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646 Notes de lecture Cosnier J. Le Retour de Psych& Critique des nouveaux fondements de la psychologie. Paris : Des&e de Brouwer ; 1998. 281 p. Behavioriste lui-m&me, experimentaliste, psychiatre, ayant enfin choisi ses ancrages depuis ces vingt-cinq dernieres annees dans la psychanalyse, l’auteur reste encore heretique puisqu’il s’interesse Cgalement a l’ethologie et a la psychologie de l’interaction. Nous ne nous plaindrons pas de cette diversite et de cette curiosite d’esprit qui lui permettent de nous livrer un ouvrage savoureux, a devorer a pleines pages, melange de propos histo- riques, theoriques et autobiographiques. Voici enfin une histoire de la psychologie revendiquant la subjectivite dans un texte cli- nique et vivant, bien loin des reconstructions policees des chercheurs en ma1 de respecta- bilite. Grace a cette position assumee, l’ouvrage s’avere passionnant et passionne, redige avec une liberte d’expression qui ne se trouve que chez un universitaire n’ayant plus d’honneurs a briguer. Ainsi. l’impertinence du ton en devient d’autant plus rejouissante pour les plus jeunes qui peuvent toutefois regretter qu’on ne leur ait pas parle ainsi bien avant : au moins auraient-ils eu l’impression de comprendre dans quel chemin ils s’engageaient. Si, pour le plus grand bonheur des lecteurs, l’ouvrage privilegie I’humour. on sait toutefois en psychanalyse quelle part de verite il contient, de meme que I’on sait qu’on prefere rire des chases trop tristes alors qu’on devrait en pleurer. Voici done la petite histoire de Psyche, promue objet d’etude par la psychologie de la fin XIXe siecle. endormie devant l’assaut behavioriste des annees 1910, trouvant refuge dans une psychologie appliquee, au mieux tax&e de l’eclectisme de ses fondateurs (Janet, Wallon. Lagache, Favez-Boutonier, etc.), au pire rejetee sous l’assaut des PAPS, Psychologie Auto- Proclamee Scientifique. Mais ne voila-t-i1 pas que, grace B l’ouverture de la boite noire, avec les recherches interactionnistes et avec une deuxieme revolution cognitive, Psyche pourrait enfin Ctre rappelee a la vie ; mais a quel prix et qui se souviendra en premier de la Belle ? c( La psychanalyse, que cela devrait conforter, semble pour I’instant rester en marge de cette (r)evolution, et sa collaboration avec la PAPS neurocognitive ne semble pas aller de sol. tandis que du cot& des sciences humaines et sociales ou I’interactionnisme bat son plein et Psyche se trouve aussi convoquee, la psychanalyse, que cela devrait mettre a I’aise, semble pour l’instant encore l’ignorer >) (p. 177). Seraient-ce alors les philosophes qui I’enleveront dans un retour aux origines ? Car on ne peut ignorer le role important du retour de la phr- losophie dans la psychologie cognitive a travers la phenomenologie (cf: Varela. par exemple). Psyche semble done irremediablement like a l’etude de la conscience et de l’intentionnalite. Mais, alors qu’on la rappelle enfin, elle pourrait bien revenir au moment de l’eclatement de I’unite precaire de la psychologie sous le poids des sciences neurocogni- tives ou, plus precisement, des CAPS (Cognitivistes autoproclames scientifiques). En effet, l’auteur decrit un certam nombre de scenarios extremes dans lesquels la psy- chologie risque de sombrer. L’etat des lieux, sombre et subjectif mais malheureusement fonde sur un ensemble de faits, met en evidence combien de pieges se trouvent tendus sous les pas de Psyche : confondue avec le fonctionnement cerebromental, Psyche se noie dans la mer des sciences cognittves, et la << maitrise des cerveaux permet d’esperer la maitrise de l’evolution et du fonctionnement du monde humain... N (p, 218). ou bien. confondue

Cosnier J, ,Le Retour de Psyché. Critique des nouveaux fondements de la psychologie (1998) Desclée de Brouwer,Paris 281

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646 Notes de lecture

Cosnier J. Le Retour de Psych& Critique des nouveaux fondements de la psychologie. Paris : Des&e de Brouwer ; 1998. 281 p.

