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Jean-Claude Werrebrouck Contribution à la théorie de la rente pétrolière In: Revue d'économie industrielle. Vol. 9. 3e trimestre 1979. pp. 117-144. Résumé L'introduction récente du concept de rente pétrolière a permis de produire une connaissance plus exacte de l'industrie pétrolière internationale. Mais l'analyse théorique de la rente présente généralement quelques faiblesses et celles-ci débouchent sur des lacunes et difficultés insurmontables . La rente pétrolière totale ne comporte pas de rentes de monopole et n'est qu'une somme de rentes différentielles dont la hauteur maximale est présentement fixée par le prix de reproduction du charbon américain. Cette rente dont l'existence est largement indépendante du jeu des acteurs, impose la cartellisation du secteur. De ce point de vue, le surprofit a fait le cartel, mais le cartel n'a pas fait le surprofit. Les Etats consommateurs participent au partage de la rente totale dont ils captent une part très importante. Ce qu'on appelle "crise de l'énergie" n'est, pour le moment, qu'un grave problème de redéfinition du partage de la rente pétrolière totale. Abstract The newly introduced notion of oil rent has led to a more accurate understanding of the international oil industry. But the theory of rent isn't always analyzed correctly which brings about insuperable difficulties. The total oil rent doesn't include any monopoly rents, it is but a sum of differential rents whose maximum level is fixed by the reproduction price of U.S. coal. That rent whose existence is mostly independent of the agents involved entails the cartellization of the sector. Seen from that angle, excess profits made the cartel and not the other way round. The consumer States share in the total rent: they collect a significant part of it. What is called "the energy crisis" is, for the time being, but a serious problem of redistribution of the total oil rent. Citer ce document / Cite this document : Werrebrouck Jean-Claude. Contribution à la théorie de la rente pétrolière. In: Revue d'économie industrielle. Vol. 9. 3e trimestre 1979. pp. 117-144. doi : 10.3406/rei.1979.1945 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rei_0154-3229_1979_num_9_1_1945

Contribution à La Théorie de La Rente Pétrolière

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Contribution à la théorie de la rente pétrolière

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  • Jean-Claude Werrebrouck

    Contribution la thorie de la rente ptrolireIn: Revue d'conomie industrielle. Vol. 9. 3e trimestre 1979. pp. 117-144.

    RsumL'introduction rcente du concept de rente ptrolire a permis de produire une connaissance plus exacte de l'industrie ptrolireinternationale. Mais l'analyse thorique de la rente prsente gnralement quelques faiblesses et celles-ci dbouchent sur deslacunes et difficults insurmontables .La rente ptrolire totale ne comporte pas de rentes de monopole et n'est qu'une somme de rentes diffrentielles dont la hauteurmaximale est prsentement fixe par le prix de reproduction du charbon amricain.Cette rente dont l'existence est largement indpendante du jeu des acteurs, impose la cartellisation du secteur. De ce point devue, le surprofit a fait le cartel, mais le cartel n'a pas fait le surprofit. Les Etats consommateurs participent au partage de la rentetotale dont ils captent une part trs importante.Ce qu'on appelle "crise de l'nergie" n'est, pour le moment, qu'un grave problme de redfinition du partage de la rente ptroliretotale.

    AbstractThe newly introduced notion of oil rent has led to a more accurate understanding of the international oil industry. But the theory ofrent isn't always analyzed correctly which brings about insuperable difficulties.The total oil rent doesn't include any monopoly rents, it is but a sum of differential rents whose maximum level is fixed by thereproduction price of U.S. coal.That rent whose existence is mostly independent of the agents involved entails the cartellization of the sector. Seen from thatangle, excess profits made the cartel and not the other way round. The consumer States share in the total rent: they collect asignificant part of it.What is called "the energy crisis" is, for the time being, but a serious problem of redistribution of the total oil rent.

    Citer ce document / Cite this document :

    Werrebrouck Jean-Claude. Contribution la thorie de la rente ptrolire. In: Revue d'conomie industrielle. Vol. 9. 3e trimestre1979. pp. 117-144.

    doi : 10.3406/rei.1979.1945

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rei_0154-3229_1979_num_9_1_1945

  • Contribution la thorie de la

    rente ptrolire

    par Jean-Claude WERREBROUCK

    Professeur Agrg en Sciences Sociales l'Universit de Lille II

    II a fallu attendre le dbut de la prsente dcennie pour voir apparatre en France de nouvelles analyses en matire d'conomie ptrolire. Il est noter que ces dveloppements thoriques rcents sont le fait de deux auteurs, Jean-Marie Chevalier (1) et sa suite, Jean- Pierre Angelier (2). Ceux-ci ont eu le grand mrite d'avoir ancr l'conomie du ptrole sur le concept de surplus ou plus prcisment de rente.

    Nous voudrions montrer dans l'tude qui suit que, certes la notion de rente est la seule susceptible de nous reprsenter correctement le fonctionnement de l'industrie ptrolire, mais que toutefois la thorie de la rente envisage par Chevalier et Angelier est mal assise en ce sens que la rente ptrolire ne peut tre dfinie dans le cadre troit de l'activit ptrolire, qu' l'inverse elle doit s'inscrire dans un cercle plus vaste, savoir ce que nous appellerons le "secteur de l'nergie", en gnral. Ceci nous amnera tablir que la rente ptrolire n'est pas une somme de rentes diffrentielles et de monopole (section I) , mais qu'elle n'est, au contraire, qu'une somme de rentes diffrentielles seulement (section II).

    (1) Cf. essentiellement son ouvrage : "Le. nouvdl. tnju p&tKo.e,fi" Calmann-Lvy , 1973, et un article paru dans la Revue algrienne de dcembre 1973 " I ntKodutt-ion th.osique. . V iconomZz du p&tfioti

  • REVUE D'ECONOMIE INDUSTRIELLE

    SECTION I - LA NATURE DE LA RENTE PETROLIERE DANS LES ANALYSES DE CHEVALIER ET D'ANGELIER : SON INTERET ET SES LIMITES

    L'activit ptrolire procure ses bnficiaires apparents (compagnies, Etats producteurs, Etats consommateurs) des revenus normes. Ces revenus proviennent de ce qu'on appelle "surplus ptrolier" ou "rente ptrolire" et ont historiquement connu une volution quant leur montant unitaire total et quant leur rpartition entre les trois bnficiaires. De ce point de vue, une thorie correcte de la rente ou du surplus ptrolier doit nous permettre d'expliquer l'volution historique des revenus ptroliers, leur montant global et les modifications de leur rpartition. Cela signifie en seconde lecture qu'une telle thorie doit rendre compte de faon cohrente des "vnements, qui scandent la vie de cette activit, y compris et surtout bien sr l'vnement appel "crise de l'nergie", crise voque propos d'une ventuelle rarfaction des gisements de ptrole.

    Cette volont de rendre compte de l'histoire du ptrole en des termes non journalistiques constitue l'apport de Jean-Marie Chevalier et de Jean-Pierre Angelier.

    Par. 1 - L'analyse du surplus ptrolier chez Chevalier et Angelier

    Chevalier dfinit le surplus ptrolier "comme la diffrence entre le prix de valorisation d'une tonne de brut, vendue aux consommateurs sous forme de produits raffins, et le cot moyen total support pour extraire, transporter, raffiner et distribuer cette mme tonne de brut" (1). Le cot moyen total devant inclure outre le cot habituel, le taux de profit moyen.

    Le surplus ptrolier est par ailleurs apprhend du point de vue de la thorie marxienne de la valeur et si les dveloppements de Chevalier en la matire ne sont pas trs abondants, ceux d 'Angelier le sont davantage.

    Pour ce dernier, la valeur d'un brut est bien videmment la quantit de travail ncessaire sa production. Tous les bruts ne sont pas produits dans les mmes conditions, d'o, par exemple, une diffrence considrable de valeur entre un brut nord-amricain et un brut du Koweit. Cette diffrence se rvle du reste dans les cots de production.

    Mais le ptrole n'est pas pay a sa valeur, car - mme si l'on raisonne en situation de concurrence - de toute vidence la composition organique du capital de l'industrie ptrolire est plus leve que la moyenne. D'o, si l'on respecte les schmas marxiens, il faut en dduire que le prix de production ou plus exactement de reproduction du ptrole permet de raliser une valeur suprieure la valeur sociale de ces produits, donc a la quantit de travail socialement ncessaire leur production.

    (1) Cf. article dj cit, page 332.

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    Ce prix de reproduction des produits ptroliers est tout thorique et le prix de march se situe trs au-del des cots et du profit moyen. Par exemple, au 5.5.1979, si le prix de reprise en raffinerie du supercarburant en France est de 71,07 F l'hectolitre, son prix de vente la pompe est de 284 F l'hectolitre en zone A (1). Or, les 71,07 F ne reprsentent pas que les cots et le profit moyen puisqu'ils incorporent dj les normes redevances payes aux pays producteurs. Ils reprsentent donc plus que le prix de production et la diffrence entre prix de march et prix de reproduction semble colossale.

    Cette diffrence entre prix de march et prix de production doit, selon Angelier, s'expliquer partir des thories marxiennes de la rente, notamment des rentes diffrentielles et surtout de monopole.

    L'ensemble de ces rentes doit tre trs largement considr comme rsultant du comportement du capital ptrolier (2) .

    Et ce comportement serait tel que cette industrie a russi imposer durablement un prix de reproduction, trs suprieur au prix de reproduction socialement ncessaire.

    La rente ptrolire serait donc le fruit d'un volontarisme du capital ptrolier. Et ce volontarisme est concrtement peru et apprhend a partir de la seule thorie des "barrires l'entre". Dans cette perspective, l'volution historique de la rente ptrolire est un processus de cration/destruction de "barrires l'entre". La constitution historique du cartel, l'accord "df Achnacarry" , l'accord de la "ligne rouge", le systme du "gulf plus", l'volution de la technologie, correspondent au souci de la cration et de l'lvation des barrires l'entre, donc de la rente globale. Inversement, l'apparition des entreprises d'Etat des pays gros consommateurs de ptrole, le dveloppement des "indpendants", l'apparition du "Double basing point system", des socits nationales des Etats ptroliers, etc.. doivent tre considrs comme un processus d'abaissement des barrires l'entre correspondant une diminution ou la volont de participer la captation des rentes.

