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Contre Discours Nouveaux Cretiens Les Sepharades en Litterature

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articulo de Harm den Boer

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  • III

    LE CONTRE-DISCOURS DES NOUVEAUX JUIFS

    ESPRIT ET POLMIQUE DANS LA LITTRATURE DES JUIFS SPHARADES D'AMSTERDAM

    Harm den Boer

    Lorsque l'on parle de la littrature spharade d'Amsterdam, on chappe difficilement aux strotypes et clichs, dont deux ont t particulirement persistants. Le premier, c'est l'image qui clbre l'existence spharade aux Pays-Bas vus comme une Nouvelle Jrusalem, lieu de rdemption de la diaspora. Car en effet, la communaut spharade d'Amsterdam connut une situation exceptionnelle dans l'Europe pr-moderne, jouissant d'une tolrance religieuse inoue et de priodes de grande prosprit devenues un exemple pour le monde juif en gnral. Il existait, bien entendu, un sentiment de gratitude quant la providentielle libration de ces victimes de l'oppression inquisitoriale, sous le joug ibrique. Pour autant, les Juifs spharades d'Amsterdam n'taient pas tous riches, leur libert loin d'tre illimite et les prjugs tenaces. Plus important : dans leur propre perception, les Juifs rsidants sur les rives de l'Amstel se considraient souvent en exil autant qu'une Nouvelle Jrusalem1 .

    L'autre mythe concernant la vie littraire spharade dans !'Amsterdam de la fin du XVIIe sicle considre la cit comme une nouvelle Madrid ou Lisbonne, o des auteurs d'origine espagnole et portugaise rivalisaient avec leurs confrres catholiques du grand Sicle d'Or ibrique. Il nous semble que cette image d'clat littraire parmi les Juifs hispano-portugais se doit galement d'tre nuance.

    Si on considre la littrature dans son acceptation moderne, c'est--dire en insistant sur sa valeur esthtique, les crivains de la diaspora spharade

    Harm den Boer, Exile in Sephardic Literature of Amsterdam ,Studio Rosenthaliana 35 (2), 2001, p. 187-199.

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  • occidentale n'ont pas grand chose offrir la grande littrature espagnole et portugaise produite dans la Pninsule. Quand des historiens comme Kayserling2 et Roth3 clbrent la vie littraire d'Amsterdam, c'est la magie quantitative qui les sduit, les plus de cinquante potes et crivains recenss par Miguel Daniel Levi de Barrios (1635-1700) dans sa Relacin de los poetas y escritores judaicos de Amsterdam (1682). Outre le fait que le flatteur Barrios mentionne dans ce texte des crivains qui n'habitaient pas Amsterdam (Isaac Cardoso), voire mme qui n'taient pas juifs (Miguel de Silveira, Antonio Enr1quez Gmez), le pote d'Amsterdam fait l'loge de nombre d'crivains qui, vrai dire, peuvent tre considrs comme des amateurs de rimes ; certes mritoires, mais pas franchement mme de rivaliser avec des Gongora, Lope de Vega ou Quevedo. Le mme Barrios, l'auteur le plus fameux parmi les crivains spharades d'Amsterdam, nous a laiss une uvre assez htrogne, dont seulement une dizaine de pomes - uniquement en

    48 considration de leur valeur esthtique - est digne de louanges. Nanmoins, c'est ailleurs que rside le vritable intrt de cette littrature.

    Dans notre tude La literatura sefard de Amsterdam4, nous avons signal son trs grand intrt culturel, parce qu'elle atteste d'une vitalit extraordinaire de la culture parmi les Spharades occidentaux: l'importance de la continuit ibrique face une identit religieuse marque par la transformation. Cette littrature offre, en outre, un caractre moderne, vu qu'elle formule une nouvelle conception du judasme, dsormais exclusivement limit au domaine priv, laissant une considrable autonomie au domaine public, la vie au monde. Cette mondanit est parfois le trait qui explique le mieux l'attachement la culture ibrique des Spharades dits occidentaux5.

    LA LITTRATURE SPHARADE D'AMSTERDAM: DFINITION ET APERU

    Commenons par dfinir ce que nous entendons par la littrature spharade d'Amsterdam dans le contexte de cette tude : nous nous rfrons toute la production imprime et manuscrite en langue espagnole et portugaise des Juifs d'origine conversa (du Portugal et d'Espagne) qui vivaient

    2 Meyer Kayserling, Sephardim. Ramanische Poesien der Juden in Spanien, Leipzig, H. Mendelssohn, 1859, et du mme auteur, Bib/ioteca espaiiola-portugueza-judoica, Strasbourg, C. J. Trubner, 1890.

    3 Cecil Roth, A History of the Marranos, Philadelphie, Jewish Publication Society of America, 1932. 4 Harm den Boer, Lo /iteratura sefardf de Amsterdam, Alcal de Henares, lnstituto lnternacional

    de Estudios Sefardies y Andalusies, 1996. 5 Ibid., p. 13-27.

  • Amsterdam au cours des XVII et XVIII sicles. Littrature englobe ici presque tous les genres crits, y compris les textes doctrinaux ou didactiques, gnralement exclus de la conception actuelle de l'esthtique littraire, laquelle insiste sur la valeur crative, la posie, le thtre ou la prose d'imagination. Observons qu'on ne trouve gure de prose d'imagination -romans, nouvelles, contes - dans la littrature spharade des xvne et xvme sicles et que la distinction entre littrature originale et littrature emprunte y est d'une importance assez limite.

    D'autre part, la production littraire des Spharades d'Amsterdam est impressionnante. Elle comporte plus de quatre cents ouvrages imprims - toujours en espagnol et portugais6 - et un nombre encore mal connu de textes manuscrits que nous estimons une centaine7 .

    L'origine de cette production se trouve sans doute dans le pass chrtien (nouveau-chrtien ou converso) des nouveaux Juifs d'Amsterdam, ayant besoin de textes en langue maternelle qui les introduisent dans la loi juive, fortement ignore. Rappelons que ces nouveaux Juifs ne connaissent plus l'hbreu ni la tradition religieuse authentique de leurs anctres. Pour compenser cette lacune, des ditions de la Bible (humashiot), des prires et d'instructions sur les prceptes du judasme, tous en langue espagnole ou portugaise, taient constamment rimprimes Amsterdam, et taient surtout destines aux ans et aux femmes, tandis que les jeunes recevaient une ducation juive trs complte. La communaut spharade allait bientt raliser l'utilit des autres textes explicatifs, philosophiques ou moraux, destins convaincre les ex-conversos du bien-fond du retour pour lequel ils avaient opt. Cette ducation volontaire fidle au judasme est l'origine d'un splendide patrimoine juif (spharade) en langue espagnole et portugaise imprim Amsterdam et dans d'autres centres de la diaspora occidentale, avec des traductions des ouvrages canoniques de Mamonide, Bahya Ibn Paquda, Jona Gerondi, Eliau B. Moses Vidas, Juda Halvi et d'autres grandes compilations de textes rabbiniques8 . A cette littrature instructrice s'ajoute

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    6 Harm den Boer, Spanish and Portuguese Printing in the Northern Netherlands 1584-1825. A Descriptive Bibliography, Leyde, IDC, 2003 (CD-Rom).

