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Contrat et culture dans les relations interentreprises … · les relations interentreprises en font partie. L’usage des ... transactions portant sur la terre, les contrats se sont

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Article

« Contrat et culture dans les relations interentreprises en Chine » Mingming DuanManagement international / International Management / Gestión Internacional, vol. 14, n° 2, 2010, p. 121-129.

Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

URI: http://id.erudit.org/iderudit/039552ar

DOI: 10.7202/039552ar

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Depuis le lancement de ses programmes d’ouvertureet de réforme économiques, la Chine se transforme

progressivementenuneéconomiedemarché.Durantcettepériodedetransitionl’économiechinoisenecessedenousrévélerdes«bizarreries»Lespratiquescontractuellesdansles relations interentreprises en font partie. L’usage descontrats formels et trèsprécisdans les transactions inter-firmes(mêmepourcellesquiprésententpeuderisques)estquasisystématique(Zhou&al.,2003).Or,nonseulementlesagentséconomiquessontcensésnepasrespecterleursengagements contractuels2, mais encore les institutionsjuridiques sont loin d’être capables d’assurer l’exécutiondescontrats.

Dans les analyses portant sur le fonctionnement del’économie chinoise, les institutions informelles (en

l’occurrence les relations sociales) sont souvent consid-

érées comme un substitut aux institutions formelles. S’il

vadesoiqueladéfaillancedesinstitutionsformellespeut

êtrecompenséeparlerecoursauxinstitutionsinformelles,

le rôledes contratsdans les relations interentreprises fait

question.

Pourapporterdesélémentsderéponse,nousnousappu-

ierons sur une enquête qualitative portant sur cinq entre-

priseschinoisesdediversescatégories.Lapremièrepartie

évoqueral’étatdudébatconcernantlerôledescontratsen

Chine. Ladeuxièmepartieprésenteraladémarchedenotre

étude ainsi que les données empiriques qui étayent notre

analyse.Enfin,latroisièmepartiefournirauneexplication

desobservationsfaites.

Résumé

LasituationdelaChineenmatièrederes-pectdesengagementscontractuelsdanslesrapportsentreentreprisesestpeubrillanteetceauxyeuxnonseulementdesobserva-teursétrangersmaisaussidesChinoiseux-mêmes. Pourtant, le recours aux contratsformels pour régler la vie sociale y estmassifetsystématique,etleurusagerested’actualitédanslesrelationsinterentrepri-ses. Comment expliquer cette bizarrerie?Quel(s)rôle(s)jouentlescontratsformelsdans les transactionsetcoopérations inte-rentreprises?Uneétudes’appuyantsurdesentretiensqualitatifsdanscinqentreprisesde différentes catégories nous a conduità mettre en avant certains aspects de laculture chinoise pour apporter des élé-mentsderéponseàcesquestions.Ilappa-raît que les contrats formels fonctionnentcommeunepièced’unsystème,fondésurla réciprocité, qui régit les coopérationsinterentreprises.

Mots clés: contrat, culture, réciprocité,Chine

AbstRAct

BothforeignobserversandChinesethem-selvesdenounceChina’smediocre recordconcerning inter-firmcontractsexecution.However, China is a society where con-tracts have played an important role insociallifeandtheuseofformalcontractsisrelevantininter-firmtransactions.Howto explain this Chinese oddness? Whatrole(s) play contracts in inter-firm coop-eration in China? A qualitative study onfive enterprises of different regimes sug-geststhatcontractscannotbeseenonlyasa governance system, their real functionsare deeply influenced by the culture of asociety. It seems that in Chinese context,formalcontractsconstitutenotonlyalegalprotectionbutalsoandespeciallythefun-damental reference point for a regulatorysystembasedonreciprocity.

Keywords: contract, culture, reciprocity,inter-firmrelations,China

Resumen

LasituacióndeChinaenloqueserefierealrespetodeloscompromisoscontractua-lesenlasrelacionesinterempresasespocosatisfactoria, tanto para los observadoresextranjeroscomoparaloschinosmismos.Porlotanto,elusodeloscontratosforma-lesesmasivoysistematico,yquedamuyvivoenlasrelacionesinterempresas.Comopuede explicarse esta rareza? Que papel(cualespapeles)desempeña(n)elcontratoformalen las transaccionesycooperacio-nes interempresas? Un estudio, basadosobreunasentrevistascualitativasencincoempresasdediversascategoríasnoshalle-gadoallevarciertoselementosderepuestayexplicaresoatravésdeciertosrasgosdela cultura china. Lo que sobresale es queloscontratosformalesfuncionancomounapartedeunsistema,basadosobre lareci-procidad, que gobierna las cooperacionesinterempresas.

Palabrasclaves:contrato,cultura,recipro-cidad,relacionesinterempresas,China

Contrat et culture dans les relations interentreprises en Chine1

MInGMInG DUanManagement School, Shanghai Institute of Foreign Trade

1. Cet article a bénéficié de l’aide financière du Leading Academic Discipline Project (Phase V) of Shanghai Municipal Education Commission,Numérodeprojet:J51202

2. LecontentieuxcommercialentreDanoneetsonpartenairechinoisWahahaaconduit encoreune foisàmontrer laChinedudoigtàuneéchelleinternationale.

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Le contrat : un grand paradoxe de l’économie chinoise

Ilsembleyavoirunanimitédanslesdiscussionsportantsurl’éthiquedesaffaireschinoisepourdirequelesChinoisnesacralisent pas le contrat et s’autorisent souvent ànepasrespecterleursengagementscontractuelsauprofitdeleursintérêtsindividuels.Malgréleseffortsfaitspourrenforcerla régulation des marché, les spécialistes continuent àregarderlaChinecommeununiversmarquéparunsystèmejuridiquedéfaillant,lenonrespectdesrèglesformellesetlaviolationrécurrentedescontrats(e.g.Plafker,2007;Collins& Block, 2007; Chen, 2003; Bucknall, 2002). Selon cer-tainsauteurs(e.g.Chen&Gao,1991;LafayetteDeMente,2004),ilseraitquasimentimpossiblederéussirenaffairesen Chine si l’on ne traite pas le contrat comme quelquechosedepurementsymbolique.