    Prcisment, si certains agents veulent et peuvent agir dans un sens permettant l'abaissement des barrires l'entre et la diminution de la rente, notamment les Etats consommateurs, d'autres agents loin de chercher la destruction des barrires, ne souhaitent que les faire fonctionner leur profit ou de manire moins ambitieuse, tentent de faire en sorte qu'une partie de la rente cre par le capital ptrolier leur soit alloue : nous avons ici la position des Etats producteurs de ptrole. Pour Angelier, il faut, en effet, considrer que les revenus perus par les Etats producteurs constituent d'une faon ou d'une autre, un prlvement sur la rente cre par le capital ptrolier (3).

    (1 ) D'aprs Comit Professionnel du Ptrole. (2) Cf. le chapitre II de l'ouvraqe d'Anqelier (3) C'est ce qu'il cherche dmontrer dans le chapitre 3 de son ouvrage,

    page 82 147 .

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    Dans ces conditions, il y aurait antagonisme entre le capital ptrolier qui cre la rente en crant des barrires l'entre et les Etats producteurs qui souhaitent bnficier au moins partiellement de cette rente. Cet antagonisme serait toutefois relativement ambigu dans la mesure o les Etats producteurs n'ont pas intrt voir le niveau des barrires l'entre s'abaisser, amenant ainsi une diminution de la rente globale qu'ils souhaitent s'approprier. Il faudrait donc en conclure qu'il y aurait accord tacite entre capital ptrolier et Etats producteurs, au niveau de la cration de la rente, et conflit au niveau du partage de la rente. Et plutt que de chercher supprimer ce qu'Angelier appelle le mcanisme de "cration appropriation" de la rente par le capital ptrolier, il s'agirait plutt de faire en sorte que ce mcanisme joue en faveur des Etats producteurs.

    C'est partir de cette ide gnrale, ide qui suppose l'hypothse selon laquelle l'affirmation du Droit de proprit des gisements par les propritaires effectifs, en particulier les Etats, se fera ressentir de manire croissante, qu'Angelier croit pouvoir expliquer l'volution historique du partage de la rente entre capital ptrolier et Etat ptrolier, c'est--dire le passage progressif du "systme des premires concessions" aux "accords dcisions" de 1970-1974 en passant par le principe du "fifty-fifty" et les accords de participation.

    Voil brivement rsum ce que nous croyons tre l'essentiel des analyses de Chevalier et d'Angelier, et plus particulirement le point de vue de ce dernier auteur. Ces analyses, bien qu'intressantes par leur rigueur et leur nouveaut, rencontrent un certain nombre de difficults et ne rendent pas compte de manire entirement satisfaisante de la ralit de la rente ptrolire.

    Par 2 . - Les limites d'une telle analyse.

    Trois grandes difficults peuvent tre envisages : tout d'abord, l'analyse de Chevalier et d'Angelier ne rend pas clairement compte de la rente de l'Etat consommateur ; il est ensuite difficile d'admettre que la rente ptrolire est cration du capital ptrolier ; enfin, l'analyse conomique des effets du dveloppement de la rente des Etats producteurs sur les Nations consommatrices parat inacceptable.

    Reprenons successivement ces trois points.

    1 - Le problme de la rente des Etats consommateurs

    Chevalier et Angelier restent extrmement discrets en ce qui concerne la rente des Etats consommateurs, rente qui apparat sur une base douanire et fiscale. L'auteur de la rente ptrolire va mme jusqu' liminer totalement l'analyse de cette rente et considre que la notion de surplus ptrolier est trop large pour permettre l'analyse de la seule industrie ptrolire internationale (1). Il en rsulte alors que l'on semble oublier ce qui est pourtant quantitativement l'essentiel de la rente ptrolire. A cet gard, le tableau n 1 est extrmement rvlateur.

    (1) Cf. la remarque que fait Angelier aux p. 5, 6 et 7 de son ouvrage.

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  • Illustration non autorise la diffusion

    REVUE D'ECONOMIE INDUSTRIELLE

    - TABLEAU I - PART DES DROITS ET DES TAXES DANS LES PRIX DE VENTE (a) source : "ptrole 77", CPDP.

    r i i i i i

    i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i i \=-

    au 1er janvier

    1960 1961 1962 1963 196 4 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974* 1975 1976 1977

    1978 Super

    carburant

    72,6 72,7 72,7 72,7 72,7 72,7 72,7 72,7 72,0 73,9 72,8 72,3 69,9 69,9 54,9 55,5 55,1 59,9 59,7

    Gasoil

    66,0 66,3 66,4 66,4 66,5 67,4 68,0 68,0 67,0 66,6 65,6 66,5 61,0 61,9 52,4 52,2 49,5 49,7 49,9

    Fuel-oil domestique

    7,9 7,9 7,9 8,1 7,8 7,3 7,6 7,6

    13,7 23,7 23,3 23,0 21,6 21,9 18,8 18,8 18,1 17,9 17,7

    Fuel-oil lourd n 2 (b)

    10,3 10,5 10,8 10,3 10,3 10,6 10,6 10,6 13,4 15,2 15,2 15,2 15,1 15,1 15,0 15,0 15,0

    - -

    -m i i i i i i i i r i i n i i i, 1 i n ii i! ii n n il ii II n n n n n n n n n ii n n n n il n n n n n n n n n n n n n n n n n

    * au 11 janvier 1974. (a) prix de vente la pompe Paris pour le supercarburant et

    le gasoil, prix Paris franco-consommateur pour le fuel-oil domestique (tarif Cl) , prix dpart raffinerie pour le fuel- oil lourd n 2.

    (b) y compris la T.V.A. qui est dductible depuis le 1.1.1970.

    L'absence relative d'une analyse de la rente des Etats consommateurs pose d'ailleurs des problmes au niveau de l'interprtation de l'antagonisme entre capital ptrolier et Etat ptrolier et, aprs avoir vacu l'Etat consommateur, Angelier est amen le rintroduire partiellement. C'est ainsi qu'il est oblig de reconnatre que l'apparition du principe du "fifty-fifty" et surtout de "1 "expensing" de la royalty amne une lvation de la rente des Etats producteurs, non

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    pas au dtriment de la rente du capital ptrolier, mais au dtriment de la rente des Etats consommateurs (1). Force est donc de reconnatre qu'on ne peut isoler artificiellement une partie de la rente ptrolire totale, et qu'il faut, par consquent, dvelopper une analyse globale permettant tout d'abord d'expliquer l'importance de la rente totale et de ses variations, et en second lieu, le partage de cette rente entre les trois joueurs : l'Etat consommateur, l'Etat producteur et le capital ptrolier.

    Toutefois, si une telle analyse n'est pas envisage, notamment par Angelier, l'ide d'une rente de l'Etat consommateur est nanmoins mise, plus encore la nature de cette rente est prcise. Il s'agirait en effet d'une rente de monopole dont le montant serait probablement dtermin par un certain rapport de force (Angelier) , ou par la faiblesse de l'lasticit de la demande des produits ptroliers (Chevalier),

    Puisqu'il s'agirait d'une rente de monopole, elle serait pure cration, relverait d'une simple dcision de l'Etat consommateur. Et donc cela signifie galement que l'Etat consommateur a un pouvoir de monopole, qu'il est matre du prix la consommation des produits ptroliers. Ce qui veut dire aussi que l'Etat consommateur a l'extraordinaire pouvoir de faire monter le prix des produits ptroliers afin d'augmenter ses ressources.

    Certes, il est indiscutable que l'impt, les taxes qui frappent les diffrentes branches d'activit, les droits de douanes, etc.. ne sont en gnral que des rentes de monopole rsultant du pouvoir particulier de la puissance publique : l'Etat cre la rente de monopole.

    Toutefois, s'il parat indiscutable que la taxation, par exemple la T.V.A., soit une rente de monopole, la conclusion devient beaucoup plus hsitante lorsque la taxation revt par rapport son niveau habituel ou gnral un taux anormal. C'est bien le cas des produits ptroliers qui connaissent une fiscalit anormalement leve dans la plupart des pays grands consommateurs de ptrole. Qui plus est, cette fiscalit qui est anormalement leve, est trs diffrencie selon les produits, et cette diffrenciation est la mme dans les diffrents pays (2). La question qu'il faut poser est alors la suivante : Comment se fait-il que les diffrents Etats consommateurs se crent approximativement la mme rente de monopole pour les mmes produits ? Comment

    (1) Cf. dmonstration p. 102 104 de la "rente ptrolire". On appelle "expensing" de la royalty le fait de prendre la royalty dans le cot de production. Ceci amne une modification du profit imposable dans l'Etat producteur et dans l'Etat consommateur.

    (2) Cela n'apparat pas au niveau des gas-oil qui connaissent une taxation trs diverse selon les Etats. Ainsi, si le rapport du prix gas-oi est de 103,4 en Grande-Bretagne, il n'est que de 33,1 pour la Hollande. Par contre, on peut dire qu'en gnral, c'est--dire dans la plupart des pays, la diffrence existant entre la taxation de l'essence auto et la taxation des fuels est la mme ou approximativement la mme.

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    se fait-il qu'en gnral la taxation sur le super carburant est extra- ordina\rement lourde dans la plupart des pays et qu' l'inverse la taxation sur les fuels est uniformment plus lgre ?

    On peut videmment rpondre qu'il s'agit d'un hasard, que cela relve donc de la fantaisie des Etats consommateurs. Une telle rponse serait lgre et il est plus logique de se demander s'il n'existe pas des forces objectives - relativement extrieures au pouvoir des Etats - qui dterminent le montant de la rente des Etats consommateurs. Auquel cas, la rente ne serait plus rente de monopole, mais aurait une toute autre nature. C'est prcisment le problme de la nature de la rente de l'Etat consommateur qui sera envisag au cours de la seconde partie de ce texte.

