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Politiques sociales et familiales n° 117 - septembre 2014 45 Dossier « La résidence alternée » Coparentage et logiques configurationnelles dans les familles recomposées et de première union Éric D. Widmer Nicolas Favez Minh-Thuy Doan Professeur au département de sociologie de l’université de Genève. Professeur à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Genève. Docteure en psychologie de l’université de Genève. Mots-clés : Coparentage – Famille recomposée – Configuration familiale – Capital social – Fonctionnement socioaffectif de l’enfant. pour les parents. Se pose alors la question du niveau et des formes de la collaboration qui vont s’établir entre eux dans la gestion des tâches de socialisation de leurs enfants communs. De ce point de vue, il semble impossible de se limiter, sans autre examen, aux membres adultes résidant dans le même ménage que l’enfant pour comprendre comment la socialisation s’établit dans les familles recomposées, tant les dépendances issues de cette fonction transcendent la résidence commune. Les parents de fait n’habitent plus ensemble. De plus, le coparentage concerne d’autres relations fami- liales que la relation conjugale ; il ne désigne pas seulement la coopération entre les parents biolo- giques de l’enfant mais également celle qui s’établit entre tous les adultes impliqués au quotidien dans la socialisation et les soins qui lui sont donnés dans son contexte familial (McHale, 2007). Ce constat est aussi, dans une certaine mesure, valable pour les familles de première union, d’autres acteurs familiaux que le couple parental, notamment les grands-parents, prenant souvent part à la sociali- sation de l’enfant ou l’influençant indirectement. Peu d’études se sont penchées sur les contextes familiaux qui influencent le coparentage au-delà du ménage. La perspective configurationnelle sur les familles permet d’avancer dans cette direction. Une configuration familiale est un réseau personnel regroupant les individus qui jouent un rôle familial significatif pour une personne (Widmer, 2010). Ce rôle concerne des fonctions importantes, touchant à la production ou à la distribution de diverses ressources rares : financières, pratiques mais aussi émotionnelles, sexuelles et cognitives (Quintaneiro, 2004). Cette contribution s’interroge sur le coparentage dans les familles recomposées et de première union, en lien avec les configurations relationnelles que les individus insérés dans ces familles déve- loppent. Elle soutient que la bonne compréhension du coparentage est facilitée lorsque l’on va au-delà du ménage et de la corésidence pour définir le contexte familial significatif. Une enquête a été menée avec comme objectif la comparaison systé- matique des dynamiques relationnelles de familles recomposées et de familles de première union. Les résultats décrivent les configurations d’interdépen- dance complexes reliant la mère, son conjoint actuel, son ex-conjoint et leur enfant commun dans les situations de recomposition familiale. Ils montrent que les chaînes d’interdépendance entre les diffé- rents acteurs familiaux exercent un effet sur le copa- rentage dans les familles recomposées, mais égale- ment dans les familles de première union selon des modalités différentes. C ette contribution (1) s’interroge sur le coparen- tage, c’est-à-dire la manière dont les acteurs parentaux collaborent dans les tâches parentales, dans les familles recomposées et de première union, en lien avec les configurations relation- nelles formées par les membres familiaux. S’inscrivant dans la perspective configurationnelle sur les familles, développée en sociologie (Widmer, 2010 ; Widmer et Jallinoja, 2008), elle soutient que la bonne compréhension du coparentage est facilitée quand l’on va au-delà du ménage et de la corésidence pour définir le contexte familial signi- ficatif. Si le divorce met fin à la conjugalité, il ne signifie pas la fin de leur fonction de socialisation (1) Cet article est basé sur les données tirées de la recherche Step-Out : Social Capital and Family Processes as Predictors of Stepfamily Outcomes menée au département de sociologie de l’Université de Genève et financée par le Fond national suisse de la recherche scientifique (Projet n° 100017-122413). Elle est fondée sur un travail collectif et puise largement dans des résultats présentés de manière plus détaillée dans le travail de doctorat de Minh-Thuy Doan (2013) et dans un ouvrage à disposition en ligne (Widmer et al., 2012).

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Politiques sociales et familiales n° 117 - septembre 2014

45 Dossier « La résidence alternée »

Coparentage et logiques configurationnellesdans les familles recomposées

et de première unionÉric D. Widmer

Nicolas Favez

Minh-Thuy Doan

Professeur au département de sociologie de l’universitéde Genève.Professeur à la faculté de psychologie et des sciencesde l’éducation de l’université de Genève.Docteure en psychologie de l’université de Genève.

Mots-clés : Coparentage – Famille recomposée –Configuration familiale – Capital social – Fonctionnementsocioaffectif de l’enfant.

pour les parents. Se pose alors la question duniveau et des formes de la collaboration qui vonts’établir entre eux dans la gestion des tâches desocialisation de leurs enfants communs. De ce pointde vue, il semble impossible de se limiter, sansautre examen, aux membres adultes résidant dansle même ménage que l’enfant pour comprendrecomment la socialisation s’établit dans les famillesrecomposées, tant les dépendances issues de cettefonction transcendent la résidence commune. Lesparents de fait n’habitent plus ensemble. De plus,le coparentage concerne d’autres relations fami-liales que la relation conjugale ; il ne désigne passeulement la coopération entre les parents biolo-giques de l’enfant mais également celle qui s’établitentre tous les adultes impliqués au quotidien dansla socialisation et les soins qui lui sont donnésdans son contexte familial (McHale, 2007). Ceconstat est aussi, dans une certaine mesure, valablepour les familles de première union, d’autres acteursfamiliaux que le couple parental, notamment lesgrands-parents, prenant souvent part à la sociali-sation de l’enfant ou l’influençant indirectement.

Peu d’études se sont penchées sur les contextesfamiliaux qui influencent le coparentage au-delàdu ménage. La perspective configurationnelle surles familles permet d’avancer dans cette direction.Une configuration familiale est un réseau personnelregroupant les individus qui jouent un rôle familialsignificatif pour une personne (Widmer, 2010). Cerôle concerne des fonctions importantes, touchantà la production ou à la distribution de diversesressources rares : financières, pratiques mais aussiémotionnelles, sexuelles et cognitives (Quintaneiro,2004).

Cette contribution s’interroge sur le coparentagedans les familles recomposées et de premièreunion, en lien avec les configurations relationnellesque les individus insérés dans ces familles déve -loppent. Elle soutient que la bonne compréhensiondu coparentage est facilitée lorsque l’on va au-delàdu ménage et de la corésidence pour définir lecontexte familial significatif. Une enquête a étémenée avec comme objectif la comparaison systé-matique des dynamiques relationnelles de famillesrecomposées et de familles de première union. Lesrésultats décrivent les configurations d’interdépen-dance complexes reliant la mère, son conjoint actuel,son ex-conjoint et leur enfant commun dans lessituations de recomposition familiale. Ils montrentque les chaînes d’interdépendance entre les diffé-rents acteurs familiaux exercent un effet sur le copa-rentage dans les familles recomposées, mais égale-ment dans les familles de première union selon desmodalités différentes.

