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S -S S ‘•j5S 5’ I Non communicable au receveur Arrêt interlocutoire Concurrence économique téléphonie mobile position dominonte définition du marché parts de marché supérieures à 50% d;fférenciotion de tarifs « on- net » et « off-net » - rabois fidélisants prix prédateurs ciseau tarifaire effets de réseau responsabilité civile faute violation de l’article 102 du TFUE expertise sur la couverture des coûts Cour d’appel Bruxelles Arrêt 9ème chambre affaires civiles COVER O1—DOQDO111P7D—UOfl1—O13—D1—D1—7 L...... Numéro du répertoire 2015/ ,4C33 Date du prononcé 26 -02- 2015 Numéro du rôle 2012/AR/1 Expédition t Délivrée à le CIV Deiivrée à Délivrée à le le CIV CIV ]

Cour d'appel Bruxelles Arrêt

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I Non communicable aureceveur

Arrêt interlocutoire

Concurrence économique —

téléphonie mobile — positiondominonte — définition dumarché — parts de marchésupérieures à 50% —

d;fférenciotion de tarifs « on-net » et « off-net » - raboisfidélisants — prix prédateurs —

ciseau tarifaire — effets deréseau — responsabilité civile —

faute — violation de l’article 102du TFUE — expertise sur lacouverture des coûts

Cour d’appel

Bruxelles

Arrêt

9ème chambreaffaires civiles

COVER O1—DOQDO111P7D—UOfl1—O13—D1—D1—7

L......

Numéro du répertoire

2015/ ,4C33

Date du prononcé

26 -02- 2015Numéro du rôle

2012/AR/1

Expédition

t Délivrée à

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ICour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1

— p. 2 t1c? S

En cause de:

BRGACOM SA., société de droit public venant aux droits et obligations de la SA BELGACOMMOBILE, dont le siège social est établi à 1030 BRUXELLES, boulevard du Roi Albert lI 27,inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0202.239.951,

partie appelante,

représentée par Maîtres VAN LIEDEKERKE Dirk et ALDERWEIRELDT Romain, avocats à 1050BRUXELLES, avenue Louise, 326/26, par Maître CORNELIS Ludo, avocat à 1050 BRUXELLES,avenue Louise, 99 et par Maître LEONARD Thierry, avocat à 1050 BRUXELLES, avenue de laCouronne 224,

plaideurs t Maîtres VAN LIEDEKERKE Dirk, ALDERWEIRELDT Romain, CORNELIS Ludo,LEONARD Thierry, FROIDMONTJoéIIe, DE LANGE Blandine et LAES Alexis,

Contre:

1. BASE COMPANY S.A., dont le siège social est établi à 1200 BRUXELLES, rue Neerveld 105,inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0462.925.669, anciennementKPN GROUP BELGIUM,

partie intimée,

représentée par Maîtres VERHEYDEN Alexandre, CHAMPAGNE Sébastien et CLERCKX Serge,avocats à 1000 BRUXELLES, Rue de la Régence 4,

plaideurs Maîtres VERHEYDEN Alexandre, CHAMPAGNE Sébastien, CLERCKX Serge,DERIJCKE Werner, DE MUYTTER Laurent et VAN MULLEM Laurence,

2. MOBISTAR S.A., dont le siège social est établi à 1140 BRUXELLES, avenue du Bourget 3,inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0456.810.810,

partie intimée,

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Cour dappeI Bruxelles — 2012/AR/1—

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représentée par Maîtres VAN GERVEN Yves, VALLERY Anne, HUJOEL Elise et MARCONIHélène, avocats à 1000 BRUXELLES, Place des Barricades 13.

****

TABLE DES MATIÈRES

I.- LA DÉCISION ENTREPRISE 5

li.- LA PROCEDURE DEVANT LA COUR 6

III- LES FAITS ET ANTECEDENTS DE LA PROCÉDURE 6

IV- DISCUSSION 18

A.- SUR LES MOYENS DE PROCEDURE 19

1.- Sur les rapports des premiers experts 19

2.- Sur la requête en production de pièces 20

3.- Sur la transaction du 31 août 2001 intervenue entre Belgacom et Base 20

4.- Sur la convention d’interconnexion entre Belgacom et Mobistar 21

5.- Sur l’exception de chose jugée et l’opposabilité aux tiers de la décision judiciaire 23

6.- Sur l’intérêt de Base 28

7.- Sur le cumul des responsabilités contractuelle et aquilienne 28

8.- Sur les demandes nouvelles ou modifiées de Base 30

9.- Sur la prescription des demandes nouvelles de Mobistar 31

10.- Sur la vérification de la mise en état 33

B.- SUR L’ORIENTATION SUR LES COUTS DES MIR 35

C.- SUR LES ABUS DE POSITION DOMINANTE 38

1.- Sur la définition du marché pertinent 32

2.- Sur l’existence d’une position dominante 41

a.- Sur les parts de marché 42

b.- Sur la pertinence du calcul des parts de marché 48

c.- Sur les facteurs additionnels 51

(I).- Sur les barrières à l’entrée 51

(ii).- Sur les économies d’échelle 53

(Hi).- Sur l’appartenance au groupe Belgacom et la participation de Vodafone 54

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(iv).- Sur la puissance financière de Belgacom et son statut de premier entrant...56

(y).- Sur le degré de concentration du marché 57

d.- Sur les circonstances exceptionnelles 57

(i).- Sur l’entrée des MVNO sur le marché 58

(ii).- Sur le contre-pouvoir d’achat et de négociation des clients 58

(iii).- Absence de barrières à l’expansion 60

(iv).- Nature du marché 61

(y).- Présence de concurrents forts 61

(vi).- Evolution technologique du marché 62

e.- Conclusions 62

3.- Sur les différents abus 63

a.- Considérations générales 63

(i).- Sur la différenciation entre les tarifs «on-net» et « off-net » 63

(ii).- Sur l’unité économique 66

(iii).- Sur la méthode de calcul du tarif « on-net )) 69

1.-Surleprixpayéparlesabonnés 71

2.- Sur le calcul des coûts 72

3.- Sur les données confidentielles 76

b.- Sur les rabais de fidélité 78

(i).- Principes applicables 78

(ii).- Griefs et moyens en défense de Belgacom $0

(iii).- Sur la définition d’un rabais fidélisant 81

(iv).- Sur les tarifs liés au volume d’appels 84

(y).- Sur les conditions tarifaires individuelles 84

(vi).- Sur l’exigence du fournisseur incontournable 89

(vii).- Sur les effets anti-concurrentiels 90

(viii).- Conclusion 92

c.- Sur les prix prédateurs 92

(i).- Conditions de l’abus 92

(ii).- Moyens et arguments de Belgacom 94

(iii).- Conclusions 97

d.- Sur l’effet ciseau 98

(i).- Conditions de l’abus 98

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p. S

(ii).- Moyens et arguments de Belgacom 100

(iii).- Position de la cour 101

(iv).- Conclusions 105

e.- Sur l’effet de réseau 106

(i).- Thèses de Base et Mobistar, et décision du premier juge 106

(ii).- Moyens et arguments de Belgacom 107

(iii).- Sur la recevabilité de la demande de Mobistar 107

(iv).- Sur les principes applicables à une différenciation tarifaire « on-net » et « off-net » 108

(y).- Position de la cour 110

f.- Mission des experts 116

4.- Sur la mise en oeuvre de la responsabilité civile de Belgacom 118

a.- Sur la faute 118

(i).- Thèse de Belgacom 118

(ii).- Sur la notion de faute 119

(iii).- Application au cas d’espèce 120

1.- Sur la position dominante 122

2.- Sur l’octroi de « rabais » 123

3.-Surlesprixprédateurs 124

4.- Sur l’effet ciseau 124

5.- Sur l’effet réseau 126

6.- Conclusion 129

b.- Sur le dommage et le lien de causalité 130

V.- DISPOSITIF 130

I.- LA DECISION ENTREPRISE

Les appels sont dirigés contre le jugement prononcé le 29 mai 2007 par le tribunal decommerce de Bruxelles.

Les parties ne produisent pas d’acte de signification de cette décision.

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II.- LA PROCEDURE DEVANT LA COUR

L’appel est formé par requête déposée au greffe de la cour, le 2 janvier 2012, par la SABelgacom (qui est aux droits et aux obligations de la SA Belgacom Mobile, défenderesseoriginaire, dénommée ci-après « Belgacom »).

Les appels incidents sont formés par la SA Base Company (anciennement dénommée KPNGroup Belgium) par conclusions déposées au greffe de la cour le 25 mai 2012 et pat la SAMobistar, le 29 mai 2012.

Par requête déposée au greffe de la cour le 30 septembre 2014 sur la base de l’article 748 §2 du Code judiciaire, Belgacom sollicite de la cour l’autorisation de déposer des documentsnouveaux.

La procédure est contradictoire ayant été mise en état en application d’une ordonnancerendue sur pied de l’article 747 § 2 du Code judiciaire.

Il est fait application de l’article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l’emploi des langues enmatière judiciaire.

III- LES FAITS ET ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE

1. Belgacom, Base et Mobistar sont actives sur le marché de la téléphonie mobile.

La société mère de Belgacom Mobile est l’opérateur historique sur le marché destélécommunications. Depuis 1994, elle exploite par l’intermédiaire de sa filiale un réseaude téléphonie mobile, sous la marque Proximus et en détient le monopole.

Suite à la libéralisation de ce marché, Mobistar y devient active au cours de l’été 1996 etBase y entre en avril 1999.

De nombreux procès opposent les parties depuis lors, tant en ce qui concerne le droit dela concurrence que la régulation de ce marché par l’IBPT.

2. Base décrit comme suit les services de la téléphonie mobile:

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« La fourniture de services de téléphonie mobile implique la fourniture de deux typesde services distincts que sont, d’une part, les services de détail destinés auxutilisateurs finals et, d’autre part, les services de gros, généralement appelés« services d’interconnexion », par lesquels les opérateurs mobiles acheminent dutrafic sur leurs réseaux afin de permettre la fourniture de services de détail.

Les services de détail

Les opérateurs mobiles fournissent différents services de télécommunications auxutilisateurs finals, qui visent des segments ou marchés distincts.

On distingue premièrement les services de téléphonie vocale des services detransmission de données (tels que les SMS, MMS et e-mails, appelés « servicesdata »). Bien que ces services soient généralement fournis comme un ensemble parles opérateurs mobiles, ils constituent des services de nature différente.

On distingue ensuite les offres avec abonnement (également dénommées« postpaid ») et les offres prépayées (ou « prepaid »). Les offres avec abonnementpermettent d’appeler, moyennant le payement d’un abonnement, soit un nombreillimité de minutes par mois, soit de bénéficier de tarifs d’appels plus bas. Ces offressont facturées à la fin de chaque mois. L’utilisateur qui souscrit à une offre prépayéeachète quant à lui une carte contenant un certain crédit d’appels qui lui permetd’appeler à concurrence du montant de ce crédit. Une fois le crédit d’appels épuisé, leclient doit recharger sa carte pour pouvoir continuer à téléphoner.

Il convient de distinguer encore les offres visant le marché résidentiel et celles visantle marché professionnel. Les clients professionnels ont en effet des besoins entélécommunications mobiles totalement différents des clients résidentiels. De plus,les grandes entreprises (dites « grands comptes ») négocient généralement leurscontrats avec les opérateurs mobiles au moyen d’appels d’offres et requièrentsouvent des offres sur mesure en fonction de leurs besoins propres.

On notera déjà à ce stade que BELGACOM applique (et il s’agit là du noeud du présentlitige) une tarification de détail différente selon que les appels de téléphonie vocale sefont sur son réseau (dits appels « on-net »), ou à destination d’un réseau concurrent(à savoir BASE ou MOBISTAR) (dits appels « off-net »). Les différents types d’appelspeuvent se représenter comme suit:

Première situation: l’appelant et l’appelé sont clients du même opérateur (appels« on-net »)

Un appel on-net est intégralement acheminé par un opérateur, de bout en bout, surson réseau.

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1—

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Figure 1

jAppeléAppelant

ProxirnusProximus

Seconde situation ‘appelant et l’appelé ne sont pas clients du même opérateur(appels «off-net )))

Un appel est off-net lorsque l’appelé n’est pas client de l’opérateur appelant. Dans cecas, l’opérateur de l’appelant ne peut acheminer l’appel jusqu’à son destinataire.L’opérateur appelant doit donc demander à l’opérateur de l’appelé (auquel il estinterconnecté) de terminer l’appel, c’est-à-dire d’acheminer l’appel depuis le pointd’interconnexion entre les deux réseaux jusqu’au destinataire. Pour la terminaison decet appel, l’opérateur de l’appelant (dans notre exemple ci-dessous, BASE) rétribuel’opérateur de l’appelé (dans notre exemple, BELGACOM) par le payement d’une chargede terminaison.

Figure 2

Point d’interconnexion

Appelant AppeléBASE Proximus

Plus un opérateur o un parc de clientèle important, plus il générera un nombreimportant d’appels on-net. Par contre, plus son parc de clientèle est petit, plus grandsera le nombre d’appels à destination d’un autre réseau (soit off-net).

Les services de gros ou d’interconnexion

Services d’interconnexion

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En plus de la fourniture de services de détail, les opérateurs mobiles fournissentégalement des services de gros, généralement appelés « services d’interconnexion »,qui consistent à acheminer du trafic sur leur réseau afin de permettre la fourniture deservices de détail. L’article 2, 19°, de la loi du 13 juin 2005 relative auxcommunications électroniques définit l’interconnexion comme la « forme particulièred’accès consistant en la liaison physique et logique des réseaux publics decommunications électroniques utilisés par un même opérateur ou un opérateurdifférent, afin de permettre aux utilisateurs de communiquer entre eux, ou biend’accéder aux services fournis par un autre opérateur». Ce point n’est pas contestépar BELGACOM.

La fourniture de services de communication mobile aux utilisateurs finals requiertessentiellement deux services d’interconnexion, constituant chacun une composanted’un appel, à savoir (i) le service de départ d’appel et (ii) le service de terminaisond’appel.

Le service de départ d’appel

La première composante d’un appel est le service de départ d’appel. li s’agit duservice par lequel un opérateur permet à l’utilisateur final d’accéder à son réseau afinde générer des appels. Ainsi, lorsqu’un utilisateur souhaite effectuer un appel etcompose un numéro, son téléphone mobile transmettra des signaux vers les antennesde son opérateur mobile qui acheminera ce trafic sur son réseau.

Le service de départ d’appel est essentiellement captif, c’est-à-dire que les opérateursse le fournissent à eux-mêmes. Dans la mesure où les réseaux mobiles de chaqueopérateur couvrent l’entièreté du territoire et ont une couverture quasimentidentique, chaque opérateur mobile est en effet en mesure de capter et acheminer surson propre réseau les signaux émis par ses utilisateurs lorsque ceux-ci effectuent unappel, sans devoir utiliser, pour ce faire, le réseau d’un autre opérateur.

Le service de terminaison d’appel

Le service de terminaison d’appel est le service par lequel un opérateur achemine unappel depuis un point d’interconnexion avec son réseau jusqu’à son destinataire; ils’agit de la deuxième composante d’un appel.

Ce service est fourni par un opérateur (I) soit à un autre opérateur, (ii) soit de manière« captive)) à sa propre division de détail. En effet, ii existe deux types d’appels selonl’identité du fournisseur du service de terminaison. Un appel peut être effectué soitentre clients du même opérateur (appel on-net) soit entre clients d’opérateursdifférents (appel off-net):

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Lorsque l’appelant et l’appelé sont clients du même opérateur (appel on-net), cetopérateur est en mesure de terminer l’appel jusqu’à l’appelé en utilisant son propreréseau. Dans ce cas, le service de terminaison est donc fourni de manière « captive))et l’appel est intégralement acheminé par l’opérateur en question : l’appel seragénéré et terminé sur le réseau de l’opérateur auquel sont connectés l’appelant etl’appelé.

Lorsque l’appelé est client d’un autre opérateur que celui de l’appelant (appel off-net),l’opérateur de l’appelant ne sera pas en mesure d’assurer l’acheminement de l’appeljusqu’à son destinataire en utilisant son propre réseau. Dans ce cas, l’opérateur duréseau à partir duquel l’appel est généré devra transmettre l’appel à l’opérateur del’appelé à charge pour celui-ci de terminer l’appel, c’est-à-dire de l’acheminer depuisle point d’interconnexion entre les deux réseaux jusqu’au destinataire. L’opérateur del’appelant rémunère l’opérateur de l’appelé pour la prestation de terminaison d’appeleffectuée en lui payant une « charge de terminaison » (en anglais, « mobiletermination rate » ou « MTR)) en abrégé). Chacun des trois opérateurs mobiles offreaux autres opérateurs mobiles et fixe un service de terminaison d’appel sur sonréseau, dont les conditions sont régies par des contrats d’interconnexion et laréglementation sectorielle. Ainsi, BASE et BELGACOM ont conclu un contratd’interconnexion en 2000 en vertu duquel elles se fournissent des servicesd’interconnexion l’une à l’autre.

Ces flux financiers intervenant dans le cadre de l’interconnexion peuvent êtrereprésentés graphiquement comme suit:

Figure 3

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Dans le cas d’un appel on-net, l’opérateur de l’appelé est évidemment le même quel’opérateur de l’appelant. Ceci n’empêche cependant pas que chaque opérateur estcontraint de comptabiliser les services de terminaison facturés à soi-même.

Les coûts d’interconnexion liés aux appels on-net et off-net

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L’acheminement de trafic (que ce soit pour des appels on-net ou off-net) o donc uncoût : les coûts de départ d’appels et les coûts de terminaison d’appels:

• Les coûts de départ d’appels correspondent aux coûts encourus pour le serviced’interconnexion de départ d’appels. Ils sont identiques pour un appel on-netet off-net, puisque les appels on-net et off-net sont générés sur le réseau dumême opérateur, à savoir, celui de l’appelant. Cette réalité n’est pascontestée par BELGACOM.

• Les coûts de terminaison d’appels correspondent aux coûts encourus pour leservice de terminaison, Ils sont différents pour un appel on-net et off-netpuisque le service de terminaison est fourni par deux opérateurs différents quin’appliquent pas nécessairement les mêmes tarifs de terminaison. Dans le casd’un appel on-net, l’appelant et l’appelé sont clients du même réseau.L’opérateur de terminaison est donc le même que celui sur le réseau duquelest généré l’appel et le coût de terminaison correspond au tarif (charge) determinaison de l’opérateur acheminant l’appel on-net de bout en bout. Pourun appel off-net, l’appelant est connecté à un autre réseau que l’appelé.L’opérateur de terminaison est donc celui de l’appelé qui appliquera sa chargede terminaison à l’opérateur de l’appelant. Cette charge représente dès lorsun coût additionnel pour l’opérateur de l’appelant et doit être prise en comptepar celui-ci lors de la fixation de ses tarifs de détail (en supplément des autrescoûts déjà supportés par cet opérateur et liés à l’utilisation de son propreréseau). Les coûts de ces services de terminaison sont connus. Les opérateurspuissants (dits « SMP ») sont tenus par une obligation d’orientation vers lescoûts. Ces coûts correspondent, en principe, aux tarifs tels qu’approuvés parle régulateur ».

Belgacom ne partage pas entièrement cette présentation des services en cause etprécise qu’en ce qui concerne le service de terminaison d’appel, contrairement à ce queBase et Mobistar prétendent, un appel <t on-net » ne correspond pas à la mêmeprestation technique qu’un appel <t off-net ». En effet, contrairement aux appels « off-net» pour lesquels l’opérateur du réseau de l’appelé fournit un service de grosd’interconnexion à l’opérateur du réseau de l’appelant pour terminer sur son réseaul’appel généré sur le réseau de l’appelant, et ce moyennant le paiement d’une charge determinaison, pour les appels on-net, aucun service de gros d’interconnexion n’est presté(et donc aucune charge de terminaison n’est payée à un autre opérateur) puisque l’appelreste de bout en bout sur un seul réseau. Pour elle, ce constat implique que,contrairement à ce que Base et Mobistar prétendent, les coûts liés à l’acheminementd’un appel on-net sont nécessairement moins élevés que ceux pour un appel off-net. Eneffet, outre le fait qu’un appel on-net ne nécessite pas de passage par uneinterconnexion entre des réseaux distincts et n’entraîne pas techniquement le paiementformel d’une charge de terminaison, il échet de souligner qu’un appel on-net ne doit pasêtre acheminé par des liens d’interconnexion établis entre des réseaux distincts (qui

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Cour d’appe’ Bruxelles — 2012/AR/1— p. 12

représentent un coût technique supplémentaire pour un appel off-net, distinct du tarifde terminaison payable à l’opérateur de la destination de l’appel). Ces différences entreles appels « on-net » et les appels « off-net » ont d’ailleurs été reconnues par Mobistar,ainsi que par France Télécom, la société mère de Mobistar. Elles ont également étéconfirmées par l’IBPT — en matière de téléphonie fixe — et la Commission européenne.Pour le service de départ d’appel, Belgacom soutient, contrairement à ce que Baseprétend qu’il ne constitue pas un service de gros d’interconnexion en téléphonie mobile.Le départ d’appel constitue en effet plutôt un service de détail dans la mesure où,comme Base le reconnaît, il s’agit d’un service par lequel un opérateur permet àl’utilisateur final d’accéder à son réseau afin de générer des appels. En outre, le départd’appel constitue tout au plus une partie d’un service de gros, qui n’est autre que laprestation miroir du service de détail précité. A cet égard, il faut souligner que lesfournisseurs de services mobiles susceptibles de solliciter un accès au service de gros dedépart d’appel ne disposent pas d’un réseau mobile propre et sont dès lors dépendantsd’un opérateur de réseau mobile (comme, par exemple, les MVNO). La fourniture d’unéventuel service de gros de départ d’appel par un opérateur de réseau mobile n’impliquedonc, contrairement à ce Base laisse supposer, aucune interconnexion —supposant,conformément à la définition réglementaire de cette notion, une liaison physique etlogique entre, à tout le moins, deux réseaux— entre l’opérateur et le fournisseur deservices mobiles sollicitant un accès à ce service de gros. Belgacom en conclut que lathèse de Base et Mobistar selon laquelle les coûts liés au départ d’appel seraient dumême ordre de grandeur que les tarifs applicables pour la terminaison d’appel ne peutêtre suivie.

3. Par exploit du 25 juin 2003, Base fait citer Belgacom devant le tribunal de commerce deBruxelles.

Elle se plaint que, depuis octobre 2000, elle s’est vu appliquer par Belgacom un tarif MTRexagéré pour la terminaison de ses appels sur le réseau Proximus. Elle reproche parailleurs à Belgacom d’abuser de sa position dominante dans l’élaboration de ses tarifs,faisant ainsi obstacle à une concurrence loyale, ce qui constitue une violation de l’article82 du Traité CE (actuellement 102 TFUE). Elle lui réclame 18.642.852,00 € et561.970.098,00 € de dommages et intérêts (portés à 32.206,174,00 € et 955.922.982,00€ dans les dernières conclusions prises devant le premier juge) ainsi que l’interdictiond’appliquer des tarifs pour ses propres clients dont l’effet est de les fidéliser, sous peined’une astreinte de 200.000,00 € par jour, ainsi que des tarifs d’interconnexion moyenssupérieurs à 0,1061 € par minute, sous peine d’une astreinte de 200.000,00 € par jour,demande dont elle sollicitera ultérieurement la suspension à statuer dans l’attente d’unedécision de la cour d’appel sur l’appel d’une ordonnance de cessation du président dutribunal de commerce de Bruxelles du 12 décembre 2005 (cf. infra).

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Mobistar intervient volontairement à la cause par requête déposée le 1et mats 2004. Ence qui concerne les tarifs d’interconnexion, elle sollicite le paiement de sommesprovisionnelles de 967.000,00 € et 56.000.000,00 € si le tribunal devait décider queBelgacom avait violé son obligation d’orientation sur les coûts. Elle considère égalementque Belgacom a violé l’interdiction d’abus de position dominante édictée par l’article 82CE (actuellement 102 TFUE) et l’article 3 de la loi du 5 août 1991 sur la protection de laconcurrence économique (ci-après LPCE), en appliquant certaines pratiques tarifairesd’exclusion dont l’effet est de fidéliser sa clientèle. Elle sollicite la désignation d’unexpert pour calculer son dommage qu’elle évalue provisionnellement à la somme de50.000.000,00 € pour la période de 2001 à 2003.

Belgacom introduit une demande reconventionnelle en paiement de 200.000,00 €charge de Base et 100.000,00 € à charge de Mobistar pour procédure téméraire etvexatoire.

4. Le jugement entrepris:

« déclare l’action de Base et l’action en intervention de Mobistar relatives à uneprétendue violation de Proximus de l’obligation d’orientation vers les coûts recevablesmais non fondées;

déclare l’action de Base et l’action en intervention de Mobistar relatives à un abus deposition dominante recevables;

dit qu’il n’y a pas lieu à surseoir à statuer sur la demande de Base d’interdire à la S.A.Belgacom Mobile d’encore appliquer, pour des appels au départ et à destination deson réseau, des tarifs aux utilisateurs finaux intégrant une différenciation tarifaire «on-net et off-net» dont l’effet serait de restreindre la concurrence, dans l’attente d’unarrêt de la Cour d’appel de Bruxelles coulé en force de chose jugée qui interviendrait àla suite d’un appel éventuel qui serait interjeté contre l’ordonnance de cessation duPrésident du Tribunal de [commerce de Bruxelles] du 12 décembre 2005;

déclare la demande précitée d’interdiction à la 5.A. Belgacom Mobile ainsi que lademande de dommages et intérêts, fondée sur l’abus de position dominante reprochéà la S.A. Belgacom Mobile pour la période postérieure au 18février 2005, irrecevablesen raison de l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’ordonnance de cessation duPrésident du Tribunal de céans du 12 décembre 2005 (R.G. A/05/01911A15F).

Avant dire droit quant au fond des demandes de dommages et intérêts formulées parBase et Mobistar, désigne, en qualité d’expert judiciaire, formant collège:

Monsieur Robert Wtterwulghe,

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Professeur émérite à l’Université Catholique de LouvainAvenue Orban 214 -1150 BRUXELLES - TéL : 02.779.06.06EtMonsieur Cyril Nourissat,Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3(Rue Commandant Charcot 122 ter - 69005 LYON);

avec pour mission, après avoir entendu les parties, pris connaissance de leurs dossierset s’être entouré de tous renseignements utiles:

— de déterminer si, pendant les années 1999 à 2004, les offres tarifairescritiquées par les demanderesses et présentant une différenciation entre lestarifs « off-net » et tt on-net », ceux-ci étant très bas, ont eu des effets anti-concurrentiels dommageables pour Base et/ou Mobistar sur le marché belgedes services de télécommunications mobiles de détail par une exploitation deseffets de réseaux.

Dans l’affirmative, de tenter de déterminer le dommage qui aurait été causéde ce fait à Base et/ou à Mobistar pendant la période retenue de 1999 à 2004.

— de déterminer si Belgacom Mobile, entre 1999 et 2004, o, par les offrestarifaires critiquées par Base et Mobistar, pratiqué des prix ciseaux, en seréférant aux critères retenus par le Tribunal dans le présent jugement dans lasection C.3.

Dans l’affirmative, de tenter de déterminer le dommage qui résulterait depratiques de prix ciseaux pour Base et/ou Mobistar pendant la périodeconcernée de 1999 à 2004.

— de faire toute observation de nature à éclairer le Tribunal;

— de tenter de concilier les parties et, dans la négative, de dresser de sesinvestigations un rapport écrit motivé, circonstancié et signé de sa main, lasignature étant précédée de la formule du serment.))

5. Belgacom interjette appel de cette décision. Aux termes de ses dernières conclusions,elle demande à la cour de

« se déclarer sans juridiction pour connaître des demandes de [Base] et de Mobistar;

subsidiairement, déclarer les demandes formulées par [Base] et par Mobistar devantle tribunal de commerce irrecevables et à tout le moins non fondées;

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accueillir la demande reconventionnelle de Belgacom et dès lors condamner [Base] etMobistar au paiement à Belgacom à titre de dommages et intérêts les sommessuivantes, estimées provisionnellement: 200.000 à charge de [Base] et 100.000 €charge de Mobistar;

à titre encore plus subsidiaire et après réouverture des débats procéder — s’il échet — àla désignation d’un ou de plusieurs nouveaux experts ayant toutes les qualitésrequises pour effectuer la mission d’expertise.

Déclarer les appels incidents de [Base] et Mobistar irrecevables et à tout le moins nonfondés;

en toute hypothèse écarter des débats toute pièce (rapport, document de travail, etc.)émanant des experts remplacés par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 6 mars2012 et en conséquence, ne pas tenir compte de leur utilisation dans les écrits de[Base] et Mobistar;

condamner [Base] et Mobistar aux entiers dépens, en ce compris l’indemnité deprocédure. »

6. Base interjette appel incident. Aux termes de ses dernières conclusions, elle demande àla cour de

« En ce qui concerne l’appel de BELGACOM:

- dire l’appel principal de BELGACOM non-fondé;

En ce qui concerne l’appel incident de BASE:

- dire l’appel incident de BASE recevable et fondé, et en conséquence, mettre à néantle Jugement entrepris du 29 mai2007 en ce qu’il:

— limite la définition du marché de détail au marché de la téléphonie mobile prisdans son ensemble, sans retenir également la possibilité de marchés plus étroitscomprenant (i) le marché des services de téléphonie mobile « prepaid », (ii) lemarché des services de téléphonie mobile « postpaid » aux clients résidentiels, et(iii) le marché des services de téléphonie mobile « postpaid » aux clientsprofessionnels;

— considère que les tarifs « on-net » extrêmement bas pratiqués par BELGACOMn’étaient pas constitutifs de prix prédateurs ni de rabais de fidélité interdits parl’article 102 TFUE;

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— déclare non fondées les demandes d’indemnisation de BASE tirées de la violationpar BELGACOM de son obligation d’orienter ses tarifs de terminaison sur sescoûts;

- et, faisant ce que les premiers juges auraient dû faire,

- Sur les abus de position dominante,

— à titre principal: dire pour droit que BELGACOM a abusé de sa position dominanteen pratiquant des prix prédateurs et des rabais de fidélité, et étendre la missiondes experts à la détermination du dommage résultant de ces abus;

— à titre subsidiaire: étendre la mission des experts à la détermination de l’existencede prix prédateurs et de rabais de fidélité et, dans l’affirmative, à la déterminationdu dommage résultant de ces abus.

- Sur la violation de l’obligation d’orientation sur les coûts,

— à titre provisionnel, condamner BELGACOM à payer à BASE la somme de32.206.174 euros à augmenter des intérêts compensatoires au taux fixé en vertude la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de payement dans lestransactions commerciales, à compter du 15 août 2003 (date médiane entre le 1eroctobre 2000 et le 31 décembre 2005);

— étendre la mission des experts à la détermination définitive du dommagerésultant de cette violation;

Pour le surplus, confirmer le Jugement entrepris du 29 mai 2007.

En tout état de cause:

— condamner BELGACOM aux entiers dépens des deux instances.

En ce qui concerne la suite de la procédure:

— par application de l’article 1068, alinéa 2, du code judiciaire, renvoyer l’affaire enprosécution de cause devant les premiers juges. »

7. Mobistar interjette également appel incident. Aux termes de ses dernières conclusions,elle demande à la cour de

« Quant à l’appel principal de Belgacom:

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Déclarer l’appel non fondé, en ce compris la demande reconventionnelle;Confirmer le jugement dont appel sous réserve de l’appel incident de Mobistar;

Quant à l’appel incident de Mobistar:

Mettre à néant le jugement entrepris en ce qu’il:

— retient une définition du marché relevant comme comprenant les services detélécommunications mobiles de détail, sans retenir une définition plus étroite dumarché, segmentant le marché des services de télécommunications mobiles dedétail entre le marché des services de télécommunications mobiles de détail àdestination de la clientèle affaires et le marché des services detélécommunications mobiles de détail à destination de la clientèle résidentielle;

— exclut l’existence d’une position dominante dans le chef de Belgacom, quelle quesoit la définition du marché retenue, pour la période 2005 et 2006;

— rejette le grief selon lequel les pratiques tarifaires de Belgacom contiennent desrabais de fidélité abusifs;

— rejette le grief selon lequel les pratiques tarifaires de Belgacom constituent despratiques de prix d’éviction;

En conséquence de quoi Mobistar demande à la Cour de:

A titre principal

— confirmer la mission d’expertise et, pour autant que de besoin, la compléter, en cequi concerne la période et les abus visés et, le cas échéant, renvoyer l’affaire aupremier juge;

A titre subsidiaire

— condamner la SA Belgacom au paiement de dommages et intérêts à Mobistar,d’un montant évalué provisionnellement entre EUR 967.000 et EUR 56.000.000pour la période prenant cours à partir de 1999, à majorer des intérêts judiciaires,pour autant que le juge, dans sa sagesse, considère que la SA Belgacom o violé sesobligations en matière d’interconnexion en imposant des tarifs de terminaisonnon orientés sur les coûts;

— constater que la SA Belgacom a violé l’interdiction d’abus de position dominante,telle qu’édictée par l’article 102 TFUE et l’article 3 de la loi du 5 août 1991 sur laprotection de la concurrence économique;

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— constater que la SA Mobistar a souffert un dommage dû à ces infractions;

— condamner la SA Belgacom au paiement de dommages et intérêts à Mobistard’un montant évalué provisionnellement à EUR 484.000.000 pour la périodeprenant cours à partir de 1999, à majorer des intérêts judiciaires, du fait del’application de pratiques tarifaires abusives, au sens de l’article 102 TFUE et del’article 3 de la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique;

— le cas échéant, désigner un expert afin d’être éclairée quant à l’étendue dudommage souffert par Mobistar à la suite des abus de position dominantecommis par Belgacom, ainsi que, le cas échéant, du fait de la violation parBelgacom de ses obligations en matière d’interconnexion en 1mposant des tarifsde terminaison non orientés sur les coûts, et, ce, à partir du premier janvier 1999,à majorer des intérêts judiciaires;

Condamner Belgacom à la totalité des dépens, en ce compris l’indemnité deprocédure ».

8. Par requête déposée au greffe de la cour le 30 septembre 2014, Belgacom sollicite de lacour l’autorisation de produire l’avant-projet partiel du rapport transmis le 19 septembre2014 par les experts remplaçant ceux nommés par le premier juge, ainsi que lacorrespondance échangée par les parties à cet égard. Elle sollicite égalementl’établissement d’un nouveau calendrier d’échange de conclusions, si la cour l’estimenécessaire.

IV- DISCUSSION

9. Eu égard à l’ampleur démesurée des conclusions déposées par les parties (2.311 pages),lesquelles contiennent par ailleurs des milliers de notes de bas de page (8.514exactement), ainsi qu’aux quelques 20.000 pages de pièces, et au fait qu’elles ontstructuré leurs conclusions en opérant une nette distinction entre l’exposé des faits et ladiscussion en droit, la cour répondra aux moyens en droit soulevés par les parties enrespectant le même schéma que celui suggéré par elles dans leurs tables des matièresrespectives, n’ayant pas les moyens structurels et humains pour examiner la naturejuridique de faits qui ne sont pas spécialement invoqués à l’appui des différentesdemandes et défenses. Belgacom précise du reste expressément que la partie Il de sesconclusions est consacrée au « cadre factuel)) dans lequel s’inscrit la procédure d’appel,

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la partie IV étant dédiée «à l’analyse juridique des nombreux moyens dirigés par lesparties)) à l’encontre du jugement entrepris (cf. les dernières conclusions d’appel deBelgacom, p.24, n5). C’est pourquoi, la cour ne répondra pas à l’énonciation de faits oud’allégations qui ne sont suivies d’aucune déduction juridique spécifique ou auxraisonnements qui ne sont pas de nature à influer sur la solution du litige ou qui lui sont

étrangers et se limitera à des considérations qui suffiront à asseoir sa conviction,considérant que les autres moyens et/ou arguments développés de part et d’autre sontsurabondants et ne sauraient amener la cour à un dispositif différent.

La cour ne répondra pas davantage aux notes figurant parmi les pièces des parties et

contenant un argumentaire (cf. par exemple la pièce Vl.17 de Base) qui ne constituentpas des conclusions de synthèse au sens des articles 748 bis et 780 du Code judiciaire.

A.- SUR LES MOYENS DE PROCEDURE

1.- Sur les rapports des premiers experts

10. Belgacom demande à la cour d’écarter des débats toute pièce (rapport, document de

travail, etc.) émanant des experts remplacés par l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du

6 mars 2012 et en conséquence de ne pas tenir compte de leur utilisation dans les écrits

de Base et Mobistar.

Vainement Mobistar y oppose-t-elle l’article 740 du Code judiciaire. Cette disposition

n’est pas applicable à la demande de Belgacom.

C’est également en vain qu’elle se prévaut d’un arrêt de la Cour de cassation du 25 avril

1991 (R.G. 9123) selon lequel « la circonstance que l’avis d’un homme de l’art aurait été

donné en outrepassant la mission qui lui a été impartie, n’empêche pas que les examens

effectués, les constatations faites et l’avis exprimé sont des éléments constants dans

lesquels le juge, dès lors qu’ils sont invoqués dans la cause par une partie et que la preuve

par présomptions est autorisée, peut, par une appréciation en fait, puiser des

présomptions au sens de l’article 1349 du Code civil, de nature à faire preuve dans les

conditions prévues à l’article 1353 du même code », dès lors que l’exemple visé ne

s’apparente pas au cas d’espèce. Dans l’espèce examinée par la Cour de cassation,

l’expertise était amiable. Dans la présente espèce, l’expertise est judiciaire.

Par l’effet dévolutif de l’appel, le juge d’appel est, dans les limites de l’appel formé par

les parties, saisi du jugement de l’ensemble de la cause ; cet effet est cependant limité

par la décision du juge d’appel qui confirme, même partiellement, une mesure

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d’instruction ordonnée par le premier juge et le juge d’appel ne peut, dès lors, fonder sadécision sur l’appréciation des résultats de la mesure d’instruction dont le premier jugeest seul appelé à connaître (Cass., 30 avril 2001, R.G. S.99.0084.F; Cass., 30 septembre1996, R.G. S.95.0134.f; Cass., 24 décembre 1987, R.G. 7539).

Ne pouvant fonder sa décision sur l’expertise ordonnée par le premier juge, la cour nepeut donc qu’écarter les rapports et les pièces qui s’y rapportent s’ils sont déposés. Danscette mesure, la demande est fondée.

2.- Sur la requête en production de pièces

11. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, la requête de Belgacom,tendant à produite l’opinion des nouveaux experts désignés par le tribunal de commercede Bruxelles en remplacement de ceux qui avaient été désignés par le jugemententrepris n’est pas fondée, la cour ne pouvant y avoir égard.

3.- Sur la transaction du 31 août 2001 intervenue entre Belgacom et Base

12. Belgacom soutient qu’à la suite d’une action en cessation introduite par Base contre elle,le 5 décembre 2000, les parties ont signé une convention de transaction, le 31 août2001, aux termes de laquelle elles ont convenu irrévocablement de soumettre le litigequi les opposait au régulateur, l’IBPT. Elle en déduit que les tribunaux de l’Ordrejudiciaire sont sans juridiction ou, à tout le moins, sans compétence pour connaître duprésent litige, dès lors que les parties ont clairement exprimé leur volonté qu’il soitpoursuivi devant l’autorité de régulation.

13. L’action en cessation mue par Base concernait la tarification du service de terminaisonsur le réseau Proximus d’appels en provenance du réseau de Base ainsi que certainsplans tarifaires proposés par Belgacom pour les appels de Proximus à Proximus. Sansaucune reconnaissance préjudiciable, les parties ont décidé « de soumettre le litige àl’IBPT dans le cadre d’une procédure de conciliation » et de se désister de l’instance muedevant le juge des cessations.

