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Université de Bretagne Occidentale UFR de Droit et des Sciences Economiques Ecole doctorale des Sciences de la Mer La coexistence des règles applicables au contrat de transport international de marchandises par mer : contribution à l’étude de l’uniformité du droit Thèse pour l’obtention du doctorat en droit Présentée et soutenue publiquement le 27 juin 2007 par Gurvan BRANELLEC Jury : M. Olivier CACHARD, Professeur à l’Université de Nancy, Doyen de la Faculté de droit de Nancy (Rapporteur) Mme Cécile DE CET BERTIN, Maître de conférences à l’Université de Bretagne Occidentale (Directrice de la thèse) M. Philippe DELEBECQUE, Professeur à l’Université de Paris I Panthéon- Sorbonne (Rapporteur) M. Renaud MORTIER, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale (Président du jury) M. Martin NDENDE, Professeur à l’Université de Nantes tel-00511315, version 1 - 24 Aug 2010

Contrat ineternational par mer

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  • 1. Universit de Bretagne Occidentale UFR de Droit et des Sciences Economiques Ecole doctorale des Sciences de la Mer La coexistence des rgles applicables au contrat de transport international de marchandises par mer : contribution ltude de luniformit du droit Thse pour lobtention du doctorat en droit Prsente et soutenue publiquement le 27 juin 2007 par Gurvan BRANELLEC Jury : M. Olivier CACHARD, Professeur lUniversit de Nancy, Doyen de la Facult de droit de Nancy (Rapporteur) Mme Ccile DE CET BERTIN, Matre de confrences lUniversit de Bretagne Occidentale (Directrice de la thse) M. Philippe DELEBECQUE, Professeur lUniversit de Paris I Panthon- Sorbonne (Rapporteur) M. Renaud MORTIER, Professeur lUniversit de Bretagne Occidentale (Prsident du jury) M. Martin NDENDE, Professeur lUniversit de Nantes tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 2. 2 tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 3. 3 LUniversit de Bretagne Occidentale nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans les thses. Ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 4. 4 tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 5. Je tiens remercier : le Professeur Le Bayon et le Professeur Tassel pour leurs prcieux conseils ; Mathieu Doat pour ses suggestions claires ; le C.E.D.E.M. et la Facult de droit pour ces conditions de travail idales ; Claire, Emmanuelle et Morgane pour leur prsence et leurs relectures attentives. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 6. 6 tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 7. 7 Sommaire Introduction.11 Partie I La recherche dune unification conventionnelle du droit du transport maritime de marchandises par les Etats..47 Titre I - Lunification par lEtat et dans la convention49 Chapitre I De la multiplicit des Etats lunit par la convention : une laboration et une adoption difficile..51 Chapitre II De lunit de la convention la multiplicit de la socit internationale : une application clate93 Titre II La dsunification dans lEtat et par les conventions internationales173 Chapitre I La dsunification du droit du transport international de marchandises par mer engendre par la concurrence des Conventions internationales...175 Chapitre II La dsunification du droit du transport international de marchandises par mer aggrave par le droit international priv243 Partie II La construction dune uniformisation pragmatique du droit du transport maritime de marchandises par les oprateurs..321 Titre I La construction dune uniformisation du droit par les pratiques contractuelles.325 Chapitre I Luniformisation anticipe, dans le contrat..327 Chapitre II Luniformisation diffre, dans linstance arbitrale..403 Titre II La tentative de construction dun droit par la cristallisation des pratiques contractuelles..445 Chapitre I Dune uniformisation gnrale des pratiques la construction dune rgle de droit par les oprateurs...449 Chapitre II Dune ncessaire unification par les Etats la recherche de sa pertinence...499 Conclusion.557 tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 8. 8 tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 9. 9 Table des abrviations AFDI : annuaire franais de droit international AFDM : Association Franaise du droit maritime Annales de lIMTM : Annales de lInstitut Mditerranen des Transports Maritimes BTL : Bulletin des transports et de la logistique Bull. Cass. : Bulletin des arrts de la Cour de cassation CA : cour dappel Cass. : Cour de cassation CAF : cot, assurance, frais CE : Communaut europenne, CEE jusquau 01/11/1993 CEE : Communaut conomique europenne, CE aprs le 01/11/1993 Cf. : confer Com. : Chambre commerciale de la Cour de cassation CCI : Chambre de commerce internationale CJCE : Cour de Justice des Communauts europennes CMI : Comit Maritime International CNUDCI : Commission des Nations unies pour le droit commercial international (UNCITRAL) CNUCED : Confrence des Nations unies sur le commerce et le dveloppement (UNCTAD) COGSA : Carriage of Goods by Sea Act D. : Recueil Dalloz D.T.S. : droit de tirage spcial DMF : Droit maritime franais FOB : Franco-bord (free on board) Ibid. : ibidem Incoterms : International commercial terms JCP : Jurisclasseurs priodiques (Semaine juridique) JDI : Journal du Droit International ou Clunet JMM : Journal de la marine marchande JOCE : Journal Officiel des Communauts europennes L. : loi N : numro NCPC : Nouveau Code de procdure civile OMI : Organisation Maritime Internationale ONU : Organisation des Nations unies Op. cit. : opere citato P. : page RCADI : Recueil des cours de lAcadmie de droit international, La Haye RCDIP : Revue critique de droit international priv RTD Civ : Revue trimestrielle de droit civil RTD Com. : Revue trimestrielle de droit commercial et de droit conomique S. : suivant Scapel : Revue de droit franais commercial, maritime et fiscal, fonde par Paul Scapel SFDI : Socit franaise pour le droit international TA : Tribunal administratif TGI : Tribunal de grande instance UNIDROIT : Institut international pour lunification du droit priv tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 10. 10 tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 11. 11 Introduction Lobjet du droit uniforme est (, en effet,) deffacer la diversit des lois et dexclure ainsi leurs conflits. Mais la diversit des lois est une richesse, ou une maldiction, qui frappe notre plante depuis la Tour de Babel et qui ne cessera que le jour o tous les hommes auront partout la mme loi, la mme langue et les mmes biens, jour o nous serons tous corps glorieux, sans Etats et sans plaideurs, sans avocats et sans professeurs de droit1 . 1. Le droit a uniformis les choses nous dit Carbonnier propos du droit des biens. Il a recouvert le monde bariol des choses dun uniforme capuchon gris 2 . Cette uniformisation par le droit est en ralit une classification et la mthode nest pas propre la science juridique. Luniformit du droit est autre chose. Elle serait de lessence du droit maritime, selon Pardessus qui relve une uniformit de ce droit dans le temps. Indpendamment des variations quamnent les sicles ou les rvolutions que produisent les rivalits nationales, ce droit, immuable au milieu des bouleversements des socits, nous est parvenu aprs trente sicles tel quon le vit aux premiers jours o la navigation tablit des relations entre les peuples 3 . En effet, le droit maritime a une origine lointaine. Son histoire et son volution sont troitement lies lhistoire du commerce maritime, car le droit maritime est dabord un droit commercial4 , le droit des relations contractuelles du commerce par mer. Il est ax sur lutilisation de la mer ainsi que le souligne Chauveau. Historiquement, et surtout par essence, cest le droit dun certain milieu gographique et social, la mer avec ses rivages, et la 1 Philippe Malaurie, Loi uniforme et conflits de lois, Travaux du Comit franais de droit international priv, 1967, p. 83. 2 Jean Carbonnier, Droit civil Les biens Les obligations, Collection Quadrige, PUF Paris, 1955, p. 1592. 3 Jean-Marie Pardessus, Collection des lois maritimes, Imprimeries royales, Paris 1825-1845, T 1, p. 2. 4 En droit romain, le terme de commercium dsignait de faon trs large, tous les rapports juridiques que les individus entretenaient relativement lutilisation de leurs biens. Jacques Mestre et Marie-Eve Pancrazi, Droit commercial, droit interne et aspects de droit international, LGDJ Paris 26me dition, 2003, n 3. Pour le droit franais le transport par mer est une activit commerciale puisque constitue un acte de commerce par nature toute entreprise de manufactures, de commission, de transport par terre ou par eau . Cest ce qui ressort du 7 de la liste lgale des actes de commerce de larticle L. 110-1 du Code de commerce. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 12. 12 communaut des hommes qui sy aventurent 5 . Ceux-l mme quAristote dsignait comme une catgorie de lhumanit en considrant qu il y a trois sortes dhommes : les vivants, les morts et ceux qui prennent la mer 6 . Le droit maritime prsente pour ces raisons, sa relative permanence et son champ dapplication, une certaine originalit par rapport au droit terrestre7 . Celle-ci tient galement, et pour certains principalement, au fait quil est tout entier ordonn autour de la ncessit de partager le risque de mer entre les diffrents acteurs du transport maritime et quil est, par nature, depuis quexistent les nations, un droit international. Cest en raison de ce dernier caractre que le droit maritime peut tre un champ dobservation et de recherche sur luniformit du droit. Nest-il pas un exemple majeur dunification du droit comme a pu le dire Rodire8 ? 2. Lensemble de la matire serait pourtant trop vaste et trop vari, rendant louvrage impossible. Le droit maritime est constitu dlments emprunts diverses branches du droit, du droit des biens au droit du travail en passant par le droit des obligations. Au sein de la matire, le transport maritime et le contrat auquel il donne lieu a t choisi comme champ de ltude parce quil est minemment international et est lobjet de tentatives renouveles duniformisation. Cette activit conomique est ralise par la conclusion de diffrents contrats tels que le contrat de passage, les contrats daffrtement de navires ou despace et le contrat de transport applicable lacheminement de marchandises par voie maritime. Ce dernier a pour objet le dplacement dune unit de charge ou de colis bord dun navire et donne lieu ltablissement dun connaissement ; il sera lobjet de ltude. 