Cette contribution (1) s’interroge sur le coparen-tage, c’est-à-dire la manière dont les acteurs

parentaux collaborent dans les tâches parentales,dans les familles recomposées et de premièreunion, en lien avec les configurations relation -nelles formées par les membres familiaux.

S’inscrivant dans la perspective configurationnellesur les familles, développée en sociologie (Widmer,2010 ; Widmer et Jallinoja, 2008), elle soutient que la bonne compréhension du coparentage estfaci litée quand l’on va au-delà du ménage et de lacorésidence pour définir le contexte familial signi-ficatif. Si le divorce met fin à la conjugalité, il nesignifie pas la fin de leur fonction de socialisation

(1) Cet article est basé sur les données tirées de la recherche Step-Out : Social Capital and Family Processes as Predictorsof Stepfamily Outcomes menée au département de sociologie de l’Université de Genève et financée par le Fond nationalsuisse de la recherche scientifique (Projet n° 100017-122413). Elle est fondée sur un travail collectif et puise largementdans des résultats présentés de manière plus détaillée dans le travail de doctorat de Minh-Thuy Doan (2013) et dans unouvrage à disposition en ligne (Widmer et al., 2012).

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L’objectif de cet article est de dégager les relationsexistant entre les logiques relationnelles des confi-gurations familiales et quelques-unes des dimen-sions centrales du coparentage. L’hypothèse estque les diverses formes de coparentage s’inscri-vent dans des configurations d’interdépendancesentre divers individus, au-delà des limites duménage. Dans les familles recomposées, le copa-rentage entre la mère, comme parent-gardien, etson nouveau conjoint, ne se construit pas dans levide mais dépend d’un ensemble de relations, tantavec l’ex-partenaire (et père de l’enfant), qu’avecla parenté de la mère. Cet ensemble de relationsdonne des possibilités très inégales, selon lescontextes familiaux, au nouveau conjoint et àl’ancien conjoint (et père de l’enfant) d’exercerune fonction parentale, en collaboration avec leparent gardien. On peut également faire l’hypo-thèse que la manière dont s’organise la coparenta-lité est liée à la conjugalité et ceci tant dans lesfamilles recomposées que dans les familles de première union.

L’enquête s’est établie sur la base d’un échan -tillon de trois cents femmes, tiré à partir de lapopulation de l’agglomération genevoise dans lecadre de l’enquête « Step-Out » (2) menée à l’uni-versité de Genève entre 2008 et 2013. Les donnéesont été collectées à travers un questionnaire stan-dardisé administré en face-à-face. L’étude visaitla comparaison systématique des dynamiquesrelationnelles entre cent cinquante famillesrecomposées et cent cinquante familles de première union. Les critères d’inclusion pour lesfamilles recomposées étaient la présence d’unenfant âgé de 5 ans à 13 ans issu d’une précé-dente union et résidant au moins 40 % du tempsavec leurs mères. C’est sur cet « enfant cible »qu’ont porté toutes les questions concernant lecoparentage entre les adultes et le fonctionne-ment socio- affectif de l’enfant. L’échantillon a étésélectionné sur la base d’une liste des ménagesrésidant dans le canton de Genève (3). Les inter-views ont été menées en 2009-2010 par uneéquipe de deux professeurs, un sociologue et unpsychologue, trois assistants universitaires (unepsychologue, coauteure de cet article et deuxsociologues), et quatre étudiants de master en sociologie et psychologie de l’université de Genève.Les interviews en face-en-face ont suivi un questionnaire très détaillé portant à la fois surdes dimensions psycho logiques (coparentage,qualité des relations de couple, styles d’attache-ment) et sociologiques (configu rations familialeset trajectoires de vie) [voir note (2)].

Faute de pouvoir interroger plusieurs membres dechaque famille compte tenu du format de l’en-quête, le choix des mères s’est imposé parce quece sont les femmes qui, en Suisse, ont dans lagrande majorité des cas la garde des enfants suiteau divorce ; de plus, la garde partagée est encoreune option très minoritairement mise en place. Dece fait, les mères en situation de recompositionfamiliale peuvent davantage que les pères évoquerles différentes dimensions de la coparentalité et dela vie quotidienne de leurs enfants, conséquencedes orientations genrées poursuivies par la sociétésuisse en matière d’emploi et de politique fami-liale (Kellerhals et Widmer, 2012). Pour conserverla possibilité d’une comparaison entre familles depremière union et familles recomposées, le choixde privilégier les mères s’est imposé dans les deuxcas. Ces femmes, mariées ou non, vivaient en couple (leurs partenaires passaient au moins troisnuits par semaine à leur domicile). Le choix desituations de recomposition plutôt, par exemple,que de situations de monoparentalité, tient à lapossibilité qu’elles donnent de considérer à lafois deux formes de coparentalité, parfois concur-rentes : celle liant la mère à son ex-partenaire(et père de l’enfant), et celle liant la mère à sonnouveau conjoint, parfois amené à jouer un rôleparental. Pour les familles de première union, lequestionnaire a été administré à des femmes, vivanten couple, mariées ou non, mères d’au moinsun enfant âgé de 5 ans à 13 ans issu de l’unionactuelle et sans autre(s) enfant(s) issu(s) d’autresunions. Un appariement sur l’âge et le sexe de« l’enfant cible » et le niveau de formation de larépondante a été effectué pour permettre unecomparaison entre les deux sous-échantillons encontrôlant l’effet de ces variables. Ainsi, l’influencede ces facteurs critiques pour les dynamiquesfamiliales est contrôlée statistiquement, ce quipermet de mieux saisir la spécificité des dimen-sions relationnelles propres à chaque structurefamiliale.

Dans la première partie de l’article, on s’interrogesur le lien entre diverses formes de coparentageet le fonctionnement socioaffectif de l’enfant,qui fait référence à ses difficultés émotionnelles,comportementales, à son éventuelle hyperactivitéet inattention et à ses difficultés avec les pairs(Goodman, 1997). Dans un premier temps, la notionde « coparentage » est définie et mise en perspec-tive, puis sont évoquées les différentes dimensionsqu’elle recouvre. Les recherches effectuées surle coparentage dans les familles recomposéessont particulièrement intéressantes du point de vue

Politiques sociales et familiales n° 117 - septembre 2014

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(2) Ces données ont été collectées dans le cadre de la recherche citée en note (1). Des informations détaillées sur cetterecherche sont disponibles dans l’ouvrage : Widmer et al., 2012.(3) Des informations détaillées sur la procédure d’échantillonnage et les caractéristiques de l’échantillon sont disponibles dansl’ouvrage : Widmer et al., 2012.