    Mais la question de la nature de la rente ptrolire, celle qui est tudie tout au long de l'ouvrage d'Angelier, c'est--dire celle qui procure des revenus au capital ptrolier et aux Etats ptroliers uniquement, fait galement problme, et c'est la seconde critique qu'il convient d'envisager.

    2 - Le problme de la nature de la rente ptrolire.

    Il semble en effet difficile d'admettre que le capital ptrolier est le crateur de la rente qu'il partage avec les Etats ptroliers (1). Pour Angelier, il ne fait pas de doute que le cartel soit l'origine du surprofit. Pourtant, il serait possible de tester la proposition inverse, savoir : le surprofit a cr le cartel. Nous ne testerons pas cette hypothse pour le moment et nous chercherons simplement montrer que le cartel ne peut tre l'origine de la totalit du surprofit qu'il partage avec les Etats ptroliers.

    Il est tout d'abord tonnant d'affirmer que le cartel cre la rente dans la mesure o celle-ci est compose partiellement d'une somme de rentes diffrentielles dont certaines existent "naturellement", c'est- -dire sont indpendantes du jeu des acteurs. En la matire, le capital ptrolier ne peut qu'agir en vue de la rcupration de la rente, l'inverse, il ne saurait tre responsable du fait que les cots du Moyen Orient sont plus faibles qu'aux U.S.A.

    Bien sr, il est toujours possible d'affirmer que le cartel a eu un comportement malthusien, qu'il n'a pas cherch satisfaire pleinement le besoin social partir des ressources les moins chres, donc qu'il n'a pas limin les gisements les plus chers, et ce, afin de rcuprer le maximum de rentes, mais ce comportement correspond simplement la volont de ne pas voir disparatre des rentes qui prexistent. Il s'agit de faire en sorte que les ingalits naturelles quant la qualit des gisements demeurent et soient sanctionnes par un surprofit. Dans ces conditions, les rentes sont " coni>e.>i\)." par le cartel, elles ne sont pas "cie- " .

    (1) II faudrait d'ailleurs ajouter que depuis 1970, les Etats ptroliers seraient aussi crateurs de la rente ptrolire dans la mesure o selon l'interprtation dominante, ces Etats seraient aujourd'hui matres des prix affichs.

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    Du reste, il n'est pas dmontr qu'un comportement non malthusien (affirmation d'une pleine concurrence dans le secteur) ferait disparatre toutes les rentes diffrentielles. En effet, les rentes diffrentielles ne peuvent totalement disparatre en situation de pleine concurrence que si le gisement le moins cher et de la meilleure qualit est lui seul susceptible de satisfaire pleinement le besoin social en brut. Concrtement, en situation de pleine concurrence, il faudrait que le meilleur gisement du Moyen Orient soit susceptible de produire pour l'ensemble de la plante. Comme cette situation ne saurait correspondre la ralit, il faut donc en conclure qu'il est erron d'affirmer que le cartel cre la totalit du surprofit, et ce, au moins jusqu'en 1970.

    Mais pourrait-on dire, si le cartel est incapable de crer nombre de rentes diffrentielles, il est sans doute capable de crer la ou les rentes de monopole qu'il partage ventuellement avec les Etats producteurs. Pour Angelier, cette situation correspond bien la ralit et le ptrole est cher parce que le cartel, ou maintenant l'Etat producteur, prlve une rente de monopole. A l'inverse, ce n'est pas parce que le ptrole est cher qu'une rente de monopole peut tre prleve.

    Il faut donc en conclure que le cartel aurait, comme l'Etat consommateur (1), le pouvoir de fixer le prix du ptrole un niveau tel qu'il puisse ainsi se crer d'importants surprofits.

    Toutefois, un tel raisonnement ne peut tre accept que si l'on fait intervenir une hypothse supplmentaire : il faut que le prix de monopole qui cre la rente de monopole soit concrtement envisageable. C'est qu'en effet, si d'autres sources d'nergie ou de carburant pouvaient tre produites un prix plus intressant, il ne pourrait plus tre question d'un prix de monopole pour le brut. Il se pourrait mme que les produits concurrents ne permettent au capital ptrolier que de rcuprer le profit moyen, ce qui bien sr anantirait la rente.

    Ds lors, ou bien l'hypothse oublie tait superflue, car le ptrole est une valeur d'usage unique de par ses qualits particulires, et le raisonnement d 'Angelier reste valable, ou bien l'hypothse oublie n'tait pas superflue et alors on tombe dans un modle purement thorique et sans intrt pratique : il est vrai qu'une partie de la rente des majors ou des Etats ptroliers est une rente de monopole si le ptrole est une valeur d'usage unique en son genre. Comme manifestement il existe ou peut exister des substituts du ptrole qui ne sont pas monopoliss par le cartel, notamment le charbon en tant que combustible et en tant que carburant (2) , alors il ne saurait tre question de rente de monopole pour le brut. Le raisonnement d'Angelier parat l aussi inacceptable .

    Si l'interprtation thorique de la rente des Etats consommateurs et de la plus grande partie de la rente du capital ptrolier, voire des Etats ptroliers, n 'est pas satisfaisante chez Chevalier et Angelier, l'analyse des effets du dveloppement de la rente au profit des Etats producteurs semble errone, notamment chez Angelier.

    (1) Cf. notre critique prcdente. (2) Cette affirmation sera dveloppe dans la seconde partie du texte.

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    3 - Une analyse inexacte des effets de la rente ptrolire

    Ce dernier auteur reprend l'argument bien rpandu selon lequel l'impact sur les conomies occidentales de la hausse du prix du ptrole survenue au cours du quatrime trimestre de l'anne 1973, serait finalement assez ngligeable du fait que la rents ainsi capte par les Etats producteurs, reviendrait nourrir les conomies des Etats consommateurs, sous la forme de nouveaux dbouchs (industrialisation massive de l'Iran, de l'Algrie, du Venezuela, etc..) ou sous la forme de placements (Arabie Saoudite, Koweit , etc..) (1).

    Un tel raisonnement fait totalement abstraction d'une variable essentielle, savoir l'impact du dveloppement de la rente des propritaires fonciers sur la rentabilit globale du systme. C'est qu'en effet les diffrents produits ptroliers s'intgrent dans le cot de toutes les marchandises produites, y compris la marchandise force de travail. Avec l'lvation du prix du ptrole, il y aura simultanment lvation du cot de la force de travail et des diffrents lments du capital constant. Finalement, ceci entrane une baisse du taux de plus- value et du taux de profit, ce qui en bonne logique correspond un freinage et un ralentissement de la vitesse d'accumulation du capital. L'importance des dbouchs du systme ne saurait tre une variable pertinente dans l'analyse du dveloppement de la rente des Etats produc- tuers, seul importe l'effet du dveloppement de la rente sur le taux de profit.

    Nous n'irons pas - au moins pour le moment - plus loin dans le dveloppement de cette analyse, en particulier nous n'essaierons pas de chiffrer l'importance de la chute. du taux de plus-value et du taux de profit. Par contre, nous verrons dans la conclusion de cet expos, comment l'impact de la rente sur la rentabilit du systme est une variable qui doit logiquement faire partie de la stratgie des Etats consommateurs dans le jeu ptrolier.

    Au total, il semble que l'analyse de Chevalier et d'Angelier, bien qu'intressante car btie sur des bases thoriques assez nouvelles et fcondes, ne soit pas exempte de graves difficults ou lacunes.

    Il conviendrait, par consquent, de voir dans quelle mesure il n'est pas possible de dvelopper une thorie plus satisfaisante de la rente ptrolire.

    SECTION II - PROPOSITION POUR UNE NOUVELLE THEORIE DE LA RENTE PETROLIERE

    II s'agit de dmontrer ici, que ce qu'on appelle "surplus ptrolier" n'est qu'une rente diffrentielle (par. 1). Cette nouvelle dfinition devra, dans ces conditions, clairer de manire diffrente les vnements qui scandent la scne ptrolire, (par. II).

    (1) Cf. p. 134 de "La iznte. pe.tn.olle.iz".

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    Par. 1 - La rente ptrolire n'est qu'une rente diffrentielle

    L'hypothse selon laquelle la rente ptrolire, notamment celle des Etats consommateurs n'tait que rente diffrentielle, apparaissait dj dans la critique faite l'encontre d'Angelier : s'il y a rente, et rente peu prs semblable pour tous les Etats consommateurs, c'est que le prix du ptrole doit aussi tre dtermin par rapport d'autres ressources nergtiques, lesquelles sont plus coteuses. Et cette proposition doit impliquer deux consquences ou hypothses :

    1) II ne peut y avoir rente diffrentielle que dans la mesure o d'autres valeurs d'usage que le ptrole peuvent tre considres comme substituables , d'o la ncessit de dterminer ces valeurs d'usage substituables.

    2) Parmi les valeurs d'usage substituables, il s'agit alors de voir laquelle est la plus chre, laquelle par consquent dterminerait le prix international de l'nergie.

    1 - Le ptrole n'est qu'un agent nergtique parmi d'autres.

    Selon une interprtation assez rpandue, on peut distinguer quatre grandes chanes nergtiques :

    1 - la chane charbon, 2 - la chane ptrole, 3 - la chane gaz , 4 - la chane lectricit.

    L'nergie produite partir de ces quatre grandes chanes est videmment htrogne et le mode de comptabilisation de cette nergie reflte bien ce caractre d'htrognit.

    Il reste pourtant que les diffrents agents nergtiques prsentent sur le plan technique une plage de substituabilit considrable, que leur complmentarit est marginale et que les usages spcifiques sont de faible importance.

    La plage de substituabilit est considrable et celle-ci se reflte d'ailleurs dans le fait qu'conomiquement, il est possible de ramener les diffrents agents un dnominateur commun : des centimes par thermie produite (1) , tandis que techniquement on peut transformer du charbon en gaz ou en ptrole, tandis que le ptrole peut se transformer lui-mme en butane, propane, etc..

