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1 < PAGE 11 > L’ALLOCATION DES RISQUES DANS LES CONTRATS : DE LECONOMIE DES CONTRATS INCOMPLETSA LA PRATIQUE DES CONTRATS ADMINISTRATIFS 1 Thierry Kirat Chargé de recherche au CNRS – IDHE, Ecole normale supérieure de Cachan Revue internationale de droit économique n°1, 2003, pp. 11-46. 1. Le contrat de l’economiste… et son “environnement institutionnel” : l’en-soi du contrat et la vacuite du droit et du juge........ 3 1.1. Contrats et institutions : l’ontologie du contrat et l’extériorité des institutions................................................................... 3 1.2. Le problème de l’incomplétude : les limites du grand écart entre des “bons contrats” et de “mauvaises institutions” ....... 4 2. De l’incomplétude … à l’imprévision ? ...................................................................................................................................... 5 2.1. L’incomplétude comme outil d’analyse économique : l’économie des “Default Rules” .................................................... 6 2.2. L’incomplétude : de la nécessité de traduire une catégorie économique en dispositifs juridiques ...................................... 7 2.3. Incomplétude et imprévision : de faux amis ?..................................................................................................................... 9 3. Comment traduire juridiquement et empiriquement le probleme de l’incertitude du futur? ..................................................... 11 3.1. Incomplétude informationnelle et complétude juridique .................................................................................................. 11 3.2. Les dispositifs du droit privé............................................................................................................................................. 12 3.3. L’imprévision en droit des contrats administratifs : une étude empirique ........................................................................ 14 4. La détermination du prix et l’allocation des risques dans des contrats “incomplets” ................................................................ 20 4.1.La déterminabilité du prix.................................................................................................................................................. 22 4.2. La détermination du prix de règlement ............................................................................................................................. 22 4.3. La jurisprudence administrative........................................................................................................................................ 25 Conclusion .................................................................................................................................................................................... 26 Références..................................................................................................................................................................................... 27 Liste des arrêts du conseil d’etat et des cours administratives d’appel.......................................................................................... 29 1 Je remercie vivement Horatia Muir-Watt, EvelyneServerin et Laurent Vidal pour leurs commentaires qui ont accompagné l’élaboration de ce texte.

Contrat Incomplet

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    LALLOCATION DES RISQUES DANS LES CONTRATS : DE LECONOMIE DES CONTRATS INCOMPLETS A LA PRATIQUE DES CONTRATS ADMINISTRATIFS 1

    Thierry Kirat

    Charg de recherche au CNRS IDHE, Ecole normale suprieure de Cachan

    Revue internationale de droit conomique n1, 2003, pp. 11-46.

    1. Le contrat de leconomiste et son environnement institutionnel : len-soi du contrat et la vacuite du droit et du juge........3

    1.1. Contrats et institutions : lontologie du contrat et lextriorit des institutions...................................................................3

    1.2. Le problme de lincompltude : les limites du grand cart entre des bons contrats et de mauvaises institutions .......4

    2. De lincompltude limprvision ? ......................................................................................................................................5

    2.1. Lincompltude comme outil danalyse conomique : lconomie des Default Rules ....................................................6

    2.2. Lincompltude : de la ncessit de traduire une catgorie conomique en dispositifs juridiques......................................7

    2.3. Incompltude et imprvision : de faux amis ?.....................................................................................................................9

    3. Comment traduire juridiquement et empiriquement le probleme de lincertitude du futur? ..................................................... 11

    3.1. Incompltude informationnelle et compltude juridique .................................................................................................. 11

    3.2. Les dispositifs du droit priv............................................................................................................................................. 12

    3.3. Limprvision en droit des contrats administratifs : une tude empirique ........................................................................ 14

    4. La dtermination du prix et lallocation des risques dans des contrats incomplets................................................................ 20

    4.1.La dterminabilit du prix.................................................................................................................................................. 22

    4.2. La dtermination du prix de rglement ............................................................................................................................. 22

    4.3. La jurisprudence administrative........................................................................................................................................ 25

    Conclusion .................................................................................................................................................................................... 26

    Rfrences..................................................................................................................................................................................... 27

    Liste des arrts du conseil detat et des cours administratives dappel.......................................................................................... 29

    1 Je remercie vivement Horatia Muir-Watt, EvelyneServerin et Laurent Vidal pour leurs commentaires qui ont accompagn

    llaboration de ce texte.

  • 2

    < page 12 >

    Lallocation des risques inhrents lexcution dobligations dans des accords dont la

    temporalit est longue est une question importante, notamment pour lconomie. Or, cet gard, il est

    significatif de constater que les entres consacres au droit administratif dans lEncyclopedia of Law

    and Economics ne font pas mention des contrats administratifs, et que les entres relatives au droit des

    contrats ne renvoient jamais au droit administratif. On ne peut que signaler, ce propos, loriginalit de

    louvrage de microconomie des marchs publics et de la rglementation de J.-J Laffont et J. Tirole

    (1993). Quelles conclusions tirer de ce constat ? De notre point de vue, deux hypothses peuvent tre

    avances : soit les conomistes se dsintressent des contrats administratifs, soit ils les intgrent

    implicitement dans le mme moule que les contrats de droit priv. Nous estimons que la deuxime

    hypothse est la plus plausible, et nous souhaitons lexplorer ici en rflchissant sur le fait de savoir si

    le droit positif des contrats privs et administratifs rend possible lapplication de mmes catgories

    danalyse en matire dallocation des risques. Cette question appelera naturellement une rflexion sur

    la signification et la porte empirique de la notion conomique dincompltude des contrats.

    Il est bien vident que lallocation contractuelle des risques a des consquences importantes sur

    lefficacit dun contrat ; elle est intimement lie aux incitations des co-contractants allouer des

    ressources, procder des investissements dans une relation, ainsi qu la capacit respective des

    parties assumer des risques (Trianis, 2000, p. 100). Cette question, considre dun point de vue

    normatif, dbouche sur des recommandations en termes dallocation des risques, ou en termes de

    pertinence des diffrents procds juridiques applicables en cas de survenance dun risque non

    prvisible ou dinexcution du contrat par une des parties 2. La position commune nombre

    dconomistes du contrat, qui consiste penser que lincompltude fait chapper le contrat

    lemprise de solutions juridiques et le fait entrer dans la sphre de la rgulation prive nous parat

    devoir tre dpasse par une analyse empirique du fonctionnement des dispositifs juridiques qui se

    rapportent lexcution des contrats. 3

    Nous procderons ici une brve tude positive et comparative du problme de lallocation des

    risques dans les contrats administratifs, en droit franais et en droit des Etats-Unis. Cette tude sera

    prcde dune mise en scne, assortie dune discussion critique, de la manire dont la thorie

    conomique des contrats se saisit de leur contexte juridique ; lenjeu est de penser les contrats comme

    des formes dchange conomique juridicises, plutt que comme des processus ontologiques

    < page 13 > (1.). Nous procderons alors une prsentation critique de lconomie de lincompltude des

    contrats, puisque les risques sont rputs dautant plus grands que les contrats sloignent du canon

    idal de la compltude ; nous examinerons les prolongements de ces analyses conomiques sur la

    dfinition du rle et des fonctions des variables juridiques (2.). Nous raliserons alors une premire

    tude positive, consacre lallocation des risques dans les contrats privs et administratifs, en testant

    2 Et ce en dpit dune curieuse jurisprudence du Conseil dEtat qui sest employe trouver dans le risque le critre de la

    distinction entre dlgations de service public et marchs publics, les premires tant associes la prsence dun risque

    financier induit par la rmunration du titulaire lie aux rsultats de lexploitation. Si ce critre est discriminant, on ne peut

    que logiquement conclure que les marchs publics sont exempts de risque sur ce point, voir L. Vidal (1999).

    3 Cette position est trs prgnante dans le courant dit de la thorie des cots de transaction. Pour une prsentation critique,

    voir Bazzoli et Kirat (2003). La question de lanalyse empirique du droit des contrats est vigoureusement pose par

    Korobkin (2001).

  • 3

    la pertinence des analyses conomique (3.), avant de procder de mme avec les conditions de

    dtermination des prix (4.).

    1. LE CONTRAT DE LECONOMISTE ET SON ENVIRONNEMENT INSTITUTIONNEL : LEN-SOI DU CONTRAT ET LA VACUITE DU DROIT ET DU JUGE

    La littrature est plthorique en conomie des contrats et du droit des contrats, sur le continent

    nord-amricain ; elle est importe peu de frais en France par des conomistes des contrats, sensibles

    la question de lontologie de laccord contractuel et la vacuit du droit dans ses interfrences nuisibles

    avec elle. Elle est aussi pleinement envahie et structure par lide que les contrats du monde rel sont

    des contrats incomplets.

    1.1. Contrats et institutions : lontologie du contrat et lextriorit des institutions

    En dpit de ses affirmations relatives au fait quelle prend pour objet pertinent le cadre

    institutionnel des contrats, la thorie conomique persiste considrer ce dernier comme extrieur aux

    contrats, ce quillustrent les intituls du tableau suivant (tableau 1). La cl dentre dans ltude des

    contextes institutionnels des relations contractuelles demeure strictement confine dans les termes de

    lanalyse micro-conomique, partant des caractristiques des accords bilatraux inter-individuels pour

    procder la construction de modles danalyse des institutions. Cette mthode de construction en

    creux des contextes institutionnels des contrats peut tre discute, et remise sur ses deux jambes en

    considrant les caractristiques des relations contractuelles comme des produits de dispositifs

    institutionnels.