Behavioriste lui-m&me, experimentaliste, psychiatre, ayant enfin choisi ses ancrages depuis ces vingt-cinq dernieres annees dans la psychanalyse, l’auteur reste encore heretique puisqu’il s’interesse Cgalement a l’ethologie et a la psychologie de l’interaction. Nous ne nous plaindrons pas de cette diversite et de cette curiosite d’esprit qui lui permettent de nous livrer un ouvrage savoureux, a devorer a pleines pages, melange de propos histo- riques, theoriques et autobiographiques.

Voici enfin une histoire de la psychologie revendiquant la subjectivite dans un texte cli- nique et vivant, bien loin des reconstructions policees des chercheurs en ma1 de respecta- bilite. Grace a cette position assumee, l’ouvrage s’avere passionnant et passionne, redige avec une liberte d’expression qui ne se trouve que chez un universitaire n’ayant plus d’honneurs a briguer. Ainsi. l’impertinence du ton en devient d’autant plus rejouissante pour les plus jeunes qui peuvent toutefois regretter qu’on ne leur ait pas parle ainsi bien avant : au moins auraient-ils eu l’impression de comprendre dans quel chemin ils s’engageaient. Si, pour le plus grand bonheur des lecteurs, l’ouvrage privilegie I’humour. on sait toutefois en psychanalyse quelle part de verite il contient, de meme que I’on sait qu’on prefere rire des chases trop tristes alors qu’on devrait en pleurer.

Voici done la petite histoire de Psyche, promue objet d’etude par la psychologie de la fin XIXe siecle. endormie devant l’assaut behavioriste des annees 1910, trouvant refuge dans une psychologie appliquee, au mieux tax&e de l’eclectisme de ses fondateurs (Janet, Wallon. Lagache, Favez-Boutonier, etc.), au pire rejetee sous l’assaut des PAPS, Psychologie Auto- Proclamee Scientifique. Mais ne voila-t-i1 pas que, grace B l’ouverture de la boite noire, avec les recherches interactionnistes et avec une deuxieme revolution cognitive, Psyche pourrait enfin Ctre rappelee a la vie ; mais a quel prix et qui se souviendra en premier de la Belle ? c( La psychanalyse, que cela devrait conforter, semble pour I’instant rester en marge de cette (r)evolution, et sa collaboration avec la PAPS neurocognitive ne semble pas aller de sol. tandis que du cot& des sciences humaines et sociales ou I’interactionnisme bat son plein et Psyche se trouve aussi convoquee, la psychanalyse, que cela devrait mettre a I’aise, semble pour l’instant encore l’ignorer >) (p. 177). Seraient-ce alors les philosophes qui I’enleveront dans un retour aux origines ? Car on ne peut ignorer le role important du retour de la phr- losophie dans la psychologie cognitive a travers la phenomenologie (cf: Varela. par exemple). Psyche semble done irremediablement like a l’etude de la conscience et de l’intentionnalite. Mais, alors qu’on la rappelle enfin, elle pourrait bien revenir au moment de l’eclatement de I’unite precaire de la psychologie sous le poids des sciences neurocogni- tives ou, plus precisement, des CAPS (Cognitivistes autoproclames scientifiques).

En effet, l’auteur decrit un certam nombre de scenarios extremes dans lesquels la psy- chologie risque de sombrer. L’etat des lieux, sombre et subjectif mais malheureusement fonde sur un ensemble de faits, met en evidence combien de pieges se trouvent tendus sous les pas de Psyche : confondue avec le fonctionnement cerebromental, Psyche se noie dans la mer des sciences cognittves, et la << maitrise des cerveaux permet d’esperer la maitrise de l’evolution et du fonctionnement du monde humain... N (p, 218). ou bien. confondue

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Notes de lecture 647

avec la subjectivitk individualiste, Psych6 s’enlise dans les sables mouvants d’un dCsert qualitatif, New Age et human&e.

