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CONTROVERSES 13

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Controverses' issue 13

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E D I T O

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Après des mois et des mois d’indi-gnation depuis l’Espagne jusqu’aux Etats-Unis, après le doucereux di-vorce entre Berlusconi et l’Italie, à Controverses, nous avons décidé de questionner le concept d’enga-gement. Pourquoi l’homme ne peut-il pas se laisser vivre paisiblement, au gré de ses instincts et de ses

désirs? Pourquoi s’engager? Pourquoi le mariage et la fidélité? Pourquoi le militantisme et la politique? Considérons Charles Baudelaire. Il est l’exemple par-fait de l’intellectuel non-engagé (ou pour reprendre le mot de Desproges, de l’« artiste dégagé »). Pour Sartre, par exemple, la vie de Baudelaire est tout sim-plement un échec. Et cela est dû à son refus viscé-ral de s’engager dans son siècle. Venant de Sartre, c’est un peu paradoxal : à bien lire L’Être et le Néant, l’Homme ne saurait, de toute façon, échapper à l’en-gagement, puisque le refus de l’engagement est lui-même un engagement. Controverses vous propose ce mois-ci un dossier spécial sur ce thème. Nous avons demandé à Hervé Ghesquière et à Mathieu Kassovitz de nous donner leur vision de l’engagement. Si vous vous deman-diez « si le travail participe à la réalisation de soi » (surtout si, en 2A, vous avez Culture Gé le vendredi matin à 8h...), il paraît clair que, de leur coté, s’enga-ger pleinement dans leur travail est leur unique façon d’appréhender celui-ci. Au-delà d’une approche phi-losophique du travail, nous vous donnons l’occasion de confronter l’interview de Ghesquière avec le témoi-gnage d’un militaire en Afghanistan. Libre à vous de

ne lui accorder aucun crédit ou, au contraire, de tenir ici un argument contre le discours de M. Ghesquière. De même, nous questionnons la démarche de M. Kassovitz à Ouvéa avec l’aide d’une spécialiste de la politique en Nouvelle-Calédonie, Melissa Nayral. Nous tenons à remercier nos rédacteurs pour leurs articles toujours plus controversés dans des thèmes aussi variés que la sexualité, le football ou la crise européenne. Et qui de mieux placé que nos voisins de l’Est pour nous parler de la crise de l’Europe d’un point de vue nouveau? Nous donnons la parole à un étudiant allemand à propos du rôle de la BCE dans la crise économique et, dans le but de valoriser notre partenariat avec IEPmag, nous publions l’article d’un étudiant de l’IEP de Strasbourg sur le référen-dum grec. (Si vous vous posiez la question, voilà la confirmation officielle : oui, nos camarades de l’IEP de Strasbourg sont bien des Allemands de l’Est).Bonne lecture !

Lydia Belmekki, Présidente de Controverses

Le contenu de cette parution n’est soumis à au-cune censure, il suppose que les rédacteurs res-pectent les principes fondamentaux de la presse.La diffamation ne peut y avoir sa place et les droits de réponse peuvent être légitimement admis.

Professeur Christian Duval,Directeur de la publication

Le comité rédactionnel tient à remercier tout particulièrement M. Christian Duval, M. Daniel van Eeuwen et Melles Patricia Rigaud et Noëlline Souris.

Directeur de publication : Christian Duval

COMITé RéDACTIONNEL:Lydia Belmekki, Marylise Mahé, Cédric Capliez, Nicolas Corniou, Jean-Baptiste Viallet, Marie Roulhac de Rochebrune, Pauline Febvey, Manon Courbière, Charlotte Méritan, François Champavère, Lore Criado, Elise Koutnouyan, Marine Purson, Mathieu Ledru, Léo Caravagna, Christopher Falzon, Marianne Daval, Cécile Gauthier, Béatrice Dedieu, Mathilde Tête.

RéDACTEuRs : Marine Purson, Marc-Antoine Moreau, Manon Courbière, Lydia Belmekki, Marie Rouhlac de Rochebrune, Pauline Febvey, Charlotte Méritan, Carsten Schwabe, Arnaud V, Pierre-Olivier Eglemme, Alexis Lecomte, Elies Berkani, Robin Gonalons.

ILLusTRATEuRs :Juliette Davodeau, Cédric Capliez, Lydia Belmekki, Pauline Febvey, Marc Burger.

Merci à tous nos rédacteurs ! N’hésitez pas à nous envoyer vos articles sur vos sujets favoris, et/ou à réagir à ceux que vous allez lire !

sOMMAIRE :

Editorial p.2Lutter contre la victimocratie p.3

DOSSIER OUVEALe Mordre et l’Art Oral p.4Interview : Mathieu Kassovitz p.5Un film non historique p.6

DOSSIER JOURNALISTES ET ARMEE EN AFGHANISTANTémoignage d’un officier p.7Interview Hervé Ghesquière p.8L’engagement journalistique p.9

Ein vergessener Euro-Retter p.10Référendum grec : changez le peuple p.12L’autorité Palestinienne à l’UNESCO p.13L’Europe dans la planète football p.14Amour Gloire et Présidentielles p.15Le sexe, quel malheur! p.16

http://www.controverses-iepaix.fr / [email protected]

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L E G I T I M E D E F O N C E

Lutter contre la victimocratie: quelle solution finale?

Etienne de La Boétie démontrait l’existence d’une «servitude volontaire». Cela mis en relation avec la définition qui nous a été faite de la société contemporaine dans le numéro précédent, bien intrigantes sont les conclusions. Les victimes ne le seraient que parce qu’elles disposeraient des ressources nécessaires pour l’être. Etre une vic-time relèverait d’un certain pouvoir. La frontière avec l’illusion est alors proche.Pour mettre en exergue mon idée, j’ex-poserai auparavant mon interprétation de cet article nommé «La victimocratie, quand la faiblesse devient une force» (numéro 12, ndlr).

Des failles qui remettent en cause l’existence d’un régime victimocratique.

Loin de moi l’idée, la capacité de dévalo-riser tout le travail de mon «camarade» (non, ceci n’est pas un plaidoyer commu-niste). Ainsi, je reconnais la pertinence du titre, qui accroche le regard. Questionne-ment et provocation, l’art de l’accroche semble maîtrisé. Mais où mène un sujet si bien présenté?Il évoque les «faibles», mais quelle curiosité de voir l’étendue du groupe d’individus désignés ainsi. Noirs, homo-sexuels, femmes, arabes, quel est leur point commun? Est-ce une blague ? L’auteur ne le pense visiblement pas : «Tous des victimes!» Déjà sa première affirmation est contes-table. Le seul point commun entre les individus cités est celui d’être des êtres humains. Certes, cela est trivial, mais n’est-ce pas poussé d’affirmer que les prénotions concernant les femmes re-joignent l’image préconçue que la société se fait des «arabes», homosexuels...., et inversement? A la lecture de cette thèse, j’ai pensé me retrouver face au discours d’un parti extrémiste, mais cela même ne se tient pas. Evidemment, «La France aux Français» aurait pu servir d’ouverture à la conclusion hâtive, mais la confusion est là : l’amalgame entre les groupes, communautés, prédomine. De cette constatation, comment concevoir l’analyse concernant la victimocratie?Chaque victime présentée, une carac-téristique commune à toutes émerge : la discrimination. Ce sur quoi s’appuie l’idée selon laquelle est née une démo-

cratie, c’est bien que toutes les discri-minations possibles se sont imbriquées. Les oubliés de la démocratie auraient renversé la tendance, gagné la nouvelle «lutte des classes», jusqu’à prendre le pouvoir, face à la population, au poli-tique, bernés. Également, le politique soutiendrait la victimocratie. Plus que naïf, l’énarque provoquerait la fin précipitée de son règne. Il y aurait ainsi une sorte d’inconscience générale face à la prise de pouvoir de la victime.Aujourd’hui, les victimes ne sont plus celles dont on parlait, c’est vous et moi.

Que faire des victimes de notre société?

