56
Les 7 défauts qui nous rendent insupportables aux yeux de la presse étrangère Hors-série Novembre-décembre 2014 8,50 € 3’:HIKTQD=UU]ZU^:?a@k@a@s@f"; M 09630- 8H - F: 8,50E- RD SATANÉS FRANÇAIS en partenariat avec Retrouvez notre hors-série sur les Français vus de l’étranger Chez votre marchand de journaux ISRAËL — CES POLITICIENS QUI ATTISENT L’INCENDIE ÉTATS-UNIS — UN BOULEVARD POUR HILLARY CLINTON FORMATION — LES CAMPUS DE DEMAIN Hollywood-Pékin La guerre du box-offi ce La presse étrangère décrypte les ambitions chinoises dans l’industrie du cinéma N° 1254 du 13 au 19 novembre 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE (!4BD64F-eabacj!:O;q

Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

  • Upload
    sa-ipm

  • View
    261

  • Download
    10

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Courrier International du 13 novembre 2014

Citation preview

Page 1: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Novembre-décembre 2013 8,50 €

Les 7 défauts qui nous rendent

insupportables aux yeux

de la presse étrangère

Hors-série Novembre-décembre 2014 8,50 €

3’:HIKTQD=UU]ZU^:?a@k@a@s@f";M 09630 - 8H - F: 8,50 E - RD

Afrique CFA 6 000 F CFA. Allemagne 9 €. Antilles et Réunion 9,50 €. Autriche 9 €. Canada 12,90 $CAN. Espagne 9 €. Etats-Unis 13,50 $US. Grande-Bretagne 7,95 £. Grèce 9 €. Italie 9 €. Japon 1 400 ¥. Liban 18 000 LBP. Maroc 85 DH. Pays-Bas 9 €. Portugal cont. 9 €. Suisse 12 CHF. TOM avion 1 800 XPF. Tunisie 15 DT.

SATANÉS

FRANÇAIS

en partenariat avec

Retrouvez notre hors-série sur les Français vus de l’étranger

Chez votre marchand de journaux

ISRAËL — CES POLITICIENS QUI ATTISENT L’INCENDIEÉTATS-UNIS — UN BOULEVARD POUR HILLARY CLINTONFORMATION — LES CAMPUS DE DEMAIN

Hollywood-PékinLa guerre

du box-offi ce

La presse étrangère décrypte les ambitions chinoises dans l’industrie du cinéma

N° 1254 du 13 au 19 novembre 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

EDITION BELGIQUE�

����������� ������

Page 2: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

2. Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

ÉDITORIALÉRIC CHOL

Les nouveaux nababs rouges

La suprématie américaine dans le domaine du cinéma toucherait-elle à sa fi n ? Ce n’est pas la

première fois que la Mecque du septième art se voit ainsi attaquée, mais cette fois-ci les assaillants disposent du nombre, de la puissance de feu et de la détermination. La Chine, longtemps prodigue de péplums historiques aux décors de carton-pâte, s’est convertie aux superproductions hollywoodiennes. Le public accourt et les complexes multisalles champignonnent dans tout le pays. Face à ce qui pourrait devenir d’ici trois ans le premier marché du cinéma mondial, les plus grandes fortunes chinoises ambitionnent de dominer le futur Chinawood. Jack Ma, le richissime fondateur d’Alibaba, achève tout juste une tournée des studios de production californiens, et le milliardaire Wang Jianlin, président du groupe immobilier Wanda, organise des charters de stars internationales dans l’empire du Milieu. Appâtés par les promesses du box-offi ce chinois, les studios américains n’ont d’yeux que pour la Chine. Pourquoi pas ? Après tout, comme le confi ait John Ford en 1964 à la BBC, “Hollywood est un endroit géographiquement non défi ni, on ne sait pas vraiment où ça se trouve”. On sait en revanche ce qu’on y trouve. Et certainement pas les ciseaux de la censure étatique. Les nouveaux nababs chinois devront, s’ils veulent poursuivre plus loin leurs rêves cinématographiques, convaincre Pékin de renoncer à couper les fi lms ou à modifi er les scénarios. Mais, vu la surveillance aiguë qu’exerce actuellement le pouvoir sur Internet ou sur les médias, les hiérarques du Parti communiste ont toutes les chances de conserver le “fi nal cut” dans les futurs blockbusters chinois.

En couverture : photomontagePhotos : BCA/Rue des Archives pour Le secret des poignards volants et Collection Christophel pour Avatar

p.32à la une

TRANSVERSALES p.38

Formation Les campus de demain

A l’heure où la Chine découvre le cinéma

comme divertissement de masse, elle n’a

pas l’intention de laisser aux Américains

le monopole de ses écrans, rapporte

l’hebdomadaire Nanfang Zhoumo.

Mais les studios d’Hollywood n’ont pas dit

leur dernier mot : ils espèrent séduire ce

nouveau public, raconte le Financial Times,

au prix, parfois, de périlleuses contorsions,

notamment par rapport à la censure.

