et gardons dans notre cœur des images encore plus belles que celles de ces photos. Nous restons avec quelques points d’interrogation, dont celui des résultats des prochaines élections en espérant des changements radicaux de la gestion de ce pays. Si je n’ai pas parlé de la campagne électorale si cruciale en ce moment, c’est qu’elle paraît inexistante; nous n’avons pas vu une seule affiche, pas un seul tract mais seulement des portraits de Mugabe partout! Comment dans ces conditions son opposant a-t-il quand même réussi à battre Mugabe au premier tour? Et comment pourra-t-il le vaincre définitivement au second???

En nous voyant revenir en bonne forme, nos amis meudonnais qui ont suivi pour nous les nouvelles alarmistes sur les violences électorales au Zimbabwe et racistes en Afrique du Sud expriment la surprise ultime: nous n’avons donc pas été mangés par les Zoulous? (Après le deuxième tour)- Avec 25 milliards, t'as plus rien! (10 Juin 2008)

Alors qu'on attend les réactions africaines à l'élection trop facile du nouveau (nouveau?) président du pays, je vais encore vous parler d'argent. En fait, j'ai hésité à intituler ce billet "avec 1 trillion...".

Car le trillion vient de faire son apparition dans nos vies. Un trillion: 1 000 000 000 000.Je vous assure que, même avec un peu d'habitude, on compte et recompte le nombre de triplettes de zéros, pour s'assurer de ne pas se tromper. Et même si on se trompait... Ca ne fait jamais que... pas grand chose. Un dollar américain faisait 30 milliards de dollars zimbabwéens la dernière fois, donc un trillion c'est 30 USD, tout juste 20€.Depuis presque 2 mois, le change est libre, c'est à dire que les banques achètent des devises à des taux qui varient tous les jours (actuellement donc, quelques dizaines de milliards de dollars zimbabwéens pour le dollar américain). Les taux interbancaires ont ainsi pris une liberté vertigineuse vis-à-vis du taux officiel de 30 000 que le gouvernement bloquait depuis 1 an. Mais je vous rassure: les ministres et ceux qui sont dans leurs petits papiers ont, eux, toujours accès à ce taux gouvernemental. Imaginez: une Mercedes à 350 000 USD revient ainsi 10,5 Milliards de "zim", soit... 0,35 USD au taux interbancaire. (C'est à peine croyable, et pourtant, de source diplomatique...) On comprend que certains s'accrochent au pouvoir!

Quant au commun des mortels, il peut vendre ses devises à la banque certes, mais pas en acheter. Résultat: la "libéralisation" du change n'a pas jugulé le marché noir, qui continue de rendre des services. Les entreprises qui ont besoin de devises pour importer du matériel ont ainsi tout un dispositif en place pour percevoir ces devises sur des comptes à l'étranger et payer leurs créditeurs en "zim", par transferts bancaires, à des taux supérieurs aux taux bancaires. Alors que le taux bancaire était de 6 milliards, le taux parallèle dans les rues à 7,5 milliards "cash", le taux des transferts atteignait quelques 12 milliards en début de semaine dernière, avant de bondir à 30

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milliards quelques jours plus tard. Un doublement qui correspond au rythme de l'inflation: ainsi en juillet, le taux comme les prix ont été multiplié par 150, soit une inflation de 1 500% en 1 mois... ça doit nous amener à quelques 6 000 000% en rythme annuel, parait-il. (Ca y est, vous avez pris le pli? 6 zéros font un million...)

Mais le problème, en dépit de tous ces trillions, reste la rareté de l'argent... liquide, je veux dire. Il faudrait demander à Gono (le gouverneur de la banque centrale) de nous expliquer pourquoi, il limite les retraits en banque à 25 milliards par jour et par personne. Il y a 1 mois, c'était 5 milliards, mais le déplacement du plafond n'a donné que peu d'oxygène face à la hausse des prix... Un pain coûte 20 milliards, un litre de lait 75, un paquet d'Omo 420... Alors comment faire face aux dépenses quand on ne peut tirer que 25 milliards par jour... et encore, au prix de 3 quarts d'heure de queue en moyenne? Il faudrait demander à tous les pauvres banlieusards qui doivent déjà payer 10 milliards aller, 10 milliards retour pour se rendre en ville...

Quant à nous, on essaye de payer en chèques... Le problème, c'est que les commerçants se méfient des chèques, non seulement par ce qu'ils sont retournés pour un oui ou pour un non (par exemple, si vous avez oublié le "et" dans "quatre cent vingt milliards ET deux cent millions de dollars only." (Notez que le "only" prend avec les trillions tout son sens). C'est ainsi que ma facture de 445 millions (3 mois d’assurance moto) est revenue, et me coûtera au taux du jour... 1,4 centimes. Mais les commerçants rechignent aussi à accepter les chèques, tel mon supermarché préféré (celui où il y a des produits sur les étalages): Le manager m'a expliqué que ses fournisseurs refusant tous les chèques, il n'avait que faire de quelques dizaines de trillions en fin de journée... que de toutes façons il n'arrivait pas à sortir de la banque. Et que de toutes façons il perdait la moitié de la valeur de mon panier le temps d'encaisser mon pauvre chèque....Ailleurs les avertissements fleurissent: "tout chèque retourné donnera lieu à une majoration de 50% payable en liquide", ou encore plus simplement, récemment chez mon marchand de poisson: "les paiements en chèque sont acceptés avec une majoration de 20%."

20%, c'est un bon deal, d'autres prennent 30%! Un ami m'a en effet expliqué, hier, qu'en cas de souci je pouvais recourir à un businessman qui vend de l'argent. Oui, oui, il vend de l'argent liquide! Il anime un réseau de vendeurs de rues et se retrouve avec quelques trillions chaque fin de journée, alors il vend cet argent liquide contre des chèques d'un montant 30% supérieurs...

C'est donc un peu difficile de gérer le quotidien - entre les moments où "il faut vite dépenser cet argent qu'on vient de changer" et ceux où "je fais attention car je n'ai plus d'argent". Et encore, je ne manie pas des milliers (de dollars américains) comme les entreprises, qui, elles, barbotent depuis quelques temps déjà dans le règne des quadrillions. Quand j'y pense, je me demande comment les zimbabwéens ont survécu, technologiquement, à tous ces zéros.... Avec beaucoup de pragmatisme sans doute - les magasins préviennent maintenant qu'ils affichent leur prix en millions, ma banque aussi... Quand je pense qu'en Europe on a dépensé des milliards (des vrais) pour passer à l'euro et faire face au "bug de l'an 2000"! Ici, d'une semaine sur l'autre, sans anticipation autre qu'une permanente capacité d'adaptation, on survit...Il y a en a quand même un qui ne s'est pas adapté, c'est mon opérateur de téléphone mobile. Depuis plus d'1 mois, plus moyen de trouver une recharge de l'opérateur national.... Première explication: "le gouvernement veut empêcher l'opposition de communiquer pendant les élections". Un peu parano? Hier, j'ai eu une autre explication: même si je trouvais une recharge parait-il, je ne pourrais pas créditer mon compte car il n'accepte pas ... (plus d'un milliard je suppose? ma dernière recharge était de 200 millions je crois). N'empêche: après que j'ai fait tous les vendeurs de rues, le magasin "OK" qui normalement fait référence sur cet opérateur, finalement on m'a conseillé de tenter ma chance auprès de son siège social où j'ai trouvé une queue d'au moins 1h (à vue d’œil). Je me suis renseignée auprès des derniers de la queue: "c'est pour quoi cette queue?" - "pour les recharges 011" - "ah, donc il y en a?" - "on ne sait pas, peut-être, enfin on espère"!Pauvres Zimbabwéens....

- Que demander de plus? (Dimanche 29 juin 2008)Omar Bongo, le doyen des chefs d'Etat Africains, a donné le ton au sommet de l'Union africaine de Sharm-el-Shek, pour la première apparition internationale d'un Mugabe nouvellement élu, en déclarant à RFI: "Il a été élu, il a prêté serment, il est là avec nous, alors il est président on ne peut pas lui demander plus. Ils ont fait des élections, je crois qu'il les a gagnées".Les héros de l'indépendance précisent qu'il faut en effet davantage que des votes pour avoir toute légitimité à gouverner le pays...

Et la vie continue... (11juillet 08)Cinq mois déjà depuis le premier tour des élections, et toujours pas de nouveau gouvernement en vue ... Les négociations buteraient sur la question du contrôle des forces de sécurité.

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Le cabinet - c'est ainsi qu'on appelle l'ancien gouvernement qui est toujours un peu en place mais pas vraiment opérationnel, faute de légitimité - a été obligé de prendre quelques mesures, et notamment l'émission d'une nouvelle monnaie: on a enlevé dix zéros pour créer le "nouveau Zim$"! Manque de pot, les 2 monnaies zimbabwéennes cohabitent ... avec également les Rands sud-africains, les Pulas du Botswana, les Dollars américains, les changes officiels, au noir ou par transfert. Ainsi, quand on vous annonce un prix de "one point two", vous êtes censé deviner si votre interlocuteur parle en trillions d'anciens Zim, en centaines de nouveaux, en unités US, ou en quoi... La dernière fois c'étaient des milliers de Rands ! Heureusement qu'il n'y a pas de touristes, ils se feraient tous plumer ...Une autre mesure a fait le bonheur des bas de laine : les anciennes pièces (celles du zim$ d'avant le précédent changement de monnaie) ont été réhabilitées ! C'est ainsi que Rui se promène avec un sac de 3 kg de pièces de 25$, fourguées par je ne sais qui.