Face à cela, un autre point de vue est envisageable (bien que non exhaustif). Il me semble qu’affirmer que la faiblesse de certains devient une force dans notre so-ciété est une aberration. Certes, on peut penser que ces individus, ou groupes, font l’objet d’une impunité. Mais comment changer cette situation? “La victime dans notre société ne choisit pas son statut,ne peut en changer ou lutter contre”Par leur statut de personnes «faibles», leur place ne peut être la même que les individus plus propices à répondre aux critères de la «normalité». Dés qu’ils tentent de revendiquer une place identique aux autres, se multiplient les assauts contre leur action, ainsi qu’en témoignent le réactionnisme face à la Gay pride ou, plus anciennement, les actes symboliques contre l’abolition de l’Apartheid. La victime dans notre société ne choisit pas son statut, ne peut en changer ou lutter contre. Elle devient victime de la démocratie contre son gré, ne crée pas la Victimocratie. Si elle accepte cette situation, s’asservit à des forces supérieures sans opposer une quelconque volonté, plusieurs raisons peuvent le justifier. D’une part l’argument évoqué paraît recevable : elle ne peut lutter contre. Surtout, la victime a-t-elle conscience de l’être? Si la victime n’a pas conscience qu’elle

l’est, alors peut-elle en sortir? L’homme (je m’octroie l’honneur d’associer ici le Maghrébin au Français, la femme à l’homme, l’ouvrier au bourgeois...) est alors victime de sa position. Aucune possibilité d’en changer. Si elle est consciente, alors nous pou-vons concevoir qu’elle fait usage de ce statut pour en tirer profit. Mais combien se reconnaîtraient «victimes de la société»? Cet effort de dévalorisation de soi-même se distingue d’une simple manifestation de mécontentement. Il revient à se faire valoir comme inférieur aux autres. L’aide reçue entraîne alors le fait de valoir quelque chose à celui qui l’apporte. C’est une logique sociale qui est mise en place par la reconnaissance de la victimisation. En conséquence, l’individu, quel qu’il soit, ne détient aucun intérêt à revendiquer sa place de victime s’il en a conscience. L’acceptation n’a absolument rien à lui apporter, ni même le fait d’instrumen-taliser son statut. La victime est bel et bien la proie de sa position.Pour autant, cette pathologie doit-elle la rendre plus victime encore? Il apparaît dans l’article évoqué qu’il faut envisa-ger une société sans victimes. Reve-nons-en alors aux temps d’Auschwitz et Buchenwald, l’article paraît nous pro-poser cette apologie de l’individualisme. J’avance une autre proposition, bien que je ne prétende amener aucune solution : la victime n’existe que parce que le tyran veut accroître sa puissance.

3Marine Purson

Illustration : Juliette Davodeau

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D O S S I E R O U V E A

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Le Mordre et l’Art oralNotes sur la mission citoyenne de Mathieu Kassovitz

Il y a, dans le cinéma politique, deux genres: le film engagé et le film d’engagement. La distinction pourrait faire sourire.

Elle est pourtant capitale. Avec l’Ordre et la Morale, Mathieu Kassovitz appartient pleinement à la seconde catégorie. Il s’agit de posture, moins que d’attitude. De position. Le sens de l’affaire, non le sens des affaires. La conscience d’un jeu global.

Le Mordre : vrai devoir du fracas

C’est devant l’incurie que le sujet se révèle. De la prise d’otages, et plus largement des événements d’Ouvéa de 1988, que sait-on ? Ouvéa est une affaire opaque: à plu-sieurs échelles, la communication a failli. En métropole, d’abord. Se souvient-on en effet (ou plutôt ne se souvient-on pas) du faible retentissement des prises de décisions politiques, de la soustraction, l’évanescence des responsabilités de ceux qui versèrent trop de sang kanak, alimentées par une entreprise de désin-formation; des déclarations et commu-niqués officiels (du gouvernement ou de l’armée) qui ont toujours constitué un obstacle à l’accomplissement du tra-vail de deuil en ce qui concerne cette tragédie ?Sur l’île même, ensuite, où les coupures de téléphone, l’interdiction de la presse, et la suspension des transports s’ajou-taient à l’action déjà illégale des forces de l’ordre.Dans le traitement de l’information a posteriori, enfin, où malgré une résur-gence du sujet dans ces dernières années, aucun écho total n’a permis d’en découdre avec la vérité. Car il s’agit bien de découdre. De rouvrir. Et encore, avec les dents.

Raviver les plaies d’hier, oui, mais pour mieux les panser. Le temps n’a clairement pas fait son œuvre, les malentendus posés en cataplasmes n’ont de vertus que minimes : ce genre de cache-mi-sère est le bacille de toute démocratie. Lecinématographe,quant à lui, accomplit son mouvement correctif. Il faut non pas des

coupables - le temps n’est pas aux vendettas - mais une reconnaissance. Il s’agit, selon Kassovitz, d’une responsa-bilité politique. Et comme pour tout film d’engagement, il y a ce vœu de rendre à l’histoire sa vérité. Cette nécessité d’un devoir de mémoire s’est heurtée à des impératifs, à d’autres enjeux. Georges Méliès écrivait fort à propos: « jamais personne, parmi les profanes, ne saura la dose de patience, de persévérance et de volonté nécessaires à la réussite ». Il a fallu à Kassovitz près de dix ans pour mener à bien son projet. Outre les impératifs liés au financement se posent des questions de dialogue, avec les différents chefs de tribus, avec les témoins de l’époque. Un travail de longue haleine, et qui se heurte à présent à la censure en Nouvelle-Calédonie.

L’art oral : nécessité des transmissions

Le film d’engagement suppose du temps. Il est sans solde sur le long terme. Il ne supporte pas les épiphénomènes. Après le montage, après la distribution, il y a encore tout un travail de terrain : à chaque amont son aval. A chaque adret son ubac. Le public de cinéma se dénombre: il est segmenté, réuni dans des salles, iden-

tifiable pour le moins. De cette réalité, l’avantage est certain: celui d’une facilité d’écoute, d’interprétation, d’appropriation de l’évènement filmé. Le film politique est avant tout spectacle, au sens premier du terme; il attire l’attention. Mais cette attention, elle, n’est pas quantifiable. Après la séance, pour favoriser le débat, l’éclosion des consciences, il est devenu primordial de relayer le message. Par le monde de la presse, de la radio, de la télévision? Avec prudence: pour le réalisateur, en effet, les médias ont cette faculté de contrôle des foules par la faiblesse mentale; et par le « nouveau monde » des réseaux sociaux, évidem-ment. Mais plus encore: par le dialogue direct, provocation des rencontres.C’est dans cette optique que Mathieu Kassovitz s’inscrit: pour lui, il s’agit d’ou-vrir le dialogue et avoir ensuite un fonds de discussions commun; sa volonté de rencontrer des étudiants, principalement des IEP (Bordeaux, Toulouse, Aix…) et des lycées, donne déjà une idée quant au public qu’il vise, qu’il désire toucher.La conscience civique, ce que Michel Winock nomme « les assises éthiques » se retrouve dans ce service: Je ne fais pas du cinéma pour changer les choses, mais par responsabilité citoyenne. Quelle différence ? demanderait le néophyte. L’humilité. On saluera le sens des pro-portions que connaît Kassovitz, et qui se voit jusque dans le traitement des différentes parties de son film. Méliès encore, et pour finir: « on est toujours un peu « pompier » pour les jeunes gens et l’unique consolation qu’il nous reste, à nous les vieux, est que les jeunes de la génération actuelle seront, à leur tour, « pompier » pour ceux qui les suivront ». Le pompier est homme du feu. Chez Kassovitz, ce feu est de Bengale : l’ensemble couve, et plutôt qu’exploser, éclaire entier son public.

Marc-Antoine Moreau

Source : silence-action.com

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Interview :

Mathieu KassovitzMathieu Kassovtiz, invité par Controverses dans le cadre de notre partenariat avec les cinémas ai-xois, s’exprime pour nous au sujet de son dernier film : L’Ordre et la Morale. Ce dernier traite des évènements qui ont eu lieu en 1988 en Nouvelle-Calédonie. Sur un sujet aussi délicat que celui-ci, si on peut questionner la valeur historique de ce film, nous ne pouvons nier l’évidence : L’Ordre et la Morale est un film engagé.

Quels types de difficultés avez-vous pu rencontrer ? Avez-vous subi des pressions de la part des politiques ou de l’armée ?

On n’a pas subi de pression réelle de la part de ces gens-là en direct, mais on n’a pas eu d’aide de leur part non plus (ce qui représente une sorte de pression quand on a besoin de recons-tituer l’armée). Habituellement, l’armée loue son matériel. Là, ils ne nous ont pas permis de le faire. Donc oui, on a eu une petite résistance du côté de l’armée, mais on en a eu aussi de la part des Kanaks.

Sous quelle forme s’est manifestée cette résistance des politiques ?

Quand on voit les militaires et gen-darmes sur le terrain, ils n’ont pas de problèmes pour parler de cette histoire. Mais dès qu’on monte dans les gradés… ce n’est pas la même chose. Les politi-ciens n’ont pas de devoir de mémoire car ils ne sont là que pour une durée limitée. Ils ne sentent pas l’obligation que nous nous ressentons : celle de devoir faire des excuses. Même s’ils n’étaient pas présents à l’époque, ils peuvent au moins reconnaître que le pays qu’ils représentent n’a pas fait que des bonnes choses.

Pensez-vous qu’en tant qu’artiste, vous avez un devoir de mémoire ?

Je ne me considère pas comme un artiste. Je me place tout simplement en citoyen. En tant que citoyen, je pense qu’on a tous le devoir de reconnaître l’histoire, de pouvoir l’analyser et de

pouvoir la mettre en perspective pour comprendre ce qui nous est arrivé.

Vous avez choisi de sortir ce film à 6 mois des présidentielles. Avez-vous certaines attentes par rap-port à ces élections ? Est-ce que vous visez un public particulier ?