    Une telle hypothse, savoir une substituabilit trs large, suppose bien entendu tout un ensemble de sous-hypothses, notamment celle d'un raisonnement la marge et en longue priode du fait de la

    (1) Et ce, mme si les problmes de conversion du point de vue pure ment comptable restent considrables. On pourra voir, ce propos, l'ouvrage de Patrice Ramain : "Rzxon ciitiquti ixK ie.i bi.la.n6 .n

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    rigidit bien connue des systmes nergtiques. Une telle conception de la substituabilit implique galement que l'on pose le problme en termes techniques : la transformation d'un agent nergtique en un autre, ou la substitution d'un agent par un autre du point de vue de la satisfaction d'un mme besoin.

    Cette substituabilit que nous voquons en termes techniques est la base de la substituabilit en termes rels, c'est--dire celle qui se droule ou peut se drouler dans le champ de l'espace conomique et social. Ainsi le remplacement d'un agent nergtique par un autre est aujourd'hui presque toujours possible techniquement : pour produire de l'lectricit pour se chauffer, pour se dplacer, pour animer les usines, etc..., il est possible d'oprer un choix entre les divers agents nergtiques. Par contre, ce choix peut tre socialement ou conomiquement impensable. La substituabilit voque, non plus en termes techniques mais en termes d'environnement, de pouvoir, de valeurs culturelles, etc., peut tre momentanment ou durablement interdite.

    Toutefois, dans la plupart des cas, ces types de substituabilit se ramnent en dfinitive la substituabilit pose en termes de mise en valeur du capital. La substitution d'un agent nergtique par un autre est donc dicte par l'volution des prix relatifs.

    Les remarques prcdentes sont videmment valables pour l'agent qui nous intresse, c'est--dire la chane ptrole.

    Dans ces conditions, la rente ptrolire doit reprsenter, et ce de manire videmment globale, c'est--dire sans faire rfrence pour le moment aux diffrents produits nergtiques obtenus partir du brut, la diffrence de cot entre le cot de la thermie obtenue partir de l'nergie la plus coteuse et le cot de la thermie obtenue partir du ptrole. Cette rente est bien une rente diffrentielle, elle ne saurait tre une rente de monopole telle qu'elle a t envisage par Angelier, car elle repose essentiellement sur des causes naturelles et se trouve dans une certaine mesure indpendante de l'action des agents.

    Il resterait, bien sr, voir maintenant comment se forme la rente diffrentielle, c'est--dire dterminer l'agent nergtique qui intervient dans la fixation du prix international de l'nergie, prix international dterminant l'importance de la rente diffrentielle au profit du brut. Nous allons montrer que cet agent n'est - pour le moment - rien d'autre que le charbon amricain.

    2 - La rente ptrolire est prsentement fixe par le prix de reproduction du charbon amricain et de ses principaux drivs nergtiques

    Du fait de l'existence d'autres agents nergtiques plus coteux que le ptrole et nanmoins socialement ncessaires, le ptrole et ses drivs peuvent en thorie se valoriser un prix approximativement gal au prix des nergies les plus coteuses, prix assurant en principe le taux de profit moyen aux capitaux engags dans cette production d'nergies coteuses.

    127

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    Ces agents nergtiques socialement ncessaires, et dont les capitaux engags dans leur laboration ne rapportent que le profit moyen, ne peuvent tre tout d'abord le gaz naturel, car celui-ci dans la plupart des cas se valorise dans des conditions telles qu'un important surprofit se constitue (1), surprofit qui apparaissait mme avant les hausses de 1974. Ainsi le gaz de Lacq a permis la SiPA de prlever une rente gazire non ngligeable puisque si le prix au dpart de Lacq tait en 1973 d'environ 1,08 centime par thermie, le cot de production pouvait tre estim 0,8 centime par thermie (2). Le cot de production du gaz de Groningue tant beaucoup plus faible, la rente gazire pour le gaz de Hollande est extrmement leve. Et ceci apparat clairement dans le tableau ci-aprs :

    TABLEAU II

    1 j units : C/th i i j Fonction extraction i Fonction transoort i

    i i Fonction transfert i i i Total : prix frontire franaise j_

    1971

    0,4 4 0,08

    0,29

    0,81

    1972

    0,41 0,08

    0,31

    0,80

    1973 j

    i i i 0,36 j 0,0 8 j l,

    |: 0,41 |

    II II II 0,85 I

    il M

    Sources : Bernard Bourgeois "?Kx

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    trie gazire, laquelle a pour origine l'existence du charbon. Au total, on peut donc penser que la rente sur les drivs du brut entrant en concurrence avec le gaz est fixe dans sa limite suprieure par le prix du gaz obtenu partir de la houille. Cette rente diffrentielle, dont il est difficile de dterminer le montant dans la totalit de la rente ptrolire, se manifeste bien sr au niveau d'un certain nombre de fonctions ou de secteurs, essentiellement le secteur nergtique lui- mme, l'industrie et le secteur rsidentiel et commercial.

    Si le gaz naturel n'intervient pas dans la fixation de la rente ptrolire, on peut dire qu'il en est de mme au niveau de l'lectricit produite par centrales nuclaires et hydrauliques car ici le fuel semble tre relativement dsavantag par rapport ces deux agents nergtiques. Si l'on fait abstraction de l'lectricit hydraulique laquelle semble, en ce qui concerne la France, l'lectricit la moins chre (1) , la comparaison entre charbon fuel et nuclaire donne en centimes du kWh, au 1.1.1979, les rsultats suivants :

    - TABLEAU III -

    r i i i i i i il Amortissement (c) i j Exploitation il Combustible il h

    i Total (6 200 h/an) i ii

    Nuclaire (a)

    5,0 2,1 3,3

    10,4

    Fuel

    3,2 1,8 9,4

    14,4

    1 l Charbon (b) j i

    i 4,2 | 2,2 1 II 7 0 "

    II 13,4 8

    n n 1 h (a) combustible

    Retraitement 45 $' Livre

    2 000 F/kg Source Direction Economique du

    groupe Total (b) Charbon import et centrales situes aux ports d'importations (c) Cot d'investissement par Kwh : nuclaire : 2 840 ; fuel : 1 !

    Charbon : 2 550

    Compte tenu des alas qui existent dans ce type d'valuation, on peut dire que le cot de l'lectricit produite partir du fuel est approximativement gal au cot de l'lectricit produite partir du charbon. Or, le fuel pay par EDF permet de payer la rente des Etats producteurs et la rente des compagnies. Par contre, l'Etat franais en dehors de la trs faible redevance l'Institut franais du ptrole et de droits de douanes eux-mmes faibles, ne peroit aucune rente. Dans le mme temps, on sait que le charbon utilis est pay un prix permettant de rapporter le profit moyen (houilles importes) ou assurant un important dficit d'exploitation (charbon national).

    (1) II semble que le cot du kWh moyen d'origine hydraulique en France tait en 1977 d'environ 6 centimes. Source : EDF, Rapport d'activits.

    129

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    II faut donc en conclure que le charbon n'tant pas vinc de la production d'lectricit, la rente ptrolire obtenue partir de ce mode d'utilisation est fixe suprieurement par le prix du charbon. Elle est bien gale S la diffrence entre le prix de reproduction de l'nergie la plus chre utilise (le charbon) et le prix de reproduction du fuel (1).

    Maintenant, cette rente des fuels-oils, en particulier du fuel-oil lourd sur le charbon ne se manifeste pas au niveau de la seule production d'lectricit, elle se manifeste galement au niveau des consommations finales des industries, lesquelles dans la plupart des cas, outre la possibilit d'utilisation du gaz dj signale, peuvent choisir entre l'utilisation de produits ptroliers et l'utilisation de charbon.

    Mais cette rente des produits ptroliers par rapport au charbon semble tre extrmement gnrale. Non seulement elle existe en ce qui concerne les fuels-oils lourds (2) et lgers (3), mais elle existe aussi, et ce pour un montant autrement considrable, en ce qui concerne l'ensemble des carburants (4) ; c'est qu'en effet, si les ressources mondiales en houilles sont considrables (5) et qu'une partie importante de celles-ci peuvent tre transformes en carburants synthtiques, il se trouve pourtant que le cot de cette transformation est trs lev (6). Il en rsulte alors que les agents qui contrlent de prs ou de loin

    (1) Souvent, dans la littrature concernant les problmes de l'nergie, il est affirm que le prix du charbon s'aligne sur le prix du fuel et non l'inverse comme nous le supposons. Cette ide revient ngliger totalement le fait qu'au niveau de cette concurrence, le fuel a rapport aux pays producteurs et aux compagnies une rente colossale, tandis que le charbon n'en a rapport aucune. Cela revient dire que fondamentalement, le prix du fuel s'est align sur l'nergie la plus chre, sinon il serait incapable de rapporter une telle rente. Si maintenant, au niveau de la ralit concrte, des producteurs de charbon sont amens baisser le prix de la houille en raison de la concurrence des fuels, c'est tout simplement parce que les titulaires de la rente diffrentielle renoncent partiellement la percevoir.

    (2) 28,2% du march ptrolier franais en 1977. Sources : "Le ma.Kc.ht piitKotlQ.fi Kana-ii en 7 9 7 7". CPDP.

    (3) 31 % du march ptrolier franais en 1977. Sources : idem. (4) 27,5 % du march ptrolier franais en 1977. Sources : idem. (5) sur la base des niveaux de production actuels, la dure de vie des

    gisements l'chelle mondiale pourrait osciller entre 500 et 1 000 ans. Sources : "L' avzniK du chaKbon" . Documentation franaise - Paris, 1976, p. 22.