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configurationnel car elles dissocient la parenta-lité et la conjugalité. Sur la base de la littérature,plusieurs résultats de recherche touchant desfamilles de première union sont également évo-quées, suggérant qu’elles aussi subissent deslogiques relationnelles débordant le cadre duménage. Finalement, les divers résultats de l’en-quête empirique sont présentés, concernant lelien entre coparentage et fonctionnement del’enfant dans les deux contextes familiaux. Laseconde partie de l’article porte sur l’influencedu capital social et des configurations familialessur le coparentage et donc, indirectement, sur ledéveloppement de l’enfant. L’importance de ladensité des relations dans une configurationfamiliale est d’abord soulignée, illustrée parquelques brèves études de cas tirés de l’enquête.Ensuite, des modèles d’analyse de cheminementsont présentés, qui ont l’intérêt de tester statisti-quement des séries d’effets ou d’associations,directs et indirects, entre plusieurs variables etd’indiquer la force des associations existant entrechaque couple de variables tout en tenantcompte des autres. Ces analyses révéleront desschémas d’association entre variables très dis-tincts selon qu’il s’agit des familles recomposéesou des familles de première union. La conclusionmontre l’intérêt de développer des analysesconfigurationnelles sur le coparentage.

Le coparentage et les configurationsfamilialesLe coparentage désigne l’ensemble des relationsque les adultes en charge d’un enfant établissentou maintiennent l’un avec l’autre en vue de lesocialiser et d’en prendre soin. En partant de la litté-rature existant sur la question, deux dimensionsprincipales du coparentage sont retenues (Favezet Frascarolo, 2013). Il s’agit d’abord de lasolidarité. Souvent dénommée « coopération »,mais également « cohésion », « harmonie » ou« positivité », cette dimension recouvre une« perspective commune » entre partenaires édu-catifs, des comportements de validation réci-proque, l’affection exprimée par les parents l’unenvers l’autre (telle que l’on peut observer lorsqueles parents interagissent l’un avec l’autre), ou lapromotion de l’intégrité ou de l’unité familiale(quand l’un des parents interagit avec l’enfant àpropos de l’autre parent, en l’absence de ce der-nier). La solidarité coparentale s’exerce d’aborddans un effort de préservation de l’intégritéfamiliale par des comportements du parent quifavorisent l’unité familiale, en l’absence de l’autrepartenaire. La solidarité s’exerce aussi dans lesmanifestations d’affection du répondant enversl’autre parent en présence de tous. L’antagonismeest une seconde dimension de la coparentalité,souvent dénommée « compétition » ou « travail de

sape entre les parents », et qui renvoie aux situa-tions où ils se contredisent l’un et l’autre en pré-sence de l’enfant, essaient de s’en faire un allié oud’attirer son attention de façon concurrente, ouencore dénigrent l’autre parent en son absence.Les modèles du coparentage considèrent que lesdynamiques coparentales positives (comme lachaleur et la coopération) et les dynamiquesnégatives (comme la compétition et les diffé-rences d’investissement) peuvent coexister(McConnell et Kerig, 2002). Cependant, la pré -dominance de dynamiques positives (solidarité,répartition équitable des tâches, engagementmutuel élevé) forme un contexte favorable audéveloppement de l’enfant, alors que l’antago-nisme (sous forme de conflits fréquents et répétésnotamment) est un prédicteur de difficultés pourle développement de l’enfant (Teubert et Pinquart,2010).

Les familles de première union ont constitué l’objet privilégié des recherches sur le coparentage(McHale & Lindahl, 2011). Ces recherches se sontlargement centrées sur le lien entre la dyadeconjugale et la dyade parentale dans leur influencesur le développement de l’enfant. Elles démontrentune continuité entre la « qualité » de la relationconjugale (satisfaction conjugale, haut niveau decommunication positive entre les conjoints, etc.)et la positivité et l’activité dans le coparentage.On peut cependant penser que cette corrélationentre relation de conjugalité et coparentalité nepermet pas de rendre compte du coparentagedans les formes familiales alterna tives à la famillenucléaire, et ce en raison de la multiplicité desrelations coparentales.

Coparentage et recomposition familialeLes familles recomposées concernent une grandediversité d’acteurs familiaux potentiellementimpliqués dans la socialisation de l’enfant. Eneffet, si on considère la situation standard de cetype de famille, dans laquelle l’un des parents estle gardien principal de l’enfant, il peut y avoirdeux relations coparentales : celle qui existe entrele parent gardien et son nouveau conjoint et cellequi lie les deux parents biologiques de l’enfant.Les formes de garde autorisées ou encouragéespar les nouvelles lois du divorce, comme la gardealternée, complexifient encore ce tableau : onpeut, en effet, monter à trois relations coparen -tales, à savoir celle entre les deux parents et cellesentre chaque parent et son nouveau conjoint respectif. La question devient alors de savoir sousquelles conditions des coparentalités actives peuvent se mettre en place dans ces différentesdyades d’adultes.

Les recherches sur le coparentage dans les famillesrecomposées se sont essentiellement centrées

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jusqu’ici sur la question de la place du parentnon-gardien dans la vie de l’enfant après la sépa-ration. Les parents non-gardiens, souvent leshommes, tendent à se désengager de leurs tâchesparentales (Bray et Berger, 1993). Plusieurs facteursmodulent cependant ce désengagement, dont lerapprochement géographique et le fait de ne pass’être remarié. Toutefois, les recherches s’accordentsur le fait que, lorsque les ex-partenaires parviennent à être actifs et en accord l’un avecl’autre dans leurs tâches parentales, la relationentre l’enfant et le parent non gardien perdureplus facilement. Quand les parents sont en conflit,le parent non gardien peine à conserver sa placedans les prises de décisions ; dans ce cas de figure,le parent gardien met un frein à la relation entrel’autre parent, généralement le père, et l’enfant, etl’investissement parental du parent non gardiendans la socialisation de l’enfant diminue. Le main-tien d’une bonne relation coparentale entre leparent gardien et le parent non gardien est doncfondamental pour le développement de l’enfant(Aquilino, 2006).

Lorsque la mère se remet en couple, une nouvellerelation coparentale peut émerger. La possibilitéqu’elle se développe dépend cependant des déci-sions et de l’orientation de plusieurs personnes :celles du parent gardien, de son nouveauconjoint, du parent non gardien et, éventuelle-ment, d’autres membres de la configuration fami-liale tels que les grands-parents et les oncles ettantes de l’enfant. Certains nouveaux conjointss’investissent peu dans les tâches de socialisationparentale et, par extension, coparentale ; ilsvisent plutôt à construire une relation amicaleavec l’enfant sans s’impliquer activement dansl’éducation et le cadrage de l’enfant. Ce type derelation avec leur beau-parent gardien permetaux enfants de conserver davantage d’interdépen-dance fonctionnelle avec leur parent non gardien.En effet, le parent biologique non gardien et leconjoint actuel du parent gardien ne peuventpas avoir tous deux un rôle parental de premierplan, et le développement de l’enfant est géné-ralement d’autant plus satisfaisant que le parentnon gardien et le nouveau conjoint du parentgardien occupent des rôles différenciés (Fine etKurdek, 1995 ; Hetherington, 1989 ; Hetheringtonet Stanley-Hagan, 2002). Le soutien du parent gardien influence par ailleurs la construction dulien entre l’enfant et son beau-parent ; en cas deconflit entre le parent gardien et son nouveauconjoint, la relation entre l’enfant et le beau-parent peut être mise à mal (Visher et al., 2003 ;Vogt-Yuan et Hamilton, 2006). Structurellement, lesdifférentes dyades coparentales (parent gardien etparent non gardien ; parent gardien et beau-parent gardien ; parent non gardien et beau-parentnon gardien ; beau-parent gardien et beau-parent

non gardien, etc.) sont nombreuses et s’établis-sent sur plusieurs résidences. Elles sont parfoisamenées à entrer en compétition, ou parfois, à sesoutenir.