Aux termes de l’article 75 § 8 de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certainesentreprises publiques économiques, en vigueur à l’époque, l’IBPT ne disposait cependantque d’une compétence d’avis non contraignant en vue de mettre fin à un litige.

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Aucune des parties n’a sollicité l’avis de l’IBPT

Il ne peut être soutenu que la convention du 31 août 200f s’analyse comme unetransaction, au sens de l’article 2044 du Code civil, puisque les parties n’ont pu s’engagerà « terminer une contestation née ou à prévenir une contestation à naître» et ainsi àmettre fin à tout litige entre Base et Belgacom. Le seul engagement procédural contenudans la convention est celui de se désister de l’instance en cessation, ce qui n’empêchepas la réitération de la demande. En tout état de cause, la présente action a un autreobjet que celui visé par la citation du 5 décembre 2000 puisqu’elle tend à l’octroi dedommages et intérêts en raison de fautes commises par Belgacom, pour laquelle leprésident du tribunal de commerce de Bruxelles n’est pas compétent.

Tout au plus, cette convention pourrait-elle être interprétée comme un engagementd’obtenir un avis de l’IBPT sur une des questions litigieuses, à savoir s’il existait unediscrimination dans le chef de Belgacom sur l’application à ses propres clients d’un tarifcc on-net» différent du tarif de terminaison qu’elle exigeait pour les clients de Base. Lefait que Base n’ait pas sollicité cet avis — pas plus que Belgacom d’ailleurs — ne peutconstituer une fin de non-recevoir.

C’est donc à bon droit que le premier juge a dit non fondée l’exception d’absence dejuridiction àu, à tout le moins, de compétence du tribunal de commerce de Bruxelles.

4.- Sur la convention d’interconnexion entre Belgacom et Mobistar

14. L’article 18 de la convention d’interconnexion, conclue entre Belgacom et Mobistar, le 19janvier 1999, prévoit que les parties doivent conduire des négociations de bonne foi dansle but d’essayer de trouver un accord concernant tous les litiges relatifs àl’interprétation, l’application et la mise en oeuvre de cette convention et qu’à défaut,avant de saisir les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, elles marquent leur accordpour utiliser « dans la plus grande mesure du possible)) toutes les procéduresdisponibles devant I’IBPT.

Belgacom soutient qu’aussi longtemps que ces mécanismes contractuels de résolutiondes conflits n’ont pas été respectés, le pouvoir judiciaire est sans juridiction pourprendre connaissance des demandes de Mobistar.

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15. Le litige dont la cour est saisie concerne des fautes extracontractuelles que Belgacomaurait commises sur le marché de détail en ne respectant pas des dispositions légales, àsavoir, les articles 102 du TFUE et 3 de la LPCE.

Ni Mobistar ni Base n’invoquent un quelconque manquement contractuel dans le chefde Belgacom. Par ailleurs, le litige qui oppose les parties n’est pas relatif àl’interprétation, l’application ou la mise en oeuvre de l’accord d’interconnexion quiconcerne le marché de gros et n’a aucun lien direct ou indissociable avec ces questions,notamment en ce qui concerne les MTR, dans la mesure où l’action intentée par Baserelative à l’obligation d’orientation sur les coûts (qui est un tiers par rapport à laconvention du 19janvier 1999) et à laquelle Mobistar entend se joindre si elle est admisepar la cour, n’a pas pour objet de modifier les dispositions contractuelles, mais desanctionner, par des dommages et intérêts, la violation d’une obligation en amontd’origine légale et réglementaire d’orientation des tarifs sur les coûts, à savoir l’articlelO9ter §4 de la loi du 21 mars 1991.

Au demeurant, l’article 18 de la convention d’interconnexion n’impose l’intervention del’IBPT — qui, pour rappel, n’a qu’un pouvoir d’avis non contraignant — que dans « la plusgrande mesure possible », ce qui constitue une obligation de moyen; or, Belgacom nedémontre pas en quoi, dans le cadre du climat d’extrême tension qui oppose les partiesdepuis qu’elles sont devenues concurrentes, l’abstention de Mobistar de saisir l’IBPTconstituerait une faute. Mobistar affirme au contraire avoir bien entamé desnégociations, mais dont il ne peut être fait état en raison d’une clause de confidentialitéqui lie les parties.

Il s’ensuit que, dans le cas d’espèce, l’article 18 de la convention d’interconnexion netrouve pas à s’appliquer.

En tout état de cause, sa violation n’est, tout au plus, que susceptible d’entraîner laresponsabilité contractuelle de la partie qui s’abstient de la mettre en oeuvre, mais nepeut constituer une fin de non-recevoir, à défaut de disposition légale la prévoyant,d’autant qu’il n’est pas soutenu qu’il s’agirait d’une clause de médiation.

16. Enfin, la convention du 19 janvier 1999 ne concerne que l’interconnexion entre lesréseaux et est étrangère, par nature, aux griefs déduits d’un abus de position dominante.Dès lors que la cour déboute Base et, par voie de conséquence, Mobistar de leursdemandes fondées sur une violation de l’obligation d’orientation des MTR sur les coûts(cf. infra), il est sans utilité de rencontrer plus avant les autres arguments soulevés parBelgacom.

17. L’appel sur ce point n’est pas fondé.

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5.- Sur l’exception de chose jugée et l’opposabilité aux tiers de la décision judiciaire

18. Belgacom soutient que l’action de Base, à laquelle Mobistar s’est ensuite associée, seheurte à l’autorité de la chose jugée dont bénéficient deux décisions du président dutribunal de commerce de Bruxelles, rendues comme en référé, les 12 décembre 2005 et23 août 2006, dans lesquelles il aurait été dit que Belgacom ne disposait pas d’uneposition dominante sur le marché de la téléphonie mobile. Selon Belgacom, cetteautorité de chose jugée s’attache également à la période précédant la date des citationsrespectives à l’origine de ces deux décisions.

Le premier juge a partiellement admis cette exception, mais uniquement pour la périodepostérieure à la citation du 18février 2005 (lire du 23 février 2005).

19. Par une citation du 23 février 2005, Base a assigné Belgacom en cessation devant leprésident du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant comme en référé. Elle luireprochait d’appliquer des tarifs pour les appels « on-net » plus bas que les tarifs àdestination des autres réseaux mobiles, pratique qu’elle considérait comme contraireaux articles 93 et 94 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et surl’information et la protection du consommàteur, et sollicitait la cessation de ces tarifs.

Par un jugement du 12 décembre 2005, le président du tribunal de commerce a constatéque la différenciation pratiquée par Belgacom paraissait établie et qu’elle n’était parailleurs pas contestée par elle. Il a rejeté cependant la demande de cessation au motifque la position dominante de Belgacom n’était pas démontrée, et ce sur la base desconsidérations suivantes

— « Belgacom Mobile apparaît bien actuellement comme occupant encore une partde marché plus étendue que celle occupée par chacun des deux autres opérateurspris séparément, mais pas nécessairement plus étendue que celle occupée par sesdeux concurrents mis ensemble »;

— « si historiquement Belgacom Mobile disposait d’une avance et de l’avantage desa situation de famille (issue de la RTr), t...) les deux autres opérateurs (...) sontd’ailleurs eux-mêmes soutenus par des opérateurs téléphoniques forts dans leurentité nationale originelle propre; la ‘dominance’ historique n’est donc pas (ouplus) existante))

— « si en Belgique, le service de l’interconnexion demeure pour une grande partieentre les mains de Belgacom Mobile, cette dernière est cependant liée par destarifs régulés et fixés par l’IBPI [et] ne maîtrise donc plus le prix de ce seulavantage économique qu’elle possède sur ses concurrents »;

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— « la prise de position de Base et Mobistar sur le marché concerné progresse alors

que celle de Belgacom Mobile diminue quelle que soit l’extension du marché

concerné));— « il échet de tenir compte du pouvoir d’achat de la clientèle ».

Par ailleurs, Mobistar a fait citer Belgacom par exploit du 3 juin 2005 devant le même

magistrat pour entendre notamment constater qu’en offrant aux autorités fédérales et à

leurs fonctionnaires des communications nationales à des prix d’éviction et moyennant

des rabais abusifs, Belgacom violait tes articles 82 CE et 3 de la LPCE. Elle sollicitait la

cessation de telles offres.

Par un jugement du 23 août 2006, le président du tribunal de commerce a rejeté cette

demande au motif que le marché en cause était soumis aux exigences d’un appel d’offres

et non simplement à la loi de l’offre et de la demande, et en a déduit que la puissance

économique de Belgacom sur ce marché n’était pas dominante.

20. L’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’à ce que le juge a décidé sur un point litigieux

et à ce qui, en raison de la contestation portée devant lui et soumise à la contradiction

des parties, constitue, fût-ce implicitement, le fondement nécessaire de sa décision

(Cass., 23 octobre 1979, Pas., 1980, I, 245; Cass., 28 mars 1980, Pas., 1980, I, 940; Cass.,

24 décembre 1981, Pas., 1982, I, 557; Cass., 13 juin 2002, R.G. C.99.0405.N). L’autorité

de la chose jugée n’est donc pas limitée au dispositif de la décision, mais s’étend aux

motifs inséparables qui constituent le soutien nécessaire ou lui sont indissociablement

liés fCass., 14 mai 1982, Pas., 1982, I, 1026).

Sous son aspect positif, l’autorité de la chose jugée apparaît comme la base processuelle

sur laquelle des conséquences pourront être déduites. Saisi d’un nouveau procès, le juge

sera tenu de prendre comme donnée le contenu de la décision antérieure. Dès qu’une

question litigieuse préalable a été tranchée, la solution qui lui a été donnée acquiert

autorité de la chose jugée, s’imposant désormais au juge chargé de régler, entre les

mêmes parties, des procès ultérieurs fussent-ils différents (J. van Compernolle,

« Considérations sur la nature et l’étendue de la chose jugée en matière civile», R.C.J.B.,

1984, p.253, n°18). Par cet effet positif, l’autorité de la chose jugée a un véritable rôle

probatoire. Elle fera tenir pour vraie une chose (sumit pro vero) sans qu’il soit besoin de

rapporter une autre preuve (prae). Présomption funs et de jure puisqu’il n’est pas

possible (c’est la fonction négative de l’autorité de chose jugée) de la renverser (O.

Captasse, « L’effet des décisions judiciaires à l’égard des tiers », Le contentieux

interdisciplinaire, Bruylant, p.269-27O).

Il appartient au juge de rechercher ce qui a été antérieurement contesté et jugé, en fait

et en droit et de vérifier si la nouvelle demande tend à obtenir une décision sur une

question litigieuse qui, après avoir été soumise à un débat, a été tranchée par un acte

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juridictionnel antérieur, en manière telle que la prétention nouvelle, si elle est admise,serait de nature à contredire ce qui a été certainement jugé (J. van Compernolle et G.Closset-Marchal, « Examen de jurisprudence (1985 à 1996). Droit judiciaire privé »,R.C.J.B., 1997, pp. 527-528).

De ce qu’il n’y a pas identité entre l’objet et la cause d’une action définitivement jugée etceux d’une autre action ultérieurement exercée entre les mêmes parties, il ne se déduitpas nécessairement que pareille identité n’existe à l’égard d’aucune prétention oucontestation élevée par l’autre partie, dans l’une ou l’autre instance ni, partant, que lejuge puisse accueillir une prétention dont le fondement est inconciliable avec la choseantérieurement jugée (Cass., 27 mars 1998, Pas., 1998, I, 406; Cass., 14 février 2002,R.G. C.99.088.N; J.-Fr. van Drooghenbroeck et Fr. Balot, <cL’autorité de la chose jugéehappée par la concentration du litige », L’effet de la décision de justice, Contentieuxeuropéens, constitutionnel, civil et pénal, CUP, 2008, vol. 102, p.171).

21. Le président du tribunal de commerce de Bruxelles a été saisi, en 2005, de la questionlitigieuse de savoir si Belgacom disposait d’une position dominante sur le marché desservices de téléphonie mobile, « défini très largement ».

Il s’ensuit qu’il est sans pertinence que l’action en cessation était fondée sur une loi depolice et visait une interdiction pour l’avenir, alors que la présente action a trait à uneréparation du préjudice en relation causale avec des fautes commises dans le passépuisqu’en l’espèce, le fait générateur des deux actions est le même, à savoir une mêmepratique de prix considérée comme un abus de position dominante.

S’agissant d’apprécier l’effet positif de la chose jugée sur le plan de la force probante dela décision invoquée, il importe peu également que la présente action ait été intentéeavant celle qui a fait l’objet du jugement du 12 décembre 2005 puisque, pour décider s’ily a autorité de la chose jugée, il convient de vérifier si un deuxième juge ne serait pasamené à devoir juger de points de fait ou de droit sur lesquels un premier juge s’est déjàprononcé. L’ordre dans lequel les deux juges ont été saisis est sans importance dans cecas de figure.

Il s’ensuit que dans l’attente d’une décision contraire de la cour d’appel, si elle devaitêtre saisie d’un appel du jugement du 12 décembre 2005 qui n’a toujours pas été signifiéaux dires des parties, il y a lieu de considérer qu’il est légalement présumé qu’à la date àlaquelle le président du tribunal de commerce de Bruxelles a statué, Belgacom nedisposait pas d’une position dominante sur le marché des services de téléphonie mobile.Comme le rappelle à bon droit le premier juge, ce jugement est un jugement déclaratoirequi ne crée pas de droits nouveaux et qui rétroagit uniquement à la date del’introduction de l’instance, soit le 18 février 2005 (lire le 23 février 2005). Il n’a pasd’effet rétroactif antérieur, le président du tribunal de commerce ayant d’ailleurs très

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lllE

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Cour d’appel Bruxelies — 2012JAR/1— p. 26

clairement indiqué qu’il prenait en considération la situation « actuelle » (cf. page 9,

dernier alinéa) qu’il comparait à l’évolution des parts de marché détenues dans le passé

(cf. page ;,4eme alinéa: « La ‘dominance’ historique n’est donc pas (ou plus)

existante »).

Le président du tribunal de commerce n’a pas pu statuer non plus pour l’avenir, puisque,

comme le souligne Mobistar (point 217 de ses conclusions), la dominance est un constat

éphémère par nature. En effet, le comportement que l’entreprise considérée comme

étant en position dominante sera, par la suite, amenée à adopter afin d’éviter une

infraction éventuelle à l’article 102 du traité est ainsi fonction d’une série de paramètres

qui traduisent, à chaque moment, les conditions de concurrence prévalant sur le marché.

En outre, dans le cadre d’une éventuelle décision d’application de l’article 102 du traité,

[le tribunal ou la cour] devra de nouveau définir le marché pertinent et procéder à une

nouvelle analyse des conditions de concurrence qui ne sera pas nécessairement fondée

sur les mêmes considérations que celles ayant été à la base de la contestation antérieure

de l’existence d’une position dominante (TUE 22 mars 2000, T-125/97 et T-127-97, Coca-

Cola, points 81 et 82).

Pour la période postérieure au 12 décembre 2005, Base a confirmé à la cour, à l’audience

du 9 octobre 2014, que sa demande ne portait que sur les années 1999 à 2004 incluse.

En revanche, à l’audience du 10 octobre 2014, Mobistar a rappelé que sa demande

d’indemnisation pour abus de position dominante s’étendait également à l’année 2006.

Il lui appartiendra donc d’établir que les conditions d’application de l’article 102 du TFUE

sont réunies pour cette année-là.

Pour la période du 23 février au 12 décembre 2005, vainement Belgacom dénie-t-elle à

Mobistar, tiers au jugement du 12 décembre 2005, en vertu du principe de l’autorité

erga omnes de la chose jugée en cessation, tout droit à apporter la preuve contraire de

ce qu’a décidé le président du tribunal de commerce quant à l’absence de position

dominante de Belgacom. Outre qu’il convient d’observer que le président du tribunal de

commerce n’a pas prononcé d’ordre de cessation, « par analogie avec la jurisprudence

constante de la Cour de cassation depuis son arrêt Stappers du 15 février 1991,

l’opposabilité erga omnes de l’ordre de cessation devra céder le pas aux exigences des

droits de la défense chaque fois qu’il s’agira d’en déduire des conséquences judiciaires à

l’encan tre des tiers. On ne voit pas ce qui ferait obstacle à la transposition, dans le

régime des actions ‘comme en référé’, de cette salutaire soupape à l’opposabilité erga

omnes des décisions statuant sur l’action publique en matière répressive » (J.-Fr. van

Drooghenbroeck et Fr. Balot, « L’autorité de la chose jugée happée par la concentration

du litige », L’effet de la décision de justice. Contentieux européens, constitutionnel, civil

et pénal, CUP, 2008, vol.102, p.195-l96). S’agissant de la constatation d’une situation de

fait, la décision du 12 décembre 2005 a force probante à l’égard de Mobistar (Cass., 16

octobre 1981, Pas., 1982, I, 240) et lui est donc opposable, sous réserve de la preuve

contraire et en particulier de la tierce opposition, qui, aux dires de Mobistar, n’a pas été

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 27

entreprise. Quand bien même il est « difficilement concevable que le constat de

l’absence de position dominante de Proximus sur le marché mobile vaudrait à l’égard de

Base et non de Mobistar », il est juridiquement loisible à Mobistar d’apporter la preuve

contraire, dans le cadre de la présente instance.

L’appel de Belgacom, sur ce point — qui demande d’étendre l’autorité de la chose jugée à

la période antérieure à la citation en cessation - n’est pas fondé, à l’inverse de celui de

M obista r.

22. En revanche, rien ne permet d’affirmer que le jugement du 23 août 2006 serait revêtu de

l’autorité de la chose jugée.

Les circonstances de fait entre la présente cause et celles ayant conduit audit jugement

ne sont pas identiques.

En effet, l’absence de position dominante décrétée par le président du tribunal

concernait un marché tout à fait spécifique qui n’est pas en cause dans la présente

procédure. Il s’agissait du marché relatif à un appel d’offres lancé en août 2004 par le SPF

Personnel et Organisation concernant des services de télécommunications mobiles au

profit des autorités fédérales et de leurs fonctionnaires. Il ne s’agissait donc pas du

marché des services de téléphonie mobile « défini très largement » comme dans la

décision du 12 décembre 2005 mais, selon le président du tribunal de commerce, de

celui « de la téléphonie mobile nationale et plus particulièrement celui de la téléphonie

mobile de détail, clientèle ‘affaires’ », marché qui ne sera pas retenu par la cour comme

marché pertinent (cf. infra). Le président du tribunal de commerce a considéré que

Belgacom ne disposait pas d’une puissance dominante sur ce marché, car il était soumis

aux exigences de l’appel d’offres et pas simplement à la loi de l’offre et de la demande;

ce juge poursuivait que tous les candidats étaient mis sur le même pied au moment de

l’offre et qu’il s’ensuivait qu’un adjudicataire ne pouvait être considéré comme dominant

à ce moment.

Le président du tribunal de commerce n’a pas réitéré, pour l’année 2006 au cours de

laquelle il a statué, le même constat d’absence de dominance qu’il avait fait dans son

jugement du 12 décembre 2005. Au demeurant, il n’aurait pas pu le faire, n’ayant pas

procédé à une étude de marché pour cette année-là, d’autant que son précédent

jugement n’avait pas valeur pour l’avenir.

C’est donc à tort que le premier juge a dit pour droit que le jugement du 23 août 2006

était revêtu de l’autorité de la chose jugée.

L’appel de Mobistar sur ce point est fondé et elle est recevable à solliciter une

indemnisation pour l’année 2006.

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 28

6.- Sur l’intérêt de Base

23. Belgacom soutient que Base ne disposait pas d’un intérêt légitime au moment del’introduction de son action au motif qu’elle ne respectait pas l’article 634 du Code dessociétés ainsi que certaines obligations qui découlent de sa licence de mobilophonie. Elleen déduit que son action est irrecevable.

24. La violation d’un intérêt ne peut donner lieu à une action que si l’intérêt est légitime.Celui qui poursuit le maintien d’une situation contraire à l’ordre public ou l’obtentiond’un avantage illicite, n’a pas d’intérêt légitime. La circonstance que la demanderesse setrouve dans une situation illicite n’exclut pas qu’elle puisse invoquer la violation d’unintérêt légitime fCass., 2g novembre 2013, R.G. C.13.0166.N).

25. L’action de Base ne vise ni au maintien d’une situation contraire à l’ordre public ni àl’obtention d’un avantage illicite. Elle tend à la réparation du dommage qu’elle affirmeavoir subi en raison de la violation par Belgacom de dispositions réglementaires etlégales, à savoir, pour l’orientation sur les coûts, l’article 109 ter § 4 de la loi du 21 mars1991 et pour l’abus de position dominante, les articles 102 du TFUE et 3 de la LPCE.L’intérêt de Base est légitime au regard de l’article 17 du Code judiciaire.

La sanction du maintien d’un capital social inférieur à 61.500,00 € consiste dans la facultéqui est réservée à tout tiers intéressé de demander la dissolution de la société, mais il nerésulte d’aucune disposition légale que cette société serait privée du droit d’agir enjustice.

Il en est de même pour le second grief. Le fait que le réseau de Base ne couvrait pasl’ensemble du territoire national à l’époque de la citation ne constitue pas une fin denon-recevoir, d’autant qu’il n’est pas soutenu — ou en tout cas pas prouvé — que Baseaurait été dûment sanctionnée par une autorité compétente pour un tel manquement.

Le moyen ne peut être retenu.

7.- Sur le cumul des responsabilités contractuelle et aquilienne

26. Belgacom rappelle qu’elle a conclu avec Base et Mobistar des contrats d’interconnexion.Elle soutient que les griefs qui sont formulés contre elle sont de nature contractuellepuisqu’ils concernent principalement les tarifs d’interconnexion. Or, Base et Mobistar

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Cour d’ppeI Bruxelles — 2012/AR/1— p. 29

fondent leur action sur une responsabilité extracontractuelle, ce qui ne peut être admis

que si la faute est autre que la faute contractuelle et qu’elle a entraîné un dommage

différent. Elle considère que Base et Mobistar ne rapportent pas la preuve des conditions

pouvant justifier le cumul des responsabilités contractuelle et aquilienne. Elle conclut à

l’irrecevabilité, sinon à l’absence de fondement des demandes de Base et Mobistar.

27. La question du cumul des responsabilités contractuelle et aquilienne ne constitue pas

une fin de non-recevoir. Elle touche le fond du litige.

En tant qu’il est invoqué comme une fin de non-recevoir, ce moyen ne peut dès lors être

retenu.

En ce que le grief porte sur l’absence de fondement des demandes de Base et Mobistar,

ni l’une ni l’autre n’invoquent un manquement à la convention d’interconnexion qu’elles

ont conclue avec Belgacom, aux termes de laquelle ces opérateurs avaient convenu de

connecter entre eux leurs réseaux respectifs de téléphonie mobile afin qu’un appel émis

par un appelant sur un réseau puisse être délivré sur le réseau auquel est raccordé le

destinataire.

En ce qui concerne l’abus de position dominante, Base et Mobistar se fondent sur les

pratiques de prix de détail que Belgacom offre à ses clients et qu’elles estiment abusives

en raison notamment d’effets ciseaux, de rabais de fidélité ou de prix d’éviction.

Pour l’orientation des MTR sur les coûts, Base et Mobistar, considèrent que Belgacom a

commis une faute en amont de la convention en ne respectant pas les dispositions

légales en la matière. A cet égard, Mobistar rappelle à bon droit que le respect d’une

réglementation ne constitue pas un avantage contractuel. En tout état de cause, il est

sans utilité de rencontrer plus avant ce moyen, puisque la cour déboute Base et Mobistar

de leurs demandes (cf. infra).

Quant au dommage réclamé, il ne concerne pas l’avantage que les parties auraient pu

çetirer de l’exécution de la convention, mais la réparation du préjudice subi en relation

causale avec les fautes quasi-délictuelles invoquées.

Le moyen de Belgacom n’est donc pas fondé.

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 30

8.- Sur les demandes nouvelles ou modifiées de Base

28. Belgacom soutient que Base n’aurait eu de cesse de modifier sa demande tout au long

de la procédure, tant en première instance qu’en appel et rappelle que ne peuvent être

recevables que celles qui se fondent sur un fait ou acte invoqué dans l’acte introductif

d’instance.

29. En termes de dispositif, Belgacom n’identifie pas le ou les chefs de demande de Base qui

seraient en contradiction avec l’article 807 du Code judiciaire, ne permettant pas ainsi à

la cour de statuer sur le moyen.

En tout état de cause, il convient de rappeler que l’appel étant une voie d’achèvement,

rien n’interdit que la demande puisse évoluer, même devant la cour d’appel, sans

préjudice de l’application de l’article 807 du Code judiciaire.

A lire le point 484 des conclusions de Belgacom, le reproche semble concerner certains

tarifs spécifiques autres que les tarifs ProxiFun et ProxiPro qui n’auraient pas été visés

dans la citation.

En ce qui concerne les obligations qui pèsent sur Belgacom, la citation mentionne

« l’obligation d’appliquer des tarifs d’interconnexion orientés vers les coûts pour les

appels terminant sur son réseau et l’interdiction qu’elle a d’abuser de sa position

dominante ».

Pour ce dernier point, la citation énonce que: «en tant qu’entreprise en position

dominante, Proximus o une responsabilité sur le marché et se doit d’éviter d’abuser de sa

position dominante. Or, dès l’émergence de la concurrence sur le marché avec l’entrée de

Mobistar, Proximus a mis en place une structure tarifaire centrée sur une offre de tarifs

bas pour les appels au départ et à destination du réseau Proximus qu’elle o renforcée à

l’occasion de l’entrée de Base sur le marché. (...) L’application par Proximus de tarifs au

détail extrêmement bas pour des appels au départ et à destination du réseau de

Proximus constitue un abus de position dominante dans la mesure où (i) ces tarifs ne

poursuivent d’autre objectif que de fidéliser illégalement la clientèle actuelle et

potentielle de Proximus et (ii) donnent lieu à un effet de ciseau dans le chef des

concurrents de Proximus ».

«Le fait ou l’acte » qui fonde la demande en justice, tel qu’invoqué dans l’acte

introductif d’instance, est la pratique de prix bas qui affecte tous les tarifs.

S’il est vrai que dans la citation Base détaille différents tarifs de la gamme Proxi, il ne

peut s’en déduire qu’elle exclurait tous les autres tarifs qui ont le même effet. Au

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1—

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tii 4

demeurant, il pourrait même être soutenu que l’actuelle demande de Base constitue en

réalité une demande additionnelle, telle que visée par l’article 808 du Code judiciaire,

dont Belgacom pouvait normalement prévoir l’amplification puisque la citation vise, en

général, une « structure tarifaire centrée sur une offre de tarifs bas)) soit, implicitement

et certainement, tous les tarifs qui seraient viciés par la même pratique délictueuse, sous

réserve de ceux que Base aurait renoncé à invoquer dans le cadre de la présente

procédure, ce qui n’est pas établi.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

30. Ainsi que rappelé ci-avant, l’appel est une voie d’achèvement du procès. Il est donc sans

intérêt de statuer sur le moyen développé par Belgacom selon lequel le premier juge

aurait statué ultra petita en invitant Base et Mobistat à identifier les offres tarifaires

qu’elles critiquent pour la période de 1999 à 2004, dès lors que, à supposer que Mobistar

se soit limitée à postuler la réparation de son dommage pour une certaine période — ce

qu’elle conteste — rien ne lui interdit d’étendre cette période en degré d’appel.

9.- Sur la prescription des demandes nouvelles de Mobistar

31. Vainement, Belgacom soutient-elle que les demandes de Mobistar formulées en degré

d’appel relatives aux années 1999 et 2000, et 2006, seraient prescrites pour avoir été

introduites plus de cinq ans après le fait générateur du dommage.

En effet, la citation en justice interrompt le cours de la prescription. Cet effet interruptif

vaut à la fois pour la demande introduite par la citation et pour celles dont l’objet est

virtuellement compris dans la citation (Cass., 11 avril 2014, R.G. C.12.0242.F). Toutes les

demandes fondées sur la même cause, entendue comme l’ensemble des faits et des

actes sur lesquels la partie demanderesse base son action, bénéficient de l’effet

interruptif de la prescription. Ainsi, une demande introduite en réparation d’une partie

du dommage causé par une infraction interrompt la prescription à l’égard de la partie du

dommage qui ne fait pas directement l’objet de la demande fCass., 12 janvier 2010, R.G.

P.09.1266.N).

Pour déterminer le contenu de la demande virtuellement comprise dans la citation, il y a

lieu de se rapporter à la volonté manifestée par le demandeur dans l’acte introductif

d’instance (M. Dupont, L’interruption de la prescription et les demandes virtuellement

comprises dans la citation, R.G.D.C., 2010, p. 402 et s., n° 6). Par exemple, si dans l’acte

introductif d’instance, un travailleur sollicitait la régularisation de son salaire, les primes

annuelles, les salaires et suppléments de salaire pour travail de nuit qui sont de la

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rémunération sont des demandes virtuellement comprises dans la citation (C. trav. Liège,18janvier 2006, J.T., 2006, 471).

C’est l’objet de la demande formée en conclusions qui doit être virtuellement comprisdans l’objet de la demande introduite par la citation fCass., 8 mai 2006, R.G.S.05.0005.F). Or l’objet de la demande correspond à l’intérêt: il s’agit de la prétention del’avantage recherché. Ce que Ta partie demande n’est pas la reconnaissance éthérée d’undroit, mais un avantage hors de sa qualification juridique. C’est pourquoi une conceptionconcrète de l’objet (tout comme de la cause de la demande) doit prévaloir; ce quiimporte, c’est ce que veut le demandeur ou ce qu’il réclame en fait, le juge recevantmission de rectifier au besoin la qualification juridique invoquée (G. de Levai, Élémentsde procédure civile, Larder, 2005, p. 35, n° 18.)

32. En l’espèce, Mobistar entendait réclamer le même dommage que celui de Base, à savoircelui subi en raison de l’abus de position dominante imputé à Belgacom, sans qu’il nesoit limité à une certaine période. En effet, dans sa requête en intervention, Mobistars’exprimait comme suit:

« L’action de Base affecte les intérêts de Mobistar de plusieurs façons.

(...) Mobistar est également confrontée aux tarifs d’interconnexion de BelgacomMobile et aux tarifs de détail pour les appels au départ et à destination du réseauBelgacom Mobile qui affectent sa position concurrentielle. En pratique, lacombinaison des tarifs d’interconnexion avec les tarifs des appels au départ et àdestination du réseau, appliqués par Belgacom Mobile, est susceptible de restreindreartificiellement les possibilités pour Mobistar d’augmenter sa part de marché dans lessegments des clients ‘business’ et ‘résidentiels’

t...)Mobistar estime similairement que Belgacom Mobile abuse de sa position dominantepar certaines pratiques de prix (...)Les tarifs ‘on-net’ appliqués par Belgacom Mobile (p. ex. les formules ProxiPro,ProxiFun) sont d’un niveau très bas et ont dès lors un effet fidélisant (...)[etJ des effetsprédateurs.Par ailleurs, les tarifs dits ‘on-net’ ne sont pas les seules pratiques tarifairesprédatrices appliquées par Belgacom Mobile [notamment le tarif ‘Virtual ProxiNet’].

Ces pratiques tarifaires illégales causent un dommage certain à Mobistar consistantdans la privation de bénéfices, tant dans le segment ‘business’ que dans le segment‘résidentiel’. Ci-après Mobistar voudrait illustrer ce dommage en indiquant les effetsdes tarifs appliqués par Belgacom Mobile [suivent deux exemples]

f...)Afin d’évaluer plus précisément le dommage causé par l’abus de position dominantedans le chef de Belgacom Mobile par l’application de pratiques tarifaires fidélisantes,

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 33 4

voire prédatrices, Mobistar considère qu’il y lieu de désigner un expert afin dedéterminer le montant exact du dommage. Mobistar réclame à Belgacom Mobile, surla base de l’article 1382 du code civil, le montant des dommages et intérêts causéspar les pratiques tarifaires illégales décrites ci-avant, tel que déterminé par un expert.à majorer des intérêts judiciaires, et évalué pro visionnellement à au moins EUR50.000.000 pour la période 2001-2003 ».

Mobistar vise toutes les pratiques délictueuses qu’elle impute à Belgacom. Lorsqu’elleparle « des tarifs » elle n’en définit certains qu’à titre exemplatif (cf. « Ci-après Mobistarvoudrait illustrer ce dommage. »). La période 2001-2003 n’est prise en compte que pourévaluer provisoirement le montant du dommage, dès lors que Mobistar rencontrait desdifficultés pour évaluer précisément son dommage. Les années 1999 et 2000 — toutcomme l’année 2006 -‘ qui se fondent sur les mêmes pratiques délictueuses imputées àBelgacom, sont donc virtuellement comprises dans la demande initiale, Belgacom nepouvant se méprendre sur l’étendue de la demande de Mobistar, à savoir la réparationintégrale de son dommage en relation causale avec les pratiques qu’elle dénonçaitetqui affectaient tous les tarifs de Belgacom.

En intervenant volontairement à la cause, Mobistar entendait réclamer le mêmedommage que Base, en se fondant sur les mêmes manquements. Au demeurant, afind’interpréter si besoin en est l’intention de Mobistar, celle-ci soutient qu’à l’audience du16 janvier 2007, sur interpellation du tribunal, elle a confirmé qu’elle entendait bienréclamer une indemnisation couvrant toute la période s’étendant de 1999 à 2004 —

comme Base — ce qui a bien été compris comme tel par le tribunal, si l’on en croit lateneur de la mission d’expertise ordonnée par lui.

Le moyen de prescription n’est donc pas fondé.

10.- Sur la vérification de la mise en état

33. Par conclusions déposées au greffe de la cour le 22 avril 2014, Belgacom demande à lacour de «procéder à la vérification de la mise en état de la procédure en répondant auxincidents visés par [lesdites] conclusions, après avoir permis aux parties de faire valoirleurs moyens à ce sujet et de permettre aux parties d’adapter leurs conclusions desynthèse en fonction des décisions que la cour d’appel prendra. »

L’un des incidents auxquels il est fait référence concerne des informations confidentiellesfournies par Belgacom dans le cadre de la procédure ayant opposé les parties devant leConseil de la concurrence auxquelles Base et Mobistar souhaiteraient avoir accès etd’autres qui seraient détenues par ces dernières et qui n’ont pas été communiquées à

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 34

Belgacom. Celle-ci estime qu’il « semble opportun que la cour invite les parties às’expliquer sur la production d’informations confidentielles, réservées à la cour maisinaccessibles aux autres parties et qu’elle prenne une décision à ce sujet, laissant auxparties la possibilité de l’implémenter, le cas échéant par de nouvelles conclusions ».

34. Dans son ordonnance du 12 décembre 2012 fondée sur l’article 747 § 2 du Codejudiciaire, la 18eme chambre de la cour, préalablement saisie, avait décidé de fixerl’affaire au 1er octobre 2013, soit après l’expiration du troisième tour d’échange deconclusions, <f afin de vérifier la mise en état de la procédure ».

En raison d’une redistribution de l’affaire à la 9ème chambre de la cour, cette date a étéreportée au 24 avril 2014 (puis au 9 mai 2014), soit après l’expiration du quatrième tourd’échange de conclusions. Ni les procès-verbaux de ces audiences ni ceux des audiencesantérieures ne mentionnent une demande spécifique des parties.

Il n’a pas pu être statué sur cette question le 9 mai 2014, eu égard au dépôt parBelgacom, le 5 mai 2014, d’une demande tendant à résoudre un incident de répartition.Selon le procès-verbal de cette audience, seule cette question a été traitée.

Par avis de fixation du 8 septembre 2014, la cause a ensuite été fixée pour trenteaudiences que les parties ont réduites à vingt-six, en concertation avec la cour. Elles ontelles-mêmes déterminé l’ordre du jour de ces audiences, sans prévoir de temps deplaidoiries sur « la mise en état de la procédure ».

35. La cour constate que le Code judiciaire ne connaît pas d’audiences dites de« vérification ». Certes, dans le cadre d’une bonne gestion, il est parfois prévu, dans desaffaires importantes, qu’une audience dite de « relais » soit fixée, afin de convenir d’unedate de plaidoiries en fonction de l’ampleur des débats, directement proportionnelle àcelle des conclusions échangées. Mais la fixation d’une telle audience ne permet pas auxparties de déposer de nouvelles conclusions hors du cadre du Code judiciaire.

Il s’ensuit que la cour ne peut avoir égard aux conclusions déposées par Belgacom aprèsl’expiration de la dernière date prévue par l’ordonnance du 12 décembre 2012.

36. La cour prend acte que des pièces ne sont pas produites parce qu’elles sont qualifiées deconfidentielles, participant, aux dires des parties, du secret des affaires. Elle prend acteégalement qu’aucune version qualifiée de <t non confidentielle » n’est produite et que lesparties se rejettent mutuellement la responsabilité de cet élément de fait.

La cour statuera en l’état sur l’incident, en même temps qu’elle abordera le fond.

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1—

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B.- SUR L’ORIENTATION SUR LES COUTS DES MTR

37. La loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques,telle qu’elle était en vigueur à l’époque des faits, disposait que

« Art. 106. § 1er. Les organismes puissants sont tenus de respecter le principe del’orientation sur les coûts en ce qui concerne les services suivants:t...)3° l’interconnexion;

t...)( 4. L’obligation d’orientation sur les coûts mentionnée au § 1er ne s’impose auxopérateurs de réseaux publics de téléphonie mobile et aux fournisseurs de services detéléphonie mobile que s’ils sont puissants sur le marché de l’interconnexion.)

Art. lO9ter.

t...)( 4. Tout organisme puissant (sur le marché des réseaux publics de téléphonie fixe

ou des services louées) ou de la téléphonie vocale est tenu de publier, selon lesmodalités fixées par le Roi sur proposition de l’institut, une offre technique et tarifaired’interconnexion approuvée préalablement par l’institut. Cette offre doit êtredégroupée de manière à éviter que le demandeur d’interconnexion de référence nesoit obligé de souscrire à des services auxquels il ne souhaite pas souscrire. L’institutapprécie si l’offre est suffisamment dégroupée. t...). t...).

La publication de cette offre ne fait pas obstacle à des demandes de négociationd’interconnexion non prévues dans cette offre.

L’offre visée au premier alinéa du présent paragraphe contient des conditionsdifférentes selon qu’elle s’adresse à des fournisseurs:

1° de réseaux publics de télécommunications;2° d’autres réseaux de télécommunications;3° de services de téléphonie vocale;4° d’autres services de télécommunications.L ‘institut précise quelles sont les conditions et dans quelle mesure celles-ci peuvent

varier en fonction de la catégorie à laquelle appartient le demandeurd’interconnexion.

L’institut peut imposer les modifications qu’il juge indispensables à l’offred’interconnexion.Si des fournisseurs de réseaux publics de télécommunications ou de services de

télécommunications offerts au public n’ont pas interconnecté leurs réseaux ouservices, alors que l’institut estime une telle interconnexion indispensable à l’intérêtdes utilisateurs, l’institut peut exiger qu’il soit procédé à une interconnexion. En ce

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cas, il fixe les conditions d’interconnexion, sauf le droit des parties de conclure uneconvention, conformément au § 5 du présent article.)

(Les tarifs d’interconnexion doivent être orientés sur les coûts. Cette orientations’impose aux organismes mentionnés à alinéa 1er, ainsi qu’aux opérateurs de réseauxpublics de téléphonie mobile et aux fournisseurs de services publics de téléphoniemobile qui sont des organismes puissants sur le marché de l’interconnexion. L’institutest habilité à vérifier le respect de cette orientation.)

(L’institut est habilité à vérifier le système de comptabilisation des coûts. li peut êtreassisté par un réviseur d’entreprise agréé qui est indépendant de l’organisme detélécommunications. Une attestation de conformité du système de comptabilisationdes coûts est publiée annuellement.) ».

Ces dispositions s’appliquent à Belgacom qui a été reconnue comme opérateur puissant.