Cepragmatismeenmatièredepratiquescontractuellesvapourtantdepairavecl’existenced’unlongpasséd’usagedes contrats. Longtemps utilisés essentiellement dans lestransactionsportantsurlaterre,lescontratssesontconsid-érablementpopularisésdansleXIVèmesiècleaumomentduboomdel’économiemarchandesouslesMing(1368-1644)(Hansen,1995). Ilsontpénétré tous lesespacesde laviesocialesouslesQing(1644-1912)etleurusageétaittelquequasimentpersonnenepouvaitvivresansjamaisrecouriràuncontrat:lemariage,lasuccession,l’adoption,lecrédit,oul’actionnariatfonttousappelàdescontratsécrits(Zelin&al., 2004).Une forteprésencedes contratsdans laviequotidienne a conduit la professionnalisation des métierslesconcernantetàunespécialisationdanslarédactiondescontrats (Hansen, 1995). Dans les transactions entre lesentreprisesd’aujourd’hui,lesagentssignentsystématique-mentdescontratsformels,souventtrèsprécis(Zhou&al.,2003)

Laplupartdestravauxs’intéressantàlagestiondescon-tratsenChinecherchentàmettreenévidence, théorique-mentetempiriquement,lerôledesinstitutionsinformelles(notammentleguanxi-relationspersonnelles)commesub-stitutauxcontratsformelscommemoyend’assurerlebondéroulementdes transactions (e.g.Boisot&Child,1996;Xin&Pearce,1996;Yang,1994).Inspiréessentiellementde la nouvelle sociologie économique (e.g. Macaulay,1963;Granovetter,1985),cetyped’analysetraitelecontratformel et leguanxi commedeux systèmes complètementdifférents ayant chacun sa propre logique de fonctionne-ment.Lecontratestalorsconsidérédansuneperspectiveuniversaliste, comme quelque chose dont la consistanceserait indépendante des temps et des lieux et qui seraitsimplementplusoumoinsutilisé.Quelquesrares travauxcherchent toutefois à mettre en évidence les spécificitésd’une forme chinoise de contrats. Par exemple, selonCheng & Rosett (1991), le contract with a Chinese face

possèdetroiscaractéristiques.Premièrement,ilparticipeàladéfinitiondesrelationssocialesetne lesremplacepas.Deuxièmement,ilestsignéessentiellemententredesincon-nusetaunpouvoirtrèslimité.Troisièmement,l’exécutionducontratestprofondémentconditionnéeparlesrelationssociales.Lerôleproprejouéparlescontratsresteobscur.

Faceàcette incohérenceapparenteentre l’importancedurecoursauxcontratsetleurfaiblepouvoircontraignant,onpeuts’interrogersurlanotionmêmedecontrat.Quandonutiliseceterme,parle-t-ondelamêmechosepartoutdanslemonde?L’expériencemontrequ’un«même»motpeutavoirdessensbiendifférentsetcorrespondreàdesréalitésbiendifférentesselonlescultures(d’Iribarne,2003).Ilnes’agitpasseulementdes’intéresseràlapolysémiedutermede contrat dansuneperspectivepurement linguistiqueouenfonctiondesapprochesmisesenœuvrepardifférentesdisciplines,maisdesaisirlesensqu’onluidonnedansuncontextecultureldonné.Lavaleurjuridiqueducontrat,lecadreinstitutionneloùilprendsens,lesprocéduresconcer-nantsarédaction,sonexécutionetsarésiliation,ouencorelamanièredetraiterleslitigesqu’entrainesamiseenœuvrevarientconsidérablementd’unpaysàl’autre.Depluslecon-tratn’estaussi,peut-êtresurtout,passeulementuneaffairejuridiquemaisaussiuneaffairesociale.Ilviseàrégulerlesrelationssocialesdansunesociétéorganiséedanslaquellechaqueindividusesoumetàunordre—quelquefoislégalmaistrèssouventcoutumier—quinereposepasseulementsurlerôled’uneautoritémaisestégalementunordresocialetmoral,avecdesprocédures,desmœurs,desconceptionsdu devoir, et, dans un sens large, mille liens qui bridentsanscessel’actiondechacun.Ignorerounégligercetordrepourraitconsidérablementlimiternotrecompréhensiondecequitoucheaucontrat.

Certes,iln’estpasfauxdedirequelesrelationscontrac-tuellessontencastrées(embeded)danslesrelationssocialesentreagentséconomiquesetquec’estparticulièrement lecasenChine.Mais,pourmieuxcomprendrelesressortsdelacoopérationinterentreprises,ilestnécessairedetrouverunelogiquecohérenteappréhendantlecontratetleguanxicommeunseulsystème.Ilfautpourcelaanalyserprécisé-ment,ens’appuyantsurdestravauxdeterrain,commentlecontratprendsensdanslaculturechinoise.

Une enquête sur la gestion des contrats dans les relations interentreprises3

Nous avons réalisé une enquête, essentiellement sous laformed’entretiens,auseindecinqentreprises(voirletab-leauci-contre).Lesquatreentreprisesautresque la joint-ventureformentunréseauquiapourcentrel’usinetextile.