3. Le transport international de marchandises par mer est une activit internationale par nature. Sa rglementation rsulte principalement de conventions internationales. Celles-ci ont t labores et adoptes dans le but dtablir une unification du droit. Lhistoire montre que le droit applicable au transport international de marchandises par mer a dabord t spontan avant dtre voulu par les Etats, le besoin duniformit tant considr comme la cause des conventions internationales en la matire (section I). Cette notion duniformit du droit sera 5 Paul Chauveau, Trait de droit maritime, Librairies techniques, 1958, introduction gnrale p. 7. 6 Cette citation est largement diffuse, pourtant, il ne semble pas quelle soit exacte (on lattribue Aristote, Platon, Socrate et mme Conrad !). Platon, dans le Critias, donne la gographie de lAtlantide et divise le monde en trois : le monde des vivants, celui des morts et locan qui spare les deux. Il semble vraisemblable quon puisse lattribuer Aristote voquant la gographie de lAtlantide dcrite par Platon dans le Critias. 7 Ren Rodire et Emmanuel du Pontavice, Droit maritime, Dalloz, 11me ed. 1991, p. 5 et s. Le droit maritime est, pour le Doyen Chauveau, le droit de la mer et des activits quelle engendre . Cette dfinition permet dinsister sur le fait que cette branche du droit est concentre sur un espace, la mer, et surtout sur son emploi. On aborde ainsi la mer comme un espace unitaire (thorie dveloppe entre autres par Arvid Pardo) et non comme un territoire. Cf. cours pour le DEA de sciences juridiques de la mer, Vronique Labrot, La mer entre espace et territoire(s) 8 Ren Rodire, Introduction au droit compar, Prcis Dalloz, Paris 1979, 70, p. 115. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 13. 13 analyse dans sa double dimension didal et de ralit (section II) avant que soit prsente une dlimitation prcise du sujet trait et la problmatique retenue (section III). tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 14. 14 Section I Luniformit du droit du transport maritime : rcit et histoire 4. Cette tude historique de la matire mettra en vidence le mouvement de balancier entre, dune part, la tendance des oprateurs raliser une uniformisation spontane des pratiques contractuelles (paragraphe 1) et, dautre part, la tentative des Etats de raliser une unification construite du droit du transport international de marchandises par mer (paragraphe 2). Paragraphe 1 Luniformisation spontane du droit du transport international de marchandises par mer 5. La spontanit de luniformisation du droit du transport maritime de marchandises tient au fait que ce sont moins les Etats que les parties intresses qui y ont contribu. De mme que le Professeur Jestaz propos de la coutume et de lacte juridique, voque un droit spontan parce quil sagit de sources venues de la base 9 , le droit du transport maritime, son histoire le montre, est venu de la base . En effet, le droit maritime a t au dpart cr et dvelopp pour les besoins du transport maritime de marchandises. On fait ainsi remonter lorigine de ce droit au moment o les hommes ont cess de ne transporter que des butins de guerre, pour y charger des cargaisons destines tre troques10 . Il a ensuite t dvelopp de lAntiquit au dix-septime sicle par les marchands pour leurs besoins, avant de perdre sa spontanit, par lintervention des Etats. 6. Les Grecs ont dabord multipli les changes. Ils ont notamment dvelopp un mcanisme de crdit maritime et se sont dots dune juridiction maritime spcialise. Ce sont eux aussi qui ont eu les premiers lesprit du commerce international et lide quun droit national, tranger aux barbares et aux mtques, serait un contre-sens dans le commerce maritime 11 . Les rgles applicables cette matire avaient ainsi une vocation tre appliques largement et stendre. 9 Pour Philippe Jestaz la coutume et lacte juridique, sources venues de la base, constituent un droit spontan . Cest en ce sens l que le terme spontan est employ. Philippe Jestaz, Les sources du droit, Dalloz Paris, 2005, p. 37. 10 Martine Rmond-Gouilloud, Droit maritime, 2me ed. Pdone Paris, 1993, p. 23 et 24. 11 Ren Rodire, Trait gnral de droit maritime, introduction, Dalloz Paris, 1976, p. 13. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 15. 15 Pour les Romains, le commerce maritime avait une importance capitale12 . Ils le facilitrent en instaurant la paix en Mditerrane. Sur le plan juridique, leur apport au droit en gnral et au droit civil en particulier a t considrable, ils ont aussi laiss un hritage en matire maritime. Diverses institutions du Digeste de Justinien ont eu une certaine prennit. A titre dexemple, il est possible de relever une institution marquante prsente dans le Digeste : il sagit du receptarum qui figure dans ldit du Prteur. Il semble que les Romains aient invent cette institution. Cette notion juridique conduit aggraver la responsabilit du transporteur maritime par rapport celle des autres transporteurs. Il sagit dune premire rglementation de la responsabilit des transporteurs maritimes. Il est ainsi intressant de constater qu une poque o les rgles rgissant le transport maritime de marchandises taient issues de la pratique, Rome a d intervenir pour imposer, grce linstitution du receptarum , une responsabilit plus rigoureuse lencontre des transporteurs maritimes que celle des autres entrepreneurs lis par un contrat de locatio conductio (le receptarum concernait aussi les aubergistes et matres de poste )13 . Il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec lpoque moderne : cest pour rgir imprativement la responsabilit du transporteur maritime que les Etats sont intervenus dans le contrat de transport international de marchandises par mer. 7. Ces rgles labores par les Romains sappliquaient concurremment avec les coutumes portuaires en Mditerrane qui nont cess de rgir les relations maritimes. Le droit maritime avait ainsi cette poque une nature largement coutumire. La plus clbre de ces coutumes est la lex rhodia de jactu 14 qui est une reprise des rgles et usages consacrs par le tribunal maritime de lle de Rhodes, situe en Mditerrane orientale, environ 900 ans avant JC15 . En dehors de fragments, les bases de ce droit maritime Rhodien ne sont plus connues. Cette lgislation qui serait une transposition dune lgislation byzantine relative au problme du jet des marchandises la mer prvoit que si un navire en pril a pu tre sauv en jetant par dessus bord une partie de la cargaison, tous les participants lexpdition devront 12 En effet le bl africain tait ncessaire pour nourrir les habitants de la cit et donc pour viter les crises sociales, soulvements, disettesCf. P. J. Hesse, Sminaire dhistoire du droit maritime, dans le cadre du DEA de Sciences juridiques de la mer, UBO, 2001. 13 Ren Rodire, Trait gnral de droit maritime, op. cit. , p. 14. Pour monsieur Gaurier, la location-conductio aurait t associe au transport maritime vers la fin du troisime sicle avant notre re. Il voque dailleurs la diffrence faite par le droit romain entre la location pour transporter des marchandises et celle pour transporter des personnes (locatio mercium uehendarum et location uectorum uehendarum), Dominique Gaurier Le droit maritime romain, PUR Rennes, 2004, p. 61. 14 Titre XIV, 2 du Digeste de lege Rhodia de jactu . 15 Thse pour le doctorat en droit de G. N. Fayzi Chakab, La responsabilit du transporteur maritime de marchandises (selon les rgles de la Haye de 1924 et de Hambourg de 1978), Universit de Nice Sophia- Antipolis, 1999, p. 2. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 16. 16 sunir pour indemniser la perte16 . Cette institution est lanctre de la pratique actuelle des avaries communes et donc la source des rgles dYork et dAnvers. 8. Les premires rgles de droit maritime sont ainsi nes sur les ctes mditerranennes. Les marchands usagers du transport maritime avaient organis des tribunaux maritimes chargs de juger leurs diffrends selon des traditions et coutumes. Ces jugements rendus au cas par cas devinrent lune des sources du droit maritime puis furent progressivement transforms en recueils dusages au Moyen-ge. 9. Aprs un effondrement de lactivit commerciale dans le bassin mditerranen d, entre autres causes, leffondrement de lEmpire romain, aux invasions germaniques et linstabilit politique, le Moyen-ge a vu la reprise du trafic maritime. Cette activit maritime se dveloppait et se structurait principalement autour de trois ples. La premire zone tait la zone mditerranenne orientale. La zone byzantine connaissait une collection de textes, les basiliques (qui, pour la plupart, ont t perdus), qui contenaient des rponses aux principaux problmes que les transports maritimes posaient lpoque. La deuxime zone mieux connue tait celle de la Mditerrane occidentale. Dans cette zone, il y avait dabord des usages particuliers telle ou telle ville portuaire ou telle corporation17 . Ceux-ci coexistaient avec des recueils dusages plus ou moins complets dont les plus clbres sont le Consulat de la mer et le Guidon de la mer. Le Consulat de la mer est un recueil Catalan du quatorzime sicle18 dont certains passages sont inspirs directement du Digeste. Le Guidon de la mer, ouvrage de doctrine (compos Rouen au seizime sicle) rdig par un auteur inconnu, est un vritable prcis de droit maritime19 , il est assez long et a fait lobjet dajouts successifs20 . Enfin, la troisime zone tait celle de lAtlantique qui devint, au Moyen-ge, le vritable centre dactivit du commerce maritime. Au dpart, le ley maryne tait dabord de tradition orale, puis il va tre recueilli par une vaste compilation : les rles dOlron21 . La nature de ce document a t discute : on y a vu un recueil de jurisprudence ou encore une coutume. Ce recueil dactes de notorit, attestant de la jurisprudence maritime en vigueur sur 16 Martine Rmond-gouilloud op. cit. p. 23 et 24. 17 Les cits italiennes adoptrent chacune des statuts qui sont de vritables codes maritimes : statuts dAmalfi du XII me S. , Pise avec les Breve Curia Maris du XIIme S, Venise avec les Ordinamenta des Doges. 18 Bien que les Italiens en aient revendiqu la paternit au quinzime sicle, cette compilation des usages suivis en Mditerrane est assez htrogne. On y trouve des lments labors par des autorits de grands ports comme Marseille, Gnes ou Pise 19 Compte rendu du Colloque de Rochefort sur lactualit de la politique maritime de Colbert des 17 et 18 aot 1983, JMM 1983, p. 2298. 20 Ajouts la fin du Moyen-ge de trois chapitres sur larmement en course (les corsaires) : Cours de P.J. Hesse, op. cit. 21 Martine Rmond-Gouilloud op. cit. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 17. 17 les ctes franaises de lAtlantique, fut rdig avant 126622 . On a vu son influence stendre dans tout lAtlantique et bientt de lEspagne la Baltique. Ces rles ont eu une importance considrable et furent reproduits en tout ou partie dans les lgislations des pays qui les pratiquaient, par exemple dans les lois de Wisby de lle de Gotland en Sude au quinzime sicle ou les lois de Westcapelle en Zlande, et ont inspir lOrdonnance de la marine de Colbert. 