Base soutient que Belgacom a violé son obligation d’orientation sur les coûts de sestarifs d’interconnexion (MTR). Elle lui réclame, à titre provisionnel, 32.206.174,00 € dedommages et intérêts pour la période s’étendant du 20 octobre 2000 au 31 décembre2005, étant la différence entre ce qu’elle a payé à Belgacom et ce que celle-ci pouvait luiréclamer, soit, selon elle, au maximum 0,1061 € la minute.

Mobistar se joint à Base et réclame à Belgacom un montant provisionnel évalué entre967.000,00 € et 56.000.000,00 € si la cour devait décider que Belgacom a violé sonobligation légale d’orientation sur les coûts.

Le premier juge a rejeté ces demandes, considérant, e.a., que Belgacom n’avait pascommis de faute, puisqu’elle s’était conformée aux avis émis par l’IBPT en la matière enappliquant des tarifs qui se situaient dans la fourchette décidée par ce régulateur.

38. Après l’avoir contesté en ses conclusions (points 839 à 841) en se contentant sur ce pointde rejeter la preuve de cet état de fait sur Belgacom, Base a finalement reconnu àl’audience du 9 octobre 2014 que les MIR qui lui étaient réclamés par Belgacom étaientrefacturés à ses clients.

Mobistar, qui n’intervient dans ce chef de demande qu’à titre subsidiaire, ne prétendpour sa part pas qu’elle supportait personnellement une partie des MIR et qu’elle ne lesrefacturait pas intégralement à ses clients — ce qui était d’ailleurs la règle pour tous lesopérateurs ainsi que l’a relevé le Conseil de la concurrence dans sa décision du 26 mai2009 (affaire Base/BMB n 209: « Il est constant que, durant la période incriminée, lesopérateurs (...) reportaient à charge de l’utilisateur les coûts de MIR (interconnexion)engendrés par ses appels off-net (appels à destination d’abonnés à un autre réseau »).

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A l’audience du 14 novembre 2014, Mobistar a confirmé que « dans son principe, lesMIR versés à Belgacom Mobile sont répercutés dans [sesJ tarifs off-net. Toutefois, etcertainement lors de son entrée sur le marché, [elle] ne pouvait avoir une politiquetarifaire indépendante de la politique tarifaire déterminée par Belgacom Mobile qui astructuré le marché par l’introduction de la différenciation off-net & on-net et la fixationde MIR élevés ».

C’est donc à bon droit que Belgacom fait valoir que, à supposer qu’elle ait commis unefaute dans l’élaboration de ses MIR, ni Base ni Mobistar ne peuvent soutenir qu’elles ontsubi un dommage personnel en relation causale avec cette faute, lequel consisterait dansl’augmentation indue de la charge de terminaison au regard d’une juste orientation surles coûts (que Base chiffre à 32.206.174,00 € - cf. tableau au n° 838 de ses conclusions),dès lors qu’elles ont fait supporter cet excédent par leurs propres clients.

39. Vainement, Base a-t-elle soutenu, en termes de plaidoiries, que le caractère trop élevédes MIR aurait eu un effet indirect sur les tarifs e off-net » qu’elle aurait pu offrir à saclientèle à un niveau moins élevé.

Elle a cependant reconnu, tout aussi verbalement, que la détermination des clientsperdus en relation causale avec cette distorsion de concurrence, fondée sur une violationde la loi du 21 mars 1991, était difficile à établit et qu’un double emploi avec ledommage résultant de l’effet ciseaux n’était pas à exclure.

En tout état de cause, ce dommage est différent de celui qui a été réclamé en citation,dans le cadre du présent chef de demande. S’agissant d’une demande nouvelle, elle nepeut être introduite verbalement. A cet égard, les conclusions de Base, en ce qu’il estdemandé à la cour, dans le dispositif, « d’étendre la mission des experts à ladétermination définitive du dommage résultant de cette violation)) ne peuvent êtreinterprétées comme l’expression d’une telle demande nouvelle, dès lors que l’extensionde mission ne concerne que la demande originaire qui avait été déclarée non fondée parle premier juge.

40. Ni Base ni Mobistar n’ont donc qualité et intérêt à réclamer le préjudice subi par lesconsommateurs finals.

Il se déduit de ce qui précède qu’en l’absence de dommage, il est sans utilité d’examinersi Belgacom a commis une faute en violant la loi du 21 mars 1991.Pour d’autres motifs que ceux retenus par le premier juge, les demandes de Base et deMobistar ne sont pas fondées et leurs appels incidents sur ce point ne le sont pas nonplus.

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C.- SUR LES ABUS DE POSITION DOMINANTE

1.- Sur la définition du marché pertinent

41. Le premier juge a considéré que le marché pertinent de détail était le marché desservices de détail disponibles à l’époque sur les réseaux 2G et 3G, proposés à la clientèlerésidentielle et non résidentielle, sous la forme d’offres post-payées ou prépayées. Sontincluses dans ce seul et même marché, toutes les communications mobiles, quelles quesoient la technologie utilisée, les formules tarifaires commercialisées par les opérateurset les types de clients. Quant au marché de gros, il est identifié, dans le cas d’espèce,comme étant celui de la terminaison des appels sur le réseau de Belgacom, ce qu’aucunepartie ne conteste.

Belgacom marque son accord sur cette définition des marchés. Elle ne soutient plus quele marché pertinent devrait inclure aussi la téléphonie fixe.

En revanche, Mobistar considère, à titre principal, que le marché de détail doit êtresegmenté en fonction du type de clientèle et que les marchés pertinents dans laprésente affaire sont (I) le marché des services de télécommunication mobile destinés àla clientèle affaires et (ii) celui des mêmes services destinés à la clientèle résidentielle.

Base estime, quant à elle, qu’il y a lieu de segmenter le marché de détail en troismarchés distincts, à savoir ceux fi) de la téléphonie mobile prepaid, (ii) postpaid auxclients résidentiels et (iii) postpaid aux clients professionnels.

Le marché géographique, soit la Belgique, n’est contesté par personne, tout commel’application de l’article 102 du TFUE, en ce que les pratiques alléguées sont susceptiblesd’affecter le commerce sur une partie substantielle du marché intérieur.

42. Suivant la Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux finsdu droit communautaire de la concurrence (Journal officiel n° C 372 du 09/12/1997 p.0005 — 0013), « un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ouservices que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables enraison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés; lemarché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les entreprisesconcernées sont engagées dans l’offre des biens et des services en cause, sur lequel lesconditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué dezones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence ydiffèrent de manière appréciable.

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La concurrence soumet les entreprises à trois grandes sources de contraintes: lasubstituabilité du côté de la demande, la substituabilité au niveau de l’offre et laconcurrence potentielle.

D’un point de vue économique, pour une définition du marché en cause, la substitution ducôté de la demande est le facteur de discipline le plus immédiat et le plus efficace vis-à-visdes fournisseurs d’un produit donné, en particulier en ce qui concerne leurs décisions enmatière de fixation des prix. Une entreprise ou un groupe d’entreprises ne peut avoir uneinfluence déterminante sur les conditions de vente existantes (prix par exemple), si saclientèle est en mesure de se tourner sans difficulté vers des produits de substitution ouvers des fournisseurs 1mplantés ailleurs. L ‘appréciation de la substituabilité de lademande entraîne une détermination de l’éventail des produits perçus commesubstituables par le consommateur. Une façon de procéder à cette détermination peutêtre envisagée comme un exercice mental présupposant une variation légère, maisdurable, des prix relatifs et évaluant les réactions probables des clients.

On pourrait aussi analyser la substituabilité du côté de l’offre pour définir les marchésdans les opérations où celle-ci a des effets équivalents à ceux de la substitution du côté dela demande en termes d’immédiateté et d’efficacité. li faut, pour cela, que lesfournisseurs puissent réorienter leur production vers les produits en cause et lescommercialiser à court terme sans encourir aucun coût ni risque supplémentairesubstantiel en réaction à des variations légères, mais permanentes, des prix relatifs.

La concurrence potentielle, troisième source de contrainte sous l’angle de la concurrence,n’est pas prise en considération pour la définition des marchés, dans la mesure où lesconditions dans lesquelles elle peut effectivement constituer une contrainteconcurrentielle dépendent de l’analyse de certains facteurs et circonstances se rapportantaux conditions d’entrée. Le cas échéant, cette analyse n’est menée qu’à un stadeultérieur, généralement une fois que la position des entreprises en cause sur le marché odéjà été déterminée et qu’elle s’avère soulever des problèmes sous l’angle de laconcurrence. »

43. Il convient d’emblée de constater que tous les opérateurs sur le marché offrent desservices semblables aux consommateurs finals, qu’ils soient résidentiels ouprofessionnels ou qu’ils acquièrent des cartes prépayées ou souscrivent desabonnements. Ces services consistent dans un transport d’appel par la voie de lamobilophonie, une interconnexion et une terminaison de celui-ci. Au niveau descaractéristiques techniques, les offres sont interchangeables. Les appels se font aumoyen d’une seule et même carte 51M émise par un seul opérateur; il ne résulted’aucune pièce produite que les utilisateurs opteraient pour plusieurs cartes SIM deréseaux différents qu’ils inséreraient dans leur GSM en fonction du type d’appel qu’ilssouhaiteraient effectuer. Le marché constitue donc un ensemble indivisible et global.

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La seule différence réside dans les tarifs qui sont adaptés, non pas en fonction desbesoins des consommateurs — qui par essence sont tous identiques, à savoir donner etrecevoir une communication téléphonique - mais de leur pouvoir d’achat et du volumedes communications, parfois regroupées sur une même facture pour plusieursutilisateurs. Mais, tous les opérateurs ont la même capacité d’offrir à la clientèle desformules pré ou post payées et de s’adresser à des particuliers ou à des entreprises,grandes ou petites et ce, indépendamment de leur taux de pénétration effective de laclientèle dans les différents segments proposés.

La substituabilité du côté de l’offre est donc totale et aucun opérateur ne court le risquede devoir réorienter sa production vers d’autres services ou de devoir encourir à courtterme des coûts ou des risques supplémentaires substantiels.

Le fait de cibler davantage tel ou tel segment de la clientèle potentielle, notamment laclientèle « affaires », n’implique pas que le marché en cause ne reste pas global ethomogène.

Les thèses développées par Base et Mobistar conduiraient à une parcellisation dumarché qui ne reflète pas la réalité économique. Comment établit une frontière nonambiguè et objective entre la clientèle résidentielle et d’affaires : sur la base du nombred’appels ? ou de cartes SIM regroupées sur un même abonnement? sur le nombred’employés? sur la taille de l’entreprise? sur son chiffre d’affaires? Il ne peut êtrecontesté que la spécificité entre les différents marchés de détail suggérés par Base etMobistar est difficile à établir, surtout en ce qui concerne la clientèle professionnelle, àpropos de laquelle il n’est pas aisé de déterminer avec précision quelles pourraient êtreses exigences particulières qui la distingueraient des autres consommateurs finals.

Rien ne permet donc d’affirmer que les différents segments proposés ne sont pasinterchangeables. Ainsi, en ce qui concerne les abonnements « prepaid » et « postpaid »,il ne peut être exclu qu’un consommateur ou même une entreprise puisse passer del’une à l’autre formule en cas de variation de prix. Par ailleurs, rien n’interdit à unparticulier d’opter pour un tarif « affaires » s’il en a les besoins et les capacités et si celacorrespond à son profil d’utilisation.

Au demeurant, la Commission européenne a confirmé la pertinence d’une définitionglobale du marché de la mobilophonie en matière de pratiques restrictives, en rappelantsa jurisprudence antérieure constante, en ce que « les consommateurs achètentnormalement un ensemble de services auprès d’un opérateur mobile et non des servicesindividuels auprès de différents opérateurs. Dans les décisions antérieures de laCommission, la Commission n’a pas davantage subdivisé le marché par types de clients, àsavoir professionnel ou privé, abonnés post-payés ou clients prépayés ou par types detechnologies de réseau, à savoir réseaux de seconde génération (2G)/GSM ou de

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troisième génération (3G)/UMTS» (Décision de la Commission européenne du 23 janvier2013, AT.39839, Telefdnica/Portugal Telecom, point 191, p. 49, dans la traductionproposée par Belgacom).

Par ailleurs, et à titre surabondant, il convient de rappeler que dans l’affaireBase/Belgacom Mobile, le Conseil de la concurrence a, au point 131 de sa décision 2009-P/K-10 du 26 mai 2009, estimé que: «le marché pertinent qui servira de point de départpour évaluer les griefs soulevés par l’auditeur contre 8MB, sera le marché belge de latéléphonie mobile », ce qui conforte la thèse développée par la Commission et lejugement entrepris. Si le Conseil de la concurrence a néanmoins décidé qu’il pouvait êtretenu compte de la clientèle professionnelle, c’est uniquement « dans le cadre del’analyse du comportement de 8MB, et pour autant qu’il soit établi qu’elle occupe uneposition dominante sur le marché pertinent », ce qui n’implique nullement que laclientèle professionnelle ayant des exigences particulières puisse être considérée commeun marché pertinent, contrairement à ce que soutient Mobistar.

44. En conclusion, il se déduit de ce qui précède que sur la base d’une analyse détaillée desmarchés en cause à laquelle le premier juge a procédé et que la cour fait sienne,l’absence de substituabilité au niveau de la demande entre les offres « résidentielles » ou«affaires », « prepaid » ou «postpaid » n’est pas établie et que, partant, elles ne doiventpas faire partie de marchés pertinents distincts.

Ces considérations suffisent pour asseoir la conviction de la cour. Il s’ensuit que l’examendes autres arguments développés de part et d’autre sur près de 182 pages deconclusions est surabondant et ne sautait amener la cour à un dispositif autre que celuiqui résulte des moyens examinés.

Il convient dès lots de dite les appels incidents de Base et Mobistar sur ce point nonfondés.

2.- Sur l’existence d’une position dominante

45. La position dominante est définie en droit communautaire comme une situation depuissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faireobstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en luifournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciablevis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement des consommateurs (CJCE 14février 1978, C- 27/76, United Brands, point 65).

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li est constant et d’ailleurs non contesté que Belgacom détient une position dominantesur le marché de gros de la terminaison des appels sur son propre réseau.

a.- Sur les parts de marché

46. Les parts de marché sont souvent utilisées comme un indicateur de puissance. Selon lapratique décisionnelle de la Commission, une position dominante individuelle n’estgénéralement à craindre que pour des entreprises dont la part de marché dépasse 40 %.D’après une jurisprudence constante, la présence de parts de marché très élevées —

supérieures à 50 ¾ — suffit, sauf circonstances exceptionnelles, à établir l’existenced’une position dominante (TUE 7 octobre 1999, T-228/97, Irish Sugar, point 70). Uneentreprise ayant une part de marché élevée peut être présumée constituer uneentreprise puissante, c’est-à-dire bénéficier d’une position dominante, si cette part estrestée stable dans le temps. La circonstance qu’une entreprise jouissant d’une positionsignificative sur le marché voit sa part s’éroder progressivement peut indiquer que lemarché devient plus concurrentiel, mais n’empêche pas de conclure qu’il s’agit d’uneentreprise puissante (Lignes directrices de la Commission sur lTanalyse du marché etl’évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementairecommunautaire pour les réseaux et les services de communications électroniques(2002/C 165/03) du 11juillet 2002, n° 75 et 78).

Ces lignes directrices ne font que confirmer la jurisprudence de la DUE (arrêt du 13février 1979, Hoffmann-La Roche, point 41, 85/76, Rec. p. 461 et du 3 juillet 1991, AKZO,C-62/86, point 60).

47. Belgacom soutient que ses parts de marché, en nombre de clients, seraient lessuivantes

Parts de ma,thé

‘C8 2C o- E

o C

1994 100% 100%1995 100% 100%1996 8447% 1553% 100%1997 70,38% 2982% 100%1996 70,83% 29,17% 100%1999 64,84% 32,62% 2,54% 100%2000 58,21% 31,98% 9,81% 100%2001 55,28% 30,79% 13,93% 100%2002 54,20% 30,66% 15,14% 100%2003 52,06% 32,41 % 15,53% 100%2004 48,30% 32,75% 18,95% 100%2005 46,40% 31,77% 21,83% 100%

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En valeur, Belgacom soutient que la répartition des parts de marché serait la suivante

Chiffres d’affaires (CA) Parts de marché en valeurE E

,9 s

1995 332.383.918 332.383.918 1995 10000% 100%1996 392.864.905 17.175.105 410.040.010 1996 95,8I°h 4,19% 100%7997 575.253.683 132.057.789 707.311.472 1997 8I,33% 1867% 100%1998 814.284.497 251.035.848 1.065.320.345 1998 76,44% 23,56% 100%1999 1.193.522.668 387.244.326 14.066.000 7.588.832.994 1999 75,12% 24,00% 0,89% 100%2000 1.565.213.951 584.788.163 116.037.000 2.266.039.113 2000 69,07% 25,81% 512% 100%2001 1.906.503.000 829.160.087 243.360.000 2.979.023.087 2001 64,00% 27,83% 8,17% 100%2002 2.015.778.000 947.639.000 290.533.000 3.253.950.000 2002 6195% 29,12% 893% 100%2003 2.158.442.000 l.l00.042.000 326.742.000 3.585.226.000 2003 60,20% 30,68% 911% 100%2004 2.211.395.000 1.347.382.000 423.166.000 3.981.943.000 2004 55,54% 33,84% 10,63% 100%2005 2.l58.960.000 1.474.437.000 544.930.000 4.178.327.000 2005 51,67% 35,29% 13,04% 100%

Dans sa décision du 26 mai 2009, le Conseil de la concurrence a identifié les parts demarché de Belgacom suivantes

Source Année Parts de marché CommentairesLECG 2004 50-57 %BCG 2003 54 % ProspectusIBPT 2002 61,5% Chiffre d’affairesIBPT 2003 60%IBPT 2004 57,2%IBPT 2005 53,3%IBPT 2002-2005 55,7—42,3% Cartes activesMobistar 2005 53,3% Volume

Sèlon l’auditeur, les parts de marché des concurrents, sur la base de leurs revenus nets,s’établiraient comme suit

Année 2002 2003 2004 2005Mobistar 24-27% 25-29% 28-31% 30-34%Base 4,6-9% 5-9% 5-9% 7-11% J

Le Conseil de la concurrence constate que la part de marché de [BelgacomJ est encoreplus importante en ce qui concerne la clientèle professionnelle, voire la clientèleprofessionnelle ayant des exigences particulières. Il précise que, même si ce marchén’est pas retenu comme un marché pertinent juridiquement distinct, il peut tenircompte du fait que toutes les estimations s’accordent pour dire que la part de marchéde [Belgacom] est nettement plus importante que celle de ses concurrents en ce quiconcerne cette clientèle spécifique. L’auditeur relève qu’en ce qui concerne le segmentdes entreprises, [BelgacomJ estime sa part de marché en valeur à [60-70%]; si l’on se

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fonde sur le nombre de minutes de communications consommées par ces clients, la partde marché de [Belgacom] passe de [70-80%] en 2002 à [60-70%] en 2005.

Le Conseil conclut que « sa part de marché était en toute hypothèse supérieure à 50 ¾en 2005, et nettement supérieure à 50% les années antérieures ».Selon Base, les parts de marché de Belgacom en termes de revenus seraient lessuivantes:

‘Ç1-o 75% 69% 64% 62% 60% 57%

24% 26% 28% 29% 31% 32%

1% 5% 8% 9% 9% 11%

l 33% 32% 31% 32% 33% 33%

2% 9% 13% 12% 13% 16%

Mobistar, quant à elle, avance les chiffres suivants, en termes de clients actifs

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006Belgacom 65% 59% 56.13% 55.84% 53.75% 49.43% 48,40% 45,10%Mobistar 33% 32% 31% 31.53% 33.27% 33.51% 33,15% 33,00%Base 2% 9% 12.8% 12.63% 12.99% 17.07% 17,07% 21.90%

et en valeur:

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et en termes de clients actifs de

65% 59% 56% 51%

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p. 45 II L ‘

2002 2003 2004 2005Belgacom 62.5% 60.7% 57.2% 53.0%Mobistar 28% 29.9% 31.8% 33.6%Base 9.5% 9.4% 10.9% 13.4%

Aucune information n’est communiquée pour l’année 2006 en termes de valeur.

48. Comme Belgacom conteste la fiabilité des données de Base et de Mobistar, il convient deretenir les évaluations faites par l’IBPT et le Conseil de la concurrence qui ne peuventêtre mises en doute puisqu’en leurs qualités de régulateur et de juridictionadministrative ils disposent de toutes les données financières, même celles qui sontconfidentielles.

Par ailleurs, selon ses propres données, Belgacom reconnaît qu’elle disposait de plus de50% de parts de marché en termes de nombre d’abonnés entre 1999 et 2003, maissoutient qu’à partir de l’année 2004, ce chiffre serait tombé à 48,30%. Cette affirmationest contredite par l’IBPT qui, dans sa décision du 29 juin 2010, constate qu’en termes declients actifs, Belgacom a toujours en 2004 une part de marché de 50% (cf. pièce 11.8.2 dudossier de Base). Ce n’est qu’en 2005 que cette part de marché descend sous le seuil de50% (48,30%).

49. Mais, si on prend en considération les estimations en termes de revenus, tant cellesprovenant de l’IBPT, que du Conseil de la concurrence ou de Belgacom, la part de marchéde cette dernière dépasse très largement la barre des 50% pendant toute la périodeprise en considération et même en 2005. Elle ne communique aucune donnée pourl’année 2006.

Vainement Belgacom soutient-elle que seul le nombre d’abonnés devrait être pris enconsidération. Si tel était le cas, on se demande pourquoi les analystes financiers et lesentreprises de télécommunication retiennent le ratio « ARPU », soit « Average rate peruser » ou en français: « chiffre d’affaires mensuel moyen réalisé par une entreprise avecun client ». Il est en effet plus intéressant pour une entreprise, en termes de rentabilité,d’avoir moins de clients mais qui consomment plus que beaucoup de clients quirapportent peu.

Dans la matière des télécommunications, le revenu pris en considération n’est pas limitéà la seule consommation de l’abonné, mais à tous les produits annexes enregistrés parl’entreprise à l’occasion d’un appel donné ou reçu par ce dernier, e.a., ceux qui sont

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perçus à l’occasion de la réception de l’appel, dont notamment l’interconnexion. A cetégard, il convient de rappeler que la Commission a précisé que «en ce qui concerne lesméthodes utilisées pour mesurer la taille du marché et les parts de marché, tant levolume des ventes que le chiffre d’affaires donnent des informations précieuses à cetégard. Pour les produits de base, la préférence est accordée au volume tandis que pourles produits différenciés (comme les produits de marque), le chiffre d’affaires et la part demarché associée reflètent généralement mieux la position et la force des différentsacteurs. (...) Lorsque le marché défini est celui de l’interconnexion, un paramètre plusréaliste est celui des recettes générées par les appels à destination des clients des réseauxfixes ou mobiles. En effet, mieux vaut recourir aux recettes qu’aux minutes d’appel, parexemple, car ces dernières renvoient à des réalités différentes (appel local, appel longuedistance et appel international) tandis que les premières mesurent la place sur le marchéreflétant à la fois le nombre de clients et la couverture du réseau. Pour les mêmes raisons,les recettes générées par les appels à destination des clients des réseaux mobilespourraient être le critère le plus approprié pour mesurer l’importance des opérateurs duréseau mobile » (Lignes directrices, op. cit. n° 77, souligné par la cour).

Dans son prospectus du 3 mars 2004 (pièce III, B, 1, p. 95 du dossier de Base), oùBelgacom développe sa stratégie commerciale, elle affirme qu’elle «entend conserver[sa] position de leader [en se focalisant] sur la fidélisation des clients dotés d’un ARPUélevé (...) [et qu’elle cherchera] à accroître I’ARPU au moyen d’une pénétration plusélevée (...) >, ce qui démontre que les critères « revenus » ou « clients actifs» pourapprécier les parts de marché sont bien plus adéquats que celui du nombre d’abonnés.Dans ce même prospectus, Belgacom reconnaissait détenir au 31 décembre 2003 unepart de marché de 62% des clients actifs pour les services «postpaid ».

La prise en compte des parts de marché en termes de revenus permet en outre degommer les différences qui peuvent exister au niveau de la clientèle entre les abonnésqui ont un ARPU différent ainsi que ceux qui ont choisi l’offre «postpaid » plusrémunératrice de ceux qui ont choisi l’offre « prepaid >, et ce, même pour apprécier unéventuel effet de réseau puisque celui-ci se développe plus entre des clients qui ont desfacultés contributrices plus élevées.

Pour constater la puissance de marché de Belgacom, il suffit de prendre connaissance dugraphique représentant les résultats d’exploitation des parties, établi par Base sur labase des données publiques

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Disposant de plus de moyens financiers que ses concurrents, Belgacom était ainsi lamieux à même pour attirer de nouveaux clients. A cet égard, Base soutient, sur la basedes rapports de Mobile Communications (cf. conclusions de Base, p. 132 et pièces V1,5 etVl,6 de son dossier) qu’entre 1999 et 2003, Belgacom aurait acquis 2.134.012 clientsactifs, contre 1.575.368 pour Mobistar et 907.400 pour Base, ce que Belgacom conteste.Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que selon les données de Belgacom elle-même (cf. tableau à la page 64 de ses conclusions qui est tout aussi contesté parMobistar et Base), elle disposait, au 31 décembre 1996, soit peu après l’entrée deMobistar sur le marché de 370.000 clients et qu’en 2004, elle en avait 4.197.826, soitune augmentation de 3.827.826, alors que, pour la même période, Mobistar est passéede 68.000 clients à 2.845.762, soit une augmentation de 2.777.762 clients, et qu’entre1999 et 2004, la progression de Base fut de 80.000 clients à 1.647.000, soit uneaugmentation de 1.567.000 clients, ce qui démontre bien que pendant la périodelitigieuse, c’est Belgacom qui a attiré le plus de nouveaux clients.

50. Il se déduit de ce qui précède qu’il est établi que la part de marché de Belgacom,qualifiée de « considérable » par le Conseil de la concurrence, dépassait nettement les50% entre 1999 et 2005 en termes de valeurs qui est le critère prépondérant et qu’enconséquence, il est présumé qu’elle disposait d’une position dominante. En toutehypothèse, s’il fallait prendre en considération le critère du nombre d’abonnés,Belgacom dépassait les 50% jusqu’en 2003 et les 46 % en 2004 et 2005, ce qui, eu égardaux facteurs additionnels dont il sera question ci-après, suffit pour conforter laprésomption de dominance.

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Vainement, Belgacom soutient-elle encore que, pour calculer les parts de marché d’unopérateur dominant, il ne conviendrait pas de comparer sa part de marché à cellesdétenues par ses concurrents, c’est-à-dire en la divisant par la somme de toutes les partsde marché des opérateurs, mais en ajoutant à ce dénominateur la partie du marché quin’aurait pas encore été prospectée, en prenant en considération le taux de pénétrationdu marché. Lorsque, dans son arrêt United Brands du 14 février 1978, la DUE rappellequ’un opérateur ne saurait détenir une position dominante sur le marché d’un produitque s’il est parvenu à disposer d’une partie non négligeable de ce marché, elle n’a pas ditqu’il fallait relativiser le calcul des parts de marché en fonction du taux de pénétration duproduit et prendre prioritairement en considération la part du marché non encorecaptée par les acteurs économiques. Une telle interprétation viserait à écarter le droit dela concurrence dans les marchés émergents ou dans ceux qui ne seraient pas encorearrivés à maturité, ce qui ne peut être admis puisque le jeu normal de la concurrenceconsiste aussi « à satisfaire rapidement la demande qui désirerait se détournerrapidement de l’entreprise détenant la part la plus considérable)) (DUE, 13 février 1979,C-85/76, Hoffman-La Roche, point 41). En outre, dans cette hypothèse, le calcul des partsde marché dépendrait de données totalement hypothétiques (comme l’étenduethéorique du marché, le solde du taux de pénétration, les facultés des opérateurséconomiques à pénétrer encore plus le marché, etc.) ce qui est contraire au principe dela sécurité juridique. Le seul critère objectif pour analyser le marché est de comparerentre elles les parts de marchés déjà acquises par les opérateurs au moment de l’examend’une éventuelle dominance de l’un d’entre eux.

51. Pour l’année 2006, la cour ne dispose pas de données suffisamment précises etobjectives pour apprécier la part de marché détenue par Belgacom, tant en termes denombre d’abonnés, de clients actifs que de valeur.

La demande de Mobistar, sur laquelle pèse la charge de la preuve, n’est pas fondée pourcette année-là.

b.- Sur la pertinence du calcul des parts de marché

52. Belgacom soutient que le pourcentage élevé de parts de marché ne constitue qu’unindice de dominance et qu’il conviendrait d’analyser de manière approfondie etexhaustive les caractéristiques économiques du marché pertinent.

Contrairement à ce qu’elle soutient, la jurisprudence européenne n’a pas été infléchie enconsidérant qu’une part de marché de 50% ou plus ne constituait qu’un indice parmid’autres de dominance. En effet, dans son arrêt du 29 mars 2012 (Telefonica, T-336/07,

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point 149), le TUE a rappelé une nouvelle fois que des parts de marché extrêmementimportantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles (c’est lacour qui souligne) la preuve de l’existence d’une position dominante.

La charge de la preuve de l’existence de ces circonstances exceptionnelles renversant laprésomption de dominance incombe donc à Belgacom.

53. Eu égard à ce qui a été dit plus haut et à la constatation de l’existence de parts demarché très élevées détenues depuis longtemps par Belgacom, les considérationsgénérales, développées par elle aux pages 551 à 575 de ses conclusions sur la pertinencerelative du critère des parts de marché ne peuvent être retenues. A cet égard, la courentend rappeler que la Communication de la Commission (2009/C 45/02) « Orientationssur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CEaux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes)) (J.O. du 24 février 2009)ne vise pas, selon le point 3 de ce document, à établir le droit applicable.

Dans ces conditions, la cour se bornera à rappeler que

— Belgacom a toujours disposé d’une part de marché, en termes de revenus,supérieure à celles réunies de ses deux concurrents;

— l’érosion des parts de marché de Belgacom est normale puisqu’elle était enposition de monopole et qu’en raison de la libéralisation du marché, elles étaientnaturellement destinées à diminuer par l’arrivée de tout nouvel entrant;

— cette érosion n’implique pas, par elle-même, l’inexistence d’une positiondominante, comme l’ont rappelé la DUE et la Commission, d’autant queBelgacom a continué à bénéficier pendant la période examinée de bénéficesimportants et à acquérir le plus de nouveaux clients, ce qui implique que cetteérosion n’est pas un facteur déterminant de l’émergence d’une réelleconcurrence sur le marché; de plus, il convient de relativiser cette stagnation entermes de valeurs, par rapport au chiffre d’affaires de Belgacom

— si Mobistar a pu rapidement atteindre +1- 30% de parts de marché, c’est parcequ’elle a occupé la première le segment non occupé par Belgacom des services«prepaid » en lançant son offre « Tempo)) (cf. conclusions de Belgacom, n° 37, p.70); en revanche, il est constant que Mobistar n’a pas été capable d’étendreensuite cette part de marché et de satisfaire la demande de la clientèle quisouhaitait se détourner de Belgacom ; la part de marché de Mobistar neconstitue donc pas un facteur déterminant pour affirmer que, malgré des partsde marché élevées, Belgacom ne serait pas en position dominante, d’autant quele grief de compression des marges concerne principalement le segment« postpaid » dans lequel la différence entre Belgacom et les autres opérateurs estla plus élevée; quant à Base, l’IBPT a reconnu qu’elle éprouvait de grandesdifficultés à atteindre le seuil critique (pièce ll,B (2) (7) du dossier de Base)

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— Belgacom a continué à affirmer dans sa communication qu’elle restait le« leader » du marché, malgré l’arrivée de deux nouveaux entrants;

— Belgacom est l’entreprise qui a pu attirer le plus de nouveaux clients et sonrésultat d’exploitation est celui qui a connu la plus forte croissance;

— les analyses de marché effectuées par l’IBPT concernent le marché de gros etn’ont aucune valeur sur le marché de détail; par ailleurs, il ne convient pas deconfondre des appréciations ex ante et ex post;

— la référence à des décisions étrangères — concernant par principe un autremarché — n’est pas pertinente; il en est de même pour la comparaison avec desopérateurs étrangers; au demeurant, il a été démontré par le graphique produitpar Base à la page 127 de ses conclusions que Belgacom est l’opérateurhistorique le plus performant de l’Union européenne;

— le fait que les opérateurs alternatifs aient enregistré le plus de demandes deportabilité de numéros n’est que la conséquence normale de leur entrée sur lemarché qui se caractérise par une migration d’un certain nombre de clients deBelgacom, mais n’implique pas que celle-ci ne soit plus en position dominante;

— rien ne permet d’affirmer que l’appréciation d’une position dominante parl’analyse des parts de marché serait impropre au secteur destélécommunications, qualifié contradictoirement par Belgacom de dynamique,d’une part, et de faible au niveau de son taux de pénétration, d’autre part; c’esten tout cas cette méthode qui a été utilisée par le Conseil de la concurrence, toutcomme par les autorités de régulation nationales.

54. Plus important pour la détermination d’une position dominante, est l’aveu de Belgacomdevant le Conseil de la concurrence qui a pris « acte du fait que BMB a reconnu devant[lui] à l’audience du 4 novembre 2008 qu’elle a effectivement [la] possibilité par sapuissance sur le marché [de maintenir des prix élevés] » (point 163), ce qui démontrequ’elle est très largement insensible aux actions et réactions de ses concurrents. Cetteseule constatation devrait suffire pour consolider la constatation de la positiondominante de Belgacom.

Vainement Belgacom soutient-elle qu’elle n’aurait jamais exprimé de tels propos devantle Conseil de la concurrence. Dès lors que Belgacom ne s’est pas inscrite en faux contre le§ 163 de la décision, la cour ne peut que tenir pour vrai ce qui a été acté.

Par ailleurs, dès lors qu’une des pratiques abusives alléguées est un effet ciseau, ilconvient également de tenir compte de l’enseignement de l’arrêt Telefonica (TUE, 29mars 2012, T-336/07, point 146) qui rappelle qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour,que le caractère abusif d’une pratique tarifaire mise en place par une entrepriseverticalement intégrée en position dominante sur un marché de gros pertinent etaboutissant à la compression des marges des concurrents de cette entreprise sur lemarché de détail ne dépend pas de l’existence d’une position dominante de cette

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entreprise sur ce dernier marché (arrêt de la Cour du 17 février 2011, TeliaSonera, C52/09, Rec. p. l-527, point 89). A suivre cet enseignement, il n’y aurait donc lieud’examiner les arguments de Base et Mobistar relatifs à l’établissement de la positiondominante qu’en ce qui concerne les marchés de gros en cause, rendant ainsisurabondants tous les moyens relatifs au marché de détail puisqu’il n’est pas contestéque tous les opérateurs sont dominants sur leur propre marché de terminaison. Afind’éviter toute critique, la cour rencontrera cependant tous les arguments soulevés àpropos du marché de détail.

c.- Sur les facteurs additionnels

55. Base et Mobistar entendent faire valoir les facteurs additionnels suivants renforçant ladominance de Belgacom.

(j).- Sur les barrières à l’entrée

56. Le Conseil de la concurrence a constaté (n° 166) que « le marché de la téléphonie mobilese caractérise par deux types de barrières à l’entrée. D’une part, la nécessité légaled’acquérir une licence afin de devenir opérateur, ce qui limite le nombre de concurrents àtrois. D’autre part, les coûts très importants d’investissements nécessaires à l’installation,la maintenance et la modernisation constante d’un réseau de mobilophonie couvrantl’ensemble du territoire ». Le premier juge a constaté, quant à lui, que le « secteur destélécommunications mobiles est caractérisé par de très 1mportantes barrières à l’entrée,ce qui limite le degré de concurrence potentiel ».

Belgacom conteste l’existence de toute barrière à l’entrée.

57. A titre exemplatif, la Commission s’est exprimée comme suit sur les barrières à l’entréeet celles à l’expansion

« Les barrières à l’expansion ou à l’entrée peuvent revêtir diverses formes. Il peut s’agirde barrières juridiques, telles que les droits de douane ou les contingents, ou encored’avantages dont jouit spécifiquement l’entreprise dominante, tels que les économiesd’échelle et de gamme, un accès privilégié à des intrants essentiels ou à des ressourcesnaturelles, à des technologies importantes ou à un réseau de distribution et de ventebien établi, li peut également s’agir de coûts et d’autres entraves, résultant par

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exemple d’effets de réseau, auxquels sont confrontés les clients lorsqu’ils veulentchanger de fournisseur. Le comportement de l’entreprise dominante peut égalementélever des barrières à l’entrée, notamment lorsqu’elle a réalisé des investissementsimportants que les nouveaux arrivants ou les concurrents devront égaler, ou lorsqu’elleo conclu avec ses clients des contrats à long terme qui ont des effets d’éviction. Desparts de marché qui se maintiennent à un niveau élevé peuvent être des indices del’existence d’entraves à l’entrée et à l’expansion.

Si les barrières à l’entrée sur le marché en amont et/ou en aval sont élevées, il peutêtre onéreux pour les concurrents de surmonter un verrouillage éventuel par uneintégration verticale» (Communication de la Commission 2009/C45, op. cit., n° 17 et20).

58. Les barrières à l’entrée ne peuvent être raisonnablement contestées. Elles sont d’ailleursrappelées par la Commission au point 80 de ses lignes directrices (c Dans le secteur descommunications électroniques, des barrières à l’entrée sont souvent élevées en raisond’exigences législatives et réglementaires qui peuvent limiter le nombre de licencesdisponibles ou la prestation de certains services. f...) En outre, il existe des barrières àl’entrée du marché en cause lorsque celle-ci exige de lourds investissements et laprogrammation des capacités sur une longue période afin d’atteindre la rentabilité »).

Tel est le cas en l’espèce. L’entrée sur le marché en Belgique est conditionnée parl’obtention d’une licence — délivrée en nombre limité — ainsi que la construction etl’exploitation d’un réseau couvrant l’entièreté du territoire. Le graphique reproduit aupoint 49 démontre que Mobistar n’a pu atteindre l’équilibre budgétaire qu’après cinqexercices et six pour Base, cette dernière ayant enregistré des pertes pendant toute lapériode en cause. Outre qu’elle constitue une barrière à l’entrée, une telle situationbudgétaire constitue également une barrière à l’expansion puisque les entreprisesnouvelles entrantes doivent d’abord couvrir des pertes existantes importantes avant depenser à de nouveaux investissements.

Il a également été démontré que Mobistar et Base ont capté moins de nouveaux clientsque Belgacom.

Par ailleurs, ainsi que cela sera développé ci-après, il convient de prendre enconsidération les avantages dont bénéficiait Belgacom (réseau, économies d’échelle,réseau de distribution, etc.) rendant encore plus difficile l’entrée et l’expansion sur lemarché, ainsi que sa part de marché très élevée pendant toute la durée de la périodelitigieuse.

Enfin, il importe peu, pour apprécier les contraintes concurrentielles effectives àl’entrée, que Mobistar et Base aient finalement pu entrer sur le marché après quelques

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années (deux ans et demi pour la première et cinq ans et demi pour la seconde) au prixd’investissements importants. Il est au contraire plus important de constater que lemarché ne compte que trois opérateurs et que la quatrième licence n’a pas pu trouverpreneur, ce qui démontre que les autres opérateurs considéraient que le marché n’étaitpas suffisamment concurrentiel pour espérer rentabiliser les investissements importantsà consentir pour y entrer. Le graphique suivant (cf. conclusions de Base, page 31),démontre que le résultat d’exploitation cumulé de Belgacom ne permettait guèrel’entrée d’autres opérateurs.

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Il est ainsi établi qu’il n’existait pas de pression suffisante d’opérateurs extérieurs. Or,pour apprécier une barrière à l’entrée ou à l’expansion, il convient de tenir compte del’entrée de concurrents potentiels.