    (6) d'aprs Peter Nulty : la liqufaction du charbon et sa transformation en carburants liquides peut se faire actuellement sur la base de 27 4 le baril. Ce chiffre est rapprocher du prix actuel du brut (environ 20 $ le baril). Cf. revue "FoKtune." , octobre 1977 : "When we'll start running out of oil". En fait, il est ncessaire de faire une distinction entre le ptrole obtenu partir du charbon europen et le ptrole obtenu partir du charbon amricain, lequel est infi-

    130

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    l'activit ptrolire internationale (pays producteurs, cartel, Etats consommateurs) ont la possibilit de prlever sur les carburants une rente diffrentielle dont la hauteur maximale est fixe par la diffrence entre le prix de reproduction des carburants synthtiques obtenus partir de la houille et le prix de reproduction des carburants drivs du ptrole. C'est ce qui explique que la rente relle sur les carburants est partout dans le monde trs suprieure la rente sur les fuels-oils fluides et lourds. Cette diffrence de hauteur de la rente entre les diffrents produits ptroliers doit logiquement s'expliquer par la diffrence de prix des produits substituables drivs du charbon.

    De l'ensemble des dveloppements prcdents, il faut donc dduire que la rente ptrolire ou ses dmembrements est fixe par le prix de reproduction de la houille et de ses principaux drivs nergtiques.

    Cependant, ce prix de reproduction intervenant dans la hauteur de la rente ptrolire, n'est pour le moment qu'une abstraction, car il est bien vident que les conditions conomiques d'extraction varient d'un gisement un autre. Ceci se vrifie aisment dans le tableau suivant :

    - TABLEAU IV -

    r

    i i i i i i

    i main d'oeuvre matires premires

    n , i nergie comprise frais gnraux et :j autres ii Total (amortissement non compris )

    n i amortissement cot total IL

    Etats-Unis en $

    4,87

    1,93

    0,31

    7,11 0,75 7,86

    %

    62

    25

    4

    91 9

    100

    Allemagne en $

    14,95

    8,18

    1,57

    24,70 0,93

    25,63

    %

    58

    32

    6

    96 4

    100

    Royaume-Uni en $

    9,97

    4,70

    2,68

    17,35 1,15

    18,50

    %

    51

    27

    16

    94 6

    100

    .-, Canada

    en $

    2,66

    2,29

    0,66

    5,61 2,85 8,46

    % l l i i

    31 ! i

    27 ' z ' il i l

    8 ' 0 I I I

    66 34 i

    100 i II -Il

    Cots de production dans les mines souterraines de certains pays de l'OCDE en 1972 (en dollars des Etats-Unis par tonne de production nette) Source : OCDE "Pe^pec-ue4 .ne.Kg.tlque.i juiqu'zn. 1985".

    .../... niment moins coteux. II semble que sur la base du prix de 1976, le ptrole obtenu partir du charbon US prsenterait un cot situ entre 15 et 25 $ le baril. En revanche, le ptrole obtenu partir du charbon europen prsenterait un cot situ entre 25 et 35 $ le baril. Sources : document publi par le groupe Shell : "L ' zne.fiQ'iz : pe-'upec-t-tve-i mondcLz> " . Ces informations sont confirmes par d'autres sources. C'est ainsi que dans un article publi par "Chemical week" de novembre 1977 ("its time is coming : coal for processing") on parle d'un cot de 20 25 $ le baril auxprix de 1977, et ce pour un ptrole issu de la transformation du charbon amricain.

    131

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    Ces diffrences considrables de cot d'extraction entre cyise- ments et entre pays: expliquent alors que la hausse maximale de la rente ptrolire varie entre rgions du monde. C'est cette diffrence qui doit, titre principal, expliquer ce fait trs banal qui consiste constater que la taxation sur les produits ptroliers aux USA est infiniment moins leve que dans les pays d'Europe occidentale. Ainsi, en 1969, l'essence auto aux USA tait frappe d'une taxe de 4 cents par gallon par le gouvernement fdral et d'une taxe de 5 8 cents pour les Etats, ce qui ne reprsentait au total que 35 % environ du prix de vente au consommateur. A la mme poque, en France, cette taxation reprsentait prs de 74 % du prix de vente la pompe (1).

    Ces diffrences expliquent aussi que tous les bassins ne sont pas galement comptitifs et que malgr l'importance des cots de transport, les charbons amricains, sud-africains et polonais concurrencent les charbons de l'Europe de l'Ouest et ne permettent plus aux capitaux investis de rcuprer le taux de profit moyen. C'est ainsi que les Charbonnages de France connaissent un important dficit (2) . Il en est de mme en Allemagne o, malgr l'existence de Droits de Douanes, il existe une subvention moyenne de 13 DM par tonne de charbon produit, et ce pour un prix de vente de 125 DM l'unit en 1977 (3).

    Cela signifie concrtement que le prix de vente des charbons de l'ouest europen a tendance s'aligner sur le prix des charbons amricains imports. Ces prix tant incapables de rapporter le profit moyen, voire mme d'quilibrer les comptes d'exploitation, un systme de subventions a d intervenir.

    C'est donc le charbon import qui, en Europe, joue le rle de prix directeur. Plus particulirement, tous les spcialistes s'accordent dire que c'est le charbon amricain qui dtermine le niveau de valorisation du charbon ouest europen, et ce, en raison de son importance croissante sur le march (4) .

    (1) Source : Masseron : " L' .conomia dzi> hLjdiodaH.bixHQ.i>" - Technip Paris, 1969, p. 251.

    (2) 1,6 milliards de francs en 1974, 2,2 milliards en 1975, 2,8 en 1976, 3 en 1977 et peut-tre 3,5 milliards pour 1978. Sources : "Vnoblz- me.4 zcononUquzi " , n 1556. Il faut noter qu'il n'existe actuellement aucun droit de douane sur les charbons imports en France.

    (3) Source : "Pfiobllmdi economlquti " , n 1510. (4) Le charbon polonais est vendu dans de meilleures conditions que le

    charbon amricain, mais il n'a pas de rle directeur et son prix est un prix de "dumping". Par contre, un "nouveau venu" est en train de connatre une importance croissante : il s'agit du charbon sud- africain, lequel a pris une place essentielle dans les importations franaises en 1977. Les ressources en charbon de l'Afrique du Sud sont considrables et son cot est comparable aux cots amricains, voire mme plus faible. De telle sorte qu'il n'est pas impossible que le charbon sud-africain ait prochainement un rle directeur. Dans ces conditions, la hauteur maximale de la rente ptrolire ne se fixerait plus sur les prix amricains, mais sur les prix sud- africains. Il est vident que cette modification n'entranerait aucune consquence au niveau de l'interprtation gnrale de la rente ptrolire.

    132

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    Globalement, la rente ptrolire est donc dtermine par le prix de reproduction du charbon amricain, lequel peut apparatre comme tant l'agent nergtique dterminant le prix de l'nergie dans l'ensemble des formations sociales rattaches l'Occident. Ce prix de l'nergie en chaque point du monde peut tre considr de manire trs approximative comme unique et dtermin par le prix du charbon amricain. Cela apparat de faon remarquable dans le tableau suivant tabli pour la France :

    - TABLEAU V -

    r i

    i

    Fonction extraction i | Fonction trans for- ! mation | Fonction transport | Fonction transfert | Prix i i

    PETROLE

    en c/th

    0,065

    0,27 t- 0,895

    1,23

    en %

    5,28

    21,96 72,16 100

    CHARBON LORRAIN vapeur

    en c/th

    2,25

    - 1,24 1,01

    en %

    22,3

    12,3 100

    GAZ LACQ

    en c/th

    0,80

    + 0,28 1,08

    en %

    74

    26 100

    1 1 GAZ

    | HOLLANDAIS j 1

    en c/th

    0,36

    0,08 + 0,41

    0,85

    en %|

    1 42 | 1

    i 9 i

    49 | 100 | i -y

    Dsagrgation par fonctions du prix CAF (nergie importe) ou dpart mine (nergie nationale) pour l'anne 1973 - Sources : "Pn.x tt cot* ce V znufiqlz" , p. 132.

    Commentant ce tableau, Bourgeois reconnat qu'on est frapp par la "fourchette" relativement troite dans laquelle se situent les prix des diffrents agents nergtiques, surtout si l'on corrige ces prix :

    1) par les rendements spcifiques de chacune de ces formes d'nergie ,

    2) par les cots de transport pour livrer ces nergies aux consommateurs (1). Bourgeois pourrait ajouter qu' l'intrieur de la fourchette - mais ceci n'apparat pas sur le tableau- il y a le prix du charbon amricain import, lequel joue un rle essentiel. Il est d'ailleurs l'agent partir duquel s'tablissent les rentes positives (fonction transfert sur le ptrole et le gaz) et ngatives (fonction transfert sur le charbon franais).

    Ce tableau a toutefois t construit sans faire rfrence la fonction transformation et aux divers cots et rentes qui s'y rattachent. Si l'on devait raisonner sur des agents nergtiques transforms, par exemple l'essence auto, on ferait apparatre d'autres "fonctions transfert" donc d'autres rentes, par exemple l'ensemble des taxes

    (1) Cf "?filx zt coati de l ' ntigie." , p. 133,

    133

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    sur les essences. Ici l'alignement du prix de cette nergie transforme sur le prix correspondant de la mme nergie produite partir du charbon amricain n'est qu'une tendance. Thoriquement, les participants de l'activit ptrolire peuvent relever le prix des carburants jusqu'au moment o des capitaux investis dans la liqufaction du charbon peuvent recueillir le taux de profit moyen. Pratiquement, il existe tout un ensemble de raisons qui interdisent, au moins provisoirement, l'avnement du "ptrole de charbon" et donc l'alignement des prix.

    Il est toutefois possible de se demander si ce caractre approximativement unique du prix de l'nergie en chaque point de consommation se vrifie partout. Pratiquement, on constate que l'troitesse de la fourchette des prix en France se trouve peu prs vrifie dans tous les pays o il peut y avoir concurrence entre les diffrentes formes d'nergie.

    Pour terminer cette analyse de la fixation de la hauteur de la rente ptrolire sur le prix de reproduction du charbon amricain, il est sans doute souhaitable de s'interroger sur la solidit du raisonnement conomique en ce domaine.

    L'analyse du prix de l'nergie relve- t-elle du champ de la science conomique, ou bien, au contraire le prix de l'nergie n'est-il pas plutt d'essence essentiellement politique ?