10. Ce qui est remarquable, sur cette priode, cest lapparition dun droit commercial unifi au niveau europen par linfluence des marchands qui avaient besoin dun droit applicable leurs relations et dune certaine prvisibilit des rgles applicables afin de dvelopper leur activit. De plus, la navigation maritime entranant des risques particuliers connus par tous les commerants empruntant ce mode de transport, les mmes causes produisant les mmes effets, il tait logique que des rgles de droit similaires naissent. Il en rsulte un droit cr par et pour les usagers de la mer, souvent antrieurement au droit terrestre, et ce une poque o les relations terrestres avec les pays extrieurs taient bien souvent embryonnaires alors que les habitants des rgions ctires eux avaient, par le biais du transport maritime, des relations conomiques et juridiques avec dautres peuples. Un tel droit prsentant un caractre particulier, aurait d aussi corrlativement prsenter un caractre uniforme. Ce droit ntait cependant pas totalement unifi puisquil sagissait dune agrgation de coutumes et dusages recueillis dans des compilations diffrentes. Il avait nanmoins un caractre cohrent. A ce sujet Messieurs Bonassies et Scapel parlent d une adhsion de la communaut maritime une coutume commune, lentement construite au travers de quelques textes fondamentaux qui se virent reconnatre une valeur gnrale dpassant les particularismes nationaux 23 . Lillustration la plus frappante de ce particularisme et de luniformit qui dcoulent de ce droit maritime au Moyen-ge est linfluence et le rle jous par la ligue hansatique24 . Cette union de commerants qui dveloppa le commerce en mer du nord en installant des comptoirs dans des ports trangers, fut aussi amene dicter des rgles et crer une juridiction applicable tous ses adhrents : les Recs. Cette uniformit relative, limite certaines zones gographiques, va tre mise mal lpoque moderne. 22 Ils furent rdigs linitiative dAlinor dAquitaine. Cette compilation devait son nom soit au fait que les dcisions ont t copies et certifies par un greffier ou mandataire de cette le ou au fait que ce recueil porte principalement sur la jurisprudence manant dun tribunal sigeant dans lle dOlron. 23 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Trait de droit maritime, LGDJ Paris, 2006, n 11, p. 10. 24 Runion des grandes villes commerantes teutoniques : Hambourg, Brme, Lubeck in Albert Boyer, Le droit maritime, Que sais-je, n 1252, 1967 PUF, p. 7 et 8. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 18. 18 11. Au seizime et dix-septime sicles, les structures du commerce par mer changrent par la combinaison de plusieurs phnomnes. Dabord, du fait de lapparition des armements. En effet, au dpart, les marchands taient des navigateurs-propritaires de navires et transportaient sur ceux-ci les marchandises quils vendaient et quils achetaient. Progressivement, ils nont plus voyag systmatiquement, se faisant remplacer en mer par un subrcargue25 . Au milieu du seizime sicle, apparat le connaissement tel quon le connat dans son acception actuelle26 . Cette apparition du connaissement est le corollaire de celle de larmateur27 . Par la suite, une modification majeure des donnes conomiques internationales est intervenue au dix-septime sicle. Certains pays suffisamment dvelopps tels que la France, lAngleterre ou lEspagne, commencent disposer dune production agricole ou de produits manufacturs excdentaires quils entreprennent dexporter28 . Ds lors, lexpdition maritime, fonde sur le transport de cargaisons laller comme au retour, devient une opration fructueuse en soi. Cest cette mme poque que commence se dvelopper une politique protectionniste des intrts nationaux. Cette politique se manifeste, dune part, avec lessor des Etats colonisateurs qui ont su dvelopper des changes maritimes bilatraux avec les colonies (Angleterre, France, Pays-Bas puis Espagne et Portugal) et, dautre part, avec le dveloppement de phnomnes de protectionnisme des pavillons nationaux (monopole des transports nationaux aux navires nationaux : par exemple le Navigation Act de Cromwell de 1657). Ce dveloppement du nationalisme marque le dbut de lclatement du droit commun du Moyen-ge. Paragraphe 2 Lunification construite du droit du transport international de marchandises par mer 12. Lintervention des Etats marque ainsi le passage une unification construite : lunification part dun sommet (les Etats). Elle a un caractre unilatral, en ce sens que les 25 Le subrcargue est dabord apparu comme tant lagent des chargeurs. Il est dsign par les marchands pour accompagner leurs cargaisons bord, il veille leurs intrts et surveille le capitaine, agent de larmateur. Dans sa fonction plus moderne, il est dsign par larmateur pour soulager le capitaine des fonctions commerciales. Ren Rodire et Emmanuel du Pontavice, Droit maritime, op. cit. , n 270, p. 244. 26 Par contre son endossement comme instrument ngociable a t rapport pour la premire fois dans laffaire Isny contre Perscat en 1793 et dans laffaire Lick Barrow contre Mason en 1794. 27 Cf infra n 15. 28 Martine Rmond-Gouilloud op. cit. p. 25 et 26. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 19. 19 conventions internationales (comme les lois) ne requirent pas laccord du destinataire (en effet, un oprateur du transport international de marchandises par mer napprouve pas les conventions internationales, pourtant celles-ci peuvent simposer lui)29 . 13. Ripert estime qu partir du dix-septime sicle les recueils dusages et les statuts vont tre limins par les lois dEtat destines crer lunit de droit dans le royaume et par contrecoup la dtruire dans le monde et la France tient la premire place dans cette uvre de codification 30 . Cest sous le rgne de Louis XIV, monarque centralisateur, que fut promulgue la grande ordonnance sur la marine 31 daot 1681. Dernire en date des Ordonnances de Louis XIV, elle fut inspire par Colbert. Cette uvre eut un grand succs32 et un rle pionnier travers le monde. 14. Luvre lgislative de la Rvolution franaise fut assez limite en matire maritime mme sil est possible de relever la quasi-suppression des juridictions dexceptions existant en droit maritime, les amirauts gardant seulement comptence pour les affaires maritimes de nature pnale, le commerce de mer relevant dsormais des tribunaux de commerce33 . On voit ici clairement la fin du particularisme du droit maritime avec, outre le rattachement par rapport au droit terrestre et par consquent la fin de luniformit du droit maritime. 15. A partir du dix-huitime sicle, le trafic qui tait dabord dordre alimentaire devient rellement dordre industriel. Mais, cest au dix-neuvime sicle que des donnes technologiques vont bouleverser lconomie du droit maritime. Dune part, lapparition des navires vapeur va permettre aux exploitants de navires de ne plus tre tributaires des vents et va rendre possible lorganisation dun rseau cohrent de lignes rgulires faisant escales jour fixe. Dautre part, la construction navale des navires en mtal et non plus en bois, va permettre un accroissement considrable de la capacit des navires (il est question de gains de capacit de 45 %). De ces phnomnes, il rsulte que la marine marchande devient une industrie (la construction de navires en acier et la houille ncessaire la construction cotent trs cher). Lexploitation de lignes rgulires permet une rentabilit suffisante mais ncessite 29 Philippe Jestaz, Les sources du droit, Dalloz Paris, 2005, p. 29. 30 George Ripert, Droit maritime, Dalloz Paris, 1939, tome I, n90. 31 Elle constitue lun des plus beaux monuments juridiques de ladministration royale : elle fut trs longuement et trs soigneusement prpare. Divers personnages se sont succds : la phase prliminaire fut confie La Reynie charg dexaminer les usages et les coutumes sur les ctes, puis laboration lgislative par un matre des requtes au conseil du roi : Henri Lambert dHerbigny. Une mission a t ensuite confie un avocat Legros et un autre matre des requtes : Le Vayer de Bontigny. Enfin, la rdaction fut confie Bonaventure de Fourcroy. 32 Elle traite la fois du droit public et du droit priv et elle eut une influence la fois spatiale (en France comme ltranger) et temporelle (le code napolonien la peu prs reproduite), Valin, son meilleur commentateur, assura que elle est telle que les nations les plus jalouses de notre gloire, dposant leurs prjugs, lont adopte lenvi comme un monument ternel de sagesse et dintelligence . Cf. Ren Josu Valin, Commentaire de lordonnance de la marine de 1681, datant de 1760, 2 volumes. 33 Dcret du 16-24 aot 1790. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 20. 20 un armement consquent. Ce dveloppement de la marine marchande permet corrlativement aux chargeurs de ne plus tre obligs de louer un navire en totalit ou partie, il leur suffit de conclure un contrat de transport. Cest lavnement du contrat de transport sous connaissement34 . Les changes commerciaux, favoriss par une politique du libre-change sur les mers impulse par la Grande-Bretagne, sintensifient. Avec la distinction des contrats daffrtement et de transport, larmateur prenait la seule qualit dentrepreneur de transport, satisfaisant ce qui tait devenu la seule proccupation du chargeur : lacheminement dune marchandise dun point un autre et sa remise en bon tat au destinataire 35 . Ds lors, la concurrence entre les compagnies de navigation qui, pour attirer la clientle, baissaient leurs tarifs, obligea les armateurs rdiger des clauses dexonrations considrables. Les transporteurs prirent lhabitude de stipuler dans leurs contrats de transport des clauses limitatives de responsabilit ou des clauses exonratoires de responsabilit concernant les dommages causs la marchandise. Celles-ci dnommes clauses que dit tre (ngligence clause) dtruisaient la force probante du connaissement sur les caractristiques de la marchandise. Ces pratiques taient permises par le Code de commerce franais de lpoque qui dictait principalement des rgles suppltives de la volont des parties. Les chargeurs subissaient ces pratiques des transporteurs organiss en units conomiques puissantes et ne pouvaient ngocier les contrats de transports auxquels ils se contentaient dadhrer. Profitant de cette position de force, les transporteurs allrent jusqu ngliger leurs devoirs les plus lmentaires, ce qui eut pour consquence daugmenter notablement le risque des accidents .36 Les chargeurs en taient presque venus croire cette plutt cynique proposition que les armateurs nont dautre obligation que dencaisser le prix du transport 37 . Outre leurs consquences conomiques sur lactivit des diffrents acteurs du transport maritime (chargeurs et armateurs), ces clauses provoqurent une inscurit dans les oprations de crdits documentaires et notamment une perte de la valeur du connaissement. Toutes ces consquences expliqurent que les victimes de cette mutation entreprirent de lutter contre ces clauses. Cette lutte (des chargeurs en particulier) se droula devant les tribunaux. La jurisprudence franaise de la seconde moiti du dix-huitime sicle estimait que le transporteur maritime 34 Ren Rodire et Emmanuel du Pontavice, Droit maritime, Prcis Dalloz, 12me d. 1997, n 7, p. 10. Et Slaheddine Mellouli, La responsabilit du transporteur maritime de marchandises, Centre dtudes de recherches et de publications, Tunis, 1993, 379 p., p. 12 et 13. 