(ii).- Sur les économies d’échelle

59. Le premier juge a considéré que Belgacom a bénéficié d’importantes économiesd’échelle, dès lors qu’elle disposait d’une clientèle plus étendue que ses concurrents, cequi lui a procuré un avantage concurrentiel supplémentaire qui a contribué à renforcersa position dominante sur le marché.

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Belgacom estime que ce facteur est relatif. Elle affirme que la taille d’un opérateur nefait pas obstacle aux investissements de ses concurrents et au développement de leurclientèle. Ces derniers étant de taille plus réduite, ils avaient au contraire, selon elle, unlarge potentiel d’économies d’échelle futures.

60. La cour a de la peine à comprendre le raisonnement de Belgacom.

Ce n’est pas parce qu’un concurrent est moins puissant qu’il faut en déduire qu’ilatteindra un jour la même taille que l’opérateur dominant et bénéficiera dans l’avenirdes mêmes économies d’échelle, pour gommer les différences sur le plan concurrentiel.C’est oublier que pour croître il faut investir et capter de nouvelles parts de marché, cequi est évidemment d’autant plus difficile lorsqu’on est plus faible au départ.

En tout état de cause, ce pari sur l’avenir n’élimine pas l’avantage concurrentiel dontdisposait Belgacom en termes d’économies d’échelle, dues à sa double qualité de filialede l’opérateur historique et de premier entrant, outre le bénéfice d’un monopoled’exploitation pendant deux ans et demi.

Dès lors que Belgacom ne conteste pas avoir bénéficié d’économies d’échelle, ce facteurdoit être pris en considération pour apprécier sa dominance.

(iii).- Sur l’appartenance au groupe Belgacom et la participation de Vodafone

61. Le premier juge a considéré que:

— s’appuyant sur la décision de la Commission du 16 juillet 2003 dans l’affaireWanadoo (COMP/38.233), l’appartenance à un groupe formé par un opérateurhistorique dans le même marché géographique que l’entreprise dominante estsusceptible de donner à cette entreprise une possibilité d’appui financier ainsique des avantages commerciaux et techniques de nature à contribuer à saposition dominante;

— le groupe Belgacom, lui-même dominant dans tout le secteur destélécommunications, est susceptible de fournir à sa filiale Beigacom Mobile desfacilités de déploiement technique et commercial et de s’appuyer sur sa santéfinancière;

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— Belgacom a bénéficié de l’héritage de tous les clients MOB1 et MOB2 de samaison mère et de la connaissance approfondie du secteur, ainsi que de facilitéspour le déploiement de son réseau GSM ; elle a pu distribuer ses produits dans unréseau d’agences déjà fortement établi et en bénéficie encore aujourd’hui;

— l’entrée dans le capital par Vodafone, premier groupe mondial de téléphoniemobile, a permis à Belgacom d’optimiser son réseau.

Belgacom conteste la pertinence de ces constats et considère qu’elle n’a bénéficiéd’aucun avantage déterminant. En tout état de cause, elle soutient que Base etMobistar auraient disposé d’avantages identiques de KPN Telecom et de FranceTelecom.

62. Il ressort des pièces du dossier et des conclusions des parties que Belgacom a au moins:

— bénéficié d’arrangements en matière de colocalisation d’équipements dans lescentrales de sa société mère (cf. avis de l’IBPT du 25 juillet 2001)

— eu la possibilité d’utiliser l’infrastructure de téléphonie mobile MOB2 de samaison mère, lui évitant de devoir financer l’érection d’un très grand nombre demâts;

— évité d’investir dans la mise en place d’un réseau de commercialisation de sespropres produits, ayant la possibilité d’effectuer celle-ci dans les téléboutiques desa maison mère et a pu démarcher la clientèle existante des services detéléphonie fixe, en héritant de celle-ci;

— profité de la connaissance du secteur des télécommunications de sa maisonmère;

— bénéficié des revenus générés par les communications du réseau fixe de samaison mère vers son propre réseau mobile;

— profité de la renommée de la marque Belgacom contenue dans sa dénominationcommerciale (Belgacom Mobile) qui était associée dans sa communication ausigne distinctif Proximus.

Tous ces avantages, qui ne peuvent être raisonnablement contestés, sont de nature àrenforcer la position concurrentielle de Belgacom et créent une asymétrie entre lesdifférents opérateurs.

Certes, Base et Mobistar appartiennent également à de grands groupes, mais ceux-ci nesont pas opérationnels sur le même marché géographique et n’ont donc pas la mêmeconnaissance de celui-ci, outre qu’ils n’étaient pas les opérateurs historiques du marché.

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(iv).- Sur la puissance financière de Belgacom et son statut de premier entrant

63. La puissance financière de Belgacom est attestée par les graphiques repris aux points 49et 58. Elle a immédiatement engrangé des bénéfices importants (plus de quatre milliardsd’euros de bénéfices cumulés sur la période considérée), alors que ses concurrentes ontdû attendre plusieurs années avant d’atteindre l’équilibre. Cette bonne santé financièrea été mise en avant par Belgacom elle-même et reconnue par tous les analystesfinanciers (cf. les articles de presse déposés par Base et Mobistar).

Elle était donc plus à même que Base et Mobistar pour réaliser des investissementssusceptibles de conforter ses parts de marché.

Ces excellents résultats résultent notamment du fait que pendant deux ans et demiBelgacom était le seul opérateur de télécommunication mobile en Belgique. Son statutde premier entrant lui a permis d’avoir une meilleure connaissance du profil de laclientèle que ses concurrents, notamment professionnelle qui a un ARPU élevé, ce quiconstitue un avantage concurrentiel indéniable.

Vainement Belgacom soutient-elle que ces avantages financiers auraient été compenséspar l’IBPT qui a fixé pendant plusieurs années des MTR asymétriques, en ce sens queceux de Base et de Mobistar étaient plus élevés que ceux de Belgacom, contraignantainsi cette dernière à payer des charges de terminaison plus importantes que cellesqu’elle percevait de ses concurrents. Aucune étude économique ne démontre que cettecompensation était suffisante pendant la période en cause. De plus, dans son arrêt du 16mai 2012 (R.G. 2010/AR/2003 KPN Group Belgium SA/IBPT-Belgacom SA, point 100), lacour a bien constaté que le statut de premier entrant de Belgacom lui a donné desavantages concurrentiels qui persistaient peut-être encore au moment où elle a statué,soit huit ans plus tard. S’il est vrai que la cour a estimé que I’IBPT a pu considérer que le

mécanisme du gilde path (aux termes duquel l’asymétrie des tarifs de terminaisonpouvait encore être appliquée pendant un certain temps pour ensuite cesser) suffisait àcompenser les avantages concurrentiels que Belgacom détiendrait encore, il convient

toutefois de rappeler que ce gilde path n’a débuté qu’à partir de 2010 et que toutes ces

considérations ne concernent pas la période en cause, au cours de laquelle les avantagesconcurrentiels étaient indéniables. Comme le relève à juste titre Mobistar (point 107 de

ses conclusions), rien ne permet d’affirmer que l’asymétrie des tarifs entre 2002 et 2006était suffisante pour compenser les avantages de Belgacom ; le fait qu’ils aient encore

été maintenus pendant le gilde path démontre le contraire.

Cette seule constatation suffit pour asseoir la conviction de la cour. Il est donc sans

utilité de rencontrer les autres arguments d’ordre économique développés par Belgacom

à propos des données financières et autres indicateurs économiques, comme lacomparaison des budgets publicitaires des différents opérateurs économiques, à propos

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desquels, au demeurant, la cour ne dispose pas des dossiers techniques pour lesapprécier.

(y).- Sur le degré de concentration du marché

64. Le premier juge a pris en considération la concentration du marché, sur la base del’indice de Herfindhal-Hirschmann fIHH) produit par Base.

Belgacom conteste la pertinence du graphique qui a été produit et qui démontrerait quele marché belge était le marché le plus concentré dans l’Union européenne jusqu’en2002 et qu’en 2003/2004, cette concentration était encore élevée.

Certes, cet indice n’est utilisé que dans le cadre des concentrations et moins il y a deconcurrents, plus cet indice risque d’être élevé. Il n’en demeure pas moins que si onprend en considération les parts de marché identifiées par l’IBPT en 2004, on aboutit àun indice IHH de 57,22 + 3;2 + 92

= 4313,84, soit très largement au-dessus du seuil de2000 retenu par la Commission aux n° 19 et 20 de ses Lignes directrices sur l’appréciationdes concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôledes concentrations entre entreprises 20041C 31/03. Cet indice est de plus toujours au-dessus de 3.333,33 (si on prend en considération trois opérateurs égaux, soit 33,332 x 3).Son calcul laisse donc supposer un sérieux problème de concurrence horizontale si uneconcentration devait intervenir dans ce marché.

Il n’est pas contesté que ce facteur est relatif puisqu’il ne détermine pas l’existenced’une dominance mais seulement un risque de dominance. En tout cas, il démontre undegré élevé de concentration du marché, ce qui conforte l’existence de barrières àl’entrée.

d.- Sur les circonstances exceptionnelles

65. Belgacom fait valoir plusieurs circonstances exceptionnelles qui, selon elle,renverseraient la présomption de dominance déduite de parts de marché dépassant les50%.

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]

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Cour d’appel Bruelles — 2012/AR/1— p. 58

fi).- Sur l’entrée des MVNO sur le marché

66. Belgacom soutient que la présence sur le marché d’opérateurs de réseau mobile virtuel

(« Mobile virtual netwok operator» en anglais ou MVNO en abrégé) démontrerait

l’absence de dominance dans son chef.

67. Un opérateur MVNO est un opérateur qui ne dispose pas d’infrastructure propre mais

qui contracte un accord, moyennant rémunération, avec les opérateurs mobiles

possédant un réseau, pour se brancher sur le leur et revendre, sous sa marque, des

services de télécommunication à une clientèle spécifique.

Belgacom reconnaît en conclusions que la pénétration effective des MVNO pendant la

période examinée est restée limitée (cf. n°574, p. 586 et n°615, p.635). A l’audience, elle

a reconnu que leurs parts de marché étaient inférieures à 1% (Mobistar prétend qu’elles

ne dépassaient pas 0,0 % - soit en supprimant l’arrondi : 0,05%). En outre, cette activité

n’a débuté qu’en 2003 et uniquement sur le réseau de Base, soit à la fin de ladite

période, alors qu’en 2007, l’IBPT concluait que leurs parts de marché étaient

négligeables (cf. note de bas de page 484 des conclusions de Base).

Il ne peut donc être soutenu qu’il s’agissait là d’une pression concurrentielle significative.

(ii).- Sur le contre-pouvoir d’achat et de négociation des clients

68. Le fait que les utilisateurs des services mobiles soient capables de mettre les opérateurs

face à face et de faire jouer pleinement la concurrence peut, en principe, faire obstacle

au constat de l’existence d’une position dominante.

Le premier juge a considéré que la possibilité dont les clients disposent de faire jouer la

concurrence entre les opérateurs mobiles serait insuffisante pour compenser la

prétendue position dominante de Belgacom, eu égard à la fragmentation de la clientèle,

à sa fidélité et à l’absence de portabilité des numéros avant 2002. Il affirme également

que seule une minorité de la clientèle « affaires» (les administrations et les grandes

entreprises) recourrait à des procédures d’appels d’offres pour sélectionner leur

fournisseur.

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J

Page 59: Cour d'appel Bruxelles Arrêt

Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p, 59

Belgacom soutient que tous les clients, professionnels ou non, pouvaient faire jouerpleinement la concurrence à l’occasion d’une comparaison des services de chaqueopérateur et le cas échéant à la suite de négociations avec ceux-ci.

69. Le marché pertinent est celui de la téléphonie mobile en général. Le segment constituépar une clientèle « affaires » ayant des exigences particulières n’a pas été retenu commemarché pertinent en sorte, notamment, que les considérations émises par le tribunal decommerce dans son jugement du 12 décembre 2005 ne sont pas relevantes in casu. C’estdonc sur le marché global de la téléphonie mobile qu’il convient d’apprécier si les clientsont un contre-pouvoir de négociation des prix. Cette clientèle est composéeindistinctement par des particuliers et des entreprises qui acceptent des offres« prepaid» ou « postpaid )>.

Un service « prepaid)) n’est pas susceptible, par nature, de faire l’objet d’unenégociation préalable au cours de laquelle les opérateurs devraient subir la loi del’acheteur. li en est de même pour tous les clients qui souscrivent des abonnementsstandards offerts tant à la clientèle résidentielle que d’affaires. Les seuls clients quiseraient susceptibles de négocier des contrats « sur mesure » sont les toutes grandessociétés ou les institutions, qualifiées de « grands comptes ». Belgacom, qui a la chargede la preuve en cette matière, n’indique pas ce que représente ce segment dans lemarché pertinent, tant en termes de volume que de valeur, ce qui ne permet pas à lacour de retenir qu’il s’agit d’une partie significative de celui-ci. Belgacom admet d’ailleursque cette donnée n’est pas pertinente (cf. ses conclusions, n° 177, p. 206). La seuleinformation dont la cour dispose est que, dans ce segment, seules deux entreprisesseraient actives, Belgacom et Mobistar, et que Belgacom y disposait entre 2002 et 2004de 80 à 70 % de parts de marché. Mais cette donnée ne permet pas de dire que cettecatégorie d’acheteurs a, sur l’ensemble du marché pertinent, une puissance d’achatsuffisamment significative pour exercer une véritable contrainte sur les prix pratiquéspar les opérateurs mobiles. Au demeurant, il convient de tenir compte du fait que lescontrats qui sont signés avec de telles entreprises sont généralement pour une duréedéterminée assez longue, ce qui limite considérablement leur contre-pouvoir d’achat.

A défaut d’éléments probants, l’argument de Belgacom ne peut être retenu.

70. Enfin, pour être complet, la portabilité des numéros est totalement étrangère au pouvoir

de négociation (c’est la cour qui souligne) d’une partie de la clientèle qui suppose unediscussion d’égal à égal pour fixer un prix. Si un client rencontre moins de difficultés pours’adresser à un autre opérateur, ce n’est pas pour autant qu’il dispose d’un pouvoir pour

imposer sa propre structure de prix.

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J

Page 60: Cour d'appel Bruxelles Arrêt

Cour d’appel Bruxelles — 20121AR/1 — p. 60

(iii).- Absence de barrières à l’expansion

71. Belgacom soutient qu’il n’existe pas sur le marché mobile belge de barrières à

l’expansion. Elle n’est pas un fournisseur incontournable pour les utilisateurs finals, dès

lors que toute la demande est offerte à la concurrence, tous les opérateurs disposant des

moyens et des capacités financières, techniques et commerciales pour exploiter leur

réseau, et que le marché est en expansion pendant la période incriminée. Elle souligne

également que ses parts de marché seraient en constante régression, à l’inverse de celle

de ses concurrents.

72. Un marché en forte croissance n’est pas de nature à exclure l’application des règles de

concurrence et notamment celle de l’article 102 du TFUE, surtout lorsqu’il n’est pas

caractérisé par une forte instabilité au cours de la période litigieuse et que s’est installée

une hiérarchie assez stable avec un opérateur en position de leader (TUE 30 janvier

2007, France Telecom, points 107 et 108), ce qui est le cas en l’espèce, comme en

témoigne l’évolution des parts de marché, telle qu’elle découle des tableaux repris au

point 47.

La puissance financière de Belgacom, le fait qu’elle ait pu s’adosser à l’opérateur

historique, les économies d’échelle qu’elle a pu réaliser, la nécessité d’acquérir sans

cesse de nouvelles licences d’utilisation de fréquences radio, de suivre les avancées

technologiques et de faire de continuels investissements pour pouvoir faire face à

l’augmentation de la demande, l’absence, au cours des années 1999 à 2002, de la

portabilité des numéros dissuadant les clients de changer d’opérateur, constituent

autant de barrières à l’expansion, le marché fût-il, lui-même, en expansion.

li ne peut donc être soutenu qu’il n’existe aucune barrière à l’expansion. Même si elles

devaient être qualifiées de faibles, cette seule circonstance ne justifie pas le

renversement de la présomption déduite de parts de marché élevées et stables.

Pour le surplus, la cour rappelle que les priorités qui guident l’action de la Commission

ou autres Discussion Paper, ainsi que des décisions étrangères, soit qu’elles émanent

d’une juridiction (affaire Meridian) ou d’un régulateur, sur lesquels Belgacom s’appuie,

ne constituent pas le droit européen que la cour doit appliquer, n’étant tenue que par les

textes législatifs interprétés par la CJUE et le TUE.

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IiI. III

]

Page 61: Cour d'appel Bruxelles Arrêt

Cour d’appel Bruxelles — 2a12/AR/1— p. 61

(iv).- Nature du marché

73. Belgacom soutient que le marché de la mobilophonie était en pleine expansion avec untaux de pénétration peu élevé, témoignant de grandes perspectives de croissance,caractérisé par des innovations technologiques rapides et régulières, accessibles à tousles acteurs présents. Elle en déduit que la nature du marché empêchait toutedominance, même du premier entrant.

74. La cour a déjà statué sur ces arguments au point 50 lorsqu’elle a examiné les parts demarché de Belgacom.

La cour se bornera à rappeler que l’existence d’une concurrence, même vive, sur unmarché donné n’exclut pas celle d’une position dominante sur ce même marché, laditeposition étant essentiellement caractérisée par la capacité de se comporter sans avoir àtenir compte, dans sa stratégie de marché, de cette concurrence et sans, pour autant,subir des effets préjudiciables du fait de cette attitude. Ainsi, l’éventuelle existence d’uneconcurrence sur le marché est, certes, une circonstance pertinente, notamment, aux finsd’apprécier l’existence d’une position dominante, mais elle n’est pas en soi unecirconstance déterminante à cet égard. La réduction de parts de marché encore trèsimportantes ne peut constituer, en elle-même, la preuve de l’absence de positiondominante (TUE 30janvier 2007, 1-340/03, France Telecom, points 101 et 104).

Or, par ses aveux faits devant le Conseil de la concurrence (point 163 de la décision)Belgacom a reconnu qu’elle avait la possibilité de se comporter de manièreindépendante (cf. ci-avant). Il n’est d’ailleurs pas contesté que sa politique commercialeétait de maintenir des prix élevés, tablant sur le fait que « les clients avaient la cettitudeque la qualité était au tendez-vous » (cf. conclusions de Belgacom, p.39O et note de basde page 1430).

(y).- Présence de concurrents forts

75. Belgacom soutient que le marché belge se caractérise par la présence de concurrentsforts, appartenant à de grands groupes internationaux, ayant franchi les barrières àl’entrée et bénéficiant d’un accès à toutes les ressources financières nécessaires, enparticulier la présence de Mobistar avec une part de marché de 30% et plus. Elle rappelleégalement que le marché est asymétrique en raison de l’entrée échelonnée de Mobistaret puis de Base, ce qui a garanti la pression concurrentielle sur celui-ci.

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 62

Il a déjà été répondu à cet argument au point 62.

76. Par ailleurs, pendant toute la période en cause, Belgacom a pu, selon Base et Mobistar,

pratiquer des tarifs « on-net » bas, ce qui démontrerait, si le grief est prouvé, sa faculté à

se comporter de manière indépendante. De plus, elle ne prouve pas que, pendant cette

même période, ses concurrents auraient pu réagir en lançant, par exemple, des tarifs

compétitifs de type « ATAN» (pour ‘any time, any network’ ou ‘à n’importe quelle heure

et sur tous réseaux’ ») qui ne sont apparus que progressivement et bien plus tard.

Belgacom a pu maintenir des prix stables, ce qui tend à démontrer également son

indépendance par rapport aux actions promotionnelles de ses concurrents.

Comme déjà précisé plus haut, le fait que Base et Mobistar ont pu entrer sur le marché

ne renverse pas la présomption de dominance de Belgacom.

(vi).- Evolution technologique du marché

77. Les avantages technologiques allégués par Base dont Belgacom a pu profiter découlent

du statut de premier entrant de Belgacom qui a été examiné par la cour au point 63. lI

n’a jamais été soutenu que Base ou Mobistar se seraient vus refuser l’accès à une

quelconque technologie.

Ce que Base et Mobistar soutiennent c’est que Belgacom a toujours eu une longueur

d’avance sur le plan technologique, ce qui est normal puisqu’elles sont entrées sur le

marché après Belgacom.

Pour le surplus, Belgacom reconnaît elle-même que ce facteur est relatif, mais ne

démontre pas que l’évolution technologique continue du marché serait de nature à

renverser la présomption de dominance déduite des parts de marché très importantes

qu’elle détient.

e.- Conclusions

78. lI résulte de tout ce qui précède que Belgacom était bien en position dominante sur le

marché global de la télécommunication mobile entre 1999 et 2005.

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Page 63: Cour d'appel Bruxelles Arrêt

Cour d’appel Bruxelles — 20121AR/1— p. 63

L’appel de Belgacom sur ce point n’est pas fondé.

3.- Sur les différents abus

79. Base et Mobistar soutiennent que Belgacom aurait abusé de sa position dominante en

proposant à sa clientèle, dès que le marché est devenu concurrentiel par l’entrée de

nouveaux opérateurs, différents tarifs contenant des différenciations de prix ou d’autres

pratiques abusives, susceptibles d’avoir des effets anti-concurrentiels. D’une manière

générale, elles lui reprochent d’appliquer des tarifs extrêmement bas, mêmes inférieurs

à ses coûts, plus particulièrement en ce qui concerne les tarifs « on-net », ce qui les

empêche de la concurrencer efficacement.

Elles considèrent que ces pratiques tarifaires constituent des rabais de fidélité et des prix

prédateurs outre qu’elles entraînent des effets de ciseau et de réseau.

Les différents tarifs en cause sont détaillés aux points 131 à 173 des conclusions de

Mobistar et aux pièces IV.17 et Vl.18 du dossier de Base, peu importe qu’ils n’aient pas

été mentionnés expressément dans l’acte introductif d’instance ou la requête en

intervention, comme il a été dit au point 29 du présent arrêt.

a.- Considérations générales

(i).- Sur la différenciation entre les tarifs «on-net» et « off-net »

$0. Lorsqu’elle était en situation de monopole, Belgacom pratiquait des tarifs fort élevés qui

variaient en fonction de la hauteur de l’abonnement mensuel et des heures au cours

desquelles l’appel était formé. Comme il n’y avait pas encore de concurrence, tous les

appels étaient « on-net », à l’exception des appels entre le réseau fixe de Belgacom et

celui de sa filiale Belgacom Mobile qui étaient encore plus chers puisqu’ils tenaient

compte d’une interconnexion entre ces réseaux. Le tarif mobile était le suivant:

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Page 64: Cour d'appel Bruxelles Arrêt

Cour d’appel Bruxefles — 2012/AR/1—

p. 64

Formule Tarif Frais activation Abonnement

Marco Polo 88.88 64.19

Heures creuses 0.19Heures pleines 0.30

Magellan 88.88 44.44

Heures creuses 0.19Heures pleines 0.37Scott 88.28 37.04

Heures creuses 0.23

Heures pleines 0.47

Belgacom a diminué ses tarifs en réponse à l’entrée de Mobistar sur le marché et apratiqué une différenciation entre les tarifs « on-net » et « off-net ». Il résulte en effetdes tarifs soumis à la cour qu’un appel « off-net)> effectué par un abonné de Belgacomvers un abonné des autres opérateurs mobiles coûtait beaucoup plus cher qu’un appel« on-net)) effectué par ce même abonné vers un autre abonné de Belgacom. Ainsi, parexemple, en octobre 1996, Belgacom offrait un tarif de 4,13 BEF (HWA) ou 0,10 € laminute pour un appel « on-net» en heures creuses (pièce III. B.4.8 du dossier de Base),soit presque deux fois moins cher que le plus bas de ses tarifs antérieurs.

Outre le paiement d’un abonnement (qui est dû pour les deux types d’appel, « on-net»

et « off-net »), les différences les plus significatives entre ces deux tarifs, sont lessuivantes, à partir du début de la période examinée (les tableaux complets sontreproduits dans les conclusions et pièces déposées par Mobistar et Base et leurreproduction dans le présent arrêt n’est pas utile pour la solution du litige)

Abonnement On-net Off-net On-net Off-net(pleines) (pleines) (creuses) (creuses)

Proxifun 10.76 0.1229 0.533 0.0820 0.205

Proxipro 21.51 0.1229 0.533 0.0820 0.205

Proxiplus 31.75 0.122 0.305 0.082 0.205

Progroup 19.42 0.123 0.533 0.082 0.205

Corporate 19.42 0.123 0.307 0.082 0.205

Ainsi, en heures pleines, un appel de Belgacom à Belgacom coûte quatre fois moins cher

qu’un appel vers un opérateur alternatif et en heures creuses, deux fois et demi moins

cher.

Ces tarifs vont évoluer à la baisse tout au long de la période litigieuse pour tendre

progressivement, mais pas complétement, vers des tarifs « ATAN» dans lesquels il n’y a

plus de différenciation « on-net>) et « off-net ». Les parties ne s’accordent pas sur les

dates à partir desquelles les tarifs en cause ont gommé cette différenciation, mais cette

controverse est, à ce stade de la procédure, sans incidence sur la solution du litige

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II.

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Page 65: Cour d'appel Bruxelles Arrêt

Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 65

puisqu’il s’agit pour la cour de vérifier d’abord, au niveau des principes, si cettedifférenciation tarifaire peut constituer un abus de position dominante.

81. Les parties ne s’accordent pas non plus sur la décomposition technique et, partant, surles coûts de ces deux appels. Pour Base et Mobistar, ils requièrent les mêmesprestations, à savoir un départ d’appel (depuis le GSM de l’appelant vers uncommutateur de routage) et une terminaison d’appel (depuis ce commutateur, pour lesappels « on-net)) vers le GSM de l’appelé ou depuis le point d’interconnexion entre lesréseaux pour les appels « off-net »). Selon Base et Mobistar, la seule différence résidedans le fait que, dans le cas d’un appel « off-net >, c’est l’opérateur de l’appelé quiassure la terminaison d’appel depuis le point d’interconnexion et facture cette prestationà l’opérateur de l’appelant. Il s’agit du MTR. Base et Mobistar affirment que les coûtsassociés à la terminaison d’appel sont manifestement similaires, qu’ils soient « on-net))ou <t off-net », puisque, dans le cadre d’un appel <t on-net» l’opérateur doit acheminerlui-aussi l’appel depuis le commutateur de routage vers le GSM de l’appelé.

Belgacom conteste que la décomposition technique d’un appel « on-net)> soit identiqueà celle d’un appel « off-net », car il convient, selon elle, de tenir compte des fraisengendrés par l’interconnexion qui ne seraient pas identiques à ceux qui résulteraient dupassage par un commutateur de routage. Belgacom en déduit que la thèse del’équivalence des coûts de départ d’appel et de terminaison d’appel est « inconcevable »,

mais a reconnu à l’audience du 31 octobre 2014 que les frais supplémentaires detransfert entre les commutateurs de chaque opérateur étaient minimes.

La cour observe que, dans son avis du 25 juillet 2001, I’IBPT a dit qu’en exécution del’obligation de non-discrimination en matière d’interconnexion, définie dans la directiveInterconnexion et dans l’article lO9ter, §3 de la loi du 21 mars 1991, le tarif « on-net» detout opérateur puissant doit comporter une charge de terminaison fictive quel’opérateur mobile en question est censé se facturer à lui-même. L’IBPT en déduit que le

tarif de détail <t intra-PLMN > (c’est-à-dire le tarif « on-net >) doit au moins couvrir lemontant du MTR. Par ailleurs, au n° 281 de sa décision du 26 mai 2009, le Conseil de la

concurrence constate que « techniquement, il n’y a pas de raisons que les coûts decollecte d’appel soient sensiblement différents de ceux de la terminaison, étant donné

que ces deux services utilisent la même infrastructure. »

Quoi qu’il en soit, il est constant qu’un appel « on-net>) est facturé à un prix largement

inférieur à un appel <t off-net ». C’est cette différence qui fait l’objet du litige.

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 66

(ii).- Sur l’unité économique

82. Encore que Belgacom ne développe principalement ce moyen que dans le cadre du testdu ciseau tarifaire, ce thème est abordé 156 fois dans les conclusions à différentspassages. Par ailleurs, son conseil a précisé en plaidoiries qu’il fallait en tenir comptedans le cadre de l’examen de tous les abus.

Il convient dès lors de le rencontrer au niveau des principes dès ce stade de la procédure,d’autant que ce moyen a été rejeté tant par le Conseil de la concurrence que par lejugement entrepris et qu’il constitue la pierre angulaire de la thèse soutenue parBelgacom.

83. Base et Mobistar font grief à Belgacom d’avoir abusé de sa position dominante enappliquant en faveur de ses clients un tarif « on-net)) bas qu’elles soutiennent nepouvoir dupliquer, eu égard à la différenciation entre les tarifs « on-net» et « off-net»;en effet, pour attirer sur leur réseau des abonnés de Belgacom ou convaincre des primoaccédants au marché de choisir leur réseau, elles devraient offrir des tarifs « off-net» ou«ATAN» inférieurs aux tarifs « on-net» de Belgacom, ce qui leur est impossible sansfaire de pertes, dès lors qu’elles doivent supporter leurs propres coûts de départ d’appelet s’acquitter envers Belgacom des MTR.

Belgacom soutient que les tarifs « on-net» visés dans la présente procédure neconstituent que quelques tarifs d’une offre composée sur un ensemble de types d’appelset de fonctionnalités qui est conçue, proposée, achetée et consommée comme une unitééconomique. Il serait dès lors erroné de tenter d’isoler artificiellement certains aspectstarifaires (comme le prix des appels « on-net ») de la globalité des offres en question. Elleestime qu’il n’y a pas lieu d’exclure des revenus à prendre en considération les revenusissus des autres fonctionnalités offertes aux utilisateurs des plans tarifaires litigieux tellesque notamment les appels « off-net» (vers les réseaux fixes et les autres réseauxmobiles), les appels entrants, les appels internationaux, les SMS, les MMS, lescommunications de transfert et de téléchargement de données, puisque, selon ladéfinition du marché pertinent retenue, toutes ces autres fonctionnalités font partieintégrante du service composant ce marché.

Mais, pas plus que pour les tarifs « on-net », Belgacom ne fournit d’informations d’ordreéconomique sur la structure globale de tous ses tarifs, ne permettant pas à la courd’apprécier, à ce stade de la procédure, si, même sur un plan agrégé, l’un ou l’autre tarif

aurait un effet anti-concurrentiel ou s’il serait possible pour les concurrents de pratiquerune compensation non dommageable entre segments du marché.

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II. ‘Mil

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 67

Au demeurant, on ne comprend pas pourquoi, lorsqu’il faut apprécier un effet anti-concurrentiel d’un appel « on-net », par exemple par une compression des marges, il nefaille pas se limiter à la comparaison entre le prix de la prestation de détail en cause et laprestation de gros qui lui est intimement liée, car indispensable, et pourquoî il faudraitajouter à ce tarif « on-net » des agrégats qui lui sont étrangers, comme par exemple lesrevenus générés par un SMS ou par des appels de et vers l’étranger, pour ne le comparerensuite qu’au seul MTR qui est étranger à ces agrégats. Suivre Belgacom dans sa théorie,en élargissant ainsi en dehors de toute réalité économique une des deux branches de lacomparaison, reviendrait à vider de sa substance la notion même d’abus de positiondominante fondée sur un prix; en effet, dans ce cas, le numérateur (qui comprendraittous les revenus de l’entreprise dominante, même ceux qui sont étrangers au service encause) sera toujours supérieur au dénominateur, lequel est limité au seul service de grosspécifique en relation avec le premier. II ne peut être admis que des entreprisesdominantes qui réaliseraient des profits globaux bénéficieraient ainsi d’une impunité surle plan de certaines de leurs pratiques tarifaires. Ce qu’il convient d’apprécier, ce sont lescomposantes des coûts et des prix des deux services qui sont comparables et surtoutcelui qui est mis en cause, à savoir l’appel « on-net ».

84. Contrairement à ce que soutient Belgacom, la pratique décisionnelle des institutionseuropéennes n’est pas unanime pour privilégier la théorie de l’unité économiquelorsqu’il s’agit d’apprécier un effet anti-concurrentiel d’une pratique tarifaire.

Ainsi, à titre d’exemple, dans son arrêt du 10 avril 2008 (Deutsche TeIekomI-271/03), leTUE a dit que c’est à bon droit que la Commission a tenu compte, aux fins du calcul del’effet de ciseaux tarifaires, uniquement des recettes des services d’accès en excluant lesrecettes d’autres services, tels que les services de communications. Le TUE a rappeléqu’en admettant même que, du point de vue de l’abonné les services d’accès et decommunications constituent un ensemble, l’égalité des chances entre l’opérateurhistorique et ses concurrents implique que les prix pour les services d’accès soient fixés àun niveau tel qu’ils placent les concurrents sur un pied d’égalité pour la fourniture desservices de communications. Cette égalité n’est respectée que si l’opérateur historiquefixe ses prix de détail à un niveau qui permette aux concurrents de répercuter l’ensembledes coûts liés à la prestation intermédiaire sur leurs prix de détail. A défaut, le service nepeut être offert qu’à perte, obligeant les opérateurs de compenser ces pertes par desaugmentations d’autres tarifs, ce qui fausserait les conditions de la concurrence (cf. point199).

Le fait que le cas examiné par le TUE concernait la téléphonie fixe et que l’accès et lescommunications auraient pu être considérés comme appartenant à deux marchésdifférents est sans incidence. En effet, comme l’ont constamment souligné la DUE et leTUE, il y a lieu de statuer in concreto et de tenir compte de toutes les circonstances del’espèce. Ce qu’il est important de retenir dans cet exemple, c’est qu’il convient de

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préserver l’égalité des chances de l’opérateur entrant et de ne pas l’obliger à procéder àdes transferts horizontaux pour compenser des pertes; or, c’est ce que Belgacomsuggère par l’application de sa théorie dite de l’unité économique. Il ne convient eneffet pas de confondre marché pertinent et service pertinent, tout comme les méthodespour déterminer le marché pertinent et celles pour évaluer un abus de positiondominante constaté sur un service pertinent proposé sur ce marché. li n’est pasnécessaire que l’abus concerne tous les services du marché retenu. Rien n’empêche deconstater un abus sur un seul segment d’un marché (voy. la jurisprudence citée par Baseaux points 573 et suivants de ses conclusions), d’autant que les effets de cet abuspeuvent se répercuter soit sur ce segment, soit sur le marché, soit même sur un autremarché. A cet égard, il convient de noter que le segment des appels «on-net » en causeest très important puisqu’il concerne plusieurs centaines de millions d’euros de revenuspar an et qu’un abus sur celui-ci affecte nécessairement tout le marché. Au demeurant,ce sont les effets sur l’entrée des concurrents sur le marché qui sont déterminants aupremier chef et non la question de savoir si, dans l’optique de l’abonné, tous les servicesproposés se présentent comme un seul et même produit groupé (Décision de laCommission, 21 mai 2003, Deutsche Telekom, COMP/C -1/37.451, point 127).

Vainement Belgacom s’appuie-t-elle sur le point 206 de l’arrêt précité du 10 avril 2008pour soutenir qu’il faut prendre en considération la moyenne pondérée de «tous » lesservices ; en effet, si le TUE a pris en considération « tous les services d’accès » (soulignépar la cour) c’est parce qu’ils étaient comparables et qu’il devait comparer un serviced’accès de détail avec un prix de gros concernant « l’accès ». Il n’a jamais dit qu’il fallaittenir compte des services étrangers à l’accès. Au contraire, il a expressément exclu lescommunications téléphoniques. Par ailleurs, dans la présente affaire, il n’y a qu’un seulservice en cause, tant sur le marché de détail que sur le marché de gros, ce qui rendtoute agrégation non pertinente.

Quant aux décisions prises par les autorités de la concurrence — qui ne lient pas la cour —

elles ne sont pas univoques. La cour se réfère notamment aux nombreux exemples citéspar Mobistar aux points 705 à 715 de ses conclusions et par Base aux points 525 à 529des siennes, qu’elles opposent aux décisions citées par Belgacom. Toutes ces décisions sefondent en réalité sur une appréciation in concreto des faits de la cause, au cas par cas,l’un n’étant pas l’autre (cf. sur l’appréciation d’un effet de forclusion en matière derabais, J.-Fr. Belis, Examen de jurisprudence 1993-2005, Droit européen de laconcurrence, R.C.J.B., 2007, n129, p.518).

85. L’IBPT a par ailleurs reconnu que l’application du test de ciseaux tarifaires au niveau dessegments de marché pouvait également s’avérer appropriée pour garantir l’absence derestriction de la concurrence sur une partie du marché pertinent et qu’il convenait detenir compte des conditions particulières du cas étudié (voy. notes de bas de page 794 et795, page 213 des conclusions de Mobistar).

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Or, le Conseil de la concurrence a constaté que les appels « on-net » présentaient descaractéristiques particulières justifiant un examen individuel des conditions tarifaires dece service et que ce type d’appel fonctionnait, dans l’esprit des consommateurs, commeun produit d’appel. Il constate également que ces types d’appel et leur coûtconstituaient un facteur important dans la concurrence entre les opérateurs pour lesclients professionnels dans la période 2002-2005 (point 205). Belgacom ne contested’ailleurs pas que sa politique tarifaire pour les appels « on-net» constituait la clé devoûte de sa stratégie commerciale puisqu’elle a reconnu devant le premier juge (point197 de ses conclusions principales) qu’à défaut de ces tarifs, elle aurait été obligée dediminuer ceux d’autres types d’appel, afin de rester concurrentielle.

En outre, l’une des caractéristiques particulières des services en cause estl’interconnexion. Or, les MIR ont toujours été répercutés par tous les opérateurs dansles tarifs de détail « off-net» et jamais au niveau de l’ensemble des services offerts auxabonnés, ce qui démontre que les opérateurs n’appliquaient pas, dans les faits, la théoriede l’unité économique.

De plus, c’est à bon droit que le premier juge a considéré que, dans la mesure où laréglementation relative aux MIR avait pour objectif d’empêcher la création d’effetsciseaux par l’augmentation du tarif de terminaison, en prohibant des tarifs au-dessus descoûts, il serait peu concevable que la prise en compte des tarifs au niveau du détaildiverge de celle pour les services de gros. Or, ce que reprochent Base et Mobistar, c’estprécisément que par l’application des tarifs « on-net)) bas, Belgacom recrée un effet deréseau qui était censé disparaître pour favoriser l’arrivée de concurrents sur le marché.Suivre la thèse défendue par Belgacom reviendrait à rendre sans effet la réglementationex ante.

86. lI se déduit de tout ce qui précède que la théorie de l’unité économique ne constitue pasune disposition normative du droit de l’Union et que le moyen de Belgacom qui s’appuiesur celle-ci n’est pas fondé.

(iii).- Sur la méthode de calcul du tarif cc on-net »

87. Afin de vérifier l’existence d’un abus tarifaire, il suffit de comparer le tarif « on-net» avecle tarif cc normal » qui aurait dû être appliqué, c’est-à-dire celui qui couvre au moins lescoûts, à savoir les frais exposés pour le départ d’appel jusqu’au(x) commutateur(s) deroutage — soit un ou plusieurs selon les zones dans lesquelles se situent l’appelant etl’appelé — et ensuite la terminaison d’appel depuis le dernier commutateur jusqu’au65M de l’appelé, étant entendu que pour la terminaison d’appel, conformément au

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principe de non-discrimination qui s’applique aux opérateurs puissants, tel Belgacom, cecoût doit correspondre au minimum au MIR.

Le tarif minimum que Belgacom devait appliquer est donc le suivant:

« coût de départ d’appel + MIR».