    Nanmoins, lhonntet commande de reconnatre lincursion de certains conomistes dans des

    analyses qui procdent dune entre par les institutions dans lanalyse des contrats. En particulier,

    Schwartz (2000) cherche situer les dispositifs institutionnels comme des dispositifs structurants de la

    pertinence de certaines rgles du droit des contrats ; Mnard (2001) tente de mettre en vidence les

    correspondances entre les discours du droit et de lconomie sur la dtermination du prix dans les < page 14 >

    TABLEAU 1 - UNE SCHEMATISATION DES DIFFERENTES APPROCHES ECONOMIQUES DES CONTRATS ET DU

    ROLE DES CADRES INSTITUTIONNELS

    Thorie Information des

    contractants

    Institutions extrieures* aux

    contractants Thorie walrasienne Complte et symtrique Parfaites (garantissant labsence

    de dviations par rapport aux

    plans annoncs)

    Thorie des incitations Complte et asymtrique Parfaites (garantissant

    lexcution des engagements)

    Thorie des contrats

    incomplets

    Complte et symtrique Imparfaites (incapables de

    vrifier certaines variables)

    Thorie des cots de

    transaction

    Incomplte et asymtrique Trs imparfaites (incapables de

    vrifier certaines variables et

    soumises la rationalit limite)

    * nous soulignons

    Source : daprs E. Brousseau et J.-M. Glachant, Economie des contrats et renouvellement de lanalyse conomique,

    Revue dconomie industrielle, n92, 2 et 3 trimestre 2000, p. 34.

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    contrats de longue dure ; Brousseau (2001) semploie tablir les avantages compars des dispositifs

    juridiques amricains et franais de modification des clauses contractuelles en cours dexcution.

    Nanmoins, nous estimons que ces travaux, du moins ceux des deux derniers auteurs cits, persistent

    penser que la qualit des contrats trouve sa source exclusivement dans le registre de laccord inter-

    individuel, et que lintervention des institutions juridiques (en particulier du juge) relve dune

    interfrence souvent inopportune avec les prfrences et les engagements des parties. Ces thses

    peuvent tre explicites en rfrence la question de lincompltude des contrats.

    1.2. Le problme de lincompltude : les limites du grand cart entre des bons contrats et

    de mauvaises institutions

    Sans embrasser lensemble des thories conomiques des contrats, sa version no-

    institutionnaliste (dite aussi Thorie des cots de transaction- TCT) fait usage dune notion de contrats

    incomplets en situation dincertitude radicale et de rationalit limite des agents et des institutions. Elle

    pose, ainsi, que la qualit des relations contractuelles est doublement contrainte : dune part, par

    lincompltude des accords conclus entre les parties et, dautre part, par des dfaillances

    institutionnelles. Ces dernires dcoulent du fait que les institutions charges de rendre les contrats

    excutoires sont, elles aussi, victimes dune information imparfaite et dune < page 15 > rationalit limite : les juges ne peuvent rendre excutoires des clauses portant sur des variables non vrifiables.

    De plus, ils peuvent prendre beaucoup de temps avant darrter des dcisions, refuser de se

    prononcer, faire des erreurs, etc. . Ainsi, Lexcution des contrats nest pas parfaitement garantie

    par des mcanismes externes (Brousseau et Glachant, 2000, p. 32).

    La particularit de la TCT est quelle laccent sur les relations contractuelles qui exigent, en

    amont, la formation dactifs spcifiques, gnrateurs de possibles comportements de hold-up par la

    partie non dtentrice de ces actifs non redployables. La possibilit de comportements opportunistes

    ncessite alors le recours des mcanismes de protection et de rengociation des contrats en cours

    dexcution. Dans ce cadre danalyse, lincompltude contractuelle nest pas considre comme une

    pathologie des contrats, mais comme ouvrant la voie, sous certaines garanties, une flexibilit des

    accords, surtout lorsquils sont de longue dure. La qualit de lajustement des contrats est alors

    renvoye, non pas la justice institutionnelle (incapable de vrifier des variables non vrifiables),

    mais des lments du cadre institutionnel aptes crdibiliser les sanctions garantissant lexcution

    des engagements contractuels, savoir la rputation des firmes, les systmes de rgulation interne de

    certaines professions, etc. Tout se passe, ainsi, comme si le traitement contentieux devant les tribunaux

    et linterprtation judiciaire des contrats litigieux taient hors du domaine des procds efficaces

    dajustement des accords dans le temps.

    Laissant au lecteur le soin dapprcier le caractre pathogne du monde du droit et des

    tribunaux en matire de vie des contrats 4, il importe maintenant dintroduire une premire discussion

    de la notion, vritable cl-de-voute de la thorie conomique, dincompltude. A cet gard, Ayres

    (1998) tablit une utile distinction entre deux acceptions de lincompltude des contrats :

    4 Dont une dmonstration est faite dans Fars et Saussier (2002).

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    a) Dans le discours des juristes amricains et des tenants de lconomie du droit,

    lincompltude est dfinie en termes dobligations. Cette notion est utilise pour qualifier

    des contrats dans lesquels les obligations ne sont pas parfaitement spcifies, et ncessitent

    un travail juridique de gap-filling. De notre point de vue, ce nest l quune manire

    dexprimer le fait que les contrats se caractrisent par une texture ouverte, qui est une des

    conditions essentielles permettant aux accords gnrateurs dobligations de fonctionner

    (Serverin, 1996). Cependant, lide que des contrats incomplets sont des contrats dans

    lesquels les obligations ne sont pas parfaitement spcifies est, en tant que telle,

    irrecevable : la question pertinente en termes juridiques est de dterminer si des obligations

    valides au regard du droit existent, ou non, dans un contrat. A dfaut dobligations valides,

    cest--dire en labsence dobligations spcifies, le contrat est annulable (par exemple sil

    ne prvoit pas dobligations relatives au prix, au calendrier de livraison, etc.) ; toutefois, il

    nest pas admissible de considrer les obligations < page 16 > dans les termes dans lesquels les conomistes les conoivent, cest--dire sur un modle algorithmique, qui prvoierait,

    la manire dun programme informatique, que si ltat x du monde survient, alors

    lobligation x simpose.

    b) Lorsquelle est utilise par les conomistes, hors de la Law and Economics, lincompltude

    est dfinie dans des termes indiffrents la nature des obligations : dans une acception

    strictement conomique, lincompltude est relative au fait que des accords conclus ex ante

    ne peuvent prvoir tous les tats du monde futurs possibles, et y associer des clauses de

    comportement certaines. Lincompltude se dfinit alors a contrario des contrats complets :

    serait incomplet un contrat qui nest pas complet. Or, le concept de contrat complet

    dsigne un systme dchange construit en thorie, pour qualifier le modle walrasien de

    march, dans lequel les changes et les ajustements de loffre et de la demande au prix

    dquilibre sont instantans. Ainsi, logiquement, les contrats empiriquement pratiqus sont

    forcment incomplets du fait que le monde rel nest pas walrasien ; dans ce cadre, les

    conomistes sortent les contrats incomplets du monde du droit, pour les placer dans celui

    des rgulations qui, comme celles qui ont t plaques aux contrats relationnels, font appel

    des procds non juridiques dajustement des prestations (tels la rputation des parties, les

    usages professionnels, etc.).

    Il nest pas dans notre propos de faire une exgse des diffrentes acceptions de lincompltude

    des contrats 5; nous concentrons notre attention sur la porte de lusage de lincompltude par les

    conomistes qui se penchent sur le droit des contrats. En dautres termes, nous souhaitons clarifier les

    conclusions juridiques auxquelles conduisent les analyses des contrats incomplets.

    2. DE LINCOMPLETUDE A LIMPREVISION ?

    C. Mnard en estimant que Pour le juriste des contrats, lincertitude a pour nom

    imprvision (2001, p. 12), pose que lincompltude des contrats, en particulier de longue dure,

    relve dans la sphre juridique de la notion dimprvision. Ce jugement est dun grand intrt, aussi je

    5 Nous renvoyons le lecteur un article trs intressant que Eric Posner a consacr la question en 2002.

  • 6

    vais my arrter, en laissant de ct les autres catgories juridiques qui pourraient tre associes la

    question de lincompltude (comme la force majeure, les sujtions imprvues, ou, en droit des Etats-

    Unis, limpossibility of performance, la parole evidence rule, etc.).

    < page 17 >

    2.1. Lincompltude comme outil danalyse conomique : lconomie des Default Rules

    Dans la Law and Economics du droit des contrats, lincompltude a fait lobjet de nombreuses

    tudes, souvent ralises par des juristes, qui mettent laccent sur les dispositifs juridiques qui ont pour

    fonction de permettre aux parties contractantes de grer lincompltude des contrats. Parmi ces

    dispositifs, le plus important est celui des rgles suppltives (Default Rules) qui dfinissent les

    obligations des parties en labsence daccord explicite sur des rgles contraires (Craswell, 2000, p.1).

    Cette notion est suffisamment floue pour quelle mrite quon sy attarde. Elle figure rarement

    dans les ouvrages de Contract Law des Etats-Unis, ce qui signifie quelle nest pas une catgorie du

    droit positif amricain, dautant plus quelle est absente des Restatements of Contracts ; elle nest pas

    voque dans le Contracts de Calamari et Perillo (1999), et ne figure que dans une note infrapaginale

    du Contracts, Cases and Materials de Farnsworth et Young (1995). Seuls Rhower et Skroki traitent

    explicitement de cette notion dans le chapitre consacr linterprtation des contrats de leur Contracts

    (2000). Ces deux auteurs les dfinissent dans les termes suivants : il existe des clauses

    contractuelles que le droit impose simplement du fait que les parties ne les ont pas tablies. Ces clauses

    sont appelles default rules (appliques seulement par dfaut lorsque les intentions des parties ne

    peuvent pas tre trouves dans leur accord), ou gap fillers (Rohwer et Skroki, 2000, p. 261).

    Les Default Rules sont intimement lies linterprtation judiciaire des contrats ; en droit

    franais, elles dsignent donc les rgles applicables dans les silences du contrat, en rfrence au rgime

    lgal qui simpose dfaut de clause contractuelle contraire ; en droit des Etats-Unis, elles salimentent

    plusieurs sources : la reconstruction, par le juge, de ce quauraient prvu les parties si elles avaient

    pris la peine de sentendre, les usages professionnels, et lquivalent de notre rgime lgal, tel que

    lexpriment les Restatements of Contracts et lUniform Commercial Code.