    7 Leo Fuks et Rena G. Fuks-Mansfeld, Hebrew and Judaic Manuscripts in Amsterdam Public Collections. I: Catalogue of the Manuscripts of the Bibliotheca Rosentha/iana, University Library of Amsterdam; 11: Catalogue of the Manuscripts of Ets Haim/Livraria Montezinos, Sephardic Community of Amsterdam, Leyde, Brill, 1973, 1975. Voir aussi Kenneth Brown, Cancioneros del Parnaso sefardi, siglos xv11-xv111 , Acts of the 1995 Asociaci6n lntemacional de Hispanistas, 11 Estudios Aureos 1, 1998, p. 60-69.

    8 Yosef Hayim Yerushalmi, De la carte espafio/a al gueto italiano. Marranismo y judafsmo en la Espafia del xv11. El casa Isaac Cardodo, Madrid, Turner, 1989, p. 40-41. Titre original: From Spanish Court ta lta/ian Ghetto. Isaac Cardoso: A Study in Seventeenth-Century Apologetics.

  • enfin le genre des sermons, prononcs dans la synagogue en portugais et en espagnol, dont un petit nombre mritait d'tre imprim. Nanmoins, les sermons publis semblent constituer plutt des morceaux de rhtorique et d'rudition qu'un rel corpus ducatif9.

    Toutefois, les Juifs ibriques d'Amsterdam ne ngligeaient pas la cration littraire. Pratiquement ds le dbut de leur vie communautaire, ils eurent des potes organiss en acadmies, des dramaturges et mme occasionnellement des compagnies de thtre. La comdie allgorique Didlogo dos montes du portugais Rehuel Jessurun (Paulo de Pina), reprsente dans la synagogue portugaise en 1626, nous donne une des preuves les plus loquentes de l'amour port la culture ibrique contemporaine10 . On pourrait augmenter la liste des manifestations littraires par des crivains comme Daniel Levi de Barrios11 , Joseph Penso de la Vega 12 , Jacob (Manuel) de Pina 13 ou rappeler un volume collectif de posies clbrant le martyre de Abraham Nuiiez Bernal

    50 et son neveu Isaac Almeida Bernal, brls vifs par !'Inquisition espagnole, publi Amsterdam en 1656 et contenant des contributions d'une vingtaine de potes spharades de cette ville, ou encore des textes refltant les activits des acadmies littraires telles l'Academia del Temor Divino et l'Academia de los Floridos ... 14 .

    L'existence des acadmies nous indique dj le caractre sculier d'une part substantielle de la littrature spharade, c'est--dire de textes sans la moindre proccupation religieuse. Plus encore, on note dans cette littrature sculire l'absence d'une quelconque rfrence l'identit juive ou spharade de ses auteurs. Traditionnellement, cette dimension de la culture spharade d'Amsterdam fut considre en quelque sorte comme un rsidu ibrique, parfois contradictoire avec la nouvelle identit juive des ex-conversos. Rcemment pourtant, plusieurs chercheurs ont li les activits sculires

    New York et Londres, 1971; pour les ditions imprimes dans les Pays-Bas voir Harm den Boer, Spanish and Portuguese Printing, op. cit.

    9 Voir Harm den Boer, Los sermones , La literatura sefardf, op. cit., p. 213-268. 10 Rehuel Jessurun, Di6logo dos montes, texte, avec traduction en anglais, et tude par Philip

    Polack, Londres, Tamesis, 1975. 11 Sur Barrios, voir Kenneth R. Scholberg, La poesfa religiosa de Miguel de Barrios,

    Columbus, Ohio State University Press, 1962; Wilhelmina Chr. Pieterse et Daniel Levi de Barrios, Ais geschiedschrijver van de Portugees-lsralietische gemeente te Amsterdam in zijn Triumpho del govierno popular ,Amsterdam, Scheltema, 1968 ; Julia Rebollo Lieberman, El teatro aleg6rico de Miguel de Barrios, Newark, Juan de la Cuesta, 1996.

    12 Voir notamment, Eleazar Gutwirth, Penso's Roots : The Politics and Poetics of Cultural Fusion ,Studio Rosenthaliana 35 (2), 2001, p. 269-284.

    13 Javier Huerta Calvo, Manuel de Pinay la literatura burlesca de los sefardfes ,dans Fernando Diaz Esteban (d.), Los judaizantes en Europa y la literatura castel/ana del Sig/a de Oro, Madrid, Letrumero, 1994, p. 215-228.

    14 H. den Boer, La literatura sefardf, op. cit., p. 135-160.

  • l'lite marchande spharade de la fin du XVIIe sicle en insistant sur son mode de vie aristocratique port vers la culture raffine15.

    Quoi qu'il en soit, ce caractre profane d'une partie de la littrature spharade nous ramne l'un de ses traits les plus connus: son attachement apparemment ininterrompu la tradition ibrique (chrtienne). En reconsidrant l'ensemble, il nous a paru qu'en effet, cette littrature reflte une prsence culturelle ibrique constante, autrement dit, un intertexte ibrique, lequel ne fonctionne pas ncessairement comme modalit nostalgique du souvenir. Il est aussi le vecteur de nouvelles rflexions, qui envisagent la possibilit d'une conciliation des mondes ibriques/chrtien et juif, et mme d'un contre-texte ou contre-discours polmique dfiant les valeurs de la socit vieille-chrtienne. Nous nous proposons d'explorer maintenant plus en dtail la nature et les implications de cette thorie de l'intertexte ibrique.

    LA CONTINUIT IBRIQUE DES SPHARADES

    La continuit ibrique tait avant tout une question de naissance, donc de langue, mme si aux premires gnrations de Portugais - nouveaux chrtiens ns en Espagne et au Portugal - s'ajoutent les gnrations nes et leves en Hollande et dans la diaspora occidentale. Il faut rappeler que l'immigration en provenance de la Pninsule se poursuivit environ jusqu' la seconde moiti du XVIII sicle. Ce phnomne contribuera la conservation de l'usage de l'espagnol et du portugais, ce dernier restant la langue quotidienne et communautaire jusqu' la fin du XVIIIe sicle. Le commerce avec la Pninsule, les rapports familiaux avec les nouveaux chrtiens rests en Espagne et au Portugal (et dans leurs colonies), constituent d'autres lments de prennisation des langues maternelles. Enfin, il faut galement tenir compte de la faible intgration de la nation portugaise au sein de la socit hollandaise : les Juifs y jouissaient d'une grande libert religieuse mais n'avaient pas encore les droits de citoyennet.