    A priori, on serait tent de rpondre en choisissant la seconde alternative : le prix de l'nergie relve de faits politiques. Et les arguments ne manqueraient pas : dans beaucoup de pays, la production d'nergie est contrle par l'Etat ; par ailleurs, la dtermination du prix affich du brut est manifestement d'essence politique, etc. .

    Ces arguments sont plus apparents que rels et si les prix de l'nergie relvent le plus souvent de la politique conomique et de dcisions publiques, il n'empche que les choix ne peuvent aller contre la tendance gnrale du march. Le gouvernement franais peut dcider de continuer d'extraire du charbon sur le territoire national, mais alors c'est le prix de reproduction du charbon amricain qui va dterminer l'importance des subventions que l'Etat franais va devoir verser aux CDF. Thoriquement, un Etat quelconque peut librement choisir le prix de l'nergie utilise l'intrieur des frontires nationales, mais alors interviendront des transferts (subventions, rentes) trs largement dtermins par le prix national de l'nergie. Le prix du ptrole lui-mme ne peut augmenter que jusqu'au moment o il devient avantageux de le remplacer par du charbon. On ne peut donc crer la rente ptrolire comme Chevalier et Angelier le pensent.

    Le seul lment qui puisse apparatre comme fait politique, c'est prcisment le mode de captation des multiples rentes diffrentielles qui apparaissent au niveau du secteur nergtique tout entier. En particulier, pour ce qui nous intresse, le mode de partage de la rente ptrolire est sans doute partiellement d'essence politique. Et c'est ce qu'il nous faut tudier prsent.

    134

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    Par. 2 - La rinterprtation de la dynamique du partage de la rente ptrolire en tant que rente diffrentielle

    A partir du moment o l'on a dmontr que la rente ptrolire n'est pas de monopole, mais se trouve simplement diffrentielle, le jeu ptrolier peut tre analys de faon trs diffrente.

    En premier lieu, il nous semble que le mcanisme de " zn..aton appuopiiat-Lon" de la rente cher Angelier doit faire place un mcanisme de " conin.vati.on-appA.opn.i.at'Lon"

    1 - La substitution d'un mcanisme " c.on6n.vaton- appKopKaton" au mcanisme " Ciat-on-

    Pour l'essentiel, le cartel ptrolier n'a rien cr. Son organisation et ses actions sur la scne ptrolire n'ont pas entran la constitution de la rente. Celle-ci prexiste - tout au moins pour sa plus grande part - au cartel. Celui-ci n'a pu, au contraire, que faire en sorte que cette rente "quasi-naturelle" (produit de "l'ingale fertilit des terres en brut", ou de l'ingalit des bruts eux-mmes) reste en sa possession. L'organisation et les actions du cartel, donc aussi sa constitution, s'expliquent par ce souci majeur : faire en sorte que la plus grande part de la rente diffrentielle reste en la possession de quelques grandes compagnies. Cela signifie que ta. nunt. &xpZquz Lu ca.K- tzt, mais qu' l'inverse, le cartel ne saurait expliquer la rente.

    C'est qu'en effet, si historiquement aucun accord ou pacte n'avait t conclu, si une intgration parfaite n'avait pas t ralise, si une monopolisation quasi-totale d'immenses territoires n'avait pas t envisage, etc.. il y aurait eu de fortes chances ce que le jeu normal de la concurrence amne dans ces conditions la fuite ou la disparition de la rente au dtriment des capitaux investis dans la branche.

    De ce point de vue, deux possibilits taient envisager :

    1) le secteur ptrolier tant un secteur concurrentiel, la production de brut aurait t plus importante et aurait pu satisfaire pleinement le besoin social en nergie en vinant compltement le charbon. Dans ces conditions, la rente ptrolire aurait t beaucoup plus faible et se serait fixe sur le prix de reproduction du gisement exploit le plus cher et nanmoins socialement ncessaire.

    2) les Etats consommateurs dsirant une plus grande scurit dans l'approvisionnement d'nergie auraient pu taxer davantage le brut (barrires douanires, impts, etc.) afin de maintenir l'exploitation du charbon (1). Dans ces conditions, la rente ptrolire aurait eu tendance passer dans la poche des Etats consommateurs.

    (1) A moins que le brut soit incapable de satisfaire lui seul le besoin social en nergie, ce qui revient au mme.

    135

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    On constate, par consquent, que quelle que soit l'hypothse envisage, l'affirmation de la concurrence dans le secteur aurait entran la disparition ou la fuite de la rente qui encore une fois, pour l'essentiel, prexiste au jeu ptrolier. Dans ces conditions, pour les capitaux qui historiquement se sont investis dans la branche et recueillent une partie de la rente, il n'y a pas de salut en dehors de la cartellisation : la rente explique le cartel. Si trs rapidement le secteur ptrolier a eu l'allure qu'il conserve partiellement encore aujourd'hui, c'est parce que la concurrence dans ce secteur tait une quasi impossibilit.

    Mais cette dfense des capitaux ptroliers contre le grignotage de la rente diffrentielle ne peut se manifester uniquement dans le secteur ptrolier lui-mme. Cette dfense doit se manifester galement au niveau du secteur charbonnier. C'est qu'en effet la rente tant diffrentielle, la seule cartellisation est insuffisante, et la baisse des prix de reproduction de l'agent nergtique le plus cher (le charbon) pourrait limiter la hauteur de la rente diffrentielle. Il est donc ncessaire que le cartel ptrolier contrle l'volution du secteur charbonnier s'il dsire contrler efficacement la rente ptrolire.

    C'est parce que la rente ptrolire n'est qu'une somme de rentes diffrentielles que l'on comprend mieux les raisons pour lesquelles le cartel s'est, jusqu' une priode toute rcente, oppos de multiples faons aux recherches entreprises sur la liqufaction du charbon et des schistes bitumeux. Les faits les plus clbres en la matire sont la lutte aux U.S.A. du cartel contre le danger de voir prolifrer dans le pays des usines exprimentales charges de produire des combustibles synthtiques .

    Certains de ceux-ci mritent d'tre rappels, car ils sont sans doute tout aussi importants que les accords "d ' Achnacarry" ou de la "ligne rouge", lesquels sont traditionnellement voqus pour expliquer la rente ptrolire.

    C'est ainsi qu'un conflit clata entre le gouvernement fdral et les "majors" propos d'une loi de 1946 sur les combustibles synthtiques (1). La loi autorisait le bureau minier des U.S.A. effectuer des recherches en vue de produire des combustibles partir de charbon et d'huile de schiste dans des conditions financires acceptables. L'ide vnt mme que l'on pourrait fabriquer massivement des carburants de synthse en faisant financer la production par l'Etat. Le "National petroleum council" (2) s'est alors vivement oppos de tels projets en affirmant que le prix des combustibles synthtiques serait toujours suprieur au prix des produits ptroliers. La presse ptrolire s'est elle-mme attaque aux projets gouvernementaux et finalement le gouvernement fdral dcida, en 1951, la fermeture des installations exprimentales du bureau minier.

    (1) sur ce point, cf. H. O'Connor : "L'cinp-t-te du po.tn.oLe." , Paris-Seuil, 1958, p. 65 et suivantes, cf. galement p. 119 et 120.

    (2) reprsentant du secteur ptrolier auprs du gouvernement des U.S.A. et jouant un rle de conseiller pour toutes les affaires ptrolires.

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    D'autres exemples pourraient tre cits, mais plutt que d'numrer toute une srie d'vnements, il est sans doute prfrable de s'tonner du fait que les techniques de liqufaction du charbon ne sont pas aujourd'hui plus avances, alors que l'Allemagne nazie produisait - il y a prs d'une quarantaine d'annes - plusieurs millions de tonnes d'essence de synthse par an.

    Ce n'est que depuis quelques annes - avec l'avnement du ptrole cher que les recherches sur la liqufaction ont t reprises. Il faut d'ailleurs noter que ces recherches se font sous le contrle des socits ptrolires (1)

    Au total, il est donc possible de conclure que la rente ptrolire tant de nature diffrentielle, la cartellisation est une ncessit, elle est la seule faon de rsister au grignotage de la rente.

    Cependant, si le capital ptrolier a jusqu'ici bien russi conserver la rente ptrolire, il a d aussi la partager avec les deux autres agents de la scne ptrolire : les Etats producteurs d'une part, et les Etats consommateurs d'autre part. Il convient donc d'envisager les rgles de ce partage.

    2 - Les rgles du partage de la rente ptrolire et son volution

    S 'agissant du partage entre le capital et les Etats producteurs, les thories d'Angelier sont trs largement acceptables. On peut effectivement affirmer que l'volution du partage entre "majors" et Etats producteurs est dtermine par un double mouvement : l'affirmation de la souverainet des propritaires fonciers, d'une part, et la volont de devenir agent actif de l'industrie ptrolire internationale d'autre part (2).

    En ce qui concerne le systme des concessions, la rente des Etats producteurs est effectivement trs faible. Elle ne correspond qu' une infime partie de la rente diffrentielle totale. Il faut d'ailleurs noter qu'il est impossible d'utiliser la thorie de la rente foncire de Pierre Philippe Rey (3) pour expliquer le mcanisme de la fixation de la rente des Etats producteurs. La rente prleve par les Etats producteurs n'est pas un rapport de rpartition du mode de production

    (1) ces recherches connaissent maintenant un important dveloppement et Exxon prvoit une entre en force des carburants synthtiques partir de la fin des annes 80. Les recherches sur la liqufaction du charbon se dveloppent galement en Allemagne o l'on espre transformer le charbon en huiles lourdes capables de se substituer aux fuels, ce qui permettra de transformer le brut en produits plus lgers. Signalons enfin qu'une usine installe en Afrique du Sud produit dj 2 millions de tonnes d'essence fabrique partir du charbon.

    (2) cf. l'ouvrage d'Angelier, p. 82. (3) cf. "Les alliances de classes"- Maspro - Paris, 1973.