Malgré, ou à cause, de cette inflation de monnaies différentes, il reste très difficile de se procurer quoique ce soit. Non seulement à cause d'un renchérissement énorme de tous les produits (vendus en ville 6 ou 7 fois le prix botswanais ou sud-africain), mais tout simplement parce que tout le système marchand s’est effondré. L'autre jour, Rui s'est rendu à Binga, une zone isolée près du grand lac Kariba. Ne perdant pas une occasion de joindre l'utile (le travail) à l'agréable (la nourriture - eh eh, ce n'est pas un hasard s'il travaille pour le PAM !), Rui a voulu acheter du poisson. Les magasins ne fonctionnant plus, il s'est adressé directement aux pêcheurs. Ces derniers ne veulent pas être payés en argent (inutile, faute de biens dans les magasins), mais en mil de maïs ou, sinon, en vêtements !L'autre mesure importante et salvatrice a été, cette semaine, l'annulation de la suspension dont les ONG faisaient l'objet depuis le 1er tour des élections en mars dernier. Ouf ! Le PAM et ses partenaires sont donc en rang serré pour relancer les opérations : 5 millions de Zimbabwéens devraient recevoir de la nourriture cette saison.

Je continue de tenter de travailler ... non seulement pour Atable.com, mais également pour Chronoresto.fr, qui m'a commandé cet été une étude sur le marché de la restauration rapide par internent aux Etats-Unis. Comme dit Sophie: je "suis au Zimbabwe où on crève la dalle et fais une étude sur le « take out food » au pays de l'obésité - quelle ironie non ?". L'autre paradoxe pour moi est d'être « webmarketeuse » sans accès internet décent. C'est que, se connecter à internet ici reste un challenge de tous les jours. Au bureau c'est connexion réseau déficiente, accès aux mails mais pas internet, horaires réduits. A la maison, c'est une connexion en dial up (à la vitesse de la tortue et sans possibilité de téléphoner avec Skype), coupures d'électricité de 4 à 6h par jour, téléphone inopérant en fin de mois vers l'étranger. Et aujourd'hui c'est la ligne téléphonique qui ne marche plus, sans que je puisse appeler l'opérateur pour savoir ce qui se passe, sans doute une coupure de courant sur un nœud technique ? car le réseau mobile marche très mal.

- SOS SmS....(4 sept 2008) J'ai fini, le mois dernier, par trouver dans une échoppe des recharges pour mon téléphone portable. Elles avaient disparu avec les élections, le gouvernement cherchant, selon une rumeur un peu parano, à empêcher l'opposition de communiquer (à moins que ce ne soit l'avalanche de zéros qui n'ait pas été prise en charge par l'opérateur).A 50 milliards de dollars zimbabwéens la pièce, j'en ai acheté quarante ! J'ai cru que je serais tranquille pour un moment.Las.... 50 milliards font 5 nouveaux dollars zimbabwéens, soit au jour d'aujourd’hui: 0,06 USD au taux interbancaire, 0,1 USD au taux du marché noir dans la rue, et 0,0011 USD au taux du marché noir des transferts bancaires. Peu importe cette avalanche de virgules, la vérité c'est qu'il me faut entrer trois recharges pour passer un coup de fil local de 1 minute, et toute une recharge rien que pour 1 SMS !Cela s'appelle "easycall" la recharge. Malheureusement ils ne fournissent pas le pouce qui va bien avec ...

- Premier accord postélectoral, (Sept 08), faillite de la monnaie; fin du Zim dollar (février2009) :

- Y en a qui vont regretter ... Vendredi 19 septembre 2008Bon, Cela y est, Mbeki a obtenu lundi, avec un certain brio apparent, un résultat à sa médiation, quand, lors d'une conférence de presse, Mugabe et Tsvangirai ont annoncé la signature d'un accord de partage du pouvoir. Sortie de crise des élections démarrées en mars dernier. Bon ... c'est vendredi, et ils échouent pour l'instant à sortir un vrai gouvernement du chapeau, mais, allez ... on se veut optimiste, car comme chacun dit: "it can not get worse anymore, it must get better, no way, for sure it will get better".

Si chacun des deux protagonistes a un intérêt bien compris à donner une chance à cette cohabitation inédite, ils auront du mal à mener une collaboration franche et sincère, tant ils se sont détesté toute leur vie. Sans compter que leurs partisans ne sont pas toujours convaincus: Mugabe a sans doute compris que ce compromis historique lui permet de rester au pouvoir, mais bien des dignitaires de la Zanu-PF comprennent que ce qu'on leur demande,

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à eux, c'est de lâcher leur poste pour faire de la place au MDC. Et ça, non, ils n'aiment pas. Et ils sont nombreux au sein de la Zanu à être passés maîtres dans le lessivage de planche et l'art de la manipulation.... Selon la BBC, ce sera un boulot à temps plein pour Tsvangirai de surveille ce qui se passe derrière son dos. On espère au moins que, en tant que Premier ministre, il ne se fera plus arrêter à tout bout de champ par la police, comme encore le mois dernier à l'aéroport, sur le chemin d'un sommet de la SADC!

Enfin, on veut y croire... Mais alors, comment remettre en route une économie toute en vrac, avec ses 15 millions d'inflation et -25% de croissance annuelle?? Franchement, parfois, j'aimerais être une économiste pour démêler les écheveaux de ce système délirant qui continue sa dégringolade en roue libre depuis plusieurs années. Y en a bien un qui a essayé d'expliquer sur Agora vox, mais je n'ai pas été convaincue.Et puis, maintenant, ce ne sont pas seulement les mécanismes de marché noir qui brouillent l'économie réelle, mais tout le système de valeurs qui est insensé, perdu dans les distorsions entre systèmes de changes et modalités de paiement. Alors que le change officiel à la banque stagne autour de 80 zim$/USD, le change au marché noir s'élève à 450 dans la rue, et atteint 45000 pour les transferts bancaires, car l'argent en banque n'a plus de valeur faute de pouvoir être retiré- la banque centrale imposant une limite de retrait journalier de 400 zim$, soit moins de 1 USD - ou de pouvoir payer par chèque les commerçants. Du coup, les prix n'ont aucun sens.... et toutes les entreprises qui fonctionnent depuis des mois à perte ne savent plus à quelle monnaie se vouer. Les institutions et services publics, quelques rares enseignes, acceptent encore les chèques, et c'est ainsi que l'eau, l'électricité et la taxe d'habitation ne nous coûtent quasiment rien. Moins d'1 USD par mois pour nous qui pouvons payer par chèque, mais près de 40 USD pour les pauvres Zimbabwéens qui touchent à peine ce revenu mensuel, et doivent encore faire la queue pour payer en liquide: La vie n'est vraiment pas juste.

Alors, pour remettre tout ça d'aplomb... va peut-être aussi y avoir de la casse. Pour accompagner ce mouvement difficile, on doit compter sur l'allégement des sanctions qui devrait aller de pair avec la restauration du soutien des institutions internationales, et surtout une aide économique conséquente de la part de l'Union Européenne et des Etats-Unis, à supposer que la coalition fasse ses preuves, et que les deux partis se mettent d'accord sur un minimum de politique économique cohérente.

Ce qui est sûr, c'est que tout va devoir changer, et que cela va avoir des conséquences. Dans le bazar économique actuel en effet, chacun y va de sa combine pour tirer son épingle du jeu: les "runners" qui vont acheter pour vous des biens au Botswana, les agents qui facilitent la vie des runners en démêlant la paperasse et en graissant peut-être quelques pattes, les douaniers qui à défaut d'être bien payés sont un peu accommodants, les trafiquants qui vont acheter le mil ou le sucre de l'autre côté du pays, pour le vendre au marché noir et éviter les contrôles des prix, les changeurs d'argent à la sauvette qui n'ont pas d'autre métier, les "grands argentiers" qui distribuent les trillions de dollars sur les comptes en banques servant à acheter des devises, les employés de banque qui touchent de gros dessous de table pour délivrer du liquide aux trafiquants et aux marchands, les faux agriculteurs qui revendent au noir l'essence subventionnée, sans parler des vrais agriculteurs qui ont trouvé moyen d'acquérir, pendant la campagne électorale, des tracteurs à 10 USD payables en 3 fois, etc. etc. etc. Chaque fois que le gouvernement a tenté de mettre en place une mesure ou un contrôle pour réguler une économie qui part en vrille, les Zimbabwéens ont déployé des trésors d'ingéniosité pour contourner le problème, survivre... tout en combines.

Quant à nous, à notre petit niveau d'expatriés privilégiés, on va devoir faire quelques sacrifices... J'en connais qui sont tout paniqués à l'idée de ne plus avoir accès aux RTGS (le système de transfert bancaire utilisé essentiellement pour changer au noir des devises à des taux 500 fois plus avantageux que les taux officiels), et accéder ainsi, dans les fonds de stocks de quelques pharmacies du coin, à des produits Clarins de première qualité à moins de 2 USD l'unité, ou encore à des sculptures à 300 USD leur revenant à moins de 1 USD.... Sans compter les hôtels et restaurants qui, acceptant les chèques, soldent leurs meilleures prestations 10 fois en dessous du prix! Bon, ça nous consolait des yaourts à 4 USD le pot, et de l'huile d'olive à 35 USD la bouteille. Mais ça nous consolerait encore plus de voir ce magnifique pays repartir un peu de l'avant!