Toutefois, trois conditions pourraient peut-&tre kiter ces scknarios catastrophes ; au lecteur de les dkcouvrir dans ce voyage, quelque peu initiatique, B la recherche de Psych&

M. Santiago Delefosse

Damien R, Cd. Franqois Dagognet, mkdecin CpistCmiologue philosophe. Une philo- Sophie g lkuvre. Le Plessis-Robinson : Institut SynthClabo pour le progrbs de la connaissance ; 1998. 989 p.

Oti comment des philosophes commentent et dis&quent l’ceuvre de l’un des leurs. Franqois Dagognet, mkdecin et philosophe tant par ses origines que par les sujets qui l’ont passionnk, devrait Ctre l’un de nos maftres a penser en ces durs temps de culture technologique. Son ceuvre est admirable par son originalit et la rigueur de ses recherches. Pour s’en convaincre, il faut lire ou relire son Pasteur suns la lkgende, rCCditC en 1994 dans la collection <C Les Empkheurs de penser en rond )), ou encore son I?loge de I’objet paru en 1989 chez Vrin.

L’ouvrage que nous prksentons ici est le fruit d’un colloque organi& en 1996 autour de son ceuvre. Dix-neuf auteurs y ont participk << Oti d’abord le situer ce diable d’homme ? D’oti sort-i1 ? >> s’interroge R&is Debray (p. 28). De la mkdecine ? De la technique ? Diffi- tile de conclure, lorsque Dagognet lui-m&me qualifie son Deuvre de CC grand bazar )>. Pour- tant, il suffit de parcourir le fil de sa plume pour Ctre certain qu’il se situe dans la grande tradition de la philosophie, C( pour qui la logique constitue le portique inaugural )) (p. 46). D’une grande modemit& il croit dans le pouvoir de la dkmarche modklisante scientifique oti C( le thkoricien, en prksence d’un graphe, en tire plus d’informations que s’il scrutait la chose ; pourquoi? Parce que la silhouette a dt5ja effect& un travail de condensation et d’interrelation ; elle enrichit par elle seule la comprkhension de ce qu’elle avait apparem- ment rCduit )) (p. 19). Tout au long de cet ouvrage, les auteurs, eux-m&mes philosophes, nous enseignent B propos de Dagognet ce que ce dernier appelle la (C mkthode )), c’est-g-dire ce qui mCrite fondamentalement d’&tre scrutC dans les accomplissements du pas& de la science ; cela implique done de reconstruire ce pass& et d’y puiser dans toutes ses le$ons. Voici bien une mCthode rigoureuse dont nous autres psychiatres aurions tout intCr&t B nous inspirer.

L’Cclectisme de Dagognet nous renvoie & notre propre savoir d’artisans psychothka- peutes fait de brie et de broc. 11 n’a cessk d’interroger des objets insolites, souligne A. MCtraux, pour mieux nous dkmontrer que CC l’adkquation entre l’objet de la connaissance et la connaissance de l’objet ne rkussit que ponctuellement et trtts provisoirement >) (p. 82). Mais, plus fondamentalement, J.-F. Braunstein, dans son commentaire, nous rappelle qu’en rCalitC, c’est le corps lui-mCme qui est G l’objet essentiel de la philosophie de Dagognet )F (p. 122). Philosophe provocateur, d&s 1960, il interpelle les mkdecins et lance le dCbat sur la biokthique. 11 n’hksite pas alors g Cvoquer la nationalisation des corps, ni plus tard B remettre en cause l’image sacrCe de la famille. Dans Pour une philosophic de la Maladie, en 1996, il souligne que c la famille normale est tellement pathogkne aussi )) (p. 122). Enfin, on ne peut ignorer ses thkses originales sur les thkrapeutiques que P. Pignarre expose fort bien dans son