    Un certain nombre de travaux dconomistes et de juristes ont t raliss sur les effets des

    rgles suppltives sur la rduction, ou la gestion de lincompltude dans les contrats privs. Le

    problme pos est celui de ltablissement daccords contractuels aussi complets que possibles, compte

    tenu du fait que les cots de ngociation sont dautant plus levs que les parties laborent des contrats

    prcis : lefficacit de la ngociation est conditionne par le rapport entre le cot de la ngociation et

    les gains esprs de lactivation des clauses labores, compte tenu du rapport des parties au risque et

    de la probabilit de survenance dun vnement dont les consquences sur le contrat ne sont pas

    prvues ex ante.

    Sans rsumer ces analyses dans le dtail, une thse mrite attention : le juge est un acteur qui incite

    llaboration de contrats prcis. En effet, lanticipation dune sanction, par le juge, des contrats qui nen

    remettent trop largement au rgime suppltif, est en effet un moyen dinciter les parties laborer des

    clauses prcises. Pour deux conomistes qui font rfrence en la matire, Ayres et Gertner (1989), les

    cots de < page 18 > transaction qui affectent les accords contractuels sont une source dterminante de

  • 7

    leur incompltude 6. Or, lincompltude peut conduire les contrats devant le juge judiciaire ; tout se

    passe comme si les carences des parties dans llaboration de leur accord contractuel revenaient

    transfrer ex post au juge judiciaire la charge de l'amlioration du contenu de l'accord, alors quelle

    aurait pu tre assure ex ante si les parties avaient pris la peine de ngocier srieusement. La solution

    retenue par Ayres et Gertner est que le tribunal pnalise, sous la forme de pnalits de dfaut, les

    parties entre lesquelles nat un contentieux qui aurait pu tre prvenu ex ante par une laboration plus

    complte des clauses du contrat. La perspective de cette pnalit inciterait la ngociation, mais elle

    aurait une vertu supplmentaire : elle inciterait la divulgation ex ante d'informations lors de la

    conclusion de l'accord, de la part de la partie la mieux informe, qui aurait pu tre tente de tirer un

    avantage ind de la transaction grce au flou des clauses du contrat.

    Par ailleurs, lobjet juridique tangible auquel se rapporte la littrature brivement voque ci-

    dessus est linterprtation judiciaire des contrats dans lesquels un dsaccord sur les obligations des co-

    contractants ncessite un acte dinterprtation, soit sur lexistence dune obligation, soit sur son

    contenu. En tout tat de cause, il est raisonnable de penser quil nexiste pas de compltude ou

    dincompltude en soi, mais des contextes de discussion des obligations par des parties en situation,

    lune delles prenant prtexte de labsence daccord exprs ou de la prsence dambiguts dune clause

    pour se dfaire dune obligation ou des consquences de sa non-excution. De ce point de vue, on peut

    approuver lide de Cohen que dans une certaine mesure, toute dispute contractuelle implique des

    questions dinterprtation et de clauses implicites. (Cohen, 2001 p. 79).

    2.2. Lincompltude : de la ncessit de traduire une catgorie conomique en dispositifs

    juridiques

    Certains juristes estiment que lincompltude, et son double quest la compltude, sont des

    notions qui posent davantage de problmes quelles ne permettent den rsoudre (par ex. Cohen, 2001 ;

    Muir-Watt, 1999) 7.

    Que signifie, en pratique, lincompltude dans la traduction et la mise en forme quen donnent

    le droit ? Du fait que la notion de compltude ou dincompltude ne sont pas des catgories juridiques,

    il convient de traduire, dans le langage des dispositifs, les supports de la gestion, en droit, de plusieurs

    sries de proprits :

    < page 19 >

    - les asymtries informationnelles ex ante entre co-contractants. En ce sens, lincompltude

    exprime lexistence dun rapport dsquilibr autres les parties au contrat, lune bnficiant

    dune information prive dont elle peut tirer un avantage indu par un comportement

    opportuniste. Le droit des obligations offre des ressources pour que les parties rduisent a

    priori la probabilit dune utilisation opportuniste de linformation prive, que ce soit par

    6 Pour une analyse critique, voir Horatia Muir-Watt, Du contrat relationnel . Rponse Franois Ost, in : Association

    Henri Capitant des amis de la culture juridique franaise, La relativit du contrat, LGDJ, 1999, pp. 169-179.

    7 G. Cohen estime que : Lanalyse conomique du droit des contrats a tendu prendre comme point de dpart le concept

    idalis de contrat complet, en dpit du fait que cette notion a vraisemblablement engendr davantage de confusion que de

    clart. (Cohen, 2001, p. 79).

  • 8

    lobligation faite aux parties de sen tenir la bonne foi (ou la loyaut), par la sanction du

    dol, ou par les effets information-forcing de certaines rgles dajustement des

    obligations en cours dexcution. Ainsi, dans ce dernier cas, imaginons quune disposition

    lgale de droit commun ne prvoie pas dindemnisation de lacheteur victime de

    linexcution de son co-contractant ; lacheteur peut tre victime dune rupture abusive, non

    efficace (au sens o le gain de la rupture est infrieur au cot support par lacheteur) et la

    conclusion du contrat est entche par une mauvaise connaissance du type de vendeur

    qui lacheteur pense confier un contrat (par exemple : sa propension ne pas respecter ses

    obligations et rompre le contrat). La rvlation du type peut tre assure lorsque

    lacheteur propose des clauses contractuelles de rparation du dommage quinduirait une

    rupture unilatrale du contrat par le vendeur, dont le montant peut par itration successive

    au cours de la ngociation tre une approximation fiable du gain de linexcution : ainsi, la

    ngociation est information forcing dans la mesure o elle force le vendeur rvler les

    caractristiques de son type.

    - la connaissance imparfaite des tats du monde futurs est aussi une modalit dexpression de

    lincompltude. Cette connaissance imparfaite porte, non pas sur le comportement futur du

    co-contractant, mais sur des variables extrieures la relation entre les parties (le prix des

    matires premires, des entrants, de lnergie, la fiabilit des fournisseurs, etc). Ces

    ventualits ne sont pas sans tre trangres au monde du droit ; ainsi, le code civil franais

    connat les obligations conditionnelles (art. 1181), le droit des contrats administratifs, les

    formules de prix rvisable, etc. et la jurisprudence, civile comme administrative, dgagent

    des rgles dinterprtation des obligations en prsence dune modification de

    lenvironnement conomique dont la partie qui cherche se dsengager dune obligation

    allgue lexistence.

    - enfin, lincompltude peut tre un produit mixant des lments extrieurs et objectifs et des

    lments intrieurs et subjectifs, cest--dire limprvisibilit des contingences de

    lenvironnement et une connaissance imparfaite du comportement du co-contractant en

    cours dexcution. L encore, ces situations ne sont pas trangres au monde du droit, qui

    leur applique les procds de traitement voqus dans les deux premiers cas tudis (les

    standards de bonne foi, les techniques de rvision et de redtermination des obligations, et

    linterprtation judiciaire des obligations).

    En dfinitive, lincompltude pose deux grandes sries de questions qui peuvent tre traites du

    point de vue, non du monde abstrait de la thorie conomique formelle, mais du droit positif des

    obligations :

    < page 20 >

    a) serait complet un contrat qui ne pose pas de problme dinterprtation et nimplique pas la

    mise en uvre de rgles supposes crites. Dans ces conditions, force serait dadmettre que

    les contrats non litigieux sont des contrats complets, et que lincompltude nest pas une

    proprit en soi des contrats, mais lexpression de la contestation dune obligation qui lui est

    prte par une partie.

    b) Si on admet que lincompltude pose le problme de la viabilit du maintien dune

    obligation alors que lenvironnement du contrat ou les conditions de son excution ont t

  • 9

    altrs depuis sa conclusion, alors il faut sintresser aux procds juridiques qui organisent

    le traitement de ces cas de figure : dune part, les conditions suspensives de lobligation

    (force majeure, impossibility, excuse, mutual mistake, commercial impracticability) et,

    dautre part, les dispositions relatives aux consquences (notamment financires) de

    linexcution de lobligation. En dautres termes, si lon admet que lincompltude pose le

    problme de lajustement de lconomie du contrat aux vnements non prvus survenant

    en cours dexcution, alors il serait judicieux que les conomistes sintressent aux

    obligations conditionnelles et aux rgles positives relatives la rengociation des accords,

    en termes de prix, de dlais, et de quantits 8.

    2.3. Incompltude et imprvision : de faux amis ?

    Certains conomistes franais concluent, trop rapidement notre sens, que la common law a des

    vertus que le droit civil franais na pas quant la souplesse des ajustements des contrats en cours

    dexcution, dans un environnement toujours changeant. Ainsi, Brousseau (2001) expose que la

    rengociation des contrats serait considre comme une source defficience dans la common law des

    Etats-Unis ; la notion dincompltude des contrats serait reue dans le systme judiciaire amricain

    comme exprimant une forme normale des relations contractuelles, ouvrant la voie la mise en uvre

    de clauses de rengociations, de clauses dajustement et linterprtation judiciaire des contrats. A

    contrario, selon cet auteur, le droit franais des contrats serait hostile lincompltude des contrats,

    leur rengociation, et linterprtation judiciaire :

    - les contrats sont supposs tre assez complets, au sens o ils doivent tablir des

    obligations de manire dtaille lorsque les rgles suppltives gnrales ne sappliquent pas

    (Brousseau, 2001, p. 86) ;

    < page 21 >

    - les tribunaux franais sont plus rticents que les tribunaux amricains autoriser les

    parties co-contractantes rengocier leurs engagements (ibid., p. 84).

    Cet auteur ajoute que jusquau milieu des annes 1980, les contrats incomplets taient

    considrs comme juridiquement nuls , et prend appui sur lexemple des contrats de distribution

    long terme dans lesquels les prix ntaient pas tablis. Cette assimilation de lincompltude et de

    labsence de prix introduit une confusion entre une caractristique de la relation (lincertitude et

    labsence de probabilisation des vnements futurs) et une source de nullit du contrat (labsence de

    prix). Ainsi, le droit amricain des contrats et le droit franais des obligations illustreraient des

    mcanismes spcifiques de construction juridique du monde : le premier serait le domaine des contrats

    incomplets, ouvrant la voie la possibilit de rengociations ex post des engagements pris ex ante, et

    8 De ce point de vue, il faut signaler le dveloppement de travaux qui, en droit priv, vont dans ce sens, notamment au

    regard de lexpansion des contrats dits relationnels : H. Bouthinon-Dumas, Les contrats relationnels et la thorie de

    limprvision, RIDE, n3, 2001 et Horatia Muir Watt, Analyse conomique et perspective solidariste, 2001, paratre.