On n’a pas choisi de sortir à 7 mois des élections. Par contre, j’étais content que le film ne soit pas sorti durant le mandat de Jacques Chirac, car on aurait dit que j’attaquais directement le Président et cela aurait gâché le sujet. Moi, je n’at-tends pas grand chose des politiques. Je ne travaille pas pour eux, je ne fais pas un film pour qu’ils se rendent compte de choses qu’ils sont déjà sensés savoir. Quand j’avais fait La Haine j’avais été invité par Mitterrand et ses ministres pour présenter le film dans une salle de l’Elysée. J’ai dit à mon producteur que s’ils voulaient savoir ce qui se pas-sait en banlieue, ils pouvaient prendre le RER. Donc non, je ne travaille pas pour eux. Par contre, je travaille pour les spectateurs qui vont voter pour eux. Un film peut influencer la façon de voir le monde et peut également influencer les votes des citoyens.

Est-ce que, d’après vous, un militaire doit être dépourvu de morale pour agir ?

Un être humain ne doit pas être dépourvu de morale. Il faut avoir des convictions, quoi qu’il se passe. Maintenant, une des convictions que l’on peut avoir, c’est de s’engager comme militaire. Si on s’engage comme militaire sans avoir de convictions, on ne peut pas être un bon

militaire. Donc oui, un militaire doit avoir une morale. Mais la première morale est que lorsqu’une personne s’engage, elle doit être prête à accepter ce qu’on va lui demander. Je pense que toute démocratie a besoin de personnes qui acceptent les ordres sans vraiment se poser de questions. Et les militaires entrent dans cette catégorie. Imaginez des CRS qui refusent de faire leur job en pensant que les revendications de ceux d’en face sont justes … Ce serait le bordel.

Qu’auriez vous fait à la place du capitaine Legorjus, qui a finale-ment décidé de trahir les Kanaks ?

Je ne peux pas me mettre à sa place. On peut fantasmer en se disant : « Non, moi je n’aurais pas fait comme ça ». Mais ce serait se mentir. Par contre, je comprends tout à fait sa décision. Je n’ai pas à le condamner ou à l’excuser de quoi que ce soit. Je pense qu’encore une fois, il a fait son travail et il a une morale. Ce qui est intéressant, c’est ce qu’il a fait après : il est parti. Pendant, il ne pouvait pas partir. Et c’est ce qui rend l’histoire si forte d’ailleurs, car il n’a pas le choix. Quand on est sous les ordres, on est sous les ordres.

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Propos recueillis par Manon Courbière

Photo : Benjamin Raynaud

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«L’Ordre et la Morale» n’est pas un film historique.

Mélissa Nayral est doctorante en anthropologie à l’Université de Provence et membre du CREDO à Marseille (Centre de Recherche et de Documenta-tion sur l’Océanie). Sa recherche de doctorat porte sur l’organisation et la gestion du pouvoir et de l’autorité à Ouvéa, lieu de ses recherches depuis 2005. Elle s’exprime pour Controverses au sujet de la sortie du film de Mathieu Kassovitz « L’Ordre et la Morale ».

Les « événements » de Nouvelle-Ca-lédonie et « l’affaire de la grotte » ont constitué de véritables traumatismes collectifs. Ce furent des événements d’une violence extrême, dans un contexte social et politique quasi insurrectionnel. En parler est délicat pour beaucoup de personnes. Kassovitz affirme souvent qu’il a fait ce film avec les Kanaks et pour les Kanaks. La question que je pose est toute simple : quelqu’un lui a-t-il demandé de le faire ? Qui et pourquoi ? Il faut également se demander qui sont « les Kanaks » dont on parle ici. Tous les Kanaks de Nouvelle Calédonie ? Tous les Kanaks du monde ? Et qui sont « Les Kanaks d’Ouvéa » ? Tous les Kanaks d’Ouvéa ou certains qui s’expriment au nom de la collectivité ? On le sait : si cer-tains Kanaks d’Ouvéa ont participé à ce projet et le soutiennent, tous les Kanaks d’Ouvéa n’ont pas souhaité le faire. Cela explique en partie le fait que Mathieu Kassovitz soit parti tourner à Tahiti. Il faut bien admettre que localement, et avant le tournage, le réalisateur n’a pas obtenu le consensus qu’il souhaitait, pour un tas de raisons. Cela étant, je sais aussi que, comme il le dit lui-même, ce projet a été important pour certains Kanaks qui y ont participé. Pour certains, ce film était une opportunité de visibilité : « Enfin ! Se sont-ils dit, on va parler de nous et de cette histoire ! ».

Mais les arguments pour ne pas prendre part au projet étaient aussi nombreux pour d’autres.

“La situation politique de la Nouvelle-Calédonie est complexe, et ce depuis longtemps.”

En Nouvelle-Calédonie, le film a fait l’objet d’interrogations lorsque le directeur des salles de cinéma de Nouméa a annoncé dans la presse qu’il s’opposait à sa dif-fusion. Cette question de la mémoire (et de sa transmission) est très sensible en Nouvelle-Calédonie. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faut pas la traiter; je suis, pour ma part, convaincue du contraire. Aujourd’hui, c’est une certitude que le film sera diffusé d’une manière ou d’une autre : les propositions parallèles pour le projeter se multiplient localement.Il faut avoir en tête que la situation politique de la Nouvelle Calédonie est complexe, et ce depuis longtemps. En 2014, il y a une échéance très attendue : le référendum sur l’autodétermination. Les Accords de Matignon le prévoyaient pour 1998, mais les responsables politiques (locaux et français) ont considéré qu’il était en-core trop tôt. Les Accords de Nouméa signés à ce moment-là prévoyaient alors ce référendum pour 2014. Une clause de l’accord spécifiait que la population s’emploierait à construire un « destin commun » d’ici-là. L’argument princi-pal du directeur des cinémas est que L’ordre et la morale, parce qu’il est trop polémique, met à mal cette perspective de « destin commun ». Il y a dans ce film une critique claire et radicale des hommes politiques français, et plusieurs de ceux qui sont en poste

aujourd’hui avaient déjà des responsa-bilités à cette époque.

“Mathieu Kassovitz est un réalisateur. Il n’est pas sociologue, ni his-torien.”

La question de faire ou non ce film s’est posée à plusieurs reprises mais, aujourd’hui, il existe et c’est une autre histoire. Il faut maintenant réfléchir à la manière de l’appréhender. Il faut aussi et surtout considérer que ce film est un film grand public. Pour ce sujet, je ne fais pas partie du grand public, mais je ne me positionnerai pas pour autant publiquement pour ou contre le film. Ce dernier doit être pris pour ce qu’il est : le produit de la sensibilité et de l’interprétation d’un cinéaste. Mathieu Kassovitz est un réalisateur. Il n’est pas sociologue, ni historien. C’est a priori ce qui explique aussi certaines inexactitudes et les manques de précisions qu’on peut remarquer. Ce n’est pas un documen-taire. Et peu importe le nombre d’archives que Mathieu Kassovitz a pu consulter. Ce film, c’est son interprétation et son analyse. Comme tout film, il ne faut pas le prendre pour argent comptant. A titre personnel, ce n’est pas l’existence du film en soi qui me dérange, mais plutôt le discours qui est véhiculé autour de lui et à travers lui à propos de certains aspects. Je le répète, il ne s’agit pas d’un film historique.

Propos recueillis par Lydia Belmekki

DOCUMENTAIRES A CE SUJET- Retour sur Ouvéa, Mehdi Lallaoui - Autopsie d’un massacre, Isabelle Drevillon- Maté mo Kanaky, 2008, Désiré Kabwa Menrempon

Photo : Lydia Belmekki

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Témoignage d’un officier

Le 17 janvier 2010, Nicolas Sarkozy a dénoncé une « impru-dence vraiment coupable » de Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier. De fait, « il leur avait été très clairement demandé de ne pas s’aventurer ainsi, compte tenu des risques encourus ». Depuis leur libération, les jour-nalistes n’ont cessé de démentir.

Le capitaine de frégate réserviste Eric Febvey a servi d’octobre 2009 à mai 2010 au sein des OMLT* de la 3ème brigade du 201ème corps d’armée afghan. Il assurait les fonctions de « mentor » de l’officier religieux de cette brigade, un mollah (lieutenant-colonel, comme lui).

Au cours de son séjour en Afghanis-tan, M. Febvey avait pris l’habitude de raconter la vie quotidienne dans cette partie du monde en guerre. Nous avons été autorisés à publier quelques extraits d’un mail daté du 1er janvier 2010.

« [...] Depuis une semaine ou deux, deux journalistes de FR3 tournent dans la zone de responsabilité française, c’est-à-dire en province de Kapisa et en district de Surobi. Ils ont passé quelques temps avec les OMLT, sous haute surveillance. Les armées recevant en permanence une foule de journalistes, il existe un service spécialisé auquel revient la charge de gérer ces visites : le PIO (Press and Information Officer). Celui-ci établit les programmes, s’occupe de leurs déplacements, de leurs logements, des rendez-vous qu’ils souhaitent avoir, etc. Il y a différents types de journa-listes : ceux qui sont identifiés comme sérieux et neutres (la grande majorité heureusement). Souvent, ils ne sont pas accompagnés. [...] Il y a une autre catégorie, plus restreinte : celle de ceux qui “savent et connaissent tout” et qui viennent en Afghanistan en sachant déjà ce qu’ils vont écrire ou traiter dans leurs reportages. [...] A ceux-là, en général, le PIO accroche un officier de son service à leurs basques avec mission de ne pas les quitter d’une semelle. Les deux journalistes de FR3 étaient identifiés comme tels. Le PIO a eu nombre de problèmes avec eux.