DRE

AM

WO

RKS

AN

IMAT

ION

/PA

RA

MO

NT

PIC

TURE

S FR

AN

CE

www.courrierinternational.comINÉDIT - Comment avoir des idées géniales ? Isaac Asimov, l’auteur de science-fi ction, l’explique dans un texte écrit en 1959, publié pour la première fois.EN VIDÉO - L’œil de Courrier : retrouvez notre tour du monde des vidéos étonnantes à regarder cette semaine.

FRENCHBASHING Les sept défauts qui rendent les Français insupportables aux yeux de la presse étrangère. Retrouvez sur notre site et chez votre marchand de journaux notre hors-série Satanés Français.

Sommaire

CAHIER RÉGIONSRetrouvez notre supplément “Lyon vu par la presse étrangère” dans certaines de nos éditions (département 69).

En couverture : Le cube orange. Photo : Philippe Somnolet/Iem Corporate pour le Grand Lyon

Afriq

ue C

FA 2

800

 FCFA

Alg

érie

450

 DA

Alle

mag

ne 4

,20 

€ A

ndor

re 4

,20 

€ Au

tric

he 4

,20 

€ Ca

nada

6,5

0 $C

AN

DO

M 4

,40

€ Es

pagn

e 4,

20 €

E-

U 6,

95 $U

S G

-B 3

,50 

£ G

rèce

4,2

0 €

Irla

nde

4,20

 € It

alie

4,2

0 €

Japo

n 75

0 ¥

Mar

oc 3

2 DH

N

orvè

ge 5

2 NO

K Pa

ys-B

as 4

,20 

€ Po

rtug

al c

ont.

4,2

0 €

Suis

se 6

,20 

CHF

TO

M 74

0 CF

P Tu

nisi

e 5 D

TUN° 1253 du 6 au 12 novembre 2014courrierinternational.comFrance : 3,70 €

3’:HIKNLI=XUX\U^:?l@c@f@d@k";M 03183 - 1253 - F: 3,70 E

Jérusalem, Belfast, Mexique, Bangladesh… La presse étrangère

enquête sur ces nouvelles barrières qui divisent le monde

à abattre Cinquante murs 25 ans après la chute

du mur de Berlin

NUMÉRO SPÉCIAL

en partenariat avec

Suite à un oubli dans notre dernier numéro, voici la légende de la photo de couverture : l’équipe de Gaza Parkour s’entraîne dans un cimetière

du camp de réfugiés de Khan Younès. Les murs portent les traces des incursions israéliennes. Photo : Tanya Habjouqa/Focus/Cosmos

PÉKIN

LA GUERRE DU BOX-OFFICEHOLLYWOOD-

SUR NOTRE SITE

Retrouvez-nous aussi sur Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest

ISRAËL p.4

Jérusalem proche du point de ruptureLa politique de la droite israélienne attise la fl ambée de violence dans la Ville sainte.

ÉTATS-UNIS p.18

Un boulevard pour Hillary Clinton ?Les démocrates ont beau avoir perdu les élections législatives de mi-mandat, le Washington Post estime que cette déculottée pourrait profi ter à l’ex-première dame, plus que jamais en route vers la Maison-Blanche.

FRANCE p.24

Un pied encore en AfriqueSelon Newsweek, la Françafrique n’a pas

disparu : il est diffi cile pour Paris de renoncer à une zone d’infl uence majeure ou à des profi ts éventuels sur le continent noir.

MIX

& R

EMIX

, LA

USA

NN

E

HA

CH

FELD

, BER

LIN

Page 3: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Sommaire Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Novembre 2014. Commission paritaire n° 0712c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel lecteurs@courrier international.com Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (Edition, 16 58), Rédacteur en chef adjoint Raymond Clarinard Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Conception graphique Javier Errea Comunicación

7 jours dans le monde Caroline Marcelin (chef des infos, 17 30), Iwona Ostapkowicz (portrait) Europe Gerry Feehily (chef de service, 1970), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alé-manique, 16�22), Laurence Habay (chef de service adjointe, Russie, est de l’Europe, 16 36), Judith Sinnige (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34), Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, Pologne, 16 74), Emmanuelle Morau (chef de rubrique, France, 19 72), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Sabine Grandadam (Amérique latine, 16 97), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Phi-lippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Virginie Lepetit (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Caroline Marcelin (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Corentin Pennarguear (Tendances, 16 93), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Clara Tellier Savary (chef d’édition), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Laura Geisswiller (rédactrice multimédia), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 16 87), Patricia Fernández Perez (marketing) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Hélène Rousselot (russe), Mélanie Liff schitz (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Lid-wine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dre-mière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Informatique Denis Scudeller (16 84), Rollo Gleeson (développeur) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Torunn Amiel, Aurélie Boissière, Jean-Baptiste Bor, Isabelle Bryskier, Camille Cracco, Camille Drouet, Pauline Elie, Rollo Gleeson, Thomas Gragnic, Marion Gronier, Antonin Lambert, Sophie Laurent-Lefèvre, Valentine Morizot, Polina Petrouchina, Cora Portais, Diana Prak, Mélanie Robaglia, Leslie Talaga, Isabelle Taudière, Anne Thiaville