35 Paul Chauveau, Trait de droit maritime, Librairies Techniques, 1958, p . 418. 36 Georges Ripert, Droit maritime, tome II, 4me d., d. Rousseau, 1952, 1471. 37 F. Cyril James, Carriage of goods by sea, The Hague rules, 74 U., Pa. L. R. 675. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 21. 21 pouvait sexonrer de leur responsabilit par une clause du connaissement38 . Nobtenant pas la satisfaction de leurs rclamations devant les tribunaux, les chargeurs franais portrent le dbat devant le Parlement39 . Malgr cette tentative40 , les clauses dexonration continurent produire leurs effets. En France, la prise de conscience de ces phnomnes conduisit ladoption de la loi Rabier du 17 mars 1905 qui a commenc mettre fin cette stipulation de clauses dirresponsabilit. Cependant, cette loi ne sapplique quaux seuls transports terrestres et ceux par eaux intrieures. 16. La premire raction lgislative en vue de protger les chargeurs contre larbitraire des transporteurs maritimes est venue des Etats-Unis, alors pays de chargeurs..aux prises avec les armements anglais, norvgiens et des autres pays grande flotte marchande 41 . Ce pays possdait une marine marchande peu importante mais comptait en revanche un grand nombre de chargeurs. Il tait naturel que lintrt des chargeurs lemportt sur celui des armateurs trangers. Le 10 juin 1892, un projet de loi fut introduit par le snateur Michael D. Harter42 , le Harter Act , qui fut adopt le 13 fvrier 189343 . Cette loi, compose de 8 articles et dont le but tait de supprimer lanarchie et les abus engendrs par une libert absolue des contrats , instaura un rgime lgal impratif qui prohiba linsertion dans les connaissements de toutes les clauses dexonration pour pertes ou avaries causes aux marchandises rsultant de fautes ou ngligences dans le chargement, larrimage, la garde ou la livraison des marchandises. Le Harter Act fait ainsi la distinction entre fautes nautiques et fautes commerciales en permettant larmateur de sexonrer des premires sil a fait diligence pour que le navire soit en tat de tenir la mer et quil soit convenablement arm, quip et approvisionn44 . Larmateur est ainsi exonr de plein droit, en labsence de toute convention, des consquences des fautes du capitaine et de lquipage dans la navigation et dans ladministration du navire. Ce rgime est impratif45 . Lapport principal du Harter Act, outre lobligation qui est faite au transporteur de dlivrer un 38 Il pouvait sexonrer des fautes commerciales ou nautiques de ses diffrents agents. Cf. Cass. Civ. 23-02- 1864, D 1864, I, 168 et Cass. Civ. 20-01-1869, D 1869, I 94. 39 Par lentremise dune proposition de rforme dpose le 10 avril 1886 par deux dputs du Havre MM F. Faure et J. Siegfried qui visait empcher le transporteur de sexonrer de ses fautes commerciales. 40 Puis celle renouvele par les ministres du commerce et de la marine MM Trarieux et Lebon. 41 Ren Rodire, Trait de droit maritime, op. cit. tome II, n 577. 42 Chargeur et reprsentant de lEtat dOhio au Congrs de Washington. 43 Aprs une consultation des reprsentants des armateurs, des chargeurs, des assureurs et des grandes corporations commerciales. 44 Cest ce qui ressort de larticle 3, cf. sur ce point Francis Sauvage, Manuel pratique du transport des marchandises par mer, LGDJ, 1955, Paris, p. 10 et s. 45 Larticle 5 du Harter Act frappe ces clauses dune double sanction : sur le plan civil, de la nullit et sur le plan pnal, une amende inflige larmateur. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 22. 22 connaissement comportant certaines mentions46 , fut dinterdire au transporteur maritime ou ses prposs de sexonrer des fautes commerciales47 . En contrepartie, fut institu un certain nombre de causes lgales dexonration (en particulier fautes nautiques commises dans ladministration du navire par ses prposs) et une limitation lgale de responsabilit. Le champ dapplication du Harter Act est assez large. Il sapplique tout transport de marchandises par mer (en excluant le transport des animaux vivants) entre des ports amricains ou entre ces ports et des ports trangers, et ce de la prise en charge de la marchandise jusquaprs le dchargement. 17. Le Harter Act eut un grand retentissement en dehors des frontires des USA, et fut ds le dbut du vingtime sicle adopt dans de nombreux pays Anglo-Saxons48 sous linfluence des chargeurs. Cette lgislation est effectivement apparu(e) aux chargeurs de tous les pays comme la lgislation idale pour la protection efficace de leurs droits, cette lgislation faisant disparatre les abus les plus criants des clauses dexonration, sans mconnatre les intrts lgitimes des transporteurs 49 . Pourtant cette lgislation, du fait de son caractre unilatral, navait pas defficacit au plan international, les Etats ont alors pris conscience de la ncessit dune lgislation internationale du transport de marchandises par mer (en particulier dune rglementation imprative de la responsabilit du transporteur). 18. Lhistoire des rgles applicables au transport international de marchandises par mer est rcente lchelle du temps maritime. Sagissant des rgles internationales, elles nexistent que depuis lavnement des Etats et encore a-t-il fallu que ceux-ci sintressent ce domaine de lactivit conomique. Au dbut du vingtime sicle, on assiste au plan international une prise de conscience par les grandes nations maritimes de la ncessit pour le bon dveloppement du commerce par mer, de promouvoir llaboration dune rglementation homogne et uniforme. Comme le constatait Ripert en 1929 : le trafic se trouve partout ; il a cess dtre national pour devenir international. Cest un nouveau type de marine marchande, qui emprunte sa force toutes les forces de la nation dont elle porte le pavillon, et court le monde la recherche du trafic qui lui est ncessaire . Pourtant, il nexistait pas de 46 Celui-ci devait noncer le poids ou le volume de la marchandise, ainsi que le nombre des colis et leur tat apparent (article 4) ce qui permettait de restaurer la valeur probante des nonciations du connaissement en empchant le transporteur dinsrer la clause poids inconnu . 47 Ngligence, faute ou dfaut dans le chargement, larrimage, la garde, le soin ou la livraison de toutes les marchandises, article 1 et 2. 48 Principalement des pays dpourvus de marine marchande et dont le commerce maritime tait pratiqu par des chargeurs (on le retrouve dans le Paramount Act australien du 15 dcembre 1904, dans la loi canadienne du 4 mai 1910 le Canadian Watercarriage of Goods Act mais aussi repris dans le Code de Commerce marocain du 31 mai 1919). 49 Cf. sur ce point Francis Sauvage, Manuel pratique du transport de marchandises par mer, ibid. p. 12. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 23. 23 rglementation internationale ; seules des rglementations nationales tentaient de rgir le transport international des marchandises par mer. 19. Pour lutter contre la diversit de droits appliqus des navires qui se ctoient en permanence et commercent dans les mmes ports, est cr en 1896 Bruxelles le Comit Maritime International (CMI). Il est charg de promouvoir lunification du droit. Cette unification fut difficile obtenir en Europe car les chargeurs de ces pays, qui essayaient dobtenir de leurs gouvernements une lgislation comparable celle du Harter Act (plus protectrice de leurs intrts), se trouvrent confronts la puissance des transporteurs des pays ayant un armement important50 . Malgr cela, la prise de conscience de la ncessit dune lgislation internationale uniforme en matire de transport maritime, la pression des chargeurs (et notamment celle des dominions anglais51 ) ainsi que le dveloppement du crdit documentaire, firent voluer les mentalits, ainsi larmement anglais se sentit srieusement menac et comprit que lentente internationale dont il avait jusquici cart le principe, constituait la seule solution possible du problme 52 . Les diffrentes parties furent donc amenes raliser une rforme par la voie dune entente internationale. Ce mouvement fit dire Ripert que le vingtime sicle assistait la ralisation progressive de lunification internationale du droit maritime . Il sagissait plutt en fait dune runification internationale de la lex maritima 53 du Moyen-ge qui avait t fragmente dans des codifications rigides nationales. 20. Cette rforme initie par des discussions entre chargeurs et armateurs en vue dune rdaction des connaissements propre satisfaire les deux parties, fut poursuivie lchelle institutionnelle par les grandes nations maritimes de lpoque, avec le concours des plus importantes associations maritimes (entre autres en liaison avec le CMI) et les reprsentants des groupements intresss. Ces nations se runirent en confrence La Haye en septembre 1921 (sous lgide de lInternational Law Association) en vue de ltablissement dune convention54 . Elles adoptrent les rgles sur les transports maritimes par connaissements, 50 France, Grande-Bretagne. 51 Se rapporter sur ce point aux dcisions prises par lImprial Shipping Committee, qui tait lorganisme qui regroupait les chargeurs anglais et des Dominions de lEmpire britannique, en fvrier 1921. 52 Paul de Rousiers, Les Rgles de la Haye, et leur mise en application. Le point de vue des armateurs franais, Revue internationale de droit maritime (Revue dAutran, disparue en 1923), XXXIII, 683. 53 Alexender Von Ziegler, Alternatives and methods of unification or harmonization of maritime law, Il diritto marittimo 1999, p. 232. 54 Se runit donc sur cette pousse, en aot 1921 Scheveningen, une assemble prliminaire de lAssociation de droit international (comit de droit maritime) qui mit principalement aux prises des intrts anglais (sur les 43 participants on comptait 32 britanniques) : le chef de file des armateurs anglais (Sir Norman Hill) et le chef de file des chargeurs anglais (J.S.M. Mc Conechy). Cinq jours dpres discussions furent ncessaires pour mettre au point cette Convention. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 24. 