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    capitaliste, effet d'un rapport de production prcapitaliste comme dans le cas des pays europens au XlX sicle, et ceci au moins pour deux raisons : tout d'abord, la rente agricole en question est rente absolue, alors que dans le cas du secteur ptrolier, il s'agit d'une simple rente diffrentielle ; ensuite, les rapports politiques sont entirement diffrents, puisque dans le cas de la rente agricole, la proprit foncire domine encore largement le capital, alors que dans le cas de la rente ptrolire - et ce, tout au moins jusqu' la fin des annes 60 - c'est le capital qui domine la proprit foncire.

    Il est donc trs difficile de fixer, en thorie, le montant de la rente des Etats producteurs dans le systme des premires concessions et il faut se contenter d'une explication en termes de "rapports de force".

    Par contre, il faut reconnatre avec Angelier que le montant de cette rente correspond au prix pay par le cartel pour viter l'irruption de la concurrence dans le secteur, et donc une diminution de la rente prleve par le cartel. C'est qu'en effet, en payant une rente, le cartel reoit en contrepartie la garantie qu'aucune autre compagnie ne viendra se livrer dans l'espace de la concession des activits de prospection et de production.

    Et c'est ici que l'ambigut des rapports entre capital ptrolier et Etats producteurs apparat : les Etats producteurs sont pays partir de la rente ptrolire. Ces Etats n'ont donc pas intrt ce que la rente disparaisse ou soit empoche par les Etats consommateurs du fait de l'irruption de la concurrence ; par contre, ils ont intrt capter la part la plus importante possible de la rente totale. Il faut par consquent, modifier le systme de concessions, sans toutefois laisser s'introduire dans le secteur une concurrence sauvage. C'est la raison pour laquelle les propritaires fonciers vont chercher s'associer (cration de l'OPEP en 1960) et vont tenter de s'introduire dans l'industrie ptrolire internationale afin de contrler au moins partiellement les flux et les "prix affichs" du brut.

    Si historiquement, il a exist une redfinition considrable du partage de la rente entre capital ptrolier et Etats ptroliers, il semble qu' l'inverse, les Etats consommateurs prlvent toujours peu prs la mme part de rente. Autrement dit, cela signifie que les pays producteurs, bien que propritaires fonciers et agents actifs de l'industrie ptrolire, n'ont toujours pas russi capter la rente diffrentielle accapare par les Etats consommateurs alors qu'ils ont, l'inverse, russi grignoter une partie de la rente du cartel. Par ailleurs, en ce qui concerne les majors, ceux-ci n'ont jamais russi prlever la totalit de la rente et ont toujours d la partager avec les Etats consommateurs.

    Avant de proposer une explication de ce phnomne, il conviendrait de prciser ce que reprsente prcisment la rente des Etats consommateurs. En France, c'est l'Administration des Douanes qui est seule charge de la captation de la rente la sortie des raffineries. Il

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  • Illustration non autorise la diffusion

    REVUE D'ECONOMIE INDUSTRIELLE

    suffit par consquent d'analyser le "Bulletin officiel des Douanes" pour se faire une ide de l'importance de la rente selon les diffrents produits (1) .

    La simple lecture du "Bulletin Officiel des Douanes" nous montre que pour l'essentiel la rente perue par l'Etat franais est constitue sur les seuls produits ptroliers transforms en carburant. En ce qui concerne les fuels et autres produits, il y a presque toujours exemption de la taxe intrieure, parfois mme exemption de la T.V.A., ce qui constitue alors une rente ngative.

    A cet gard, le tableau VI rvle de manire parfaitement claire les produits sur lesquels la rente diffrentielle capte par l'Etat franais se manifeste :

    - TABLEAU VI -

    Rpartition par produit du Droit de Douane et de la Taxe intrieure. Source : C P D P

    1 1 l PRODUITS I I j I i Essences de ptrole j White spirit, carbu- i racteur, ptrole lampant | Fuel-oils fluides i j Gas-oil Fuel- oils lourds i j Lubrifiants I Autres produits i n i Total

    1 000

    13 676

    77 813

    2 719 1

    193 2

    17 483

    1973

    F.

    000

    000 800 400 200 500 300

    600

    %

    78,2

    0,4 4,7

    15,6 e 1,1 e

    100,0

    1 000

    22 792

    68 655

    4 242

    180 3

    27 945

    1977

    F.

    700

    800 800 600 300 400 700

    300

    1 i i i

    s i % i i l

    81,6 1 l i i 0,2 1

    2,3 !

    15,2 ; 1 e 1

    0 7 1 U, / , 1 e 1 I

    100,0 j =1

    II faut donc en conclure que la rente diffrentielle n'est perue que sur les seuls carburants. On pourrait facilement vrifier que ce rsultat n'est pas propre la France, qu'il est par consquent valable pour tous les Etats consommateurs. Par ailleurs, cette situation n'est pas nouvelle, elle existe depuis trs longtemps, comme le rvle le tableau I de la page 4.

    (1) Cette rente est constitue des Droits de Douane, des taxes intrieures, de la redevance au fonds de soutien des hydrocarbures et du timbre douanier. Rappelons qu'il n'y a pas lieu de retenir ici la T.V.A. qui, elle, frappe tous les produits et donc pas simplement les produits ptroliers.

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    Cette situation signifie en contrepartie que l'Etat consommateur est incapable de rcuprer une partie de la rente diffrentielle existant sur les autres produits (1). La raison est simple et a dj t voque : si le charbon comme combustible entre directement en concurrence avec les fuels, il doit subir des transformations extrmement coteuses avant d'tre utilisable comme carburant.

    Ce qui est moins simple comprendre, c'est le fait que trs durablement, capital ptrolier et Etats producteurs arrivent capter la quasi-totalit de la rente diffrentielle sur les produits autres que les carburants, mais qu' l'inverse, ils n'ont jamais russi capter la rente diffrentielle sur les carburants, ou n'en ont capt qu'une infime portion.

    Cela est d la politique des "majors" qui ont toujours fait apparatre la rente au niveau du prix la production : "les prix affichs" et jamais au niveau des produits raffins donc des prix de ces derniers. Il faut savoir, en effet, que l'industrie du raffinage est une industrie classique se contentant du taux de profit moyen. Ainsi, le brut trait reprsente dj de 70 75 % de la valeur intrinsque des produits vendus (2). Mais, ce cot, il faut encore ajouter les cots de transformation et par consquent, au total la marge du raffi- neur est faible.

    Cette pratique des "majors" n'a jamais t tudie et mrite quelques claircissements. Thoriquement, le cartel dispose de plusieurs possibilits pour capter la quasi-totalit de la rente ptrolire qui ne revient pas aux propritaires fonciers :

    1) faire apparatre la rente au niveau du raffinage en pratiquant des prix affichs payant le profit moyen pour ce qui est du stade de la production, et des prix sur les produits raffins qui permettent de payer la quasi-totalit des rentes diffrentielles du brut transform en fuel, et du brut transform en carburant. Cela signifie bien sr un ventail de prix trs large la sortie de la raffinerie. Dans cette sorte de situation, l'Etat consommateur voit sa rente rduite zro.

    2) faire apparatre la rente au niveau du raffinage et des prix affichs peur ce qui est des carburants (3), et au seul niveau des prix affichs pour ce qui est des fuels. Cela signifie concrtement un prix affich du brut payant la rente diffrentielle sur les fuels et une partie de celle-ci sur les carburants. Cela signifie galement une trs grande diffrence de valorisation des produits finis puisque le

    (1) II faut bien prciser que lorsqu'on affirme que l'Etat est incapable de rcuprer de la rente, cela signifie qu' Lt n'a peu, Ze. chox du fait de la comptitivit du charbon. A l'inverse, en ce qui concerne la rente diffrentielle sur les carburants, l'Etat pzut {OL.fiz an chox : ou bien il dcide de capter la totalit de la rente (politique fiscale , politique d'conomie de 1 ' nergie ,atc. ..) ou bien il dcide de transfrer cette rente aux consommateurs en vendant le carburant un prix n'incorporant pas la totalit de la rente (politique d'encouragement de l'industrie automobile, par exemple).

    (2) cf. Masseron, p. 160. (3) Dans ce cas, une premire partie de la rente totale sur les carbu

    rants est acquise grce aux prix affichs du brut, tandis qu'une autre partie rsulterait de l'importance de la diffrence entre prix affich du brut et prix de vente la pompe.

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    prix des carburants sera fix un prix tel qu'il puisse aussi payer la rente diffrentielle entre le cot des carburants synthtiques et le cot des carburants issus du ptrole. Ici aussi la rente de l'Etat consommateur est rduite zro.

    3) faire apparatre la rente au seul niveau des prix affichs et se contenter du profit moyen au niveau raffinage. Cela signifie dans ces conditions que la compagnie ne rcupre que la rente sur les fuels, laissant en d'autres mains, c'est--dire l'Etat consommateur, la rente sur les carburants.

    Historiquement, c'est la troisime possibilit qui s'est ralise, et nous avons vu qu'il existait une sorte de partage de la rente par produit : la rente sur les fuels est capte par les compagnies, tandis que la rente sur les carburants est partiellement capte par les Etats consommateurs.

    Cette possibilit est la moins avantageuse pour la compagnie. En fait, il existe tout un ensemble de raisons qui ont entran ce choix relativement dsavantageux. Parmi celles-ci, il en est une qui est majeure et qui a pu jouer de faon dterminante dans le choix du cartel : il tait beaucoup plus facile de cacher la rente au niveau production qu'au niveau raffinage.

    Historiquement, et pour l'essentiel, la rente s'est dveloppe de faon considrable en exploitant les gisements du Moyen-Orient. A partir du moment o le cartel dispose d'un monopole au niveau de la prospection et de la production, il est relativement facile de cacher la rente : personne ne connat exactement le cot des recherches et des forages. Il en rsulte alors qu'il existe une grande marge de libert au niveau de la fixation du prix affich et chacun sait maintenant que les compagnies ne s'en sont pas priv.