Cette méthode de calcul peut être appliquée, mutatis mutandis, pour tous les abusallégués, puisque le fait générateur de ceux-ci qui est invoqué est toujours le même, àsavoir un tarif « on-net>) bas. Pour une entreprise en position dominante, on peutconsidérer qu’un tarif bas devient « anormal > s’il ne couvre pas les coûts et ne procureaucune marge, car on voit mal des entreprises « normales » se lancer sur le marché dansde telles conditions, sauf si elles justifient leur comportement par des considérationséconomiques ou des nécessités objectives ou par des gains d’efficacité, ce que ne faitpas Belgacom. Il s’en déduit qu’à défaut de justification raisonnable, une telle pratiquetarifaire devient abusive puisqu’elle ne peut s’expliquer que par la volonté del’entreprise dominante d’évincer des concurrents ou d’entraver leur accès au marché.

Dès lors que Belgacom considère qu’il est « inconcevable » que les coûts de départ et determinaison d’appel soient similaires, nonobstant le constat du Conseil de la concurrenceau n’ 281 de sa décision et le fait qu’il a été acté à l’audience du 6 novembre 2014 que lavaleur du coût technique de la collecte d’appel pouvait, en prenant en compteuniquement des coûts de réseau, être considérée sur une base moyenne comme étantdu même ordre de grandeur que la valeur du coût technique de la terminaison d’appel,voire légèrement inférieure à celle-ci, seule une expertise est susceptible de permettre àla cour de disposer de cette information, sans laquelle il lui est impossible de statuer.

88. Contrairement à ce que soutient Belgacom, le fait de confier à des experts une missionayant pour objet de calculer le coût d’un départ d’appel ne constitue pas une délégationprohibée par l’article 11 du Code judiciaire ni une violation des obligations en matière decharge de la preuve qui pèsent sur tout demandeur en responsabilité civile.

Base et Mobistar affirment que le tarif « on-net » de Belgacom est inférieur à ses coûts etconstitue dès lors un abus de position dominante. Elles arrivent à cette conclusion soiten prenant en considération leurs propres coûts de départ d’appel (test REO) soit enretenant une valeur identique au MIR.

Comme Belgacom conteste la pertinence du test REO et celle de la comparaison avec leMIR, mais refuse de communiquer de manière contradictoire ses propres coûts, la courne peut que charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avisd’ordre technique, conformément à l’article 962 du Code judiciaire. Par ailleurs, dès lorsqu’il a été constaté que la comparaison avec le MIR n’était pas déraisonnable, même si

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elle n’était pas aussi affinée que ne le souhaitait Belgacom, il s’ensuit que Base etMobistar apportent la preuve du caractère vraisemblable du fait allégué qui peut alorsêtre confirmé par une expertise. Au demeurant, tien n’empêche que la question àlaquelle l’expert est chargé de répondre d’un point de vue technique (le tarif « on-net))peut-il être considéré comme « bas »?) se confonde avec celle que doit trancher le jugesur le plan juridique fCass., 15 novembre 2012, R.G. C.11.0579.F).

De plus, les experts n’auront pas à se substituer aux parties quant à l’objet de leursdemandes puisqu’il leur suffira d’examiner les différents tarifs de Belgacom allégués parBase et Mobistar, tarif par tarif, et de vérifier si les conditions tarifaires offertes auxabonnés sont ou non inférieures aux coûts du service offert.

Eu égard au fait que l’expertise est rendue nécessaire par la position prise par Belgacom,il est normal qu’elle supporte la moitié des provisions qui seront réclamées par lesexperts.

1.- Sur le prix payé par les abonnés

89. lI n’est pas contesté qu’un abonné qui effectue un appel « on-net» ne paie pas que lemontant nominal à la minute (par exemple, la somme de 0,0820 €/min. en heurecreuse). Il est en effet tenu de payer, en plus, un abonnement mensuel qui lui donnedroit ou non à un certain nombre de minutes d’appel, selon le type de forfait qu’ilchoisit. Par ailleurs, à l’époque, la première minute était toujours facturée, même si ellen’était pas entièrement consommée. Ces trois facteurs (abonnement, forfait d’appels etpremière minute non consommée) influencent le coût réel à la minute d’un appel — qu’ilsoit <t on-net)) ou <t off-net» - puisque moins il y a d’appels plus ces facteurs vont pesersur le coût final, et inversement.

L’évaluation de ce supplément n’est guère difficile à calculer, à tout le moins au niveaudes principes et sur le plan de la méthode. Il suffit en effet de comparer les volumes desappels <t on-net)) et « off-net» et d’appliquer une règle proportionnelle pour calculerl’incidence du coût de l’abonnement sur le coût des appels « on-net ». Pour lespremières minutes non consommées et les forfaits d’appels, il convient d’analyser lesvolumes d’appels et de calculer ceux qui n’ont pas été utilisés par les abonnés et quiviennent ainsi grever le prix final.

Base et Mobistar ont fait procéder à des calculs par leurs consultants. Belgacom dispose,quant à elle, de toutes les données historiques qui peuvent être mises à la dispositiondes experts pour l’accomplissement de leur mission. S’il n’est pas possible à ces derniersde répartir ces allocations aussi «finement» que Belgacom l’exige, eu égard au nombre

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très élevé de paramètres différents qui tiennent compte des options tarifaires et desépoques en cause, les experts pourront procéder pat moyennes et comparaisons, le caséchéant en utilisant les modèles économiques les plus appropriés, à la condition dejustifier leurs choix. Dès lors qu’il a été admis que la différence ne se situerait, semble-t-il, qu’à quelques eurocents près, il convient, sous peine d’abus de la procédure, de nepas rendre le procès encore plus long et coûteux, si pas impossible, d’autant que lacitation a été signifiée il y plus de onze ans.

2.- Sur le calcul des coûts

90. Comme l’effet anti-concurrentiel des quatre pratiques alléguées aurait pourconséquence une éviction fondée sur les prix et que le prix en cause est le prixdifférencié de l’appel « on-net », il convient, par économie de procédure, de calculer dela même manière pour chaque pratique les coûts à prendre en considération, encore quec’est principalement dans la matière de l’effet ciseau que la méthodologie du calcul descoûts a été développée par la Commission.

91. En ce qui concerne la méthode de calcul des coûts, conformément à la jurisprudenceconstante de la DUE et du TUE (CJUE 3 juillet 1991, C-62/86, AKZQ, points 71-72 ; TUE10 avril 2008, Deutsche Telekom T-271/03, point 193; DUE 17 février 2011, C-52/09,TeliaSonera, points 39 et 41), il y a lieu de prendre en considération les coûts d’uneentreprise considérée comme aussi efficace que l’entreprise dominante (test EEO), àsavoir ceux de Belgacom. Toute autre approche risquerait de violer le principe général desécurité juridique. En effet, si la légalité des pratiques tarifaires d’une entreprisedominante dépendait de la situation spécifique des entreprises concurrentes,notamment par la structure des coûts de celles-ci, qui sont des données qui ne sontgénéralement pas connues de l’entreprise dominante, cette dernière ne serait pas àmême d’apprécier la légalité de ses propres comportements.

Certes, il a été admis qu’il ne pouvait être exclu que les coûts et les prix des concurrentspuissent être pertinents dans l’examen de la pratique tarifaire (DUE, 17 février 2011, C52/09, TeliaSonera, point 45). Mais, dès lors que la structure des coûts de l’entreprisedominante est identifiable (cf. infra), il ne convient pas de s’écarter de l’appréciation dela marge réalisée par l’entreprise dominante entre la prestation intermédiaire (ou degros) et celle de détail. Cette analyse permettra adéquatement de vérifier si de nouveauxentrants disposent des mêmes chances qu’elle et s’ils sont susceptibles d’entrer enconcurrence sur le marché sur un pied d’égalité.

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Vainement Base et Mobistar soutiennent-elles qu’il faudrait corriger les coûts deBelgacom pour neutraliser l’effet des avantages acquis par elle avant la libéralisation dumarché. En effet, il ne résulte pas des pièces déposées par les parties ni de leursexplications que les coûts de production de l’infrastructure de Belgacom étaient déjàamortis pendant la période litigieuse ou que le niveau de ses coûts dépendait desavantages compétitifs qu’elle avait pu capitaliser en sa qualité de filiale de l’opérateurhistorique, placée pendant deux ans dans une situation de monopole. Par ailleurs, Baseet Mobistar ne précisent pas sur la base de quels critères objectifs cette correctiondevrait s’opérer. Enfin, il convient de rappeler que Base et Mobistar ont bénéficiépendant plusieurs années d’un traitement différencié au niveau du MTR afin decompenser cet avantage.

92. Depuis longtemps, et même avant la période litigieuse, la DUE a dit que des prixinférieurs à la moyenne des coûts variables (c’est-à-dire ceux qui varient en fonction desquantités produites) par lesquels une entreprise dominante cherche à éliminer unconcurrent doivent être considérés comme abusifs. Une entreprise dominante n’a, eneffet, aucun intérêt à pratiquer de tels prix, si ce n’est celui d’éliminer ses concurrentspour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique,puisque chaque vente entraîne pour elle une perte, à savoir la totalité des coûts fixes(c’est-à-dire ceux qui restent constants quelles que soient les quantités produites), etune partie, au moins, des coûts variables afférents à l’unité produite. Par ailleurs, desprix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et lescoûts variables, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent êtreconsidérés comme abusifs lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour butd’éliminer un concurrent. Ces prix peuvent, en effet, écarter du marché des entreprises,qui sont peut-être aussi efficaces que l’entreprise dominante mais qui, en raison de leurcapacité financière moindre, sont incapables de résister à la concurrence qui leur estfaite (CJUE 3 juillet 1991, C-62/86, AKZO, points 71-72).

Pour l’application d’un ciseau tarifaire, la Commission a retenu la notion de coûtmarginal moyen à long terme (CMMLT) en ces termes (Décision de la Commission, 4juillet 2.007, Wanadoo EspaRa c. Telefônica, COMP/38.784, points 318, 319 et 320)

« Le coût marginal moyen à long terme d’un produit individuel se rapporte aux coûtsspécifiques d’un produit associés au volume total de production du produit pertinent.II s’agit de la différence entre les coûts totaux supportés par l’entreprise pour laproduction de tous les produits, y compris le produit individuel en question, et lescoûts totaux de l’entreprise lorsque la production du produit individuel est réduite àzéro, la production de tous les autres produits restant inchangée. De tels coûtscomprennent non seulement tous les coûts variables et fixes imputables directementà la production du volume total de production du produit en question, maiségalement l’augmentation des coûts communs attribuable à cette activité, f...) ».

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Dans son arrêt Post Danmark (DUE 27 mars 2012, C-209J10), statuant dans le cadre deprix discriminatoires, la Cour a considéré que face à une entreprise dominante qui fixeses prix à un niveau qui couvre l’essentiel des coûts de la fourniture de la prestation deservices en question, un concurrent aussi efficace aura en principe la possibilité de laconcurrencer sans encourir des pertes insupportables à long terme. Ainsi « n’est pas [ensoi] une pratique d’éviction abusive un prix bas appliqué à l’un des clients qui se situe àun niveau inférieur aux coûts totaux moyens imputés à l’activité concernée maissupérieur aux coûts incrémentaux moyens afférents à celle-ci ».

Dans sa Communication du 9 février 2009 (loc.cit.) la Commission avait déjà considéréaux points 25 et 26 que:

« Les critères de coûts qu’[e lIe] sera susceptible d’appliquer sont le coût évitablemoyen (CEM) et le coût marginal moyen à long terme (CMMLT) (2). Si le coût évitablemoyen n ‘est pas couvert, il est probable que l’entreprise dominante sacrifie ses profitsà court terme et qu’un concurrent aussi efficace ne peut satisfaire les consommateursvisés sans subit de pertes. Le CMMLT est généralement supérieur au CEM parce que,contrairement au CEM (qui ne comprend que les coûts fixes supportés pendant lapériode examinée), il inclut les coûts fixes propres au produit supportés pendant lapériode d’exercice des pratiques abusives présumées. Le fait que le CMMLT ne soitpas couvert indique que l’entreprise dominante ne couvre pas tous les coûts fixes(imputables) de la production du bien ou du service en cause et qu’un concurrentaussi efficace pourrait être évincé du marché (3).

(2) Le coût évitable moyen est la moyenne des coûts qui auraient pu êtreévités si l’entreprise n ‘avait pas produit une unité (supplémentaire), enl’occurrence celle qui aurait fait l’objet d’un comportement abusif. Dans laplupart des cas, le coût évitable moyen et le coût variable moyen (CVM) serontidentiques, car ce ne sont souvent que les coûts variables qui peuvent êtreévités. Le coût marginal moyen à long terme (CMMLT) est la moyenne de tousles coûts (variables et fixes) qu’une entreprise supporte pour fabriquer unproduit déterminé. Le CMMLT et le coût total moyen (CTM) sont de bonsindicateurs l’un de l’autre; ils sont identiques dans le cas des entreprises qui nefabriquent qu’un seul produit.Si des entreprises fabriquant plusieurs produits réalisent des économies degamme, le CMMLT serait inférieur au CTM pour chaque produit, car lesvéritables coûts communs ne sont pas pris en compte dans le CMMLT. Dans lecas des produits multiples, tous les coûts qui auraient pu être évités en neproduisant pas un produit ou une gamme de produits bien précis ne sont pasconsidérés comme des coûts communs. Lorsque ces derniers sont élevés, ilpeut être nécessaire de les prendre en considération afin d’apprécier lacapacité d’évincer des concurrents aussi efficaces.

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(3) Afin d’appliquer ces critères de coûts, il peut également être nécessaired’étudier les recettes et les coûts de la société dominante et de sesconcurrents dans un contexte plus large. Il ne suffit peut être pas de vérifier sile prix ou les recettes couvrent les coûts du produit en cause; il peut êtrenécessaire d’examiner les recettes marginales lorsque le comportement del’entreprise dominante considérée porte atteinte à ses recettes sur d’autresmarchés ou d’autres produits. De la même façon, dans le cas des marchésbilatéraux, il peut être nécessaire d’examiner les recettes et les coûts des deuxcôtés simultanément ».

Comme le souligne la Commission, ces méthodes sont susceptibles de permettre devérifier si un concurrent aussi efficace que l’entreprise dominante peut concurrencer lespratiques de prix de celle-ci.

Il appartiendra donc aux experts de déterminer te coût variable moyen d’un départd’appel «on-net» sur le réseau de Belgacom et, le cas échéant, le coût marginal moyenà tong terme de cette même prestation. Dans le cadre de cette dernière analyse, ilconviendra également qu’ils identifient les coûts communs de Belgacom en aval,nécessaires à l’établissement d’un appel vers ses propres clients, s’ils ne sont pas déjàcompris dans les coûts incrémentaux, puisque, dans ce cas, il y a lieu de les prendre enconsidération s’ils sont élevés (cf. le standard LRAIC÷ défini par l’IBPT au point 54 de saDécision du 11 juillet 2007 établissant des lignes directrices relatives à l’évaluation deseffets de ciseaux tarifaires). A cet égard, il convient de rappeler que, selon le TUE, « lecoût incrémental à long terme du produit [doit] comprendre non seulement tous lescoûts fixes et variables directement liés à la production du produit concerné, maiségalement une proportion des coûts communs liés à cette activité. Il s’ensuit que le[CMMLT] correctement calculé doit inclure une proportion des coûts liés à la structurecommerciale de [l’entreprise dominante] que la société aurait évitée à long terme si ellen’avait pas fourni les services de détail)) (TU E, 29 mars 2012, T-336/07, Telefonica, point238). A bon droit, Mobistar soutient que s’il est tenu compte des revenus communs liésaux appels (abonnement, première minute et forfait non consommés) il est logique, surle plan de la méthodologie, de prendre en considération les coûts communs y afférents,à défaut de quoi la comparaison ne reposerait pas sur des éléments analogues.

Le cas échéant, les experts pourront s’inspirer du modèle Van Dijk (cf. infra) qui a servide base pour la régulation des MTR de Belgacom et de Mobistar, puisque, d’une part, cemodèle contiendrait, selon Base, les coûts de départ d’appel de Belgacom et que,d’autre part, il a été constaté par le Conseil de la concurrence que, sur le plan technique,il n’y a pas de raison que les coûts de collecte d’appels soient sensiblement différents deceux de la terminaison d’appels. Par ailleurs, rien ne permet d’affirmer que le modèle decoûts pour les appels « on-net)) devrait être sensiblement différent de celui des MTR etqu’il faille raisonner différemment selon que l’on se trouve dans une situation « exante » ou « expost )).

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3.- Sur les données confidentielles

93. Belgacom invoque à tort que les données permettant de calculer ses coûts de départd’appel sont confidentielles et constituent des secrets d’affaires qu’il conviendrait deprotéger.

Les données relatives aux différents coûts de départ d’appel qui peuvent être extraitesde la comptabilité de Belgacom sont des données historiques. Elles remontent, pour lesplus anciennes à 1999 (soit il y a près de seize ans) et, pour les plus récentes, à 2005 (soitil y a près de dix ans).

Au point 712 de ses conclusions, Base rappelle à bon droit que, dans sa communicationrelative aux règles d’accès au dossier de la Commission dans les affaires relevant desarticles 81 et 82 du traité CE (J.O.C.E. du 22 décembre 2005, C 325, p. 7, § 23), celle-ci aconsidéré que les informations qui ont perdu leur importance commerciale, par exempleen raison du temps qui a passé, ne peuvent plus être considérées comme confidentielles.En règle générale, la Commission suppose que les informations relatives au chiffred’affaires, aux ventes, aux parts de marché des parties et autres données similairesdatant de plus de cinq ans ne sont plus confidentielles.

La cour considère qu’il en va de même pour les coûts. En effet, dès lors que toutedifférenciation tarifaire « on-net, off-net)) a disparu depuis de très nombreuses années,la connaissance par Base et Mobistar des coûts techniques de Belgacom d’un départd’appel et des coûts communs liés à cette activité au cours de la période litigieuse nepeuvent plus leur conférer, à ce jour, un quelconque avantage concurrentiel. Audemeurant, Belgacom ne démontre pas que la connaissance de ces coûts pourrait lésergravement ses intérêts quinze ans plus tard.

Comme rappelé plus haut, Belgacom n’a jamais cru devoir fournir une version nonconfidentielle de ses données. Sa demande contenue dans ses conclusions du 22 avril

2014 (auxquelles la cour ne peut avoir égard — cf. point 35 ci-dessus) de « s’expliquer surla production d’informations confidentielles, réservées à la Cour, mais inaccessibles auxautres parties et qu’elle prenne une décision à ce sujet, laissant aux parties la possibilitéde l’implémenter, le cas échéant par de nouvelles conclusions)) ne constitue qu’unedemande dilatoire, dès lors que les parties avaient déjà échangé plus de 2.300 pages de

conclusions et que leurs positions respectives étaient connues. Pour les mêmes motifs, la

cour ne peut avoir égard à la proposition de Belgacom, actée à l’audience du 14

novembre 2014, aux termes de laquelle elle était prête à communiquer <c des » données

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confidentielles (lesquelles?) dans le cadre de la procédure qu’elle avait suggérée danslesdites conclusions.

94. Comme le modèle Van Dijk a été élaboré à partir des coûts de Belgacom, il ne revêt pasnon plus un caractère confidentiel. Il en est de même des formules de calcul proposéespat ce consultant puisque ce sont les mêmes qui ont été utilisées pour ta déterminationdes MTR de Mobistar et que celle-ci ne s’oppose pas à ce que le modèle soit consulté parles experts.

A cet égard, Base rappelle à bon droit que, dans la mesure où l’IBPT a déjà été amené àadopter, depuis l’adoption du modèle Van Dijk et la fin de la période litigieuse, deuxrégulations relatives à la terminaison mobile, après avoir analysé les informations detrafic (pourcentage du trafic représenté par les appels « on-net », etc.) et de coûts (coûtsde départ), ces données et le modèle Van Dijk n’ont manifestement plus de valeurcommerciale.

95. lI s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une réouverture des débats sur ce point, lesparties ayant eu l’occasion de s’expliquer largement sur cette question. Au demeurant, lacour rappelle ce qu’elle a dit tout au long des débats qu’il était contradictoire pourBelgacom de soutenir que les coûts doivent être calculés sur la base de ses propres coûts(test EEO) et de refuser qu’ils soient communiqués à Base et Mobistar.

Après onze ans de procédure, la balance des intérêts en cause commande qu’il soittemps que les experts puissent disposer directement de toutes les données utiles àl’accomplissement de leur mission et que les parties aient le droit, non seulement deconsulter les pièces du dossier, mais aussi celui d’en faire copie, afin de faire valoir, tantdevant les experts que devant la cour, leurs remarques (Cass., 2 novembre 2012, R.G.C.11.0018.N), d’autant qu’il est soutenu par Base et Mobistar que Belgacom aurait faitobstacle à l’organisation d’une data room (cf. note de bas de page 696 de Mobistar) — ceque Belgacom conteste —‘ polémique qu’il est cependant sans intérêt de trancher à cestade de la procédure.

En tout état de cause et afin de garantir si nécessaire les droits de chaque partie, ilconvient de dire pour droit que les informations obtenues à l’occasion de l’expertise nepourront être utilisées que dans le cadre de la présente affaire.

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b.- Sur les rabais de fidélité

(I).- Principes applicables

96. La notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportementsd’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’unmarché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré deconcurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à desmoyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ouservices sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degréde concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cetteconcurrence, Il s’ensuit que l’article [102 TFUE] interdit à une entreprise dominanted’éliminer un concurrent et de renforcer ainsi sa position en recourant à des moyensautres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites. L’interdiction édictée àcette disposition se justifie également par le souci de ne pas causer de préjudice auxconsommateurs. Par conséquent, si la constatation de l’existence d’une positiondominante n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, ilincombe à celle-ci, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilitéparticulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effectiveet non faussée dans le marché commun. De même, si l’existence d’une positiondominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserverses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise ala faculté, dans une mesure raisonnable, d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés envue de protéger ses intérêts, on ne peut, cependant, admettre de tels comportementslorsqu’ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser.

li convient de rappeler, en outre, que, selon la jurisprudence, le fait pour une entreprisese trouvant en position dominante sur un marché, de lier — fût-ce à leur demande — desacheteurs par une obligation ou promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pourune part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entrepriseconstitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article [102TFUE], soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sacontrepartie dans l’octroi de rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lierles acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d’accords passés avecces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c’est-à-dire deremises liées à la condition que le client s’approvisionne exclusivement pour la totalitéou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en positiondominante (TUE, 9 septembre 2010, T-155/06, Tomra Systems, points 206 à 208, qui citel’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, 13 février 1979, c-85/76, point 89).

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L’existence d’une éventuelle intention anti-concurrentielle ne constitue qu’une desnombreuses circonstances factuelles susceptibles d’être prises en compte aux fins de ladétermination d’un abus de position dominante. Dans la perspective de prouver un abusde position dominante au sens de l’article 102 IFUE, il suffit de démontrer que lecomportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre laconcurrence ou que le comportement est de nature ou susceptible d’avoir un tel effet.S’agissant de rabais octroyés par une entreprise en position dominante à ses clients, laCour a souligné que ceux-ci peuvent être contraires à l’article 102 TFUE, même s’ils necorrespondent à aucun des exemples énoncés à son paragraphe 2 (voir, en ce sens, arrêtBritish Airways/Commission, CJUE 15 mars 2007, C-95/04, point 58). À cet égard, ilconvient d’apprécier l’ensemble des circonstances, notamment les critères et lesmodalités de l’octroi des rabais, et d’examiner si ces rabais tendent, par un avantage quine repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l’acheteur, ou àrestreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sourcesd’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents ou à renforcer laposition dominante pat une concurrence faussée (CJUE, 19 avril 2012, C-549/10, Tomra,points 20, 68 à 71).

A la différence des rabais de quantité, liés exclusivement au volume des achats effectuésauprès du producteur intéressé, la remise de fidélité tend à empêcher, par la voie del’octroi d’un avantage financier, l’approvisionnement des clients auprès des producteursconcurrents (CJUE, 13 février 1979, C-85/76, Hoffman Laroche, point 90).

Il n’est pas nécessaire, pour que des ristournes de fidélité tombent sous le coup del’article [102], qu’il y ait une obligation légale ou une clause expresse prévoyant que leclient doit s’approvisionner exclusivement auprès de l’entreprise dominante. Ce quiimporte, c’est que les conditions de vente du fournisseur dominant fassent qu’il soitfinancièrement intéressant pour les clients de s’approvisionner exclusivement ouprincipalement chez lui. Les moyens exacts par lesquels ce but est atteint importent peu(Décision de la Commission, 13 décembre 2000, SoIvay COMP/. 33.133, point 153).

Le caractère faussé de la concurrence résulte du fait que l’avantage financier octroyé parl’entreprise en position dominante ne repose pas sur une contrepartie économiquejustifiée, mais tend à empêcher l’approvisionnement des clients de cette entreprisedominante auprès de concurrents. Une des circonstances peut aussi consister en ce quela pratique en cause prend place dans le cadre d’un plan de l’entreprise dominante ayantpour but d’éliminer un concurrent (TUE 7 octobre 1999, 1-228/97, Irish Sugar, point114).

Le point de départ du contrôle est constitué par les critères et modalités d’octroi d’unrabais ou d’une prime. li y a lieu en outre d’examiner si le système de rabais ou deprimes en question est globalement à même de rendre plus difficiles, voire impossiblesaux concurrents de l’entreprise en position dominante l’accès au marché et à ses

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cocontractants le choix entre plusieurs sources d’approvisionnement ou partenairescommerciaux (Conclusions de l’avocat général Kokott, C-95/04, British Airways, point46).

Un effet de fidélisation peut être établi sur la base d’une analyse de l’offre elle-même etde ses effets potentiels sur le comportement de l’utilisateur final qui doit pouvoirlibrement choisir entre les entreprises qui lui offrent des services identiques ousimilaires. Une telle analyse porte sur les avantages de l’offre en comparaison avec lesoffres précédentes de l’entreprise en position dominante. Il faut établir si l’offre prive lesutilisateurs finals de tout intérêt à souscrire à des offres concurrentes tout aussiattrayantes ou plus attrayantes. La question est de savoir si l’effet de fidélisation quirésulte de l’offre concernée repose sur une contrepartie économiquement justifiée(Bruxelles 18 décembre 2007, RG 2006/MR/3, Happytime).

(ii).- Griefs et moyens en défense de Belgacom

97. Mobistar et Base formulent les griefs suivants:

— l’écart de prix entre les prix « on-net » et «off-net» n’est pas économiquementjustifié

— les réductions « Proxivolume» accordées à des clients qui réalisent un certainvolume d’appel par an sont sans lien avec la réalité objective ou sans justificationéconomique liée au gain réalisé; il en est de même de l’offre « Volume BasedPricing» puisque ce rabais s’ajoute au tarif préférentiel « VPN », sans que levolume de trafic n’augmente;

— des rabais individualisés sont accordés à certains clients sans aucune justificationéconomique, comme des abonnements gratuits, des rabais sur l’entièreté duchiffre d’affaires, des rabais sur certains types d’appel ou sur certaines options,des rabais simples ou l’octroi de SMS gratuits.

98. Belgacom soulève les moyens en défense suivants:

— elle ne pratique pas de rabais; le tarif « on-net)> ne constitue qu’un tarif parmid’autres qui n’a pas d’effet de fidélisation, chaque type d’appel ayant son propretarif, comme ceux liés à un certain volume d’appel;

— en vertu de la théorie de l’unité économique, il ne convient pas d’isoler le tarif« on-net », mais de prendre en considération le tarif global de tous les services

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regroupés sur la même facture, dans la mesure où la concurrence s’opère auniveau du produit global;

— rien n’interdit de déterminer au cas par cas des conditions tarifairesindividuelles;

— l’interdiction pour une entreprise en position dominante d’offrir des rabaisfidélisants ne s’applique qu’à l’égard des intermédiaires et à la condition qu’ellesoit un fournisseur incontournable;

— Mobistar et Base ne démontrent pas l’existence d’effets anti-concurrentielsconcrets, notamment l’impossibilité de répliquer des offres;

— la discussion sur l’absence de justification économique est dès lors sans objet.

(iii).- Sur la définition d’un rabais fidélisant

99. lI n’est pas contesté qu’un fournisseur en position dominante peut octroyer des rabaisen contrepartie de gains d’efficience, par exemple des rabais pour les grossescommandes qui permettent au fournisseur de produire des lots de produits importants,mais il ne peut consentir de remises ni d’incitations pour s’assurer la fidélité de laclientèle, c’est-à-dire pour éviter que ses clients ne s’approvisionnent auprès d’unfournisseur concurrent (Décision de la Commission du 14 juillet 1999, affaire IV/D2/34.780 - Virgin/ British Airways, JOCE du 4février 2000, L-30/1).

Dans le droit de l’Union, il n’existe aucune définition du terme « rabais ». Lajurisprudence retient la notion de « l’octroi d’un avantage financier » (C]UE, 13 février1979, Hoffmann La Roche, 85/76, point 90), c’est-à-dire le paiement d’une sommeinférieure à ce qui aurait dû être normalement réclamé, toutes choses restant égales.

Or, il ne peut être contesté que l’octroi d’un tarif <t bas » est un avantage financier.

Il est constant que tout au long de la période litigieuse, c’est Belgacom qui avait le plusgrand nombre d’abonnés. Même si Belgacom le conteste (cf. infra la section relative auxeffets de réseau), à tout le moins, l’utilisateur considérera qu’en théorie, il y avait doncplus d’appels de et vers le réseau de Belgacom que de et vers les réseaux de Base etMobistar. La fixation d’un tarif « on-net » bas constitue dès lors un incitant nonnégligeable pour les consommateurs finals à choisir le réseau Belgacom plutôt que ceuxde ses concurrents, puisque selon qu’ils appellent un abonné du réseau Belgacom ouceux d’autres réseaux, le coût de l’appel sera moins élevé. En choisissant le réseauBelgacom, le consommateur maximalisera ses chances de trouver des interlocuteursabonnés auprès du même opérateur que le sien et partant de profiter du tarif « bas ».

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100. En offrant un tel tarif, Belgacom s’assure que les consommateurs finals luiréserveront l’exclusivité de leur demande de téléphonie mobile puisqu’ils n’ont aucunintérêt à contracter avec la concurrence sous peine de perdre l’avantage financier quileur est consenti, dès lors que, eu égard à la répartition asymétrique des abonnés entreles différents opérateurs et à l’effet de réseau (cf. infra), ses communications vers lesabonnés du réseau Belgacom — qui constituent plus de la moitié des utilisateurs — serontbeaucoup plus chères.

Cette réduction est donc fidélisante. Celle-ci est en outre renforcée dans certains cas parla gratuité des frais d’activation et la conclusion d’un contrat à durée déterminée plus oumoins long.

L’intention de Belgacom de fidéliser ses clients par un avantage financier ressort trèsclairement de sa communication, comme en témoigne cette affiche

101. Enfin, il convient de rappeler que toute concurrence par les prix ne peut êtreconsidérée en soi comme légitime (DUE, 27 mars 2012, C-209/10, Post Danmark, point

25) et qu’il y a lieu, afin de déterminer si l’entreprise occupant une position dominante aexploité de manière abusive cette position par l’application de ses pratiques tarifaires,

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dans laquelle il est clairement fait état que si on reste dans le réseau Proximus, onbénéficie d’un « tarif allégé» (c’est la cour qui souligne), ce qui suffit à démontrer qu’ils’agit bien d’un rabais, même au sens usuel du terme.

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d’apprécier l’ensemble des circonstances et d’examiner si ces pratiques tendent àenlever à l’acheteur, ou à restreindre pour celui-ci, les possibilités de choix en ce quiconcerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents,à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestationséquivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, ou àrenforcer la position dominante par une concurrence faussée (point 26 de l’arrêt).

Tel est bien le cas en l’espèce, dès lors qu’il y a lieu de tenir compte de la spécificité dumarché belge de la téléphonie mobile, caractérisé par la présence d’un opérateurhistorique disposant toujours d’une position dominante après plusieurs années demonopole et la différenciation de tarifs <t on-net)> et <t off-net)) au profit des abonnés decet opérateur, liée aux charges de terminaison d’un appel sur un autre réseau. Face à cesprix <t on-net» bas, les nouveaux entrants ne peuvent espérer convaincre les abonnés deBelgacom de changer d’opérateur qu’à la condition de leur offrir des tarifs <t off-net »

attractifs, susceptibles d’induire dans le chef du consommateur final une décision dechanger d’opérateur. Ce rabais conditionne donc bien le choix du client final, comme leprouve l’enquête réalisée par Research International Mobile Monitor qui identifie leréseau et les prix bas comme raisons principales pour lesquelles un consommateurchoisit son réseau, la qualité n’intervenant qu’en 5ème position, pour moins de 15% desconsommateurs.

De plus, dès lors que Belgacom refuse de produire le détail de ses coûts, il est impossiblepour la cour de vérifier à ce stade de la procédure si elle peut faire valoir desjustifications économiques de sa politique tarifaire et, notamment, si ses prix couvrentl’essentiel des coûts imputables à la fourniture de la prestation de service, et si, partant,il serait possible pour un concurrent aussi efficace de concurrencer ses prix sans encourirdes pertes insupportables à long terme (cf. point 38 de l’arrêt Post Danmark).

Enfin, afin de rechercher la volonté de Belgacom, il est utile de rappeler, une nouvellefois, que l’instauration de tarifs bas ciblés — qualifiés de «produits d’appel» par leConseil de la concurrence au point 215 de sa décision — intervient au moment de l’entréede Mobistar sur le marché.

102. C’est donc à tort que le premier juge a estimé que le tarif <t on-net)> ne constituaitpas une récompense d’une forme de fidélité, parce qu’il n’était pas présenté sous laforme <t d’une réduction de la facture ». Seul l’effet fidélisant doit être pris en compte.

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(iv).- Sur les tarifs liés au volume d’appels

103. Quant aux tarifs liés à un certain volume d’appels, il s’agit des tarifs « Virtual ProxiNetou VPN », « Proxivolume » et « Volume Based Princing » décrits par Mobistar aux points132 à 152 et 991 à 1003 de ses conclusions.

Sauf en ce qui concerne la remise additionnelle « Proxivolume» lorsqu’elle est groupée àl’offre « ProGroup » (à laquelle s’appliquait l’avantage financier « on-net »), il ne sedéduit pas des tableaux produits par Mobistar que les clients qui choisissaient cesoptions nécessitant un très gros volume d’appels (entre 8.500 et 85.000 minutes)bénéficiaient en outre d’un avantage pour les appels « on-net ».

Par ailleurs, rien n’interdit d’accorder un tarif préférentiel en raison d’un volumeimportant d’achats.

La demande n’est donc pas fondée pour ces types d’appels, sauf en ce qui concernel’offre couplée « Proxivolume» et « ProGroup ».

(y).- Sur les conditions tarifaires individuelles

104. Mobistar a identifié plusieurs offres individuelles contenant des rabais qu’elle

considère comme abusifs. II s’agit de

o) « par une offre non datée au client A (pièce 42), ce dernier se voit appliquer les tarifs

Volume Based Pricing, complémentés d’un crédit de 2,4 eurocents la minute sur le

tarif unique pour les communications nationales de 11,9 eurocents la minute. Ce

crédit octroyé réduit le tarif unique à un montant de 9,5 eurocents la minute et

constitue une réduction de 20% par rapport au montant déjà réduit que le client A

aurait dû payer, sur la base des offres tarifaires Volume Based Pricing et VPN. Le

client A a également pu bénéficier d’un crédit annulant le prix d’abonnementmensuel sur la durée du contrat, s’élevant à un montant d’EUR 31.500. La ristourne

totale s’élève à 30% de la facture annuelle que le client aurait dû payer, en échange

d’un engagement minimal d’un an.

b) une offre datée du 13 décembre 2003 au client B (pièces 43) permet à ce dernier de

bénéficier d’un crédit rétroactif total d’EUR 21.637 sur sa facture annuelle en

échange d’un engagement de douze mois. Ce crédit contient 6 mois d’abonnement

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gratuit pour un montant U’EUR 6.637 ainsi qu’un crédit additionnel U’EUR 15.000.Cette offre peut également s’analyser en une offre par laquelle l’abonnement estentièrement gratuit et le client reçoit également une ristourne supplémentaired’EUR 8.363.

c) le client C (pièce 44) a lancé un appel d’offres pour ses services de télécommunicationen 2004. En réponse à l’appel d’offres, Belgacom a offert ses tarifs Volume BasedPricing et VPN à un tarif encore plus réduit et sans frais d’abonnement, ce quirevient à des conditions tarifaires de 9 eurocents la minute, sans fraisd’abonnement, pour toutes les communications nationales, en ce compris lescommunications on-net. Cette offre a manifestement été effectuée à ces conditions,par Belgacom, afin de gagner l’exclusivité auprès de ce client.

U) au client J (pièce 45 bis), Belgacom o offert, en février 2004, tous les appels « intro-entreprise » gratuitement, l’abonnement par utilisateur gratuit et un tarif U’EUR0,1190 par minute pour tous les autres appels. Ces conditions ne s’appliquaient passeulement au siège principal de ce client mais également au réseau complet desagences de ce client.

e) Belgacom offrait parallèlement à l’offre Volume Based Pricing, la structure tarifaireProxiVolume destinée à une clientèle de petites et moyennes entreprises. Cette offrepermet des ristournes sur chiffre d’affaires progressives allant de 2,5% à 15%. Cetteoffre est souvent combinée soit avec la formule « Pro Group with ProxiFriends » soitavec la formule MobileGroup. Cette offre a été proposée par Belgacom à sa clientèleen l’accompagnant de ristournes additionnelles sélectives.

f) Il convient de se référer, par exemple, à l’offre effectuée au client D (pièce 46) enoctobre 2002. Cette offre particulière à un usager représentant 85 cartes prévoyait 7mois d’abonnement gratuits par utilisateur (représentant un montant de EUR4.760), 120 minutes de communications nationales supplémentaires gratuites parutilisateur, et, ce, pendant 12 mois (représentant un montant de EUR 18.360), à lacondition que le contrat soit signé pour une durée de 15 mois. Cette offre secombine avec la formule ProxiVolume qui permet au client d’encore obtenir uneristourne supplémentaire sur le chiffre d’affaires total.

g) Belgacom offrait, de surcroît, au cours de la période comprise entre 2001 et leprintemps 2002, la formule Pro Group with ProxiFriends. Cette formule s’adressaitessentiellement aux petits et moyens clients affaires fr SMA » ou « 5m aIl andMedium Accounts »). Dans cette formule, deux ou plusieurs utilisateurs partagent encommun un « pot » forfaitaire d’heures d’appels. Les tarifs de cette formule étaientles suivants:

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Heures pointes et creuses

Appel vers Proximus EUR 0,0615 /minute

Appel vers un réseau fixe ou un autreEUR 0,1537/minute

operateur mobile

h) Dans le cadre de cette formule, le client devait payer un abonnement mensuel U’EUR19,46 pour la première carte, un abonnement mensuel d’EUR 15,37 pour ladeuxième carte et un abonnement mensuel d’EUR 13,31 pour les cartes suivantes.

I) Les abonnés ProGroup with Proxifriends jouissaient de tarifs préférentiels, nonseulement pour des appels à des employés de la même entreprise ou à d’autresabonnés ProGroup with Proxifriends mais pour tous les appels à destination duréseau de Belgacom.

j) En octobre 2001, Belgacom a, par exemple, proposé au client E (pièce 47) une offrecombinant les formules ProxiVolume et ProGroup with ProxiFriends. A la suite decette offre, le client bénéficiait de tarifs on-net d’un montant de BEF 2,48 la minute(soit 6,1 eurocents). Cette offre s’accompagnait de frais d’abonnement totaux pour40 cartes de BEF 21.818 (soit EUR 540) ou d’un abonnement moyen d’EUR 13,5 parcarte. Il convient de tenir compte, outre ces tarifs particulièrement réduits, de laristourne ProxiVolume s’appliquant sur le chiffre d’affaire total.

k) En juin 2002, Belgacom a lancé son offre tarifaire MobileGroup, en vertu de laquellele client bénéficiait d’un tarif unique pour des communications nationales d’unmontant d’EUR 0,15 la minute. Cette offre est proposée pour des fraisd’abonnement d’EUR 8 couplés à EUR 18 pour deux heures d’appels gratuit, soit untotal d’EUR 26 (pièce 48).