Ons’estintéresséàcequelespratiquescontractuellesdecesentreprisesavaientdecommun.Lefaitqu’ellesse

3. Cette enquête a été réaliséedans le cadrede lapréparationd’unethèse,intitulée«Incomplétudedescontratsetrelationsinter-firmesdans

uneéconomieentransition:lecasdelaChine».Lathèseaétésoutenueendécembre2007àl’UniversitédeParis-XNanterre.

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situentdansunezonegéographiquementétendueetqu’ellesappartiennentàdescatégoriesvariéesapermisde limiterlesrisquesdeprendrepourgénéralcequirelèved’uncasunique.

Nousavonsinterrogélesdiversacteursenrelationaveclagestiondescontratsallantdudirecteurgénéralàl’agentdevente/achat enpassantpar les responsables intermédi-aires.Enfonctiondelaqualitédel’interview,nousavonssélectionné 17 entretiens (parmi les 36 réalisés au total)auxquelsnousavonsaccordéuneattentionparticulière.

Au lieu de faire appel à des questions fermées, iden-tiquespourtouslesinterlocuteurs,nousavonspréparéunesériede thèmessur laquelleceux-ciontété invitésà réa-girenbénéficiantd’unegrande libertédans leurspropos.N’ayantpaslapossibilitéd’assisteràlamiseenœuvredeprocédures de négociation et au règlement des disputes,nousavonsinciténosinterlocuteursàfairepart,avecleplusdedétailpossible,de leursexpériencespersonnellespourjustifieretdévelopperleurspointsdevue.Ces«mini-con-tes»constituentunesourceextrêmementriched’élémentsqui permettraient de reconstituer ce qui est réellementattendudescontrats,derrièrelespropos—commenousleverronspeucohérents—évoquantdemanièreabstraitelerôlequ’ilsjouent.

se seRt-on des contRAts ?

Dèsledébutdenotreenquête,nousavonsétéfrappésparlamanièredontnosinterlocuteursévoquaientlerôledescon-tratslorsqu’ilsenparlaientdemanièreabstraite.Apremièrevue,ilsnemanquaientpasd’uneconsciencecontractuelle.« le contrat, c’est une référence, la référence des transac-

tions, relateunchefd’entreprise, si j’achète quelque chose sans contrat, je suis condamné à accepter n’importe quoi, lorsque les caractères des marchandises comme la dimen-sion, les normes technologiques etc. ne correspondent pas à mon exigence : je n’ai aucune référence me permettant de faire valoir mes droits, c’est une référence (écrite). »Destermestelsque«référence»et«quelquechosedesérieux»reviennent de manière tellement systématique dans leursproposqu’ilestdifficiledecroirequenosinterlocuteursneprennentpaslescontratsausérieux.

Pourtant, après avoir donné une définition —plus oumoins solennelle, voire officielle— du contrat et de sonusage, ils demandent de « relativiser les choses ». Pourcertainslerôledescontratsestmisencauseavecmodéra-tion(aumoinssurlaforme):« pour moi, affirme unchefdu service d’achat des équipements, le contrat est une contrainte souple plutôt symbolique pour les deux parties contractantes »;« ...je dis que le contrat est une contrainte en principe, ditungestionnairedemarché,en pratique, ce n’est pas aussi strict que l’on ne le pense ».Letonchangetotalementpourd’autres :« comme je vous l’ai dit tout à l’heure, relate un superviseur du service de vente, il n’y a pas de réglementations en Chine, nous ne pouvons pas prendre au sérieux les contrats » et il ne manque pas deproposradicaux:«...en Chine, souligneavecforceunchefduservicedevente, le contrat n’a aucune autorité... ».

Unepisted’interprétationpourraitêtrequelescontrats,toutenn’ayantengénéralguèrederôle,serventdansdescirconstances plutôt exceptionnelles. Si les contrats sont« une référence de la transaction »que«l’on doit toujours avoir »,« c’est vraiment au moment où il n’y a plus d’autres solutions que l’on se réfère aux contrats pour régler les

TabLEaU 1

Entreprise Activités NatureNombre 

d’entretiensDate Lieu

A usinetextile étatiquemixte 11 Juillet2006 Zhengzhou

B

Spécialiséedanslafabricationdespièces

détachéespourleséquipementstextile

privée 5 Août2006 Wuhan

Cspécialiséedansla

teintureriecollective 7 Juillet2006 Qingdao

D Banque étatiquepure 7 Août2006 Zhengzhou

E Cimenterie

joint-venture(capitalcontrôléparunemultinationale

française)

6 Janvier2007Chongqinget

Pékin

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litiges devant la cour», relatenotrechefduserviced’achatdes équipements, qui ajoute : «personnellement, je signe très peu de contrats, encore moins que je m’en sers ». Cetavisestpartagéparfaitementparnotreagentdevente(sub-ordonnéduchefd’entreprise)quiaffirmeque« les contrats sont seulement le dernier recours, quand il n’y a vraiment pas d’autres solutions. Généralement, je ne sors jamais les contrats. »

Aurait-onaffaireàune logiquede«paix fondésur laterreur»? En cas de litige, faire le maximum pour trou-verune issueamiableavantdemettre lecontratenavantdevantlajusticesembleêtreunepratiquecourantepartoutdanslemonde.Silescontratsétaientvuscommelefiletdesécurité ultimequiprotège  réellement, il n’y aurait riend’incohérent dans lesproposdenos interlocuteurs.Or, iln’enestrien.Pourcesderniers,laconfiancedanslescon-trats commemoyendeprotectionne resteque théorique.«Recourir à la justice ne donnera rien,affirmelechefduservicedevente,les institutions juridiques se renvoient la balle pendant deux ou trois ans, vous ne pouvez rien faire».« Si on ne veut pas payer, ça ne sert à rien de parler des con-trats » renchéritl’agentdevente.Onretrouvecequiestcon-statéparlesnombreuxobservateurscitésprécédemment.