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine :

Algérie-Focus (algerie-focus.com) Alger, en ligne. Berlingske Copenhague, quotidien. Clarín Buenos Aires, quotidien. Corriere della Sera Milan, quotidien. Daily Times Lahore, quotidien. The Economist Londres, hebdomadaire. Financial Times Londres, quotidien. Gazeta Wyborcza Varsovie, quotidien. Jutarnji List Zagreb, quotidien. Kompas Jakarta, quotidien. Livemint (livemint.com) New Delhi, en ligne. Makor Rishon Tel-Aviv, hebdomadaire. The Malay Mail Online (themalaymailonline.com) Kuala Lumpur, en ligne. La Marea Madrid, mensuel. La Nación Buenos Aires, quotidien. Nanfang Zhoumo Canton, hebdomadaire. Newsweek (newsweek.com) New York, en ligne. L’Orient-Le Jour Beyrouth, quotidien. Le Pays Ouagadougou, quotidien. Le Populaire Dakar, quotidien.Al-Quds Al-Arabi Londres, quotidien. La Repubblica Rome, quotidien. Vlast Moscou, hebdomadaire. The Washington Post Washington, quotidien.

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici la rubrique “Nos sources”).

7 jours dans le monde4. Israël. Jérusalem proche de la rupture

D’un continent à l’autre— AFRIQUE8. Burkina Faso. La rue africaine gardienne des Constitutions

10. Algérie. Trouver un “diki” pour jouir du droit d’aimer

— MOYEN-ORIENT12. Iran. La flamme de la révolution s’éteint

14. Liban. Un pays sans projet

— ASIE16. Pakistan. A l’école de la haine et du djihad

17. Malaisie. L’intégrisme ou l’exil

—  AMÉRIQUES18. Etats-Unis. Et la grande gagnante est... Hillary Clinton !

19. Colombie-Venezuela. La frontière aux mille trafi cs

— EUROPE20. Sicile. Le calvaire des esclaves roumaines

22. Espagne. Podemos prêt à prendre le pouvoir ?

— FRANCE24. Diplomatie. La Françafrique bouge encore

— BELGIQUE28. Réfugiés. Un pays si généreux

A la une32. Hollywood-Pékin, la guerre du box-offi ce

Transversales38. Formation. Les campus de demain

43. Sciences. Kilo : pour quelques atomes de plus

45. Signaux. L’odyssée de la pastèque

360°46. Reportage. Crimée, le rêve perdu des Tatars

50. Plein écran. “1864”, une épopée danoise

52. Tendances. L’air de vérité

54. Culture. L’art entre en gare

PrécisionNous avons reçu un courrier de Daniel Jaouen, président du directoire du groupe LACTALIS : “Un article intitulé ‘Le fromage, espèce menacée ?’, signé Ana Pouvreau et Mark Porter, publié dans Courrier international du 2 octobre 2014, reproche à LACTALIS d’écraser les petits producteurs de fromage et de vouloir imposer ‘une homogénéité fade au consommateur’. Cette accusation est erronée. LACTALIS propose une gamme variée allant des fromages au lait pasteurisé ou thermisé aux fromages au lait cru. Il est trompeur de soutenir que LACTALIS aurait pour ambition d’éliminer les produits au lait cru alors qu’il est le premier producteur français de fromages d’Appellation d’Origine Protégée (AOP), issus d’une production artisanale au lait cru. LACTALIS fabrique, sous vingt marques diff érentes, une dizaine de ces appellations, aussi variées que le Camembert de Normandie, le Brie de Meaux, le Brie de Melun, le Comté, le Reblochon, le Neufchâtel, le Roquefort, le Rocamadour, l’Abondance et le Banon. Producteur de fromages AOP au lait cru, LACTALIS a non seulement intérêt à faire respecter ces appellations, mais encore, grâce à l’importance du groupe, à contribuer à leur pérennité en France et à l’étranger. Le savoir-faire de LACTALIS lui permet enfi n d’apporter à ses fabrications au lait cru les garanties de qualité et de sécurité alimentaire attendues des consommateurs.”

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Marie-France Ravet [email protected] + 32 497 31 39 78Services abonnements [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression IPM PrintingDirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

Abonnez-vous Le meilleur de la presse mondiale chaque jeudi chez vous !

TARIF ABONNEMENT + l’accès au site et à ses archives depuis 1997

Option 16 mois € au lieu de 101,40 €

Option 312 mois + 4 hors-série

€ au lieu de 223,10 €*

Option 212 mois € au lieu de 191,10 €

Je désire m’abonner : adresse mail: [email protected] ou par courrier à Courrier Internationnal - Service Abonnements - Rue des Francs 79 -

1040 Bruxelles ou par fax au 02/744.45.55. Je ne paie rien maintenant et j’attends votre bulletin de virement.Nom .................................................................................................... Prénom ........................................................................................................

Adresse........................................................................................................................................... N° ........................ Bte .......................................

CP ................................ Localité ........................................................ Tél .................................................................................................................