24 connues sous le nom de Rgles de La Haye 1921. Lapport de ces Rgles est quelles proposent un connaissement-type55 . Le souci des dlgus runis La Haye tait dviter une intervention lgislative car, comme lindiquait le rapport du Prsident de la commission du connaissement la Chambre de commerce internationale, les Rgles doivent plaire et recevoir lappui de tous les intresss 56 . Dans le mme sens, la confrence internationale des armateurs de Londres de 1921 exprima le vu quelles soient uniformment adoptes par voie contractuelle57 . Ces Rgles sont le fruit dun compromis entre armateurs et chargeurs : les armateurs abandonnant aux chargeurs le principe dune prsomption de responsabilit (responsabilit obligatoire pour les fautes de leurs prposs) ; les chargeurs, eux, devaient accepter un certain nombre de causes dexonration et le principe de la limitation de responsabilit du transporteur58 . Mais, pour que ces bonnes rsolutions soient appliques, il tait ncessaire quelles le soient par un nombre assez grand de praticiens59 afin que le jeu de la concurrence ne se rduist pas nant60 . Ces rgles furent un chec car les parties en prsence ne respectrent pas les engagements pris La Haye. Cet chec semble avoir plusieurs causes, la principale tant la forme mme de ces rgles. La rdaction sous la forme dun connaissement-type, inspire du modle anglo-saxon, est confuse : les rgles fondamentales de la rforme sont noyes au milieu dune srie de dispositions sans intrt, ces dispositions tant elles-mmes places les unes aprs les autres, sans quil soit fait de distinction entre celles qui reproduisaient le droit commun antrieur et celles qui le modifiaient. Sagissant du contenu des Rgles de La Haye, elles ont reproduit les principes essentiels du Harter Act61 . Lchec de ces Rgles pointa la ncessit dune convention internationale et donc de leur transformation en texte impratif. 55 Comme lindiquent Messieurs Bonassies et Scapel, il ne sagit pas dun texte impratif, mais dun connaissement-type qui ne pouvait tirer sa force que dune rfrence contractuelle et qui pouvait tre cart au bnfice dune negligence clause classique . Pierre Bonassies et Christian Scapel, Trait de droit maritime, LGDJ Paris, 2006, n 886, p. 571. 56 Charles Haight, rapport figurant dans la Revue dAutran, XXXIII, 1086. 57 Massimiliano Rimaboschi, Mthodes dunification du droit maritime, contribution linterprtation uniforme, thse pour le doctorat en droit, Edizioni Universit di Trieste, 2005, p. 92. 58 Nathalie Soisson, La libert contractuelle dans les clauses du connaissement, thse pour le doctorat en droit, Universit Panthon-Assas, 1992, p. 9 et s. 59 Cette condition avait t assez tt identifie par les armateurs franais, Paul de Rousiers, Les Rgles de la Haye, et leur mise en application. Le point de vue des armateurs franais, op. cit. 60 Les assureurs auraient d refuser leur garantie lorsque le connaissement qui couvre les marchandises ntait pas conforme ces connaissements-types, de mme les banquiers leur tour auraient d refuser lescompte des documents qui leurs taient prsents la suite de ventes commerciales, telles que les ventes maritimes CAF ou FOB, cf. F. C. G. Nabi, thse pour le doctorat en droit op. cit. p. 11. 61 Linterdiction pour larmateur de sexonrer des fautes commerciales de ses prposs avec, comme contre- partie, lexonration de plein droit des fautes nautiques et lexonration des vices cachs du navire, le tout sous la condition dune diligence raisonnable apporte par larmement laccomplissement de ses obligations. Le tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 25. 25 21. En octobre 1922, eu lieu Bruxelles une nouvelle confrence diplomatique internationale, qui adopta finalement un projet de convention qui tait, malgr lopposition franaise62 , la reproduction pure et simple des Rgles de La Haye. Cette convention fut signe le 25 aot 1924 par dix Etats qui reprsentaient lpoque deux tiers du tonnage mondial63 . Les ratifications furent trs lentes : selon les mots de Ripert, la plupart des pays taient effrays 64 par le texte emprunt aux Rgles de La Haye. Les diffrents Etats qui staient rallis au texte international devaient en outre introduire dans leur lgislation interne les rgles de la Convention de Bruxelles65 . Les ratifications et les adhsions furent nombreuses66 . A ct des ratifications proprement dites, et ct des lois nationales qui ont reproduit intgralement le texte de la Convention, on rencontre un certain nombre de lois qui ont adopt les rgles essentielles avec certaines modifications dimportances variables, et parfois en modifiant simplement la limite de responsabilit de larmateur67 . problme est que parmi la multiplicit des causes dexonration, y figurent certaines comme lincendie inspir du droit coutumier britannique et qui ne pouvait pas tre introduites dans la lgislation continentale et en particulier celle franaise, sans en modifier profondment lconomie. F. Sauvage, Manuel pratique du transport des marchandises par mer, op. cit. p. 13. 62 Malgr la demande de Georges Ripert, reprsentant de la France, la commission (comme la confrence diplomatique) se refusa toute modification de forme dans le projet de convention et tout allgement du texte. La seule concession obtenue fut la signature dun protocole de clture de la convention aux termes duquel les Etats signataires peuvent donner effet la Convention soit en lui donnant force de loi, soit en introduisant dans leur lgislation nationale les rgles adoptes dans la convention, sous une forme approprie cette lgislation . 63 LAllemagne, la Belgique, lEspagne, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, lItalie, le Japon, la Pologne, la ville de Dantzig et la Roumanie . 64 Georges Ripert dans une note au Dalloz sous larrt de la Cour de cassation du 08-06-1948, D 1948, 553. Celui-ci fut trs critique sur ce texte, il estima ainsi lors de la premire sance plnire du Sous-Comit que it seemed impossible that so long document containing principally rules where application was discretionary should be introduced into internal legislation. In France the convention was considered as flawed because it originated from a prototype bill of lading drawn up at The Hague with the aim of producing a compromise between shipowners and shippers and of regulating completely the liability of one and the rights of the other. But the transformation of the prototype bill of lading into an internal convention comprising clauses such as those in article 4, which have no binding force since the article 5 the carrier is free to abandon all or some of the rights and immunities provided for by the convention, would certainly come up against difficulties. Mr. Ripert would like the commission to limite itself to conceding a few principles and to grouping them into five or six articles that would form an international convention binding in all its parts. This convention would determine the types of carriage to which the rules would apply and their obligatory character. Each state would be free, moreover, to reproduce in its internal law the precise text of the Hague Rules. He judged that the convention, as presently drafted, would meet with considerable opposition in the french legislature if a law had to be made of it. Publi in The travaux prparatoires of the Hagues Rules and of the Hague-Visby Rules, Anvers, 1997, p. 49, procs verbal, p. 36. 65 Certains Etats comme la Grande-Bretagne se bornrent reprendre le texte mme de la Convention sans y apporter le moindre changement : la Grande-Bretagne adopta ds le 1er aot 1924, et avant mme davoir ratifi la convention, une loi interne dite The Carriage of Goods by Sea Act 1924 qui en reproduisait les dispositions. La Belgique fit de mme dans une loi du 20 novembre 1928 devenue larticle 91 de son Code de Commerce. Dautres Etats par contre ont t guids par le souci dadapter ce texte dorigine Anglo-Saxonne la rdaction longue et parfois dsordonne leur culture juridique. 66 Espagne et Hongrie en 1930, Portugal et Monaco en 1931, Etats-Unis et Roumanie en 1937, Italie, Sude, Norvge et Danemark en 1938 (de nombreux Etats qui navaient pas pris part la confrence de Bruxelles y ont adhr posteriori). 67 A titre dexemple on peut citer les Pays-Bas qui ont promulgu en 1924 une loi qui est un code complet de laffrtement, o lon rencontre la plupart des rgles de la convention, mais avec une rdaction diffrente. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 26. 26 A lheure actuelle, plus de cent Etats (dont plusieurs pays en dveloppement) ont ratifi cette Convention ou y ont adhr. La Convention est entre en vigueur en 1931, elle lest toujours et, pour des auteurs tels que Messieurs Scapel et Bonnaud, elle est indiscutablement la grande Convention du vingtime sicle 68 . En effet, cette Convention tait issue de la ralit du commerce et de lentente des professionnels. Cest pour ces raisons quelle sest affirme dans la pratique comme le droit le plus rpandu dans les transports maritimes. Cet outil conventionnel constitue une transaction destine vider les querelles entre les chargeurs et les transporteurs mais na pas pour but dinstaurer un rgime complet pour le transport de marchandises par mer. Il vise seulement faire reconnatre le connaissement comme tant un document de base doprations de crdit et le protger en tant que tel. En consquence, la Convention ne sapplique quaux transports constats par connaissement ou tout autre document similaire formant titre pour le transport des marchandises par mer. 22. La Convention de Bruxelles de 1924, nayant pas eu la sagesse de prvoir sa priodique rvision 69 , il est rapidement apparu ncessaire dadapter celle-ci aux volutions de la technique. Cette rvision tait principalement revendique par les chargeurs70 . Dune part, ils estimaient que les dispositions portant sur le rgime de responsabilit du transporteur et notamment ses possibilits dexonration, devaient tre modifies car celles-ci taient floues et ambigus. Dautre part, ils arguaient du fait que la diminution des risques maritimes due aux progrs de la technique devait aboutir une nouvelle rpartition des risques et notamment la suppression de la possibilit pour les transporteurs de dgager leur responsabilit pour des risques dornavant facilement vitables71 . Une autre critique invoque contre la Convention tait le fait que celle-ci ne dfinissait pas prcisment ce quelle rgissait. 23. Le mouvement tant lanc, le CMI fut saisi, comme pour la Convention de 1924. Lavant-projet72 de cette rvision fut prpar au cours de runions tenues annuellement73 . Francis Sauvage, Manuel pratique du transport des marchandises par mer, op. cit. p. 16. 68 Christian Scapel et Jacques Bonnaud, Les conventions internationales sur le transport des marchandises, Pratic exporte, 1992, p. 6. 