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Cour d’appel de Metz
Une histoire, un patrimoine
Le poète Paul Verlaine qui a vécu à Metz jusqu’à l’âge de 7 ans, rue Haute
Pierre, non loin du palais de justice de Metz, décrit Metz en ces termes,
dans son poème Ode à Metz :
“ Metz aux campagnes magnifiques, rivières aux
ondes prolifiques, coteaux boisés, vignes de feu,
cathédrale toute volute, où le vent chante sur la
flûte, et qui lui répond par la Mutte,
cette grosse voix du Bon Dieu ”
Histoire du Palais de Justice de Metz
Le quartier de l’Esplanade
Avant 1552, le quartier de l’esplanade qui accueille aujourd’hui le
palais de Justice était semblable aux autres quartiers de METZ : il comportait
maisons, églises et monastères. Mais l’annexion de METZ à la France, cette
même année, va complètement le bouleverser. En effet dès 1556, afin de
protéger et mieux contrôler la cité, le Roi de France Henri II décida de
construire à son emplacement une citadelle et ses fossés. Tout le quartier fut
donc rasé. Seuls deux bâtiments survécurent : Saint-Pierre-aux-Nonnains et
la Chapelle des Templiers. La citadelle, à son tour, fut rasée pendant la
Révolution, peut-être à la suite du projet de la reine Marie-Antoinette de
venir se réfugier à METZ en 1789. Pour autant, le quartier garda une vocation
militaire avec la construction de la caserne NEY sous Louis-Philippe, de
l’Arsenal (aujourd’hui magnifique salle de concert) sous Napoléon III et de
l’actuel palais du gouverneur militaire par les Allemands en 1902-1904.
Vu de l’esplanade ou des bords de la Moselle, par delà les
frondaisons, le palais de justice frappe par sa masse importante. De loin, son
énorme cube de maçonnerie émerge de la verdure et lorsque, des pentes du
Saint-Quentin ou des coteaux avoisinants on jouit du superbe panorama de
METZ, sa silhouette domine encore et ne peut manquer d’attirer l’attention.
Les lignes sévères de son architecture semblent si bien convenir à l’utilisation
actuelle du bâtiment qu’on oublie facilement sa destination première : il fut
construit sous l’Ancien Régime, pour servir de demeure au gouverneur de la
Province des Trois-Evêchés.
L’hôtel de la Haute-Pierre
Mais auparavant se trouvait, sur ce même site, l’Hôtel du
Gouverneur, dit aussi Hôtel de la Haute Pierre. Il y avait anciennement à
METZ certaines grosses pierres placées au milieu des places publiques ou des
carrefours sur lesquelles les magistrats faisaient huchier (proclamer) les
ordonnances à cris publics. C’était la “Pierre Borderesse” ou “Haute Pierre”,
dont la rue et l’hôtel ont tiré leurs noms. L’histoire de l’hôtel de la Haute
Pierre est assez singulière. Entre les fossés de la citadelle et de l’abbaye
Saint-Arnould, existait un vieux logis appartenant aux chanoines de la
cathédrale que l’on nommait l’Hôtel de la Haute Pierre. Le bâtiment fut loué
à vie au Duc Richard de Suffolk, célèbre dans les annales du Moyen-Age, à
charge pour lui de faire réédifier et réparer ladite maison. Le Duc fit donc
abattre les bâtiments existants pour rebâtir un hôtel somptueux.
En un an et demi, il dépensa dans ce but plus de deux mille florins
d’or. Mais une intrigue scandaleuse avec la femme d’un orfèvre l’ayant
obligé à fuir et à se réfugier à Toul en 1548, sa demeure fut, avec quelques
autres aux alentours, achetée par le roi. Réunies, elles constituèrent
l’habitation des gouverneurs de la ville. Louis XV logea dans l’Hôtel de la
Haute Pierre lors de son passage à Metz en 1744. A cette occasion le Roi
tomba d’ailleurs gravement malade et reçut même les derniers sacrements.
Démodé, d’apparence disparate, le vieil hôtel de la Haute Pierre fut démoli
vers 1775, alors qu’était décidée l’édification d’un hôtel grandiose sur son
emplacement.
