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Joël Cornette, Le roi de guerre, Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Payot, Paris, 1993. 1) Présentation de l’auteur Docteur en histoire en 1982 à l'issue d'une thèse sous la direction d'Emmanuel Le Roy Ladurie, Joël Cornette a été successivement professeur au lycée de Gonesse (1976-1985), assistant et maître de conférences à l'Université Paris I (1985-1995). Habilité à diriger des recherches en 1995 il est, depuis 1996, professeur à l'université de Paris-VIII Vincennes- Saint-Denis. Il est aussi membre du comité de rédaction de la revue L'Histoire dans laquelle il écrit de nombreux articles. Il est spécialiste en Histoire moderne, et son champ d’étude peut couvrir aussi bien la Guerre de Cent ans que le siècle des Lumières. 2) Objectifs et lectorat Paru en 1993, cet ouvrage s'inscrit dans la riche bibliographie de Joël Cornette, que d’aucun diraient d’ailleurs prolixe. Le Roi de guerre se place dans le panel d'études consacrées au "Grand siècle". Les travaux parus forment une vaste recherche contribuant ainsi à restituer un portrait complet de cette période. Mais l'auteur précise bien son intention de trouver, par son approche, une nouvelle voie de représentation d'un sujet maintes fois abordé: "Ce livre ne traite pas de la guerre, ni du roi, ou du moins pas seulement. Il ne traite pas non plus des institutions de la monarchie. Il est consacré à la souveraineté dont la guerre, la violence et le roi furent des instruments nécessaires, voire essentiels." Notons que la bibliographie permet de constater l'étendue des travaux

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Joël Cornette, Le roi de guerre, Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Payot, Paris, 1993.

1) Présentation de l’auteur

Docteur en histoire en 1982 à l'issue d'une thèse sous la direction d'Emmanuel Le Roy Ladurie, Joël Cornette a été successivement professeur au lycée de Gonesse (1976-1985), assistant et maître de conférences à l'Université Paris I (1985-1995). Habilité à diriger des recherches en 1995 il est, depuis 1996, professeur à l'université de Paris-VIII Vincennes-Saint-Denis. Il est aussi membre du comité de rédaction de la revue L'Histoire dans laquelle il écrit de nombreux articles. Il est spécialiste en Histoire moderne, et son champ d’étude peut couvrir aussi bien la Guerre de Cent ans que le siècle des Lumières.

2) Objectifs et lectorat

Paru en 1993, cet ouvrage s'inscrit dans la riche bibliographie de Joël Cornette, que d’aucun diraient d’ailleurs prolixe. Le Roi de guerre se place dans le panel d'études consacrées au "Grand siècle". Les travaux parus forment une vaste recherche contribuant ainsi à restituer un portrait complet de cette période. Mais l'auteur précise bien son intention de trouver, par son approche, une nouvelle voie de représentation d'un sujet maintes fois abordé: "Ce livre ne traite pas de la guerre, ni du roi, ou du moins pas seulement. Il ne traite pas non plus des institutions de la monarchie. Il est consacré à la souveraineté dont la guerre, la violence et le roi furent des instruments nécessaires, voire essentiels." Notons que la bibliographie permet de constater l'étendue des travaux auxquels l'auteur s'est référé. Regroupant dans une première partie les "ouvrages anciens" (XVIe, XVIIe, XVIIe siècles), puis les "ouvrages modernes" (XIXe-XXe siècles), cette bibliographie s'étend sur une vingtaine de pages. Le roi de guerre est un ouvrage qui veut toucher un public large. Relevons que la présence d'illustrations, de plans et de tableaux vient elle aussi aider le lecteur dans sa démarche.

3) Organisation et compte-rendu

La place primordiale de la guerre dans le processus de légitimation du pouvoir royal constitue la thèse principale avancée par J. Cornette. L'interdépendance des deux institutions, l'armée et la monarchie absolue, est observée au sein des divers rapports qui les mettent en scène. L'étude chronologique de ce phénomène dévoile, de ses prémisses à son point culminant, l'influence que les divers événements de l'époque - guerre de Trente ans,

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Fronde, guerre de succession d'Espagne - impose à l'évolution de la représentation du pouvoir par la force.