Marre de parler d'argent... (Mardi 7 octobre 2008), parlons cultureC'est vrai, avec toutes ces histoires d'inflation, de chèques et de zéros, je ne parle que d'argent sur ce blog ! Ce n'est quand même pas bien élégant ... et il faut que ça change. Alors voilà: je vais vous parler poésie.Car je suis allée au lancement d'un livre de poésie l'autre jour, si, si. Je n'y serais sans doute pas allée à Paris, je n'y serais même sans doute pas allée à Bulawayo, si ce n'était très fortuitement : Il faut dire que je me suis retrouvée invitée au pré-conseil d'administration de l'Alliance française. N'ayant plus de CA depuis des années, Fabien, le directeur, a décidé de "coopter" des administrateurs, le temps d'organiser des élections ("since it is not always easy to conclude élections in Zimbabwe" a-t-il dit d'un œil moqueur et un peu limite !) Egalement présente pour ce CA: l'une des fondatrices de Amabooks, une petite et jeune maison d’édition, qui a notamment publié les "short stories from Bulawayo". Elle m'a suppliée de venir, de peur de n'avoir pas grand monde, alors

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bon, par solidarité culturelle disons, et parce qu'il faut bien faire quelques efforts en société, j'y suis allée en sortant du boulot.Et quelle n'a pas été ma surprise de trouver plusieurs centaines de personnes, jeunes, moins jeunes, noirs et blancs ou bigarrés, rassemblés dans le jardin de la Galerie nationale, pour ce lancement ! Il faut dire que c'est le "Intwasa festival", le festival du printemps de Bulawayo, avec des quantités d'ateliers d'arts visuels, de théâtre, de danse.... Et bien, dans ce cadre, plusieurs événements littéraires dont la parution de Intwasa poetry book, recueil de textes de poètes de Bulawayo et d'ailleurs. Après l'introduction par Bryan et son humour tout britannique, quelques sommités (âgées) et aussi plusieurs jeunes se sont relayés sur la petite estrade pour nous lire des extraits... et surtout les jouer! Car les jeunes ici sont plein d'imagination et inventent des mises en scène étonnantes ! Le tout était donc tout à fait plaisant, disons que pour une BA, c'était plutôt agréable....

Mais si je raconte cela, c'est surtout pour m'étonner publiquement, et me féliciter (bien que n'y étant pour rien) de la vie culturelle de Bulawayo, dont la vivacité est vraiment épatante dans le marasme actuel.... ou peut-être à cause de... ou enfin de toutes façons. Cinéma, théâtre, musique, danse, sculpture .... Ce serait mentir de dire que la vie culturelle et sociale est effrénée, mais enfin elle est bien vivante et c'est un plaisir. Beaucoup d'ailleurs grâce a l'Alliance française, qui avec son petit budget de quelques 3000€/an semble faire des miracles.Moi qui disais que la vie culturelle était un peu limitée aux lions et aux éléphants....En tous cas, c'est un peu de poésie dans ce monde de brutes....Il faut que je vous dise que Rafael, qui fait du 4 pattes depuis 5 mois Il va depuis une quinzaine à la crèche - mais ne lâche pas sa poussette, qui doit, j'imagine, remplir la fonction du doudou qu'il n'a jamais eu. Il y reçoit placidement les salutations de plusieurs douzaines de gamins, qui descendent les escaliers en lui frappant la main et en criant "Ikhiwa !!!!" ("Bébé blanc" en ndebele), car il est le seul petit africain tout blanc dans cet établissement de 200 gamins - les autres ont des nounous, ou vont dans des écoles de blancs je suppose.

- Revue de presse (9 oct. 2008) : Extraits édifiants de la revue de presse de l'Ambassade de France ce jour :- Conduire ou fumer ? Les aberrations du change sont devenues telles qu’au taux de change officiel (auquel n’ont accès que les happy few de l’élite zimbabwéenne), une berline coûte quasiment le même prix qu’un paquet de cigarettes. En effet, la Banque centrale s’approprie les contenus des comptes en devises notamment des commerçants qui peuvent vendre en devises (lorsqu’ils déposent leurs gains dans leurs comptes…), leur versant généreusement la contrepartie en dollars zimbabwéens au taux officiel et utilisant le reste pour des dépenses somptuaires comme par exemple les quelque 2 MUS$ de notes de frais des 54 membres de l’entourage du président Mugabe qui l’ont accompagné à New York voici une dizaine de jours. Début août, le taux de change parallèle (par virement) était de 7 ZWD pour 1 US$ (tenant compte du fait que la Banque centrale venait de supprimer 10 zéros) ; hier, on en était à 2 000 000 (nouveaux) ZWD pour 1 US$. Mais les espèces sont rares ; ainsi une vente aux enchères a-t-elle récemment eu lieu durant laquelle les enchères se faisaient en coupons de carburant… [article de Eddie Cross, homme d’affaires, membre du MDC, député pour Bulawayo, publié dans The Irish Times. 8 oct.]- Qui sont les plus égaux ? Les députés –de tous bords- ont imploré les autorités monétaires de leur accorder une dérogation à la limite de retrait quotidien en espèces de 20 000 ZWD. En effet, ils ne sont plus à même de remplir leurs obligations, notamment lors des sépultures. [The Herald. 8 oct.]Weimar, nous voilà ! Le taux annuel moyen d’inflation au Zimbabwe a atteint 231 000 000 % en juillet 2008, contre 11,2 M% en juin 2008 (le seuil symbolique de 1 000% avait été dépassé en mai 2006). Divers analystes estiment ces taux bien en deçà de la réalité, évoquant jusqu’à 600 M% pour août. Sur fond de paralysie politique, le taux d’inflation continue de galoper, tandis que les plus de 80% de Zimbabwéens qui vivent sous le seuil de la pauvreté parviennent à peine à se nourrir.

- Rustines et fleurs en pot (vendredi 10 octobre 2008)J'ai crevé, sur le chemin du bureau hier. Je me suis donc rendue dans le grand garage Suzuki de la ville qui fait d'habitude la maintenance de ma moto. Mais ils n'avaient pas de rustine et ils m'ont avoué qu'ils n'arriveraient sans doute pas à s'en procurer dans les 3 jours, faute d'arriver à rassembler assez de cash. Pour 2 malheureuses rustines.... une multinationale...!?Bon, à toute chose malheur est bon : cette pénurie de rustine m'a mis du baume au cœur quelque part... Car je viens de refuser, avec force états d'âme, un boulot avec la Fédération Croix-Rouge qui doit développer, avec le soutien alimentaire du PAM, ses programmes "home based care" pour les malades du Sida dans la région. Comme je ne pouvais lâcher ma nouvelle cliente web, il se serait agi d'un travail à mi-temps, centré sur la logistique et le "commodity-tracking". Et c'est bien ce qui me faisait peur: M'arracher les cheveux à mi- temps avec des camions qui n'auraient plus d'essence ni de pièces détachées, et l'autre mi-temps avec un accès internet déficient, le tout pour être à la bourre de part et d'autre, avant de pleurer mon manque de disponibilité pour prendre soin de la petite maisonnée (ce qui, dans les conditions du pays, est aussi du plein temps). M'enfin c'est dur de dire non...

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Du coup, je vais aussi changer de bureau, toujours à la recherche d'un meilleur accès internet. Je ne sais pas si cet accès satellite, payé à prix d'or par des amis qui ont une agence de safaris, sera vraiment meilleur, mais en tous cas il est juste a côté de la maison et m'épargnera 4 allers venues en moto à travers la ville, ce qui avec la saison des pluies qui va démarrer, n'est pas rien. Sans compter qu'après l'accident d'un de nos amis en moto à Harare, je suis un peu frileuse... Apres avoir tergiversé trop longtemps, j'ai raté une occasion de bureau dans la zone (zone wifi s'entend), mais vais me rattraper en partageant la remise d'une pépinière avec une dame indienne très sympa (celle qui vend les plantes). En prime : une séance de sauna journalière (elle ne m'a pas mise sous serre, mais le bureau est une étuve). Ah, bah, j’ai choisi l'Afrique, non?

1 an en Afrique (30 Oct. 2008), la fêteCa y est: Rafale a fêté la semaine dernière son premier anniversaireNous avons soufflé sa bougie jeudi dernier, puis préparé la grande fête que nous n'avions eu le temps d'organiser depuis notre arrivée à Bulawayo. Entre les amis, les élèves, les collègues de Rui et leurs enfants, c'était quand même une quarantaine d'adultes et une vingtaine d'ados, d'enfants et de bébés qu'il fallait sustenter. Rui est parti faire des courses au Botswana, et puis avec ses filles, Jennifer et Gogo, nous avons lancé les opérations à grand renfort de bonnes du voisinage. J'ai commande des gâteaux a la sœur d'une collègue, la viande du barbecue a notre boucher particulier, et le "jumping castle" pour les enfants de mon amie gabonaise. Et pour le reste, y a pas a dire, la main d’œuvre, ça aide drôlement! Le plus difficile, finalement, a été de trouver les fourchettes en plastique : je les ai obtenues au dernier moment en écumant toutes les épiceries de Bulawayo a la recherche de fraises... sans succès d'ailleurs Et puis, heureusement que nous avions le générateur pour pallier la coupure de courant qui nous a affligés toute la journée de samedi.