Construction d’un Palais pour le Gouverneur
La construction de l’édifice actuel, sur les plans de l’architecte
Clérisseau, commença en 1776. Si imposant que paraisse encore à nos yeux
l’ancien palais du Gouverneur militaire royal, qui fut à Metz, jusqu’à
l’édification des constructions allemandes, le plus vaste hôtel de la ville,
Clérisseau dut mettre un frein à ses ambitions lorsqu’il fut chargé d’en
dresser les plans. Sa volonté de grandeur dut se plier aux nécessités et, dans
une ville fortifiée où les espaces libres étaient mesurés, il fut contraint
d’adapter ses plans à la surface qu’on lui offrait. Pour le plan du Palais du
Gouverneur, destiné au Duc de Broglie, Maréchal de France, gouverneur de
Metz et commandant en chef dans les Trois-Evêchés, Clérisseau s’inspira du
plan de la plupart des hôtels particuliers de l’époque classique, auquel il
donna une ampleur peu commune.
L’ensemble est constitué
d’un corps principal au fond et
de deux ailes latérales réunies
en avant par un porche. La cour
d’honneur a grande allure : ses
proportions, son perron central
simple et accueillant lui confère
un air de noblesse. Le palais était
presque achevé lorsque survint
la Révolution et les travaux
s’arrêtèrent en 1791.
L’architecture froide, sans ornement, en honneur dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle, convenait parfaitement à une place forte comme
Metz. Apôtre de l’antiquité romaine, Clérisseau appliqua ici ses théories avec
mesure et discrétion : il sut mettre le Palais du Gouverneur en harmonie
avec les constructions antérieures, non seulement par la simplicité de ses
lignes, mais aussi par l’utilisation des matériaux du pays, comme la pierre de
Jaumont, à la belle teinte ocrée. Clérisseau fût l’élève de Jacques-François
Blondel, qui construisit la Mairie de Metz, d’où l’harmonie des deux
bâtiments.
L’ensemble du palais dégage une impression de force et de grandeur,
comme il sied au palais du gouverneur militaire d’une des principales places
fortes du Royaume. Il devait, aux yeux des étrangers entrant en France, mais
aussi à ceux des Messins, témoigner de la puissance du roi de France. En
comparaison, le palais de l’intendant royal (l’actuelle préfecture) est
beaucoup moins impressionnant. Cela tient au fait qu’à Metz, contrairement
aux autres provinces, c’est le gouverneur et non l’intendant qui détenait
l’essentiel du pouvoir. Le Palais de justice de Metz que l’on peut comparer
avec l’Hôtel de la Monnaie ou le Palais de la Légion d’honneur à Paris, est
venu compléter et clore la série des magnifiques constructions dont
s’enorgueillit Metz au XVIIIème siècle.
Magnifiquement implanté sur une terrasse surplombant la Moselle,
il présente une rigoureuse symétrie qui, jointe à l’extrême rigidité des
contours, révèle de la part du constructeur un parti pris de sobriété.
Dédaignant le superflu, Clérisseau a cherché à frapper l’esprit par
l’ampleur des formes et a tenté d’obtenir un effet majestueux à l’aide des
seules ressources que lui fournissent les lignes et les proportions. Il est ainsi
parvenu à éviter la monotonie et a donné cet aspect de grandeur imposante
qui contribue aujourd’hui à asseoir la justice qu’on y rend.
Dans ses écrits, Maurice Barrès parlait à cet égard de droiture et de
simplicité. La froideur et l’austérité de cet édifice sont telles qu’on s’étonne
presque d’y trouver des sculptures.
Excepté celles de la façade principale, celles-ci sont, il est vrai, peu
mises en valeur car l’architecture grandiose les écrase et les absorbe. Les
ornements de la cour, dus au
sculpteur François Masson, ne
manquent pourtant pas d’intérêt. On
peut y admirer deux bas-reliefs
ornant encore la cour d’honneur.
Celui de la façade gauche
décrit le trait d’humanité du Duc de
Guise prodiguant des secours aux
soldats mourants de l’armée de
Charles Quint, blessés et
abandonnés par leurs troupes qui se retiraient, après la levée du siège de
Metz en 1552. Celui de gauche commémore l’Alliance de la France et de
l’Amérique au début de la guerre d’indépendance. Le comte de Broglie était
lieutenant des Trois-Evêchés
lorsqu’il reçu à Metz, en 1775, le duc
de Gloucester, frère du roi
d’Angleterre. Gagné à la cause des
“insurgents” d’Amérique, celui-ci
avait exposé leurs revendications en
présence du jeune Lafayette, alors
capitaine des dragons de Noailles en
garnison à Metz.