Gsm ..................................................................................................... E-mail ..........................................................................................................*prix de vente au numéro. Offre valable en Belgique jusqu’au 3 Les données fournies sont reprises dans la base de données du Courrier International dans le but de vous informer sur les produits et services. Elles peuvent être transmises à nos partenaires à des fins de prospection.

150 170

1 décembre 201 .

90

4

Page 4: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

7 jours dansle monde.

↙ Dessin de Bleibel, Liban.

ISRAËL

Jérusalem proche du point de rupturePendant des années, une diplomatie intelligente a pu maintenir un statu quo religieux dans la Ville sainte. Aujourd’hui, les manœuvres politiciennes d’une droite instable attisent l’ire des musulmans.

SOURCE

MAKOR RISHONTel-Aviv, IsraëlQuotidien, 22 000 ex.www.makor1.co.il/Fondé en 1997, Makor Rishon (“De première source”) est un quotidien conservateur qui défend les valeurs nationalistes et religieuses.

—Makor Rishon (extraits) Tel-Aviv

Le groupe de militants qui squatte les abords du mont du Temple [Noble Sanctuaire pour les musulmans]

depuis la tentative d’assassinat [le 29 octobre] du rabbin [ultranationaliste religieux] Yehuda Glick nous montre pourquoi la paix ne sera jamais possible en ce lieu sacré. Ils bran-dissent des affiches sur lesquelles Glick, avec la coupole étincelante du dôme du Rocher en arrière-fond, exhibe un photomontage du gigantesque temple que ses disciples veulent édifier. Nul besoin d’être un architecte, un militant d’extrême droite ou un fanatique palestinien pour comprendre que cet édi-fice ne peut être bâti que sur les décombres des lieux saints musulmans.

Les Juifs adorateurs du Temple sont convaincus que, si les Palestiniens veulent leur en interdire l’accès, c’est pour pouvoir éradiquer toute trace archéologique de son existence historique. Ce qui n’est pas faux. Certains travaux de “rénovation” entrepris par le Waqf [administrateur des lieux de culte islamiques] ont bien pour objectif d’effacer toute trace de l’Antiquité juive. De leur côté, les Palestiniens sont convaincus que les Juifs veulent rayer de la carte les deux mosquées [dôme du Rocher et Al-Aqsa] pour y ériger le Troisième Temple.

Nous approchons du point de rupture. Jusqu’à une époque récente, les groupes de fidèles juifs qui tentaient de se rendre sur le mont du Temple étaient rares, marginaux, voire folkloriques. D’autant que les autorités du judaïsme orthodoxe interdisaient tout rassemblement et toute prière sur le mont. Des années durant, le statu quo religieux fut d’autant plus facilement maintenu que les responsables israéliens et palestiniens y avaient intérêt. L’Histoire leur avait maintes fois prouvé que ce lieu était celui de tous les désastres. Les autorités israéliennes

feignaient d’ignorer les excavations du Waqf et préféraient consolider la souveraineté d’Israël sur les quartiers environnants. Les forces de sécurité, en faisant respecter l’interdit religieux juif, contrecarraient toute provocation fatale, quitte à donner un avantage de fait aux Palestiniens. Cette politique intelligente nous évitait d’avoir à affronter plus d’un milliard de musulmans.

Aujourd’hui, le mont du Temple devient, pour notre malheur, une question clé pour le gouvernement et la communauté internationale. Yehuda Glick et ses disciples sont en passe de nous entraîner vers une conflagration religieuse. Une troisième Intifada ne peut avoir que des conséquences incalculables en se propageant à tout le pays. Il est encore possible de circonscrire l’incendie. Si une nouvelle Intifada couve, nous ne sommes fort heureusement pas encore revenus aux jours sombres des attentats suicides qui ponctuèrent les accords d’Oslo et la deuxième Intifada.

Les Israéliens, jusqu’à présent, sont plus mobilisés par les résultats du championnat de foot. L’opinion publique se montre moins irresponsable que ses dirigeants, lesquels sont hélas nombreux à prendre la remorque d’une minorité religieuse fanatique qui espère précipiter le jour de la Rédemption.

Néanmoins, l’instabilité politique israélienne actuelle est un facteur de risque. Tout est miné à tous les niveaux. Certes, personne ne veut a priori provoquer des élections anticipées un an avant terme [janvier 2016]. Mais le jour approche où chaque parti reprendra ses billes, tirera la couverture à soi et voudra tout simplement sauver sa peau, au détriment de l’intérêt national. Le ministre de l’Economie, Naftali Bennett [extrême droite], déclare qu’un Premier ministre incapable de protéger Jérusalem ne mérite pas d’exister. Le ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman

de l’ultradroite laïque, traite de crétins ses propres députés et ceux d’extrême droite qui veulent aller sur le mont du Temple. Le ministre de l’Environnement, Amir Peretz, une colombe centriste, après avoir appelé à garantir la stabilité du gouvernement, claque la porte de la coalition et de son parti et prend un billet de retour vers son ancien parti, le Parti travailliste. Et, pendant ce temps, le Premier ministre, Nétanyahou, doit à tout prix se présenter en position de force à des primaires au sein d’un Likoud de plus en plus sensible aux sirènes des boutefeux.