La fête au Zimbabwe, c'est aussi:- Jennifer qui réclame des habits neufs pour Rafael le jour de son anniversaire - et n'ose rouspéter davantage quand je lui assure que la salopette rayée fera bien l'affaire « car c'est ma grand mère décédée qui l'a cousue de ses mains» (arguments inaltérable face au respect dû aux ancêtres....)- mais Jennifer qui n’en démord pas : il faudrait quand même au moins une camera vidéo pour envoyer les images aux parents- des DJ qui débarquent sans lecteur de CD ni rallonge électrique- mes amis français pris en flagrant délit de doggy bag en milieu de soirée (pour les chiens, si si)- les invités qui ne se défont pas de leur grosse lampe torche "car en rentrant à la maison il n'y aura sans doute pas d'électricité" (et d’ailleurs en milieu de soirée aussi, quand le générateur n’aura pas supporté la tension)- des cadeaux surprenants comme ce paquet de spaghettis italiens, surmontés d'une figurine de doigt pour les enfants. Il faut dire que, en l’absence de magasins, on va trouver des trésors dans les greniers ou les garde- manger....- Gogo qui récupère avec plaisir de la "wouatatouille" pour son dîner de lendemain de fête, tandis que

Jennifer a une indigestion de la salade de haricots à cause du bleu d’Auvergne (enfin, d’Afrique du Sud)

- Arithmétiques (vendredi 31 octobre 2008)Avec cette inflation à 220 millions pour cents, la chute du Rand (suite à la démission du Président Mbeki), la remontée du dollar (suite à la crise américaine, va comprendre pourquoi), le Pula qui reste accroché au Rand (parce que c'est une monnaie africaine, ils disent), les Chinois qui refusent les Pulas (parce qu'ils y perdent leur latin semble-t-il) et toutes les distorsions du système financier zimbabwéen, les gens deviennent complètement désorientés avec l'argent, et sont capables d'annoncer n'importe quel montant, de doubler un prix en Rands en une semaine: et j'en passe: on ne sait plus à quel dollar se vouer.Le taux de change Zim$/USD, qui plafonne à 690 au taux interbancaire, est passé en quelques jours de 35 000 à 90 000 au marché noir pour le liquide, mais il est beaucoup plus avantageux dans le cadre de transferts électroniques, c a d pour l'argent en banque qui ne sert à rien, il est vrai, car on peut difficilement s'en servir: de 35 millions le dollar américain est passé cette semaine à 1 milliard de Zim$. On se demande quelle est la procédure pour créer si vite tant de trillions électroniques.... ce qui est sûr c'est que ça doit coûter moins cher que d'imprimer tous ces billets à zéros.Et dire qu'au début des années 80, le Zim$ était plus fort que son homologue américain... 25 ans et deux changements de monnaie plus tard (avec suppression de pas moins de 10 zéros pour le dernier), on a renoué avec le milliard.Rui va chaque semaine a Gweru, où il achète des fruits et légumes moins chers qu'ici: la banane était à 5 000 la semaine dernière, 30 000 cette semaine, soit 600% d'augmentation en 1 semaine.L'autre jour j'ai voulu remplacer l'uniforme du jardinier: 2 millions de Zim$ en cash, cela faisait quand même 59 USD, j'ai voulu payer en chèque mais on m'a annoncé 242 milliards de Zim$, soit rien que... 8500 USD au taux électronique! A ce prix là, je devrais pouvoir me payer un tracteur...?

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Et puis, après 3 réparations infructueuses, j'ai eu besoin d'une chambre à air pour ma moto. Le seul spécialiste du pneu de la ville m'a annoncé 500 000 Zim$, puis 5 millions d'un coup, soit quasiment 100 USD! Négociés à 50 avant de m'apercevoir que c'était le prix affiché d'un pneu, et non d'une chambre à air: et j'étais chez le spécialiste du pneu, pas à Monoprix... Mais bon, ici, l'argent ne veut tellement plus rien dire, il faut ce qu'il faut, et une confusion est vite arrivée...

Pour finir, j'ai raté le coche pour payer les frais de scolarité mensuels de Tafazwa, le fils de Jennifer. Ils s'élèvent d'habitude à quelques 20 USD en liquide, mais comme on peut payer en chèque, cela me revenait 10 fois moins. Et puis ce mois- ci, ils ont instauré un système d'unités: le prix de l'unité varie chaque jour et diffère selon qu'on règle en liquide ou en chèque. Hier, j'aurais dû faire un chèque de 2,5 milliards, mais je n'avais plus de chèque disponible. Aujourd'hui le coût des unités s'élevait à 2552 milliards, soit quand même 2552 USD pour le mois si je réglais par chèque! Finalement, j'ai jeté tout mon liquide pour m'acquitter de ces frais...

A côté de ça, nos factures d'électricité et d'eau ont peu varié: 100 et 200 000 Zim$ respectivement, payables en chèque, cela fait juste 1 et 2 centimes de dollars par mois....

Et puis aujourd'hui à l'aéroport, le sandwich poulet mayonnaise est vendu 1 million cash ou 15 millions par chèque. Au taux interbancaire, ça fait quand même 1449 USD les deux tranches de pain de mie! Mais avec mon carnet de chèque, je m'en tire à 4,5 centimes de USD les trois sandwiches, miam miam, j'en ai repris un quatrième car on a faim au Zimbabwe.

Enfin, comme l’a dit, il y a quelques jours, Gono, le gouverneur de la Banque centrale, le Zimbabwe n'est pas affecté par la crise financière globale; son économie est florissante, et n’étaient- ce les sanctions internationales qui l'affligent, ce succès serait évident à la face du monde !.

- Quand est-ce que trop c'est trop? (jeudi 13 novembre 2008)

Il y a des jours, où vraiment y en a marre. On sature. On arrête de faire le dos rond et d'enregistrer les déliriums zimbabwéens comme autant de pièces dignes d’histoire.Souvent c'est juste une intensification des coupures électriques qui se combine avec 2 ou 3 autres vexations quotidiennes. Hier matin, c'était une toute petite série mais quand même... :

- Le fils de la nounou, à qui on a payé l'examen de Cambridge car le Bac zimbabwéen est en grève, et qui ramène une énième facture de "top up" de 15 USD, payable en devises, réclamée par l'école. Car quand on paye quelque chose ici, il faut s'attendre à devoir repayer un complément ou deux avant la fin du mois, pour compenser l'inflation ou je ne sais quoi

- Le vendeur de meubles en paille, à qui on a commandé un tapis 180 rands avec un acompte de 10 USD, et qui rappelle la bouche en cœur pour dire que le matériel a augmenté et que maintenant ce sera 500 rands. Et comme j'annule la commande, il a quand même dépensé mes 10 USD pour acheter le matériel, sans que j'arrive à les récupérer.

- Le téléphone filaire qui ne marche plus que quand il veut. Depuis 2 semaines, la compagnie téléphonique fait des coupures intermittentes; on ne sait pas si c'est la faute d’un matériel technique défaillant, ou simplement une nouvelle pratique de rationnement destinée à limiter la consommation dont les factures ne couvrent pas le centième des coûts -un peu comme les coupures électriques parent au manque de carburant des centrales... Ca fait longtemps qu'on ne peut plus appeler l'étranger que par hasard, le cellulaire marche une fois sur 2000 tant le réseau est saturé,

- le mois d'abonnement internet (en dial up pourri qui marche quand le serveur n'est pas en rade, quand il n'y a pas de coupure d'électricité et quand on a une ligne téléphonique) est maintenant facturé en quadrillions de zim$ pour les clients qui voudraient payer en chèques. Il parait que le taux du dollar américain, sur le marché parallèle à Harare, est de 10 quadrillions USD sur les comptes bancaires! Mais comme ce taux est multiplié par 100 plusieurs fois par mois, il nous est devenu impraticable de changer de l'argent sur un compte que l'on n'arrivera pas à dépenser avant qu'il ne vaille plus rien. On peut aussi payer sa facture internet Mweb en liquide, 1,2 millions de Zim$ "seulement". Mais le temps d'aller deux fois à la banque effectuer un retrait plafonné à 500 000$ quotidiens, le tarif de Mweb a doublé....

- J'ai bien tenté aussi le magasin d'artisanat local Jairos Jiri, tenu par un réseau de handicapés, pour mon tapis de sol. Comme il n'y avait pas grand chose dans les rayons, j'ai voulu passer une commande, et la gérante a bien

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tout noté. Mais comme je lui demande dans quel délai elle pense avoir un devis, elle m'explique que les femmes qui confectionnent ces tapis sont à Gwanda, et ne peuvent plus venir très souvent à cause du coût du transport. Ah... Et on peut leur téléphoner? Ah ben non... puisque d'habitude, dans les zones rurales, on pouvait appeler les gens via les écoles, mais là, depuis que les écoles n'ouvrent plus.... Alors, elles viendront en ville s’il y a une urgence médicale, ou bien, peut-être un enterrement, enfin on espère avant la fin du mois.

Voilà, et ça ce sont les contrariétés de la vie quotidienne pour nous qui avons tout, maison, générateur et puits à eau, travail, voiture, personnel, et beaucoup d'argent, même si on a du mal à le manipuler. Alors, comment le Zimbabwéen moyen peut-il vivre et survivre dans cette situation? En marchant des kilomètres à pied pour faire des heures de queue à la banque toucher un peu d'argent qui ne vaut rien? Ou payer des sommes astronomiques le minibus pour se rendre à un travail où il n'est presque plus possible de faire quoi que ce soit? Et garder un large sourire en presque toutes circonstances?Souvent on aimerait qu'ils aient un peu plus notre sens de la jacquerie, plutôt que de tout supporter ici, avec résilience et bonhomie.

Il y a encore 12 ou 16 mois, on avait coutume de dire que ce pays avait d'énormes atouts - climat, agriculture, mines, tourisme, ressources humaines, infrastructures: il suffirait d'un changement de contexte pour que les affaires reprennent. Aujourd'hui, alors que tout se détériore encore dans des proportions ingérables, sans que le pays n'ait même de gouvernement depuis la crise électorale commencée le 29 mars dernier, on se demande si quelqu'un ne voudrait pas éteindre la lumière et mettre la clé sous la porte. En attendant des jours meilleurs....

- Encore des zéros... (Vendredi 5 décembre 2008)Et tandis que la radio annonce à tous la création d'un billet de 100 millions au Zimbabwe, voilà ce que Rui reçoit ce matin du PAM:Kindly be advised that the United Nations Operational rate of Exchange for Zimbabwe has been revised to $35,000,000,000,000,000.00 per US$1 effective 1 December 2008.Enjoy your weekend.Je sais même plus combien ça fait, autant de zéros....