    En droit public, on considrera avec attention la thse de doctorat que Laurent Vidal consacre lquilibre financier du

    contrat administratif, et qui en tudie les fondements travers le double prisme de la jurisprudence du Conseil dEtat et des

    cahiers des clauses administratives gnrales (thse soutenir en janvier 2003 sous la direction de Mme Brchon-Moulnes

    lUniversit de Paris I).

  • 10

    donnant ainsi lieu une flexibilit des contrats ; le deuxime serait du domaine des contrats complets,

    forant lexcution ex post des engagements tels quils ont t formuls ex ante, tablissant alors une

    crdibilit des engagements au prix, cependant, dune rigidit des contrats (Brousseau, 2001, p. 84).

    Sans nous attarder sur cet auteur, nous estimons que lincompltude doit tre, simplement,

    considre comme lexpression dune texture ouverte des contrats, du fait du temps et de

    limprvisibilit du futur. Le vritable problme pos est celui des dispositifs juridiques par lesquels les

    parties peuvent organiser le traitement de leurs obligations futures en cas de survenance dalas, et les

    tribunaux interprter ces obligations dans un cadre contentieux. Mais est-elle synonyme de

    limprvision des juristes, comme Mnard semble ladmettre ?

    Avant de considrer quimprvision et incompltude sont des synonymes, il serait judicieux de

    saisir le sens de la premire notion et de faire le point du droit positif sur ladaptation des contrats la

    survenance dvnements non prvus.

    Limprvision est une catgorie produite par la jurisprudence civile et la jurisprudence

    administrative, qui ont en fait des usages diffrents ; ainsi, limprvision de la jurisprudence civile,

    amorce par laffaire Canal de Craponne en 1876, na de sens quau regard de la position des tribunaux

    en matire de rfaction de contrats privs marqus par des changements de circonstances (Malaurie et

    Ayns, 1990, 617). La jurisprudence de la Cour de cassation sest fixe sur la garantie de la force

    obligatoire des contrats, qui implique labsence de pouvoir du juge judiciaire de modifier des clauses

    contractuelles ; cela ne signifie pas pour autant que le juge impose aux parties lexcution stricte de

    leurs obligations. Les parties demeurent matresses de ladaptation de leur accord aux circonstances

    conomiques, compte tenu de leur mutus dissensus. Rien ne permet donc daffirmer, comme Brousseau

    le suggre, que les tribunaux franais sont rticents face la rengociation par les parties de leur accord

    contractuel. On peut galement souligner lerreur dinterprtation de Mnard, qui affirme lexistence

    dun pouvoir discrtionnaire du juridique lgard des contrats, de leur rengociation, de leur

    rvision ou de leur rsiliation, < page 22 >qui conforte lide dune importance dcisive et irrmdiable de lincompltude dans les contrats de longue dure. (Mnard, 2001, p. 11). On ne voit

    pas que ce peut avoir de discrtionnaire lintervention du juridique lorsque les tribunaux sont saisis par

    un co-contractant cherchant faire valoir une prtention lencontre dune autre partie ; on ne voit,

    dans le droit positif, de tels pouvoirs du juge judiciaire en matire contractuelle.

    En matire administrative, limprvision a t pose dans larrt Compagnie dclairage de

    Bordeaux en 1916, qui a demble marqu la spcificit des contrats administratifs par rapport aux

    contrats privs : lexcution du service public (de Laubadre, 1953, 830). Nous reviendrons

    ultrieurement sur limprvision en droit administratif, mais il nous parat justifi dvoquer les

    proccs juridiques de gestion de limprvisibilit du futur. Dans le domaine du droit priv, notre

    connaissance, aucune analyse conomique de lincompltude des contrats na t ce jour ralise sur

    des techniques juridiques importantes, comme : les contrats obligations conditionnelles (notamment

    les conditions suspensives), les contrats alatoires, ou, plus simplement, les procds de rvision des

    prix dans les contrats excution successive. De la mme, en droit des contrats administratifs, les

    mcanismes de rvision des prix prvus dans les cahiers des clauses administratives gnrales, les

    procds de dfinition des prix de rglement dans les contrats prix rvisables ou ajustables, pourraient

    tre considrs avec attention. Enfin, limprvision ne peut tre apprhende comme lexpression

    juridique de lincertitude, indpendamment dautres concepts juridiques tels que : la force majeure, les

    sujtions imprvues, et en droit des Etats-Unis, la consideration, lestoppel, ou la parole evidence rule.

  • 11

    Il existe donc des procds juridique de gestion de lincertitude du futur, sur lesquels lattention

    des conomistes ne sera pas susceptible dtre concentre aussi longtemps que ces derniers prendront

    comme vision du monde celle de contrats complets ou incomplets, en tous cas isols de leur

    contexte juridique et rduits de purs accords inter-individuels.

    3. COMMENT TRADUIRE JURIDIQUEMENT ET EMPIRIQUEMENT LE PROBLEME DE LINCERTITUDE DU FUTUR?

    Du point de lconomiste, incertitude et incompltude fonctionnent ensemble : lincertitude du

    futur engendre lincompltude des contrats, incapables de prvoir de manire exhaustive la liste des

    tats du monde pouvant survenir dans les relations de longue dure. La traduction juridique, empirique

    de ces notions, nest pas chose aise ; nous en proposons ici quelques orientations possibles.

    Les contrats privs, en tant que loi des parties et que rgis par le code civil, sont de la

    comptence du juge judiciaire ; ils sont gnrateurs dobligations mutuellement consenties. Les

    contrats administratifs ne relvent pas dune mme logique, au regard < page 23 >du fait quils sont linstrument de laction publique, ou de lexcution du service public. Ils sont le produit dune

    rglementation plus large, contenue dans le code des marchs publics, dans les textes rglementaires

    spciaux des dpartements ministriels, et dans des textes non rglementaires qui constituent

    nanmoins une importante rfrence, tels les cahiers des clauses administratives gnrales et les cahiers

    des clauses comptables gnrales.

    Le code des marchs publics et la jurisprudence administrative usent, dans les contrats

    administratifs, dune notion dconomie gnrale du contrat, inconnue du juge judiciaire (Frison-

    Roche, 2002) conflit avec lautorit publique au titre des conditions financires dexcution de contrats

    se traduisant par des dpassements de prix ou des retards de livraison.

    Nous voquerons dans ce qui suit les dispositifs de droit priv, avant de prsenter les rsultats

    dune tude empirique de largument dimprvision dans la jurisprudence administrative.

    3.1. Incompltude informationnelle et compltude juridique

    Deux remarques importantes peuvent tre formules sur lincertitude du point de vue de

    lconomie :

    - il est usuel de distinguer entre le risque et lincertitude : depuis Knight (1921), le risque est

    dfini comme un vnement probabilisable, alors que lincertitude relve du non-

    probabilisable ;

    - lincertitude, au sens de fondement de lincompltude entendue comme dfaut de

    prvisibilit du futur, est associe par les conomistes des contrats la ncessit de

    mcanismes dajustement des relations en cours dexcution.

    Nous voudrions souligner ici que lincompltude des contrats, au sens conomique, nen

    entrane pas, ni logiquement, ni empiriquement, lquivalent sur le plan juridique ; un contrat incomplet

    peut tre un contrat juridiquement complet. Prcisons cette ide, en distinguant entre deux types

    dvnements du droit positif : lvnement connu dont la survenance est incertaine, et lvnement

  • 12

    non connu. Cette distinction peut tre traduite en termes dvnements risqus et dvnement

    incertains. Ainsi, un contrat dassurance sinscrit dans un contexte dvnements connus, mais dont la

    survenance est incertaine ; un contrat administratif connaissant la survenance dun vnement de force

    majeure relve du deuxime type. Dans les deux cas, le droit positif organise les effets juridiques de ces

    diffrents vnements. Cette organisation juridique des effets des vnements, anticipables par les

    parties, permet de qualifier les contrats de complets : lvnement non prvu, quil soit dun type connu

    ou non, ne met pas les parties cocontractantes dans une incertitude radicale quant leurs obligations

    respectives.

    < page 24 >

    3.2. Les dispositifs du droit priv

    Si le droit priv nest pas dmuni face lincertitude du futur, il nous faut prciser les moyens

    que les dispositifs du droit priv franais mettent disposition des acteurs qui sengagent dans des

    contrats de longue dure. Sans prtendre lexhaustivit, nous en signalons quelques uns :

    - les articles 1168 1184 du Code civil relatifs aux obligations conditionnelles, comprennent un

    certain nombre de dispositions relatives la condition suspensive, cest--dire lobligation qui

    dpend, selon larticle 1181 du Code civil, dun vnement futur et incertain, ou dun vnement

    actuellement arriv, mais encore inconnu des parties ; lincompltude, au sens dimprvisibilit de

    lavenir, est une catgorie objet de dispositions de droit positif, comme larticle 1168 qui prvoit que :

    Lobligation est conditionnelle lorsquon la fait dpendre dun vnement futur et incertain, soit en la

    suspendant jusqu ce que lvnement arrive, soit en la rsiliant, selon que lvnement arrivera ou

    narrivera pas. (art. 1168 c. civ.)

    - Les contrats alatoires de larticle 1104 du Code civil portent galement sur le domaine des

    vnements incertains :

    Lorsque lquivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour chacune des parties, daprs un

    vnement incertain, le contrat est alatoire. (art. 11042 C.civ).

    - Les vnements qui relvent de la force majeure ou du cas fortuit sont voqus dans larticle

    1148 du Code civil, qui dispense le dbiteur de dommages et intrts pour inexcution de lobligation

    dans ces cas de figure.