Le coparentage en réseaudans les familles de première unionLa multiplicité des formes de coparentage n’estpas étrangère aux familles de première union également, si l’on s’en tient à la définition ducoparentage comme une relation de collabora-tion entre des adultes dans les soins et la socia li-sation à donner à un enfant. Le désengagementd’un des parents du coparentage peut amener àun sur-investissement d’un autre membre de lafamille. Grands-mères et tantes peuvent occuperune place importante dans l’éducation de l’enfant. Une étude portant sur les mères adoles -centes montre par exemple que le soutien de lapart des membres de la famille étendue (grands-parents notamment) influence positivement lacoparen talité entre la mère et son partenaire(Pittman et Coley, 2011). Plutôt que de consi -dérer la famille comme un groupe défini par desparents biologiques et leurs enfants cohabitants,la coparentalité gagne à être vue comme un desmaillons de chaînes d’interdépendances mou-vantes à travers le temps, reliant une pluralitéd’individus y compris dans les familles de première union, par les rôles socialisateurs quejouent les grands-parents et les oncles et tantes(Milardo, 2009). Ces interdépendances peuventêtre de l’ordre du soutien : par exemple, laconfiance en soi d’un parent dans ses tâches éducatives est augmentée suite aux validations desmembres de son réseau (Cochran et Niego, 2002).Or les ressources psychologiques et le bien-êtreparental se répercutent sur la stimulation desenfants (Belsky, 1984). Les couples dans lesquelsles deux partenaires ont des configurations d’amiset d’apparentés qui les aident mais n’interfèrentpas développent des pratiques parentales sensi-blement plus satisfaisantes (Widmer et al., 2006).Les effets des interdépendances peuvent égale-ment s’établir comme un renforcement ducontrôle normatif sur l’enfant : quand plusieursindividus portent le même message à un enfant(par exemple concernant un comportement àproscrire ou une attitude à développer), cette pression congruente sera plus efficace qu’uneintervention isolée (Bogenschneider et al., 1997).Cependant, la coparentalité peut aussi s’inscriredans des configurations familiales marquées pardes contradictions ou ambivalences, dans le casoù les attentes des parents et celles des autresmembres du réseau ne sont pas concordantes(Belsky, 1984), ou quand les membres de la confi-guration sont perçus comme des compétiteurs plutôt que comme des aides dans le travail parental(Robertson, 1991).

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Mesurer le coparentage et le fonctionnementsocioaffectif de l’enfantLe coparentage a été mesuré par l’adaptation française de l’échelle de coparentage de Frascaroloet al., 2009). Cet instrument rapporte la fréquencedes comportements de coordination des adultesdans leurs tâches parentales. L’intégrité familialemesure les comportements visant à promouvoirl’unité familiale. Dans un questionnaire destinéaux familles de première union, elle comporteune situation où les trois protagonistes sont présents : « Dites-vous intentionnellement ou faites-vous quelque chose pour inviter, encouragerou promouvoir un échange affectueux ou agréableentre votre enfant et votre conjoint ; par exemple,“Va montrer à papa ce que tu as dessiné” ou “Jepense que papa aimerait bien aussi jouer à cejeu” ? », et trois situations où la mère est seuleavec son enfant illustrant des cas de figure intro-duisant de manière positive le conjoint dans laconversation. La dimension du conflit concerneles désaccords interparentaux exprimés devantl’enfant et n’est constituée que de la partiemanifeste où tous les trois sont présents. Elleregroupe trois questions portant sur des situa-tions de dispute et de désaccord entre lesparents devant l’enfant. Ces questions sont iden -tiques pour les trois versions du questionnaire.Le dénigrement se réfère aux comportementsd’un parent visant à discréditer l’autre parent, en l’absence de celui-ci. Trois coparen tages différentssont évalués : le coparentage avec le père dansles familles de première union, celui avec leconjoint actuel et celui avec le père biologique

dans les familles recomposées. Chacun de cescoparentages est mesuré par les trois dimensionsprésentées précédemment : unité, conflit et dénigrement.

Le fonctionnement socioaffectif de l’enfant, élé-ment que l’on entend corréler avec les mesuresdu coparentage, est mesuré par le QuestionnairePoints forts – Points faibles, traduction françaisedu Strengths and Difficulties Questionnaire (SDQ)(Goodman, 1997). Ce questionnaire de type auto-rapporté demande au parent d’évaluer lecomportement de l’enfant, âgé de 3 ans à 16 ans.Il est constitué de vingt questions portant sur le fonc-tionnement socioaffectif de l’enfant, de cinq ques-tions sur la sociabilité dans les six derniersmois, et de six questions sur l’impact de ces difficultés. Le fonctionnement socioaffectif del’enfant est divisé en quatre dimensions. La première porte sur les difficultés émotionnelles,la deuxième sur les difficultés comportemen-tales, la troisième sur l’hyperactivité et l’inatten-tion et la dernière sur les difficultés avec les pairs.Un score total somme ces difficultés. Plus lescore est élevé et plus le fonctionnement socio-affectif de l’enfant est problématique.

Coparentage et fonctionnement socioaffectifde l’enfant dans les familles de premières unionset recomposéesLe tableau 1, qui rapporte un ensemble de corréla-tions, montre que dans la structure familialerecomposée, le coparentage entre la mère et lepère biologiques est fortement associé au fonc-

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Tableau 1

Corrélations des indices du fonctionnement socioaffectif de l’enfantet du coparentage dans les familles recomposées (N = 150)

Source : Doan M.-T., 2013.† p < 10, *p < 05, **p < 01.Lecture : le coparentage avec le père biologique est corrélé fortement et positivement au fonctionnement socioaffectif de l’enfant, alors que lecoparentage avec le conjoint actuel y est faiblement corrélé. Plus l’unité dans le coparentage avec le père biologique est associé à moins dedifficultés dans le fonctionnement socioaffectif de l’enfant, moins il y a d’hyperactivité, moins de difficultés en général, qui ont un moindreimpact sur le quotidien familial. Davantage de conflits dans le coparentage avec le père biologique est associé, lui aussi, à une moindre prévalence de difficultés chez l’enfant. Quand le coparentage conflictuel avec le père biologique est fort, il y a moins de difficultés émotion-nelles, moins d’hyperactivité et moins de difficultés au total, ayant un moindre impact. En d’autres termes, plus le père biologique est actif dansle coparentage et moins il y a de difficultés observées chez l’enfant.