III- ESPOIR ? (Février 2009– Avril 2010)

- Etat de grâce? (lundi 23 février 2009)Fabien m'avait prévenue, revenant de son séjour à Paris: "Tu vas voir, à les entendre avec la crise, le pays est dans un état pire que le Zimbabwe!" Et c'est vrai que l'atmosphère en France est bien sombre.... Encore que j'en ai vu plus d'un qui attendent un licenciement potentiel avec un fatalisme teinté de soulagement, contents de quitter un travail qu'ils n'aiment plus depuis trop longtemps!De retour au Zimbabwe, c'est d'abord le soleil que je viens apprécier, après le grand froid humide et parisien. Mais c'est aussi une nouvelle période qui s'est ouverte quelques jours plus tôt avec le fameux gouvernement issu des accords de partage du pouvoir conclu il y a plusieurs mois, et que l'on croyait définitivement embourbé! Et bien non: malgré quelques dissensions résiduelles, une méfiance couverte de plusieurs couches de haine entre les protagonistes, et le maintien en prison de détenus politiques qui auraient du être libérés, Tsvangirai est devenu Premier ministre, sous une nouvelle présidence Mugabe. Le MDC avait une petite majorité de portefeuilles, mais Mugabe a réussi à se caser quelques ministres supplémentaires en dernière minute. Et puis, dès les lendemains de cette intronisation célébrée sans sympathie, le Vice-ministre de l'Agriculture MDC s'est fait tabasser par des militants ZANU, puis mettre en prison, accusé de fomenter un complot contre l'Etat ou quelques chose de ce ton. Ambiance....De quoi donc confirmer les craintes des observateurs, très pessimistes pour la plupart quant à la capacité de ce gouvernement à fonctionner, et qui plus est à faire face à l'impossible tâche de remettre sur pied un pays sens dessus dessous. Car comme disait Rui l'autre jour, même des pays en guerre comme l'Angola ou le Mozambique, durant 20 ans de conflit, n'ont pas connu comme le Zimbabwe aujourd'hui, l'évaporation pure et simple des systèmes d'éducation et de santé : il pouvait y avoir des pénuries de médicaments ou de médecins, mais au moins les structures étaient ouvertes! Les hôpitaux, les écoles ont tout simplement mis la clé sous la porte, faute de personnel: Les infirmières, les professeurs et les autres fonctionnaires se sont lassés de recevoir cette monnaie de singe qu'est le Zim Dollar (il en faut maintenant 20 000 milliards pour un Dollar américain), ne couvrant même pas leurs frais de transport. La municipalité de Bulawayo (2e ville du pays), en faillite depuis 2 ans, a tout simplement fermé depuis quelques mois. Il parait que les Ambassades du Zimbabwe à l'étranger sont également en banqueroute, mais que le gouvernement ne les ferme pas faute de pouvoir régler 6 mois d'arriérés de salaires et autres.Et pourtant.... malgré tout, il souffle comme une brise d'espoir insensé ici. Comme si le désir d'une nouvelle ère était si fort qu'il ne s'embarrassait pas des objections rationnelles, raisonnables ou rabat-joie que chacun admet

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prévaloir pourtant. Dès mon arrivée à l'aéroport, j'ai eu l'agréable surprise de trouver un employé de l'aéroport tout sourire m'aider à porter bagages et poussettes, "car il est normal d'offrir notre assistance aux femmes et à leurs jeunes enfants si l'on veut donner une bonne image du pays", puis l'officier des douanes troquer son interminable processus de fouille des bagages pour un autre message de bienvenue ! Toutes petites attentions faites avec tant d'enthousiasme qu'on se demande même s'il s'agit de consignes officielles ou d'initiatives personnelles pour marquer leur espoir de changement. A la maison, Jennifer m'a expliqué qu'elle pouvait désormais compter sur son policier d'ex-mari pour supporter l'éducation de son fils, d'autant que la police voulant donner une nouvelle image d'elle-même ne permettrait plus les entraves à la justice concernant son propre personnel. Quant aux magasins, fonctionnant désormais tous en devises étrangères, ils ont retrouvé quelques couleurs avec des étals mieux achalandés, et des prix redevenus raisonnables grâce à la restauration d'un peu de concurrence. Entre Gary qui vient d'ouvrir un restaurant à Hillside Dams, Lionel qui prépare l'inauguration d'un bistro, Deli en ville, cet autre qui met en place une chaîne d'alimentation à destination des expatriés, il semble que "le moral des entrepreneurs" comme nous disons chez nous est remonté de plusieurs crans! Une épicerie improvisée s'est même mise en place dans les locaux de mon bureau, certes bien pratique mais un peu envahissante!Et le plus agréable quand on fait ses courses, outre que l'on ne doit plus transporter des paquets de milliards à dépenser immédiatement sous peine de dévalorisation expresse, c'est de ne plus devoir exercer le réflexe, si l'on trouve de l'huile ou du beurre, d'acheter toute la pile par crainte de ne plus en retrouver dans les semaines qui suivent.Ajoutez à cela une bonne saison des pluies pour une récolte qui devrait être meilleure que les 2 ou 3 précédentes, le soleil qui brille, quelques belles manifestations culturelles en ville, et on se croit dans un nouveau pays!

- Petites nouvelles de ce bout de l’Afrique (vendredi 27 mars 2009)Ici il fait toujours beau....Je suis toujours dans la remise d'une pépinière de plantes, ils ont ouvert une épicerie dans mon bureau (sic), je me suis engueulée avec la proprio quand elle a volé le téléphone (sic); elle m'a virée puis proposé de partager son bureau (sic): J'adore l'Afrique! Cela dit, une Zimbabwéenne d'origine indienne élevée en Allemagne, ça ne pardonne pas.Le Zimbabwe va comme il peut... les fonctionnaires ont été payés une fois en février (100 $) grâce à quoi ils sont retournés dans les écoles et les cliniques, le ministre du Budget s'arrache les cheveux en constatant qu'il a besoin de 3 ou 4 milliards d'aide qui n'arriveront pas, le Premier ministre a perdu sa femme dans un accident de voiture en lequel le Zimbabwéen de base voit l'intervention d'une main toute puissante.

Virée à travers le nouveau Zimbabwe (mercredi 15 avril 2009)

Pâques, au Zimbabwe, c'est au moins 2 jours fériés autour du week-end, mais c'est déjà bien une semaine en avance qu'on s'y prépare, en n'entreprenant plus rien! Impossible de demander un service à un artisan: il doit boucler ses activités pour démarrer le week-end vendredi pétant, ou mieux jeudi midi pour ne pas prendre de risque...Quant à nous, nous en avons profité pour visiter les Eastern Highlands, de l'autre côté du pays, après une nuit d'escale à Masvingo chez des collègues de Rui. J'avais eu quelque mal à réserver le "Troutbeck Resort", un bel hôtel 3 étoiles dont le téléphone apparemment ne fonctionne pas. En arrivant vendredi dans cet établissement ancien posé devant un lac en altitude, nous croyions bien que la Suisse avait été colonisée par les Anglais - golf et pelouse égalisée aux ciseaux à ongle, salle de billard et pub interdit aux moins de 18 ans - à cette différence près que le personnel était tout noir dans ses costumes trois pièces.Quasiment seuls à profiter de l'esplanade, Rui et moi spéculions gaiement sur la survie de ce grand hôtel vide à travers la crise zimbabwéenne, en nous demandant si le tarif de 125 USD la chambre double, petit déjeuner et dîner inclus, n'était pas évidemment rédhibitoire pour une clientèle nationale jusque là habituée à des tarifs plus cléments - à l'ère de feu le dollar zimbabwéen, en tant que résidents, on avait accès à des tarifs ridiculement bas (genre 25 USD le week-end en pension complète, activités comprises, pour 3). Nous ne sommes pas restés très longtemps inquiets au sujet de la désaffection du lieu: En fin d'après midi, nous avons vu déferler une foule de familles, essentiellement de la classe moyenne noire de Harare, venues avec enfants, grands-parents, et parfois nounou, bien décidés à profiter des fêtes. Il suffisait de contempler le parking regorgeant de 4x4 rutilants pour comprendre qu'ils ne s'étaient pas saignés très blanc pour venir ici. L'économie de ce pays recèle encore de nombreux mystères...Pour couper la longue route du retour, nous nous sommes arrêtés une journée à Harare chez nos amis italiens, eux même en vadrouille - vive le WFP timeshare où l'on profite à l’œil d'immenses villas avec piscine et nounou à disposition... Le seul problème était de nous sustenter, car au Zimbabwe la plupart des restaurateurs n'aiment pas travailler le week-end - sans parler du week-end de Pâques: Même les Chinois avaient mis la clé sous la porte! Nous avons longuement erré au petit bonheur la chance, dans cette ville immense, rendue un peu hostile

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par les coupures générales d'électricité: s'orienter à la lueur des voitures sur ces larges avenues, quand un automobiliste sur trois compense l'obscurité en mettant les pleins phares, relève de la gageure...Nous avons finalement trouvé un pub et une pizzeria qui nous ont permis de tenir la fin du week-end... Dans cette dernière, j'ai trouvé conversation auprès d'une jeune et volubile psychologue Zimbabwéenne. Elle avait fait ses études au Royaume Uni et se languissait au département des Ressources Humaines de la Banque centrale du Zimbabwe. Dans cette noble institution qui a fait la réputation du pays avec son record historique d'inflation, les psychologues ont parait-il peu le loisir d'appliquer les méthodes de management enseignées à Oxford, car ce qui compte en gestion des ressources humaines ce serait plutôt, disons, les relations. Quant à la rémunération, elle est de toutes façons calée sur l'allowance de 100 USD en devises que le nouveau gouvernement parvient péniblement à assurer, depuis le mois de février, à tous les fonctionnaires (du balayeur au directeur de département) en attendant que de nouvelles ressources permettent de fixer des grilles salariales. Et moi de me demander comment elle arrivait à payer des pizzas à 10 ou 20 USD à ses deux filles ce soir là...? Il est vrai que cette sortie n'était pas programmée : la coupure d'électricité avait coupé court à une bouillaison de pommes de terre à l'eau, et mon amie avait préféré venir trouver un peu de lumière à la pizzeria... Réaction logique, en effet... Ce pays ne cessera de m'étonner.