    15 Yosef Kaplan, From Christianity to Judaism. The Story of Isaac Orobio de Castro, trad. Raphael Loewe, Oxford, Oxford University Press, 1989; Jonathan 1. Israel, Een merkwaardig literair werk en de Amsterdamse effectenmarkt in 1688: Joseph Pensa de la Vega's Confusion de confusiones , De zeventiende eeuw, 1990, p. 159-165 ; Daniel M. Swetschinski, The Portuguese Jews of Seventeenth-Century Amsterdam. Cultural Continuity and Adaptation, dans Frances Malino et Phyllis Cohen Albert (ds.), Essays in Modern Jewish History, Rutherford/ Londres, Fairlegh Dickinson University Press/ Associated University Presses, 1982, p. 56-79.

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    Dans ce contexte linguistique, il semble naturel que la littrature spharade ait suivi les modes du discours littraire pninsulaire, autrement dit le modle culturel baroque hispanique. Il existe une ample documentation concernant le corpus littraire la disposition des Spharades occidentaux qui dmontre la prsence substantielle de livres espagnols et portugais y compris parmi les individus ns aux Pays-Bas ou y vivant depuis de nombreuses annes. Un seul exemple suffira: encore au XVIII sicle, soit plus d'un sicle aprs l'tablissement des Juifs spharades Amsterdam, l'auteur Abraham Gmez Silveira fait allusion l' crivain dbutant Benito J ernimo Feijoo (1676-1764). Entre les publications de l'ouvrage du Juif spharade compos aux environs de 1730 et de celui cit de son confrre espagnol, il n'a pas pu s'couler plus de cinq annes.

    LA CONTINUIT DES MODLES CULTURELS: LE BAROQUE HISPANIQUE

    Quasiment tous les auteurs utilisent les genres et les styles littraires ibriques, phnomne assez logique parmi les auteurs ns ou levs dans la pninsule Ibrique. L'admiration pour les grands auteurs comme Quevedo ou Lope de Vega est universelle, bien que les derniers d'entre eux reprsentent la voix traditionnelle des vieux chrtiens, voire une tendance antijuive (Quevedo). Il s'agit bien entendu d'une admiration littraire, de style, qui n'implique pas une adhsion l'idologie de tel ou tel auteur. Il faut cependant constater que la force du modle ibrique est si prgnante que mme des auteurs ns Amsterdam continuent de l'utiliser. Jos Penso de la Vega, lev Amsterdam, emploie le modle ibrique pour dcrire le phnomne moderne de la bourse. Selon lui, le discours baroque, ancr dans le contraste ralit / illusion, est adquat pour interprter le monde trange de la bourse16.

    Le mme Jos Penso de la Vega nous est utile galement pour illustrer un autre aspect de cette admiration, puisque mme son drame en hbreu Asirei ha-Tiqva (1673), est construit selon le modle et mme la versification du thtre espagnol du Sicle d'Or. Parmi les tudiants du Talmud Torah (acadmie religieuse) s'adonnant la posie hbraque, plusieurs optrent pour les modles et genres potiques espagnols.

    16 Jos A. Fortufio Torrente, La boisa en Jos de la Vega. Confusion de confusiones. Amsterdam 1688, Madrid, Colegio de Agentes de Cambio y Boisa, 1980; voir aussi Israel, Een merkwaardig literair werk , op. cit.

  • Dans quelques cas, cette admiration, ou assimilation inconsciente du discours ibrique atteint des sommets, lorsqu'un auteur comme Abraham Pereira compose deux ouvrages asctico-moraux pour ses coreligionnaires juifs ex-marranes, La certeza del camino (1666), et La vanidad del mundo (1671). Pereira, riche marchand dvor de remords en raison de son pass chrtien, mais trop g pour s'assimiler la nouvelle identit juive - il se plaignait de ne pas pouvoir apprendre l'hbreu - crivait ces textes en compilant des auteurs moraux catholiques, jusqu'au point de les paraphraser. L'auteur se limitait judaser les lments les plus chrtiens de ces ouvrages qui furent publis avec de flatteuses approbations des rabbins de la communaut spharade d'Amsterdam17.

    L'ADAPTATION DU DISCOURS IBRIQUE PAR LAJUDASATION DU CONTENU

    Un second degr de la continuit ibrique se prsente quand des auteurs spharades d'origine conversa adoptent ou reproduisent le discours ibrique chrtien en transformant certaines valeurs essentielles afin de les concilier avec leur nouvelle identit juive. Il est parfois difficile de savoir s'il s'agit d'une assimilation profonde aux valeurs de la socit dominante ou si en revanche, cela constitue une rponse de dfi l'identit antrieure. Quoi qu'il en soit, le phnomne illustre avec force combien la mimesis de l'antagonisme 18 est prsente dans les milieux spharades au pass chrtien19 . Nous nous limiterons en prsenter quelques exemples.

    Le cas le plus connu est l'ouvrage Las excelencias de los hebreos (1679) du mdecin vnitien Isaac Cardoso qui parvient, avec brio, rpondre aux calomnies les plus infmes diffuses par la propagande antijuive dans le discours ibrique en s'appropriant le genre des louanges soi-mme (Excelencias de los espafioles) tant apprci de ses adversaires. On observe, en

    17 Henry Mchoulan, Hispanidad y judafsmo en tiempos de Espinoza. Estudio y edici6n anotada de La certeza del camino de Abraham Pereyra, Salamanque, Ediciones Universidad de Salamanca, 1987.

    18 Yosef Kaplan, Political Concepts in the World of the Portuguese Jews of Amsterdam du ring the Seventeenth-Century: The Problem of Exclusion and the Boundaries of Self-ldentity , dans Yosef Kaplan et al. (ds.), Menasseh ben Israel and his World, Leyde, Brill, 1989, p. 45-62 et p. 50-53.

    19 Harm den Boer, Las multiples caras de la identidad. Nobleza y fidelidad ibricas entre los sefardies de Amsterdam, dans Jaime Contreras et al. (ds), Familia, religion y negocio. El sefardismo en las relaciones entre el mundo ibrico y los Pa/ses Bajos en la Edad Maderna, Madrid, Fundaci6n Carlos de Amberes et Ministerio de Asuntos Exteriores de Espaiia, 2002, p. 95-112; Miriam Bodian, Hebrews of the Portuguese Nation: Conversas and Community in Early Modern Amsterdam, Bloomington, Indiana University Press, 1997, p. 81-88.

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  • outre, comment le mdecin Cardoso explique le judasme grce des concepts culturels ibriques, comme la notion de puret (limpieza de sangre .0, qualit par excellence qu'il trouve parmi les Juifs, ou l'honneur, en reprsentant les Juifs comme des personnes des plus honorables20 . Deux formes de rponse, donc, la perception des Juifs comme sujets impurs (marranes !) et infmes.

    Un cas plus modeste, mais nanmoins audacieux, est le Sermao apologtico sobre as preminncias de nossa Lei (1690)21 du rabbin amstellodamois David Nufies Torres. Le titre du sermon est loquent et similaire celui de l'ouvrage de Cardoso. En outre, Nufies Torres dfend le judasme en tant que loi, et afin de souligner l'analogie dlibre avec le christianisme, il commence son sermon avec une dfinition de la foi emprunte pas d'autres auteurs que Saint Thomas d'Aquin!