Coparentageunitaire

avec le pèrebiologique

Coparentagedénigrant

avec le pèrebiologique

Coparentageconflictuel avec

le pèrebiologique

Coparentageunitaire avecle conjoint

actuel

Coparentagedénigrant avec

le conjointactuel

Coparentageconflictuel avec

le conjointactuel

Fonctionnementsocioaffectif de l'enfant

Émotionnel -.04 0 -.16† .03 .07 .13

Comportemental -.28** .11 -.09 -.02 .09 .12

Hyperactivité -.19* .07 -.15† -.13 .14 .12

Difficultés avec pairs 0 -.10 -.09 -.08 .06 .01

Sociabilité .06 .03 .03 .01 -.10 -.11

Impact des difficultés -.23 .07 -.20* -.04 .11 .22**

Total difficultés -.20* .03 -.22** -.07 .20* .20*

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tionnement socioaffectif de l’enfant,alors que le coparentage entre la mèreet son conjoint actuel ne l’est que fai-blement. Plus d’unité dans le coparen-tage avec le père biologique est associéà moins de difficultés dans le fonction-nement socioaffectif, moins d’hyperac-tivité, moins de difficultés en général dela part de l’enfant ; tout cela a un moin-dre impact sur le quotidien familial.Plus surprenant, le conflit dans le copa-rentage avec le père biologique est associé, lui aussi, à une moindre prévalence de difficultés pour l’enfant.Lorsque le coparentage conflictuel avecle père biolo gique est fort, les difficultésémotion nelles, l’hyperactivité et les dif-ficultés en général sont plus faibles, etleur impact moindre. Le dénigrement n’apas de lien avec le fonctionnementsocio affectif de l’enfant. Des résultatscomplémentaires montrent qu’unité etconflit avec le père biologique sont trèsfortement et positivement corrélés l’un avec l’autredans les familles recomposées [r(148)=.70, p<.01].Cette corré lation explique l’association positive entreun conflit élevé dans le coparentage et les moindres difficultés de l’enfant, par le fait qu’un haut niveau deconflit indique un niveau plus marqué d’investisse-ment du père dans la coparentalité dans les famillesrecomposées. La corrélation entre ces deux dimen-sions est statistiquement non significative dans lesfamilles de première union. Le tableau 1 révèleaussi que le coparentage avec le conjoint actueldans les familles recomposées est sensiblementmoins associé au fonctionnement socio affectif del’enfant que le coparentage avec le père biolo-gique. Seules les dimensions négatives du copa-rentage avec le nouveau conjoint pré sentent desrésultats significatifs. Plus il y a de dénigrementsdu nouveau conjoint, plus l’enfant présente del’hyperactivité et un total élevé de difficultés. Plusle coparentage est conflictuel avec le nouveauconjoint, plus l’enfant présente des difficultésémotionnelles, un nombre élevé de difficultés, avecun impact fort de ces dernières sur le quotidienfamilial. Mais de manière générale, le père bio -logique dans les familles recomposées a une plusgrande influence sur le fonctionnement socio -affectif de l’enfant que le conjoint actuel.

Dans les familles de première union, comme lemontre le tableau 2, le conflit coparental et ledénigrement péjorent le fonctionnement socio-affectif de l’enfant. Contre toute attente, le copa-rentage unitaire est associé positivement aux diffi-cultés de l’enfant avec les pairs et au total des difficultés. En d’autres termes, dans les familles depremière union, plus le coparentage est unitaire,plus l’enfant présente de difficultés avec les pairs

et un total de difficultés élevé. Il est alors possibleque la causalité soit dans ce cas inversée, à savoirque les parents dans les familles de premièreunion développent un coparentage plus unitairequand ils ont affaire à un enfant présentant desdifficultés.

En résumé, quelle que soit la structure familiale, lefonctionnement socioaffectif de l’enfant est forte-ment associé au coparentage entre ses parentsbiologiques. Toutefois, le lien entre coparentageet fonctionnement socioaffectif de l’enfant suitune logique très différente selon cette structure.Dans les familles de première union, le dénigrementet le conflit coparental priment comme facteursexplicatifs des difficultés de l’enfant. Dans lesfamilles recomposées, le coparentage unitaire avecle père biologique (et ancien conjoint) exerce uneffet fort et positif sur le fonctionnement socio -affectif de l’enfant : plus le coparentage est uni-taire, moins les difficultés de l’enfant sont impor-tantes. Dans leur cas, l’unité est indissociabledu conflit coparental : les ex-conjoints mettant enplace un coparentage unitaire dans les contextesde recomposition voient leur conflictualité s’élever.À l’opposé, le coparentage avec le conjoint actuela peu d’impact sur l’enfant dans les contextesrecomposés, alors même que la mère effectue plus,en quantité, de coparentage avec lui qu’avec lepère biologique de son enfant.

Capital social et configuration familiale

L’aide dont les individus bénéficient au sein deleurs réseaux personnels, et qu’ils mettent à profitdans la coparentalité, peut être conceptualisée

Politiques sociales et familiales n° 117 - septembre 2014

50 Dossier « La résidence alternée »

Source : Doan M.-T., 2013.† p <.10, *p < .05, **p < .01Lecture : le dénigrement et le conflit dans le coparentage sont associés négative-ment au fonctionnement socioaffectif de l’enfant. Plus ces dimensions du copa-rentage sont affirmées, plus l’enfant présente des difficultés. Contre toute attente,le coparentage unitaire dans les familles de première union est associé positive-ment aux difficultés de l’enfant avec les pairs et au total des difficultés.

Tableau 2Corrélations entre le fonctionnement socioaffectif de l’enfant

et le coparentage pour la structure familiale de première union(N = 150)