Ils devaient rejoindre les OMLT le 30 décembre dans la matinée pour conti-nuer le reportage commencé plusieurs

semaines auparavant. Après quelques jours avec les OMLT, ils avaient demandé à disposer de deux ou trois jours libres sur Kaboul. L’armée ne contrôle plus ce qu’ils font quand ils ne sont pas dans des enceintes militaires ou intégrés dans des unités. Les « hot spots » (à éviter absolument) leur avaient été précisés. Mais ils décidèrent de se rendre dans le secteur au sud de Tagab, encore aux mains des insurgés. Un endroit où ça explose systématiquement et violem-ment dès que l’on pointe le bout du nez... Ils ont pris un véhicule avec leurs deux interprètes et sont montés vers cette zone. Quatre kilomètres avant le début du ”hot spot”, ils ont été arrêtés à un barrage de police. Les policiers ont refusé de les laisser passer, leur expliquant les risques d’attaque. Les journalistes ont néanmoins réussi à passer (sans doute avec l’aide d’un conséquent pot-de-vin, comme cela se fait dans ce pays). Stoppés un kilomètre plus loin à un check point insurgé (vers 10 heures hier matin), ils ont été remis à un petit chef taliban, répondant au nom d’Issarullah. Ils furent ensuite amenés à un autre chef, connu sous le nom de Commandant Shafaq. Ce dernier est

un subordonné de Qari Baryal, le grand patron taliban de la zone. Des Afghans, nous avons été les premiers à savoir (à peine une demi-heure après) que deux français venaient d’être enlevés. [...] Les deux journalistes ne pouvaient ignorer qu’en allant là-bas, ils se jetaient dans la gueule du loup. [...] Le fait qu’ils aient pris la route vers le nord alors qu’ils avaient un rendez-vous précis avec les OMLT du kandak 34, prouve, si besoin en est, qu’ils savaient parfaitement ce qu’ils faisaient. [...] »

* OMLT : Operational Mentoring Liaison Team. Elles ont pour rôle de conseiller les militaires afghans dans le développe-ment de l’instruction et de l’entraînement, dans la planification et la conduite des opérations, ainsi que dans la mise en oeuvre d’actions coordonnées entre la force internationale et l’armée nationale afghane.

Propos recueillis par Pauline Febvey

Ce témoignage a été reCueilli après que nous ayons interviewé Hervé gHesquière.

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D O S S I E R J O U R N A L I S T E S E T A R M E E E N A F G H A N I S T A N

Interview :

Hervé GhesquièreHervé Ghesquière, journaliste reporter et ancien otage en Afghanistan a pris le temps de répondre aux questions de Controverses et à celles des M2 journalistes, lors de sa venue à l’iep. Nous remercions d’ailleurs ces derniers qui ont posé certaines questions que nous avons jugé pertinentes et que nous nous sommes permis de publier.

Comment définissez-vous le jour-nalisme d’engagement ?

Un journaliste qui s’engage est un jour-naliste qui ose aller sur le terrain. Un journaliste qui a des idées, et l’envie d’aller chercher l’information là où elle est, sans nécessairement suivre les communiqués de presse.

Qu’est-ce qui vous a attiré en Afghanistan ?

Je rêvais d’aller dans ce pays depuis 25 ans. Ça ne s’est jamais fait, pour diverses raisons. Il y a plein de choses qui se passent en Asie centrale en général. Il y a toute une problématique centrée sur le noyau Afghanistan-Pakistan. L’histoire est en marche dans ces pays-là. Il y a une partie de notre avenir qui se joue là (beaucoup plus que dans “l’affaire DSK”...).

Robert Capa disait qu’une photo ne valait pas une vie. Et vous, pensez-vous que l’information vaut une vie ?

Rien ne vaut une vie, c’est sûr. Et aucune information, aussi précieuse soit-elle, ne vaut que l’on meure pour l’obtenir. Mais cela ne signifie pas que nous devions tous rester derrière notre ordinateur ! Je ne suis pas kamikaze, mais bien entendu il y a toujours un facteur risque lors de mes reportages : j’essaye de prendre toutes les précautions possibles. Ensuite, soit on écrit des blogs qui colportent des rumeurs, soit on va chercher l’information à la source et on la recoupe. Après seu-lement on peut en débattre. Le problème est qu’à l’heure actuelle, on base le débat sur des rumeurs. J’en suis aujourd’hui vic-

time, comme tant d’autres à des échelles plus importantes.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de mentir ?

Rien. Qu’ils s’informent. J’attends toujours que l’on me sorte le fameux mail que nous aurait envoyé un offi-cier supérieur de l’armée française. Il stipulerait qu’il ne fallait pas y aller, que c’était trop dangereux. Je vous assure qu’avec l’expérience que j’ai de ce type de terrain, si un officier était venu me voir et m’avait dit ça, j’aurais absolument reconsidéré ma position et Stéphane aussi. J’invite donc les gens qui m’accusent à s’informer. Mais vous savez, on ne pourra jamais empêcher la rumeur. Dans 10 ans, je devrai sûrement encore me justifier là-dessus. Cela me fatiguera. J’aurai tourné la page depuis longtemps, mais pour l’instant, je ne l’ai pas encore totalement tournée. Je conseille à ces gens de moins parler et de plus vérifier leurs informations. Après, il y a le lobby de l’armée, il y a plein de choses... Et encore, à l’armée tout le monde n’est pas sur la même longueur d’onde. Et puis il y a ceux qui parlent, et il y a la majorité silencieuse.

Est-ce que faire du grand repor-tage est financièrement viable pour une rédaction ?

C’est une question de choix. Quand je pense à l’argent et à l’énergie déployés pour voir le retour de Dominique Strauss-Kahn, place des Vosges à Paris, je suis sidéré. Quand on fait le compte, une telle journée coûte extrêmement cher et on n’en apprend rien ! Avec cet argent, on

pourrait envoyer un ou deux journalistes pendant un mois faire un reportage de terrain en Libye. Plus que jamais, il faut aller voir ce qui se passe. Ce n’est qu’à partir de là que l’on peut décrypter ce monde de plus en plus complexe.

Que pensez-vous du phénomène impulsé par Internet permettant à n’importe quel citoyen d’être « journaliste » sur la toile ?

Ah oui, ça tout le monde peut être jour-naliste ! Internet est un très bel outil. Il ne faut pas dire non à Internet, loin de là. J’étais un peu réticent au début, et puis je me suis dit qu’il fallait faire avec, que c’était incontournable. Le problème avec Internet est que l’on y trouve tout et n’im-porte quoi. Il y a des choses excellentes, mais c’est aussi une « radio-rumeurs ». Je dirais que c’est une discussion de bistro mondialisée. Il faut vraiment se méfier d’Internet. C’est très compliqué le cyber-espace, le “cyber-journalisme”. Cela demande encore plus de vigilance car l’information circule beaucoup plus vite et vient de partout.

Quelles sont à vos yeux les qualités indispensables d’un journaliste ?

Il faut avoir une compréhension globale des choses et une bonne culture générale. Ne soyez pas journalistes trop jeunes : c’est un métier complexe. Allez chercher l’information à la source, recoupez-la, travaillez avec cœur et faites de l’infor-mation.

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Propos recueillis par Marie Roulhac de Rochebrune et Lydia Belmekki

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D O S S I E R J O U R N A L I S T E S E T A R M E E E N A F G H A N I S T A N

L’engagement journalistiqueA propos de la conférence d’Hervé Ghesquière

C’est par une rétrospective de son enlèvement qu’Hervé Ghes-quière a débuté sa conférence.

En dehors des questions des étudiants, le récit des faits a même été l’unique sujet abordé par le reporter. La défini-tion et l’explication du terme « journaliste d’engagement » étant restées en suspens, comment comprendre les raisons de sa démarche ?