    Le discours de ces deux auteurs est utile en outre pour illustrer un autre 54 trait caractristique de la littrature spharade, la prsence d'un destinataire

    imaginaire chrtien (ibrico-catholique ... ). Tous deux font l'apologie du judasme en ne s'adressant pas rellement au lecteur ibrique - ce qui est d'ailleurs impossible - mais bien aux Juifs dont le pass est chrtien, comme le leur. Ces textes semblent donc tre une rponse aux contradictions de l'identit antrieure.

    LA POLMIQUE AVEC LE DISCOURS CHRTIEN, LE CONTRE-DISCOURS SPHARADE

    Il y a finalement un troisime niveau de la prsence ibrique dans la littrature spharade qui n'est gure connu que pour son contenu conflictuel, parce qu'il est explicitement polmique. Il existe dans la littrature spharade une quantit considrable, encore peu explore, de textes qui dfient et souvent parodient le discours catholique des antagonistes, concernant principalement l'Inquisition et la foi chrtienne. La plupart de ces textes est reste l'tat de manuscrits22 , notamment cause de la nature

    20 Voir l'tude dj classique sur Cardoso de Yosef Hayim Yerushalmi, De la carte espano/a, op. cit., p. 4041.

    21 H. den Boer, La literatura sefardf, op. cit., p. 224. 22 Il y a des descriptions et ditions modernes de quelques textes : Benjamin Teensma,

    Fragmenten uit het Amsterdamse convoluut van Abraham Ida fia, alias Gaspar Mndez del Arroyo (1623-1690) , Studia Rosentha/iana (2), 1977, p. 126-156; Herman P. Salomon, Saul Levi Mortera, Tratado da verdade da Lei de Moiss, Braga, Por Ordem da Universidade, 1988 ; Yosef Kaplan, From Christianity.., op. cit. ; Lean Fuks et Rena G. Fuks-Mansfeld, op. cit., Karsten L. Wilke, Conversion ou retour? La mtamorphose du nouveau chrtien en juif portugais dans l'imaginaire spharade du xv11 sicle, dans Esther Benbassa (d.),

  • semi-clandestine de ce genre. Le rglement de la communaut spharade d'Amsterdam contenait des articles quant la circulation des textes et sa censure prventive interdisait la publication ou la circulation de controverses pour ou contre les croyances des nations parmi lesquelles nous vivons 23 .

    Exceptionnellement, des textes de cette nature furent nanmoins publis. Un volume collectif constitu par deux sermons et plus de cinquante posies, Elogios que zelosos dedicaron. . . Abraham Nufiez Bernai, ddi aux deux victimes de l'inquisition espagnole brles en 165 5 - voir supra-, fut publi anonymement et sans adresse Amsterdam, vraisemblablement sur les presses du rabbin Menasseh ben Israel24 . Le volume imite les publications classiques espagnoles et portugaises qui clbrent les autodafs comme triomphes de la foi catholique sur l'abject ennemi juif. De faon idologique consciente, les auteurs spharades inclurent des publications en latin, langue de l'glise, comme un dfi de leur part. La preuve la plus vidente de cette forme d'appropriation provocatrice et dlibre se trouve au dbut du sermon du rabbin Isaac Aboab de Fonseca. Celui-ci, en effet, ouvre son sermon avec l'infme verset Exurge Domine et judicam causam meam (Ps 74, 22) -la devise de l'Inquisition25 - cit en latin. L'utilisant dans le contexte juif, il rend les paroles du roi psalmiste ses propritaires, les Hbreux de !'criture. Tout le sermon invoque Dieu pour la vengeance du sang innocent des martyrs, une invocation contre !'Inquisition et l'glise catholique.

    Il existe une autre publication de nature assez diffrente, imprime peu aprs chez le mme diteur - que nous supposons tre Menasseh ben Israel-, et qui tend galement la polmique. Il s'agit d'un volume de posies et d'une comdie de Manuel Qacob) de Pina, Juif portugais qui avait contribu aux Elogios .... L'ouvrage, profane et ludique, s'intitule Chanzas del ingenio y dislates de la Musa Qeux d'esprit et absurdits de la Muse, 1656). La censure rabbinique fut rapide lorsque fut dcouvert le caractre irrvrent, rotique et mme obscne des pomes de Manuel de Pina. Le volume fut immdiatement interdit et les autorits de la communaut et du Talmud Torah exigrent des fidles qu'ils rendent les exemplaires en circulation, sous

    Mmoires Juives d'Espagne et du Portugal, Paris, Publisud, 1994, p. 69-90; Kenneth Brown et Harm den Boer, El Barraca Sefardf. La poesfa de Abraham Gmez Silveira (c. 1650-c. 1730), estudio y edicin, Kassel, Reichenberger, 2000.

    23 H. den Boer, La literatura sefardf, op. cit., p. 80. 24 Ibid., p. 99, 277-281. 25 Texte connu par la bulle papale dicte le 15 juin 1520 par le Pape Lean x contre les erreurs

    luthriennes; par la suite adopt par l'inquisition espagnole pour conjurer tous les ennemis de la foi, et incorpor dans sa devise. Ce texte figure souvent dans l'ouverture des sermons des autodafs.

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  • peine de herem (excommunication)26 . Cette raction parfois extrme des autorits concidait avec la crise provoque par la rbellion de Spinoza dans la mme anne. D'ailleurs, deux des contributeurs au livre de Jacob Manuel de Pina, Daniel de Ribera et Juan de Prado appartenaient au cercle des htrodoxes de Baruch Spinoza27.

    Pourtant, le caractre scandaleux des posies n'est pas vident l'analyse de l'ouvrage. Le ton burlesque, usant de frquentes allusions sexuelles voire obscnes, n'tait pas exceptionnel cette priode. Cette littrature ludique se retrouve un peu partout. En Espagne, Quevedo en est un des reprsentants les plus connus et notre pote spharade se disait disciple du grand satiriste castillan. Son titre, Chanzas del ingenio y dislates de la musa, est bas sur celui de l'ouvrage ]uguetes de la nifiez y travesuras del ingenio de Quevedo (1629). Parmi les pomes de Pina, on trouve cependant quelques subversions d'une nature diffrente qui rvlent une lecture burlesque du discours ibrique. Un

    56 des pomes ridiculise l'chec du sige espagnol de la ville stratgique portugaise d'Olivena, dirig par le Marquis de Leganes en 1648. Mais c'est surtout dans la comdie La mayor hazafia de Carlos VI qu'on trouve le discours le plus critique. Cette comdie est en effet une parodie, un genre carnavalesque populaire dans le baroque hispanique connu sous le nom de comedia burlesca . Ici, Manuel de Pina s'inspire du drame La mayor hazafia de Carlos V (1652) crite par Diego Jimnez de Enciso. L'ouvrage original traite des dernires annes de la vie de Charles V et de sa retraite au monastre de Yuste, en exaltant la religion catholique. L'Empereur y est l'emblme de la spiritualit, son obissance au pape, son attachement aux dogmes de la foi, son renoncement aux compromis pragmatiques, sa lutte obstine contre l'hrsie (Luther) font de cette comdie un texte exemplaire de la Contre-Reforme28.