    A l'inverse, il est beaucoup plus difficile de cacher la rente si on l'enregistre au niveau du raffinage. Dans les grands pays consommateurs o les raffineries sont implantes, les techniques et cots de raffinage sont parfaitement connus (1). Ces cots sont en gnral faibles et l'imputation des charges aux divers produits raffins ne saurait expliquer la largeur de l'ventail des prix qu'il faudrait pratiquer pour rcuprer la quasi-totalit des rentes diffrentielles. Ainsi, le cot de production du fuel lourd ne peut tre distingu du cot de production des carburants puisqu'il s'agit de produits lis. Comment, dans ces conditions, justifier la trs grande diffrence de valorisation qu'il faudrait pratiquer ?

    C'est donc parce qu'il tait plus facile de cacher la rente au stade de la production, que les compagnies ont toujours fait enregistrer la rente ce stade. Une attitude inverse aurait t beaucoup trop risque (risque de contrle par l'Etat, de nationalisation, etc.) et le cartel a donc choisi la politique qui est financirement la plus dsavantageuse, mais qui est politiquement la plus sre.

    (1) L'une des raisons provient du fait que dans beaucoup de pays, l'Etat contrle totalement le raffinage.

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    Toutefois, titre de simple remarque, il faut prciser que le cartel ou les Etats producteurs arrivent rcuprer une petite fraction de la rente diffrentielle dfinie par la diffrence de cot entre carburants synthtiques et carburants issus du brut. En effet, il existe concrtement une assez grande diffrence de valorisation entre les fuels et les carburants, et pourtant, comme il a t indiqu prcdemment, cette diffrence n'est nullement justifie par les cots de transformation (1). Ce phnomne rsulte du fait que carburants et fuels sont des produits lis. Avec le dveloppement de la consommation des carburants, il a fallu produire plus de fuels, lesquels entraient en concurrence avec le charbon. Dans ces conditions, afin de vendre le fuel, il a fallu accepter de ne pas rcuprer la totalit de la rente de ce produit sur le charbon, ce qui se manifeste concrtement au cours des annes 60 par un net recul du charbon par rapport aux fuels, dans les bilans nergtiques. En contrepartie, les prix des carburants ont pu tre relevs. Il y a donc un phnomne de tassement du prix du fuel et une meilleure valorisation des prix des carburants. D'o cette structure de prix la sortie des raffineries (2).

    En dfinitive, nous retiendrons que le partage de la rente diffrentielle totale entre capital ptrolier et Etats producteurs d'une part et Etats consommateurs d'autre part, est trs largement dtermin par la politique du capital ptrolier qui trouve avantage faire apparatre le maximum de rente au seul niveau des prix la production donc des ex "prix affichs". Cette politique l'amne ncessairement abandonner une bonne partie de la rente diffrentielle sur les carburants, rente rcupre soit par l'Etat consommateur, soit par le consommateur lui-mme sous la forme d'un bas prix de l'essence.

    Au total, la rente ptrolire est partage entre trois agents : Etats producteurs, capital ptrolier et Etats consommateurs. Ce partage a quelque chose de paradoxal car, du point de vue de la thorie conomique traditionnelle, la rente devrait dans sa totalit tre capte par les propritaires fonciers, c'est--dire les Etats producteurs. De ce point de vue, "la crise de l'nergie" c'est d'abord une redfinition du partage au profit des propritaires, redfinition qui peut toutefois entraner de graves consquences sur le plan du fonctionnement du systme capitaliste mondial. C'est ce qu'il convient d'envisager pour conclure.

    Jusqu' l'automne 1973, la rente ptrolire totale n'tait que partiellement accapare par les trois grands acteurs du jeu ptrolier. Au niveau des prix affichs, la rente thorique n'tait pas totalement capte par le capital ptrolier et les Etats producteurs, puisque - et cela vient d'tre voqu - le fuel se substituait trs largement au charbon. Le prix affich correspondait donc un "bas prix" de l'nergie et la rente tait de ce fait partiellement empoche par les consommateurs qui disposaient d'une nergie abondante et bon march. Au niveau des prix la pompe, il en tait de mme puisque malgr l'importance du prlvement des pays consommateurs, les carburants de synthse n'taient pas comptitifs.

    (1) Ainsi, au 5 mai 1979, le supercarburant quittait les raffineries, en France au prix de 71,07 F/hl, tandis que le fuel domestique tait cot 59,49 F/hl. Sources : B.O.D.

    (2) La mme cause explique aussi le fait qu'un brut lger (donnant davantage de coupes lgres) dispose d'un "diffrentiel de densit".

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    La crise de l'nergie qui dbute en 1974, c'est d'abord le dveloppement de la rente ptrolire diffrentielle. Le prix affich qui pour I1 "Arabian light" passe de 2,898 dollars par baril en juin 1973 11,651 dollars au 1er janvier 1974, va permettre la captation totale de la rente des fuels sur le charbon (1) et lever la part de rente accapare sur les carburants. Il en rsulte une diminution des rentes jusqu'ici captes par les consommateurs, et donc l'avnement d'une "re d'nergie chre".

    Dans le mme temps, il y a redfinition du partage de la rente, entre les trois grands acteurs, mais cette redfinition se fait sur la base d'une enveloppe beaucoup plus large puisque la rente des consommateurs diminue (2). Globalement, les propritaires fonciers affirment leur condition de propritaire et obtiennent une part plus importante (3) . Celle-ci pour un brut moyen, en France, passe de 9,9 % en 1970 36,3 % en 1974.

    On peut s'tonner de la modestie du rsultat obtenu au cours de la crise de 1973. Thoriquement, les propritaires fonciers devraient recevoir la totalit de la rente et du reste, il semble bien qu'ils aient conscience de ce faible rsultat, et dsirent de ce fait rcuprer davantage de rente encore.

    Toutefois, une rcupration plus substantielle, voire totale, de la rente ptrolire ne peut tre envisage que dans la mesure o les Etats producteurs domineraient l'industrie ptrolire internationale. Cela signifie que les Etats producteurs russissent briser le monopole des majors, monopole qui se manifeste essentiellement sous la forme de la domination de la technologie. Cette matrise de la technologie est donc l'lment qui, pour l'instant tout au moins, empche une plus grande rcupration de la rente ptrolire par les Etats producteurs.

    Une telle rcupration, si elle devait se produire, aurait des consquences pour les pays consommateurs. Dj en 1974, le dveloppement de la rente des producteurs a entran toute une srie de difficults, voire a permis le dveloppement de la crise conomique en prcipitant la chute de la rentabilit des entreprises. Ainsi, dans le cas de la France, les importations de brut en pourcentage du P.I.B. passent de

    (1) C'est ce qui fait que l'on parle d'un "renouveau du charbon". (2) Dans le cas de la France, pour un brut moyen, l'enveloppe par tonne

    de ptrole passe de 392 F 723 F entre 1970 et 1974. La diffrence entre ces deux chiffres constitue la partie.de la rente des consommateurs qui disparat.

    (3) La part du propritaire augmente du fait : 1) de l'lvation des prix affichs ; 2) de l'lvation du taux de redevance qui passe de 12,5 % 14,5 % au 1er juillet 1974, puis 16,5 % et 20 % au 1er novembre 1974 ; 3) de l'lvation de l'impt sur le bnfice qui passe de 55 % 65,7 % puis 85 % au 1er novembre 1974.

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    1,5 3,5 % (1), entre 1972 et 1977. Or, cet accroissement reprsente uniquement de la rente qu'il faut bien prlever sur le systme conomique .

    Si maintenant la rente perue par l'Etat franais tait dtourne vers les propritaires fonciers dans les Etats producteurs, cela viendrait aggraver considrablement la crise. Cette rente reprsentait en 1977, 42 223 millions de francs pour un P.I.B.de 1 637 milliards de francs, soit par consquent 2,6 % du P.I.B. (2).

    On comprend, dans ces conditions, qu^ la crise de l'nergie constitue d'abord une sorte de "bataille" pour la rente.

    De ce point de vue, il est ncessaire que le fisc frappe trs lourdement les produits ptroliers afin de faire en sorte que le prix de ces produits - en particulier les carburants - soit le plus lev possible. Une telle politique, outre le fait qu'elle incite conomiser l'nergie et donc rduire la ponction globale des Etats producteurs, conduit au dveloppement des recherches sur les nergies substi- tuables et donc la diminution, voire la disparition ultrieure de la rente ptrolire. Par ailleurs, cette fiscalit svre n'altre en aucune faon la rentabilit globale du systme, puisque l'augmentation gnrale des cots peut tre compense par le canal budgtaire (aides publiques accrues grce la fiscalit sur les produits ptroliers (3).

    Enfin, une telle politique bloque la tendance l'lvation du prix du brut puisque toute augmentation se rpercute mcaniquement au niveau du prix la pompe et donc acclre la mise en oeuvre d'nergies de substitution venant limiter la rente.

    (1) Calculs effectus partir des chiffres de l'INSEE. A noter que ces chiffres correspondent des quantits approximativement gales de ptrole import : 121 millions de tonnes en 1972 et 118 millions de tonnes en 1977.

    (2) Source : C.P.D.P. (3) La rente de l'Etat consommateur, l'inverse de celle des Etats

    producteurs, peut ne pas altrer le taux de profit puisque cette rente reste dans l'espace national. A l'inverse, ^a. rente des Etats producteurs altre le taux de profit de. manZKt d. ^nit-iv z. et ce, mme s'il y a retour vers les Etats consommateurs sous la forme de dbouchs nouveaux ou d'investissements.

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    InformationsAutres contributions de Jean-Claude Werrebrouck

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    PlanSection I - La nature de la rente ptrolire dans les analyses de Chevalier et d'Angelier : son intert et ses limitesPar. 1 - L'analyse du surplus ptrolier chez Chevalier et Angelier Par 2. - Les limites d'une telle analyse

    Section II - Proposition pour une nouvelle thorie de la rente ptrolirePar. 1 - La rente ptrolire n'est qu'une rente diffrentielle Par. 2 - La rinterprtation de la dynamique du partage de la rente ptrolire en tant que rente diffrentielle 2 - Les rgles du partage de la rente ptrolire et son volution

    IllustrationsTableau I - Part des droits et des taxes dans les prix de vente (a)Tableau IITableau IIITableau IVTableau VTableau VI - Rpartition par produit du Droit de Douane et de la Taxe Intrieure