69 Ren Rodire, La rvision de la Convention de Bruxelles relative aux transports maritimes internationaux, Bulletin des transports et des chemins de fer, 1974, p. 14-41. 70 Une premire attaque fut lance par les armateurs britanniques contre cette Convention aprs une dcision des tribunaux anglais (affaire S/S Muncaster Castle70 ) dans laquelle un armateur avait t condamn rparer des dommages dus un vice de son navire que la Chambre des Lords navait pas estim entrer dans la catgorie des vices cachs au sens de la Convention. Riverstone Meat C versus Lancashire Shipping C, 1961, A.C. 807, obs. Bonassies, DMF 1963, 246. 71 Ren Rodire, Trait gnral de droit maritime, op. cit. T II 1968, n 710 et s. 72 Une fois cet avant-projet labor, il fut envoy au Gouvernement Belge qui convoqua la Confrence diplomatique de droit maritime . Elle se runit pour la premire fois en mai 1967, et rejeta en bloc le projet car celui-ci navait pas mis au point la manire dont la Convention serait modifie. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 27. 27 Cest la douzime confrence diplomatique runie Bruxelles en fvrier 1968 qui a abouti la rdaction et ladoption du Protocole portant modification de la Convention internationale pour lunification de certaines rgles en matire de connaissement signe Bruxelles le 25 aot 1924 , dnomm par les Anglo-Saxons Rgles de Visby 74 . Ce Protocole a prcis et tendu75 le domaine de la Convention. En effet, larticle 10 de la Convention de Bruxelles de 1924 qui prvoyait quelle sappliquerait tout connaissement mis dans un Etat contractant tait trop sommaire et avait donn lieu des difficults76 . Les rectifications apportes aux dispositions de la Convention de 1924 par ses Protocoles feront lobjet dune tude ultrieure, celles-ci ne modifient pas fondamentalement lordonnancement de la Convention77 . Ces changements mineurs nont dailleurs pas donn pleine satisfaction aux chargeurs et notamment ceux des pays en dveloppement. Par la suite, labandon de lor comme valeur talon en 1978 a conduit adopter une nouvelle unit de compte afin que sa valeur suive lvolution des principales monnaies et que la conversion en monnaies nationales soit simple. Le Protocole de Bruxelles du 21 dcembre 1979, mis en uvre par le Fonds Montaire International (FMI), a introduit le Droit de Tirage Spcial (DTS) comme unit de compte pour le calcul des limites de responsabilit du transporteur. Il est entr en vigueur le 14 fvrier 198478 . Sur le plan interne, le lgislateur franais a align, par la loi du 23 dcembre 1986, la rglementation franaise par rapport aux modifications apportes par les Protocoles de 1968 et 1979 la Convention de 1924. 24. Les annes soixante ont vu natre dans le domaine du transport maritime un lment de discorde. Il sagit de la volont des pays en dveloppement de sinsrer dans la vie 73 Confrence de Rijeka 1959 et confrence de Stockholm 1963. 74 Protocole entr en vigueur le 23-06-1977 et qui lie la France depuis sa publication par le dcret n809 du 08 juillet 1977, D 1977, L 331. 75 Le Protocole a admis que, par le jeu de la clause Paramount, soit donn effet la Convention de 1924 modifie, lorsque le connaissement y renvoie expressment, dans les cas o normalement elle ne sappliquerait pas. 76 Les tribunaux franais ont eu les rgler, cf. Ren Rodire, La rforme de la Convention de Bruxelles de 1924 sur les transports par connaissement, Bulletin des Transports 1968, p. 90 et s. 77 La principale modification apporte par le Protocole de 1968 la Convention pour lunification de certaines rgles en matire de connaissement de 1924, concerne le plafond de rparation. Ce Protocole ne modifie pas les principes de la Convention mais se borne avec quelques prcisions utiles relever les chiffres de la rparation. En outre a t substitue dans le calcul du plafond de limitation, la rfrence du Franc Poincar celle de la livre-or, et a t prvue une double limitation de la responsabilit du transporteur lui donnant le choix entre colis ou unit et kilogramme de poids brut (cette mesure, prise linitiative des Etats-Unis, permettait de prendre en compte les chargements par conteneurs). Par ailleurs, le plafond de responsabilit est dsormais cart en cas de faute inexcusable et non plus seulement de dol du transporteur. Pour une tude complte cf. Nathalie Soisson, op. cit., p. 15 et s. 78 Ratifi par la France le 18 novembre 1989. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 28. 28 conomique mondiale. Cette tentative fut appuye par des revendications politiques. Parmi celles-ci, les pays en dveloppement aspirrent une rvision du droit des transports maritimes, estimant en effet que la Convention de Bruxelles et ses modifications favorisaient uniquement les armateurs. Ce remaniement du droit maritime tait inspir par des considrations diverses. Il sagissait, dabord, de sinsurger contre le fait que le CMI, organe pendant longtemps unique oeuvrant pour lunification du droit maritime, aurait subi linfluence des vieilles nations maritimes79 . Ensuite, il sagissait de vues plus thoriques visant aligner le droit du transport maritime sur le droit des autres modes de transport80 . 25. Les pays en dveloppement, souhaitant rviser des rgles qui leur paraissaient avoir t labores en leur absence par les grandes puissances maritimes au sein du CMI, ont amen les Nations unies se saisir de la question81 . Ce projet de rforme du droit maritime international est apparu aux pays en dveloppement comme quelque chose de crucial pour eux, car celui-ci tait peru comme permettant aux pays 79 Cette observation parat vidente puisque le CMI mane justement de ces nations, mais cest ce qui permet dexpliquer que celui-ci ne jouit pas dune autorit mondiale aux yeux des Etats du tiers monde. Michel Alter, La Convention sur les transports de marchandises par mer (Rgles de Hambourg), JDI, n4, 1979, p. 795 et s. 80 Claire Legendre, La Convention des Nations unies sur le transport de marchandises par mer, DMF, 1978, p. 388 et s. 81 Au sein des Nations unies, deux organismes avaient vu le jour au dbut des annes 60 : la Confrence des Nations unies sur le commerce et le dveloppement (CNUCED 1964) et la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI 1966) qui avaient t cres sous la pression dun mouvement de dfense des chargeurs des pays en dveloppement (Asie, Afrique, Amrique latine). Le Professeur du Pontavice a expliqu la cration de ces organismes par la volont de faire cesser le conflit dantesque entre le droit maritime dominant, celui qui dcoule de la common law et les aspirations des pays en dveloppement , Emmanuel du Pontavice, Luvre du Doyen Rodire en droit maritime, DMF 1982, p. 719. Cette rvision des rgles et pratiques du connaissement a donc t inscrite dans le programme du groupe de travail de la CNUCED. Lors de sa deuxime runion, ce groupe de travail a soulign, dans une rsolution adopte lunanimit, la ncessit de rviser la Convention. Cette rsolution, adoptant certaines directives sur la manire dexaminer une rforme de la lgislation du transport de marchandises par mer, avait comme but avou daggraver la responsabilit du transporteur maritime. Le groupe de travail de la rglementation internationale des transports maritimes chargea donc la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI 1966), dont les membres sont de formation plus juridique, dlaborer un nouveau texte conformment aux directives du groupe de travail de la CNUCED (celle-ci tant plus un organe politique que de travail). Ce projet ambitieux destin remplacer la Convention de 1924 et les Protocoles la modifiant fut combattu par certains Pays dvelopps conomie de march ( Michel Alter, La Convention sur les transports de marchandises par mer, op. cit., p. 795) qui refusaient de reconnatre comptence la CNUCED et la CNUDCI de sattribuer de telles prrogatives alors que des organismes installs de longue date avaient dj prouv leur efficacit dans le domaine de la cration et de ladaptation de la lgislation maritime internationale (CMI). Malgr ces rticences, la CNUCED sest attribue une pareille comptence de substitution lors de sa runion Nouvelle-Delhi en mars 1968. Compos de 21 Etats, le groupe de travail de la CNUDCI (dont le nombre important sexplique par lampleur de la tche), lissue de sa huitime session, a adopt un projet de convention. Ce projet fit ensuite la navette entre la CNUCED et la CNUDCI qui ladopta finalement lors de sa neuvime session du 12 avril au 17 mai 1976 New York. Ces travaux prparatoires raliss par la CNUDCI ont dur sept ans : le but de cet organisme tait de rviser les aspects conomiques et commerciaux de la lgislation et de la pratique internationale dans le domaine des connaissements, sous langle de leur conformit aux besoins du dveloppement conomique, notamment des Pays en voie de dveloppement, et de formuler les recommandations appropries Traduction de Nathalie Soisson in, La libert contractuelle dans les clauses du connaissement, thse pour le doctorat en droit, op. cit. , p. 20. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 29. 29 dvelopps dassurer leur matrise sur les marchs extrieurs et en particulier sur les pays en dveloppement 82 . 26. Un projet a t soumis, en mars 1978, une confrence de plnipotentiaires convoque par lAssemble gnrale des Nations unies Hambourg. La Convention des Nations unies sur le transport de marchandises par mer a t adopte aprs de nombreux dbats, le 31 mars 1978, par les reprsentants de 72 Etats83 , en prsence de 8 organisations gouvernementales et 7 organisations semi-gouvernementales. Ce projet de la CNUDCI fut bien prs de connatre lchec en raison des clivages : dun ct, les reprsentants des pays en dveloppement84 marquaient leur accord en faveur du projet alors que certains grands Etats maritimes manifestaient leur intention de revenir au rgime de la Convention de 1924 ou souhaitaient encore allger la responsabilit du transporteur. Les Rgles de Hambourg85 sont entres en vigueur le 1er novembre 199286 (grce la ratification de la Zambie)87 . Elles furent considres par leurs instigateurs, les pays en dveloppement reprsentant les deux tiers de la confrence, comme un succs politique mettre leur actif. En ce qui concerne les sources dinspiration de ces Rgles, le Professeur du Pontavice insiste sur linfluence importante que les auteurs anglo-saxons passent rgulirement sous silence... de la loi de 1966 relative laffrtement et au transport maritime sur la Convention de Hambourg concernant le transport de marchandises par mer de 1978... 88 . 82 Nathalie Soisson, op. cit., p. 19. 83 Soixante-huit se prononcrent et 4 sabstinrent : Canada, Grce, Libria, Suisse. 