I) Belgacom pratiquait, en outre, des politiques tarifaires abusives « aU hoc » pour saclientèle affaires. En dépit de difficultés rencontrées par Mobistar pour obtenir desinformations écrites, Mobistar peut néanmoins mentionner les pratiques tarifairessuivantes à titre d’exemple:

m) De première part, Belgacom o offert au client F (pièce 49) en avril 2005 un tarifunique pour tout appel à destination de tous les réseaux à tout moment de 12,9eurocents la minute, sans frais d’abonnement. Ce tarif s’appliquait dès lorségalement aux communications on-net. Il convient de remarquer que cette offre,sous couvert d’une offre à un client affaires de Belgacom, était particulièrementdestinée aux employés du client F, qui avaient chacun droit à la souscription d’unabonnement privé aux conditions susdites.

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n) De deuxième part, au client K (pièce 45 ter), Belgacom a offert en février 2005 un tarifde 7 eurocents par minute pour tous les appels intra-entreprise, 24 moisd’abonnement gratuits par utilisateur pour un montant d’EUR 27.480. Un crédit de3,75 eurocents par minute pour tous les appels nationaux ce qui aboutit à un tarif de8,33 eurocents par minute, en échange d’un engagement de vingt-quatre mois.

o) De troisième part, Belgacom a offert au client G (pièce 50) en février 2005, encontrepartie d’un engagement d’achat exclusif pour une période de 24 mois, desservices de télécommunication nationale, en ce compris des communications on-net,sans frais d’abonnement, à un tarif de 11,9 eurocents la minute, auquel s’ajoutait uncrédit additionnel de 3,75 eurocents la minute, ce qui revenait à 8,33 eurocents laminute.

p) De quatrième part, Belgacom a offert au client H (pièce 44), en réponse à un appeld’offres, un tarif unique pour l’ensemble des communications nationales, en cecompris les communications on-net, de 8,6 eurocents la minute, avec des fraisd’abonnement de 3,65 euro par mois, ainsi qu’un paiement direct de EUR 110.000pour l’achat d’équipements et l’installation de car-kits.

q) De cinquième part, il convient de mentionner l’offre faite aux, et retenue par, lesautorités publiques fédérales (pièce 51) d’un tarif de 2 eurocents, sans fraisd’abonnement, pour toutes les communications nationales, en ce compris lescommunications on-net.

r) De sixième part, un client de Mobistar, le client I (pièce 52), s’est vu offrir, en échanged’un engagement d’achat exclusif pour une durée de 24 mois, un rabais d’EUR 242par carte transférée.

s) De septième part, au client L (pièce 45 quater), Belgacom a également offert son tarif

Virtual ProxiNet à des conditions extrêmement réduites, principalement un tarif de 7eurocents par minute pour toutes les communications vers Belgacom.

Finalement, Belgacom pratiquait systématiquement des rabais sélectifs de fidélitépour récupérer des clients de Mobistar et dénier à Mobistar toute chance de

pénétrer auprès de ses clients affaires. Cette pratique de la terre brûlée, par laquelle

Belgacom réagissait par des baisses sélectives brutales de ses tarifs, chaque fois

qu’un de ses clients affaires était démarché par Mobistar, participe d’une politique

systématique de fidélisation annoncée publiquement par Belgacom. A titre

d’exemple, Mobistar a été confrontée à pareilles pratiques de fidélisation anti-

concurrentielles, résultant parfois en des réductions de facture pouvant aller jusqu’à

50% par rapport aux factures précédentes, en échange d’un contrat de 24 mois,

lorsqu’elle a démarché sans succès les clients suivants de Belgacom: Nike, Belgomilk,

Donaldson, Delhaize, Soficom, Vandemoortele, DuPont, Van Marcke et Kraft

Foods )).

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105. Eu égard à ce qui a été dit au point 96, ce genre d’offres négociées ne sont abusivesque si elles ont pour seul objectif de s’assurer l’exclusivité — ou, à tout le moins, la fidélité— du client, en dehors de toute justification économique. En effet, en règle, uneentreprise en position dominante reste libre de négocier, au cas par cas, des conditionstarifaires spécifiques qui ne sont pas reprises dans ses offres standard s’il existe unecontrepartie raisonnable. Tous les opérateurs peuvent d’ailleurs en faite de même, avecla conséquence que ce segment du marché reste alors disputable pour tous lesopérateurs.

En l’espèce, les observations suivantes peuvent être faites à propos de ces offres:

o) l’offre faite pour le client A s’inscrit dans le cadre de volumes importants, soit unengagement mensuel de 85.000 minutes, ce qui peut justifier qu’il soit dérogé autarif de base

b) le crédit de 21.637,00 € consenti au client B à la fin de l’année suivante est lacontrepartie d’un contrat de douze mois ; la justification fidélisante est ainsi établie,puisqu’il s’agit d’un crédit rétroactif au profit de toutes les sociétés d’un groupe, cequi démontre par ailleurs qu’il récompense une exclusivité (car, on n’imagine pas cegroupe, qui a pu obtenir des conditions très favorables, contracter avec laconcurrence pour une autre partie de sa demande de téléphonie mobile)

c) le document produit est une communication interne de Mobistar décrivant quelquesoffres manquées par ses délégués commerciaux; il n’a donc pas de force probante;

U) cette offre concerne les communications internes au sein même d’une entreprise,sans qu’il ne puisse en être déduit un effet fidélisant; il s’agit par ailleurs d’un tarif« ATAN» qui ne fait pas de différence entre les appels « on-net» et « off-net»;

e) aucun document ne vient appuyer les faits allégués pour cette offre;f) l’offre octroie un avantage de 23.120,00 € sans aucune justification économique pour

une durée déterminée de quinze mois; la justification fidélisante est ainsi établie;g) cette offre reprend, sans justification, la différenciation entre les appels « on-net» et

les appels « off-net »;h) (se rattache au point g);I) aucun document ne vient appuyer les faits allégués pour cette offre;

j) il s’agit d’une offre spécifique liée à un chiffre d’affaires important (600.000 BEF et1.200.000 BEF) qui ne peut donc être contestée;

k) il s’agit d’un tarif « ATAN> qui ne fait pas de différence entre les appels « on-net)) et« off-net », dont le prix de base est supérieur au tarif «on-net » ; aucun effetfidélisant n’est démontré

I) il s’agit d’une considération générale qui n’appelle pas de discussion factuelle;m) il s’agit d’une offre « ATAN)) proposée à tous les employés d’une même entreprise;

le prix est égal au tarif « on-net » pour les heures pleines et s’applique égalementpendant les heures creuses ; l’avantage financier et fidélisant est ainsi démontré

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n) il s’agit d’une offre accordant un abonnement gratuit pendant 24 mois encontrepartie d’un contrat à durée déterminée de la même durée; par ailleurs, lescommunications dans l’entreprise (qui sont des appels « on-net ») sont facturées àun tarif très bas de 0,07 € la minute; l’effet fidélisant est ainsi démontré;

o) il s’agit, d’après la pièce 50 qui est produite, d’une offre semblable à la précédente,adressée à une autre entreprise; le grief peut également être retenu en principe;

p) ces offres se rattachent au point c)q) il s’agit d’une réponse à une offre publique de fournitures de service au profit du SPF

Personnel et Organisation, sous la forme d’un tarif « ATAN» de 0,08 €, sansabonnement, soit inférieur au tarif « on-net » en heures creuses qu’il est impossibleà Base et Mobistar de dupliquer puisqu’elles doivent prendre en charge les MTR;

l’avantage financier s’apparente donc à celui qui se déduit de la différenciationentre les tarifs « on-net » et « off-net » ; il est même plus élevé

r) il s’agit d’un engagement d’exclusivité pendant une durée de 24 mois en échanged’un rabais f« krediet ») de 3.072,00 €;

s) même observation que pour le point q), d’autant que le tarif offert est de 0,07€.

Il se déduit de ce qui précède que les offres sous b), f), g), m), n), o), q), r) et s) doiventêtre considérées au niveau des principes comme des avantages financiers à effetfidélisant, sous réserve d’une vérification de l’adéquation du tarif par rapport aux coûts.Il importe peu que certains de ces actes ont été commis en 2005, puisque cette annéefait partie de la période infractionnelle, en tout cas en ce qui concerne Mobistar.

(vi).- Sur l’exigence du fournisseur incontournable

106. Belgacom soutient qu’un rabais ne peut être interdit que s’il est accordé à un

intermédiaire — donc pas à un utilisateur ou un consommateur final — et à la condition

qu’elle soit, elle-même, un fournisseur incontournable.

107. Aucune disposition du droit de l’Union n’impose une telle exigence.

Les rabais dont il est question dans la présente section sont des rabais de fidélité et non

des rabais liés à des objectifs de vente ou quantitatifs.

Pour le TUE, le fait que le produit ou le service soit vendu directement au client final

serait un facteur qui conforterait la constatation de l’abus de position dominante et non

le contraire (TUE, 9 septembre 2010, 1-155/06, Tomra, point 222).

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La qualification de «fournisseur incontournable» de l’entreprise en position dominanten’est pertinente que pour apprécier si elle dispose de facilités essentielles dont aucunconcurrent ne pourrait se passer ou si sa position sur un marché de gros en amont

rendait impossible l’entrée sur le marché de détail correspondant. Tout au plus, s’agit-ild’un indice de dominance, mais pas d’une condition pour apprécier un éventuel abus. En

tout état de cause, Belgacom est « incontournable » pour permettre aux utilisateursfinals qui sont abonnés auprès des opérateurs alternatifs d’atteindre ses abonnés,puisqu’elle contrôle exclusivement la terminaison des appels sur son propre réseau. Elle

l’est également sur l’ensemble du marché, eu égard à ses parts de marché, qualifiées de«considérable[s] » par le Conseil de la concurrence.

102. Enfin, pour être complet, il convient d’observer que ce n’est pas parce le TUE a dit au

point 93 de son arrêt du 12 juin 2014 (T-286/09, Intel), qu’un rabais accordé par un

partenaire commercial incontournable rend structurellement plus difficile la possibilitépour un concurrent de soumettre une offre à un prix attrayant et donc d’accéder au

marché, qu’il faut en déduire que l’octroi d’un rabais ne peut être qualifié d’abus si

l’entreprise dominante n’est pas incontournable. Au contraire, ce dictum démontre que

cette notion n’est prise en considération que dans le cadre de l’examen de la dominance,

comme cela a été dit plus haut.

Le moyen de Belgacom ne peut donc être retenu.

(vii).- Sur les effets anti-concurrentiels

109. lI convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le fait, pour une

entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, de lier — fût-ce à leur

demande — des acheteurs par une obligation ou promesse de s’approvisionner pour la

totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite

entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de

l’article [102 TFUEJ, soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle

trouve sa contrepartie dans l’octroi de rabais. Il en est de même lorsque ladite

entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu

d’accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un régime de rabais de

fidélité, c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client — quel que soit par

ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats — s’approvisionne pour la

totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position

dominante. Dans le cadre d’une analyse des circonstances de l’espèce, [il faut]

seulement démontrer la capacité d’une pratique de restreindre la concurrence. Il n’est

pas nécessaire de procéder à une analyse des effets concrets des rabais sur la

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concurrence. Ensuite, étant donné qu’il n’est pas nécessaire de démontrer des effetsconcrets des rabais, il en résulte nécessairement [qu’il ne faut pas non plusJ démontrerun lien de causalité entre les pratiques incriminées et des effets concrets sur le marché.Ainsi, [le fait que] les clients se sont approvisionnés exclusivement auprès [del’entreprise dominante] pour des raisons commerciales parfaitement indépendantes desrabais, à le supposer avéré, ne s’oppose pas à ce que ces rabais aient été susceptiblesd’inciter les clients à un approvisionnement exclusif. Enfin, il [n’] y a [pas] lieu dedémontrer ni un préjudice immédiat aux consommateurs ni un lien de causalité entre untel préjudice et les pratiques mises en cause. En effet, il ressort de la jurisprudence quel’article [102 TFUE] ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de causer unpréjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causentpréjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective (TUE 12juin 2014,T-286/09, Intel, points 71, 73 et 103 à 105, ainsi que les références citées; voy.également les conclusions du 23 février 2006 de l’avocat général Kokott dans l’affaireBritish Airways et plus particulièrement le point 71 qui rappelle que ce qu’il y a lieu deprouver c’est «l’aptitude » d’un comportement à empêcher le maintien de laconcurrence encore existante et, en ce qui concerne les rabais et les primes, qu’ils « sontde nature » à rendre plus difficile l’accès au marché).

Comme il a été démontré que, eu égard à la structure du marché — sur lequel il n’y a quetrois opérateurs, dont l’un détient plus de la moitié des parts de marché — les avantagesfinanciers, qui peuvent être qualifiés de «rabais» selon le droit de la concurrence,avaient pour principal effet de fidéliser la clientèle acquise de Belgacom (cf. interview deson CEO dans La Libre du 30 avril 2005 qui dit que « la première priorité est de retenir lesmeilleurs clients »), il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’effets anti-concurrentiels concrets, notamment l’impossibilité de répliquer des offres. Il s’ensuit quele fait que Mobistar ait pu convaincre la SNCB de changer d’opérateur ou que lesopérateurs alternatifs — qui ne sont pas des entreprises en position dominante — aienttenté de répliquer à la politique agressive de Belgacom sont sans pertinence puisque uneperte de profits ou l’accomplissement d’efforts plus importants suffisent pour démontrerla capacité d’une entreprise dominante à freiner la concurrence.

Au demeurant, il résulte de l’examen de la dominance sur le marché auquel la cour aprocédé, que l’entrée sur le marché de Mobistar et de Base n’a pas empêché Belgacomd’acquérir le plus de nouveaux clients et qu’elle est restée l’opérateur qui détient enEurope la plus grande part de marché.

Le moyen de Belgacom ne peut être admis, d’autant qu’elle s’abstient volontairement dedémontrer la justification économique de ses tarifs.

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(viii).- Conclusion

110. Il suit des considérations qui précèdent que, sous réserve des constatations et avistechniques des experts

(i) en offrant un tarif <t on-net » bas, différencié d’un tarif « off-net »

(ii) en accordant une remise additionnelle « Proxivolume» lorsqu’elle est groupée àl’offre « ProGroup »

(iii) en consentant des avantages financiers sans justification économiqueraisonnable, dans le cadre des offres individuelles identifiées supra sous b), f), g),m), n), o), q), r) et s)

il est, à ce stade de la procédure, vraisemblable que Belgacom a consenti des rabais de

fidélité abusifs, ce qui justifie amplement la mission confiée à ces experts, avant de dire

droit plus avant.

c.- Sur les prix prédateurs

(j).- Conditions de l’abus

111. Base et Mobistar soutiennent que les tarifs « on-net » de Belgacom constituent

également des prix prédateurs.

Les prix prédateurs sont des pratiques qui sont sanctionnées en raison de l’atteinte grave

à la structure de la concurrence qu’elles représentent. En effet, elles visent, par

définition, à évincer ou à discipliner un concurrent. Elles consistent pour une entreprise à

sacrifier une partie de son bénéfice à court terme, sans nécessairement subir une perte,

pour écarter ou éliminer des concurrents, ce qui lui permet par la suite d’imposer des

prix supra-compétitifs (c’est-à-dire supérieurs à ceux que l’existence d’une concurrence

permettrait) et de renforcer sa position dominante. Or, l’article [102] interdit à une

entreprise dominante d’éliminer un concurrent et de renforcer sa position en recourant

à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites (J.-Fr.

Bellis, Examen de jurisprudence (1993 à 2005) Droit européen de la concurrence,

R.C.J.B., 2007, p. 515 et Examen de jurisprudence (2006 à 2011), R.C.J.B., 2013, p. 742).

Il résulte de la jurisprudence relative aux prix prédateurs que, d’une part, des prix

inférieurs à la moyenne des coûts variables (c’est-à-dire ceux qui varient en fonction des

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quantités produites) permettent de présumer le caractère éliminatoire d’une pratique deprix et que, d’autre part, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux (quicomprennent les coûts fixes demeurant constants quelques soient les quantitésproduites et les coûts variables) mais supérieurs à la moyenne des coûts variablesdoivent être considérés comme abusifs lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayantpour but d’éliminer un concurrent (arrêt AKZO/Commission, CJUE 3 juillet 1991, C-62/86,points 71 et 72; arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91,Rec. p. Il-755, points 148 et 149, confirmé par DUE 14 novembre 1996, TetraPak/Commission, C-333/94 P, Rec., p. l-5951, point 41; TUE 30 janvier 2007, T-340/03,Fronce Telecom/Commission, point 130).

Dans son arrêt Fronce Telecom, la Cour a ultérieurement précisé que des prix inférieurs àla moyenne des coûts variables doivent toujours être considérés comme abusifs. Lapreuve de la possibilité de récupération des pertes subies du fait de l’application par uneentreprise en position dominante de prix inférieurs à un certain niveau de coûts neconstitue pas une condition nécessaire afin d’établir le caractère abusif d’une tellepolitique de prix. La démonstration d’une possibilité de récupération des pertes n’est pasun préalable à la constatation d’une pratique de prix prédateurs. Une entreprise enposition dominante ne peut se prévaloir d’aucun droit absolu d’aligner ses prix sur ceuxde ses concurrents pour justifier son comportement lorsque celui-ci constitue un abus desa position dominante (CJUE 2 avril 2009, C-202/07, Fronce Telecom, points 33, 47, 110et 112).

Aucune démonstration des effets concrets des pratiques en cause n’a été exigée par lajurisprudence européenne. Il suffit de démontrer l’existence d’un plan de prédationpendant la durée de l’infraction pour justifier la qualification d’abus de positiondominante de la pratique incriminée (TUE 30janvier 2007, précité, points 195-218).

Contrairement à ce que soutient Belgacom, cet arrêt n’est pas infirmé par l’arrêt PostDanmark (DUE 27 mars 2012, C-209/10) qui rappelle qu’il y a lieu «d’apprécierl’ensemble des circonstances et d’examiner si des pratiques tendent t... à barrer l’accèsdu marché aux concurrents (...) en leur infligeant de ce fait un désavantage dans laconcurrence ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée)) (c’est lacour qui souligne). En tout état de cause, dans un arrêt postérieur (DUE 19 avril 2012,Tomra Systems, C-549/10, points 19 à 21) la Cour a rappelé qu’ «il apparaît normal quela Commission évoque des facteurs de nature subjective, à savoir les mobiles qui sous-tendent la stratégie commerciale en question et que, dès lors, l’existence d’une éventuelleintention anticoncurrentielle ne constitue qu’une des nombreuses circonstances factuellessusceptibles d’être prises en compte aux fins de la détermination d’un abus de positiondominante, [mais] que la Commission n’est nullement tenue d’établir l’existence d’unetelle intention dans le chef de l’entreprise en position dominante aux fins de l’applicationde l’article [102]. ))

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p. 94 L,

112. La méthodologie à appliquer en l’espèce pour vérifier l’existence d’une éventuelleperte par l’application de prix prédateurs est la même que pour les rabais : on déterminele prix réel appliqué pour les appels « on-net » que l’on compare au coût correspondant.Il y a perte si le prix réel obtenu est inférieur au coût moyen correspondant.

L’opérateur intégré devra, pour la production de ses minutes « on-net » pratiquer desprix de détail compatibles avec l’achat par sa branche aval à sa branche amont d’uneterminaison d’appel égale à celle facturée à un tiers. A cet égard, la terminaison d’appelrevêt le caractère d’un coût variable à court terme.

Comme précisé dans le cadre de l’examen des rabais, seule une expertise contradictoiredes coûts de Belgacom est susceptible de vérifier l’existence de la marge négativealléguée par Base et Mobistar. Celle-ci a été identifiée dans le rapport du consultantLECG (pièce lV.1O du dossier de Base), mais comme elle a été établie sur la base descoûts de Base, dans l’ignorance de ceux de Belgacom, il y a lieu de refaire l’exercice sur labase des coûts de Belgacom. Ce n’est pas pour autant que Base — tout comme Mobistarqui a également fait faire un test sur la base de ses propres coûts — ne rapporte pas lapreuve du caractère vraisemblable du fait allégué qu’elle impute, ainsi que cela a été ditau point 88.

La vérification de tarifs manifestement déficitaires devra être faite sur tous les tarifsallégués par Base et Mobistar, en ce compris, s’il échet, les plans tarifaires VPN etProgroup et les formules tarifaires individualisées, puisque, pour ce type d’abus, ce n’estpas l’effet fidélisant qui doit être retenu comme dans les rabais, mais la perte volontaireacceptée par l’opérateur dominant.

(ii).- Moyens et arguments de Belgacom

113. Belgacom développe les moyens et arguments suivants:

— Sur le test de couverture des coûts:

— le test de couverture de coûts suggéré par Base et Mobistar n’est pas adéquatdans la matière des télécommunications, en ce que le standard du CVM nedoit pas être remplacé par le LRAIC ou le LRAIC+;

— il est erroné de prétendre que le niveau des MTR de Belgacom constituerait lamesure adéquate du CVM associée à la terminaison d’un appel, notammenten prenant en considération un double MTR;

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— elle démontre que ses tarifs « on-net » dépassent ses tarifs d’interconnexion

régulés;— Base et Mobistar ne prennent pas en considération toute une série de

sources de revenus additionnels tels que les revenus d’abonnement et ceux

issus de la première minute non consommée et des quotes-parts non utilisées

des forfaits d’appel.

— Sur l’éviction anticoncurrentielle:

— Base et Mobistar ne démontrent pas que les tarifs de Belgacom auraient eu

un impact négatif quelconque et encore moins anti-concurrentiel sur le

marché;— la récupération des pertes est une condition inhérente au test de prédation;

or, d’après Belgacom, « l’évolution de [ses] parts de marché ne laisse entrevoit

aucune possibilité pour [elle] de récupération des pertes qu’elle aurait

volontairement et intentionnellement encourues en vue d’évincer ses

concurrents »;

— la preuve directe de l’intention éliminatoire doit résulter de la production de

documents internes de l’entreprise dominante — ce qui n’est pas le cas en

l’espèce — ou à tout le moins les plaignants doivent fournit un faisceau

d’indices — ce qu’ils ne font pas non plus;

— le principe d’une tarification « on-net» ne pourrait avoir un effet anti-

concurrentiel que dans un contexte d’importants effets de réseau, ce qui

n’est pas le cas en l’espèce, dans la mesure où l’effet statistique est

contrecarré par un phénomène de coordination des groupes d’utilisateurs qui

peuvent, ensemble, changer facilement d’opérateur.

114. Les arguments développés par Belgacom relatifs au test de couverture des coûts ont

été rencontrés par la cour au point 92. Certains ont même été admis. Il n’y a pas lieu d’y

revenir.

En revanche, pour ce qui concerne plus particulièrement l’éviction par des prix

prédateurs, il ne résulte d’aucune norme du droit de l’Union qu’il faille retenir

uniquement le CVM, comme le soutient à tort Belgacom. Il convient au contraire de

prendre en considération la méthode de calcul la plus adaptée pour vérifier si la pratique

tarifaire de l’entreprise dominante l’a conduite à des recettes inférieures à celles

auxquelles on aurait pu s’attendre si un autre comportement avait été adopté. A cet

égard, la Commission a constaté que les structures des coûts dans le secteur des réseaux

(ce qui est le cas en l’espèce) ont tendance à beaucoup s’écarter de celles de la plupart

des autres secteurs, dans la mesure où ce secteur supporte des coûts communs

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Cour dppeI Bruxefles — 2012/AR/1 — p. 96

nettement plus importants. Ainsi, dans le cas de la fourniture de services de

télécommunications, un prix qui est égal au Coût variable d’un service peut être très

inférieur au prix que devrait pratiquer l’opérateur pour couvrit le coût de fourniture de

ce service (Communication de la Commission relative à l’application des règles de

concurrence aux accords d’accès dans le secteur des télécommunications - Journal

officiel n° C 265 du 22/08/19.98 p. 0002 — 0028, n° 113 et 114), ce qui justifie de vérifier

également si le prix d’un départ d’appel « on-net » est ou non inférieur au CMMLT+ (ouLRAIC+) du service offert. Au demeurant, dans ses Orientations de 2009, la Commissionne manquera pas de rappeler qu’en ce qui concerne l’éviction anticoncurrentielle, « en

principe, seule la fixation de prix inférieurs au CMMLT est susceptible d’évincer des

concurrents aussi efficaces du marché)) (loc. cit., n° 67).

115. Quant aux moyens développés à propos de l’éviction anticoncurrentielle, il y a tout

d’abord lieu de rappeler qu’aucune démonstration des effets concrets des pratiques en

cause n’a été exigée par la jurisprudence européenne (c’est la cour qui souligne).

Ce n’est pas parce que Base et Mobistar ne produisent pas de preuves directes de

l’existence d’un plan détaillé ou d’une stratégie prédatrice que leur demande doit être

déclarée perse non fondée. Ainsi, il n’est pas nécessaire de prouver que les concurrents

ont été contraints de quitter le marché puisqu’il ne peut être exclu que l’entreprise

dominante préfère amener ses concurrents à s’aligner sur ses prix plutôt que de les

évincer. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit avec Base qui expose que, dans un premier

temps, elle a tenté de pratiquer un tarif « off-net» inférieur au tarif «on-net » de

Belgacom, mais qu’elle a été contrainte d’y renoncer, sous peine de devoir supporter des

pertes trop lourdes. L’intention d’éviction peut être déduite du comportement de

Belgacom ; à cet égard il convient de constater que:

— l’introduction du tarif « on-net» bas intervient en réponse à l’entrée de Mobistar

sur le marché— la différenciation tarifaire entre les appels « on-net>) et « off-net » est très

importante, sans compter que, prima fade, le montant nominal des appels « on-

net)) est inférieur au montant nominal des MIR, ce que Belgacom ne conteste

pas en soi, tout en soutenant qu’une telle comparaison ne serait pas pertinente

— cette politique tarifaire s’est poursuivie pendant toute la période litigieuse,

démontrant la volonté et la capacité d’assumer des pertes sur le long terme

— dans le cadre d’une autre procédure, Belgacom a reconnu que «les tarifs ‘on-net’

qu’elle applique à ses clients, utilisateurs finals, ne sont pas orientés vers les coûts

liés aux services, ce que l’IBPT ne met pas en doute)) (sic) (cf. Bruxelles, 7 avril

2006, R.G. 2005/AR/296 et 2005/AR/588, en cause de Belgacom Mobile contre

l’IBPT, page 56, point 87), ce qui démontre qu’elle ne peut «financer » ce

sacrifice que par des subventions d’autres services sur lesquels elle est également

en position dominante et ainsi discipliner ses concurrents à en faire de même; au

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LI

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p. 97

demeurant, ce n’est qu’en ayant recours à sa théorie de l’unité économique —

non retenue par la cour — que Belgacom tente de remettre en cause cet aveu

judiciaire et de justifier sa pratique tarifaire

— Belgacom ne produit aucune justification économique de sa politique tarifaire, se

contentant d’affirmer que le tarif « on-net » est un tarif parmi d’autres,

démontrant par-là que son comportement ne peut s’expliquer que par sa volonté

d’adopter une stratégie anticoncurrentielle;

— Belgacom ne cache pas que son option stratégique est de retenir « ses meilleurs

clients [même] en érod[ant] un peu [sa] marge opérationnelle» (cf. article de La

Libre Belgique, pièce 25 du dossier de Mobistar), à savoir la clientèle « affaires »,

très sensible aux tarifs « on-net » en raison de l’effet de réseau, ne laissant à ses

concurrents que les autres segments du marché peu ou moins rentables, à savoir

les clients résidentiels ayant un ARPU moins élevé;

— outre cette sélectivité structurelle, Belgacom a pratiqué des offres sélectives

individuelles contenant des tarifs « on-net » bas, ainsi que cela a été démontré

dans la section relative aux rabais; or un comportement prédateur peut se

déduire d’une ou de plusieurs offres ciblant sélectivement certains clients au

moyen de prix peu élevés, mais avec un potentiel de chiffre d’affaires élevé, ce

qui permet de limiter les pertes.

Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence européenne que la démonstration d’une

possibilité de récupération des pertes n’est pas un préalable à la constatation d’une

pratique de prix prédateurs (cf. supra n 111).

Enfin, en ce qui concerne l’argument tiré de l’absence d’un effet de réseau rendant sans

pertinence la prédation alléguée par une différenciation tarifaire, il sera traité dans la

section consacrée à ce type d’abus.

(iii).- Conclusions

116. lI se déduit de ce qui précède que si les experts constatent que Belgacom a enregistré

des pertes sur ses appels « on-net » l’existence d’un prix prédateur ou d’éviction est

établie.

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J

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U.- Sur l’effet ciseau

(I).- Conditions de l’abus

117. Comme le rappelle ].-Fr. Bellis dans sa chronique de jurisprudence (op. cit., pp. 736 à740), en l’absence de toute justification objective, est susceptible de constituer un abusau sens de l’article 102 TFUE le fait pour une entreprise verticalement intégrée, détenantune position dominante sur le marché de gros des prestations [...] intermédiaires,d’appliquer une pratique tarifaire telle que l’écart entre les prix pratiqués sur ce marchéet ceux appliqués sur le marché de détail f...] aux clients finals n’est pas suffisant pourcouvrir les coûts spécifiques que cette même entreprise doit supporter afin d’accéder àce dernier marché (DUE 17 février 2011, Konkurrensverket c. TeliaSonera Sverige AB, C52/09, Rec, 2011, p. 1-00527, point 112). Le caractère abusif de cette pratique tarifairetrouve son origine dans l’article 102, second alinéa, sous a), qui interdit explicitement lefait d’imposer de façon directe ou indirecte des prix (...) ou [desJ conditions detransaction non équitables (DUE 17 février 2011, Konkurrensverket c. TeliaSoneraSverige AB, C-52/09, Rec, 2011, p. 1-00527, point 25).

Le caractère abusif du comportement de l’entreprise dominante est donc lié au caractèrenon équitable de l’écart entre ses prix pour les prestations intermédiaires et ses prix dedétail, et non à l’existence de prix excessifs sur le marché de détail ou de prix prédateurssur le marché intermédiaire (DUE 14 octobre 2010, Deutsche Telekom c. Commission, C280/08, Rec, 2010, p. 1-09555, point 198; TUE 10 avril 2008, Deutsche Telekom c.Commission, T-271/03, Rec, 2008, p. 11-00477, point 167).

Pour déterminer le caractère abusif d’une telle pratique, la jurisprudence européenne aprécisé qu’il fallait prendre en compte les tarifs et coûts pratiqués par l’entreprisedominante sur le marché de détail et la stratégie de celle-ci, et non la situation desconcurrents actuels ou potentiels (DUE 3 juillet 1991, AKZO c. Commission, C-62/86, Rec,1991, p. 1-3359, point 74; TUE 10 avril 2008, Deutsche Telekom c Commission, T-271/03,Rec, 2008, p. 11-00477, point 188). Il ne conviendra d’ailleurs d’examiner les tarifs etcoûts des concurrents que s’il n’est pas possible, compte tenu des circonstances, de faireréférence aux tarifs et coûts de l’entreprise dominante (CJUE 17 février 2011,Konkurrensverket c TeliaSonera Sverige AB, C-52/09, Rec, 2011, p. 1-00527, point 113).De même, il conviendra de démontrer le caractère indispensable du produit de gros(CJUE 14 octobre 2010, Deutsche Telekom c. Commission, C-280/08, Rec, 2010, p. 1-09555, point 232 ; DUE 17 février 2011, Konkurrensverket c. TeliaSonera Sverige AB, C52/09, Rec, 2011, p. 1-00527, point 113).

Afin de déterminer si l’entreprise occupant une position dominante a exploité demanière abusive cette position par l’application de ses pratiques tarifaires, il y a lieu

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d’apprécier l’ensemble des circonstances et d’examiner si cette pratique tend à enlever àl’acheteur, ou à restreindre pour celui-ci, les possibilités de choix en ce qui concerne sessources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents, à appliquer àdes partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou àrenforcer la position dominante par une concurrence faussée (DUE 14 octobre 2010,Deutsche Telekom c Commission, C-280/08, Rec, 2010, p. 1-09555, point 175; C]UE 17février 2011, Konkurrensverket c. TeliaSonera Sverige AB, C-52/09, Rec, 2011, p. 1-00527,point 28).

Exploite, ainsi, de façon abusive sa position dominante l’entreprise qui met en oeuvreune politique de prix visant à écarter du marché des concurrents qui sont peut-être aussiefficaces que cette même entreprise, mais qui, en raison de leur capacité financièremoindre, sont incapables de résister à la concurrence qui leur est faite (DUE 17 février2011, Konkurrensverket c. TeliaSonera Sverige AB, C-52/09, Rec, 2011, p. 1-00527, points39 et 40).

118. En l’espèce, il conviendra de comparer les tarifs de détail de Belgacom pour lesappels « on-net)) avec ses propres MIR et de vérifier s’il existait une marge suffisantesur le marché de détail pour absorber le coût du service intermédiaire et ainsid’apprécier si des concurrents aussi efficaces que Belgacom pouvaient entrer enconcurrence avec elle. En d’autres termes, si Base et Mobistar étaient susceptibles depouvoir offrir à leurs clients qui souhaitaient appeler des abonnés du réseau deBelgacom des tarifs égaux ou inférieurs aux tarifs « on-net)) de Belgacom, sans subir depertes.

Au niveau des principes, la formule est simple, les revenus détaillés dans le tableausuivant devant être supérieurs aux coûts

REVENUS COUTSTarif nominal appel « on-net)) Coût d’un départ d’appelQuote-part abonnement Quote-part de certains coûts communs

. liés à l’appel « on-net))Quote-part 1ere minute non consommée Tarif nominal MIRQuote-part forfait d’appels non consommé

Eu égard au fait que les services intermédiaires d’accès au réseau de Belgacom sontindispensables pour permettre à ses concurrents d’entrer en concurrence avec elle sur lemarché de détail à ses abonnés, une compression des marges entre les tarifs de gros desservices intermédiaires et les tarifs de détail pour les services d’accès aux abonnés deBelgacom entravera en principe le développement de la concurrence sur les marchés dedétail. En effet, si les prix de détail de Belgacom pour les services d’accès à ses abonnéssont inférieurs aux tarifs de gros de ses services intermédiaires d’accès à son réseau ou si

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l’écart entre les tarifs de gros de ces services intermédiaires et lesdits tarifs de détail deBelgacom est insuffisant pour permettre à un opérateur aussi efficace qu’elle de couvrirses coûts spécifiques pour la fourniture de services d’accès à de tels abonnés, unconcurrent potentiel aussi efficace ne pourrait entrer sur le marché des services d’accèsaux abonnés qu’en subissant des pertes (cf. TUE 10 avril 2008, T-271/03, DeutscheTelekom, point 237). Une telle situation empêcherait les concurrents de dégager desbénéfices, même s’ils sont au moins aussi efficaces qu’elle, car ils ont à supporter desfrais (commercialisation, facturation, recouvrement...).

Dans son arrêt Deutsche Telekom (CJUE 14 octobre 2010, C-280/08), la Cour a rappeléqu’il importait peu que les tarifs de gros correspondaient à ceux fixés par le régulateur sil’opérateur dominant disposait d’une marge de manoeuvre (point 85) ou encore que lerésultat escompté — i.e. l’éviction des concurrents — n’avait pas été atteint (point 254).A cet égard, il suffit que l’accès de ceux-ci aux marchés des services concernés soit, àtout le moins, rendu plus difficile en raison de la compression des marges qu’un tel écartpeut entraîner pour eux (point 178).

(ii).- Moyens et arguments de Belgacom

119. Belgacom développe trois moyens se subdivisant en plusieurs branches (cf. sesconclusions, page 707, n’ 702) à savoir:

— les principes méthodologiques retenus parle premier juge pour effectuer un testde ciseau tarifaire sont inexacts, en ce que

— il conviendrait d’appliquer la théorie de l’unité économique;— au niveau des revenus, il y aurait lieu de prendre en considération

l’intégralité de la redevance d’abonnement, les redevances d’acquisition,les revenus de gros d’interconnexion ainsi que les revenus additionnelsque sont la première minute et les forfaits non consommés;

— quant aux coûts, il y aurait lieu d’effectuer un test EEQ, exclure (en tout ouen partie) les coûts afférents aux charges de terminaison, prendre encompte l’effet « flotte-tribu » au niveau des MTR, utiliser le standard decoût LRAÎC sans prendre en considération des coûts communs et ce,conformément à la recommandation de l’IBPT du 11 juillet 2007, enfin,tenir compte de la nature bicéphale ou bidirectionnelle du marché;

— l’application d’un test mathématique ne suffit pas dès lors que, outre l’exigencede la prise en compte de l’unité économique, il conviendrait pour Base et

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Mobistar de démontrer in concreto que les tarifs incriminés ont produit des effetsanticoncurrentiels sur le marché pertinent de la mobilophonie dans son ensembleou, à tout le moins, sur le segment incriminé; à défaut, la preuve de l’abus neserait pas rapportée

— le premier jugea procédé à une délégation de pouvoirs contraire à l’article 11 duCode judiciaire en attribuant aux experts la mission d’examiner l’existence d’unabus d’effets de ciseaux.

(iii).- Position de la cour

120. A l’occasion de l’examen des autres abus allégués par Base et Mobistar, il a déjà étérépondu à plusieurs de ces moyens. Il s’agit notamment de la théorie de l’unitééconomique, la redevance d’abonnement, les revenus additionnels, le test EEO, lestandard de coûts à utiliser (soit le LRAIC÷ qui prend en considération certains coûtscommuns), le niveau des effets anticoncurrentiels produits par la pratique tarifaire,notamment en ce qui concerne le marché ou un segment de celui-ci, ainsi que ladélégation de pouvoirs aux experts. Certains de ceux-ci ont en outre été admis par lacour.

Par économie de procédure, la cour ne reprendra pas dans cette section les motifsexposés supra par lesquels elle a rencontré ces moyens et arguments, ces motifsconstituant le soutien nécessaire de l’ensemble de sa décision. Elle se bornera àrencontrer ceux qui n’ont pas encore été développés par Belgacom.

121. Il n’y a pas lieu de prendre en considération, à titre de revenus, les frais d’activationqui — lorsqu’ils n’étaient pas gratuits ou faisaient l’objet de larges promotions — étaientréclamés, en tout ou en partie, au moment où un abonné sollicitait un raccordement auréseau de mobîlophonie.

En effet, il s’agit d’une redevance unique qu’il est impossible d’affecter objectivement àdes minutes de consommation. Or, le test auquel les experts devront procéder consiste àcomparer les revenus et les coûts d’une minute d’appel « on-net)) avec les coûts et lesrevenus d’une minute de MTR. De plus, Belgacom soutient dans ses conclusions (maissans en apporter la preuve) — cf. n° 757 - que ces redevances étaient censées rémunéreren une fois les coûts d’acquisition de la clientèle, ce qui est étranger aux revenus censésrémunérer la consommation. Par ailleurs comment affecter cette redevance au seulservice en cause qui est l’appel « on-net)> et dans quelle proportion ?

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Au demeurant, Belgacom reconnaît que ces frais d’activation ont été pris en compte parl’IBPT pour fixer le montant des MTR. Vouloir les inclure dans les revenus du marché dedétail reviendrait à les comptabiliser deux fois.

122. Vainement Belgacom soutient-elle qu’une partie des revenus d’interconnexion (lesMIR) devraient être pris en considération dans l’analyse des revenus du marché dedétail. En effet, ces revenus sont censés couvrir les coûts du service intermédiaire qui,faut-il le rappeler, doit être orienté sur les coûts. lIs ne peuvent donc concerner que lemarché de gros, exclusivement, et ne peuvent être retenus pour apprécier la structuredu prix de détail, sauf bien entendu pour vérifier si l’imposition des MTR permet encorede dégager une marge sur le marché de détail.