Début 2015, le compte à rebours des législatives sera enclenché. Si la situation continue de se dégrader, pendant que les émeutes se propageront à tout Israël sans épargner l’Autorité palestinienne, nous devrons en outre subir une campagne électorale qui laissera libre cours aux insultes, aux coups fourrés et aux slogans insensés. Par contre, si la situation encourage nos dirigeants à jouer l’apaisement [avec les Palestiniens], peut-être aurons-nous enfin droit à un scrutin privilégiant, comme dans un pays normal, des questions sociales telles que le droit à vivre dans la dignité dans ce pays meurtri. Personnellement, c’est tout ce que je nous souhaite. Mais je doute que nous y parvenions.

—Shalom YerushalmiPublié le 9 novembre

Twitter ouvre un bureau à Hong Kong

MÉDIA — L’entreprise américaine devrait ouvrir un bureau à Hong Kong début 2015, a déclaré au Wall Street Journal Shailesh Rao, vice-président de Twitter Inc. pour l’Asie-Pacifique, l’Amérique latine et les marchés émergents. “Le but de cette ouverture sera de créer des liens avec les agences et annonceurs de Hong Kong et de Taïwan ainsi qu’avec les annonceurs chinois sou-cieux de se mondialiser.” Twitter est interdit en Chine depuis 2009, le gouvernement redoutant la forte capacité mobilisatrice du réseau social.

Miliband sur le point de se faire virer ?ROYAUME-UNI — A moins de sept mois des prochaines élections bri-tanniques, le leader du Parti tra-vailliste Ed Miliband est sur la sellette. Selon The Observer du 9 novembre, au moins une vingtaine de députés influents souhaitent sa démission. Selon un récent son-dage, les travaillistes ne sont cré-dités que de 32 % des intentions de vote pour les élections législatives prévues en avril-mai prochain, un résultat insuffisant pour gagner une majorité au Parlement. Souvent critiqué pour son manque de cha-risme, Miliband a vu sa cote chuter à 49 % d’opinions favorables.

FALC

O, C

UBA

4.

Page 5: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

7 JOURS.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

LA PHOTO DE LA SEMAINE

Une image révolutionnaire

SCIENCES — L’Alma, un immense observatoire planté dans le désert d’Atacama, au Chili, a capté avec ses 66 antennes de haute précision une image exceptionnelle : celle d’un système solaire en formation autour de l’étoile HL Tauri, à 450 années-lumière de la Terre, dans la constellation du Taureau. C’est la première fois qu’une image d’une aussi haute résolution, donnant l’idée de ce qu’est la naissance d’un système solaire, est obtenue, rappelle le magazine scientique Popular Science. “Elle va à elle seule révolutionner la théorie de la formation des planètes”, s’enthousiasme dans le magazine Catherine Vlahakis, qui dirige le programme scientifi que de l’Alma.

125millions d’exemplaires de la Bible ont été imprimés en Chine depuis l’ouverture, en 1987, de l’imprimerie de l’Amity Foundation, une association protestante installée dans la ville de Nankin, rapporte le Financial Times. Quelque 65,7 millions d’exemplaires ont été distribués sur le marché national et 59,3 millions ont été exportés dans 70 pays. Le bouddhisme est pour l’heure la première religion en Chine. Mais le christianisme est la religion qui connaît aujourd’hui la plus forte expansion dans le pays. Ils seraient 100 millions de chrétiens selon des sources indépendantes. Pour de nombreux spécialistes, dans une quinzaine d’années la Chine comptera la plus importante population chrétienne au monde.

Un “nouveau départ”DIPLOMATIE — Les dirigeants chinois et japonais se sont fi na-lement rencontrés en marge du sommet de l’Apec qui s’est tenu les 10 et 11 novembre. Le Premier ministre japonais Shinzo Abe et le président chinois Xi Jinping se sont serré la main, après la publication d’un accord sur la nécessité de rou-vrir le dialogue sur les sujets qui opposent les deux voisins, rappelle l’agence offi cielle chinoise Xinhua.

Ces deux dernières années, les ten-sions au sujet de la souveraineté sur les îles Senkaku-Diaoyu se sont accrues. Les deux dirigeants espèrent que ce récent dévelop-pement représente le “nouveau départ” d’une relation stratégique qui garantira la paix régionale.

La guerrechange de formeUKR AINE — A lors que les combats s’aggravent dans le Donbass, Kharkiv [Kharkov en russe], la deuxième plus grande ville du pays, a été le théâtre, le 9 novembre, d’un attentat à la bombe qui a fait une dizaine de blessés. Kharkiv avait connu des incidents vio-lents entre Ukrainiens et pro-russes en mars et avril, mais jamais les séparatistes n’ont encore réussi à s’y implanter. Or, précise Oukraïnska Pravda, la cible de l’attentat n’est pas ano-dine, il s’agit d’un café “connu pour son patriotisme, devenu une véritable institution pour les sol-dats des bataillons de retour du Donbass”. Faut-il y voir le début d’une campagne de déstabili-sation à l’arrière du front ? Le quotidien en ligne rappelle en tout cas que “le Conseil de sécu-rité nationale a récemment mis en garde contre la multiplication d’actes de ce genre”.