“Un journaliste d’enga-gement est un journaliste qui va chercher l’infor-mation à la source”:

Il paraît tout d’abord évident que faire abstraction de cet évènement quatre mois après sa libération était impossible. Il aurait sans doute fallu à Hervé Ghesquière un temps bien supérieur pour avoir un recul suffisant qui lui permette d’analyser les faits, et de tirer de son expérience une définition de ce que pourrait être le journalisme d’engagement.Mais probablement la notion d’engage-ment était-elle déjà là, dans ce souhait de raconter l’enlèvement en lui-même. Il n’y avait pas besoin de mots de plus pour le dire, un journaliste engagé était un homme ayant l’unique volonté de rétablir la réalité des faits, dire ce qui est sans tournures ni précautions, un défenseur de la vérité qui combat rumeurs et mensonges. D’où peut-être la nécessité, pour Ghes-quière, de réfuter les critiques du gouver-nement, cette nécessité étant alimentée sans doute aussi par un sentiment d’injus-tice présent au cœur de ce qu’on peut encore appeler une réaction « à chaud ».Un journaliste d’engagement est un jour-naliste qui va « chercher l’information à la source » nous dit Ghesquière : un

homme au cœur du monde en fait, à l’affût des évènements du quotidien, en tous lieux. S’il « ose aller sur le terrain », c’est qu’il refuse l’information préfabri-quée, qu’il veut comprendre et faire com-prendre à partir de ce qu’il voit et de ce qu’il entend lui-même. En même temps, peut-être peut-on penser que derrière cette idée il y a un attachement au monde, un intérêt immense pour cette Histoire qui s’accomplit sous ses yeux, et une révolte face à ce présent contre lequel on ne peut rien. Quoi qu’il en soit, amour ou révolte, finalement, être engagé, ne serait-ce pas avant tout être passionné ?

“Le journaliste refuse l’égocentrisme des quo-tidiens individuels”:

Le journaliste qui s’engage est un jour-naliste d’opinion, sa passion l’implique. Aussi, au-delà de dire les faits, va-t-il vouloir les expliquer. Il n’y a pas une information, il n’y a pas une vérité, il y en a autant qu’il y a d’hommes à les chercher. Hervé Ghesquière, dans sa conférence, pour nous transmettre sa propre vérité, nous l’explique : voilà pourquoi l’on se trouvait ici à ce moment-là, voilà ce que nous étions venus chercher.Le plus souvent, les explications ont un objectif : convaincre. Il y a un message à faire passer, des idées à bousculer. Dans le reportage, il s’agit d’alarmer des vies tranquilles sur l’état du monde. Le journaliste refuse l’égocentrisme des quotidiens individuels.On rejoint alors l’utilité de l’information. On ne peut tenter d’expliquer l’engagement du journaliste sans expliquer pourquoi

l’information est primordiale dans notre société. On peut considérer que l’infor-mation ouvre les regards à des milliers de kilomètres plus loin : tout le monde n’a pas les moyens, ni le courage, ni même forcément l’envie de se déplacer dans des contrées lointaines et dangereuses pour comprendre ce qui s’y passe. Le journaliste s’en charge à notre place et nous transmet par ses mots et ses images ce qu’il en a retenu. Parallèlement, son regard sur les faits, qui contient toujours une part de subjectivité, nous ouvre l’esprit et nous donne un outil indispensable à la pensée. C’est par l’information brute mais aussi par la confrontation des idées que l’on se forge une opinion. Le journaliste fait un travail d’historien, mais dans le présent. L’information qu’il nous fournit complète l’Histoire, elle est sa continuité, elle est l’histoire du présent.

“L’historien et le journa-liste ont un même but: continuer à faire vivre ce(ux) qui tombe(nt) dans l’oubli”:

In fine, la notion d’engagement du jour-naliste, ici, rejoint la notion d’engagement du cinéaste : Ghesquière et Kassovitz ont exactement le même objectif, simplement l’un utilise le présent et l’autre le passé.C’est dans cette perspective que l’infor-mation est indispensable, on pourrait presque même parler de devoir d’infor-mation, autant qu’il existe un devoir de mémoire. En fait, que ce soit à cause des années qui passent, des dictatures ou des guerres ou de l’éloignement géogra-phique, l’historien et le journaliste ont un même but : continuer à faire vivre ce(ux) qui tombe(nt) dans l’oubli.Alors, oui, évidemment, l’information a un prix. Matériel déjà, comme Ghesquière nous le dit, il s’agit de sommes énormes pour envoyer des journalistes en repor-tage. Il s’agit de sommes encore plus conséquentes pour libérer les journalistes pris en otages. De façon plus abstraite, le coût est parfois celui d’une vie. Il y a toujours une prise de risques qu’on ne peut négliger. Mais qui peut refuser de payer le prix de la connaissance ? La connaissance d’une réalité qui, de plus, ne peut être obtenue que grâce à l’indépendance complète des journalistes.

9Charlotte Méritan

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La crise des dettes européennes et ses conséquences potentiellement catas-trophiques étaient déjà évidentes au début de l’année 2010, alors que les gouvernements étaient incapables de se mettre d’accord, les spéculations sur les marchés ont continué, augmentant les taux d’intérêts pour les emprunts des États endettés (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne, Italie…).Par conséquent, ces États ne pouvaient finalement plus se financer et tombaient dans une insolvabilité incontrôlée avec des conséquences imprévisibles, aussi bien pour l’Europe que pour le monde. Pourtant, il y a une institution qui a ache-té, à un prix très élevé, du temps pour les pays endettés et les gouvernements européens, un sauveur oublié de notre monnaie commune : la Banque Cen-trale Européenne (BCE) – une institution indépendante de la volonté politique, c’est-à-dire une institution sans légiti-mation démocratique.Que s’est-il passé? En mai 2010, les membres de la zone euro et le Fonds Monétaire International (FMI) ont (enfin) mis au point des plans de sauvetage pour les pays endettés. D’un côté, les plans contenaient de larges sommes devant rassurer les marchés financiers.

De l’autre, la transmission était liée à des processus formels trop longs, ce qui a renforcé les doutes sur l’impact financier à court terme de ces plans. Comme un soutien financier immédiat était nécessaire, la BCE, sous l’égide de Jean-Claude Trichet [président de la BCE à ce moment-là, ndlr], en tant que seule institution pouvant disposer d’une liquidité infinie à court terme, est intervenue en réalisant une « chute originelle monétaire » (surtout selon la majorité des économistes allemands) : l’achat des emprunts d’État des pays endettés. De cette façon, elle a diminué les intérêts de ces emprunts d’État sur les marchés financiers afin de faciliter le refinancement des États endettés. En conclusion, la BCE a acheté du temps pour la politique, qui n’était pas capable de trouver elle-même une solution assez rapide.Pourtant, le rôle de la BCE dans la zone euro n’avait pas prévu un tel compor-tement : l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne interdit l’acquisition directe des instru-ments de dette étatique par la BCE. L’intervention de la BCE était seulement possible parce qu’elle a acheté ces der-niers aux banques et pas directement

aux États. En général, les traités de la zone euro ont prévu une forte indé-pendance politique pour la BCE, pour qu’elle ne puisse que se concentrer sur ses objectifs monétaires – notamment un taux d’inflation légèrement inférieur à 2%. C’était une condition de l’Alle-magne pour son adhésion à l’Union Européenne Monétaire (UEM), du fait de ses expériences de l’hyperinflation, par exemple en 1923.

“Qui a la légitimité de définir quand il faut vio-ler les règles, ou même les traités?”

Beaucoup d’économistes allemands critiquent l’achat des emprunts d’État par la banque centrale, car il estompe la frontière entre la politique monétaire, supposée indépendante, et la politique fiscale des États. La conséquence de cet achat, c’est l’augmentation de l’inflation due à la création de monnaie. Ainsi, les États perdent la possibilité d’éviter une hausse de leurs dettes, et de mener une politique budgétaire responsable. Pour la zone euro, cela veut dire que les Etats les plus riches, font un chèque en blanc aux États endettés, qui n’ont aucune obligation d’engager les réformes fis-cales et économiques nécessaires. Les créanciers de la BCE, ce sont les États, donc ceux qui peuvent encore payer. De plus, la BCE, qui porte les risques des emprunts, ne sera plus indépen-dante si elle doute de la capacité d’un État à rembourser ses créances. Elle compromet sa crédibilité, parce qu’elle pourrait être soupçonnée de monétiser les dettes étatiques. Voilà pourquoi le gouvernement allemand a strictement désapprouvé l’intervention de la BCE malgré son indépendance vis-à-vis de la politique. Cependant, la BCE continuait à acheter des obligations étatiques en 2011 : aujourd’hui, elle possède des emprunts d’État d’une valeur de 200 milliards d’euros.

Ein vergessener Euro-RetterE C O N O M I E

Les gouvernés en Europe se posent une question importante face à la crise financière internationale et à la crise des dettes européennes : est-ce que les États, nos gouvernements et parle-

ments, nos institutions démocratiques, sont encore capables, en période de crise, de s’imposer face aux marchés et aux agences de notations?