Avec Vincent, le délégué français du CICR arrivé il y a 3 mois et hyper optimiste sur l'avenir proche du Zimbabwe - il n'a pas vécu les quotidiennes coupures d'eau et d'électricité qui plombent le moral et les analyses, mais pour notre bonheur épargnent notre quartier à Bulawayo depuis 2 mois - nous ne cessons de nous interroger sur l'économie du Zimbabwe: pays étonnant qui, du fond du gouffre, avec un gouvernement que tous vouent à l'échec, est parvenu en quelques jours, tout au plus quelques semaines, à juguler 235 millions de pour cents d'inflation, à dollariser la totalité de ses échanges (chaque commerçant combinant avec dextérité dollars américains, rands, voire pulas), et à remettre au travail infirmières et enseignants. Les étals des magasins se sont aussitôt remplis, et les postes à essence distribuent sans ambages... du carburant! Le tout dans une certaine bonne humeur, caractéristique des Zimbabwéens, que l'on pourrait envoyer en France dispenser quelque stage de survie insouciante et bienheureuse...

Le festival Enlig10hment(avril 2009)HIFA (prononcer "Aïfa"), c'est le festival international des arts de Harare, un rendez-vous annuel que nous n'avions jamais honoré jusqu'à ce mois de mai. Et nous n'avons pas été déçus! On nous avait dit que tout se jouait à guichet fermé, mais le festival était si bien organisé qu'en 10 mn au bureau central des réservations, à l'entrée de la Galerie nationale et des jardins de Harare où étaient dressées les différentes scènes, nous avons réussi à obtenir le programme, des conseils avisés, et des tickets pour 6 spectacles. Des shows organisés et sponsorisés par les différentes ambassades, de la Suède à la Corée en passant par le Brésil, l'Italie, et j'en passe, le tout dans une magnifique ambiance sur la pelouse verte au soleil. Rafael a eu sa piqûre de cirques et de bouffonneries, Rui une bonne dose de musique malienne, zulu et jazzie, et moi j'ai adoré surtout le spectacle "Bafana Republic" durant lequel un jeune sud-africain rapporte, dans un one man show tout en énergie, les tribulations entourant la préparation de la coupe du monde de football de 2010 en Afrique du Sud. Mugabe s'est bien fait aligner, comme les vieux Rhodésiens aigris, la compagnie d'électricité du pays et la British Airways.

Il est d'ailleurs frappant comme la liberté de ton semble régner malgré les insuffisances régulièrement dénoncées. Nous n'avons pas pu voir la pièce "Allegations", mais une collègue du CICR nous a rapporté comme c'était explosif et cru, avec 2 acteurs sur scène, le Rhodésien qui raconte sa ferme confisquée et son père tué, et un jeune militant du MDC qui paye très cher, en mauvais traitements, son engagement pour avoir collé des affiches. La salle était bondée pour cette production anglo-zimbabwéenne sponsorisée par le British Council.

A Bulawayo même, la Galerie nationale programmait cette semaine une exposition de peinture courageuse, sur un thème faisant des artistes les témoins de leur époque: "from confrontation to reconciliation". Notre ami le pasteur Ray, qui écrit une thèse sur les mécanismes de réconciliation nationale et l'effort de cicatrisation après les massacres de X, aurait probablement fait un meilleur discours que ceux qui nous été servis par les politiciens venus le même jour visiter la foire internationale de Bulawayo, mais enfin....L'air de rien, ça bouillonne bien au Zimbabwe.

- A moitié vide ou à moitié plein ? (lundi 4 mai 2009)Il est temps de vous le dire, et tant pis si vous arrêtez de me plaindre (si seulement vous continuez d'envoyer du chocolat): Le Zimbabwe n'est pas le pays cauchemardesque que l'on vous a dépeint. C'est même un pays fabuleux - ignoré encore par tous ceux qui, avec la BBC, ont une vision brouillée par les invasions de fermes, les violences électorales, et pour couronner le tout, le choléra.Certes, les 20 années passées ont été une véritable descente aux enfers pour ce que les blancs appelaient "le paradis sur terre". Non pas que les noirs aient été les derniers à souffrir: Au contraire, ils ont dû faire preuve

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d'une résilience étonnante pour traverser une période extraordinairement difficile. En janvier encore, nous nous débattions entre coupures de courant, pénuries d'eau et défaillances téléphoniques, sans espérer trouver de l'essence à la pompe ni quelque aliment que ce soit dans des magasins vidés par une inflation inouïe - les prix doublaient toutes les 25h en moyenne, défiant les tentatives gouvernementales de contrôler le coût des denrées de base, et ruinant les efforts de la population de s'organiser pour survivre. Les écoles et les hôpitaux avaient littéralement fermé leurs portes, et nous nous demandions comment les Zimbabwéens se débrouillaient, avec des salaires d'à peine quelques dizaines de dollars par mois, ne permettant même pas, au marché noir, de payer les "runners" qui rapportaient des vivres du Botswana ou de quelque zone rurale. Un tiers des Zimbabwéens vivaient de l'aide alimentaire durant la période de "jointure" (avant la récolte), presque autant avait émigré, aidant leur famille pour mettre un peu d'huile au fond du pot à sadza (leur purée de mais).

Après 10 mois d'une crise électorale déprimante, un gouvernement d'inclusion nationale improbable est finalement entré en fonction en février. Comme on est encore dans la période des "100 jours", les analyses sont mitigées; on peut vraiment parler du verre à moitié vide ou à moitié plein.Nos collègues de Harare sont ostensiblement plus pessimistes que nous ; à Bulawayo, il est vrai qu'ils sont aux premières loges pour déplorer les conflits internes au pouvoir (y compris au sein de chacun des camps en présence), les concessions faites à la vieille garde (maintien en poste du gouverneur de la banque centrale et de plusieurs redoutables responsables de la sécurité), les batailles perdues ou abandonnées à des jours meilleurs (poursuite des invasions de fermes, sort incertain des ex/détenus politiques), la persistance des difficultés quotidiennes ( tarifs insensés des services publics, passés en un mois de quelques centimes à plusieurs centaines de dollars par mois, et que personne ne paye tandis que persistent les coupures), ou de déficiences structurelles (vieillissement des infrastructures, absence de ressources publiques). Le gouvernement semble devoir faire des pieds et des mains pour payer chaque mois 100 USD à ses fonctionnaires, alors que le seuil de pauvreté, en rapport avec le panier de la ménagère, est maintenant évalué à 460 USD.

Il me semble pourtant qu'avec un peu plus de distance depuis notre province, nous voyons mieux se définir de grandes tendances plutôt encourageantes. Après des mois durant lesquels on n'était jamais surpris que par des dégringolades sans fin, comme si le fond de la piscine s'enfonçait toujours plus bas, on assiste maintenant à une nette amélioration: amélioration des conditions de la vie économique d'une part (dollarisation, reprise des échanges et du commerce formel, fin des pénuries), un début de reprise de la vie publique (réouverture des hôpitaux et des écoles, un gouvernement qui, contre toute attente, semble gouverner), et surtout la possibilité d’espérer des scénarios positifs pour la suite: Nouvelle constitution, nouvelles élections, nouvelles équipes au pouvoir.... S'il est vrai qu'un soutien extérieur massif (FMI et Banque mondiale) semble indispensable pour remettre le pays d'aplomb, on ne peut s'empêcher de penser que le simple fait de mettre un terme à des politiques économiques fuyantes et aberrantes - qui dévoyaient les ressources vives du pays - va permettre à cette économie de reprendre pied, doucement, sans que le monde encore ne s'en rende compte, grâce à des atouts extraordinaires et pour beaucoup inédits en Afrique: Le sens des institutions, intégrées, un bel état d'esprit, une population très éduquée, mais aussi bien sûr pas mal de ressources minières et même une industrie diversifiée. Et puis, les gens d'ici sont des optimistes, des boute-en-train, avec leur énergie de survivants, des gens qui ont envie que cela aille mieux et font que déjà cela va mieux. Les autres, les sceptiques, les déçus, les douteux, ceux qui avaient une chance ailleurs sont partis depuis longtemps. Les plus aventureux déjà reviennent, comme notre ami Leo qui a profité du pactole offert aux volontaires de crise par son pétrolier d'employeur pour rentrer au pays s'occuper de sa ferme, ou bien même cette jeune femme d'affaires rencontrée dans un club privé de Harare, qui après avoir vécu à Bordeaux, Canberra, Recife et Londres, nous explique, passablement éméchée, qu'elle est maintenant au Zimbabwe "because that is where the money is!. "And see, that is why you are here as well, isn't it?" ("euh... well, not really...").Nous avons dîné avec l'ambassadeur de France en visite ici, la semaine dernière, et il est également optimiste: Nous avons conclu que le Zimbabwe était peut-être un des seuls pays au monde où l'on pouvait se permettre de l'être!Si le gouvernement, soutenu par l'aide occidentale au développement accordée dorénavant plus généreusement malgré la crise financière et le maintien des sanctions, si le gouvernement parvient à augmenter l'allowance des fonctionnaires avant la fin des 100 jours, ce sera sans aucun doute un signe très positif.Quant à nous, nous continuons d'apprécier ici un climat fabuleux, un pays très beau, et une qualité de vie merveilleuse auprès de Zimbabwéens toujours aimables, qui ont le sourire au visage et le cœur sur la main. Non, la seule chose qui manque à Bulawayo, c'est une vraie gastronomie... et l'Océan, dirait Rui. Mais nous vivons une période de transition passionnante.Nous vous invitons tous à venir nous vendre visite, entre safaris et chutes du lac Victoria, et non sans oublier de nous apporter un peu de chocolat.