Suivre la thèse de Belgacom reviendrait paradoxalement à admettre que les MIRn’étaient pas orientés sur les coûts et qu’elle opérait un transfert entre les revenus dumarché de gros vers le marché de détail, ce qui est précisément l’objet du test du ciseautarifaire. Or, il convient de garder à l’esprit que les MIR ont été régulés pour éviter, sifaire se peut, l’émergence d’un effet de ciseau.

Il en est de même pour les coûts des charges de terminaison qui ne doivent concernerque le marché de gros, à défaut de quoi il sera impossible de comparer les deux servicessi les mêmes coûts sont pris deux fois en considération.

Pour rappel, il convient de comparer uniquement les tarifs de détail de Belgacom pourles appels « on-net » avec ses propres MIR et de vérifier s’il existait une marge suffisantesur le marché de détail pour absorber le coût du service intermédiaire ; peu importel’existence de prix excessifs ou prédateurs sur les marchés de détail ou de gros.

123. Toujours en ce qui concerne les MIR, Belgacom suggère que soient pris en compteles effets « flotte » et « tribu » - dont il sera question dans la section relative aux effets« réseaux ».

Si la cour comprend bien l’argument de Belgacom, tel qu’il est développé au point 935 deses conclusions, il conviendrait de déduire des MIR une quote-part de ceux-ci quiconcerneraient des abonnés de Base et de Mobistar qui auraient migré vers Belgacom etqui, de ce fait, seraient devenus des abonnés « on-net ».

Les MIR sont ce qu’ils sont et l’objet du débat dans le cadre de la présente section n’estpas de vérifier s’ils sont excessifs ou non ou si leur produit global a varié dans le temps.La seule question à laquelle la cour doit répondre est de savoir si, compte tenu du tarifde ce service intermédiaire, il existe encore une marge suffisante sur le marché de détail.L’argument n’est donc pas pertinent.

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III. r1

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124. La Recommandation de l’IBPT du 11 juillet 2007 établissant des lignes directricesrelatives à l’évaluation des effets de ciseaux tarifaires invoquée par Belgacom n’est paspertinente.

En effet, elle a été prise dans le cadre de la loi du 13juin 2005 en vue de l’orientation destarifs des opérateurs puissants sur les coûts pour une période postérieure à la périodelitigieuse. De plus, l’IBPT n’est pas compétent pour réguler le marché de détail de latéléphonie mobile.

En tout état de cause, l’IBPT considère que ce n’est qu’au niveau des principes que lestandard LRAIC serait plus approprié que le standard LRAIC+ pour effectuer un test deciseau tarifaire, mais il admet en même temps que dans certains cas il serait nécessairede faire un test combinatoire.

Il s’ensuit que cette recommandation ne peut constituer une norme du droit de l’Unionet qu’il convient bien, comme l’a décidé le TUE dans l’affaire Telefonica (TUE 29 mars2012, T-336/07, point 238), d’inclure une proportion des coûts communs liés à lastructure de l’entreprise dominante qu’elle aurait évitée à long terme si elle n’avait pasfourni les services de détail.

125. Belgacom soutient que dans le cadre du test de ciseau tarifaire, il y aurait lieu detenir compte de la caractéristique particulière du marché de la téléphonie mobile oùplusieurs ressources sont contrôlées en amont par des entreprises différentes, en ce quetous les opérateurs vendent aux autres leur propre produit de terminaison. Cettesituation, appelée « two-way access », nécessiterait que l’on prenne en compte d’autresdimensions et paramètres concurrentiels. Belgacom en déduit que pour ce type demarché le test de ciseaux tarifaires est « une matière complexe » et que toutraisonnement « one-way access» doit être écarté.

Belgacom reconnaît qu’il n’existe aucune décision jurisprudentielle ou administrative quiaurait traité de cette question. Tout comme pour l’unité économique, il ne s’agit doncque d’une « théorie » qui ne constitue pas une norme du droit de l’Union.

L’analyse à laquelle la cour doit procéder consiste uniquement à comparer deux services,à savoir, d’une part, un appel « on-net » sur le réseau de Belgacom et, d’autre part, laterminaison des appels des abonnés d’autres réseaux sur le réseau de Belgacom. Base etMobistar ne sont pas en position dominante sur le marché de détail. Aucuneresponsabilité particulière ne pèse sur elles, au contraire de Belgacom. Elles ne peuventdonc se voir reprocher un quelconque abus de position dominante sanctionné parl’article 102 du TFUE. En tout état de cause, la manière dont elles se comportent et lestarifs qu’elles pratiquent ne constituent pas des éléments déterminants pour apprécierl’attitude de Belgacom. Mobistar n’a été régulée pour ses MTR qu’en 2003 et Base en

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2006; or, il n’est pas soutenu qu’elles n’auraient pas respecté les obligations que leurimposait l’IBPT.

En l’espèce, c’est le marché de détail de Belgacom qui est en cause et pas ceux de Baseet Mobistar. Pour vérifier si Belgacom n’a pas procédé à une compression des margesentre les marchés amont et aval de l’accès à son réseau d’abonnés, il suffit donc deprendre en considération ses seuls tarifs à l’exclusion de ceux de ses concurrents. Il étaitdonc normal que le premier juge ait raisonné en termes de « one-way access» pouranalyser le rapport entre Belgacom et ses concurrents. C’était d’ailleurs ce qu’il faut fairepuisque la question posée est l’accès au réseau de Belgacom qui, à cet égard, estincontournable pour ses concurrents. Personne ne s’est jamais plaint de l’accès auxréseaux de Base et Mobistar. En tout état de cause, eu égard au monopole dont jouissaitBelgacom et à la répartition asymétrique des parts de marché, ce sont Base et Mobistarqui sont dépendantes de Belgacom au niveau de la terminaison des appels et pasl’inverse.

Au demeurant, sauf à dire que la méthode « one-way access » n’est pas pertinente,Belgacom n’explique pas comment, selon elle, le premier juge aurait dû procéder dans lecadre d’une méthode « two-way access ». Suivre Belgacom dans sa théorie reviendrait àréintroduire celle de l’unité économique et à exclure tout simplement l’abus de positiondominante par compression des marges dans le marché de ta téléphonie mobile lorsqu’ily a plus d’un opérateur, ce qui ne peut être admis.

126. Belgacom fait grand cas qu’en 2000, Mobistar a pu offrir un tarif ATAN dans le cadrede son offre Optimum égal à son tarif « on-net» et en déduit qu’elle n’a pu adopter uncomportement anti-concurrentiel.

Ainsi que cela a été rappelé à plusieurs reprises, l’effet concret d’un abus de positiondominante ne doit pas être démontré puisqu’il suffit que l’accès des concurrents auxmarchés des services concernés soit, à tout le moins, rendu plus difficile en raison de lacompression des marges qu’un tel écart peut entraîner pour eux.

Or, il convient d’observer que Mobistar a enregistré des pertes continues de 1996 à 2001et qu’au 31 décembre 2001, elle avait perdu 99% de son capital. C’est dire les effortsfinanciers qu’elle a dû consentir pendant cinq ans et la diminution de ses capacitésfinancières pour aborder l’avenir par de nouveaux investissements. Par ailleurs, auniveau des parts des marchés, Belgacom a toujours conservé des parts très largementsupérieures à celles de Mobistar, ce qui démontre que pendant toute la périodelitigieuse cette dernière n’est jamais parvenue à pénétrer sensiblement le marché,d’égale à égale avec Belgacom. Au vu de ces éléments, il ne peut donc être soutenu queMobistar n’a pas rencontré de difficultés pour accéder au marché.

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En revanche, il ne peut être contesté que Belgacom disposait d’une marge de manoeuvreimportante pour éviter, s’il échet, un ciseau tarifaire puisqu’elle pouvait baisser ses MIRau niveau de la limite inférieure de la fourchette proposée par l’IBPT et/ou augmenter letarif nominal de ses appels « on-net », ce qu’elle n’a pas fait.

127. Enfin, c’est à tort que Belgacom soutient que Base et Mobistar ne fourniraient passuffisamment d’indices pour justifier une expertise.

Dès lors que Belgacom soutenait que ses pratiques tarifaires devaient être analysées surla base d’un test EEO, c’est-à-dire en fonction de ses propres coûts qu’elle considéraitcependant comme des secrets d’affaires et qu’elle contestait par ailleurs les analysesfaites par les consultants de Base et de Mobistar sur la base de leurs propres données,elle ne peut, sous peine de déloyauté procédurale, leur faire grief de solliciter uneexpertise.

Il ne peut non plus être soutenu que l’existence d’un ciseau tarifaire serait dénué detoute vraisemblance, d’autant que le Conseil de la concurrence a conclu, sur la base desdonnées fournies par Belgacom elle-même, à l’existence de marges largement négativespour les années 2004 et 2005 (cf. n° 294 à 300). Pour les années précédentes, le Conseiln’a pu se prononcer parce que Belgacom n’avait pas mis à sa disposition les donnéespour les années 2002 à 2003.

Quant aux données relatives aux MVNOs utilisant les réseaux de Base et de Mobistar,elles sont sans pertinence, puisque, dans le cadre d’un test EEO, il convient de neprendre en considération que les données comptables de Belgacom.

Les conditions requises pour procéder à une expertise sont dès lors réunies, notammentpour calculer le coût d’un départ d’appel puisque Belgacom conteste qu’il soit égal auxMTR et ainsi déterminer le tarif plancher d’un appel «on-net» que Belgacom aurait dûappliquer pour éviter le ciseau tarifaire.

(iv).- Conclusions

12$. S’il résulte des constatations des experts qu’il existe une marge négative entre lesrevenus des appels « on-net)) et les charges de terminaison de Belgacom, l’abus deposition dominante par compression des marges sera établi.

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e.- Sur l’effet de réseau

fi).- Thèses de Base et Mobistar, et décision du premier juge

129. Mobistar (suivie en cela par Base) considère que tc compte tenu des circonstancesde(s) marché (s), à savoir la position avantageuse dont Belgacom bénéficiait commepremier entrant sur lets) marché(s) en monopole, la stratégie tarifaire adoptée par cettedernière était abusive. En effet, Belgacom disposait au début de la période considérée, etde très loin, de la base de clientèle la plus importante. Celle-ci n’a toutefois pas étéacquise aux termes d’une concurrence par les mérites, mais bien en raison du fait qu’elleo pu démarrer ses activités en conditions de monopole et qu’elle continuait de bénéficierd’avantages très importants, illégitimes et discriminatoires du fait de l’adossement àl’opérateur historique, Belgacom. Dans ces circonstances, la différenciation tarifaire onnet/off-net (avérée, incontestable et incontestée) appliquée par Belgacom lui o permisd’exploiter les effets de réseau découlant de sa base de clientèle pour renforcer saposition de marché. Un tel comportement est bien anti-concurrentiel, dans la mesure,notamment, où il tend à défendre, renforcer et perpétuer l’avantage historique et laposition dominante de Belgacom sur lets) marché(s) des services de télécommunicationmobile de détail au détriment de ses concurrents qu’elle cherche ainsi à évincer>) (cf. n°820 de ses conclusions d’appel).

Base ajoute que « l’étendue du parc de clients o une incidence directe sur le nombred’appels on-net. Plus le parc est grand, plus le nombre d’appels on-net sera élevé. Parcontre, plus le parc est petit, moindre sera le nombre d’appels on-net et plus grand sera lenombre d’appels off-net. (...). Etant statistiquement établi que les clients du plus grosopérateur appellent plus on-net que les clients des plus petits opérateurs, l’applicationd’une politique tarifaire on-net basse induit nécessairement les clients à rester ou àrejoindre l’opérateur avec la base de clientèle la plus 1mportante afin de bénéficier detarifs on-net bas et de l’avantage qui en découle » (cf. n142 de ses conclusions d’appel).

Le premier juge a constaté que «la circonstance qu’il y ait des effets de réseaux et que ladifférenciation tarifaire appliquée avec des prix « on-net)) bas dans le chef de l’opérateurhistorique ayant la plus grande part de marché soit un incitant à conserver ou attirer desclients n’est pas en soi contestée ni contestable» (jugement, p.53). Tout en précisantqu’il n’apparaissait pas qu’il existait une règle générale qui interdirait toute tarification«on-net» spécifique dans le chef d’un opérateur dominant, le premier juge a estimé que« cette question [devaitJ faire l’objet d’un examen des effets concrets par rapport àchaque offre tarifaire litigieuse et à l’évolution effective qu’a connue le marché de détailde la téléphonie mobile », raison pour laquelle il a fait droit à la demande d’expertiseformulée par Base et Mobistar afin de vérifier si les tarifs incriminés ont bien euconcrètement des effets anti-concurrentiels liés à des effets de réseaux.

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(ii).- Moyens et arguments de Belgacom

130. Belgacom fait valoir en substance les moyens et arguments suivants:

— il n’existe aucun critère d’appréciation d’un tel abus et le cadre délimité par lepremier juge est inadéquat, notamment en ce qui concerne la possibilité delimitation de l’interopérabilité des réseaux;

— aucun lien ne peut être reconnu entre une différenciation tarifaire et un effet anti-concurrentiel, notamment en ce que le choix des consommateurs sur tel type deréseau plutôt qu’un autre est essentiellement dicté par un effet « tribu » et pas parun effet « statistique » de rejoindre le plus grand nombre d’abonnés

— les décisions de l’Autorité française de la concurrence invoquées par Base etMobistar doivent être relativisées au regard de la doctrine économique;

— à défaut de preuves de l’abus allégué, le premier juge aurait dû écarter d’emblée cegrief et ne pas se substituer aux parties en délégant aux experts le soin de juger ducaractère anticoncurrentiel de la pratique mise en cause.

(iii).- Sur la recevabilité de la demande de Mobistar

131. Au point 1115 de ses conclusions, relatif à des « remarques générales quant à lanature du grief de Mobistar », Belgacom soutient que « Mobistar ne formulait pas ungrief séparé et indépendant relatif à la création d’effets de réseau t...) [et] si l’intention deMobistar était cependant de tenter d’introduire une demande nouvelle et séparée,relative aux prétendus effets de réseau anticoncurrentiels, cette demande devrait (et doittoujours) être manifestement déclarée irrecevable ».

132. Mobistar conteste ne pas avoir développé un grief portant sur l’existence et lerenforcement des effets de réseau résultant des prix des appels « on-net)) tellement baspratiqués par Belgacom ou éventuellement des prix des appels « off-net)) excessifs. Ellerappelle qu’elle s’est fondée devant le premier juge sur la jurisprudence en matièred’effets de réseau pour appuyer son argument. Mobistar rappelle aussi que le grief étaitégalement formulé par Base, à l’action de laquelle elle entendait se joindre.

Page 52, 5ème alinéa, point 2 du jugement entrepris, le premier juge fait référence àl’exposé de Mobistar aux termes duquel elle fait grief à Belgacom de créer et derenforcer des effets de réseaux en chargeant des prix «on-net » extrêmement bas etlorsqu’elle écrit: <c (...) eu égard à l’effet boule de neige provoqué par cet effet de réseau

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(...). ». Par ailleurs, dans le dispositif du jugement entrepris relatif à la mission confiéeaux experts à propos d’une exploitation des effets de réseau, le premier juge leurdemande de déterminer les effets anticoncurrentiels dommageables pour Base et/ouMobistar (c’est la cour qui souligne).

Le premier juge a donc bien été saisi de faits relatifs à des effets de réseau. Il n’a passtatué ultra petita. Au demeurant, il importe peu qu’ils aient été mentionnés sous letitre « Rabais de fidélité» puisque le juge est tenu de trancher le litige conformémentaux règles de droit applicables, quelle que soit la qualification juridique que les partiesleur ont donnée (Cass., 28 septembre 2012, R.G. C.12.0049.N), d’autant que la cour aconstaté que le fait ou l’acte qui fonde la demande en justice, à savoir la pratique d’unprix bas qui affecte tous les tarifs, était invoqué dans l’acte introductif d’instance (cf.point 29). Par ailleurs, Belgacom ne peut prétendre que ses droits de la défense auraientété violés à l’occasion de la qualification d’effets de réseau, puisqu’elle a pris 161 pagesde conclusions sur ce seul grief, dont 33 pour répondre aux arguments spécifiquesdéveloppés par Mobistar.

Le moyen ne peut être admis.

(iv).- Sur les principes applicables à une différenciation tarifaire « on-net)) et « off-net »

133. Jusqu’à présent, Base et Mobistar avaient mis en cause la licéité du tarif « on-net»de Belgacom qu’elles considéraient comme étant trop bas, dans la mesure où il pouvaitêtre interprété comme un rabais fidélisant, un prix prédateur ou un ciseau tarifaire,toutes pratiques devant être jugées comme abusives si elles émanent d’une entrepriseen position dominante et tendent à restreindre la concurrence. Dans le cadre du présentgrief, elles mettent toujours en cause le niveau trop bas de ce tarif, mais l’associent cettefois au tarif « off-net» qui n’a comme seule différence avec le tarif « on-net », outre sonprix plus élevé, que de concerner un appel vers un abonné d’un autre réseau; ellesconsidèrent que la différenciation tarifaire très importante entre ces deux types d’appeln’est pas justifiée et constitue dès lors un abus de position dominante.

134. Comme le souligne à juste titre Belgacom, cette pratique tarifaire n’a pas encore faitl’objet d’une décision juridictionnelle de la CJUE, du TUE ou de la Commission. A cetégard, et contrairement à ce que soutient Belgacom, la décision de la Commission dansl’affaire 5i.mobil/Mobitel du 24 janvier 2011 (aff. COMP/39.707) ne constitue pas undémenti de la thèse défendue par Base et Mobistar puisque le rejet de la plainte n’a étédicté que par la circonstance qu’une plainte identique était traitée par une autoriténationale de la concurrence et que la Commission ne voyait pas d’intérêt à effectuer une

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enquête parallèle en raison de la complexité des analyses factuelles et économiques à

entreprendre. Au demeurant, sari directeur général, M. Van Ginderachter n’a pas exclu,

lors d’une conférence donnée en octobre 2004 (pièce 38 du dossier de Mobistar), qu’une

telle stratégie tarifaire, mise en place pat une entreprise dominante dans un contexte de

forts effets de réseau et en vue d’exclure des concurrents du marché, pourrait donner

lieu à une action sur la base de l’article [102] du Traité.

En revanche, elle a fait l’objet de plusieurs décisions de l’Autorité française de la

concurrence, confirmées par la cour d’appel de Paris, lesquelles, certes, ne lient pas la

cour perse. Mais rien ne l’empêche de s’en inspirer si elle partage leur analyse en droit.

135. Dans son arrêt du 28 janvier 2005 (n°2004/23525), la cour d’appel de Paris a dit pour

droit qu’ « [une] pratique de discrimination tarifaire non justifiée par une différence

objective de situation, appliquée par un opérateur en position dominante, est de nature àrenforcer ce dernier par un effet de réseau, ou “effet de club”, dans la mesure où lesclients sont incités à restreindre le volume des appels destinés à l’opérateur concurrentet, lors du premier achat ou d’un renouvellement, à tenir compte du réseau auquelappartiennent leurs principaux correspondants ».

Dans un arrêt du 4 juillet 2013 (n° 2012/05160), la même cour d’appel a confirmé sa

jurisprudence en rappelant tout d’abord que « la démonstration d’effets potentiels suffit

à caractériser une pratique anticoncurrentielle» et ensuite que, «s”agissant de l’effet deréseau ou ‘effet de club’ qui se produit lorsque l’avantage que le consommateur tire d’un

service augmente avec le nombre de personnes qui consomment le même service t...)l’importance de cet effet est notamment fonction de l’asymétrie des parts de marché

entre les opérateurs et de l’importance de la différenciation tarifaire entre appels on-net

et appels off-net;(...) dès lors qu’un consommateur a plus de [xl % de chance d’appeler un

correspondant abonné chez l’opérateur qui détient plus de [x] ¾ du parc client, et que les

appels on net facturés par ce dernier sont significativement moins chers que ceux des

appels off-net, un client potentiel est incité à contracter avec l’opérateur dominant. (...)Par ailleurs, la différenciation tarifaire a pu conduire certains clients à éviter ou ne pas

faire durer les appels off-net, réduisant ainsi artificiellement le volume d’appels à

destination [du concurrentJ et donc privant cet opérateur de revenus et marges sur la

prestation de terminaison des appels sur son réseau ».

Dans un récent arrêt du 19 juin 2014 f n° 2013/01006), face à de nouveaux moyens

développés par les sociétés de télécommunications, la cour d’appel de Paris a préféré

solliciter de la Commission un omicus curiae et de lui donner un avis, in specie, sur la

méthode à employer pour apprécier les écarts de prix et de coûts entre les appels « on-

net)) et « off-net », la prise en compte de la régulation sectorielle qui a autorisé le nouvel

entrant à pratiquer un MTR supérieur afin de prévenir un risque de déséquilibre

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d’interconnexion dans les échanges de trafic et enfin sur les effets anticoncurrentiels desoffres incriminées sur le marché de détail.

136. Ce n’est pas parce que la différenciation tarifaire en cause n’a pas encore étécondamnée par la C]UE et le TUE qu’elle ne pourrait pas constituer un abus de positiondominante.

Au point 96, la cour a rappelé ce qu’il fallait entendre par l’exploitation abusive d’uneposition dominante et plus particulièrement la responsabilité particulière qui pèse sur lesentreprises en position dominante. En effet, l’article 102 du TFUE interdit à uneentreprise en position dominante de se livrer à des pratiques tarifaires produisant deseffets d’éviction pour ses concurrents aussi efficaces, actuels ou potentiels, c’est-à-dire àdes pratiques qui sont à même de rendre plus difficile, voire impossible, l’accès aumarché de ces derniers, ainsi qu’à rendre plus difficile, voire impossible, pour sescocontractants, le choix entre plusieurs sources d’approvisionnement ou partenairescommerciaux, renforçant ainsi sa position dominante en recourant à des moyens autresque ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites. Dans cette perspective, touteconcurrence par les prix ne peut donc être considérée comme légitime (CJUE 14 octobre2010, C-280/08, Deutsche Telekom, point 175).

Par ailleurs, l’article 102 deuxième alinéa sous a) du TFUE interdit explicitementd’imposer de façon directe ou indirecte des prix ou des conditions inéquitables. Cettedisposition se suffit donc à elle-même pour apprécier les abus allégués et c’est à tort queBelgacom soutient qu’il serait fait application de l’article 102 deuxième alinéa sous c). Deplu5, au même point 96, la cour a rappelé que les exemples visés à l’article 102 n’étaientpas exhaustifs.

Il s’en déduit que, en règle, il est interdit à une entreprise dominante de pratiquer desdifférences de prix non justifiées par des différences de coûts, si cette pratique a pourobjet ou peut avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence.C’est sur la base de ces principes que la cour d’appel de Paris s’est interrogée sur lesécarts de prix et de coûts entre les appels « on-net» et « off-net ».

(y).- Position de la cour

137. En l’espèce, il y a lieu de vérifier si, comme Base et Mobistar le soutiennent, unedifférenciation tarifaire entre les appels « on-net» et « off-net>) de Belgacom peutporter atteinte au jeu de la concurrence, notamment par un renforcement d’un effet de

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réseau ou l’élévation des coûts de ses concurrents et si son comportement repose surune justification économique raisonnable.

138. Un effet de réseau (ou effet de club) est une situation dans laquelle: « l’avantagequ’un consommateur tire d’un produit augmente non seulement avec la quantitéqu’il/elle consomme, mais avec le nombre d’autres personnes qui le consommentégalement)) (OCDE (DAF/COM(2005)42), 6 mars 2006 « Barriers to entry », pp. 239-250).Tel est typiquement le cas des industries de télécommunications où les possibilitésd’appel entre différents appareils augmentent plus vite que leur nombre. Il n’est en effetpas contestable que l’utilité de posséder un GSM augmente avec le nombred’utilisateurs.

Dans le secteur des télécommunications, les effets de club peuvent prendre deuxformes, celle d’un effet statistique ou celle d’un effet tribu. L’effet statistique est lié auxparts de marché respectives des opérateurs. Cet effet se traduit par l’incitation duconsommateur à choisir, toutes choses étant égales par ailleurs, l’offre f...) « on-net)) del’opérateur qui dispose de la part de marché la plus importante, afin de maximiser seschances de trouver des interlocuteurs abonnés auprès du même opérateur que le sien,et, partant, de tirer davantage profit de la composante t...) « on-net)) de son forfait.L’effet de club statistique est d’autant plus puissant qu’il revêt un caractère à la foisdynamique et cumulatif : on parle alors d’effet « boule de neige ». Plus un opérateurparvient à en tirer parti, en généralisant les offres « on-net» en particulier, et plus sapart de marché sera accrue au détriment des opérateurs de taille plus modeste. L’effettribu est lié à la propension naturelle des proches à s’abonner auprès du mêmeopérateur. Cet effet s’explique par le mécanisme de prescription à l’oeuvre sur le marchéde détail de la téléphonie mobile à destination d’une clientèle résidentielle,particulièrement important au sein des foyers, qui favorise la constitution de « tribus »de proches, abonnés auprès du même opérateur (Lexique de l’Autorité française de laconcurrence, http://www.autorftedelaconcurrence.fr/doc/fiche5_lexique_decl2.pdf).Même si cette définition vise des offres d’abondance, elle reste valable, mutatismutandis, pour les offres proposant un tarif bas.

Eu égard à sa situation monopolistique, Belgacom disposait d’un réseau d’abonnés trèsimportant. Tous les appels de mobile à mobile étaient à l’origine « on-net ». Au momentde la libéralisation du marché, son intérêt était donc, au minimum, de le conserver et, aumieux, de l’augmenter. Elle ne s’en cache d’ailleurs pas. Une des manières de le faireconsistait à fidéliser ses clients en les incitant à rester sur son réseau par un tarifattrayant des appels « on-net ». De plus, eu égard à l’effet tribu, elle pouvait espérer queses abonnés inciteraient leurs proches à s’abonner auprès d’elle. Telle est la raison d’êtrede la publicité dont il est question au point 100 (Entre Proximus, on est tous liés par untarif allégé).

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Une différenciation tarifaire non justifiée économiquement est de nature à porteratteinte au jeu de la concurrence sur le marché de détail de la téléphonie mobile, en cequ’elle tend à renforcer l’effet de réseau et, partant, à affaiblir la position financière desopérateurs concurrents. En effet, une telle pratique est susceptible de limiter la fluiditédu marché et d’élever le coût des concurrents, en leur imposant de pratiquer des tarifs« off-net)) plus chers, dès lors qu’ils sont contraints de supporter des MTR pourpermettre à leurs abonnés d’atteindre ceux de l’opérateur dominant. Par ailleurs, dèslors que les tarifs « off-net» des grands réseaux sont élevés, les abonnés des plus petitsréseaux recevront moins d’appels, réduisant ainsi leur capacité financière. Il s’agit doncd’une barrière à l’entrée. Elle est par conséquent susceptible d’exposer, à terme, les pluspetits opérateurs à une éviction du marché ou, à tout le moins, à les discipliner sur lemarché aval. En tout cas, elle renforce la position dominante de l’opérateur dominant.

Le monopole dont Belgacom jouissait lui conférait une responsabilité particulière de nepas entraver l’entrée sur le marché et le développement d’opérateurs concurrents. Or, ilest à cet égard significatif de constater que l’offre de tarifs « on-net» bas coïncide avecl’entrée de Mobistar sur le marché.

Il convient en outre de tenir compte du fait que le marché est asymétrique au regard desparts de marché détenues par Belgacom et que la différenciation tarifaire est, primafade, très importante (sous réserve d’une expertise plus affinée dont il sera questioninfra). La combinaison de ces deux facteurs est de nature à renforcer l’effet de réseau,dès lors que les concurrents — qui en raison de la structure asymétrique du marchédoivent nécessairement assumer plus d’appels « off-net », à tout le moins en nombresabsolus — devront faire plus d’efforts pour répliquer l’offre, notamment en raison de lahauteur des MIR qu’ils devront supporter. A ce sujet, la cour a rappelé, au point 63 duprésent arrêt, qu’il n’était pas établi que l’asymétrie des MIR dont Base et Mobistar ontpu bénéficier ait pu compenser les avantages dont Belgacom jouissait en qualité depremier entrant.

Telle est également la position de l’IBPT qui, dans ses analyses des marchés 16 et 7 des11 août 2006 et 29 juin 2010, a considéré qu’une allocation de coûts plus importante« serait de nature à encourager les pratiques de tarifs ‘retail’ abusivement bas sur lesappels «on-net», lesquels induisent des effets de distorsion du marché par le biais del’effet tribu, car les opérateurs mobiles les plus puissants disposeraient ainsi d’une margesupplémentaire leur permettant de proposer des tarifs « on-net » sensiblement inférieursà leurs charges MIR » et que <t [les] pratiques de différenciation tarifaire entre desappels « on-net » (au sein du même réseau) et des appels « off-net » (vers d’autresréseaux mobiles) sont de nature à encourager les effets de réseau fr network effect » ou« effet tribu ») qui contribuent à accroître la capacité d’acquisition et de rétention desclients, surtout par des opérateurs disposant de plus grandes parts de marché et ainsi àprovoquer des distorsions concurrentielles, principalement au détriment des opérateursavec des parts de marché plus réduites >.

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Quant au Groupement européen des régulateurs de télécommunications (ERG), il a

constaté que « le problème de la discrimination tarifaire pour verrouiller le marché

concerne principalement la situation des appels de mobile vers mobile. L(es) opérateur(s)

historique(s) peut(vent) verrouiller le marché du détail en fixant des charges de

terminaison élevées (au-dessus des coûts) aux autres réseaux alors qu’elles chargent

implicitement un prix inférieur à l’intérieur de leur réseau. Cela implique des prix élevés

pour les appels off-net pour les autres opérateurs au niveau du marché de gros et donc

des prix élevés pour les appels off-net [des autres opérateurs] au niveau de détail. Les

appels on-net, d’un autre côté, sont associés à des coûts moins élevés et donc à des prix

de détail plus bas. Une telle structure de prix crée des effets de réseau (externalités de

réseaux au moyen des tarifs) et place donc les petits réseaux avec peu de participants en

situation désavantageuse. Ce désavantage s’agrandit concomitamment à l’accroissement

des charges de terminaison et donc à l’accroissement de la différence entre le prix d’un

appel on-net [de l’opérateur historique] et le prix d’un appel off-net [des autres

opérateurs] » (Revised ERG Common Position on the approach to Appropriate remedies

in the ECNS regulatory framework, Final Version, Mai 2006, p.36 (disponible à l’URL:

http://www.erg.eu.int), pièce ll.C.9.1 du dossier de Base, traduction de Base, non

contestée).

139. Belgacom conteste qu’une différenciation tarifaire entre les appels « on-net » et

« off-net)) puisse constituer une pratique discriminatoire dans la mesure où il ne s’agit

pas de services identiques et que, partant, un différentiel entre les tarifs peut se

concevoir.

En l’espèce, il n’est pas question de « discrimination » mais « d’application d’un prix ou

de conditions inéquitables ».

Par ailleurs et à titre surabondant, il n’est pas certain que les deux services soient

fondamentalement différents, en tout cas pas selon le point de vue de Base et de

Mobistar. Au point 81, la cour a décrit ces deux services et constaté qu’ils utilisaient la

même infrastructure et qu’ils comportaient tous deux un départ et une terminaison

d’appels, ce qui impliquait, comme l’a dit le Conseil de la concurrence, qu’il n’y avait pas

de raison que les coûts de collecte d’appels soient sensiblement différents de ceux de la

terminaison, d’autant que Belgacom avait reconnu que les frais supplémentaires entre

les deux commutateurs de chaque opérateur étaient minimes. Il est donc possible de

comparer les deux services, d’autant qu’il a été constaté par le Conseil de la concurrence

que les appels « on-net)) devaient être considérés comme un produit d’appel.

Il est donc important de savoir si la différenciation repose sur un critère économique

objectif et raisonnable. A défaut, elle peut être considérée comme inéquitable et

constituer un avantage concurrentiel qui ne repose pas sur les mérites.

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140. Les parties se sont très longuement exprimées sur ce que le premier juge a voulu direen précisant qu’ « il est possible que les tarifs ‘on-net’ critiqués aient été de nature àlimiter l’interopérabilité des réseaux et à favoriser Proximus malgré le niveau de prix deses services apparemment plus élevé » ainsi que sur les critères de choix desconsommateurs finals pour tel ou tel type de réseau (effet « tribu » ou effet« statistique »).

Dès lors que l’appel est une voie d’achèvement de la procédure et que la cour a décidéd’adopter une autre approche que celle du premier juge, d’une part, en retenant un testEEO au lieu d’un test REO et, d’autre part, en confiant aux experts le soin d’identifier lastructure des tarifs en cause pour lui permettre de vérifier si la différenciation tarifairereposait sur une justification économique raisonnable, et que, à ce stade de laprocédure, elle n’entend pas statuer sur le quantum du dommage allégué, il est sansintérêt de tenter d’interpréter ce qu’a voulu dire le premier juge, notamment à proposde « l’interopérabilité » des réseaux et d’analyser les différentes étapes de sonraisonnement et son éventuelle absence de motivation.

Par ailleurs, et pour intéressantes qu’elles soient, les réflexions de nature économiquedes parties et les études académiques qui les appuient de part et d’autre, mais demanière contradictoire, ne peuvent être considérées comme des normes du droit del’Union, d’autant que la jurisprudence européenne rappelle que l’appréciation d’un abusde position dominante doit se faire in concreto. Il est donc sans intérêt de départager ceséconomistes (dont certains sont des consultants des parties) et de dire, in abstracto, siun consommateur final choisit un réseau de télécommunication parce qu’il estime qu’il aplus de chances d’effectuer un appel moins cher (effet « statistique ») ou parce que sesproches en font partie (effet « tribu »).

Il ne résulte d’aucune pièce probante qu’il serait constant et unanimement admis que lesconsommateurs finals ne téléphoneraient qu’à un petit nombre de personnes, abonnéesau même réseau. Si tel était le cas, on peut se poser la question de l’utilité des offres« appels illimités vers tous réseaux)) et de contrats conclus par les grandes entreprisesportant sur plusieurs milliers de cartes 51M qui bénéficient d’appels «on-net» intragroupe à des conditions favorables, outre qu’il y a lieu de tenir compte des différenteshabitudes de consommation entre les clientèles résidentielle et d’affaires. De même, lapratique d’une coordination dans le chef d’une même «tribu », alléguée par Belgacom,qui voudrait que tous les membres de cette même tribu migreraient en même tempsvers un nouvel opérateur et que, partant, un renforcement d’un réseau n’aurait pasd’effet anticoncurrentiel, ne repose sur aucune donnée objective.

En toute hypothèse, il n’est pas contestable que les deux effets se recoupent puisque siun consommateur choisit un réseau sur les conseils de ses amis ou de sa famille, c’estparce qu’il y trouve un intérêt, lequel ne peut être que financier. Belgacom l’a biencompris puisque, dans sa publicité ciblant un effet <t tribu », elle met en exergue un

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avantage financier (Entre Proximus — effet « tribu » - on est tous liés par un tarif allégé —

effet « statistique ») (cf. point 100).

Le fait que Base et Mobistar aient pu offrir des tarifs égaux ou inférieurs à ceux deBelgacom ne confirme pas les théories économiques abstraites développées par sesconsultants. Dès lors qu’il est constant que Base et Mobistar ne disposaient pas de lamême puissance économique et des mêmes avantages que Belgacom, cette constatationprouve uniquement qu’elles ont été contraintes d’effectuer plus d’efforts (cf. les pertesqu’elles ont accumulées), ce qui suffit pour démontrer que la pratique incriminée avaitdes effets anticoncurrentiels potentiels.

De même, à ce stade de la procédure, il est sans intérêt de s’appesantir sur lespourcentages respectifs d’appels « on-net» chez chacun des opérateurs, puisque cesdonnées ne pourraient être utiles que pour apprécier le quantum du dommage, mais pasle caractère abusif de la différenciation tarifaire ; encore que, eu égard à l’asymétrie desparts de marché, il faut reconnaître qu’un pourcentage ne représente pas grand-chose, àl’opposé des minutes réelles de consommation. Au demeurant, la cour n’est pas qualifiéepour apprécier la pertinence des constatations qui ont été faites à ce sujet par lesexperts remplacés, ne pouvant avoir égard à leur rapport.

Pour le surplus et comme la cour l’a précisé au point 9 du présent arrêt, il est sans intérêtde rencontrer plus avant les longues réponses principales et additionnelles de Belgacomaux arguments de Base et de Mobistar critiquant sa position.

141. Il se déduit de tout ce qui précède que, nonobstant les dénégations de Belgacom,l’effet de réseau dans le marché des télécommunications est bien un fait avéré, commel’ont reconnu la cour d’appel de Paris et les régulateurs européens.

142. Il ne peut être reproché à Base et à Mobistar de ne pas apporter plus de preuves ducaractère abusif du grief qu’elles invoquent.

La matérialité de celui-ci dépend en effet d’une constatation technique qui ne peut êtrefaite que par un expert. S’inspirant de l’affaire Fronce Telecom qui a donné lieu à l’arrêtde la cour d’appel de Paris du 19 juin 2014 et pour répondre au moyen soulevé parMobistar, selon lequel les différenciations tarifaires étaient importantes et non justifiéespar une différence de coûts (cf. ses conclusions, page 249, point 836 et pages 269 à 274,points 899 à 903), la cour souhaite savoir si la différenciation tarifaire est objectivementjustifiée, c’est-à-dire si les prix des appels « on-net» et « off-net» sont en rapport avecleurs coûts de production (avec la particularité que les MTR compris dans les appels« off-net» doivent être orientés sur les coûts et que, comme cela a été dit au point 40 duprésent arrêt, un éventuel excédent de MTR par rapport aux coûts ne pourra constituer

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un dommage réparable spécifique dans le chef de Base et Mobistar puisqu’elles en ontobtenu le remboursement).

S’il existe des incohérences affectant les calculs de coûts entre ces deux services, l’abussera avéré, dès lors que Belgacom ne produit aucune justification économique de ladifférenciation tarifaire, sauf à affirmer, sans preuves, qu’elle serait justifiée par lescharges de terminaison, et sans faite état de gains d’efficacité admissibles lui permettantde justifier son comportement. Pour rappel, en ce qui concerne les MTR, il convient derappeler que Belgacom disposait d’une marge de manoeuvre dans le cadre de lafourchette préconisée par I’IBPT. Pour ne pas être en infraction avec l’article 102 duTFUE (si tel devait être cas), Belgacom avait donc le choix, soit d’augmenter ses tarifs«on-net » soit de diminuer ses tarifs « off-net ».

Comme les constatations doivent être faites sur la base des coûts de Belgacom,puisqu’elles permettront de savoir si un concurrent aussi efficace qu’elle est susceptiblede dupliquer son offre (test EEO), il ne peut être fait grief à Base et Mobistar de ne pasavoir présenté une étude de leurs consultants, effectuée sur cette base. En effet, enraison du refus opposé par Belgacom, elles n’ont pu avoir accès à ces données.