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Source : lexpansion.lexpress.fr

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E C O N O M I E

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Comme l’économiste en chef de la BCE, Jürgen Stark, n’acceptait plus cette politique représentant un risque inflationniste, il a démissionné en sep-tembre 2011. Pourtant, les risques des interventions de la BCE ne sont-ils pas justifiés par les dangers potentiels d’une insolvabilité d’un État de la zone euro? La théorie a toujours évité le problème, vu qu’elle ne peut jamais prendre en compte tous les facteurs, comme pour la crise actuelle. Dans ce cas, des solu-tions extraordinaires sont nécessaires, qui doivent même surmonter les traités ou les règles existants. Mais qui a la légitimité de définir quand il faut violer les règles, ou même les trai-tés ? Qui doit avoir le pou-voir de déclarer la situation de crise ? Normalement, ce sont nos institutions démo-cratiques, qui ont le droit de nous gouverner temporaire-ment. La BCE manque d’une telle légitimation à cause de son indépendance : elle est seulement responsable de ses objectifs monétaires, définis dans les traités de l’UEM. Le changement de sa priorité (sauver l’Euro à tout prix en risquant l’inflation) a eu lieu sans une légitimation démocratique à cause de la distinction stricte entre les politiques monétaires et fiscales. Maintenant, la BCE peut encore jugu-ler le risque inflationniste en diminuant la création de monnaie de ses autres affaires sur les marchés monétaires, mais cette stérilisation n’est pas infi-niment possible selon les calculs des banques, avec un volume des emprunts d’État de 300 milliards d’euros.Néanmoins, cette politique de la BCE ne représente qu’un gain de temps. Les gouvernements doivent trouver des solu-tions finales, et pas seulement à la ques-tion de la crise des dettes européens. On ne doit pas oublier que c’était aussi les marchés financiers déréglementés qui ont causé et renforcé cette crise : par exemple, l’Irlande n’avait jamais violé les critères de Maastricht concernant l’endettement des États jusqu’au début de la crise. Ses interdépendances sur les marchés financiers internationaux étaient la raison pour laquelle une crise existentielle des banques a émergé et est désormais payée par l’État irlandais. Aujourd’hui, il manque toujours de vraies propositions pour des réformes et des réglementations des marchés financiers,

des banques et des agences de nota-tion. Ces dernières ont un tel pouvoir que même une fausse dégradation de la solvabilité de la France lancée par Standard & Poor’s diminue fortement la valeur des emprunts d’État français – comme une prophétie auto-réalisatrice. Mais, qui surveille les évaluations des agences de notation, qui elles non plus n’ont pas prévu la crise financière ?

“Le sommet du G20 à Cannes n’a presque rien changé sur le plan de la réglementation”

Et pourtant les problèmes s’aggravent : la situation politique instable en Grèce, une forte récession économique grecque qui diminue l’acceptation des réformes et complique l’objectif de la consoli-dation budgétaire, et la situation des autres pays européens comme l’Italie, qui ont de plus en plus de difficultés à se financer, soulèvent des questions : les mesures décidées notamment par « Merkozy » à la fin de l’octobre peuvent-elles maîtriser les défis ? La décote des dettes grecques (« haircut ») de 50% pourrait ne pas diminuer suffisamment la dette, de telle façon que la Grèce ait encore besoin d’aide et reste dans la récession, contrariant les mesures d’économies. Même si, par exemple, les « sages économiques », un conseil des experts économiques du gouverne-ment allemand, ont accentué dans leur rapport le fait qu’une exclusion ou un retrait de la Grèce de la zone euro serait trop désavantageux pour l’Allemagne et l’Europe, la sortie de la Grèce de la zone euro est considérée comme une pos-

sibilité officielle. De plus, il n’est pas sûr que l’élargissement du Fonds Européen de stabilité financière (FESF) puisse aussi résister à une crise de l’Espagne et de l’Italie. La crise continue et les marchés financiers réa-gissent immédiatement à cette perte de confiance au sein de la zone euro.Encore une fois, la zone euro pourrait se trouver dans une situation face à laquelle les gouvernements ne peuvent plus réagir assez vite. Voilà pourquoi une nouvelle intervention de la BCE est discu-tée : dans une interview avec un quotidien

allemand, l’économiste amé-ricain Paul Krugman explique que l’avenir des dettes espa-gnoles et italiennes dépen-dra du comportement de la BCE et qu’il existe des bons arguments pour une décote de dettes de peut-être 70% à cause de l’insolvabilité fon-damentale de la Grèce. Afin de garantir le financement de l’Espagne et de l’Italie sur les marchés financiers, et par conséquent avoir assez de temps pour appliquer des réformes intérieures, la BCE doit renforcer la confiance des marchés dans la zone euro

en montrant de façon crédible qu’elle continuera à acheter leurs emprunts d’État vaille que vaille. Selon elle, l’ob-jectif de l’inflation modeste ne doit plus être la priorité absolue; aux États-Unis ou en Grande-Bretagne les banques centrales ont joué plusieurs fois ce rôle de sauveur des finances.La Banque Centrale Européenne, le sauveur oublié de l’euro, devra peut-être encore une fois stabiliser la zone euro et protéger notre monnaie commune sans une légitimation démocratique. Nous pouvons seulement espérer que les gouvernements trouveront finalement des solutions à toutes ces questions urgentes. La BCE les aidera probablement à gagner du temps mais espérons que le prix ne sera pas trop grand pour elle et pour nous. Cependant, si cela était le cas, ce ne serait pas « Merkozy » ou les chefs d’État et de gouvernements européens qui auraient vraiment sauvé l’Euro, mais la Banque Centrale Européenne.

Carsten Schwäbe

Source : lexpansion.lexpress.fr

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Référendum grec : changer le peuple

Mais de quoi se mêlent-ils ? Les grecs vont devoir se serrer la ceinture d’une façon ou d’une autre. Les technocrates « libéreurobéats » leur ont dit. Et le peuple hellène aurait le culot de vouloir donner son avis!

Dans le grand maelström qui sert de pen-sée politique en Occident, on avait fini par assimiler deux concepts. La Guerre Froide aidant, un trait d’égalité avait fini par être tiré entre « économie de marché » et « démocratie libérale ». A moins que ce ne soit « démocratie de marché » et « économie libérale ». Pourtant, il faut bien constater que ces deux notions sont différentes. Elles ne relèvent tout simplement pas de la même sphère. Un système politique et un système écono-mique n’ont ni les mêmes fonctions, ni les mêmes présupposés, ni les mêmes acteurs. On parle de citoyens d’une part et consommateurs de l’autre. Il est vrai qu’avec le développement du benchmar-king pour analyser l’électorat, le recours aux agences de communication pour nous vendre les hommes politiques et autres outils modernes de faire de la politique, on avait fini par confondre…

La tentation est grande en Europe de passer définitivement dans un système post-démocra-tique, si le changement n’est pas déjà totalement réalisé.

Ces deux notions n’ont pourtant rien à voir. Quand Pascal Lamy expliquait sur l’antenne de France Culture le 8 janvier 2010 que, en substance, la Chine ne connaissait pas « les mêmes rigidités » en matière d’application d’une décision économique qu’en Europe, il soulignait maladroitement cette idée. En somme, une bonne dictature convenait parfois mieux aux marchés que la démocratie, par trop capricieuse. Or, la tentation est grande en Europe de passer définitive-ment dans un système post-démocra-tique. Quelle prise a encore le peuple de France sur ses choix politiques ? Quand on lui a demandé son avis sur le

Traité portant Constitution pour l’Europe et qu’il a répondu qu’il n’en voulait pas, l’intelligentsia s’est acharnée à le faire passer pour un ramassis de beaufs d’arrière-garde qui n’avait définitive-ment rien compris. Et puis finalement, sans rien lui demander, on lui a imposé exactement le même texte ou quasi en adoptant le Traité de Lisbonne… L’idéal technocratique est la panacée de nombreux experts autoproclamés qui s’épanchent à longueur d’éditoriaux pour glorifier les progrès économiques de l’Union européenne, déclamer qu’il n’y a pas d’autres alternatives, que la libéralisation est l’avenir, que les salariés doivent s’adapter aux marchés, etc…Les grecs disent qu’au fond, ils se fichent de s’adapter aux marchés. Que, jusqu’à preuve du contraire, la souveraineté réside dans le peuple et non dans les marchés. Que la Bourse qui semble détenir le pouvoir effectif n’a pas à dicter la politique économique, voire la politique tout court d’un pays. Il est impossible de souligner mieux qu’aujourd’hui l’écart existant entre la loi des marchés et celle de la démocratie.

C’est cette logique qui est fausse. Le marché n’est en rien naturel, il est totalement construit.

Les argumentaires de nos brillants politiques nationaux sont tout à fait révélateurs. Ber-nard Debré, député UMP de Paris, dans un éclair de génie, déclare : « Si on avait fait un référendum en 1941, Pétain aurait gagné. ». Doit-on en déduire que, par contre, les députés qui ont voté les pleins pouvoirs sont moins coupables ? Ont été plus courageux ? Que refuser le plan européen équivaut à collaborer ? Avec qui ? Un niveau au-dessus, Henri Guaino estime pour sa part que « quand on est face à une catastrophe naturelle, on ne

fait pas un référendum pour savoir si on appelle les pompiers. » Certes. Mais c’est exactement cette logique qui est fausse. Le marché n’est en rien naturel, il est totalement construit. A ce titre, il faut relire Foucault et plus particulière-ment les cours au Collège de France sur la naissance de la biopolitique pour se souvenir que le système libéral est extrêmement normatif et non pas une jungle, contrairement à la caricature gauchiste qui en est faite.Les grecs ont raison de prendre en charge leur destin. Il est hors de ques-

tion de forcer un malade à se soigner. La Grèce est malade, elle a le droit de choisir entre les remèdes qu’on lui pro-pose. Pour ma part, quitte à affronter le chaos, je préférerais le faire en citoyen qu’en consommateur. Et entre le choix du peuple et celui du marché, je penche davantage pour la voix d’un citoyen que celle d’un analyste de Moody’s.Bon, de toute façon, que les libéraux de tout poil se rassurent, ils nous rabâchent à longueur d’articles et de manuels d’économie que les agents sont économiquement rationnels. La main invisible ne devrait donc pas se tromper quand il s’agira de déposer son bulletin dans l’urne….