Ce fougueux militaire forma sur l’heure le projet de combattre pour
l’indépendance des Etats-Unis, ce qu’il fit avec le destin que l’on sait. Entre
les deux guerres mondiales, une statue de Lafayette à cheval a été érigée
dans le jardin de Boufflers voisin du Palais de Justice, en souvenir de cet
événement. François Masson avait encore sculpté trois bas-reliefs de plus de
quinze mètres de long, sur la façade arrière, représentant la maladie du Roi
à Metz, la réunion de Metz à la France en 1552, le rétablissent du Parlement
à Metz en 1775, qui ont été détruits par les révolutionnaires.
Les médaillons des quatre rois de France, qui se trouvaient dans le
grand escalier, ont subi le même sort. Les rampes dudit escalier en fer forgé
parfaitement travaillé sont l’oeuvre de l’artiste messin Guise. Dans le fronton
de gauche, sur la façade principale, Masson a sculpté Hercule avec sa massue
symbolisant la force ; dans celui de droite, Minerve casquée, entourée
d’enfants portant les attributs des arts et des sciences, personnifiant la
sagesse.
Le portail flanqué de deux immenses ensembles de trophées
militaires, est surmonté d’une femme qui, majestueusement drapée, assise
entre deux enfants nus dont l’un retient enchaîné un lion accroupi,
représente la Clémence.
La cour intérieure comporte quatre statues en haut-relief de
guerriers : le Duc de Guise, défenseur de Metz en 1552, le Duc de
Montmorency qui occupa Metz lors de la lutte contre Charles-Quint, le
Maréchal de Vieilleville et Artus de Cossé, Gouverneur de Metz pendant le
siège de 1552. Sur le perron de la façade ouest, à l’arrière du Palais, on
trouve encore la statue de Turenne et celle du Maréchal de Luxembourg, du
même Masson. On doit également à ce sculpteur le tombeau de Vauban aux
Invalides. La cour, les façades, le grand escalier et les vestibules du Palais ont
été classés monuments historiques par deux arrêtés de 1921 et 1929.
Les frais de construction du Palais du Gouverneur avaient déjà
atteint près d’un million de livres lorsque survint la Révolution. Le Maréchal
de Broglie, pour qui avait été conçue cette demeure grandiose, n’y habita
jamais. Il s’enfuit après la prise de la Bastille et tenta de s’emparer des places
qu’il commandait. Metz lui ayant fermé ses portes, il gagna l’Allemagne, d’où
il tenta de rallier des puissances étrangères contre la France révolutionnaire.
Il mourut en exil en 1804. Son palais resta donc inachevé, comme en
témoignent encore aujourd’hui les pierres saillantes de la façade du côté de
la rue du Juge Michel. Elle devait donner sur une cour intérieure qu’aurait
fermé le bâtiment projeté des écuries et des communs.
Du Palais du Gouverneur à la Cour d’appel
L’édifice, appelé “Gouvernement”, demeurait et il fallait l’utiliser.
Réuni au domaine de l’Etat par le décrêt du 12 avril 1791, il devint le siège
de l’Administration départementale jusqu’en 1806 et reçut le nom de
“Département”. Il servit aussi de Tribunal révolutionnaire, ce qui préfigurait
sa vocation ultérieure.
S’y installèrent en effet, successivement la cour d’appel, la cour
d’assises et le tribunal de première instance. Certaines parties de l’édifice
furent affectées au service de l’administration télégraphique. Le palais était
alors surmonté de deux sémaphores dont l’un, correspondant avec le signal
du Mont Saint-Quentin, apportait en quinze minutes les nouvelles de la
capitale, tandis que l’autre les transmettait vers Strasbourg. D’autres parties
de l’immeuble accueillirent le manège de l’école de l’application de l’artillerie
et du génie. D’autres encore furent occupées gratuitement par des
fonctionnaires ou louées au profit de l’Etat.