L’indignation embrase la rueMEXIQUE — #YaMeCanse : la phrase “On arrête là, je suis fati-gué”, prononcée le 7 novembre par le procureur général du Mexique, Jesús Murillo Karam, à l’issue d’une conférence de presse donnant de nouvelles informations sur le calvaire des étudiants disparus, est vite deve-nue un hashtag (mot clé) popu-laire sur les réseaux sociaux. Puis, comme le titre le site Animal Político, “l’indignation est passée des réseaux sociaux à la rue”. Le soir même, 500 per-sonnes se sont réunies dans le centre de Mexico. “Le lendemain, le 8 novembre, ils étaient bien plus nombreux”, rapporte le journal, qui parle de milliers de manifes-tants. Parmi les slogans lancés par la foule : “No estoy cansado, estoy encabronado” [“Je ne suis pas fatigué, je suis agacé”], ou “Ya me cance de tener miedo” [“J’en ai assez d’avoir peur”]. Des manifestants ont ensuite mis le feu à la porte du Palais natio-nal, où siège le gouvernement.

Les autonomistes reprennent la mainCATALOGNE — Plus de 2,2 mil-lions de Catalans ont participé au vote symbolique, le 9 novembre, sur l’indépendance de la région, soit un tiers des électeurs poten-tiels. Quelque 80 % se sont pro-noncés pour le “oui”. Pour El País, il est temps à pré-sent de se remettre autour de la table des négociations. “Artur Mas a réussi à donner l’image qu’il cherchait dans cette journée de vote non officiel : les queues dans les bureaux de vote et l’absence d’incidents. Un succès, malgré la suspension du référendum par le Tribunal constitutionnel. Le résultat a permis au président de la Generalitat de récupérer l’initiative politique”, écrit le quotidien.

instructeurs et conseillers militaires américains vont être envoyés en Irak, soit autant que ceux déjà sur place, a annoncé le président Obama. De nouveaux camps d’entraînement seront déployés à travers le pays. Cette décision “signale une nouvelle phase” dans le combat contre l’Etat islamique, qui occupe une partie du nord et de l’ouest de l’Irak,a-t-il déclaré le 9 novembre. Avec un gouvernement irakien désormais “pluraliste et crédible”, il est possible de “commencer à passer à l’off ensive”, a-t-il estimé. Pour The New York Times, l’annonce marque une reconnaissance des limites des frappes aériennes, insuffi santes pour faire mieux qu’endiguer l’avancée de l’Etat islamique.

1  500

ESO

, L. C

ALÇ

AD

A

KA

P, E

SPA

GN

E

HA

GEN

, NO

RVÈ

GE

5

Page 6: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

7 JOURS Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

↓ Susi Pudjiastuti. Dessin de Bromley, Australie, pour Courrier international.

—Kompas Jakarta

Chaque fois que je lis quelque chose à propos de notre ministre Susi, je me rappelle aus-sitôt le poème Susi, rouge carmin, de l’écri-

vain Gus Sakai :“Susi pleure, gémit, mais elle n’est pas triste.Susi hurle, se frappe la poitrine, mais elle rit.Comment dire cette joie teintée de malheur ?Cette soif teintée de mélancolie ?…”

Susi est exubérante. Elle est détachée, libre. Voilà pourquoi elle réussit haut la main là où le plus grand nombre échoue. Susi oh Susi. Ces derniers temps, il n’est pas de nom plus populaire que le tien. Tes photos remplissent les pages des réseaux sociaux et des grands médias. Ton nom est crié par ceux qui te soutiennent et ceux qui te détestent, par ceux qui t’aiment et ceux qui te jalousent.

En fait, depuis toujours, Susi est ainsi. Excentrique, ouverte, sans fard ni faux-semblant. Elle n’a pas peur de fumer en public. Selon Rustika Herlambang, une journaliste qui l’a inter-viewée en 2010 pour le magazine Dewi, non seulement Susi fume, mais elle boit du vin blanc et du gin tonic “sans jamais être ivre”.

Susi oh Susi, aucun ministre n’a une biographie aussi fl amboyante que la tienne. C’est pour cela qu’on ne cesse de parler de toi. Susi par-ci, Susi par-là, Susi a un tatouage sur sa jambe droite. Susi a choisi de quitter les bancs de l’école parce qu’elle était écœurée par

les méthodes d’éducation. Née le 15 janvier 1965 à Pangandaran, dans l’ouest de Java, elle se lance en 1983 dans les aff aires en rachetant aux pêcheurs de la ville du poisson qu’elle revend ensuite. Ce com-merce prospère rapidement si bien qu’en 1996 elle ouvre une usine de conditionnement de poissons. Elle acquiert bientôt un premier avion qu’elle uti-lise pour exporter à l’étranger des homards frais. Sa vocation va subitement changer lorsque le tsu-nami frappe Aceh [province située sur la pointe

nord de Sumatra], en 2004. Son jet Cessna est le premier avion à se rendre sur les lieux de la catastrophe pour distribuer de l’aide aux victimes se trouvant dans les régions les plus inaccessibles. Mariée à l’ingénieur en aéronautique allemand Christian von Strombeck, elle se reconvertit en fondant une compagnie aérienne. En 2013, 49 appa-

reils de la compagnie Susi Air assuraient des centaines de liaisons entre les villes les plus

isolées de l’archipel. Fin 2012, le chiff re d’af-faires de la compagnie s’élevait à 21 mil-lions d’euros.“Depuis toujours, on me con sidère comme l’outsider”, a-t-elle déclaré à Rustika