De plus, l’utilisation contentieuse des contrats estfreinée par une forte volonté d’éviter la confrontation.Cette réticence se traduit par une grande absence destermes agressifs, tels que «attaquer», «contre», «pour-suivre»etc.,dans lespropos tenus.Les raresexpressions«dures»comme«défendrenosintérêts»,«fairevaloirmesdroits»n’apparaissentquedanslesproposhypothétiques.Enracinéedans lavisionpolitique traditionnellechinoise,unetellelogiquedecompromisnefaitqu’affaiblirlafonc-tionformelledescontrats.

contRAt et confiAnce, contRAt ou confiAnce

L’incohérenceapparentedespropos tenusestencoreplusfrappante s’agissant des rapports contrat/confiance. Laplupartdenosinterlocuteursconsidèrentqu’« il y a un lien entre confiance et contrat » etquecelienest« significatif ». « S’il y a la confiance, on n’a pas besoin d’écrire certaines choses concrètes, affirme un agent de vente, dans le cas contraire, il faut vraiment rédiger un contrat dans les moin-dres détails »

Or,l’existenced’untellienentreconfianceetcontenudescontratsneparaîtpasinspirerlespratiques:« générale-ment, quand il s’agit du même type de transaction, affirmenotre chef d’entreprise, c’est toujours le même contrat standardisé et prêt à remplir,peu importe le client, c’est comme ça. »; « les contrats standardisés et détaillés pour tout le monde, relateunagentdevente,on n’accepte pas d’autres formes ».Bienévidemment,ilsepeutque « s’il y ait des choses exceptionnelles, on ajoute des clauses excep-tionnelles »,mais,poursuitunprésidentdirecteurgénéral,c’est« dans des cas extrêmement rares, je n’en ai pas eu

beaucoup durant ma carrière ». C’est que « en pratique,affirme un conseiller juridique, la version (officielle) du contrat (pour nous) est assez complète ».

Certes, la manière dont les contrats standards sontrédigésévoqueununiversdeméfiance:« de toute façon, c’est le même modèle pour tout le monde, note un chefd’entreprise, on me présente des modèles de contrat à signer, qui sont conçus, je dirais, pour une transaction entre deux escrocs : on peut ressentir une forte méfiance derrière chaque mot ». Maiscesontd’autresconsidérationsquientrentenjeu:« Ce n’est pas un problème de confiance, soulignel’intéressé,ça n’a rien à voir,c’est uniquement un problème de procédure. Tout le monde fait ça, nous som-mes une entreprise moderne, pas un atelier familial, il faut signer les contrats, c’est tout. En tout cas, les transactions sont simples, je ne triche pas, je ne crains rien en signant un contrat exigeant ». Simultanément, la standardisationde rédactiondescontrats,nedonneaucunepossibilitéde« rédiger un contrat dans les moindres détails ».Ellepermetainsiauxagentsdebénéficierpleinementdelaprotectionofferteparuncontratbienfaitsansquecelapuisseappa-raître comme une manifestation de méfiance envers leurpartenaire,etaitdoncuneffetnégatifsurlaconfiancequirègneentreeux.

AlleR Au-delà du contRAt

L’inefficacitéducontratencasdedifficultévadepairavecdefaiblesattentesenmatièrederespectdesengage-ments contractuels : « malgré des clauses très com-plètes, affirmenotrechefduserviced’achatdesmatièrespremières,le contrat n’est pas respecté enpratique,on ne peut pas être trop méticuleux. Si l’on ne viole pas les grands principes, ce n’est déjà pas si mal ».Cequipréoccupenosinterlocuteurs n’est guère la confrontation consistant àobtenirla«justice»,maisla«solution»parladiscussion,quivaau-delàducontrat: « (des déviations contractuelles) c’est comme la vie, il y a des haut et des bas, affirmenotrechefduservicedevente, ce n’est pas un souci pour moi, car à travers la discussion tout se passe bien »

Pourcomprendrelefonctionnementdesrapportscon-tractuels, il nous faut aller au-delà des propos générauxtenus par nos interlocuteurs et nous intéresser aux récitsqu’ils font d’expériences qu’ils ont vécues. L’expérienced’unagentdeventesemontreparticulièrementinstructive(Encadré1).

Encadré 1

Faire un geste pour démarrer les mouvements d’« endettement social »

«Jevousprendsunexemplepersonnel.Unefois,unde mes clients avec lesquels nous avons une longuehistoire de coopération s’est plaint de la mauvaisequalité de nos produits et m’a demandé d’aller sur

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Danscecas,l’écartparrapportaucontratn’estpaslanon-exécutiondeceque lecontratexige,maisconsisteàfairecequelecontratn’exigepas.Auxyeuxd’uneration-alitépurementcalculatrice,cetagentdeventeparaît irra-tionnel.Nonseulement il fait subirdespertesfinancièresdirectes et immédiates (liées au rappel des pièces déjàvendues)àsonentreprise,maissonengagementànepasdévoiler la vérité risque de porter atteinte à la réputationdecelle-cietdesesproduits.Certes,ilcomptebienobtenirunecontrepartie.Maisriennepeutgarantirqu’ill’obtienneeffectivement;ensupposantqu’ilyaitdesaccordstacites,ilsnepeuventpasêtreinvoquésdevantlacourencasdenonexécution.Enfait,lalogiqued’actionquiestsuivierelèveuneautrerationalité.Onestdansunerelationàlongterme,dont l’affairequiestévoquéeneconstituequ’unépisode.Laconduiteadoptéepermetdelierplusétroitementlesdes-tins des parties concernées et de créer, chez celui enversquions’estmontréconciliant,lesentimentqu’ilvousdoitquelquechose.Cettemanièred’agirrencontreuneattentedelapartdupartenaire,quiauraitrisquéderomprelarela-tioncommercialesiellen’avaitpasétéadoptée.Uneautreexpérience(Encadré2)metenévidencelafrustrationquiseproduitquanduneattentedecetypen’estpassatisfaite.