Coparentageunitaire

avec le pèrebiologique

Coparentagedénigrant

avec le pèrebiologique

Coparentageconflictuel

avec le pèrebiologique

Fonctionnementsocioaffectif de l'enfant

Émotionnel .09 .23** .10

Comportemental -.02 .15† .18*

Hyperactivité .04 .08 .13†

Difficultés avec pairs .21** .20* .13

Sociabilité .15† .25** .22**

Impact des difficultés .36** .13† -.07

Total difficultés -.03 .15† .24**

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en termes de capital social, c’est-à-dire commeun ensemble de ressources provenant de la possession d’un réseau de connais sances et dereconnaissances (Bourdieu, 1985). L’importancedes liens familiaux dans la consti tution du capitalsocial à disposition des individus a été depuisquelques années mise en avant (pour une synthèse,voir Furstenberg et Kaplan, 2004). Les configu -rations familiales produisent du capital socialpuisqu’elles fournissent aux individus, notammentaux parents, du soutien émotionnel, normatif etinformationnel. De ce point de vue, l’effet béné-fique de la densité des relations dans les confi -gurations des parents pour la socialisation desenfants a été souligné (Coleman, 1988). Un réseauest dense quand la plus grande partie de sesmembres sont interconnectés les uns aux autres.Les attentes, les droits et les obligations, ainsique la confiance existant entre les individus augmentent grâce au renforcement du contrôlesocial informel s’exerçant sur chacun par l’effetdes interconnaissances. À titre illustratif, deuxconfigurations familiales ont été représentées,toutes deux issues d’une recomposition familiale.Dans le premier cas (figure 1), la recompositionfamiliale donne une grande importance à lafamille d’origine de la répondante : ses parents,ses frères et ses sœurs et leurs conjoints et enfants.La densité des relations de soutien est très forte,plus de la moitié des rela-tions possibles entre les dix-huit membres de la confi gu-ration familiale étant actua-lisées (densité de 39 %). Laparentalité dans cette premièresituation est suscep tibled’être portée par un collec-tif, tant du point de vue del’imposition des normessociales que dans le travailde soutien émotionnel ouéducatif. En effet, la répon-dante doit compter, dans sonrapport à l’enfant, avec l’in-fluence d’un certain nombrede personnes qui communi-quent avec elle, avec l’enfant,mais aussi entre elles. Dansces circonstances, le soutienprend une dimension col-lective, les membres de lafamille pouvant coordonnerleurs efforts dans l’aidequ’ils amènent aux parentsou à l’enfant. La coparen -talité avec l’ex-conjoint estdonc sou tenue par un véri -table réseau de sécurité carles relations entre les deuxex-partenaires s’inscrivent dans

les rapports avec des tierces personnes. Ce réseauest aussi susceptible d’exercer un contrôle impor-tant sur les deux ex-partenaires dans leurs tâchesde socialisation, par l’intermédiaire des liensactifs existant entre chacun d’entre eux et leursex-belles-mères respec tives (et grand-mères del’enfant). L’ex-conjoint est sous l’influence d’unnombre important de personnes, issues tant desa famille d’origine que de son ex-belle-famille,et qui sont le plus souvent connectées entreelles. Il n’en va pas de même dans le second cas(figure 2, p. 51) où la configu ration familiale estbeaucoup moins dense. L’ex-conjoint, dans ce cas,ne s’inscrit que marginalement dans la famille dela répondante.

Mesurer le capital social d’origine familialeUne originalité de l’enquête est de partir de ladéfinition de leur famille que donnent eux-mêmesles individus interviewés, plutôt que d’une listepréétablie de personnes ou de relations sur descritères institutionnels (le ménage, le mariage, lecouple, la parentalité, etc.). Cette centration surl’appréhension « subjective » d’un individu deson contexte familial est l’un des fondements dela perspective configurationnelle, qui insiste surle fait que ce qui définit la famille d’un individu,ce sont les chaînes d’interdépendances émotion-nelles, matérielles ou cognitives qui le lient à des

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Source : Widmer E. D., Favez N., Aeby G., De Carlo I., Doan M.-T., 2012, Capital social et coparentagedans les familles recomposées et de première union, Sociograph « Sociological Research Studies »,n° 13. Disponible à : http://www.unige.ch/ses/socio/rechetpub/rsoc/thematiques/famille/famrecomp.htmlChamp : cent cinquante femmes vivant en couple, quel que soit leur état civil (mariée ou nonmariée), dont le partenaire passe au moins trois nuits par semaine à leur domicile avec au moinsun enfant biologique ou adopté âgé de 5 ans à 13 ans, issu d’une union précédente, habitant aumoins 40 % du temps dans le ménage (enfant cible).Lecture : les membres de cette configuration familiale sont densément connectés les uns auxautres par des liens de soutien émotionnel. Par exemple, le groupe de soutien de l’« Ex-conjoint » (père biologique) composé de la répondante, de la sœur et du père de la répondante,de sa fille et de sa mère et de son père, présente une forte densité de liens : l’ex-conjoint béné-ficie ainsi d’un soutien collectif par la forte interconnexion entre des personnes le soutenant.

Figure 1

Exemple de configuration familialeavec une densité forte de liens de soutien émotionnel

Mère

Mère de l’ex-conjoint

Père

Amie

Amie

Sœur

Fille-cible

Fille de la sœur

Fille de la sœur

Ex-conjoint

Frère duconjoint

Mère duconjoint

Grand-mèrepaternelle duconjoint

Père duconjoint

Père del’ex-conjoint

Conjoint de la sœur

Répondante

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individus particulièrement significatifs pour lui(Widmer, 2010). Le « Family Network Method »(FNM), un instrument développé dans les années1990 (Widmer, 1999 ; Widmer et Lafarga, 2000),permet de définir les frontières des configurationsfamiliales et de mesurer le capital social d’originefamiliale. Les individus interviewés commencentpar définir les membres significatifs de leur famillelibrement, sans autre énoncé à prendre en compteque le fait qu’il doit s’agir d’êtres vivants (les animaux ne sont pas exclus), qu’ils connaissentpersonnellement, qu’ils considèrent commemembres de leur famille, et qui ont joué un rôleimportant dans leur vie durant la dernière année.Les répondants sont alors instruits de rapportertous les liens de soutiens émotionnels existantdans la confi guration familiale qu’ils ont préalable-ment définie de la sorte. Ils ne rapportent donc passeulement les liens qu’ils développent avec lesmembres de leur famille mais également ceuxqui lient ces derniers, en réponse à la questionsuivante : « Qui vous donnerait du soutien émo-tionnel lors de problèmes légers (par exemple,quand vous êtes triste, quand vous avez eu unejournée difficile, qui peut vous aider, vous consoler,etc.) ? ». Les individus interviewés passent, dans

un premier temps, en revue la listedes personnes qu’ils ont préala-blement désignées comme mem-bres significatifs de leur familleet désignent à l’interviewer cellesqui, selon eux, pourraient leurdonner du soutien en cas debesoin. La personne interviewéerépond ensuite à la question« Qui, dans la liste établie, aide-rait cette personne en cas debesoin ? » pour chaque personnede la liste des membres signifi -catifs de la famille. La sélectiond’individus aidants que la répon-dante établit pour chaque per-sonne est très variable, incluantparfois tous les membres de laconfiguration familiale, y comprislui-même, parfois quelques-uns, parfois aucun. Quand la tâche estaccomplie, l’enquêteur a donc desinformations précises sur tous lesliens de soutien potentiel repéréspar la répondante, entre tous lesmembres de sa configurationfamiliale [voir note (2), p. 46].