84 Lexpression pays en dveloppement a remplac celle de pays en voie de dveloppement. Cette expression est utilise pour dsigner des pays qui, malgr la diversit de leurs situations individuelles, se caractrisent par ltendue et limportance de leurs dficiences (faiblesse du revenu national, insuffisance des ressources alimentaires, sous-industrialisation ) Lexique des termes juridiques, Dalloz 15me d, 2005. On dsigne traditionnellement un groupe de 77 Etats au sein de lONU. 85 Comme ses rdacteurs lont expressment souhait en hommage lhospitalit accorde par la ville Hansatique de Hambourg, Pierre Bonassies, Le domaine dapplication des rgles de Hambourg, in n spcial IMTM, Lentre en vigueur des Rgles de Hambourg, 1992, p. 15 et s. 86 Cette Convention, dnomme Rgles de Hambourg, devait conformment son article 30 entrer en vigueur le premier jour du mois suivant lexpiration dun dlai dun an compter de la date du dpt du vingtime instrument de ratification, dacceptation ou dadhsion . 87 La France quant elle, a sign la Convention le 18 avril 1979 et a autoris la ratification de cette Convention par la loi du 15 avril 1981. Malgr cela, celle-ci na toujours pas t ratifie. 88 Bien entendu lextension de la responsabilit du transporteur ralise par les Rgles de Hambourg est galement due linfluence des dispositions similaires contenues dans les conventions internationales sur le transport de marchandises par rail, par route ou par air, mais la formulation spcifique des rgles est bien due la loi franaise de 1966. Monsieur du Pontavice, voquant cette extension de la responsabilit du transporteur, fait rfrence aux principaux apports des Rgles de Hambourg qui modifient le rgime de responsabilit du transporteur : dabord en substituant la prsomption de responsabilit dont il faisait lobjet par une prsomption de faute, ensuite en renversant la charge de la preuve : le transporteur est responsable des pertes ou dommages moins quil ne prouve que lui-mme, ses prposs ou mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement tre exiges pour viter lvnement et ses consquences (art. 5), et enfin en supprimant la tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 30. 30 Cet historique permet de constater la pluralit de normes applicables au droit du transport international de marchandises par mer. Cette coexistence contemporaine de diffrentes normes soulve la question de luniformit du droit. On peut supposer que celle-ci est souhaite, pour des raisons pratiques, par les magistrats et autres avocats, praticiens du droit. Quen est-il sagissant de la doctrine ? liste des cas excepts (et en particulier en supprimant la faute nautique considre comme dfavorable aux chargeurs). Cf. Emmanuel du Pontavice, Luvre du Doyen Rodire en droit maritime, DMF 1982, p. 657. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 31. 31 Section II Luniformit du droit : idal et ralit 27. Le besoin dune certaine homognit ou cohrence du droit, en un mot dune uniformit, est exprim classiquement. Celui-ci peut-il tre vrifi ? 28. Les normes de lordre juridique, le droit , rglent la conduite des hommes en relation avec le temps et lespace89 . Le domaine de validit spatial et temporel de la norme peut avoir vocation tre plus ou moins tendu. Les hommes ont eu trs tt tendance vouloir propager les rgles de droit quils craient : cest lapparition de lide dune communaut de droit transcendant les frontires. Lidal dun droit unifi tait n. La simple ide dun droit unifi ou unique, ou en tout cas cette vocation du droit luniversalit, est assez ancienne (et difficile dater de faon prcise) et partage par de nombreux auteurs90 . Comme lexprime le Professeur Malaurie, la marque du gnie humain est la diversit en mme temps que lunit est un besoin qui a toujours hant les hommes, pas seulement dans la vie sociale, mais dans tous les domaines 91 . On trouve dj lide dun droit naturel en Grce92 . Chez les Romains, cest le jus gentium vocation universelle93 . Lge des Lumires et la Rvolution de 1789 ont aussi dvelopp une telle aspiration luniversalit fonde sur le fait que la loi crite, expression de la volont gnrale, est la garantie suprme de lindividu. Montesquieu et Rousseau ont plac la loi au centre de leurs rflexions politiques. Pour les esprits clairs , la loi apparaissait comme le pur produit de la raison et de lvolution alors que les coutumes, dorigines incertaines, diverses, complexes, taient un symbole manifeste de lirrationalit. A cette poque, lhomme est peru comme tant le sujet central du monde. Cest le moment des grandes dclarations des droits de lhomme et du citoyen. Tout systme juridique doit tre organis autour de ce sujet car il porte en lui des principes de vie en socit, des rgles lmentaires, et de ce fait, immuables. Il en 89 Hans Kelsen, Thorie pure du droit, Paris, Dalloz, 2me d. , 1962, p. 17. 90 Kant cherchait le principe universel du droit , selon lequel est juste toute action qui permet ou dont la maxime permet la libert de larbitre de tout un chacun de coexister avec la libert de tout autre suivant une loi universelle , Kant, Mtaphysique des murs, premire partie, Doctrine du droit, introduction la doctrine du droit, prface de Michel Villey, Librairie philosophique J. Vrin Paris 1986, p. 104. Savigny basait lui sa rflexion sur la communaut du droit entre les diffrents peuples , Pierre Mayer, Droit international priv, 3me d. Montchrestien, Paris 1987. 91 Philippe Malaurie, Loi uniforme et conflits de lois, Travaux du Comit franais de droit international priv, 1967, p. 83. 92 Les Grecs admettaient lide de normes suprieures, dont lorigine ntait pas purement humaine. On en trouve une rfrence dans lAntigone de Sophocle quand celle-ci affirmait avoir obi des lois non crites des dieux, qui ne sont ni daujourdhui ni dhier . Jean-Louis Thireau, Introduction historique au droit, Champs Universit Flammarion, 2001, p. 37. 93 Michel Villey, Considrations intempestives sur le droit des gens, Archives de philosophie du droit, Tome 32, le droit international, d. Sirey 1987, p. 13-19. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 32. 32 rsulte un droit applicable universellement. Cette conception du droit interne a inspir des gnrations de juristes et a naturellement t transpose dans lordre international. 29. Cest au cours du premier quart du vingtime sicle, et notamment sous limpulsion de Lvy-Ullmann, que des juristes, attirs par le droit compar94 , sorientrent vers la recherche dun droit mondial du vingtime sicle . A cette poque, on se plaisait souligner les inconvnients, sinon la contradiction intime, que prsentait la disparit des lois nationales dans un monde o se dveloppaient intensment les relations entre Etats et qui prtendait organiser une Socit des Nations 95 . Cest laccroissement important des relations internationales prives au vingtime sicle qui a dclench un processus dunification internationale soutenu par des organismes tels que la CNUDCI et UNIDROIT96 . Ces organisations vocation universelle ont pour but duniformiser le droit. A une chelle gographique plus modeste, la Communaut europenne adopte des rgles de droit qui seront les mmes pour tous les Etats membres. Ces efforts ont t relays par des auteurs, ainsi les manuels dintroduction au droit compar noncent, quelques exceptions prs, parmi les objectifs de leur matire, lunification internationale du droit97 . 30. Lidal duniformit du droit est ancien et concerne tant le droit interne que le droit international. Pourtant, dans la ralit, cet idal est-il ralisable (paragraphe 1) ou nest-il pas plutt souhaitable de parvenir une uniformit relative du droit (paragraphe 2) ? Paragraphe 1 Lidal duniformit du droit 31. Luniformit du droit exerce un attrait idologique sur les esprits pris de systmatisation. Comme le souligne le Professeur Delmas-Marty, le droit a horreur du multiple. Sa vocation cest lordre unifi et hirarchis, unifi parce que hirarchis 98 . Cette uniformit apparat comme un idal de simplicit, de mthode, dordre. Le droit est, en effet, lordre juridique. Il est destin rgir les rapports humains, viter les tensions. Luniformit tant rarement spontane, lintervention du lgislateur est ncessaire. Dans cette optique, 94 Cest lors dun congrs international runi Paris en 1900 loccasion de lexposition universelle que des juristes attirs par le droit compar imaginrent un droit commun de lhumanit civilise , fond sur les principes communs aux nations civilises , Raymond Saleilles, Congrs international de droit compar, LGDJ, Paris, 1900, p. 13. 95 Marc Ancel, Rapprochement, unification ou harmonisation des droits ? op. cit. , p. 3. 96 LInstitut international pour lunification du droit priv a t cr Rome en 1926 linitiative du Gouvernement italien et du conseil de la Socit des Nations. LInstitut international uvre pour lunification et lharmonisation des rgles de droit priv dans le domaine conomique. 97 Ren David et C. Jauffret-Spinosi, Les grands systmes de droit contemporain, 10me d. Paris, 1992, p. 8. 98 Mireille Delmas-Marty, Trois dfis pour un droit mondial, Seuil essais, 1998, p. 104. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 33. 33 lunification lgislative apparat comme un travail dlaboration scientifique de la solution la meilleure et la plus approprie aux besoins communs. Parvenir uniformiser le droit ncessite un effort de recherche pour adopter un droit le plus efficace et le plus simple possible. Ces deux qualits sont indispensables pour que ce droit russisse lambitieuse tche qui lui est assigne : celle de devenir un droit uniforme. En effet, que souhaiter de mieux quun droit unifi ou unique ? Luniformit parat de ce fait tre porteuse de simplification. Cette simplification rsulte de la substitution dun droit unique la multitude des droits applicables. Luniformit permettra aussi dassurer leffectivit du droit car il semble que la multiplication des normes, leur instabilit, leur excessive complexit faite de sdiments successifs pas ou peu cohrents, rend presque impossible un respect scrupuleux du droit 99 . 32. En matire internationale, cette complexit est encore renforce par les problmes de traduction ou de comprhension dun systme juridique tranger auxquels les juges vont tre confronts lorsquil sagit dappliquer des lois trangres qui ne leur sont pas coutumires. De plus, les rapports internationaux ayant parfois de multiples lments de rattachement avec plusieurs Etats, les parties se trouvent confrontes plusieurs droits potentiellement applicables : on comprend limprvisibilit qui en dcoule. Cest pour cela que Messieurs David et Jauffret-Spinosi estiment que lune des tches principales qui incombent au juriste soucieux de faciliter les rapports internationaux est de tenter de mettre fin ces divergences ; dans un monde o les rapports internationaux ont pris une si grande importance, il convient de donner une assise sre ces rapports. Une entente doit tre ralise entre les divers pays pour que partout soit appliqu, un rapport donn, le mme droit. Les Etats doivent laborer et accepter en la matire, des solutions uniformes 100 . 