Pourlechefduserviced’achatdeséquipements,l’acted’aviser son fournisseur de l’état du paiement doit êtreconsidéré comme un signe de sa «bonne foi» et méritedoncunecontrepartiedecedernier.Mais,celui-ci insistesurl’encaissementdestraitesavantl’expéditiondespiècescommandées. Il s’agit pourtant d’une pratique tout à faitcompréhensible : l’acheteur reconnaît lui-même que levendeur« a raison d’être vigilant ».Durestel’undescol-laborateurs de cedernier a été victimed’une escroqueriesurunetraite,cequirendpeuconvaincantel’affirmationdel’acheteur:« il n’y aura aucun problème sur la traite sach-ant que si c’est fait, c’est fait, je ne peux pas l’annuler après. Ce n’est pas possible ».Maislaréactiondel’acheteurmon-trequ’il interprète lapositionduvendeurnoncommeunépisode normal d’une relation commerciale mais commeunsignedeméfiancequil’atteintpersonnellement,aupointdel’inciteràromprelarelationcommerciale.

Lacombinaisondecesexemplesmontrequelesattentesdes acteurs ne correspondent pas à un respect strict desclausesducontratquileslie.Unnon-respectenlamatièren’estpasun«souci»etla«discussion»estvitalepourquenéanmoins«toutsepassebien».Parcontreonadefortesattentesenmatièredegestesquitraduisentetentretiennent

placepourrégler leproblème.Jemesuisdéplacéaurendez-vouspourparlerentoutesincéritéduproblème.Il faut d’abord clarifier la responsabilité. Si c’est lamienne, je vais récupérer toutes les marchandises etles changer. Si c’est la sienne, j’envisage égalementdes compromis. Finalement, c’était la sienne, c’est-à-dire qu’il manquait d’entretiens nécessaires. J’aiquandmêmedécidédeleurchangertouteslespiècesen question. Pourquoi ? Parce que je regarde notrerelation à long terme. Si j’avais révélé que c’était àcause des défaillances du service d’entretien que lespiècesdétachéessesontmisesrapidementhorsservice,lesvrais responsablesauraient subides reprochesdeleur hiérarchie. Dans ce cas, ils auraient manifestédesmécontentementsvis-à-visdemoi,alorsquec’estavec eux et non (directement) avec leurs hiérarchiesquejetravaille.Si je lesmetsdansunesituationtrèsembarrassante,ceseradifficilepourmoidelesvoirlaprochainefois:jerisquedelesperdrecommeclients.Au contraire, si j’assumevolontiers la responsabilitéqui n’est pas la mienne, ces vrais responsables vontavoirunsentimentdereconnaissance très fort,vis-à-visdemoi,parcequ’ilsmedoiventquelquechose.Cecontexteesttrèsfavorablepourlerenforcementdenosrelations,lacommunicationseraparlasuiteplusfacile,onsecomprendramieux.Cetattachementsentimentalse traduirasansdouteparplusdecommandesaprès,plusdefidélité,plusdeloyauté.Nosdestinsserontliésplusétroitement.»(Agentdevente)

Encadré 2

Les représailles provoquées par le sentiment d’être humilié

«Aujourd’hui, j’ai une histoire avec une entreprisede Wuxi (une ville chinoise). Ce n’est pas bien dementionner son nom. Je lui ai téléphoné pour leprévenir que la traite était prête et lui demander denousexpédier lespiècescommandées. Ilest survenuunproblème.Onm’aréponduqu’ilfallaitattendrequel’onvoiel’argentsursoncompteavantdemelivrerlesmarchandises.Qu’est-ceque j’ai ressenti après avoirentendu tout ça? De la méfiance. Comment puis-jeledigérer?Trèssimple:laprochainefois,jevaismetournerversuneautreentreprise,mêmesi c’estpluscher. Il a raisond’êtrevigilant, (mais) j’aiditque latraiteétaitdéjàfaiteetproposédefaxerunecopiepourqu’illavoie.Maisilacampésursaligne,cequiveutdire sans ambiguïté qu’il ne me fait pas confiance.Iln’yauraaucunproblèmesur la traite, sachantqueje suis une grande entreprise d’Etat, pas un atelierprivé:sielleestfaite,elleestfaite,aucunemanœuvrene sera possible après. Dans cette circonstance, jeressensquemabonne foiestmiseencause, iln’yapas de contrepartie qu’elle mérite. C’est un facteurpsychologique, il joue un rôle déterminant dans lechoixd’unpartenaire.»(Chefduserviced’achatdeséquipements)

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une relation de confiance. A quelle logique ces attentescorrespondent-elles?

Une conscience contractuelle fondée sur la réciprocité

Pour comprendre la forme de logique contractuelle àlaquelle on a affaire, il faut accéder au contexte cultureldontcettelogiquefaitpartie,etlamanièredevivreensem-blequiluiestliée.

une AppRoche de lA diveRsité cultuRelle

Lesrecherchesportantsurladiversitédesculturesrelèventpourl’essentieldedeuxgrandesfamilles,dontnil’unenil’autrenepermetd’aborderconvenablementcequitoucheàlavariétédesrapportscontractuels.