Eté indien à Bulawayo (jeudi 15 octobre 2009)

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Il commence à faire très chaud (37° aujourd'hui) en attendant les premières pluies, qui ont arrosé le Mozambique et l'Afrique du Sud, et tardent à tomber sur le plateau du Zimbabwe. La saison est magnifique, avec une explosion d'arbres de jacarandas en fleurs (mauves!), agrémentés de massifs de buissons de fuchsias, jaunes, orange également en fleurs.

Le pays est décidément transformé: on trouve tout dans les magasins, on n'a plus beaucoup de coupures d'eau ou d'électricité (du moins dans notre quartier!), et les affaires reprennent avec l'enthousiasme de Zimbabwéens longtemps frustrés de ne pouvoir rien faire: nouveaux restaurants, petits commerces, etc.

Mais le Zimbabwéen moyen n'a pas pour autant la vie facile, avec des tarifs qui ont retrouvé voire excédé les niveaux internationaux: 50 à 100 USD les factures d'électricité, de téléphone ou d'eau (contre 1 ou 2 USD grâce aux effets combinés et paradoxaux du marché noir à la grande époque de l'inflation). Quand on sait que plus de la moitié de la population vit avec moins de 2 dollars par jour....

Chute cumulée du PIB entre 2000 et 2007 : 40% ; 14% en 2008. 70% des Zimbabwéens dépendent de l’aide alimentaire. Selon la FAO, La prochaine récolte de maïs sera en baisse de 70% par rapport à la précédente et ne couvrira qu’un quart des besoins du pays « en raison de la pauvreté des terres et de problèmes de gestion des semis. Les petits paysans manquent d’engrais, de semences et d’autres matières premières ».

Les fonctionnaires sont toujours payés au lance-pierre, mais l'indemnité unique de 100 USD/mois est apparemment remplacée par des salaires plus variables (150 à 300 USD, et même plus de 1500 dans certaines municipalités les rares fois ou ils touchent ces traitements "mirobolants"). Les professeurs de l'enseignement public, dont les frais sont modérés en ville, et gratuits en zone rurale, continuent de menacer ou de faire grève pour obtenir un salaire décent, et les écoles privées en profitent: celle de Tafazwa, le fils de ma nounou, facture maintenant 120 USD/mois!

Le gouvernement fait de son mieux pour augmenter ses recettes fiscales: de 12 millions par mois à son entrée en fonction en février, à près de 90 millions mensuels en septembre: IL a notamment monté sur les routes de petits postes de péage frustres mais bien organisés pour prélever le Dollar réglementaire...Selon le dernier rapport du FMI, 200MUSD sont requis d’urgence pour soutenir le budget et 300MUSD pour l’aide humanitaire immédiate dans les secteurs alimentaires, de l’éducation et sanitaires. La dette extérieure s’élève à 5.1 MUSD (166% du PIB)Les bailleurs occidentaux, peu confiants dans le gouvernement inclusif, continuent de prendre pour alibi l'absence de remboursement de cette dette pour refuser de nouveaux crédits.

Quant à la situation politique, elle reste très compliquée et je ne la brosserais pas en 5 minutes... mais je suis impressionnée par les résultats de ce gouvernement dont je n'aurais pas donné cher lors de son improbable formation.Un article de Newsweek fait une peinture au vitriol de cette collaboration, en parlant du "pire boulot en Afrique" pour un Tsvangirai qui, depuis son entrée au gouvernement, a perdu sa femme, son petit-fils, et certainement pas mal de cheveux.

Plus facile (en français), voici le résumé de l'Ambassade de France dans sa revue de presse:« Après la crise, la solitude.Six mois après la difficile mise en place du gouvernement d’union, le bilan est contrasté dans ce pays qui peine à se relever d’une longue crise économique et des affrontements politiques consécutifs à l’élection présidentielle de 2008. Les deux partis ZANU-PF et MDC cohabitent mais ne collaborent pas. Les conflits qui les opposent n’ont toujours pas trouvé de solution. Bob et ses amis opposent une puissante force d’inertie aux demandes du MDC que ses dirigeants ne parviennent pas à transformer en exigences. En mai dernier, le gouvernement s’était donné cent jours pour mettre fin à la violence rampante dans les zones rurales, redonner vie aux systèmes d’éducation et de santé, réformer la machine judiciaire et faire entrer du cash afin de financer la prochaine saison de récolte. Objectifs qui se sont révélés une véritable gageure alors même que la fuite vers l’étranger de médecins, d’enseignants, d’avocats, de juges et d’hommes d’affaires compromet le redressement des divers secteurs socio-économiques.(...) Au terme de six mois de cohabitation il serait erroné de considérer que rien n’a changé. Les conditions de vie des habitants sont moins incertaines en attendant d’être meilleures. (...) Cependant, Amnesty International et l’Afrique du Sud manifestent leur préoccupation à l’égard de la situation humanitaire et des libertés publiques ; Le Président et son Premier Ministre, ennemis personnels et protagonistes donnent l’image d’un couple désespérément lié, condamné à sauver leur pays de la ruine. Le Zimbabwe apparaît très solitaire. » [Continental oct. 2009]

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Après l'état de grâce, une période de glace (à Paris, 9 février 2010) J'ai vécu ces dernières semaines à Bulawayo comme une période de grâce: Noël au soleil, avec les amis, la véranda, la chicha... Ajoutez la reprise de Billie Jean par Cateono Veloso... Quand on sait qu'on va quitter tout ça, il n'est pas facile de ne pas sentir la saudade vous envahir... Moments suspendus avant les grands chamboulements: Paris, un nouveau bébé, sans doute un déménagement...

Arrivée à Paris sans mon petit garçon - mère indigne: 9h à l'aéroport, sous le crachin dans la nuit: bienvenue en Europe. Une semaine entre -5 et -15°, du jamais vu en pleine crise de réchauffement climatique, impossible de mettre le nez dehors. Je ne regretterai pas d'avoir laissé Rafael au soleil, dans le jardin, la piscine. Et à ceux qui me demandaient "comment les Zimbabwéens pouvaient traverser les épreuves" qui sont les leurs, je demande mais comment peuvent-ils supporter cela? On s'habitue à tout... quand on n'a pas le choix. "Mais on râle", me dit Sophie. Enfin, les Zimbabwéens eux, n'ont quasiment jamais arrêté de sourire.... au premier rayon de soleil. Je crois de plus en plus en l'influence du climat sur l'humeur nationale.

Côté Zimbabwe en tous cas, c'est incroyable comme la situation a pu évoluer entre Noël 2009, où, je crois, on avait touché le fond, et ce Noël 2008. L'an dernier: dans un TM qui est l'équivalent d'un grand Prisunic, je me souviens qu'il n'y avait que 2 produits: du liquide vaisselle et je ne sais plus quel item improbable, une petite pile piteusement posée devant la caisse. Le marché noir même fonctionnait mal, cher. En février 2009, avec le gouvernement inclusif, le dollar américain et le rand ont remplacé le dollar du Zimbabwe, et en une semaine tout a changé. Les postes à essence ont rouvert, les magasins se sont remplis, les nouvelles échoppes ont fleuri... Pour ce Noël 2009, on trouvait même des jambons italiens dans le Deli shop de Lionel, des produits sud-africains au nouveau supermarché de la zone industrielle, des dindes à gogo, des animations commerciales dignes de Velizy II à Bradfield.... Le mili -meal (nourriture de base du Zimbabwéen), qui était monté à 80 Rands les 10kg au marché noir l'an dernier, était facturé 26 rands les 12 kgs chez Paddy, le meilleur magasin de légumes de la ville qui s'est agrandi et compte 5 caissières à la chaîne.

Ma Juliette

Elle devait arriver le 14, et puis à Necker on m'avait dit plutôt le 24: on ne calcule pas les bébés pareil des deux côtés du Sahara. Alors, comme Rafael avait été un modèle de ponctualité à la française, on avait recalé tous les billets d'avion autour du 24 février. Mais Juliette, ça fait déjà plusieurs semaines qu'elle faisait sa gym in utéro - généralement au milieu de la nuit - en vue de sa première sortie dans le grand monde.

Next stop: Lesotho

Retour au Zimbabwe avec une petite Juliette - petite boule d'amour - qui découvre le soleil et la luminosité, plaisir de l'Afrique. Je croise Rui dans le hangar qui tient à Bulawayo lieu d'aéroport - depuis 3 ans temporaire, comme presque tout ce pays. Lui part en réunion à Harare, mais a quand même organisé pour notre retour un dîner avec quelques amis, Jennifer fidèle aux fourneaux. Et Jennifer inquiète plus encore que nous de ce départ annoncé, incertain, dans son délai comme dans sa destination. Haïti? Rui est en contact avec une ancienne collègue du Darfour, en poste à Rome mais réquisitionnée sur l'île, et qui nous informe que tout le staff du PAM est logé sur un navire au

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large de Port-au-Prince....J'apprendrai plus tard que Jennifer s'est enquis des procédures pour obtenir un passeport, dans l'espoir, sans doute, de nous accompagner là où nous irons. Mission difficile: on lui a dit, dans je ne sais quelle administration de sa zone rurale, qu'il lui faudrait un acte de naissance intégral, alors qu'elle n'a jamais eu qu'un acte simple, égaré par sa mère, et qu'il faudrait au moins 2 ans pour obtenir ledit document. Il y a quelques mois, c'était le papier rationné qui manquait aux administrations, pour imprimer les passeports... En notre absence, Vincent, mon ami du CICR et de la famille en Aveyron, avait tenté de la consoler et lui expliquait qu'il n'était pas forcément sage de nous suivre si loin de sa famille...