    Plus prcisment, la modification des conditions dexcution des contrats lorsquils connaissent

    une transformation des circonstances qui avaient prsid leur conclusion ne se laisse pas enfermer

    dans une logique dexclusion dfinitive de limprvision par le juge judiciaire. Certes, la jurisprudence

    civile a condamn la thse de limprvision : Attendu que si, aux termes de larticle 1135 C. civ.,

    lquit ou lusage doivent tre pris en considration pour linterprtation des contrats et des suites

    quils comportent, le juge nen saurait faire tat pour soustraire lun des contractants

    laccomplissement des engagements clairs et prcis, quil a librement assum. (Civ., 2 dcembre

    1947, Gaz. Pal. 1948.1.25). Mais, pour autant, des exceptions doivent tre signales (Malaurie et

    Ayns, 1990, 621):

  • 13

    - lapplication de clauses contractuelles de rvision des prestations contractuelles en cours

    dexcution (utilisation dune clause dchelle mobile, rengociation des contrats en cours

    dexcution) ;

    - le recours des clauses de sauvegarde (hardship) par lesquelles les parties peuvent prendre

    linitiative dune rengociation du contrat lorsque les prestations contractuelles deviennent

    dsquilibres ;

    < page 25 >

    - lassujetissement des contrats des dispositions lgislatives qui fixent les termes de la

    rvision des prix (rentes viagres, baux commerciaux).

    Le droit priv franais nest donc pas absent du terrain de la gestion de lincompltude : ds

    lors, si lon admet que les contrats ne sont pas des algorithmes informatiques, comme nous lavons

    signal prcdemment, on ne devrait pas trouver source tonnement dans le fait que linterprtation

    judiciaire existe bel et bien, et constitue un procd normal, non pathologique, de statuer sur lexistence

    dune obligation dont une partie tente de se dgager, ou sur la compensation financire dune obligation

    supplmentaire celles convenues contractuellement.

    Linterprtation des contrats est traite dans les articles 1156 1164 du Code civil relatifs

    linterprtation des conventions : elle est place sous le rgne du principe de la recherche de la

    commune volont des parties (Mazeaud, Mazeaud et Chabas, 1998, p.333 342) ; larticle 1156

    dispose que on doit dans les conventions rechercher quelle a t la commune intention des parties

    contractantes, plutt que de sarrter au sens littral des termes ; dfaut de pouvoir dceler ce quon

    voulu les contractants, le juge est invit recourir des rgles subsidiaires, lusage ou lquit. 9

    Les mthodes dinterprtation sont selon les spcialistes fondes sur lintention des parties, leur

    dclaration de volont, ce qui limiterait les intrusions du juge dans les affaires contractuelles ; le

    besoin dinterprtation ne survient quen prsence dun texte obscur ou ambigu. Le Code civil dispose

    que Ce qui est ambigu sinterprte par ce qui est dusage dans le pays o le contrat est pass (art.

    1159 C. civ.), et que On doit suppler dans le contrat les clauses qui sont dusage, quoiquelles ny

    soient pas exprimes (art. 1160 C. civ.). Dans ce dernier cas, le recours la loi, lquit ou lusage

    est pens comme suppltif.

    Nous partageons, finalement, le sentiment exprim par E. Serverin qui affirme que

    prendre au srieux le droit des contrats, on ne peut que conclure louverture de ce type dinstrument

    sur un monde juridiquement complexe fait de rgles tatiques, de conventions caractre collectif, et

    dintrts juridiquement protgs. Au sens du droit, le contrat existe non pas en dpit de, mais par le

    fait mme quil oblige, dans des limites qui ne sont pas entirement dtermines par la volont des

    parties. Cest mme cette ouverture qui permet denvisager la possibilit dun rglement en situation

    de conflit (Serverin, 1996).

    9 Or, il peut tre signal que le droit amricain des contrats prsente, contrairement ce quaffirment aussi bien Mnard

    (2001) que Brousseau (2001), dtroites affinits avec le droit franais en matire dinterprtation ; ainsi, le Restatement of

    Contracts, Section 201(1) propose que le juge doit rechercher lintention subjective des parties.

  • 14

    < page 26 >

    3.3. Limprvision en droit des contrats administratifs : une tude empirique

    Il est notre sens dlicat de traiter de limprvision en gnral ; il convient en effet de prciser

    lanalyse un niveau plus fin que celui des contrats administratifs en gnral, cest--dire en fonction

    des formules de prix contractuel (forfaitaire ou bas sur les cots, ou ferme, ajustable ou rvisable) et

    des types de march concerns, appellant la mise en uvre de CCAG diffrencis (marchs de travaux,

    marchs de fourniture courante, marchs industriels, marchs de prestations intellectuelles).

    Le problme de limprvision a fait lobjet dune circulaire du Premier ministre et du ministre

    de lconomie des finances du 20 novembre 1974 relative lindemnisation des titulaires de marchs

    publics en cas daccroissement imprvisible de leurs charges conomiques (J.O. du 30 novembre 1974,

    p. 11971). Quatre aspects du contenu de cette circulaire nous paraissent mriter attention :

    - si la force majeure est distingue de limprvision, il est admis quun vnement de force

    majeure peut conduire rendre lexcution du contrat si onreuse quelle en bouleverse

    lconomie et ouvre, ainsi, droit au titulaire de demander quil soit fait application de la

    thorie de limprvision ;

    - lapplication de la thorie de limprvision est exclue dans le cas des marchs comportant un

    mcanisme de rajustement des prix en fonction de la conjoncture conomique, sauf si la

    formule de rvision nempche pas le bouleversement de lconomie du contrat ;

    - limprvision suppose la runion de trois lments: (a) le caractre non raisonnablement

    prvisible de lvnement perturbateur, (b) le fait que cet vnement soit indpendant de la

    volont du titulaire et se soit impos lui, (c) le fait que lvnement ait occasionn des

    charges supplmentaires, extra-contractuelles, entranant le bouleversement de lconomie

    du contrat.

    - enfin, la circulaire invite ladministration viter, autant que possible, les procdures

    contentieuses et sefforcer de donner une solution amiable aux demandes qui lui

    paraissent incontestablement justifies.

    Ainsi, la circulaire de 1974 contribue renforcer la texture ouverte de la thorie de

    limprvision : elle ne proscrit pas largument dimprvision de la part de titulaires de march prix

    ajustable ou rvisable et confirme le pouvoir discrtionnaire des autorits contractantes en matire

    dapprciation de la justesse des rclamations des titulaires et de suites leur donner. Dans ces

    conditions, il est raisonnable de penser que les demandes dindemnit dimprvision font lobjet de

    solutions non contentieuses, donc inobservables : les dcisions des personnes responsables et du comit

    de rglement amiable des litiges dans les marchs ne sont pas publiques, donc pas publies. Reste quil

    est possible dobserver la jurisprudence administrative sur limprvision.

    < page 27 >

    A ce propos, nous avons pu identifier 55 arrts du Conseil dEtat et des cours administratives

    dappel contenant au moins un fois le mot imprvision sur la base de donnes Lamyline.

    Loccurrence de la notion dimprvision est toujours situe dans lexamen par la juridiction du moyen

  • 15

    avanc par la partie requrante, en vue dobtenir une compensation de charges prsentes par elle

    comme extra-contractuelles, sous la forme dune indemnit dimprvision.

    Les 55 arrts identifis, qui stendent sur la priode dcembre1964-mars 2001, comprennent 12

    arrts de cours administratives dappel et 43 arrts du Conseil dEtat. Ils sont lis des disputes

    opposant lautorit publique aux titulaires de marchs publics ou de concession de service public, qui

    donnent lieu la revendication dune crance dune partie (essentiellement les titulaires) sur lautre, au

    titre de difficults rencontres dans lexcution du march ou de la concession. Nous avons procd

    la constitution dune base de donnes partir dun codage en plusieurs variables, qualitatives et

    quantitatives, en vue de mesurer empiriquement :

    - le traitement par les juridictions administratives dappel des demandes de compensation de

    surcots subis par les titulaires au cours de lexcution des contrats administratifs,

    - laccueil rserv par ces juridictions largument dimprvision avanc par les titulaires de

    march en conflit avec lautorit publique.

    En premire approche, nous pouvons tablir un tableau indiquant les profils conomiques du

    contentieux entre les titulaires de marchs ou de concessions et lautorit publique, par type de domaine

    technique concern. La variable conomie du litige a t dfinie en termes matriels, cest--dire au

    contenu conomique de la requte forme devant le juge administratif. La modalit supplment de

    rmunration demand par le fournisseur (SR/F) est un indicateur synthtique des requtes incluant la

    revendication dune crance sur lautorit publique, qui agrge : (a) les demandes de rvision du prix ;

    (b) les demandes de modification de la formule de rvision du prix, (c), les demandes dindemnit

    dimprvision pour charges extra-contractuelles non prvues, (d) les demandes de compensation des

    charges subies du fait de laction de lautorit publique (retards dexcution et modification des

    quantits imputables du fait de lautorit publique).

    Le tableau 2 montre la forte concentration des actions en compensation de surcots ou de

    rentabilit effective infrieure la rentabilit escompte de la part des titulaires, dans des marchs de

    travaux (construction et gnie civil). Le contentieux dans les six marchs de fourniture est sur-

    reprsent, au regard du fait que trois affaires concernent trois fournisseurs de vtements militaires

    ayant actionn les mmes moyens contre une mme partie (arrts Etablissements Truquin,

    Etablissements Lardire, Etablissements Blotire rendus par le Conseil dEtat le 13 juillet 1965).

  • 16

    < page 28 >

    TABLEAU 2 PROFILS DE LITIGES EN FONCTION DES DOMAINES TECHNIQUES

    conomie du litige domaine technique compensation

    cots d'expertise

    compensation

    licenciement

    prix rachat de

    concession

    redevance rsiliation SR/F (supplment

    de rmunration

    demand par le

    fournisseur)

    Total

    concession parking 2 2

    concession march 1 1

    concession ordures 1 1

    concession patinoire 1 1 2

    concession port 1 1

    concession transport 3 3

    construction 22 22

    distribution de gaz 1 1

    enlvt pave navale 1 1

    entretien 1 1

    fourniture 6 6

    Gnie civil 1 6 7

    honoraires architecte 2 2

    Non connu 1 1

    police des mines 1 1

    sous-concession 1 1

    titularisation agent 2 2

    Total 1 2 1 1 2 48 55

    Le tableau 3 montre, dune part, que les arrts des juridictions dappel confirment

    majoritairement les dcisions des juges infrieurs lorsque ces derniers ne donnent pas raison la

    contestation avance par les titulaires de marchs et, dautre part, que les arrts des cours

    administratives dappel et du Conseil dEtat renversent parfois les arrts des juges infrieurs favorables

    aux titulaires.