Le capital social est mesuré àl’aide d’indices issus de l’analysedes réseaux sociaux (Wassermanet Faust, 1994) décrivant les struc-tures générées par les réponsesdonnées à cette question. Dans

cette contribution, on considère la densité, définiepar le ratio entre le total de liens de soutien repéréspar le répondant et le nombre de liens de soutienspossibles, compte tenu de la taille de la configu -ration : 1 (ou 100 %) correspond à une densitémaximale où tous les liens possibles entre lesmembres de la famille sont activés et 0 à unesituation sans aucun lien de soutien repéré. On secentre sur la densité des liens de soutien danslequel le père de l’enfant est inséré dans la confi-guration familiale. Dans certains cas comme dansla figure 2, le père de l’enfant est inscrit dans unensemble de liens peu denses : il n’a pas conservéou développé beaucoup de liens dans la famillede la mère et ceux qui existent s’établissent avecdes personnes peu connectées entre elles. Le pèrede l’enfant est donc peu intégré dans la confi -gu ration familiale de son ex-conjointe. Dansd’autres cas, illustrés par la figure 1, le père estintégré dans un ensemble de liens très denses :non seulement il a maintenu des relations avecplusieurs personnes dans la configuration familialede la répondante, mais ces relations s’établissentaussi avec des personnes connectées entre elles.Le père est donc bien intégré dans la configurationde son ex-partenaire.

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Source : Widmer E. D., Favez N., Aeby G., De Carlo I., Doan M.-T., 2012, Capital socialet coparentage dans les familles recomposées et de première union, Sociograph« Sociological Research Studies », n° 13. Disponible à :http://www.unige.ch/ses/socio/rechetpub/rsoc/thematiques/famille/famrecomp.htmlChamp : cent cinquante femmes vivant en couple, quel que soit leur état civil (mariésou non mariés), dont le partenaire passe au moins trois nuits par semaine à leur domi-cile avec au moins un enfant biologique ou adopté âgé de 5 ans à 13 ans, issu d’uneunion précédente, habitant au moins 40 % du temps dans le ménage (enfant cible).Lecture : les membres de cette configuration familiale sont peu densément connectésles uns aux autres par des liens de soutien émotionnel. L’ex-conjoint (le père bio -logique) s’inscrit dans un ensemble de liens peu dense, et a peu de possibilités d’activerdes liens de soutien au sein de cette configuration familiale.

Figure 2

Configuration familiale avec une densité faible de liensde soutien émotionnel

Père

Fillerépondante

Fille du frère

Mère duconjoint

FrèreMère

FilleFils

Ex-conjoint

conjoint

conjointedu frère

Sœur

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Familles de première union : le coparentageentre les parents gardiens est fortement associé àla satisfaction conjugaleLes interrelations existant le capital social issu dela configuration familiale, de la satisfaction conju-gale (4), des relations coparentales et du fonction-nement socioaffectif de l’enfant sont évaluéespar l’analyse de cheminement. Cet outil prend encompte les relations linéaires existant entre unensemble de variables en décomposant la causa-lité qui les lient et en testant l’adéquation du modèleà l’aide des observations. Ces analyses permettentd’évaluer l’adéquation globale des données aumodèle théorique proposé, par l’intermédiaire dedivers indices (5).

Dans les familles de première union, le coparen-tage entre les parents gardiens est fortement associéà la satisfaction conjugale (figure 3). Plus celle-ciest élevée, plus le coparentage conflictuel est faible.La configuration familiale et le capital social ontune influence indirecte sur cette association. Eneffet, plus le père est densément intégré danscette configuration, plus la satisfaction conjugaleest élevée, se répercutant positivement ainsi sur le

coparentage. Ensuite, le coparentage conflictuel estfortement associé au fonctionnement socio affectifde l’enfant : plus le coparentage conflictuel est élevéet plus l’enfant a des diffi cultés. La configurationfamiliale est donc associée à la coparentalité, parl’intermédiaire de la satisfaction conjugale et, aufinal, au fonctionnement de l’enfant. Autrementdit, les femmes dont le conjoint (et père de leurenfant) n’est pas intégré par de multiples liensdans leur configuration familiale sont moins satis-faites de leur relation conjugale et éprouventdavantage de difficultés à mettre en œuvre unecollaboration coparentale propice au développe-ment de l’enfant.

Familles recomposées : l’importancede l’intégration du père biologique dansla configuration familialeDans les familles recomposées, la situation esttrès différente (figure 4). L’intégration du pèrebio logique dans la configuration familiale estassociée directement au coparentage. Plus le pèreest entouré par une forte densité de liens, plusles ex-conjoints présentent de comportementsde coparentage conflictuel et unitaire, qui sonteux-mêmes associés positivement au développe-ment de l’enfant, le coparentage conflictuel étantcorrélé positivement au coparentage unitairedans les familles recomposées. En d’autres termes,plus les ex-conjoints maintiennent un coparentagecoopératif dans ces familles, plus la probabilitéqu’ils présentent un coparentage conflictuel est

Politiques sociales et familiales n° 117 - septembre 2014

53 Dossier « La résidence alternée »

(4) Le Marital Adjustment Test (MAT) (Locke et Wallace, 1959), appelé en français « le test de satisfaction conjugale oud’adaptabilité conjugale », est un questionnaire largement utilisé pour mesurer le soutien émotionnel entre conjoints. Il aprouvé, à travers le temps, sa fiabilité et sa validité pour distinguer les unions conjugales en difficulté de celles qui allaientbien (Gottman et al., 1977) dans différents contextes [divorce, thérapie familiale, événements de vie stressants comme lanaissance d’un enfant anormal (Freeston et Plechaty, 1997)].(5) Une description complète et détaillée des résultats est disponible dans la thèse de doctorat de M.-T. Doan (2013).

Figure 3

Modèle du coparentage dans la structurefamiliale première union [coefficients de

régression standardisés (N = 150)]

Totaldes difficultéschez l’enfant

Coparentageconflituel

Densitéde soutien

reçu par le père

Satisfactionconjugale

E1 E2

E3

Source : Doan M.-T., 2013, Le capital social et les configurationsfamiliales comme prédicteurs du coparentage dans les famillesrecomposées, thèse de doctorat en psychologie, Genève, universitéde Genève.† p < 0.1 ; * p < 0.05 ; ** p < 0.01Lecture : le coparentage est fortement associé à la satisfactionconjugale et, dans une moindre mesure, au capital social lié aupère dans les familles de première union. Le fonctionnementsocioaffectif est fortement corrélé au coparentage conflictuel.Moins il y a de difficultés chez l’enfant, plus le conflit coparentalest élevé.

Figure 4

Modèle du coparentage avec le père biologiquedans la structure familiale recomposée[coefficients de régression standardisés

(N = 150)]

Totaldes difficultéschez l’enfant

Coparentageconflituel

avec le père biologique

Densitéde soutienreçu par le père

E1 E2

Source : Doan M.-T., 2013.† p < 0.1 ; * p < 0.05 ; ** p < 0.01Lecture : le capital social lié au père biologique est directementassocié au coparentage conflictuel. Plus le père est inséré dansun groupe de soutien à forte densité, plus il adopte un coparen-tage de type conflictuel, ce qui est associé positivement aufonctionnement socioaffectif de l’enfant. L’enfant bénéficiedonc de manière indirecte du capital social lié à son père biologique, par le fait que son père est plus engagé dans lecoparentage.

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forte. Le maintien de la coopération parentaledans les familles recomposées a donc un coûtinexistant dans les familles de première union,dans lesquelles le coparentage coopératif et le copa-rentage conflictuel sont antinomiques. Dans le casdes familles recomposées, l’enfant bénéficie donc,de manière indirecte, de l’intégration de son pèredans la configuration familiale de sa mère, dufait que celle-ci s’engage plus activement dans lecoparentage avec son ex-partenaire dans ses dimen-sions tant négative que positive.