Arnaud V - Sciences Po Strasbourg

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Source : mouton-noir.net

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P O L I T I Q U E

UNESCO : Quand l’Autorité palestinienne devient le peuple élu

Il est une nouvelle sur laquelle les bonnes consciences humanistes et les pri-vilégiés tiers-mondistes ne se privent pas de se féliciter : l’Autorité pales-tinienne vient d’être élue à l’UNESCO et par là même l’instance onusienne officiellement et la communauté internationale implicitement lui recon-naissent le statut d’Etat avec 107 voix pour, 14 contre et 57 abstentions.

Ah ce qu’ils doivent être ravis, les chantres du manichéisme international, ces « citoyens du monde » autoprocla-més, aux âmes de justicier, toujours du côté des gentils et contre les méchants, et tant pis si la frontière est floue : après s’être congratulés et avant de dégainer, hélas, à nouveau contre Barack Obama et son Prix Nobel de la Paix qui coupe les vivres à l’UNESCO, ils ont eu matière à fantasmer.

“Aucune négociation ne peut aboutir si elle est basée sur la provocation, la confrontation et le fait accompli.”

Pourtant ce qu’ils considèrent comme une victoire n’est en réalité qu’une défaite, non seulement pour le peuple palestinien mais surtout pour la paix. Quelques semaines après avoir échoué à vaincre les réticences internationales pour se voir attribuer un siège d’Etat membre à l’ONU, l’Autorité palestinienne, par son élection à l’UNESCO, connaît à nouveau une défaite diplomatique : aucune négociation ne peut aboutir si elle est basée sur la provocation, la confrontation et le fait accompli. Immédiatement, d’ailleurs, le

processus de paix a été officiellement suspendu, les colonisations israéliennes poursuivies avec l’annonce immédiate de la construction de 2000 logements à Jérusalem-Est et le gel des transferts de fonds destinés à l’Autorité palestinienne décrété (soit 50 millions de dollars par mois, correspondant au remboursement des droits de douanes et de TVA sur les produits destinés aux Palestiniens et transitant par les installations portuaires et aéroportuaires israéliens, soit 30% du budget de l’Autorité palestinienne). Le couperet est d’ailleurs tombé vendredi 11 novembre dernier, quand le Conseil de Sécurité a annoncé qu’il ne pourrait pas accorder d’une manière unanime le statut d’Etat-membre à l’Autorité palestinienne. Pourtant, son existence était déjà implicitement reconnue par l’Etat hébreu autant que par la communauté internationale, seulement l’Autorité palestinienne doit pouvoir s’affirmer comme étant un Etat. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, avec un territoire bicéphale aux conditions de vie disparates, avec une organisation terroriste, le Hamas, imposant sa loi à une force démocratique, le Fatah, et interrompant sans cesse par ses provocations et ses attaques le processus de paix, et par son incapacité, enfin, à rémunérer et faire fonctionner

ses administrations et ses fonctionnaires, l’Autorité palestinienne n’est pas un Etat.

“Quels crédits peuvent encore être portés à un Etat qui, avant même d’en être un, exaspère diplo-matiquement ?”

Tandis que les Gazaouis s’en moquent éperdument, cette élection ne fait qu’exa-cerber les tensions déjà existantes et radicalise surtout la position des Etats-Unis et d’une partie des puissances européennes à l’égard de la question israélo-palestinienne. Quels crédits peuvent encore être portés à un Etat qui, avant même d’en être un, exaspère diplomatiquement? Au Conseil de Sécu-rité prédomine désormais la politique de l’intransigeance : coincé par la majorité républicaine au Congrès autant que par la perspective de l’élection présidentielle de novembre 2012, Barack Obama a prévenu qu’il mettrait son veto, tandis que la Grande-Bretagne et la France ont décidé de s’abstenir. D’autant plus que cette irresponsabilité et cette stratégie à hauts risques de la part de l’Auto-rité palestinienne irrite également les autres membres du Quartet, bloquant également la possibilité de résoudre de manière consensuelle une question qui n’est plus une épine dans le pied mais s’est muée en gangrène. Or, très souvent, la gangrène ne peut se soigner que par l’amputation…

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Pierre-Olivier Eglemme

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S P O R T

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Pourquoi l’Europe domine-t-elle la planète football ?

Bayern Munich, Real Madrid, Manchester United, ou encore Milan AC : tous ces grands noms du football européen vous sont sûrement connus, même pour ceux d’entre vous qui ne suivent pas avec passion le sport roi. Tous ces clubs qui ont fondé la légende du football sont situés dans les plus grandes villes d’Europe. Pourquoi l’Europe domine-t-elle la planète foot-ball ?

Des racines profondé-ment ancrées en Europe

C’est dans l’Angleterre victorienne que serait né le football sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Dès lors, les Anglais ont assez rapidement diffusé ce sport aux quatre coins de l’Europe. Il arrive en France dès les années 1860, et c’est la ville du Havre qui sera la pre-mière à voir un club de football émerger en France. Dans son développement d’après-guerre et avec la professionnalisation qui s’en suit, le football va prendre un vrai virage européen : dans les années 1950, c’est le journal l’Equipe qui créé la coupe d’Europe des clubs champions, ancêtre de l’actuelle Ligue des Cham-pions. Nul ne peut nier qu’aujourd’hui, les plus grands joueurs de la planète évoluent dans des clubs européens : de Lionel Messi l’Argentin du FC Bar-celone à Park Ji Sung le Sud-coréen de Manchester United. Même en Ligue 1, les meilleurs de nos joueurs s’appellent actuellement Javier Pastore, Lisandro Lopez et se sont appelés Didier Drogba, Chris Waddle ou Raï.

Un football économique-ment mondialisé

L’argument économique est le premier mis en avant par les observateurs pour expliquer l’hégémonie européenne. En effet, à l’heure actuelle, les clubs de football européens sont de véritables entreprises, cotées en bourse et réali-sant des profits faramineux. Un rapport annuel a révélé que le Real Madrid était en 2010 le club le plus riche du monde, avec un revenu supérieur à 400M€ ; un joueur comme Cristiano Ronaldo touche un salaire qui dépasse le mil-lion d’euros mensuel. De telles sommes

ne sont atteintes sur aucun autre continent. Les seuls qui peuvent encore se permettre de posséder des joueurs d’envergure internationale dans leurs effectifs sont les clubs argentins et surtout brésiliens. Aussi le football évo-lue-il : les investis-seurs sont maintenant des émirs qataris, ou des magnats russes du gaz. Les joueurs s’adaptent égale-ment à cette réalité : Samuel Eto’o a décidé l’été dernier de signer un contrat de 29 M€ au FK Anji Makhatchkala [club de football russe, ndlr]. Si cette attitude a été vivement critiquée par la majorité des commentateurs du football, il semble avoir ouvert la voie à un football qui se libère peu à peu de l’étau de la tradition. Au plan sportif, les choses changent : on voit de plus en plus les clubs russes ou ukrainiens percer sur la scène Euro-péenne avec de belles victoires comme celles du CSKA Moscou ou du Shaktior Donesk en Ligue Europa, au détriment de pays plus traditionnels comme la Belgique ou encore l’Écosse, qui vivent une vraie crise de leur football.

Un poids de la tradition encore très fort

La Tradition footballistique européenne est l’autre argument que l’on peut avan-cer pour expliquer la force du football européen : il a su se construire sur une légende que nul autre continent ne peut se targuer de posséder. Les plus grandes équipes du football mondial ont été européennes : le Real Madrid des années 50, le Manchester United des années 60 ou l’Ajax de Cruijff et

son football total dans les années 70. Aujourd’hui, le FC Barcelone mené par son magicien Lionel Messi a marqué la fin des années 2000 et rafle tout depuis 2009. Toutes ces équipes ont un point commun : elles évoluent sur le vieux continent. Cette tradition européenne a cependant vu quelques exceptions dans son histoire. Il ne faudrait en aucun cas nier l’existence d’un football sud-américain de légende, avec un club comme River Plate ou Boca Juniors en Argentine. Au Brésil, le célèbre « Fla – Flu » est le symbole d’un football brésilien qui possède aussi une légende au-delà de la seleção. Enfin, le grand Pelé est une magistrale exception à cette prétendue règle : il a joué toute sa carrière au Brésil et n’a jamais voulu évoluer en Europe, ce qui ne l’a pas empêché d’être plusieurs fois champion du monde entre 1958 et 1970.Le monde du football est aujourd’hui à la croisée des chemins : il doit faire sa révolution en acceptant de laisser le pas-sé là où il est pour entrer de plain-pied dans l’ère de la mondialisation. L’arrivée des investisseurs moyen-orientaux et russes est difficile à accepter pour un monde qui, malgré une exposition et un développement d’ordre mondial, reste profondément attaché à ses traditions.