    Largument dimprvision est systmatiquement avanc par les titulaires de march dans leur

    requte devant le Conseil dEtat ou les Cours administratives dappel. Lanalyse des 55 arrts identifis

    a permis de faire apparatre laccueil

  • 17

    < page 29 >

    TABLEAU 3 DECISIONS DES COURS ADMINISTRATIVES DAPPEL ET DU CONSEIL DETAT AU REGARD DES

    ARRETS ATTAQUES

    Dcision (Conseil dEtat ou cours administratives dappel) arrt attaqu (arrt de TA ou de CAA)

    Acceptation de la

    demande de

    compensation

    formule par

    lautorit publique

    Acceptation de la

    demande de

    compensation

    formule par le

    titulaire du

    march

    Rejet total de la

    demande de

    compensation

    formule par le

    titulaire du

    march

    Acceptation/rejet

    partiels de la

    demande

    Dcision

    dexpertise

    avant dire droit

    Arrt

    procdural

    Total

    Acceptation/rejet

    partiels de la

    requte

    1 3 3 7

    Acceptation totale

    de la requte du

    titulaire du

    march

    7 3 1 11

    Rejet total de la

    requte du

    titulaire du

    march

    1 2 27 4 1 35

    Arrt de

    confirmation

    1 1

    Arrt prfectoral 1 1

    Total 1 11 33 7 2 1 55

  • 18

    < page 30 >

    rserv par le Conseil dEtat et des cours administratives dappel largument dimprvision avanc

    par les parties rqurantes. Nous avons procd au codage des arrts sur ce point en distinguant entre

    les arguments reus (V-valid), rejets (NV-non valid), les quelques occurrences (rares) du mot

    imprvision hors contexte dcisionnel (NP- non pertinent dans larrt), et les rares cas o le traitement

    est indtermin (ND- non dtermin). Le tableau 4 montre les rsultats du croisement entre la variable

    argument dimprvision et le contenu matriel de larrt pour la partie requrante.

    TABLEAU 4 LACCUEIL DE LARGUMENT DIMPREVISION PAR LES CAA ET LE CONSEIL DETAT AU

    REGARD DU CONTENU DE LARRET RENDU

    argument dimprvision dcision Non

    dtermin

    (ND)

    Non pertinent

    (NP)

    Non valid

    (NV)

    Valid

    (V)

    Total

    Acceptation de la demande de

    compensation formule par

    lautorit publique

    1 1

    Acceptation de la demande de

    compensation formule par le

    titulaire du march

    10 1 11

    Rejet total de la demande de

    compensation formule par le

    titulaire du march

    1 32 33

    Acceptation/rejet partiels de la

    demande 1 6 7

    Dcision dexpertise avant

    dire droit 2 2

    Arrt procdural 1 1

    Total 1 2 51 1 55

    Le tableau 4 fait apparatre que la position des juridictions administratives dappel est

    extrmement rserve sur largument dimprvision avanc par les titulaires de marchs ou de

    concession : sur 55 arrts analyss, seul un valide cet argument, alors que 51 le rejettent clairement. Les

    dcisions dattribution dune indemnit dimprvision confirment ce constat (tableau 5). Le seul arrt

    donnant droit un argument dimprvision est larrt n 27.208 du 2 janvier 1982 Socit entreprise

    Quillery-Saint-Maur. Cet arrt est rendu en rponse une requte de lentreprise de rformer

    < page 31 > le jugement du tribunal administratif condamnant lEtat lui verser une indemnit de 230.000F quelle estime insuffisante au titre de limprvision dans lexcution dun march pass avec

    le ministre de la jeunesse et des sports ; dans larrt du Conseil dEtat, le juge administratif estime que

    considrant quil appartient au juge administratif de statuer sur le montant de lindemnit

    dimprvision laquelle lentreprise requrante peut faire tat, et du caractre partiellement prvisible

    de ce surcrot de charges, il sera fait une juste apprciation de lindemnit due lentreprise requrante

    en lvaluant 300.000 F. .

    Il importe de signaler que le Conseil dEtat limite le recours limprvision en toffant

    lutilisation des sujtions imprvues ou de la force majeure ; larrt du 2 dcembre 1964 Port autonome

    de Bordeaux en est une illustration. Cet arrt rejetait une contestation par le Port autonome de sa

  • 19

    condamnation par le tribunal administratif de Bordeaux verser la Compagnie de remorquage et de

    sauvetage les abeilles un supplment de rmunration pour sujtions imprvues et circonstances

    atmosphriques exceptionnelles prsentant un caractre de force majeure auxquelles la Compagnie a

    t confronte lors de lexcution dune convention denlvement dpaves. La compagnie tait par

    ailleurs lauteur dun recours incident pour contester la dcision du tribunal administratif doprer un

    abattement de 10% sur les sommes dont le Port autonome de Bordeaux a t considre dbitrice,

    faisant ainsi supporter la compagnie un dixime de la charge extracontractuelle. A ce propos, le

    Conseil dEtat, faisant fi de limprvision, donne tort au juge administratif davoir procd une telle

    rfaction :

    Considrant que le supplment de rmunration allou la compagnie par le tribunal administratif

    tend, non tenir compte des charges extracontractuelles rsultant pour elle dune situation

    dimprvision, mais rparer les consquences onreuses de sujtions imprvues et de circonstances de

    force majeure quelle a rencontres dans lexcution des travaux ; que, ds lors, en labsence de faute

    releve sa charge, lindemnit laquelle elle pouvait prtendre devait couvrir lensemble du prjudice

    quelle avait subi ; quil suit de l que la compagnie est fonde soutenir que cest tort quele

    tribunal administratif a laiss sa charge une part dudit prjudice.

    Enfin, pour complter le tableau, nous avons pu identifier 39 arrts contenant une information

    quantitative sur les montants montaires des crances dont les parties concernes sestiment tre

    titulaire et ceux des montants allous au terme de la procdure contentieuse devant les juridictions

    administratives, cest--dire aprs la promulgation de larrt du Conseil dEtat ou de la Cour

    administrative dappel. Le tableau 6 prsente les principales variables pertinentes pour apprcier les

    donnes quantitatives.

    < page 32 >

    TABLEAU 5 DECISION DATTRIBUTION DUNE INDEMNITE DIMPREVISION AU REGARD DE LECONOMIE

    DU LITIGE

    Attribution dune indemnit d imprvision conomie du litige Refus

    dattribution

    Non pertinent

    dans larrt

    Acceptation

    dattribution

    Total

    compensation cots

    d'expertise

    1 1

    compensation

    licenciement

    2 2

    prix rachat de

    concession

    1 1

    redevance 1 1

    rsiliation 2 2

    Demande de

    supplment de

    rmunration

    43 4 1 48

    Total 50 4 1 55

  • 20

    4. LA DETERMINATION DU PRIX ET LALLOCATION DES RISQUES DANS DES CONTRATS INCOMPLETS

    Peut-on considrer avec Mnard que si les conomistes saccordent considrer que la variable

    prix joue un rle relativement secondaire par rapport dautres (telles que lexigence de livraisons

    rgulires) dans les contrats de longue dure, La Common Law semble enregistrer ce fait en

    nimposant pas de prix dtermin , alors que le droit civil impose une contrainte plus forte ? en

    affirmant cela, Mnard estime que dans le cas o [le prix] ne peut tre dfinitivement fix, le prix doit

    quand mme tre dterminable dans des conditions qui respectent la symtrie des contractants, cest--

    dire pouvoir tre dtermin par une tierce partie partir dlments indpendants de la volont des

    parties (Mnard, 2001, p. 4).

    Les questions ouvertes par ce jugement sont de deux ordres :

    - est-il vrai que le droit priv franais prohibe les contrats sans prix dtermin ?

    - est-il vrai que la dterminabilit du prix partir dlments indpendants de la volont des

    parties est un caractre exclusif du droit priv franais ?

  • 21

    < pages 33 et 34 >

    TABLEAU 6 PRETENTIONS ECONOMIQUES DE LA PARTIE REQUERANTE ET ISSUE JUDICIAIRE

    Juridiction

    domaine technique dcision

    argument imprvision

    Montant demand par le fournisseur

    Montant attribu au fournisseur

    Montant demand par l'Etat

    Montant attribu l'Etat

    CAA Bordeauxconstruction RDCF non valid 84 846, 72 0

    CAA Douai concession ordures RDCF non valid 3 421 790, 11 0

    CAA Lyon gnie civil ADCF non valid 3 765 248 356 453

    CAA Nantesfourniture RDCF non valid 820198,3 0 6000

    CAA Nanteshonoraires architecte ADCF non valid 1 745 413 88 330

    CAA Nantesconstruction ADCF non valid 14 707 164 66 120

    CAA Paris titularisation agent RDCF non valid 1 972 400 0

    CAA Paris honoraires architecte ADCF non valid 107 907, 02 85 732

    CAA Paris concession transport RDCF non valid 170 857 406 CFP 0

    CAA Paris concession transport ADCF non valid 236 076 000CFP 0

    CAA Paris construction RDCF non valid 57 880 000 CFP 0

    CAA Paris concession patinoire ADCE non valid 10 792 724, 8910 792 724, 89

    CE construction RDCF non valid 42 020,48 0

    CE fourniture RDCF non valid 53 736,50 0

    CE construction RDCF non valid 182 395,54

    CE construction RDCF non valid 194 298,67 0

    CE construction ADCF valid 230 000 300 000

    CE police des mines ADCF non valid 340 620 345 620

    CE construction RDCF non valid 360 237,80 0

    CE gnie civil RDCF non valid 365 300 0

    CE gnie civil RDCF non valid 400 000 0

    CE concession march ARPAindtermin dans l'arrt 444 162 0

    CE titularisation agent RDCF non valid 951 700 0

    CE construction RDCF non valid 2 159 343 0

    CE construction ADCF non valid 2 196 061 1 575 931

    CE construction RDCF non valid 2 549 841 0

    CE construction RDCF non valid 4 557 645 0

    CE concession parking RDCF non valid 9 728 948,50 0

    CE gnie civil RDCF non valid 60 374 038 0

    CE construction RDCF non valid 241 396 840 0

    CE construction RDCF non valid 1 422 590, 86 0

    CE gnie civil RDCF non valid 15191013 CFP 0

    CE distrib gaz EADD valid 162 463 000 AF161 895 256 AF

    CE concession transport RDCF non valid 175 056 000CFP 0

    CE construction RDCF non valid 19 033, 35 0

    CE concession parking ARPA non valid 2 616 168, 962 015 433, 77

    CE gnie civil ARPA non valid 24 405 185, 58 19 663 619

    CE construction ADCF non valid 4 997 408, 15 ##########

    CE construction ARPA non valid 490 000 kips

    AF : ancien francsCFP : francs du Pacifiquekip : monnaie du Laos

    ADCE : acceptation de la demande de compensation formule par l'autorit ARPA : arrt d'acceptation/rejet partiels de la requteEADD : renvoi une expertise avant dire droit