L'auteur structure son ouvrage distinguant trois parties selon leur thématique. La première intitulée "La violence, la guerre et l'état" reconstitue le paysage guerrier de l'époque et explique les principaux enjeux géopolitiques.

Après un rapide tour d'horizon des divers pays impliqués dans les conflits européens, l'historien oriente sa recherche sur une analyse globale des enjeux: "(...) il nous faut distinguer quelques constantes mais aussi mettre en valeur l'extraordinaire diversité de conflits à multiples visages qui affectèrent la majorité des territoires européens." Puis, ayant mis en valeur trois types de pratiquer la guerre (les raids, les sièges et la bataille navale) ainsi que les conséquences sociales issues de tels conflits, il se focalise sur les aspects territoriaux et techniques qu'ils représentent. Il clôt ce premier chapitre en relevant les dissymétries entre la théorie fantasmée du rôle de soldat à la réalité concrète des champs de bataille. J.Cornette se concentre alors sur le concept moral de violence et les différentes formes qu'elle peut revêtir. Il expose tout d'abord le cas du mercenariat. Puis il détermine le rapport qu'entretiennent les hommes avec cet acte brutal. Plus précisément, l'auteur tend à déchiffrer l'évolution de cette perception au sein des divers groupes sociaux: du simple soldat au prince en passant par la noblesse. Cette première partie se termine sur le cas des Provinces-unies. L'auteur choisi le contre-exemple d'une république afin des mettre en avant les mécanismes similaires que la guerre instaure. Il amorce ainsi le caractère indissociable de la guerre comme instrument politique générateur de pouvoir.

La deuxième partie est consacrée à établir le rapport entre la souveraineté et la guerre en étudiant plus précisément le personnage central du roi. Aussi bien contre leur propre gens que lors de conflits avec d'autres puissances, l'idée de guerre juste était primordiale à imposer et à justifier. L'essence divine intrinsèque à la lutte armée classe alors cette dernière parmi les devoirs du souverain envers son peuple. L'auteur analyse par ailleurs, au travers de cela, l'attitude belliqueuse de la France durant la guerre de Trente ans et notamment dès les années 1630. Le chapitre met l'accent sur la personne du souverain. Il s'agit alors de comprendre la place prépondérante que tient l'apprentissage de la guerre dans l'éducation du futur roi. De l'enseignement de la géométrie à l'étude des plans en reliefs réalisé par Louvois (1639-1691), le lecteur se rend compte de l'importance donnée dès les premières années à l'assimilation de cette vocation. D'autre part, l'auteur explique comment le besoin de maîtrise du royaume à des fins militaire, développe une première esquisse de logistique administrative: "Désormais le souverain était en voie de pouvoir disposer d'un ensemble de documents statistiques et pratiques, autant d'outils d'une "science royale" qui lui permettrait bientôt de connaître sa force véritable, c'est-à-dire d'exercer la plénitude de sa souveraineté." Dans ce dernier chapitre, l'étude du jeune roi se poursuit mais celui-ci ayant atteint l'âge de porter les armes, c'est vers les champs de bataille que l'analyse se concentre. La présence du souverain sur le terrain génère un fort sentiment de confiance et de hardiesse au sein des troupes. L'analyse de ce phénomène démontre, par la suite, que cette

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prise de risque n'est plus tolérée. Le roi ne peut mettre ses jours en danger et doit renoncer à ce rôle. Désormais il s'agit de rendre palpable, malgré son absence, le rayonnement de sa personne.