Le coparentage avec le conjoint actuel dans lesfamilles recomposées (figure 5) dépend de la posi-tion de l’enfant dans la configuration familiale.Contrairement au coparentage entre la mère et lepère de l’enfant, qui est corrélé positivement aufonctionnement socioaffectif de l’enfant, la corré -lation avec le coparentage conflictuel est dans cecas négative : plus la mère et le conjoint actueldéveloppent un coparentage conflictuel, plusl’enfant présente des difficultés. L’intégration de l’enfant, et non du nouveau conjoint, dans la confi-guration familiale de la mère, est alors l’élémentclé. Plus la densité de soutien que reçoit l’enfantest élevée, plus le coparentage conflictuel entre lamère et le conjoint actuel est fort. Il faut cepen-dant noter, à nouveau, que le coparentage entre lamère et son nouveau conjoint a beaucoup moinsd’effets sur le fonctionnement socioaffectif del’enfant que le coparentage entre la mère et lepère biologiques de l’enfant.

En résumé, les modèles d’analyse de chemine-ment font ressortir des schémas d’associations distincts pour les familles de première union et lesfamilles recomposées. Les dimensions configura-tionnelles ont cependant une importance dans lesdeux cas. Dans le modèle du coparentage avec lepère biologique dans les familles de premièreunion, l’effet du capital social passe principale-ment par la satisfaction conjugale. Un entouragede soutien reçu par le père organisé de manièredense favorise la satisfaction dans le couple qui, àson tour, limite le conflit dans le coparentage et aun effet positif sur le fonctionnement socioaffectifde l’enfant. Dans les familles recomposées, l’inté-gration du père biologique a un effet positif surson niveau d’engagement, tant unitaire que conflic-tuel, dans le coparentage, qui a des répercussionsbénéfiques sur le fonctionnement socioaffectif del’enfant. Plus le père est intégré dans des liensdenses dans la configuration de la mère (parentgardien), plus il développera à la fois un coparen-tage actif (conflictuel et unitaire) avec elle.

ÚÚÚ

Conclusion

Le fonctionnement familial ne se limite pas auxfrontières du ménage. Des interdépendancesfamiliales relient les individus cohabitants et noncohabitants. Les familles recomposées proposentune illustration exemplaire en la matière. Si lepère n’est pas intégré par de multiples liens dansla configuration familiale de la mère, la proba -bilité qu’un coparentage actif se développe aveclui est faible. Des interdépendances ne doiventdonc pas être préservées seulement entre lamère et son ex-conjoint, mais aussi avec d’autresmembres de la famille, comme par exemple lesparents de la mère (grands-parents de l’enfant). Ladensité des liens constitue un réseau de soutienet de contrôle social pouvant soutenir la dyadecoparentale quand bien même celle-ci ne s’inscritplus dans le cadre institutionnel du ménage etdu mariage ou d’une cohabitation socialementreconnue. Le maintien de l’interdépendancecoparentale dans la situation de recompositionn’est cependant pas sans coût puisque, commediverses analyses complémentaires l’ont montré,elle se fait au détriment de la relation entre lamère et le conjoint actuel. De fait, l’absence d’uncoparentage actif entre les ex-partenaires signifieque leurs inter dépendances se sont affaiblies.Or cet affaiblissement est associé à une plusgrande satisfaction dans le nouveau couple (pourdes résultats concordants, voir Hetherington etClingempeel, 1992). Le coparentage peu actif avecle père biologique peut donc s’expliquer en partie

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54 Dossier « La résidence alternée »

Figure 5

Modèle du coparentage avec le conjoint actueldans la structure familiale recomposée

[coefficients de régression standardiés (N = 150)]

Totaldes difficultéschez l’enfant

Coparentageconflituel

avec leconjoint actuel

Densité de soutien reçupar l’enfant

Satisfactionconjugale

E1 E2

E3

24** 18*

20*

– 36**

Source : Doan M.-T., 2013.† p < 0.1 ; * p < 0.05 ; ** p < 0.01Lecture : le coparentage avec le conjoint actuel est associédirectement et indirectement au capital social lié à l’enfant.Plus la densité de soutien que reçoit l’enfant est élevée, plus le coparentage avec le conjoint actuel est conflictuel. Plus la densité de soutien reçu par l’enfant est élevée, plus le coupleactuel est satisfait et moins le nouveau partenaire adopte uncoparentage conflictuel.

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par le désir du parent gardien de limiter la pré-sence et les manifestations de l’ancien conjointdans la dynamique familiale qu’il a reconstruite.L’intégration du père biologique répond à cettelogique plus ou moins affirmée par les femmesdans leur nouveau couple, forte dans certains cas,plus faible dans d’autres. Ainsi, la séparation oule divorce ne sont synonymes ni d’une disparitiongénéralisée d’un coparentage actif ni de sa pro-longation universelle, mais d’un affaiblissementcertain, mais d’ampleur variable selon les familles.

Si les limites du ménage sont clairement dépasséesdans les chaînes d’interdépendance exerçant uneffet sur le fonctionnement socioaffectif de l’enfant dans les familles recomposées, elles lesont également dans les familles de première union.Dans leurs cas, la présence d’une densité forte derelations autour du père de l’enfant diminue lapro babilité du coparentage conflictuel entre lesconjoints et augmente la probabilité du coparen-tage unitaire. Ainsi, le soutien du couple par lesparents et les frères et sœurs des conjoints exerce,indirectement, un effet important sur la capacitéde celui-ci à exercer ses fonctions de soutien etde socialisation. La privatisation du couple et la

montée de l’individualisme conjugal [Singly (de),2011], avec sa mobilisation des normes d’auto -nomie individuelle, n’a donc pas fait disparaître lesinterdépendances qui caractérisent l’environne-ment familial de première union du point de vueémotionnel et relationnel, sans parler des dimen-sions économiques. En rester aux membres duménage, et en particulier à la dynamique propreau couple parental, pour comprendre les pro -blèmes de l’enfant dans le cadre de la famille dite« nucléaire », c’est simplifier à outrance les confi-gurations d’interdépendance liant sociogénèse etpsychogénèse dans les sociétés fondées sur lesindividus (Elias, 1991).

Les analyses présentées dans cet article sontfondées exclusivement sur les interviews desmères ayant le statut de parent gardien. Il faudraitégalement pouvoir compter sur des informationsdonnées par les pères non gardiens et les enfants.Bien évidemment, la collecte d’une telle multi -plicité de données est coûteuse et ne deviendraitpossible que si un intérêt institutionnel marqué sedéveloppait pour les ressources et contraintes pro-pres aux interdépendances familiales au-delà ducouple parental, de la famille nucléaire et du ménage.

Politiques sociales et familiales n° 117 - septembre 2014

55 Dossier « La résidence alternée »

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