    CAA : cour administrative d'appelCE : Conseil d'EtatRDCF : rejet de la demande de compensation formule par le fournisseur

    ADCF : acceptation de la demande de compensation formule par le

  • 22

    < page 35 >

    4.1.La dterminabilit du prix

    En fait, le droit des Etats-Unis et le droit franais ne sont pas dans une position aussi loigne

    lun par rapport lautre que Mnard le pense : dans les deux cas, la validit du contrat exige qu

    dfaut dtre dfinitvement dtermin, le prix doit tre dterminable. De plus, lopposition dresse par

    Mnard en posant que la spcificit du droit civil tient au fait que le prix doit tre dterminable par

    une tierce partie partir dlments indpendants de la volont des parties ne rsiste pas lexamen

    du droit des Etats-Unis, qui permet galement une dtermination extrieure du prix. Ainsi,

    lUniform Commercial Code 2.305. Open Price Term prvoit que :

    (1) Les parties, si tel est leur souhait, peuvent conclure un contrat de vente mme si le prix nen nest pas

    fix. Dans un tel cas, le prix est un prix raisonnable au moment de la livraison si

    rien nest dit quant au prix ; ou

    le prix doit faire lobjet dun accord ultrieur et les parties ne trouvent pas daccord ; ou

    le prix doit tre fix en rfrence un march ou dautres standards dfinis par accord et tablis par un tiers

    ou une agence mais que le tiers ou lagence faillissent leur tablissement.

    Cet alinea de lUCC 2.305 mentionne ainsi : (a) le place du pouvoir judiciaire dans la

    dtermination du prix, partir du standards de raisonnabilit, (b) la possibilit de faire fixer la prix

    partir de some agreed market or other standard as set or recorded by a third person or agency .

    Cette disposition est somme toute proche de celle prvue par larticle 1591 du code civil :

    le prix de la vente doit tre dtermin et dsign par les parties.

    Si le dfaut de prix est une cause de nullit du contrat de vente, quelle est la position de la

    jurisprudence sur les prix non dtermin ex ante, mais dterminables ? Il semblerait quelle admettre

    que le prix puisse tre dterminable partir dlments ne dpendant plus de la volont de lune des

    parties ou de la ralisation daccords ultrieurs ; elle laisse aussi ouverte la voie de la dtermination par

    le juge du prix de la vente ou dune mthode de dtermination du prix diffrente de celle prvue au

    contrat.

    Sagissant des contrats administratifs, la possibilit existe galement de conclure des marchs

    prix non dtermin, mais dterminable, soit par le biais de prix provisoires, soit par celui de prix

    ajustables ou rvisable.

    < page 36 >

    4.2. La dtermination du prix de rglement

    En France, les recommandations ministrielles sur la dtermination des prix de rglement dans

    les marchs publics sont dfinies par voie non rglementaire, cest--dire par le biais de circulaires du

    ministre de lconomie et des finances ; cest l une diffrence majeure avec les rgles amricaines de

    dtermination du prix de rglement, qui ont valeur rglementaire et sont dfinies dans le Federal

  • 23

    Acquisition Regulation (FAR). Trois circulaires successives, dates de 1976, 1980 et 1987, donnent les

    principes que les autorits publiques sont invites suivre en matire de prix de rglement10.

    En premier lieu, les prix de rglement sont compris comme indpendants de leffort du titulaire

    du march ; cest un trait particulirement explicite pour les marchs passs avec une clause de prix

    rvisable, dans la mesure o Une formule de rvision nest pas un instrument de manipulation du prix

    de rglement et na pour seul but de prendre en compte de faon forfaitaire, en hausse comme en

    baisse, lvolution des conditions conomiques , sachant quune formule de rvision ne tient

    aucun compte des facteurs internes propres lentreprise : volution de la productivit, amlioration ou

    innovations techniques, politique de sous-traitance. (circulaire du 5 oct. 1980, III-C.2 et 3).

    En deuxime lieu, ce nest quen 1987 quapparat dans les circulaires du ministre de

    lconomie et des finances une formule de rvision applicable tous les marchs publics11, alors que

    les circulaires de 1976 et 1980 ne fournissaient un modle de formule de rvision que pour les seuls

    marchs dingnierie, et renvoyaient aux acheteurs le soin dlaborer leur propre formule au cas par

    cas. Nanmoins, la circulaire de 1987 rduit limportance du terme fixe de la formule de rvision, qui

    passe de 15% 12,5% et ce lavantage notoire des titulaires de marchs prix rvisable.

    La rglementation amricaine fixe les conditions de dtermination du prix de rglement dans un

    cadre rglementaire, traduit sous la forme de clauses-types dans les parties 52.216.2 6, et 52216.16 et

    17 du FAR ; la diffrence de la France (et de la Grande-Bretagne) la rvision des prix ne fait pas

    appel des indices ou sries de prix de rfrence, mais doit tre base sur la connaissance locale, au cas

    par cas, de la vie du contrat par la personne responsable du march.

    < page 37 >

    Les clauses 52.216.2 Economic Price Adjustment Standard Supplies et 52.216.3 Semi-

    Standard Supplies, prvoient une indexation du prix du rglement sur les prix du march du bien ou de

    son quivalent le plus proche dans le cas des Semi-Standard Supplies ; un principe de proportionnalit

    entre les variations du prix du march et celles du prix du contrat particulier est pos, toutefois dans la

    limite de 10% du prix unitaire initial ou dun prix-plafond dfini contractuellement. La clause 52.216.4

    porte sur lajustement des prix des Labor et Material, et nadmet que lajustement aux changements qui

    sont imputables au contrat, et dans les mmes limites que prcdemment. Lquivalent fonctionnel des

    rvisions de prix franaise est ici dfini dans des termes restrictifs, et dans un cadre donnant un large

    pouvoir dexpertise des donnes justificatives des demandes dajustement par les personnes

    responsables des marchs.

    Mais la rglementation amricaine accorde une grande importance la dtermination des prix

    de rglement dans les contrats prix redterminables, et plus particulirement aux contrats contenant

    un volet incitatif, dans les clauses 52.216-16 (Incentive Price Revision-Firm Target) et 52.216-17

    10 Circulaire du 10 fvrier 1976 relative la dtermination des prix de rglement dans les marchs publics, J.O. du 7 mars

    1976, p. 1492 ; circulaire du 30 octobre 1980 relative aux prix dans les marchs publics, J.O. du 20 novembre 1980, p.

    10063 ; circulaire du 5 octobre 1987 relative la dtermination des prix initiaux et des prix de rglement dans les marchs

    publics, J.O. du 24 octobre 1987, p. 12409.

    11 Dfinie dans les termes suivants : P=Po[x+y(aM/Mo + bS/So + cPsd/Psdo + d)], o P est le rvis, Po le prix initial, x

    le terme fixe qui ne peut tre infrieur 0,125, a,b,c,d les paramtres reprsentatifs des lments du cot (avec

    a+b+c+d+=1).

  • 24

    (Incentive Price Revision-Successive Targets) du FAR ; alors que les mcanismes dincitation ne sont

    pas inclus dans la rglementation franaise des contrats administratifs mais simplement dfinies de

    manire indicative dans une note de la Commission Centrale des Marchs 12, le FAR amricain en

    organise le rgime par voie rglementaire. Sans entrer dans le dtail, il nous suffira de constater que les

    principes suivants sont poss :

    - en prsence de cots constats gaux aux cots-cibles, lajustement sopre sur la variable

    profit du titulaire du contrat,

    - en prsence de cots constats suprieurs aux cots-cibles, le mcanisme incitatif se

    transforme en mcanisme de sanction de la pitre performance du contractant, compte tenu

    que l aussi lajustement sopre sur la variable profit du titulaire du contrat.

    Alors que la rglementation amricaine ne retient pas de possibilit de rvision des prix base

    sur des indices conomiques, il nen reste pas moins que, comme lestimait J. Daumard en 1963, que

    les marchs sans prix dtermin, aux Etats-Unis, ont un champ daction beaucoup plus large quen

    France, car ils dbouchent sur la redtermination des prix. Ils supposent un contrle de lAdministration

    et permettent lEtat de fixer unilatralement, sous le contrle du juge, le prix dfinitif en cas de

    dsaccord. En France, ces marchs sont rservs au cas o le prix dfinitif ne peut tre fix ; aux Etats-

    Unis, ces marchs sont dusage courant pour prparer la ngociation a posteriori des prix et des

    conditions financires contractuelles, toutes les fois que des charges alatoires excessives seraient, sans

    cela, incluses dans le prix (Daumard ; 1963, p. 225. la citation entre guillemets est celle du

    Contrleur gnral Paulhac, intervention la commission mixte des marchs du 12 juin 1952).