Et puis, Rui a reçu sa nouvelle affectation. Et on est plutôt contents: car il s'agit... du Lesotho ! Sûrement pas le hot cultural spot africain, mais un joli coin montagneux, royaume enclavé au Sud Est de l'Afrique du Sud. C'est à dire une destination paisible, pittoresque ... et pas loin. Ce qui pour nous, qui devenons casaniers à tant apprécier le Zimbabwe, est tout bénéfique: proche d'ici et de nos nouveaux amis, proche du Mozambique et de la famille de Rui, proche de l'Océan... On va pouvoir faire les cartons sans trop se casser la tête, emmener les voitures, la vaisselle, les jouets des enfants, le tout dans des petits sacs, sans faire de drastiques coupes dans les kilos! Et puis pour ceux qui ne sont pas encore venus nous voir, il y aura encore des safaris à organiser. Il parait que l'hiver, on peut même y faire du ski.

On ne sait pas grand chose du pays - un coin très pauvre, champion du taux d'infection VIH - ni du poste de Rui, sinon que ce sera en capitale, une toute petite capitale, et sûrement des programmes sida, mais aussi "school feeding", ce que Rui a déjà bien pratiqué au Mozambique - nous en saurons sans doute davantage après une virée de reconnaissance durant la 2e quinzaine de mai. A priori, c'est pour le mois de juin/juillet... on va voir comment tout cela s'enchaîne!

Alors, nous avons été tentés d'emmener Jennifer, pour nous, pour Rafael, pour elle, pour les tartes tatin et les gratins dauphinois qu'elle maîtrise maintenant parfaitement et que nous apprécions irrémédiablement. Il est vrai que le Lesotho n'est pas si loin, et constitue avec l'Afrique du Sud un environnement relativement familier pour les Zimbabwéens. Mais enfin, c'est une sacrée responsabilité d'emmener quelqu'un loin des siens. Et pour combien de temps? Un an, deux, trois au plus. Finalement, ce qui nous a facilité la décision de ne rien en faire - en plus du passeport à inventer, c'est que mes amis se la disputent, Jennifer, pour son éternelle bonne humeur au moins autant que pour ses quiches et ses tomates à la provençale. Son ancien lodge aussi veut la reprendre, et l'une ou l'autre de ces solutions sera sûrement plus sage pour elle, et pour ses enfants. Comme dit Rui, la famille est, dans ces régions troubles, le principal support des petites gens pour faire face aux aléas.

En tous cas, pour nous, finie l'incertitude, et si nous serons très tristes de quitter le Zimbabwe, nous sommes bien contents de la destination. Maseru... qui même connaît le nom de cette petite capitale africaine? Tout à découvrir!Le chauffeur du PAM qui m'a ramené de l'aéroport, avec ma petite Juliette toute fraîche arrivée d'Europe, avait certes mis son plus beau costume pour faire bonne impression, et se positionner pour la lobola... mais Gogo et Jennifer ont déjà parié un autre avenir pour la petite princesse: elle devrait gagner le concours de beauté qui permet au Roi du Lesotho de choisir, chaque année, sa nouvelle épouse! Il en est à quelques 22, parait-il. Voire....

Week-end presque ordinaire à Bulawayo (lundi 5 avril 2010)

Samedi soir à Bulawayo, j'ai fait l'autruche pour éviter la soirée au Lion's Club de je ne sais quel Laurémar, à laquelle plusieurs de mes amis se rendent parce que, à Bulawayo, quand il se passe quelque chose, on s'en réjouit sans trop se poser de questions.... (On est loin de la frénésie parisienne.) La ville, pourtant, connaît cette semaine une certaine agitation avec l'ouverture au public de la Zimbabwe International Trade Fair, équivalent local de la Foire de Paris par son ampleur, attirant dans la passé acheteurs et entreprises de toute l'Afrique australe. Désaffectée dans le marasme économique de ces dernières années, elle était devenue une sortie pour les familles de la classe moyenne et même désargentée, entre Luna Park, pavillon militaire et exposition de pièces de rechange à frigidaires...

Le Président s'est joint, hier, à l'événement, et a fait parler de lui dans les médias internationaux en y

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invitant son homologue iranien, Ahmedinejad! J'ai appris, en sortant Juliette en poussette, que les deux compères avaient bien déjeuné la veille à deux pas de chez nous, derrière chez les voisins. Pas de grande démonstration des forces de sécurité - il parait qu'elle était fondue dans le décor: on est loin des kalachnikovs du métro parisien lors des plans Vigipirate, et c'est tant mieux. En civil, le brigadier Stanley, un ancien d'Angola et de RDC maintenant en charge de la sécurité de la résidence présidentielle, est lui même tout ce qu'il y a de plus accessible: amical, plaisant et détendu comme tous les Zimbabwéens qui se saluent naturellement quand on se croise dans le quartier - c'est lui qui m'a raconté la venue, tout ce qu'il y a de plus bon enfant.La revue de presse de l'Ambassade de France en fait une peinture plus vitriolée qui témoigne de la polarisation persistante dans le pays:

Le président iranien (...) a juré de se tenir aux côtés du leader zimbabwéen afin de défendre son pays contre « les super puissances arrogantes et sataniques qui cherchent toujours à imposer l’esclavage en Afrique ». Toutefois, les vastes gisements d’uranium inexploités que possède le Zimbabwe sont le but principal de cette visite. L’Iran a besoin du précieux métal pour donner un coup de pouce à son programme nucléaire. La visite du président iranien a été fortement condamnée par le MDC qui le qualifie de « marchand de guerre, bafoueur des droits de l’Homme et leader à la légitimité douteuse. »(...) « Inviter l’homme fort Iranien à un forum d’investisseurs, c’est comme inviter un moustique à soigner le paludisme. La visite d’Ahmadinejad n’est pas seulement une insulte au peuple du Zimbabwe, mais aussi un affront à la démocratie et au peuple opprimé d’Iran ».

Zappant sans conviction sur la DSTV, je tombe sur une famille franchouillarde témoignant à un journaliste du débat intergénérationnel sur le problème des retraites, entre jeune cadre trentenaire, grand père syndicaliste et maman inquiète.. Tous farouchement défensifs quant à l'âge de la retraite, le montant des pensions, et tutti quanti. De sacrés blocages en perspective. Ca me rappelle comment m'a frappé le fossé ontologique qui nous sépare lorsque j'ai pensé expliquer à Jennifer pourquoi non, on ne pouvait pas simplement abandonner le travail de Rui et acheter une maison pour rester tranquillement au Zimbabwe, comme elle m'y invitait telle un "deus ex machina" pour éviter de partir. La situation de Rui, qui doit se préparer à ne pas toucher de retraite, semble certainement effarante à tout européen auquel je le mentionne, mais ce souci n'a tout simplement rien de particulier ici Week-end presque ordinaire? Ah, non: le nombre de français en ville a quasiment triplé, avec le retour de Constance et Fabien, et l'arrivée d'un jeune français émoulu d'une école de commerce de province, qui a eu cette idée saugrenue de venir faire un stage dans une entreprise textile de Bulawayo. Sans doute pour la 1ère fois en Afrique, il est tout impressionné par le décalage multidimensionnel, dans ce pays qui lui parait "ce qu'il y a de plus éloigné de ce qu'on connaît en Europe". Je mesure combien le décalage est, lui-même, relatif: il n'a pas envisagé le Darfour, la Somalie, Haïti et bien d'autres destinations exotiques... Mais une de ses réflexions m'a frappée par sa justesse: c'est le niveau d'incertitude et de risque qui touche la moindre des activités ici - dans ce cas précis la réception improbable d'une livraison de coton, et l'histoire des comptes en devises confisqués par la Banque centrale au moment des élections - et auxquelles chacun a appris à faire face avec philosophie ou fatalisme. Et moi de penser aux conversations du dernier déjeuner dominical, avec les parents d'un ami, des "coloured" migrant dans la région au gré des vicissitudes historiques... La mère racontait comment sa famille, après avoir amélioré son habitat et installé des toilettes à l'intérieur de sa maison aux lendemains de la 2e guerre, s'était vue, avec les premières réformes de l'apartheid (1949), expropriée de ladite maison, comme toutes les familles indiennes et "coloured" de la région, avec, pour tout bagage, une indemnité de 2500 Rands. Par l'autorité des mêmes Blancs qui, aujourd'hui, craignent de se faire exproprier de leurs fermes, perdant à leur tour tout ce que leurs pères ont bâti à la sueur de leur front (ou de ceux d'armées de pauvres gens). Et Rui de rapporter comment sa mère, à l'issue d'une carrière irréprochable dans une entreprise respectable au Mozambique, a vu sa pension de retraite réduite du jour au lendemain à 20 dollars par mois, "dommage collatéral" d'une réforme financière instiguée par le FMI à ce "bon élève" qu'a été le Mozambique post-guerre civile. Du coup, elle a pris un travail à mi-temps au Ministère des Finances, jusqu’à ses 70 ans bien sonnés.Faire face... et garder le sourire, au soleil, carpe diem.