Herlambang. Petite, Susi aimait ramener chez elle des fous qu’elle rencontrait dans

la rue, elle les lavait et leur donnait des vêtements. Elle partait souvent dans les villages de pêcheurs. Si l’un d’entre eux était blessé, elle n’hésitait pas à nettoyer sa blessure et à lui administrer des médicaments. “Alors qu’il

ne voulait pas être soigné par sa propre femme… C’est pour

ça qu’on m’a toujours prise pour une cinglée”, raconte-t-elle en riant.Selon Rustika, la décision

la plus “dingue” que Susi ait jamais prise est d’avoir quitté le

lycée en seconde. Tous ses proches

étaient très en colère parce qu’elle était une élève brillante. Ses parents étaient riches : son père avait une entreprise de construction et sa mère possédait de vastes terres agricoles et des plan-tations de cocotiers. Ils l’avaient envoyée dans le meilleur lycée de Yogyakarta, au centre de Java.

Elle avait alors tout juste 17 ans et elle est ren-trée chez elle, à Pandangaran. “Je n’étais pas heu-reuse. A quoi bon continuer ? Je voulais décider moi-même de ma vie”, explique-t-elle. Son père, qui l’avait jusque-là gâtée, ne lui a plus adressé la parole pendant presque deux ans. “Je me suis alors mise au travail pour ne pas me morfondre à la maison”, poursuit-elle.

Aujourd’hui, Susi vient d’être nommée ministre de la Mer et de la Pêche, un des ministères les plus en vue puisque le président Jokowi [de son vrai nom Joko Widodo, investi le 20 octobre der-nier] veut transformer l’Indonésie en une grande puissance maritime. “Je démissionne de toutes mes fonctions”, a-t-elle déclaré le 26 octobre, le jour de son investiture. Ce qui signifi e qu’elle se retire de toutes les entreprises qu’elle a fondées et dont elle est propriétaire pour se consacrer à cette noble fonction de ministre au service du pays. Une fois de plus, Susi n’a pas eu peur de tout laisser der-rière elle, au moment même où beaucoup de gens mettaient en doute ses capacités d’aide de camp du président. Mais Susi a franchi ce pas, aussi décidée que lorsqu’elle a quitté le lycée. Aussi décidée que lorsqu’elle a fondé plusieurs entreprises prospères.

Susi oh Susi. Tu ne caches rien de ta vie privée. “Oui, je suis une célibataire, j’ai trois enfants et un petit-fi ls”, précise-t-elle. Elle raconte même qu’elle a été mariée à deux reprises.

Susi oh Susi, il n’est pas un jour sans Susi. Dans les villages et dans les villes, dans les bistrots de quartier ou dans les cafés sélects, le nom de Susi est sur toutes les lèvres.

Susi oh Susi, tout ce que tu es est un don que Dieu off re à notre pays. Avec Susi, espérons que la mer et ses poissons fassent de nous une nation plus prospère. Oui, Susi est la réalité indonésienne d’aujourd’hui !

—Jodhi YudonoPublié le 29 octobre

Susi PudjiastutiLa star de la politique indonésienne

ILS FONT L’ACTUALITÉ

Femme d’aff aires charismatique, la nouvelle ministre de la Mer et de la Pêche est très populaire. Le plus grand quotidien du pays lui voue un culte sans limite.

Vu d’ailleursVendredi à 23 h 10, samedi à 11 h 10 et dimanche à 14 h 10, 17 h 10 et 21 h 10.

L’actualité française vuede l’étranger chaque semaine avec

présenté par Christophe Moulin avec Eric Chol

6.

Page 7: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

LES VOYAGES DE LA LIBRE

Depuis Dublin, capitale de l’Irlande, nous vous invitons à une évasion heureusevers l’Écosse dont on dit que les fantômes hantent encore de nombreux châteaux!Une escale dans l’Archipel des Orcades vous révèlera l’énigmatique témoignagedes hommes de la préhistoire puis les côtes norvégiennes et la petite villeportuaire de Stavanger entourée de fjords magnifiques vous étonneront. Vous accosterez à Oslo puis à Göteborg en Suède. Enfin vous atteindrez Copen-hague, havre urbain de culture et de convivialité. Un itinéraire de choix, des escalesinsolites, une croisière de luxe durant laquelle vous découvrirez une nature à la foisbelle et magique, des sites architecturaux et archéologiques exceptionnels…Cette échappée nordique sera rendue encore plus vivante grâce à la participation exceptionnelle du groupe musical celte Arz Nevez ainsi que celle des guides his-toriens passionnés qui vous accompagneront pour chacune des excursions choisies.Présence exceptionnelle et conférence à bord par Jacques Franck, ancien rédacteur en chef de La Libre Belgique.