33. Le Professeur Battifol a assign deux objectifs au droit international priv qui peuvent tre tendus au droit du transport international de marchandises par mer en ce quil concerne lui aussi des personnes prives impliques dans des relations juridiques internationales101 . Ces deux objectifs sont lharmonie internationale des solutions102 et leur prvisibilit103 . En ce qui concerne la prvisibilit du droit, ce caractre semble inhrent la nature mme du droit qui se veut le triomphe (aussi durable que possible bien que jamais dfinitif) de la 99 B. Seiller, La reconnaissance dun droit au droit, in Laccs au droit, colloque organis le 8 juin 2001 par le Centre de recherche en droit priv de lUniversit de Tours, Publication de lUniversit Franois Rabelais, Tours, 2002, p. 42. 100 Ren David et Camille Jauffret-Spinosi, Les grands systmes de droit contemporain, 11me d. 2002, Dalloz Paris, n 7 p. 7. 101 Pierre Mayer et Vincent Heuz, Droit international priv, Montchrestien Paris, 8me d. 2004, n 2 p. 2. 102 Henri Battifol, Aspects philosophiques du droit international priv, Dalloz, Paris, 1956, p. 212 et s. 103 Henri Battifol, Problmes de base de philosophie du droit, LGDJ Paris, 1979, p. 131. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 34. 34 stabilit sur le mouvement 104 . La prvisibilit est gnralement associe la lisibilit de la rgle de droit, son accessibilit et sa stabilit qui sont autant de caractres de la scurit juridique. Pour Messieurs Jacquet et Delebecque, ladoption dune rglementation en matire de commerce international devrait assurer stabilit et scurit 105 aux relations juridiques et favoriser ainsi le dveloppement des changes dans la socit internationale. Si le dveloppement des changes est un objectif quil nest pas ncessaire de dmontrer, il faut en revanche accepter laxiome selon lequel la scurit juridique permet dy parvenir. La scurit juridique est une notion protiforme106 qui connat de nombreux dveloppements actuels devant les juridictions administratives107 et judiciaires108 . Du fait du caractre complexe et incertain de cette notion, il est ncessaire de la manier avec prcaution. En ce qui concerne prsent lharmonie internationale, celle-ci permet dassurer la prvisibilit du droit. Lharmonie internationale idale serait de parvenir une lgislation unique applicable aux relations internationales, en un mot dunifier le droit. 34. Ainsi lexistence dun droit uniforme permettrait dliminer les malentendus et difficults des civilisations qui doivent vivre ensemble109 et par ce biais faciliterait les changes. La diversit des lois dans le domaine des changes commerciaux a un cot 104 M. Chevillier-Gendreau, Introduction gnrale au droit, Paris, Eyrolle, 1990, p. 77. 105 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque estiment que le commerce international a un besoin vital de droit qu il apporte aussi stabilit et scurit () et qu il est prvoir que le commerce se dployant dans une socit foncirement homogne et o les conflits dintrts sont considrables et les enjeux normes, toutes les fins du droit seront sollicites . In Droit du commerce international, 3me dition Cours, Dalloz Paris 2002, n 8. 106 Le Professeur Chapus relve que les facettes du principe de scurit juridique sont innombrables , Droit administratif gnral, T1, Montchrestien 2001, p. 106. 107 Ce principe de scurit juridique a t consacr par le Conseil dEtat dans la dcision socit KPMG du 24/03/2006, cet arrt faisant suite aux proccupations relatives la scurit juridique figurant dans le Rapport public 2006 de la Section du Rapport et des tudes du Conseil dEtat. Paul Cassia, La scurit juridique, un nouveau principe gnral du droit aux multiples facettes, D 2006, n 18, p. 1190 et s. Dautre part il faut indiquer que le Conseil constitutionnel statue sur la conformit des lois au principe de scurit juridique. Cf. sur ce point B. Mathieu, La scurit juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient, Mlanges Patrice Glard, LGDJ Paris 1999, p. 302. 108 La Cour de cassation considre, au sujet de lapplication immdiate des solutions jurisprudentielles nouvelles, que les justiciables ne sauraient revendiquer le droit au maintien dune jurisprudence fige , immuable ou encore constante . Sur ce point, entre autres, Cass. Civ. I. 09/10/2001, D 2001, J. p. 3470 ; Cass. Civ. II 08/07/2004, D 2004, J, p. 2956 ; Cass. Soc. 17/12/2004, D 2005, IR, p. 110. Cette jurisprudence et le Rapport Molfessis sur les revirements de jurisprudence (qui a t remis au premier Prsident de la Cour de cassation le 30/11/2004 et qui encourage la Cour de cassation poursuivre dans ce sens, tout en prconisant que la Cour suprme puisse moduler dans le temps les effets de sa dcision en sabstenant dappliquer la solution nouvelle certaines espces) sont trs critiqus par la doctrine. Selon dminents auteurs, cette rtroactivit des revirements de jurisprudence porte atteinte la sparation des pouvoirs, la prohibition des arrts de rglement mais aussi et surtout au principe de scurit juridique. Cf. sur ce point : C. Rad, La rtroactivit des revirements de jurisprudence, D 2005, Chronique, p. 988. Vincent Heuz, A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une raction entre indignation et incrdulit, JCP d. gnrale 2005, n 14, 1 p. 671. William Dross, La jurisprudence est-elle seulement rtroactive ? ( propos de lapplication dans le temps des revirements de jurisprudence), D 2006, Chronique p. 472. 109 En ce sens, cf. colloque sous la direction de M. Cappelletti, Nouvelles perspectives dun droit commun de lEurope, Leyden et Bruxelles, 1978. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 35. 35 conomique. En effet, reprenant lanalyse conomique du droit du Prix Nobel dconomie Monsieur Coase, le Professeur Muir Watt montre que tant linformation sur le contenu dune loi trangre que lapplication dune lgislation protectrice de lune des parties ont un cot conomique110 . 35. En dfinitive un droit unifi, simple et stable, semble le meilleur moyen dassurer aux particuliers une certitude raisonnable quant la loi applicable. Pourtant, comme le souligne le Professeur Ancel : cette unification formelle, hier tant vante, est aujourdhui lobjet de critiques multiples 111 . Paragraphe 2 - Un besoin relatif duniformit 36. Lide selon laquelle le droit international a besoin duniformit doit tre relativise tant en ce qui concerne la possibilit darriver une telle uniformit qu propos de lintrt dun tel processus. 37. Il apparat dabord que la recherche de luniformit est confronte dans la ralit de nombreux obstacles. Le concept mme duniformit du droit pose des difficults car celle-ci peut varier sur trois aspects : - le champ dapplication gographique de luniformit peut tre plus ou moins large (universel, rgional, national) ; - le champ dapplication matriel (la ou les matires vises) : luniformit peut ne viser que certaines matires, quun type dactivit ou au contraire viser toutes les branches du droit ; - lintensit de luniformit : il peut sagir dune uniformit matrielle ou conflictuelle, dune uniformit globale ou limite ou encore absolue ou relative (elle ne sappliquera que pour des relations concernant des Etats contractants). Il apparat ainsi que parler duniformit peut prter confusion tant le terme peut dsigner des phnomnes diffrents. Luniformit absolue, totale, mme si elle est concevable en thorie, est irralisable en pratique. Lunification absolue qui serait une unification politique, juridique, judiciaire et linguistique est impossible du fait de la diversit des ordres juridiques et du respect de leur indpendance. Luniformit est actuellement prsente comme un mythe, lusage de la 110 Horatia Muir Watt, Law and economics : quel rapport pour le droit international priv ? , in tudes offertes Jacques Ghestin, Le contrat au dbut du XXIme sicle, LGDJ Paris, 2001, p. 693 et 694. 111 Marc Ancel, ibid. , p. 5. tel-00511315,version1-24Aug2010
  • 36. 36 dnomination mythe participant lentreprise de contestation et de dconstruction de luniformit112 . Il ne viendrait lide de personne aujourdhui de proposer une uniformit totale du droit. Cette ide apparat mme dangereuse car il y aurait un risque de totalitarisme, dhgmonie dun systme. Luniformit, si elle est envisage, lest de faon fragmentaire. Montesquieu dveloppait dj une telle ide en 1748 en crivant qu il y a certaines ides duniformit qui saisissent quelques fois les grands esprits mais frappent infailliblement les petits. Ils y trouvent un genre de perfection quils reconnaissent, parce quil est impossible de ne pas le dcouvrir, les mmes poids dans la police, les mmes mesures dans le commerce, les mmes lois dans lEtat, la mme religion dans toutes ses parties. Mais cela est-il toujours propos, sans exception ? Le mal de changer est-il toujours moins grand que le mal de souffrir ? Et la grandeur du gnie ne consisterait-elle pas mieux savoir dans quel cas il faut de luniformit, et dans quel cas il faut des diffrences ? () Lorsque les citoyens suivent les lois, quimporte quils suivent la mme ? 113 . Luniformit sera ainsi impossible dans des domaines o les divergences sont trop fortes. Il y a ainsi une place pour une unification limite du droit qui ne porte quune atteinte partielle la souverainet des Etats par le jeu des traits librement consentis et lobjet soigneusement dlimit 114 . Les partisans du droit uniforme sefforcent alors de dgager les matires ou branches du droit les plus propices. Cet effort pour circonscrire le domaine dlection dune rglementation uniforme est motiv par un souci dlaborer un systme de droit intrinsquement cohrent. Pourtant, mme dans une branche du droit considre comme propice luniformit, comme peut ltre le droit du commerce international (les relations tant en ce domaine fortement internationalises ), le processus est fragmentaire : il ne concerne que certains contrats, certaines relations. Pour atteindre une uniformit du droit, il est ncessaire de faire le choix dune tradition juridique, dune lgislation pour laborer le droit uniforme ou alors de faire des compromis entre des lgislations, ce qui pose dvidents risques de dsaccord entre les Etats. En outre, il est frquent que mme pour les relations qui font lobjet dun droit uniforme au niveau international, subsiste toujours un droit national. De ce point de vue, luniformit du droit international peut avoir un effet perturbateur. Ainsi que le souligne Monsieur Marchand, lharmonisation horizontale du droit implique en effet 112 Didier Guignard, La notion duniformit en droit public franais, thse pour le doctorat en droit, Universit des sciences sociales Toulouse I, 2002, p. 6 et s. 113 Montesquieu, De lesprit des lois, ditions Flammarion, Paris 1979, tome 2, livre XXIX, chapitre XVIII p. 307