Les recherches utilisant des échelles d’attitudes, avecau premier rang la recherche d’Hofstede (1980, 2001),maintenant concurrencée par le projet GLOBE (ProjectGLOBE, 1999), tiennent une place quasi hégémoniqueparmi cellesquivisent à fournir une représentationde ladiversitédesculturesnationales.Cesrecherches,quicon-duisent à caractériser chaque culture par quelques scores(powerdistance,individualism,uncertaintyavoidance,etc.)sontloind’enfourniruneappréhensionsuffisammentfineetprécisepourpermettredesaisirlesensqu’yprennentlesdiversespratiquesdegestionetenparticulierlespratiquescontractuelles.

Pendant ce temps, un vaste courant de recherchereposantsuruneconceptiondelaculturecommecontextedesens(Geertz,1973)seconsacreàl’analysedeculturesconcernantdesorganisationsparticulières.Ilnes’agitplusde mettre en évidence les caractéristiques générales decertaines cultures nationales mais de chercher à analyserla manière dont, au sein d’une organisation, la rencontreentre ceux qui proviennent de cultures différentes con-duit à l’émergence d’une culture propre, dans le sens dereprésentations,derites,desymboles,quidonnentsensàdes manières d’agir propres à l’organisation en question(Boyacigiller, Kleinberg, Philipps and Sackmann, 2002).L’orientation prise par ses recherches est liée au fait quelaconceptiondelaculturedéveloppéeparl’anthropologieculturellesupposequeceuxquipartagentunemêmeculturepartagentlesmêmesmanièresdedonnersensetd’agir.Or,sil’onsesitueàl’échelled’unpaysprisdanssonensem-ble, on a affaire à cet égard à une très grande diversité.Cetteconstatationincite les tenantsd’uneapprocheinter-prétativeàrécuserlanotionmêmedeculturenationaleetàconcentrerleurattentionsurlesculturesorganisationnelles(SoderbergandHolden,2002;Staber,2006).

Pour aborder lesquestionsqui touchent à la diversitédessensprisparunmêmeoutildegestionselonlescon-textesculturels,cequivautenparticulierpourcequitou-

cheauxcontrats,onabesoind’uneapprochedelaculturequi,toutenhéritantdelatraditioninterprétative,permetdeprendreencomptesimultanémentcequ’ontrouvedecom-munauseind’unesociétéetl’hétérogénéitédesmanièresd’agirquel’onyrencontre.Unetelleapprocheaétédével-oppéeparPhilipped’Iribarne (Iribarne, 2008).Celui-ci amisenévidencelefaitqu’ontrouve,auseind’unesociétédonnée,unegrandeconceptionde lavieensociétéetdugouvernementdeshommesqui,toutenétantdouéed’unegrande pérennité, est l’objet de nombreuses réinterpréta-tionsaucoursdel’histoireetestcompatible,àunmomentdonné, avec une diversité significative de représentationsetdeconduites.Ainsi,s’agissantdescontrats,sestravauxontmisenévidencelelienexistantentrelaconceptiontrèsstricted’unelogiquecontractuellequel’ontrouvedanslesentreprisesaméricainesetuneconceptiondelalibertéquilaconçoitàpartirdel’imagedupropriétairequinégocielesconditionsdesentreprisesoù ils’engageà l’abride touteinterférenceextérieure(Iribarne,2003).

contRAt : point de RepèRe pouR lA RécipRocité

Lesproposdenosinterlocuteurslaissentvoirque,silecon-trataunfaiblepouvoirdecontrainte,ilconstituenéanmoinsune«référence».Quelestdonclesensdecetteréférence?

Reprenonslesproposdenotreagentdevente(Encadré1).Iln’apasaffaireàn’importequelclient,maisd’uncli-entaveclequelila« une longue histoire de coopération »Onestdansunerelationàlongtermequiestendangeretqu’ilfautsauvegarder.Pourcela,notreagentestprêtàfairedesconcessions.Néanmoins,untelgestenedoitenaucuncas être considéré par l’autre partie comme une sorte delâcheté.C’estlaraisonpourlaquelle,commencerparclari-fier la responsabilité est absolument nécessaire, même sicecinedéterminepaslastratégiequenotreagentvaadopter.Pourqu’uncompromisnesoitpasvucommeunelâcheté,ilnesuffitpasdefairelegénéreux.Ilfautqu’onsesituetou-joursdansunéchangeégal.C’est-à-direquelescompromisnedoiventpasrestersanscontrepartie.Contraintànepasrévélerofficiellementcequis’estréellementpassépournepasmettrelesvraisresponsablesdansune« situation très embarrassante », notre agent ne peut compter que sur laconsciencedeseshomologuespouratteindresonobjectif.Iln’agiraitpasainsisansavoirunecroyancepresqueaveu-gle dans le fait que les autres respectent la règle du jeu.Qu’est-cequijustifiecettecroyance?

Iln’estpasdifficiledetrouverdesindicesdanslespro-posdenotreagent.Sonraisonnementsurlaréactiondeseshomologuesestfondésurunelogiquederéciprocité.Cettelogiqueestmiseenévidencepardesexpressionscomme« sentiment de reconnaissance », « me doivent quelque chose » et il semble que notre agent souhaite justementse trouver dans ce type de situation, parce que « ce con-texte est très favorable pour le renforcement de nos rela-tions ». Son objectif consiste à développer une relation

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Contrat et culture dans les relations interentreprises en Chine 127

d’interdépendance afin de lier étroitement son destin etceluidesonclient.