La troisième et dernière partie de l'ouvrage conclut l'essai historique sur le roi de guerre en mettant en lumière le dispositif symbolique attaché à représenter le pouvoir divin du roi désormais avéré. Du roi thaumaturge à la ritualisation, la sacralisation du pouvoir royal tend à institutionnaliser une mythologie du pouvoir, comme affirmation de la puissance et des droits de celui-ci. L'étude se concentre par ailleurs sur Versailles, monument érigé à la gloire du souverain guerrier. Le recours systématique à une représentation allégorique ou faisant référence à l'histoire antique démontre la recherche, au travers d'une symbolique forte, d'une forme d'immortalité de la figure royale et de l'affirmation de la monarchie absolue :"Si Versailles exerça un tel pouvoir de séduction auprès des aristocraties et des souverains de toute l'Europe, c'est que jamais sans doute un modèle politique n'avait bénéficié d'une traduction architecturale, iconographique et esthétique aussi cohérente." Joël Cornette poursuit l'inventaire des outils au service de l'Etat: les statues du roi-cavalier, l'usage de la presse et le théâtre sont autant de biais par lesquelles l'omniprésence de la souveraineté s'impose au peuple français et plus globalement à l'Europe. L'auteur porte ensuite son attention sur le rapport à la mort qui se redéfini selon les valeurs chrétiennes. Malgré des techniques de combats plus mortelles, les effectifs de pertes sont de moins en moins importants. Cela dénote une amélioration des conditions de survie sur les champs de batailles. Une autre mutation est ainsi mise en avant dans ce nouveau rapport à la mort. L'armée, étatisée et contrôlée, ne laisse plus de place aux chefs de guerre et, bien que sanctifiée, n'en est pas moins devenue anonyme: l'héroïsme nobiliaire, à la fin du règne de Louis XIV, a totalement disparu.

La conclusion, en rappelant la thèse principale de l'ouvrage, étaye encore celle-ci de trois contre-exemples en Angleterre en Autriche et dans les Provinces-Unies qui présentent des systèmes différents que celui étudié. L'auteur termine cet essai en abordant la perspective du futur échec de la monarchie absolue.

4) Postérité

L'essai historique que nous présente Joël Cornette est un travail qui invite le lecteur à suivre l'historien dans sa recherche. Il prend le lecteur à parti et l'inclut dans sa réflexion. Il est alors fort aisé de parcourir une telle œuvre, guidé par l'historien qui explicite sa démarche à chaque étape. Notons également que l'historien adopte un langage fluide et agréable qui ne fait qu'accentuer l'appréhension déjà mentionnée. Cornette débute son introduction en distinguant clairement son étude vis-à-vis de l'historiographie actuelle, situant sa place et définissant l'apport de cette dernière. Puis il décrit le parcours de sa réflexion. La structure

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très claire de l'ouvrage qu'il élabore offre au lecteur suffisamment d'informations sur le contenu, ses intentions et l'envergure qu'il souhaite donner à son travail, pour cerner au préalable la nature de l'ouvrage. Le choix de ne pas user des notes de bas de pages mais de les regrouper en fin de livre s'inscrit dans cette volonté d'intelligibilité. La lecture s'en trouve fluidifiée. L'illustration du texte de gravures, de tableaux et de plans présente un appui visuel important. Le roi de guerre, Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle recense l'état des connaissances acquises sur cette période tout en proposant un angle de vue nouveau. La démarche adoptée par l'auteur semble pertinente. Le lecteur est amené à percevoir un sujet au travers d'études nombreuses et variées, rassemblées de manière cohérente. Au sortir de cet essai le lecteur possède ainsi une connaissance notable sur la figure du roi en France mais également de ses sujets, des avancées technique de la guerre elle-même et plus largement sur la situation générale de l'Europe.

Par contre, une impression de longueur et de redite se dégage graduellement du texte durant la deuxième partie et se prolonge quelque peu dans la troisième. Le caractère sacré de la souveraineté, thèse fondamentale de l'auteur, présente un concept universellement défendu. Malgré cela le sentiment que l'auteur cherche à nous démontrer, par de multiples biais, une idée préalablement acquise, altère la lecture de l'ouvrage. Soulignons tout de même que cette critique ne concerne pas l'ensemble de l'ouvrage mais certains passages notamment de la deuxième partie.

En conclusion, Le roi de guerre, Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, que propose Joël Cornette est un ouvrage de qualité et accessible à différents niveaux de lecture. L'initié saluera le travail de recoupement des diverses études établies à ce jours et le travail pointu réalisé sur les sources, et l'amateur pourra apprécier la facilité d'accès de ce vaste sujet