    A l'inverse, Manuel de Pina reprsente la retraite spirituelle de son protagoniste Charles VI au milieu d'intrigues amoureuses et de personnages grotesques comme Don Culurio de Moncada , Don Canistrel de Tusona ,El Almirante de Embudo ,dans une inversion totale des valeurs. Les personnages ibriques du pote juif n'ont aucun sens de l'honneur. Ils sont lches et lascifs, se moquent de l'glise et de la religion. Dans ce contre-discours, on trouve mme une revendication quant la dignit des nouveaux chrtiens, qui ridiculise l'obsession de la puret chez les vieux

    26 H. den Boer, La literatura sefardf, op. cit., p. 84, 8687. 27 Cercle tudi par Israel S. Rvah dans son Spinoza et le Dr. Juan de Prado, La Haye, Mouton,

    1959. 28 Huerta Calvo, op. cit., p. 223-227.

  • chrtiens. Tout est rsum la fin de la comdie quand la retraite de Charles au monastre est reprsente comme la solution aux dconvenues amoureuses du protagoniste. L'Empereur se propose de passer le reste de sa vie parmi les nonnes, car elles sont les seules femmes qui lui restent accessibles. Le nom Charles le Sexte s'explique alors comme une allusion la transgression du sixime commandement29.

    ABRAHAM GOMEZ SILVEIRA (1656-1740) OU LE CONTRE-DISCOURS SPHARADE

    C'est cependant dans l'ouvrage d'Abraham G6mez Silveira, auteur encore mal connu parmi les Spharades d'Amsterdam que nous trouvons l'illustration la plus labore et fascinante d'une littrature qui ne se limite pas l'imitation mais rplique au discours ibrique vieux-chrtien . C'est ce que nous appelons son contre-discours. La relative mconnaissance de G6mez Silveira, un des auteurs les plus prolifiques des Juifs spharades d'Amsterdam, est vraisemblablement due au fait que ses uvres demeurent manuscrites, pour certaines anonymes, et que lui-mme semble tre rest en marge de la vie communautaire officielle.

    Mais commenons par un aperu de la vie de ce personnage. G6mez Silveira, dont le nom de baptme est Diego, est n Arvalo, en Espagne en 1656 dans une famille d'origine portugaise. Nous ignorons la plupart des dtails de la jeunesse de Diego en Castille. Il nous a nanmoins laiss une anecdote sur le crypta-judasme de sa mre l'poque o la famille rsidait Madrid30 . On suppose que les perscutions inquisitoriales obligrent les Silveira quitter l'Espagne. Diego arrive Amsterdam avec sa mre et sa sur vers 1671. Ils rejoignent la communaut spharade de Talmud Torah. Diego y sera connu sous le nom d'Abraham et accueilli par la socit des orphelinsAbi Yetomim qui lui offrira une ducation gnrale pendant trois ans et, en dcouvrant son apptit pour les tudes, lui dispensera ensuite une ducation rabbinique. la fin de ses tudes, le jeune et prometteur Abraham accomplit sa formation religieuse et humaniste par la publication d'un volume de six sermons, accompagn de chaleureux loges aux rabbins et aux notables de la communaut31 , Tout semblait alors destiner Abraham une brillante carrire de rabbin. Cependant, pour des raisons inconnues, cela ne se produira pas.

    29 Ibid., p. 223227. 30 Silveira, Dilogos Theolgicos ,manuscrit Ets Haim/Livraria Montezinos, 48 B 17, f 185r;

    voir aussi K. Brown et H. den Boer, op. cit., p. 15. 31 H. den Boer, La literatura sefardf, op. cit., p. 50, 234-236.

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  • Peut-tre n'y avait-il pas de poste de rabbin pour le jeune Silveira, peut-tre dut-il accompagner sa famille dans le ngoce. Abraham et sa famille se trouvent Anvers lorsqu'il fait ses dbuts comme prdicateur et publie ses Sermons en 1677. Un petit volume intitul Vejamen ... indique sa participation une acadmie littraire en relation avec la vie culturelle des Portugais de la ville qui, sous la domination espagnole, ne connaissaient pas la libert du culte juif.

    Pourtant Abraham reste attach la Loi de Mose, et mme sa congrgation amstellodamoise. Depuis Anvers et par deux fois, il s'adressera ses coreligionnaires d'Amsterdam pour marquer une distanciation face certains ouvrages provocateurs ou hrtiques que les autorits du Talmud Torah avaient signals et proscrits sous peine de sanctions graves. Certains de ces textes lui furent attribus, ce qu'il dmentit avec force en se plaignant du tort fait par ces rumeurs sa rputation et son honor , ainsi que de la souffrance inflige sa famille. Il supplia les autorits de trouver le vritable

    58 auteur de ces textes et de brler tous ses livres32 . De ces lettres mane le dsespoir d'un exil en situation prcaire, se

    considrant dtruit alors qu'il perd son honneur parmi les siens. Toutefois, il apparat galement que Silveira tait peru comme potentiellement htrodoxe. Il nous semble que la vaste uvre manuscrite de Gomez Silveira montre des indices de cette htrodoxie suppose. Quoi qu'il en soit, nous sommes en prsence d'une criture particulire caractrise par la combinaison unique de styles joyeux et austres.

    Son oeuvre peut tre considre comme une vaste polmique, traitant particulirement de la controverse judo-chrtienne. Silveira est l'auteur d'une douzaine de volumes manuscrits, chacun de plus de deux cents feuillets, mergeant d'une controverse singulire avec le prdicateur Isaac J aquelot33. Ce dernier avait consacr un ouvrage aux Juifs portugais lors de son

    32 Il s'agit du texte Judfo reformado, Dios y el sabio contra el necio, caracteris de perjudicial doctrina e herticos discursos par les dirigeants de la communaute spharade d'Amsterdam. Voir Daniel M. Swetschinski, The Portuguese Jewish Merchants of Seventeenth Century Amsterdam: A Social Profile (diss. Brandeis University, Waltham, Mass, 1979), p. 429. Le texte intgral des lettres se trouve dans K. Brown et H. den Boer, op. cit., p. 253-255.

    33 Jacquelot (ou Jaquelot), Isaac, thologien et pasteur protestant (Vassy 1647 - Berlin 1708). Ministre Vassy ds 1668, il est oblig de sortir de France en 1685, par suite de la rvocation de l'dit de Nantes. Il exera son ministre Heidelberg et puis La Haye, o il fut nomm pasteur extraordinaire de l'glise franaise par les tats de Hollande. En 1702 il devint prdicateur du roi de Prusse et pasteur de l'glise franaise de Berlin, o il mourut en 1708. Dfenseur ardent de l'apologtique rationaliste, Jaquelot attaquait la conciliation de la foi et de la raison propose par Bayle. Pourtant, avec sa critique de la doctrine de la prdestination, il rejoint Bayle. Par son affiliation remontrante, il entre en conflit avec Pierre Jurieu et le Synode wallon de Leyde (1691). Son ouvrage Dissertation sur l'existence de Dieu (La Haye, 1679) est dirig contre Spinoza.