    < page 38 >

    Daumard estimait galement que lun des facteurs qui interdisent dassimiler les prix provisoires

    franais aux prix redterminables amricains tient la valeur accorde aux devis de prix, qui

    engagent plus profondment les industriels amricains que les industriels franais. (Daumard, 1963,

    p. 226), les devis nayant pas en France un caractre contractuel.

    En dpit de cette diffrence en termes de poids accord aux devis de prix, le droit administratif

    amricain et le droit administratif franais relatifs aux changements unilatraux dans les

    contrats prsentent de fortes similitudes ; ils expriment une mme ide de continuit du service public.

    En effet, larticle 19 du CCAG-MI et les articles de la partie 43-Contract modifications du FAR

    prvoient une possibilit dimposition unilatrale, par ladministration, de changements de caractre

    technique. Larticle 19-2 du CCAG-MI fait cho larticle 43.102(b) du FAR, qui impose une

    quantification financire du changement impos avant son excution ; de mme, on peut rapprocher les

    articles 19.12 du CCAG-MI et larticle 43.201(b) du FAR, qui ont en commun dimposer le

    changement et de ne pas permettre au titulaire du march den suspendre lexcution. Une diffrence

    existe, cependant, dans le rgime de dtermination du prix du contrat modifi : larticle 19 du CCAG-

    MI prvoit que, dfaut daccord immdiat sur des prix dfinitifs, des prix provisoires sont appliqus

    par ltablissement des dcomptes des prestations modifies, alors que larticle 43.102(b) du FAR

    prvoit que, dfaut de disposer du temps ncessaire la ngociation dun prix, les parties doivent a

    minima saccorder sur un prix maximum.

    12 Annexe la circulaire du ministre de lconomie et des finances n2485 du 4 mars 1969 relative au guide des clauses de

    caractre incitatif dans les marchs.

  • 25

    4.3. La jurisprudence administrative

    La position de la jurisprudence du Conseil dEtat sur la clauses de rvision de prix est marque

    par une interprtation restrictive des obligations de lautorit publique contractante ; ainsi, les arrts

    Turquin, Blotire et Lardire du 13 juillet 1965 refusent de faire supporter lEtat laugmentation du

    cours de la laine subi par trois fournisseurs de chantails militaires :

    considrant que, si [la socit requrante] soutient avoir achet la laine qui lui tait ncessaire au

    moment o les cours taient les plus levs, cette circonstance nest pas de nature engager la responsabilit

    de ladministration son gard ; quelle ne justifie pas davantage que lconomie de son contrat ait t

    bouleverse la suite de la rvision en baisse applique par lAdministration ; que, dans ces conditions, elle

    ne peut pas prtendre une indemnit pour imprvision. .

    Ce principe est repris dans le cas dune augmentation du cours du cuivre (CE, 7 juil. 1976,

    Socit Demongeot), des produits sidrurgiques, dont le Conseil dEtat estime quelle constitue un

    ala qui doit rester la charge du contractant (CE, 2 mars 1977, Socit Leflon et Compagnie), des

    produits ptroliers (CE, 29 avr. 1981, M. Bernard ; CE, 17 juin 1981, Commune de Papeete)

    < page 39 >

    Les effets dune forte inflation subie au Laos par un entrepreneur titulaire dun march de

    construction avec le ministre des affaires trangres ne donnent pas, non plus, droit une indemnit

    dimprvision (CE, 21 avr. 1971, Sieur Desdame) ; il en va de mme avec les consquences

    conomiques de lutilisation dune innovation technique et de conflits sociaux par un titulaire de

    march, ds lors que la socit requrante na pas pris les mesures qui auraient pu prvenir des charges

    supplmentaires (CE, 5 janv. 73, Office public dhabitations loyer modr de la rgion parisienne).

    Le recours une technologie nouvelle nest pas, non plus, de nature ouvrir droit une indemnit

    dimprvision, car elle ne constitue pas un fait extrieur aux parties (CAA Nantes, 20 juin 1990, S.A.

    Campenon-Bernard-Cetra c/Dpartement de la Seine-Maritime). Les difficults de recrutement du

    personnel et les hausses de salaires ne bouleversent pas lconomie dun contrat, surtout lorsque leur

    incidence est rduite par le jeu de la formule de prix (CE, 22 fv. 1980, Socit Dumez-btiment), ainsi

    que les grves et conflits sociaux (CE, 16 juin 1989, Socit Spie-Batignolles c/Dpartement de La

    Runion). Lallongement des dlais dexcution nest pas en soi de nature ouvrir droit lindemnit

    dimprvision (CAA Paris, 12 dc. 1989, Centre Hospitalier de Villejuif).

    Par ailleurs, lexistence dune situation dimprvision nautorise pas le concessionnaire

    rompre unilatralement les relations contractuelles qui le lient lautorit concdante et cesser son

    activit, mais seulement, le cas chant, solliciter une rsiliation par le juge du contrat ou demander

    une indemnisation raison des difficults rencontres dans lexploitation de la concession (CAA

    Nantes, 11 avril 1991, Ville du Havre).

    Le critre du caractre prvisible des hausses de prix des matires premires est courant dans les

    arrts du Conseil dEtat (mme arrt ; CE, 20 janv. 78, SCREG 13), de mme que celui du

    bouleversement de lconomie du march (CE, 26 oct. 1979, Socit des tablissements Billiard14).

    13 Considrant que les variations de prix qui se sont produites au cours du dlai contractuel taient prvisables lors de la

    passation du march et nont dailleurs, pas entran le bouleversement de lconomie de ce march ; que les hausses

  • 26

    Limprvision se rapporte exclusivement des vnements imprvisibles et extrieurs aux

    concontractants entranant le bouleversement de lconomie du contrat (CE, 5 fv. 1986, SARL

    patinoire de Vitry-sur Seine et autres ; galement : CE, 12 juin 1987, S.A. Billiard et Jardin c/ Centre

    Hospitalier de Saint-Denis). Rcemment, le Conseil dEtat a considr que la pollution dun site de

    captage deau pour une dure prvisible de deux cents ans, qui oblige la socit concessionnaire de la

    distribution deau acqurir de leau un prix trois fois suprieur auprs dune ville voisine,

    bouleverse tel point lconomie du contrat de concession quelle peut tre considre comme un

    vnement imprvisible (CE, 14 juin 2000, Commune de Staffelfelden).

    < page 40 >

    CONCLUSION

    Les lments danalyse avancs prcdemment peuvent tre rsums en cinq points :

    1. lincompltude des contrats exprime simplement lide que lexcution des contrats, privs

    comme administratifs, nest pas une histoire connue lavance, et que les obligations des parties ne

    sont pas analysables sous le prisme dun algorithme informatique.

    2. la texture ouverte des contrats est une caractristique peu surprenante des contrats, surtout de

    longue dure ; elle appelle la prise en considration de lconomie des dispositifs juridiques

    applicables la gestion des vnements non prvus en cours dexcution.

    3. parmi ces dispositifs juridiques, peu nombreux sont ceux qui permettent une rengociation

    des contrats aprs survenance dvnements non prvus ; plus nombreux sont ceux qui sont centrs sur

    la dtermination du prix de rglement du march, compte tenu de diffrents types dalas. Les contrats

    de droit priv et de droit administratif ont cependant un point commun : la pratique des contrats prix

    dterminable.

    4. le droit priv et le droit administratif des contrats diffrent fortement en termes de possibilit

    de rengociation des contrats : elle semble plus extensive en droit priv quen droit administratif, ce

    dernier prsentant un plus fort caractre dunilatralit (li au pouvoir de ladministration dassurer la

    continuit du service public et dimposer la mutabilit des contrats) et tant centr sur la gestion des

    consquences des vnements en termes de suspension ou de maintien des sanctions de droit commun

    des retards et surcots dans les marchs (par exemple, par lannulation des pnalits de retard en cas de

    force majeure), et de compensation forfaitaire des risques subis (par exemple par loctroi dune

    indemnit dimprvision).

    5. mais il ne faut dduire de ce qui prcde que la pratique des contrats administratifs est plus

    contractuelle que celle des contrats privs, donc plus svre pour les titulaires en termes

    dassomption des risques que les co-contractants de droit priv ; notre tude de la jurisprudence

    administrative statuant sur des requtes faisant appel un argument dimprvision ne donne

    intervenues aprs lexpiration de ce dlai, mme si elles ont t imprvues ne peuvent ouvrir droit indemnit (CE, 20

    janv. 1978, SCREG).

    14 lesdites dpenses ne pourraient motiver lallocation dune indemnit au titre de limprvision que si lconomie des

    marchs staient trouve bouleverse (CE, 26 oct. 1979, St des Etablissements Billiard).

  • 27

    certainement quune image partielle de lallocation des risques, dans la mesure o seules arrivent

    devant les juridictions administratives les requtes qui se sont heurtes un refus de suite favorable

    oppose par ladministration ; hors, ce problme se situe du ct de la face cache de la lune, dans la

    mesure o la gestion de limprvision qui aboutit une issue positive pour le titulaire nest pas

    observable : elle sopre dans le silence des rapports entre le titulaire et la personne responsable de

    march, ou dans celui du comit de rglement amiable des diffrends ou litiges dans les marchs

    publics, dont les dcisions ne sont < page 41 > pas publies, et vraisemblablement pas crites et motives. Une recherche antrieure sur un domaine o sont nombreux les alas et les dpassements de

    devis les marchs industriels de la dfense nationale a montr que lactivit des juridictions

    administratives dans ce domaine tend vers zro (Kirat, Bayon et Blanc, 2003) ; on peut en pressentir

    les raisons, la lecture de la circulaire du 20 novembre 1974 relative lindemnisation des titulaires de

    marchs publics en cas daccroissement imprvisible de leurs charges conomiques, qui recommande

    que :

    Il est souhaitable dviter, autant que possible, que des procdures contentieuses naissent des demandes

    dindemnit pour imprvision formules par un titulaire de march. A cet effet, et dans des dlais aussi

    courts que possible, ladministration doit sefforcer de donner une solution amiable aux demandes qui lui

    paraissent incontestablement justifies. (circulaire du 20 nov. 1974, 3.4).

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