Par ailleurs, la mission confiée aux experts ne constitue pas une délégation de l’office du

juge dès lors qu’elle ne porte que sur une constatation technique et sur un avis noncontraignant à propos de la justification économique de la différenciation tarifaire.

f.- Mission des experts

143. Afin de permettre à la cour de statuer définitivement sur les quatre abus de position

dominante allégués par Base et Mobistar, il convient de confier aux experts la mission

suivante, en remplacement de celle arrêtée par le premier juge:

— prendre connaissance de chacun des tarifs de Belgacom mis en cause par Base et

Mobistar, à savoir ceux qui sont détaillés aux points 131 à 173 des conclusions de

Mobistar et aux pièces IV.17 et VI. 18 du dossier de Base;

— pour chacun de ces tarifs, déterminer d’abord, sur la base de pièces justificatives

à produire par Belgacom, le prix « réel » payé par les abonnés pendant la période

s’étendant du ;er janvier 1999 au 31 décembre 2004 dans le cadre de l’action

intentée par Base et jusqu’au 31 décembre 2005 pour celle intentée par

Mobistar, c’est-à-dire en ajoutant au prix nominal à la minute une quote-part de

l’abonnement mensuel, de la première minute et d’un éventuel forfait d’appels

non consommé, à calculer par eux selon la méthode décrite au point 89 du

présent arrêt; au besoin, vérifier sans déplacement et contradictoirement, les

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tableaux et pièces justificatives produits par Belgacom, le cas échéant au moyende la copie de documents comptables de Belgacom, certifiés par son réviseurd’entreprise— pour chacun de ces tarifs, se faire remettre ensuite par Belgacom, pour lesmêmes périodes, la décomposition analytique des coûts:

— des services cc on-net)) et <e off-net» offerts par Belgacom lorsqu’ilexistait au sein d’une même offre une différenciation tarifaire <e on-net))et « off-net ))

— des offres <t ATAN» critiquées par Base et Mobistar et qui n’ont pas étéretenues comme licites par la cour au point 105 du présent arrêt;— des offres <t Proxivolume» et <e ProGroup»;— des offres individuelles visées au point 105 du présent arrêt;

— vérifier pour chacun de ces tarifs si les prix demandés par Belgacom couvraient auminimum les coûts spécifiques qu’elle a dû supporter pour la production de cesservices, sur la base de la méthodologie décrite par la cour aux points 87 et 92 duprésent arrêt; au besoin, vérifier sans déplacement, mais contradictoirement, lestableaux et pièces produits par Belgacom à titre de pièces justificatives, le caséchéant au moyen de la copie de documents comptables de Belgacom, certifiéspar son réviseur d’entreprise et se faire remettre pour information une copie dumodèle Van Dijk;— sur la base de leurs constatations techniques et des principes dégagés par la courdans le présent arrêt, donner un avis non contraignant:

— dans le cadre du grief relatif aux rabais: sur l’existence éventuelle d’unprix anormal du tarif «on-net» ne reposant pas sur des justificationséconomiques objectives;— dans le cadre du grief relatif aux prix prédateurs: sur l’existenceéventuelle d’une perte non justifiée sur l’offre « on-net))— dans le cadre du grief relatif à ta compression des marges ou de l’effet

ciseau : sur l’existence éventuelle d’une marge négative entre les tarifs dedétail de Belgacom pour les appels « on-net)) et les MTR que devaientpayer Base et Mobistar, calculés conformément à la formule reprise aupoint 118;

— dans le cadre du grief relatif à l’effet de réseau : sur l’existence éventuelled’une incohérence dans les prix des appels <e on-net)) et <C off-net)) parrapport à leurs coûts de production

— en cas de réponses positives aux points précédents, donner un avis noncontraignant sur les tarifs « on-net » et/ou, le cas échéant, les tarifs <e off-net)>que Belgacom aurait dû pratiquer pendant la période litigieuse pour faire cesserl’excédent de coûts sur les prix, et ce, tarif par tarif, ou, en cas d’impossibilitétechnique, sur la base d’une moyenne dûment justifiée;— à la fin de leurs travaux, dresser un rapport provisoire qu’ils soumettront à lacontradiction des parties en recueillant leurs observations écrites ou, le caséchéant, verbales dans le cadre d’une tentative de conciliation.

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4.- Sur la mise en oeuvre de la responsabilité civile de Belgacom

a.- Sur la faute

144. Bien qu’il soit nécessaire d’attendre que les experts aient accompli leur mission pourdire si Belgacom a ou non abusé de sa position dominante, il est cependant de l’intérêtd’une bonne justice que la cour rencontre déjà, au niveau des principes, certains desmoyens et arguments développés par Belgacom concernant la mise en oeuvre de saresponsabilité civile, afin que les parties ne soient pas obligées de plaider à nouveau surces questions controversées après le dépôt du rapport des experts, d’autant que la causea été introduite il y a plus de onze ans et qu’il est à craindre qu’elle prendra encore detrès nombreux développements.

Belgacom soutient en effet que, même si la cour devait arriver à la conclusion qu’elle aabusé de sa position dominante et, partant, violé l’article 102 du TFUE et l’article 3 de laLPCE, il ne s’en déduit pas, pour autant, qu’elle aurait commis une faute au sens del’article 1382 du Code civil et qu’elle serait ainsi tenue d’indemniser Base et Mobistar dupréjudice qu’elles auraient subi à l’occasion de ces abus.

(j).- Thèse de Belgacom

145. Belgacom soutient qu’il n’existe pas d’adéquation automatique entre la violationd’une norme légale et l’existence d’une faute.

Selon elle:

— la méconnaissance d’une norme légale n’est constitutive d’une faute au sens desarticles 1382 et 1383 du Code civil qu’à la condition qu’elle impose ou interdise uncomportement déterminé à son destinataire;

— îl faut que la transgression de la loi soit commise librement et consciemment, ce quiimplique que son auteur ait été en position de savoir quel comportement précis ildevait adopter, soit que ce comportement est décrit dans la loi, soit qu’il s’impose àlui au regard de l’homme normalement prudent et diligent;

— la constatation d’une position dominante ou d’un abus ne pourrait se faire sans uneanalyse précise des circonstances de fait et de droit dans lesquelles elle se trouvait,de son comportement et de ses effets sur la concurrence, ce qui permettrait de

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vérifier si de tels comportements peuvent ou non rentrer dans la qualification vagueet générale d’abus de position dominante, telle qu’interprétée par la jurisprudencede la Cour de justice, à la lumière des circonstances de chaque cas d’espèce,conditions qui évoluent et changent au gré de la construction jurisprudentielle de cesnotions;

— l’article 102 du IFUE ne comprend ni les critères d’une position dominante sur unmarché donné, ni une définition, ni les critères précis d’évaluation des pratiquescontestées par Base et Mobistar (pratiques d’exclusion d’un marché, de prixprédateurs, d’effets de ciseaux tarifaires, de compression de prix, des effets deréseaux prétendument anticoncurrentiels, etc.). Cette disposition légale ne décritqu’un objectif à atteindre (l’interdiction de l’abus de position dominante) mais nedétermine pas quels comportements précis seront ou non à qualifier comme un abusde position dominante interdit et dans quelles circonstances précises;

— Base et Mobistar ne démontrent ni que les griefs qu’elles font aux pratiqueslitigieuses s’imposeraient du seul prescrit des articles 102 du TFUE et 3 de la LPCE, niqu’un opérateur normalement prudent et diligent placé dans les mêmescirconstances devait savoir durant la période concernée que sa politique tarifaireétait en violation « criante » avec l’article 102 du IFUE ou avec l’interprétation qui enétait faite à l’époque par la jurisprudence de la Cour européenne et! ou desautorités de contrôle de la concurrence. Par ailleurs, Base et Mobistar échoueraientégalement à démontrer qu’une telle violation aurait été commise par elle librementet consciemment, dès lors qu’il apparaît qu’elle ne pouvait prendre conscience desconditions d’application de l’interdiction d’abus de position dominante en cause aumoment de la pratique litigieuse.

(ii).- Sur la notion de faute

146. La faute extracontractuelle est susceptible de se présenter sous deux aspects. Oubien c’est un acte ou une abstention qui méconnaît une norme de droit internationalayant des effets directs dans l’ordre juridique national ou une norme de droit interneimposant à des sujets de droit d’agir ou de s’abstenir de manière déterminée. Ou bien,c’est un acte ou une abstention qui, sans constituer un manquement à de telles normes,s’analyse en une erreur de conduite, laquelle doit être appréciée suivant le critère d’unepersonne normalement soigneuse et prudente placée dans les mêmes conditions(conclusions du procureur général Velu avant Cass., 13 mai 1982, Pas., 1982, I, 1077).

Sous réserve de l’existence d’une cause d’exonération, toute transgression matérielled’une disposition légale ou réglementaire constitue en soi une faute qui entraîne laresponsabilité civile de son auteur, à condition que cette transgression soit commiselibrement et consciemment; pour que cette dernière condition soit remplie, il faut et il

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suffit que l’auteur de la transgression ait conscience d’enfreindre la loi, sans qu’il faillerechercher, en outre, s’il a agi par imprudence, négligence ou imprévoyance (Cass., 10avril 1970, Pas., 1970, I, 682).

Une éventuelle distinction entre l’acte illicite et la faute ne se pose que dans l’hypothèsede la responsabilité des pouvoirs publics (en cas de violation d’une norme imposant uncomportement ou une abstention déterminés) ou encore à propos de comportementsqui présentent objectivement les caractéristiques d’une faute mais ne sont pasimputables à leur auteur à défaut de discernement (P. Van Ommeslaghe, Droit desobligations, T.ll, Bruylant, n° 829, p. 1188).

Le second aspect de la faute aquilienne consiste dans la violation d’une norme de boncomportement que l’on peut attendre d’une personne soigneuse et prudente placéedans les mêmes conditions et exerçant les mêmes fonctions ou ayant la mêmequalification que la personne dont la responsabilité est recherchée (cf. Cass., 5 juin 2003,Pas., I, 1125).

La faute civile est toujours appréciée in abstracto et est indépendante de tout élémentintentionnel ; quant à l’imputabilité et le discernement, ils se définissent comme étant lacapacité de discerner quel serait le comportement du bon père de famille placé dans lescirconstances de l’espèce ou quelle est la norme légale (au sens large du terme)méconnue (P. Van Ommeslaghe, op. cit., n 808, p. 1151 et n 841, p. 1206).

(iii).- Application au cas d’espèce

147. L’article 102 du IFUE dispose que (c’est la cour qui souligne):

« est incompatible avec le marché intérieur et intidJt, dans la mesure où lecommerce entre Etats membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ouplusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur lemarché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Ces pratiques peuvent notamment consister à:

a.- imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autresconditions de transaction non éguitables,b.- limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préludicedes consommateurs,

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c. - appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des

prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la

concurrenceU. - subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de

prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux,

n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats. »

Cette disposition d’ordre public (précédemment articles $2 du Traité CE et 86 du Traité

CEE) constitue l’un des piliers de la mise en oeuvre de la mission dévolue à la

Communauté économique européenne, à savoir l’établissement d’un régime assurant

que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun (article 3.f du Traité de

Rome). Il s’agit donc d’une norme essentielle qui ne peut se réduire à une déclaration

d’intention comme le soutient Belgacom puisqu’elle interdit tout comportement qui

aurait pour conséquence de fausser la concurrence. L’établissement d’un régime de

libre concurrence est en effet un des instruments indispensables d’une politique visant

au développement économique par l’élimination des entraves à la libre circulation. Afin

d’assurer le bon fonctionnement du marché commun, il ne suffit pas d’assurer la liberté

de la concurrence, il faut en outre veiller à ce que les effets qui doivent normalement

résulter de cette liberté ne soient pas faussés par des mesures — qu’elles soient d’origine

publique ou privée — favorisant ou désavantageant certaines entreprises (M.

Waelbroeck et A. Frigani, Commentaire J. Megret, Editions de l’Université de Bruxelles,

1997, p. 8).

L’article [102] produit des effets directs dans les relations entre les particuliers et

engendre des droits dans le chef des justiciables (CJUE, 30 janvier 1974, 127/73,

BRT/Sabam), notamment celui de demander réparation du dommage causé par un

comportement susceptible de restreindre ou de fausser la concurrence, sous peine qu’il

soit porté atteinte à la pleine efficacité du Traité (DUE 20 septembre 2001, C-453/99,

Courage points 25 et suivants).

Il est par ailleurs de jurisprudence constante que, pour qu’une infraction aux règles de la

concurrence du traité puisse être considérée comme ayant été commise de propos

délibéré, il n’est pas nécessaire que l’entreprise ait eu conscience d’enfreindre ces

règles, il suffit qu’elle n’ait pu ignorer que sa conduite avait pour objet de restreindre la

concurrence (arrêts de la DUE du 8 novembre 1983, IAZ e.a./Commission, 96/82 à

102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, point 45, et du 11 juillet 1989,

Belasco e.a./Commission, 246/86, point 41 ; arrêts du TUE du 6 avril 1995,

Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. Il-791, point 176, et du 14 mai 1998, Gruber

+ Weber/Commission, T-310/94, Rec. p. Il-1043, point 259). Il convient également de

tenir compte du fait qu’il s’agit d’une entreprise de grande dimension disposant des

connaissances juridiques et économiques nécessaires pour connaître e caractère

infractionnel de sa conduite et les conséquences qui en découlent du point de vue du

droit de la concurrence (TUE 12 juillet 2001, T-202/98, Napier Brown, points 127 et 128).

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Selon la jurisprudence, une entreprise est consciente du caractère anticoncurrentiel de

son comportement lorsque les éléments de fait matériels justifiant tant la constatation

d’une position dominante sur le marché concerné que l’appréciation par la Commission

d’un abus de cette position étaient connus par elle (voir, en ce sens, arrêt de la DUE du 9

novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81,

point 107, et du TUE du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Ôsterreich

e.a./Commission, T-259/02 à 264/02 et T-271/02, points 207 et 210; voir, également,

conclusions de l’avocat général M. Mazk sous l’arrêt de la DUE du 14 octobre 2010,

Deutsche Telekom/Commission, C-280/08 point 39 et TUE, 29 mars 2012, T-336/07,

Telefonica, point 320).

li y a enfin lieu de rappeler que les principes de légalité des peines et de sécurité

juridique ne sauraient être interprétés comme proscrivant la clarification graduelle des

règles de la responsabilité pénale, mais peuvent s’opposer à l’application rétroactive

d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction (arrêt de la DUE

(Grande chambre) du 28 juin 2005, Dansk Rrindustri e.a./Commission, C-189/02, point

217). Tel est en particulier le cas s’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le

résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise,

au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence

relative à la disposition légale en cause (voir arrêt Dansk Rrindustri e.a./Commission,

point 218 et jurisprudence citée; CJUE 10 juillet 2014, Telefonica C-295/12, point 149).

1.- Sur la position dominante

148. Dès 1971, la Cour de justice a défini la position dominante comme étant « le pouvoir

de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective)) (arrêt Sirena/Eda du 18

février 1971, C-40/70). Le 9 décembre 1971, la Commission précisait que des

« entreprises sont en position dominante lorsqu’elles ont une possibilité de

comportement indépendant qui les met en mesure d’agir sans notablement tenir compte

des concurrents, des acheteurs ou des fournisseurs)) (décision Continental Can). La Cour

adoptera, le 14 février 1978, la définition reprise au point 45 du présent arrêt, dans

l’arrêt United Brands.

C’est dire que cette notion existe depuis très longtemps.

Dans son arrêt du 13 février 1979 (Hoffmann-La Roche, n° 85/76, point 42), la DUE a

précisé que « on peut, à juste titre, estimer que des parts extrêmement importantes

constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de

l’existence d’une position dominante ; en effet, la possession d’une part de marché

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extrêmement 1mportante met l’entreprise qui la détient pendant une période d’unecertaine durée, par le volume de production et d’offre qu’elle représente — sans que lesdétenteurs de parts sensiblement plus réduites soient en mesure de satisfaire rapidementla demande qui désirerait se détourner de l’entreprise détenant la part la plusconsidérable — dans une situation de force qui fait d’elle un partenaire obligatoire etqui, déjà de ce fait, lui assure, tout au moins pendant des périodes relativement longues,l’indépendance de comportement caractéristique de la position dominante ».

Dès le 3 juillet 1991, dans son arrêt AKZO (62/86, point 60), la CJUE soulignait qu’unepart de marché de 50% constituait par elle-même la preuve de la détention d’uneposition dominante.

Or, Belgacom a longtemps bénéficié d’un monopole. Après la libéralisation du marché,elle a conservé d’une manière constante et durable des parts de marché considérablesqui furent les suivantes (cf. tableaux au point 47)

1995: 100,00 %1996: 95,81 %1997: 81,33 %1998: 76,44 %1999: 75,12%2000: 69,07%2001: 64,00 %2002: 61,95 ¾2003: 60,20 ¾2004: 55,54 %2005: 51,67%

Il n’est donc pas raisonnable pour Belgacom de soutenir qu’elle ignorait qu’elle devaitêtre considérée comme une entreprise en position dominante pendant la périodelitigieuse et, partant, soumise à des obligations particulières en raison de sa position deforce, qu’elle a au demeurant reconnue devant le Conseil de la concurrence (cf. point163 de la décision du 26 mai 2009).

2.- Sur l’octroi de « rabais »

149. Dans son arrêt du 9 novembre 1983 (Michelin 322/81, points 57, 70 et 71), la DUE arappelé qu’il incombe à une entreprise en position dominante, indépendamment descauses d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte parson comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun

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et qu’en interdisant l’exploitation abusive d’une position dominante sur le marché, dansla mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, l’article[102] vise les comportements qui sont de nature à influencer la structure d’un marchéoù, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré deconcurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à desmoyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ouservices sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degréde concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cetteconcurrence.

Une entreprise en position dominante ne peut donc recourir qu’à des moyens decompétition « normaux », c’est-à-dire çeux qui sont objectivement justifiés.

Or, l’octroi d’avantages financiers fidélisants ne reposant sur aucune justificationéconomique raisonnable avait déjà été qualifié par la CJUE d’exploitation abusive d’uneposition dominante dès 1979 (cf. arrêt Hoffmann La Roche, C-85/76, point 89).

150. Belgacom ne peut donc soutenir qu’elle ignorait que si elle offrait à ses clients untarif « on-net » bas qui n’était pas couvert par ses coûts, dans le but de les inciter à luiréserver l’exclusivité de leur demande de services de téléphonie mobile, elle violaitl’article 102 du TFUE.

3.- Sur les prix prédateurs

151. La pratique de prix prédateurs ou d’éviction entraînant une marge négative a étécondamnée par la CJUE dans son arrêt AKZO (3 juillet 1991, 62/86, point 109) et par leTUE dans son arrêt Tetra Pak f6 octobre 1994, T-83/91, points 148 et 149).

Une fois encore, Belgacom ne peut soutenir qu’elle pouvait légitimement penser qu’ellepouvait proposer des services à perte sans abuser de sa position dominante.

4.- Sur l’effet ciseau

152. Déjà en 1988, la Commission avait condamné la pratique du ciseau tarifaire en destermes on ne peut plus clairs, en précisant que « le maintien, par une entreprisedominante, qui est dominante aussi bien sur le marché de la matière première que sur

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celui d’un produit dérivé, d’une marge entre le prix qu’elle facture pour la matière

première aux entreprises qui la concurrencent sur le marché du produit dérivé et le prix

qu’elle facture pour le produit dérivé trop étroite pour refléter le coût de transformation

de l’entreprise dominante elle-même (en l’espèce, la marge maintenue par British Sugar

entre le prix de son sucre industriel et le prix du sucre au détail par rapport à ses propres

coûts de reconditionnement), avec pour effet de restreindre la concurrence sur le produit

dérivé, constitue un abus de position dominante. En l’espèce, le fait que British Sugar ait

réduit la marge entre son prix du sucre industriel et son prix du sucre au détail au point de

revendre elle-même du sucre au détail à un prix ne reflétant plus ses propres coûts de

transformation s’est traduit par un abus de position dominante et par une restriction de

la concurrence au sens de l’article 86. Les faits exposés plus haut montrent que, si British

Sugar avait maintenu cette marge à long terme, Napier Brown, ou toute autre entreprise

également efficace dans le réemballage que British Sugar et ne produisant pas elle-même

le sucre industriel, aurait été obligée de se retirer du marché britannique du sucre destiné

au détail. Par conséquent, dans le contexte des autres abus susmentionnés et eu égard

au fait que l’intention ou la conséquence logique et prévisible du maintien de cette

politique de prix par Britïsh Sugar aurait été l’éviction de Napier Brown du marché

britannique du sucre destiné à la vente au détail, la Commission considère que la

politique de prix de British Sugar constitue un abus de position dominante au sens de

l’article 86» (Décision de la Commission 88/518, CEE du 18 juillet 1988, point 66, JQCEJ,

284,41). La Commission ne faisait que confirmer l’observation qu’elle avait faite dans

l’affaire National Carbonising Company du 15 octobre 1975 (non publiée mais citée par

P. Nihoul dans sa thèse de doctorat « Les télécommunications en Europe: concurrence

ou organisation du marché », Presses universitaires de Louvain 1998, republiée en 2004,

p. 285), aux termes de laquelle « ses services considéraient qu’une entreprise en position

dominante peut avoir l’obligation d’organiser ses prix de manière à permettre à un

fabricant raisonnablement efficace de dérivés [d’avoirJ une marge suffisante pour lui

permettre de survivre à long terme » (traduction libre du passage cité par John

Kallaugher dans: « The “Margin Squeeze” under Article 82: Searching for Limiting

Principles »).

C’est en se fondant sur la décision de la Commission du 18 juillet 1988 que, dans l’affaire

Telefonica, le TUE a rejeté un moyen présenté par cette société aux termes duquel la

décision de la Commission la concernant personnellement n’était pas fondée sur des

précédents clairs (TUE, 29 mars 2012, T-336/07, point 360).

Par ailleurs, dans sa Communication relative à l’application des règles de concurrence

aux accords d’accès dans le secteur des télécommunications (Cadre général, marchés en

cause et principes, Journal officiel n° C 265 du 22/08/1998 p. 0002 — 0028), la

Commission a précisé au point 117 que « lorsqu’un opérateur occupe une position

dominante sur un marché de produits ou de services, l’amenuisement des marges

bénéficiaires par une compression des prix constituerait un abus. La preuve d’une telle

pratique pourrait être faite en démontrant que l’entreprise ne pourrait exercer des

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activités rentables en aval, en se fondant sur le prix que sa branche en amont applique àses concurrents. L’opérateur en position dominante pourrait dissimuler le fait qu’une deses branches en aval enregistre des pertes, en imputant à ses activités liées à l’accès descoûts qui, normalement, devraient être imputés sur ses activités en aval, ou en faisantapparaître des prix de transfert internes inexacts ».

153. Il s’ensuit que, si, sur le plan des chiffres, l’existence d’un ciseau tarifaire estconfirmée par les experts, Belgacom ne pouvait ignorer que sa conduite était susceptiblede restreindre la concurrence et d’être interdite sur la base de l’article [102 du TFUEJ.

5.- Sur l’effet réseau

154. Au point 136 du présent arrêt, la cour a constaté que le fait que la différenciationtarifaire « on-net» et « off-net» et le renforcement de l’effet de réseau qui en découleau profit de la clientèle acquise au moment de la libéralisation des marchés n’avaient pasencore été condamnés explicitement par les juridictions européennes, n’empêchait pasque cette pratique tarifaire puisse être considérée comme un comportementanticoncurrentiel.

Elle a également dit qu’une telle pratique — si elle devait être confirmée à l’issue del’expertise — tombait sous le prescrit de l’article 102 deuxième alinéa sous a) du TFU quiinterdit explicitement d’imposer de façon directe ou indirecte des prix ou des conditionsinéquitables et que cette disposition se suffisait à elle-même pour apprécier les abusallégués.

Il s’en déduit que la norme est suffisamment claire pour permettre à Belgacomd’apprécier quel devait être son comportement pour ne pas la transgresser.

155. En toute hypothèse, eu égard à la jurisprudence antérieure de la CJUE et du TUE,ainsi qu’à la pratique décisionnelle et les orientations de la Commission sur le caractèreanticoncurrentiel de certaines pratiques tarifaires, plus particulièrement en ce quiconcerne l’obligation pour une entreprise en position dominante de justifier ses tarifs surla base de critères économiques objectifs, Belgacom ne pouvait ignorer que si desincohérences non justifiées, affectant les calculs des coûts des appels « on-net)) et « off-net », devaient être constatées, il était raisonnablement prévisible que cettedifférenciation tarifaire serait condamnée par les cours et tribunaux.

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Il en est d’autant plus ainsi qu’il ne s’agit que d’une manifestation différente d’un même

comportement culpeux qui consiste, s’il est établi techniquement, à offrit un tarif « on-

net» bas à ses abonnés, en vue de maintenir une position dominante au détriment des

concurrents.

Ainsi, dans sa Communication relative à l’application des règles de concurrence aux

accords d’accès dans le secteur des télécommunications (Cadre général, marchés en

cause et principes, Journal officiel n C 265 du 22/08/1998 p. 0002 — 0028), la

Commission a précisé aux points 110 et suivants que

« (110.) Il y a pratique de prix d’éviction, entre autres, lorsqu’une entreprise en

position dominante vend un bien ou un service à un prix inférieur à ses coûts

pendant une période prolongée, dans l’intention de dissuader des entreprises

d’entrer sur le marché ou d’éliminer un concurrent, ce qui lui permet de renforcer

son pouvoir de marché et, par la suite, ses profits cumulés. Ces prix abusivement

bas enfreignent l’article 86, point a). Le problème d’une telle pratique pourrait se

poser, par exemple, dans le contexte de la concurrence entre divers réseaux de

télécommunications, un opérateur en position dominante pouvant avoir tendance

à pratiquer des prix abusivement bas sur l’accès, de manière à éliminer la

concurrence d’autres fournisseurs d’infrastructures (nouvellement arrivés sur le

marché). En règle générale, un prix constitue un abus s’il est inférieur à la

moyenne des coûts variables de l’entreprise en position dominante ou s’il est

inférieur à la moyenne des coûts totaux et qu’il s’inscrit dans un projet

anticoncurrentiel. Dans le secteur des réseaux, une simple application de la règle

précitée ne rendrait pas compte de la réalité économique de ce secteur.(...)

(112.) Pour que la commercialisation d’un service seul ou d’un ensemble de

services soit une activité rentable, un opérateur doit adopter une stratégie en

matière de tarification qui lui permette de couvrir les coûts supplémentaires

générés par la fourniture de ce service ou de cet ensemble de services grâce aux

recettes additionnelles qu’il retire de cette prestation. Lorsqu’un opérateur en

position dominante fixe, pour un produit ou un service donné, un prix inférieur à la

moyenne des coûts totaux liés à la fourniture de ce service, il doit justifier ce prix

par des raisons commerciales. S’il ne tirait profit de cette politique de tarification

que par l’affaiblissement de la position d’un ou de plusieurs de ses concurrents, il

commettrait un abus.

(113) Comme la Cour l’a précisé dans l’arrêt Akzo, la Commission doit déterminer

le prix en dessous duquel une entreprise ne peut réaliser un bénéfice qu’en

affaiblissant ou en évinçant un ou plusieurs concurrents. Les structures des coûts

dans le secteur des réseaux ont tendance à beaucoup s’écarter de celles de la

plupart des autres secteurs, dans la mesure où le secteur des réseaux supporte

des coûts communs nettement plus importants. »

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 128

Certes, cette opinion a été émise dans le cadre de la pratique de prix d’éviction, mais

elle teste valable, mutatis mutandi pour une pratique de différenciation tarifaire dans

le secteur des réseaux, expressément visé par la Commission au point 113.

Au demeurant, dans sa décision du 8 juillet 1998 (affaire MCI/WorldCom, n V/M.1069),

la Commission avait déjà attiré l’attention sur les risques « d’effet boule de neige »

d’une concentration dans un secteur de réseau, en précisant que l’entreprise issue de la

concentration « serait mieux placée que tous ses concurrents pour bénéficier de la

croissance future en raison de l’attrait que présente pour tout nouveau client la

possibilité d’obtenir une connexion directe avec le réseau le plus important et du manque

d’attrait relatif des offres des concurrents dont les accords d’échange de trafic t...)[pouvaientJ être remis en cause. Par conséquent, la concentration pourrait permettre à

[l’entreprise dominante] d’accroître sa part de marché)) (point 131).

Le risque d’atteinte à la concurrence d’un effet de réseau était donc connu avant le

début de la période litigieuse.

156. Belgacom pourrait objecter que ce grief spécifique n’a pas été retenu par le Conseil

de la concurrence. Mais, c’est au motif que l’auditeur avait placé le débat sur la

discrimination et pas sur le caractère inéquitable de la pratique tarifaire, et que le

Conseil a estimé qu’il ne pouvait requalifier le grief. C’est la raison pour laquelle il ne

s’est pas prononcé sur le niveau de la tarification par Belgacom pour l’un et l’autre

service sous l’angle des règles de la concurrence (cf. point 334).

Le Conseil a cependant constaté au point 270 de sa décision concernant le grief du

ciseau tarifaire — qui s’appuie également sur la même différenciation tarifaire — que « le

surcoût lié aux appels off-net renforce, en outre, l’effet dit « de club » par lequel les

utilisateurs qui forment un réseau, tendent à se regrouper auprès du même opérateur.

Un plus petit opérateur qui vise à gagner des clients dans ce segment du marché doit

pouvoir offrir des tarifs on-net comparables aux tarifs on-net de l’opérateur dominant. De

telles offres sont impossibles tant que les MTR de l’opérateur dominant sont nettement

plus élevés que ses tarifs on-net ». Cette motivation aurait largement suffit pour accueillit

le grief requalifié.

La cour n’est cependant pas liée par la décision du Conseil, d’autant que ce dernier n’a

pas examiné l’adéquation des tarifs des appels « on-net)) et « off-net » avec les coûts

spécifiques de ces services, étape indispensable en vue de vérifier s’il n’existait pas

d’incohérence entre les appels « on-net)) et « off-net ». Telle est, au contraire, dans la

présente affaire, la mission confiée aux experts.

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1— p. 129

157. Il se déduit de ce qui précède que, pas plus que pour les trois précédents griefs,

Belgacom ne peut soutenir que la faute ne peut lui être imputée, à défaut de

discernement dans son chef. Elle ne peut, non plus, faire état d’une cause d’exonération

de responsabilité ou d’une erreur invincible.

6.- Conclusion

158. Le moyen en défense de Belgacom ne peut être admis.

Il a été démontré ci-avant que l’article 102 du TFUE impose aux entreprises en position

dominante un comportement et une abstention déterminés, nets, clairs et précis sur le

caractère équitable de leurs pratiques tarifaires, dont les contours ont par ailleurs été

précisés avant 1999 par la jurisprudence européenne et la pratique de la Commission,

disposition que, toujours sans préjudice des constatations des experts, Belgacom a

librement et consciemment violée.

En toute hypothèse, sous les mêmes réserves, Belgacom — qui est une très grande

entreprise pouvant compter sur du personnel et des conseillers hautement qualifiés sur

les plans juridique et économique, ainsi qu’en témoignent ses conclusions et les pièces

qu’elle dépose — ne sautait soutenir que sa pratique tarifaire qui consistait à

— offrir à ses clients des avantages financiers non justifiés sur le plan économique

pour les inciter à lui réserver leur demande de services de téléphonie mobile

— accepter de supporter des pertes sur les appels effectués par ses abonnés au

profit des autres abonnés de son réseau;

— introduire un écart tarifaire entre ses prix sur le marché de gros et sur le marché

de détail qui n’est pas suffisant pour permettre de couvrir au moins les coûts

pour accéder au marché de détail;

— opérer une différenciation tarifaire entre des appels <c on-net)) et « off-net» qui

fait apparaître des incohérences non justifiées affectant les calculs des coûts

entre ces deux services et renforce l’effet de réseau

était conforme à celle qu’aurait adoptée tout opérateur puissant, soigneux et prudent,

conscient de sa responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence

effective et non faussée du marché, placée comme elle dans les mêmes conditions,

c’est-à-dire adossé à un opérateur historique, puis placé pendant plus de deux ans dans

une situation de monopole et jouissant encore, dix ans après l’entrée sur le marché du

premier concurrent, d’une part de marché de plus de 50% - soit plus que celles cumulées

des autres opérateurs.

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Les comparaisons que fait Belgacom à ce sujet avec Base et Mobistar ne sont donc paspertinentes puisque ces dernières ne sont pas dans les mêmes conditions qu’elle.

Les pratiques alléguées, si elles devaient être confirmées sur la base des rapports desexperts, sont donc constitutives d’une faute civile au sens des articles 1382 et 1383 duCode civil.

b.- Sur le dommage et le lien de causalité

159. A ce state de la procédure, il est prématuré de rencontrer les moyens et argumentssoulevés par Belgacom, puisque la cour ignore encore la hauteur éventuelle des tarifs« on-net)) et/ou, le cas échéant, des tarifs «off-net» que Belgacom aurait dû pratiquerpendant la période litigieuse pour faire cesser l’excédent de coûts sur les prix, toutcomme il ne peut être reproché à Base et à Mobistar de ne pas avoir déposé d’autresétudes réalisées par leurs consultants, puisqu’elles ne disposaient pas des donnéeschiffrées de Belgacom.

Le cas échéant, il appartiendra aux experts, dans un deuxième temps, de donner leur avis

technique sur les préjudices subis par Base et Mobistar, après que la cour aura statué surles mérites de leur premier rapport, rencontré les nouveaux moyens et arguments queles parties ne manqueront pas de développer au sujet de leurs conclusions et défini une

méthodologie pour l’appréciation du dommage réparable. Un tel complément demission — s’il devait être ordonné — ne constitue pas, à l’évidence, une délégation du

pouvoir de juridiction, prohibée par l’article 11 du Code judiciaire.

V.- DISPOSITIF

Pour ces motifs, -

la cour:

L- Reçoit les appels principal et incidents;

2.- Réforme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a dit l’action de Base et l’action en

intervention de Mobistar relatives à une prétendue violation de Belgacom de l’obligation

d’orientation vers les coûts des MTR recevables mais non fondées, dit l’action de Base et

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l’action en intervention de Mobistar relatives à un abus de position dominante recevableset a désigné un collège d’experts;

3.- Avant de statuer plus avant, modifie comme suit la mission confiée aux experts par lepremier juge et leur demande de:

— prendre connaissance de chacun des tarifs de Belgacom mis en cause par Baseet Mobistar, à savoir ceux qui sont détaillés aux points 131 à 173 desconclusions de Mobistar et aux pièces lV.17 et VI. 18 du dossier de Base;

— pour chacun de ces tarifs, déterminer d’abord, sur la base de piècesjustificatives à produire par Belgacom, le prix « réel » payé par les abonnéspendant la période s’étendant du let janvier 1999 au 31 décembre 2004 dans lecadre de l’action intentée par Base et jusqu’au 31 décembre 2005 pour celleintentée par Mobistar, c’est-à-dire en ajoutant au prix nominal à la minute unequote-part de l’abonnement mensuel, de la première minute et d’un éventuelforfait d’appels non consommé, à calculer par eux selon ta méthode décrite aupoint 89 du présent arrêt; au besoin, vérifier sans déplacement etcontradictoirement, les tableaux et pièces justificatives produits par Belgacom,le cas échéant au moyen de la copie de documents comptables de Belgacom,certifiés par son réviseur d’entreprise

— pour chacun de ces tarifs, se faire remettre ensuite par Belgacom, pour lesmêmes périodes, la décomposition analytique des coûts:

— des services « on-net)) et « off-net» offerts par Belgacom lorsqu’ilexistait au sein d’une même offre une différenciation tarifaire « on-net »

et « off-net )>

— des offres «A TAN» critiquées par Base et Mobistar et qui n’ont pas étéretenues comme licites par la cour au point 105 du présent arrêt;

— des offres « Proxivolume» et « ProGroup»;— des offres individuelles visées au point 105;

— vérifier pour chacun de ces tarifs si les prix demandés par Belgacom couvraientau minimum les coûts spécifiques qu’elle a dû supporter pour la production deces services, sur la base de la méthodologie décrite par la cour aux points 87 et92 du présent arrêt; au besoin, vérifier sans déplacement, maiscontradictoirement, les tableaux et pièces produits par Belgacom à titre depièces justificatives, le cas échéant au moyen de la copie de documentscomptables de Belgacom, certifiés par son réviseur d’entreprise et se faireremettre pour information une copie du modèle Van DiJk;

— sur la base de leurs constatations techniques et des principes dégagés par lacour dans le présent arrêt, donner un avis non contraignant:

— dans le cadre du grief relatif aux rabais, sur l’existence éventuelle d’unprix anormal du tarif « on-net» ne reposant pas sur des justificationséconomiques objectives;

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Cour d’appel Bruxelles — 2012/AR/1 — p. 132

— dans le cadre du grief relatif aux prix prédateurs, sur l’existenceéventuelle d’une perte non justifiée sur l’offre « on-net»;

— dans le cadre du grief relatif à la compression des marges ou de l’effetciseau, sur l’existence éventuelle d’une marge négative entre les tarifsde détail de Belgacom pour les appels « on-net)) et les MTR quedevaient payer Base et Mobistar, calculés conformément à la formulereprise au point 118;

— dans le cadre du grief relatif à l’effet de réseau, sur l’existenceéventuelle d’une incohérence dans les prix des appels « on-net)) etcc off-net » par rapport à leurs coûts de production;

— en cas de réponses positives aux points précédents, donner un avis noncontraignant sur les tarifs « on-net » et/ou, le cas échéant, les tarifs « off-net))que Belgacom aurait dû pratiquer pendant les périodes litigieuses pour fairecesser l’excédent de coûts sur les prix, et ce, tarif par tarif, ou, en casd’impossibilité technique, sur la base d’une moyenne dûment justifiée;

— à la fin de leurs travaux, dresser un rapport provisoire qu’ils soumettront à lacontradiction des parties en recueillant leurs observations écrites ou, le caséchéant, verbales dans le cadre d’une tentative de conciliation.

Conformément à l’article 972 § 2 du Code judiciaire, dit pour droit que:

— une nouvelle réunion d’installation en présence de la cour n’est pasindispensable;

— les experts pourront faire appel aux collaborateurs de leurs bureaux respectifs,ainsi qu’à des conseillers techniques extérieurs, notamment les départementsd’économie des universités de Bruxelles et de Louvain-la-Neuve, ou, le caséchéant s’ils l’estiment nécessaire à I’IBPT;

— les experts détermineront le mode de calcul de leurs frais et honoraires, ainsique de leurs sapiteurs lorsqu’ils y feront appel, dès lors que, vu l’ampleur deleur mission dictée par l’extrême complexité du dossier, une estimation globaledu coût de l’expertise est impossible;

— une première provision de 50.000,00 € devra être consignée sur le compte dugreffe civil de la cour d’appel de Bruxelles, n°679-2008774-01, avec la référencedu rôle général et du nom des parties en cause, dans les quinze jours de lanotification du présent arrêt, dont la moitié, soit 25.000,00 €, à charge deBelgacom et un quart, soit 12.500,00 €, à charge respectivement de Base et deMobistar;

— la provision pourra être libérée immédiatement au profit des experts àconcurrence de 20.000,00 €, et ensuite par tranches de 10.000,00 € au fur et àmesure de l’avancement de leurs travaux, moyennant demande adressée à lacour;

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— si la provision devait s’avérer insuffisante, les experts pourront solliciter leversement d’une provision complémentaire, par demande motivée adressée àla cour;

— les experts détermineront eux-mêmes le délai dans lequel les parties pourrontfaire valoir leurs observations à l’égard de leur avis provisoire;

— le rapport final devra être déposé au greffe, au plus tard le 31 mars 2016, lesexperts étant tenus de dresser après six mois un rapport intermédiaire sur l’étatd’avancement de leurs travaux; le cas échéant, conformément à l’article 974 duCode judiciaire, ils pourront solliciter de la cour une prolongation de ce délai,par requête dûment motivée.

4.- Renvoie la cause au râle particulier dans l’attente du dépôt du rapport des experts.

5.- Réserve les dépens.

Cet arrêt a été rendu par la 9ème chambre de la cour d’appel de Bruxelles, composée de

M. Henry MACKELBERT, conseiller, président f.f. de la chambre,Mme Marie-Françoise CARLIER, conseiller,Mme Catherine HEILPORN, conseiller,

qui ont assisté à toutes les audiences et ont délibéré à propos de l’affaire.

Il a été prononcé en audience publique par M. Henry MACKELBERT, président f.f. de lachambre, assisté de Mme Patricia DELGUSTE, greffier, le ‘) t 2015

Catherine HEILPORN

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k., \ L-...Marie-Française CARLIER

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L1. 1

Patricia DELGUSTE

Henry MACKELBERT

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