  • ministre La Haye, intitul Dissertations sur le Messie (1699) dans lequel, impressionn par la civilit des Juifs ibriques, il voyait une possibilit relle de les ramener la vrit chrtienne. Quoique le texte de Jaquelot s'insre dans la vaste tradition chrtienne des crits visant convaincre les Juifs de reconnatre leurs erreurs, le prdicateur huguenot se distingue des autres polmistes chrtiens par son respect leur gard et sa grande rudition juive. Silveira, tout en reconnaissant cette approche novatrice et pleine de respect, voit dans le texte de Jaquelot une provocation laquelle il doit tre rpondu. C'est cette rponse qui occupera des centaines de pages et plus de trente annes de la vie de l'auteur spharade.

    De l'analyse de l'importance quantitative et de la dure de l'uvre polmique d'Abraham Gmez Silveira, il ressort que l'auteur n'envisageait pas rellement de dialogue avec le prdicateur protestant. La publicit d'une polmique de telle proportion entre Juifs et chrtiens aurait t impossible dans le contexte politique et religieux du moment. La communaut spharade de Talmud Torah interdisait la publication d'uvres polmiques, qui pouvaient compromettre l'existence juive en milieu chrtien, jusque dans le contexte tolrant des Pays-Bas. La preuve la plus manifeste d'absence de dbat rel est le fait que Silveira lui-mme reconnat n'avoir eu aucune relation avec le prdicateur. La faon dont il fait cet aveu est rvlatrice du style la fois srieux et lger de notre auteur. Au dbut d'un de ces textes de rplique Jaquelot, il prsente une lettre dans laquelle il affirme avoir envoy deux volumes de son uvre au prdicateur, une rvlation qui est immdiatement suivie de la confession d'avoir oubli de le faire ! Le polmiste utilise ce recours littraire la fiction pour souligner la distance non seulement physique mais galement sociale qui sparait les deux opposants. Silveira a peur de s'exposer la critique de la socit chrtienne qui l'entoure :

    Monsieur, aprs m'tre soumis votre obissance avec la plus grande dfrence, je tiens vous informer que l'autre jour je vous ai envoy deux

    Ouvrages: Dissertation sur l'existence de Dieu, La Haye, chez Etyenne Foulque, 1679; Lettres MM. les prlats de l'glise gallicane, La Haye, chez Etyenne Foulque, 1698-1700; Dissertations sur le Messie, La Haye, chez Etyenne Foulque, 1699 ; Conformit de la foi et de la raison, Amsterdam, chez Henry Desbordes et Daniel Pain,1705 ; Rponse /'Examen de la thologie de Mr Bayle, Rotterdam, chez Reinier Leers, 1707 ; Sermons sur divers textes de /'criture Sainte, Amsterdam, 1710; Trait de la vrit et de l'inspiration des livres du V. et du N. Testament, Rotterdam, 1715 (La Haye, 1716; Amsterdam, 1752). Voir Otto Zockler, Geschichte der Apologie des Christentums, Gtersloh, Bertelsmann, 1907 ; Nieuw Nederlands Biografisch Woordenboek, Leyde, t. 11, 1902, p. 633 ; Biographisch woordenboek van protestantsche godgeleerden in Nederland, Utrecht, 1907-1949, t. 1v, p. 529-530 ; Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexicon, t. 11, d. Traugott Bautz, 1990, p. 1423-1424.

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    livres, dans lesquels, par la mthode du Dialogue, je rpondais au livre que votre industrie a compos pour notre instruction, et tandis que j'attendais l'avis de rception, je dcouvris que ma prudence les avait laisss cachs. L'ide de vouloir les envoyer me suffit pour vous crire nouveau. Je reconnais qu'il n'y a pas de vrit sre des opinions, chaque savant avec son thme, il est impossible d'enlever sa couleur un ngre, mme en utilisant cent lessives. Celui qui ouvre les yeux au qu'en dira-t-on ferme sa bouche, il y a de nombreux Esau qui vendent la meilleure primogniture pour un misrable potage. cause de toutes ces absurdits, je dois croire que jusqu' ce que Dieu y remdie comme il l'a promis, ni moi ni vous ne pouvons y remdier. Vous pourriez crire que vous tes au calme sur votre terre, dans votre maison, moi je ne peux pas respirer, parce que je suis captif, sans maison, ni une palme de terre. Nanmoins, comme je n'ai rien faire, afin de faire quelque chose qui ne servira rien, je prendrai votre livre et un par un les principaux points de mes rponses, et je les considrerai et y rpondrai34.

    Ce qui dnote dans l'ouvrage de Silveira, c'est son caractre fou , ses bouffonneries. Curieusement, mme dans ses oeuvres doctrinales srieuses, Silveira s'autorise des jeux d'ironie permanents, se donnant voir lui-mme comme un ignorant et mme comme un bouffon. Dans cette tude, nous n'analysons pas le contenu doctrinal des crits adresss J aquelot. Il suffit de constater que mme dans ses oeuvres srieuses l'auteur introduit constamment des digressions comiques avec de nombreuses insertions de posie, de copias traditionnelles, qui amnent de joyeuses variations au sein du contenu doctrinal srieux.

    En fait, Silveira nous semble un esprit indomptable qui en quelques occasions rappelle Cervants en recrant Don Quichotte, en d'autres

    34 Carta / Doctissimo sefior lshac Jaquelot Monsieur, despues de ponerme con el mayor rendimiento a vuestra obediensia, paso a poner en vuestra noticia, vos embie el coreo pasado dos libros, donde por via de Dialogo, dava respuesta, al que vuestro celo compuso para nuestra ensefianza, y quando esperaua auizo del resivo, halle que my cuidado, dexo los libros escondidos, basta la idea de quererlos imbiar para bolver a escrivir, conosco no ay verdad segura de opiniones, casa sabio con su tema, es imposible quitar con cien legas, la color aun negro, el que abre los ejos por el qu diran, cierra la boca, muchos Esaus por vn vil postague, venden la mejor primogenitura, por todas estas sinrazones, devo creer que hasta que dios como lo promete, lo remedie, ni yo, ni vos, lo podemos remediar Vos podeis escrivir que estais con descanso en vuestra tierra, y en vuestra casa, yo no puedo respirar, que estoy cautivo sin casa ni palmo de tierra, no obstante, como no tengo qu hazer, por hazer algo que servira de nada recoger de vuestro libro y de mis repuestas los principales puntos y uno por uno lor ir aqu ponderando y respondiendo, si esta carta llegara a vuestra mano en el valle de Jot, me diris al oido si son los Jidos [sic] tan feos como los pintan. Manuscrit Ets Haim/Livraria Montezinos, 48 B 15, f 1v.

  • Quevedo ... Au fond, ce recours l'humour est parfois la rponse l'amertume vitale de l'individu exil.