Si,ducôtéduclient,laconsciencepourlaréciprocitécomme le principe d’action ne pose aucun problème, iln’endemeurepasmoinsuneinterrogationsurlareconnais-sanceparcelui-cidesadette:qu’est-cequil’afinalementpousséàpercevoiretapprécierlemessagedebienveillancequenotreagentaintentionnellementvoulupasser?Lefaitd’avoir fait assumerpar un autre la responsabilité qui enfait est la sienne, etpar-làde lui avoir fait subir les con-séquencesdesapropreaction,provoqueunfortsentimentd’en être coupable vis-à-vis de la victime. C’est précisé-mentcetteculpabilitéressentieparsespartenaires(lesvraisresponsables)quenotreagentavouluobtenirenfaisantungeste.Or,pouryarriver,ilfautquedeuxconditionssoientréunies:1)laresponsabilitédechacundoitêtreclarifiée;2)lesresponsablesdoiventêtreparfaitementconscientsdesconséquencesqu’ilsdevraientnormalementsupporter.Cesconditionsauraitétédifficilesàremplir,silecontratn’avaitpasétéprécis.

Enfait,dans lecontratdeventeconcerné,uneclausementionne clairement que l’acheteur est responsable detoutedétériorationanormaledelaqualitéduproduitetdetouslesdommagesdusàuneutilisationabusiveouinadap-tée,àlanégligence,àdesconditionsd’entreposageincor-rectesouàunmanqued’entretien.Si le contrat avait étéambiguouimprécis,notreagentauraitétéensituationdif-ficile.Celaneveutpasdirequ’ilauraitéténécessairementobligéd’assumertotalementoupartiellementlaresponsa-bilitédeladéfaillancesurvenueetd’ensubirtouteslescon-séquences. Mais, son geste de bienveillance aurait perdusans doute beaucoup de sa valeur, car il aurait risqué den’êtreconsidéréquecommecequ’ilfallaitfaire.

L’expériencedenotreagentestloind’êtreuncasisoléetlalogiquederéciprocitédominelargementlavisiondenosinterlocuteursenmatièredecoopération:« ...on peut toujours s’asseoir autour d’une table et discuter... et on arrive toujours à trouver un compromis basé sur une com-préhension mutuelle, souligne Chef du service de vente, même si les problèmes sont clairement prévus dans les con-trats »;« en cas de litige, il faut être sincère et honnête, il faut agir avec la bonne foi. [dans ce cas] L’autre partie fait de même : si vous me cédez un chi, je vous rembourse-rai un zhang4, relatenotredirecteurgénéral,il ne faut pas compter, comparer le bénéfice et la perte à chaque instant, à chaque coup. Les choses se passent souvent dans l’autre sens que l’on le souhaite : si tu es prêt à perdre, tu ne perds finalement rien; en revanche, si tu ne cherches qu’à gagner, tu ne gagnes rien. Si la relation se développe avec un tel esprit, il n’y a rien de difficile, on peut résoudre tous les problèmes »;« si nous jugeons que les gens sont sincères et motivés, ont une volonté forte de faire bien les choses, bref, sont de bonne foi,affirmenotreprésidentdirecteurgénéral,

nous sommes prêts à leur accorder des facilités... »Ilfautnoter qu’en Chine, « accorder des facilités » signifie sou-vents’affranchirdesréglementations.

Certes,sil’onagitainsi,toutpeutêtrediscutécommesi l’on n’avait jamais signé un contrat. Mais un contratdétaillé, sans ambiguïté, le plus complet possible, mêmes’il n’est pas contraignant permet de définir et de justi-fier facilement ce qui est sincère, honnête, de bonne foi,témoigned’unevolontédefairebienleschoses.

Bien entendu, la logique de réciprocité ne fonctionnepas toujours dans une direction positive. Quand un bongesteouunebonnefoin’obtientpasunecontrepartiejugéedigned’eux,uneconfrontationconduisantàlarupturedelarelationpeutseproduiremêmesilecontratestexécutéàlalettre.L’expériencedenotrechefduserviced’achatdeséquipements (Encadré2) enconstitueunebonne illustra-tion.Elletémoignedel’attachementàlaréciprocitécommeprinciped’action.Ellemontreenoutrequelefonctionne-mentd’unetellelogiqued’actionn’estpasinconditionnel.Développer une relation d’interdépendance à long termeconstitue sansdoute la condition la plus importantepourqu’ellesemetteenplace.

le guAnxi : lA RécipRocité chinoise

Si leprincipede la réciprocitéparaîtuniversel, il s’avèreparticulièrement saillant dans la culture chinoise : “TheChinesebelieve,noteYang(1957,p.291)thatreciprocityofactions(favorandhatred,rewardandpunishment)betweenmanandman, and indeedbetweenmanand supernaturalbeings,shouldbeascertainasacause-and-effectrelation-ship, and, therefore, when a Chinese acts, he normallyanticipatesaresponseorreturn.Favorsdoneforothersareoftenconsideredwhatmaybetermed‘socialinvestments’forwhichhandsomereturnsareexpected.”

Cette vision des choses se retrouve chez un expatriéfrançais de l’entreprise F : « avec tout ce qui est guanxi,nousrelate-t-il,c’est quand même quelque chose très fort. Même à mon niveau, c’est-à-dire avec des amis que j’ai, j’ai des amis chinois. Des fois, j’ai posé la question, il y a toujours un intérêt derrière. C’est quelque chose d’un peu choquant par rapport à ma culture, un peu choquant. C’est quelque chose qui me choque tout le temps. Avec de très bons amis, il y a quand même toujours cet aspect-là. Cet aspect de relation est aussi compliqué en Chine et guanxi, quand vous faites quelque chose, même si c’est gratuit, ils ne vont pas le prendre pour quelque chose de gratuit. Il faut qu’il vous le rende. C’est très compliqué, très compliqué. Là ils ont cet aspect dans leur culture, quelque chose qui est difficile à appréhender. Parce que ça demande une connais-sance qu’on n’a pas. C’est très compliqué »