Elies Berkani

Source : 12ejoueur.ca

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A M O U R , G L O I R E E T P R E S I D E N T I E L L E S

http://www.controverses-iepaix.fr

EPIsODE 327

Dimanche 17 octobre :

Le successeur vient d’être désigné. L’Homme normal représentera la fa-mille Péhesse aux élections de 2012. La Fille de, après s’être isolée pour verser quelques larmes et appeler papa pour se rassurer, vient enlacer son cousin. Elle tente de masquer sa déception et sa jalousie en affichant un sourire faux et forcé. Elle repense à ces derniers mois. Si l’Imprévisible ne s’était pas écarté du droit chemin elle n’en serait pas là. L’Homme normal ne serait pas sacré

chef de famille. Si seulement il n’y avait pas eu de Sofitel à New York …Aussitôt la nouvelle annoncée, tous les membres de la famille s’approchent près du vainqueur pour le féliciter. Tous l’avaient soutenu et sont confortés dans leur choix. Si la Fille de avait été élue, ils n’auraient eu aucune chance de voir les éventuels futurs postes de ministres leur être attribués. Tous se réunissent, se donnent la main, se sourient. La famille semble unie et heureuse. A vous de juger si cette alliance est réelle et non contrefaite.

Chacun pense à son avenir. Arnaud, le fils prodige, s’imagine à la place de l’Homme normal dans cinq ans. Il se voit remercier ses collaborateurs, narguer son grand frère Manuel et savourer sa victoire. Il pense déjà à son discours de remerciement. La sainte du Poitou regarde sa montre. Son train à destina-tion d’un monastère Poitevin est dans 3 heures. Elle y restera recluse pendant les cinq prochaines années afin de trou-ver un nouveau souffle, une nouvelle “bravitude” pour 2017. Le vieil oncle rejeté a déjà regardé les prix pour une petite location près de l’Ile de Ré où il s’installera. Manuel, le deuxième fils prodige boude, espère apprendre de la vie et grandir pendant ces cinq ans pour enfin rejoindre la cour des grands en 2017. La Fille de pense simplement à son buffet qui l’attend sur la Seine. Tout cet argent dépensé pour rien. Quant à l’Homme normal, il savoure pleinement sa victoire sans réfléchir, pour l’instant, à demain. Il a réussi, il sera le deuxième homme de l’élection de 2012 et certainement le second président socialiste de l’histoire de la Cinquième République. Il succédera ainsi au saint-Père qui, il en est sûr, le regarde de là-haut, de son paradis socialiste. L’union de la famille Péhesse survivra-t-elle à cette désignation ? La gauche parviendra-t-elle à s’unir ?

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Manon Courbière

EPIsODE 328Novembre :

Novembre. Un mois s’est écoulé depuis l’élection du chef de famille. Alors que dans un premier temps l’Homme normal avait profité de l’élan médiatique dont il bénéficiait pour apparaître réguliè-rement dans les médias et parler de ses projets futurs, il semble dorénavant vouloir s’effacer du devant de la scène. Un calme serein s’installe ou du moins

s’était installé jusqu’à ce que la famille Péhesse et son écolo de cousine éloi-gnée, Lévere se réunissent. Les ten-sions semblent monter. A l’autre bout de Paris, dans le manoir de la famille Huempay, tous sont penchés au-dessus du berceau de la petite Giulia et tentent de rassurer le Petit homme. L’Américain raconte n’importe quoi, bien entendu que l’enfant ressemble à son père, et bien entendu qu’ils sont tous les deux

magnifiques. Des accords entre les familles de gauche seront-ils conclus ? La famille Huempay désignera-t-elle enfin un candidat pour 2012 ? Giulia ressemble-t-elle réellement à son père ?

Vous le saurez dans le prochain épisode de Amour, Gloire et Présidentielles.

Retrouvez régulièrement les chroniques «Amour, gloire et présidentielles» sur notre site.

Source : lejdd.fr

Page 16: CONTROVERSES 13

S O C I é T é

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Le sexe, quel malheur!Tout fout le camp ma petite dame, c’est moi qui vous le dit. Le coït, c’est plus ce que c’était.

L’acte intime par excel-lence, semble aujourd’hui en proie à de nombreuses embûches, et semble tendre vers le plaisir au-thentique délié de toutes chaînes. Cette acte intime confère aujourd’hui au parcours du combattant. Bon, peut être que du temps de Mamie, sous la couette, c’était pas le carnaval de Rio, mais au moins on savait s’aimer, et ça restait discret. La morale était pesante, l’onanisme rendait encore sourd*. Aussi un acte un peu trop rapide (« la pre-mière fois que ça m’arrive, je te jure» ) ou une position ésotérique telle que le lindra ratée (vous savez, celle avec les quatre fers en l’air), n’étaient pas à craindre : personne ne serait au courant.Aujourd’hui, c’est à peine si ce n’est pas twitté à la seconde ou posté sur Facebook, chacun y allant de son «like». On pourrait presque imaginer qu’en cas de coup dur, nos amis pourraient poster un petit commentaire de soutien. « Martin a joui en 1min37» Laurent : tiens le coup mec / Julie : c’est pas grave <3 / Kevin : lol le noob .»

“La portée de l’acte dé-passe le cadre auquel il devrait resté cantonné”

Le problème est bien grave et la réflexion de Kevin (merci Kevin), terrible. Si les deux partenaires sont soumis à l’indicible pression de la réussite sexuelle, c’est bien que la portée de l’acte dépasse le cadre auquel il devrait rester cantonné : le lit (bien qu’il puisse être possible d’en tomber pendant si on est un brin sauvage, mais cela n’a rien à voir). Et celui à qui l’on prête traditionnellement la responsabilité entière de cette réussite, d’en porter le fardeau : j’ai nommé l’homme. Celui-ci est forcé à briller, sous la menace d’un haro national, contraint à la fuite dans un pays qui n’aurait pas vécu, lui, cette connerie de révolution sexuelle.

Je vous le demande : quel avenir sexuel préparons-nous à nos enfants? Au vu de l’évolution actuelle des comportements, nous sommes en droit de craindre une ère de totalitarisme sexuel (quel sens de l’emphase), ou big brother aurait une caméra dans chaque chambre, afin de ne pas perdre une miette de nos réussites ou déboires. C’est ni plus ni moins ce qui nous attend, et un classement d’envergure internationale est peut être à venir, alternative au modèle de « l’employé du mois». On pourrait alors choisir son lieu de vie par rapport aux performances de ses voisins, et organiser des concours de cris animaux, mettant ainsi une certaine ambiance dans le quartier.

“Un des grands mal-heurs de la vie sexuelle moderne : la simulation”

Le cri, parlons-en ! Avatar du plaisir donné, il a vocation à exprimer celui qui est reçu et accessoirement, contenter l’ego de l’un ou de l’autre partenaire. Mais au delà, si le phallocrate n’agit que dans son intérêt propre, l’amoureux de la volupté et de la chair apporte un intérêt certain au contentement de son partenaire. N’oublions pas le testament de Casanova : « le plaisir visible que je donnais constituait les quatre cinquièmes du mien». Cependant, en réaction se profile un des autres grands malheurs de

la vie sexuelle moderne : la simulation. Intention louable dans un premier temps, qui vise à ne pas heurter la sensibilité de l’autre, mais absolument contre productive. Ne donnons pas matière à Régis de se vanter le lundi matin au bureau auprès de ses collègues du fait d’une appréciation tronquée. Bobonne doit avoir le courage de lui signifier combien non, elle n’est pas heureuse, et que l’étoile de mer n’est pas sa position préférée. Pour son bien futur à elle, et pour la gente féminine

en général, considérant les futures conquêtes de Régis (quel tombeur ce Régis) en cas de séparation. Signe des temps, des enquêtes montrent que c’est au tour des hommes de se mettre progressivement à la simulation. Quelle horreur que cette scène : deux individus unis dans un acte froid, qui pour satisfaire la norme et les mille yeux invisibles se penchant au dessus du lit, donnent dans le superficiel, dans la forme et non dans le fond (ce qui est tout de même un comble). En vérité, notre époque est sexuellement (et par d’autres aspects, oh faut pas déconner non plus) formidablement libre et enthousiasmante. Il ne faudrait simplement pas que nous ayons dépassé une morale surannée, les normes anciennes pour les remplacer par de nouvelles, contraignantes et pesantes, faites d’impératifs de réussite et de quotas à remplir. Aimons de tout notre être, indépen-damment du reste et jusqu’au plaisir commun le plus vrai.

* A l’époque, on savait quand même se marrer : le catéchisme avait inventé un certain nombre d’avertissements afin de prévenir les tentations de décou-verte auto érotique des bambins (les pauvres petits).

Robin Gonalons

Caricature : Marc Burger