    Il existe cependant deux ouvrages anonymes, attribuables sans doute possible notre auteur. Silveira situe ces textes dans un double contexte festif: celui d'une acadmie littraire et celui de la fte juive de Pourim, le Carnaval juif, autrement dit des espaces de l'imaginaire dans lesquels la transgression est possible35. L'auteur s'appelle le poeta cascabel , le poeta rodn ou mme le poeta loco avec une allusion explicite au personnage du bouffon, reprsentant par excellence de la folie. Il utilise ce dguisement humoristique pour aborder deux sujets polmiques, savoir la vie de Jsus-Christ dans sa Fabula burlesca de ]esucristo y de la Magdalena et la vie de Shabbatai Tzevi dans la Historia del fomoso don Sabatay Sevi.

    Le premier ouvrage prsente un intrt singulier pour l'histoire littraire hispanique. notre connaissance, il n'existe aucune autre version si ouvertement burlesque et subversive de l'vangile en langue espagnole, et nous doutons qu'un auteur comme l'rudit et traditionnel Menndez Pelayo, aurait os l'inclure dans son Historia de los heterodoxos espafioles36. Les manuscrits existants prsentent le texte comme l'uvre du Frre Antonio Marques, professeur de l'Universit de Salamanque, qui, ayant souffert de grands tourments de l'Inquisition, crivit ce discours Londres l'anne 1623 . Ce titre apocryphe est un outil typique de la littrature polmique. En inventant un auteur trs chrtien, l'auteur anonyme (Silveira) n'expose que les chrtiens. Il s'agit en outre d'une structure paradoxale: un auteur juif raconte un destinataire juif une histoire chrtienne raconte par un chrtien.

    Dans la tradition juive, le sujet de la vie de Jsus n'tait pas une nouveaut, mais face aux versions traditionnelles des Toldot Yeshu37 , la version de Silveira multiplie les moqueries et les irrvrences, en le dotant d'un lment caractristiquement hispanique : celui du picaro. Le pome commence donc en racontant la naissance infamante du protagoniste, en nous reprsentant sa mre en prostitue, et son pre en mari patient. L'enfant Jsus est un picaro paresseux dont les rares actions sont toutes des transgressions. Il tente d'obtenir les

    35 Sur le caractre ludique des acadmies et son cho dans !'oeuvre silveirienne, voir Kenneth Brown, Aproximacin a una teora del vejamen de academia en castellano y catalan en los siglos XVII y XVIII: de las academias espaiiolas a la Enciclopedia Francesa ,Valence, Alfons el Magnnim, 1993, p. 225-262 ; et, du mme auteur, Genio y figura de seis poetas sefardes de Amsterdam, Hamburgo y Livorno de los siglos xv11-xv111 '" dans Proceedings of the European Association for Jewish Studies Toledo 1998, Leyde, Brill, t. 11, 1999, p. 469-477.

    36 Marcelino Menndez Pelayo, Historia de los heterodoxos espafioles, Madrid, t. 1v, 1881. 37 Voir Gnter Schlichting, Ein juedisches Leben Jesu: die verschollene Toledot-Jeschu

    -Fassung Tom u-muad, Tbingen, Mohr, 1982.

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  • faveurs de la Magdalena, mais ne veut pas payer le prix (!). Enfin, vient le moment o il se proclame saint, c'est--dire le Messie. Sa rvlation provoque un dialogue comique avec les Juifs, qui rejettent les arguments absurdes de l'enfant en l'accusant d'imposture. Ridiculis par son peuple, le protagoniste se met en colre, et les menace de l'Inquisition espagnole. Les Juifs lui rpondent par un argument traditionnel parmi les (ex-)nouveaux chrtiens: ils considrent l'inquisition non pas comme une vengeance de Jsus, mais plutt comme un chtiment pour leur oubli du vrai Sauveur. La fable se termine par une histoire qui dconstruit la mythologie de la crucifixion38 .

    Le thme de Shabbatai Tzevi, le fameux imposteur l'origine d'une grande frnsie dans le monde juif au xvne side39, est un sujet assez dlicat pour le public juif. Si, du point de vue orthodoxe, Tzevi n'tait considr que comme un faux messie parmi d'autres, l'adhsion inconditionnelle des masses juives son mouvement fut si importante, particulirement au sein du judasme spharade d'Amsterdam et de la diaspora occidentale, qu'on peut imaginer aisment qu'un ouvrage aussi critique et irrvrent pouvait heurter la sensibilit des lecteurs. Cependant, nous ignorons quel fut l'accueil rserv ce texte manuscrit, dont la diffusion reste difficile valuer. Le pome de Silveira tant assez semblable la fable de Jsus-Christ, nous n'entrerons pas dans le dtail de son contenu.

    Un aspect particulier aux pomes de Silveira et tous ses crits polmiques en gnral, c'est son langage, son castillan de type castizo (saveur locale, populaire), surprenant dans un milieu aussi loign de la Pninsule que !'Amsterdam des Spharades. Il semble alors vident que notre auteur avait conserv vive la mmoire de la langue dans laquelle il tait n et avait grandi et qu'il voluait dans un milieu dans lequel cette langue se cultivait encore intensment.

    Mais selon nous, ce langage castillan castizo est en outre un instrument dlibr dans la Fabula burlesca de Jesucrito y Magdalena. Il obit une intention. Notre auteur utilise dans ce texte un genre populaire du baroque ibrique, celui de la fable burlesque thmes mythologiques40 . Mais ce qui, en Espagne et au Portugal, tait une forme inoffensive servant ridiculiser la tradition grco-romaine, se transforme dans les mains de Silveira en subversion de l'criture. Le texte s'approprie le rpertoire des crivains baroques

    38 Le texte est contenu dans K. Brown et Harm den Boer, op. cit., p. 97-132. 39 Gershom Scholem, Sabbatai Sevi. The Mystical Messiah, 1626-1676, Princeton, Princeton

    University Press, 1973. 40 Francisco J. Sedefio Rodriguez, La poesia satirica de Miguel de Barrios (notas de

    caracterizaci6n formai) , Revista de Literatura LVII (u3), 1995, p. 5-30.

  • catholiques parce que ce discours, dans une optique judeoconversa , est identifi l'idologie vieille-chrtienne. Pour cette raison, le pote reprsente Jsus comme un Dieu de tomo y lomo - un jeu d'esprit qui signifie d'importance, de mme qu' il boit et engrosse - et situe la narration burlesque dans le temps de la Mari Casta.fi.a, ce qui implique une irrvrence envers la factualit du pome mais aussi envers l'criture, c'est--dire la fable sur laquelle elle se base. Ds le dbut de la fable, le moi potique s'adresse un destinataire fictif vieux chrtien, auquel il renvoie par une priphrase bien claire pour le lecteur du moment :

    y pues tanto le a/,aban cuantos aran y cavan, yo para mi certidumbre advierto que es como el Evangelio tan cierto (vv29-40).

    et puisque lorsqu'ils labourent et creusent

    ils lui font tant d'honneur Jsus] moi, pour ma certitude j'avertis

    que cela est aussi sr que l'vangile.