4. Ondonnetoujoursplusquel’onnel’obtienne.chietzhangsontlesdeuxunitésdemesurechinoises.Unchi=1/10zhang

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Ilestcertainementdifficilepourceuxquisontpeufami-liersà laculturechinoisedeserendrecomptedeceque,danslecontextechinois,ungestepurementgratuitn’existepasetdecomprendrecombienlaréciprocitéestimportantedanslefonctionnementdelasociétéchinoise.Pourtant,ellen’estriend’autrequ’unemanièredevivreensemblequelesChinoisvénèrentsansforcémentenêtreconscients.Cettemanièreestsouventanalyséesoussonnomenchinois:leguanxi. “guanxi means literally ‘a relationship’ betweenobjects,forces,orpersons,noteYang(1994,p.1-2),whenitisusedtorefertorelationshipsbetweenpeople,notonlycan itbeapplied tohusband-wife,kinshipand friendshiprelations,itcanalsohavethesenseof“socialconnections”,dyadic relationships that arebased implicitly (rather thanexplicitly)onmutual interestandbenefit.Onceguanxi isrecognized between two people, each can ask a favor oftheotherwiththeexpectationthatthedebtincurredwillberepaidsometimeinthefuture.”

Dans les relations sociales entre individus, la sou-mission prônée par le confucianisme se transforme eninteractionsinégales,complémentaires,etimpliquenéces-sairementdesdevoirsmutuels.Auseind’unecommunauté,lesmembresviventdansunréseaudedettes:chacundoitquelquechoseàautrui.Leséchanges se transforment, enquelquesorte,endesmouvementsderemboursersesdetteset d’accumuler de nouvelles créances. Dans ces mouve-ments éternels, au lieu de faire d’un échange une affairecommercialement équitable, les Chinois cherchent unéquilibreglobalàlongterme:laréponseouleretourdanslesrelationssocialesn’ontguèrebesoind’êtreimmédiats,maistoutestbienenregistrésurun«social balance sheet »(Yang,1957)Ils’agitd’unsystèmededonsetdefaveursdanslequelilsecréedesobligationsetdesdettes,etiln’yapasdelimitedetempspourleremboursement(Yang,1994)

Discussion et conclusion

Partant d’une étude effectuée au sein de plusieurs entre-prises chinoises, cet article cherche à mettre en évidencelerôleducontratdanslacoopérationinter-firme.AyantunpouvoirpeucontraignantenChine,lecontratestgénérale-ment considéré commeun accessoire qui n’y joue aucunrôle réel. Par ailleurs, il est censé entretenir un rapportplutôtantagonisteaveclesvraismécanismesdecoordina-tionfondéssurlaconfiance,notammentleguanxi.Pourtant,l’usage systématique des contrats détaillés nous amène àmettreencauseceshypothèses.

Une approche qualitative permet, à travers les pro-pos de divers protagonistes de l’entreprise — souventpeu cohérents lorsqu’ils parlent des contrats de manièreabstraite—dereconstituerunaspectdeleurrôlesurlequelles spécialistes du contrat ne se sont guère penchés : uncontratclairementétablipermetàchaquepartied’avoiruneidéeclaired’unedettequ’elleportevis-à-visdesoncréan-cieréventuelquandlecontratn’apasétérespectéàlalet-

tre.Cerôlederepère,deréférenceexpliqueenunegrandepartie lesattitudeset lespratiquesque l’onpeutobserverdanslagestiondescontrats.

Les relations interentreprises sont régulées par laréciprocité.Ainsi, le guanxi est considéré comme le vraimécanisme de coordination entre les entreprises. Encorefaut-il, pour qu’une dette soit reconnue en tant que telleparledébiteur,quecelui-cidisposed’unpointderepèreàl’auneduquelévaluersesactionsetcellesdesoncréancier.Commeilyaenchevêtremententrel’intérêtinstrumental,l’obligation,laspontanéitéouleplaisirdansleséchangesinterentreprises, se rendre compte de l’existence d’unedetteetévaluersamagnitudeestloind’êtreunechoseévi-dente.Plus lescontrats sontprécisetdétaillés,mieux lesmécanismesderéciprocitépeuventfonctionneretparcon-séquentmoinslesrelationsinterentreprisesrisquentd’êtremarquéesparunclimatconflictuel.

Certes,certainsphénomènessimilairesvoireidentiquespeuventêtreobservésailleursqu’enChine,desproposana-loguespeuventêtreentendusdansunpaysdifférent.Mais,quandonlesreplacedansleurcontexteculturel,ondécou-vre que la logique interne de la culture chinoise est bienprésente,etcertainspréjugésstéréotypésrelatifsàunpré-tenduméprisdescontratssontbattusenbrèche.Parexem-ple,sionneserendpascomptedeceenquoilesChinoissontattachésauprincipederéciprocitéetsurquoireposeceprincipe,ilestdifficiledenepasconsidérer,toutcommel’expatrié français de l’entreprise F que l’on a cité (maisaussi comme beaucoup de Chinois eux-mêmes), que lesChinois sont pragmatiques, opportunistes, mercantiles etquelasociétéchinoiseestmarquéeparungranddésordre.

Le monde des affaires chinois ne manque pas con-science contractuelle, mais celle-ci est visiblement dif-férente de celle qui domine les sociétés occidentales. Legranddéfidans lacoopérationentreentrepriseschinoiseset entreprises venues d’ailleurs ne consiste pas à pousserlesChinoisàaccepteruneconceptiondescontratsquileurestétrangère,ceapeudechancesderéussir(entoutcasenpeudetemps),maisàfaireensortequelescontratspuis-sent mieux servir de référence, en réduisant les aspectslacunaires et l’ambiguïté des clauses contractuelles, pourclarifierdessortesdecréancesnéedufaitqu’ilsn’ontpasétéexécutéàlalettre.LesChinoissontprêtsà« accepter n’importe quoi »s’ilsobtiennentlacontrepartie.

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