L’établissement des cours de justice ne devait être que provisoire,
il devint définitif. Lors de la démolition de l’ancien Palais de Justice, situé
entre la Place d’Armes et la Rue du Palais, on avait songé en 1809 à en
reconstruire un sur l’emplacement de l’ancien Evêché resté inachevé
(l’actuel marché couvert). Ce projet fut cependant abandonné, et, en 1812,
le Ministre de l’Intérieur décida de fixer les cours et les tribunaux dans
l’ancien Palais du Gouverneur dont le département venait d’être reconnu
propriétaire.
Avant l’annexion de nos territoires par l’Allemagne, la Cour d’appel
de Metz avait un ressort bien plus étendu qu’actuellement. Il couvrait alors
le département des Ardennes et le département de la Moselle qui s’étendait
bien au delà de ses limites actuelles puisqu’il comprenait également
l’arrondissement de Briey. Le Traité de Francfort du 10 mai 1871, qui mit fin
à la guerre franco-prussienne et qui sanctionnait la défaite de la France,
concéda au nouvel empire allemand les départements alsaciens du Bas-Rhin
et du Haut-Rhin et la majeure partie du département de la Moselle, à
l’exception de l’arrondissement de Briey qui restait français et qui était dès
lors rattaché à la Cour d’appel de Nancy.
Quant au ressort de la Cour d’appel de Metz annexé à l’Allemagne,
il était rattaché au Tribunal supérieur d’appel de Colmar par les autorités
allemandes. Le Traité de Versailles, signé le 28 juin 1919 à l’issue du premier
conflit mondial, redonnait les territoires d’Alsace et de Moselle à la France,
mais la Cour d’appel de Metz n’était pas pour autant restaurée, la Moselle
restait rattachée au ressort de la Cour d’appel de Colmar. Cependant, dès le
retour de l’Alsace-Moselle à la France, l’ensemble des élus de la Moselle
oeuvrait pour le rétablissement de la Cour d’appel de Metz.
Ce fut un long combat qui se heurta à diverses objections
administratives. Il paraissait notamment impossible de recréer le ressort de
la Cour d’appel de Metz tel qu’il existait avant l’annexion. L’arrondissement
de Briey avait rejoint le ressort de la Cour d’appel de Nancy. Le département
des Ardennes avait été rattaché au ressort qui sera par la suite celui de la
Cour d’appel de Reims.
En outre, subsistait en Alsace-Moselle un droit hérité en partie de la
législation allemande, désigné sous l’appellation de “droit local d’Alsace-
Moselle” dont certaines dispositions sont toujours en vigueur, que tant les
Alsaciens que les Mosellans ne voulaient pas voir disparaître en raison
notamment de sa plus grande modernité. Face à ces difficultés, une première
solution fut trouvée dans la création à Metz en 1928 d’une chambre
détachée de la Cour d’appel de Colmar, puis, bien plus tard, d’une deuxième
chambre détachée.
Cette demi-mesure insatisfaisante allait subsister un certain nombre
d’années d’autant que dans la région, la paix allait être de courte durée,
Metz allant assez rapidement se retrouver à nouveau confrontée à
l’envahisseur nazi qui allait occuper notre ville à compter de 1940. Il faudra
attendre la fin des hostilités du deuxième conflit mondial pour que
l’ensemble des professionnels de justice et des élus mosellans recommence
la lutte pour le rétablissement de la cour d’appel de Metz. Ce sera tout
particulièrement le combat de Raymond Mondon, ancien juge d’instruction,
député-maire de Metz, qui, en sa qualité de ministre, réussit à convaincre le
gouvernement de la nécessité de rétablir la Cour d’appel de Metz dans son
plein exercice.
Malheureusement, la maladie emporta Raymond Mondon avant qu’il
ne puisse voir son combat triompher. Cependant, le dossier, activement
soutenu par les avocats messins, était quasiment prêt lorsque Pierre
Mesmer, député de la Moselle, lui-même grand artisan de ce combat,
devenait premier ministre.
Il ne fallut plus longtemps alors pour que le Président de la
République, Georges Pompidou signe les décrets de nomination d’un
premier président et d’un procureur général pour la Cour d’appel de Metz,
lui restituant ainsi sa pleine juridiction.
L’audience d’installation du premier président Henri Kauffer en
janvier 1973 à laquelle assistait André Pleven, Garde des Sceaux, a été un
grand moment d’émotion.