    L'allusion cuantos aran y cavan fait rfrence aux laboureurs, ceux-l mme qui, dans le contexte de la puret du sang ibrique, offraient la meilleure garantie de n'avoir pas t contamins par le sang juif des conversos, et qui taient pour cette raison absurdement clbrs comme modles du vieux chrtien. Il faut seulement se souvenir de l'orgueil de la puret manifest par Sancho Panza pour en comprendre le poids et le caractre ridicule. Dans ces deux vers on peut observer comment le Juif ex-converso Abraham G6mez Silveira prend sa revanche sur son pass en bouleversant les canons culturels. De la mme faon, il fait dire Magdalena en rponse aux propositions malhonntes de l'enfant pcaro la phrase trs castillane : Como, sin tener coche, /me pretende gozar a troche y moche? (vers 267-268) (Comment, il prtend me possder par la btise, sans avoir de voiture?). Par ce mcanisme de l'appropriation, la voix potique juive prend sa revanche sur l'insulte de marrane subie par les nouveaux chrtiens, en faisant dire au Christ :

    En /,a ley que he de daros podis vosotros sin pecar hartaros de toda /,a inmundicia no estdis tercos que comeris tocino como puercos todo esto os licita esta fi (vers 351-356).

    Avec la loi que je vous donnerai vous pourrez vous goinfrer sans pcher

    vous ne serez pas fatigus de toute l'immondice,

    vous mangerez du lard comme des cochons

    cette foi vous autorise tout cela.

    Il est vrai que le discours burlesque de G6mez Silveira n'est pas spcifiquement subtil et n'chappe ni au vulgaire ni l'obscne. Cependant, nous avons l'impression que le venin de notre auteur n'est pas adress la

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  • religion chrtienne per se - Silveira connat bien la doctrine et en admire les grands thologiens - mais plutt toute une littrature antijuive produite dans la Pninsule, littrature bien plus agressive vis--vis des Juifs que Silveira ne l'tait vis--vis des chrtiens. On trouve en permanence des chos du Quevedo satirique et burlesque dans Gomez Silveira, chos parfois si explicites qu'on ne sait plus s'il s'agit d'hommages ou au contraire de contestations polmiques.

    Finalement, il existe un autre intertexte dans l' uvre de Silveira, renvoyant une autre lecture critique du discours baroque espagnol, cette fois celui de Luis de Gongora y Argote. Silveira parodie le style culterana , plein d'extravagances linguistiques et conceptuelles de ce pote :

    cuando en luneas de lus de clara noche - comenta el sol la gongorisma noche que en sus escuridades me parecen las noches soledades (vv. 195-198).

    quand par des nuits de lune claire - commente le soleil propos de la nuit

    gongorisma -que dans ses obscurits

    les nuits me semblent solitudes.

    Il fait ici allusion l'ouvrage le plus clbre, Soledades41, en attaquant ses agudezas , ses subtilits. Pour le pote spharade, ce style reprsente les excs de l'hyper-interprtation subtile, donc d'un mode hermneutique. Pour Silveira les subtilits textuelles signifient des commentaires qui s'loignent de la lecture littrale, la seule qu'il admette. Dans ses textes de polmique religieuse, Silveira insiste toujours sur le signifi littral du Pentateuque qui, pour lui, reprsente l'unique solution aux controverses religieuses. Selon lui, le catholique, le protestant, le musulman et le Juif ne pourront jamais s'accorder car chacun - l'exception, bien sr, du Juif orthodoxe - a construit ses propres fictions partir du texte de la Bible. Avocat d'une tolrance pleine en matire religieuse, il voit dans la validit de la Torah, texte divin, et de l'exgse littrale, la base sre et indiscutable pour les trois religions du Livre.

    Norte divino es la Ley constante que en la tormenta deste mundo errante hallamos con acierto en dos tablas de la ley de glorias puesto (vv. 463-466).

    La Loi constante est le chemin divin que nous trouvons avec assurance

    dans la tourmente de ce monde errant crite sur les deux Tables de la Loi des

    gloires.

    En postulant l'origine divine de la Torah et son infaillibilit, le Silveira srieux conclut que la seule faon de protger l'homme est l'attachement (inconditionnel) la Loi divine, c'est--dire son interprtation correcte.

    41 Voir la splendide dition de Robert Jammes, Madrid, Castalia, 1995.

  • La mme ide implique le doute baroque sur la capacit de l'homme distinguer le vrai du faux, humanum est errare, personnifi par le Silveira joyeux. Il semble que notre auteur spharade trouve dans l'Espagne de l'inquisition et de la Contre-Rforme, une hermneutique trop subtile :

    quien procura alcanzar sentido ignoto de la verdad se halla tan remoto como los magos en su ciencia franca y habian estudiado en Salamanca ! (vv. 1191-1194).

    qui essaie de trouver un sens inconnu se trouve aussi loign da la vrit

    que les alchimistes dans leur science simple

    qui avaient tudi Salamanque !

    Toutefois, il nous semble qu'il y a un aspect parfois trouble dans cette scurit doctrinale comme antidote du discours allgorique-ingnieux. L'interprtation littrale totale de Silveira s'harmonise mal avec l'hermneutique traditionnelle, allgorique, de la Loi orale juive, des interprtations et de la lgislation rabbiniques. Bien que l'auteur affirme son adhsion la Loi orale et l'autorit des rabbins, son insistance littraliste est si persistante et son rejet de quelque dviation que ce soit si absolu que, selon nous, l'auteur a limin une source d'autorit. Sa logique lourde et implacable dfend une orthodoxie juive stricte qui exclut des branches importantes comme la Kabbale ou la mystique juive.

    Le littralisme de Silveira nous semble, au fond, tre davantage une manifestation de cette raison sceptique qui inquitait tant dans les cercles orthodoxes chrtiens et juifs du XVIIe sicle.

    En dpit de son apparente orthodoxie juive, Abraham G6mez Silveira se situe nouveau en quelque sorte en marge. Son esprit et son scepticisme sont trop paradoxaux pour qu'il puisse reprsenter une voix d'autorit au sein de la communaut spharade d'Amsterdam. En tant que nouveau chrtien, Silveira se trouvait marginalis et dut quitter sa patrie et changer de religion. Dans sa nouvelle condition apparemment heureuse de Juif, son univers reste cependant trange et peu confortable. Il semble qu'il ne pouvait pas revenir aussi inconditionnellement la religion juive qu'on l'attendait de lui. Par chance, il lui restait la sortie de l'esprit. Notre auteur se console sous le dguisement du bouffon.

    En conclusion, Abraham G6mez Silveira, notre avis, est exemplaire d'un mode de survivance ibrique dans la culture spharade, un mode qui n'est pas un rsidu passif du pass chrtien, mais au contraire, qui tablit un contre-discours qui cherche et parfois russit formuler une dnonciation de la socit intolrante de l'Espagne et du Portugal du Sicle d'Or.

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