PRIX LA LIBRE par personne Cabine Deluxe > 3095 €Cabine Prestige Pont 4 > 3275 € / Cabine Prestige Pont 5 > 3355 €Cabine Prestige Pont 6 > 3555 € / Supplément single > sur demande

Lic

: A 1

894

CROISIÈRE

BEAUTÉ ET CHARME NORDIQUESDES RIVAGES CELTIQUES AU CŒUR DE L’ÉCOSSE

JUSQU’AUX CAPITALES SCANDINAVES!

DU 26 MAI AU 4 JUIN 2015

UNE LIBRESCAPADE EXCEPTIONNELLE ET INÉDITESOYEZ LES PREMIERS À VOUS INSCRIRE, NOMBRE DE PARTICIPANTS LIMITÉ !

Nos tarifs incluentLes vols en classe économique / Les transferts de l’aéroport / Lacroisière 10 jours-9 nuits en pension complète / Les cocktails de bienvenue et du Commandant, le dîner de gala / Les eaux minérales, le thé, le café et les vins servisaux repas (pour la croisière uniquement) / La présence d’un conférencier, intervenantspécialisé / Le room service à bord 24h/24 (menu proposé) / Le port des bagages duquai d’embarquement à bord et vice versa / Une visite de Dublin et ses « musts » ainsiqu’un déjeuner organisé par Eagle Travel / L’accompagnement professionnel et tech-nique de Bruxelles à Bruxelles / Les PLUS « EAGLE » : forfait « OPEN BAR » (vinsde croisière, champagne Sélection Ponant, sélection d’alcools, hors alcools premium)et service de blanchisserie à bord et toutes les attentions de La Libre. Nos tarifs n’incluent pas Les taxes aériennes et taxes de sûreté obligatoires / Les taxes por-tuaires / Les dépenses d’ordre personnel, les pourboires (12€/par jour et par personne)/ Les assurances annulation, assistance, rapatriement, bagages et frais médicaux

PROGRAMME SUR SIMPLE DEMANDE & RÉSERVATIONS EAGLE TRAVEL Cindy Mondus 02 672 02 52 – [email protected] de Rosée – [email protected]

Avec La Librescapade, embarquez à bord du luxueux navire Soléal 5* pour une croisière passionnante ponctuée d’histoire, de mystères et de légendes ancestrales… Accompagnement spécial par Mr. Jacques Franck, ancien rédacteur en chef de La Libre Belgique.

© J

. de

Tess

ière

s

Jacques Franck

Page 8: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Burkina Faso.La rue africaine gardienne des Constitutions

Congo, RDC, Togo, Rwanda, Burundi, Bénin : comme au Burkina, les chefs d’Etat en place sont tentés par une modification constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir en 2015. Mais désormais rien ne sera plus comme avant.

Afrique ..........Moyen-Orient .....Asie .............Amériques ........Europe ........... 2France ...........

d’uncontinentà l’autre.afrique

—Le Populaire Dakar

Les événements du Burkina Faso ont révélé qu’en Afrique la rue était sur le

point de devenir le véritable rem-part contre les révisions consti-tutionnelles “pour convenance personnelle”. Faut-il s’en féliciter ou en être désolé ? S’en féliciter cer-tainement, si l’on sait que la voca-tion d’une révision est d’adapter la Constitution aux circonstances, dans le sens de l’approfondisse-ment de la démocratie et de l’Etat de droit. L’on a malheureusement noté en Afrique des modifications constitutionnelles nullement jus-tifiées par l’intérêt général, dans un dessein exclusif de conserva-tion du pouvoir avec des justifica-tions qui font rire ceux qui en ont encore la capacité : des chantiers à terminer, une modernisation de l’Etat à finaliser, une stabilité à mieux asseoir…

Le pouvoir de révision consti-tutionnelle qui fait un peu partout l’objet d’une instrumentalisation à des fins de conservation du pouvoir est la preuve que l’adhésion au constitutionnalisme n’était pas si profonde. Force est de constater que c’est bien le contexte de 1990 qui a obligé bon nombre de dirigeants à se résigner, par nécessité, au pluralisme politique et à se soumettre à certaines de ses contraintes : multipartisme, organisation d’élections libres et transparentes, élaboration de Constitutions consacrant les principales normes d’un Etat de droit moderne, élargissement des domaines non révisables ou révisables par référendum, mise en place des conditions de réalisation de l’alternance politique à travers la limitation du nombre de mandat des chefs d’Etat.

Les révisions constitutionnelles “pour convenance personnelle” effectuées ou tentées dans certains pays (Tchad, Niger, Sénégal, Cameroun, Burkina…) ou qui se préparent dans d’autres (Congo-Brazzaville, république démocratique du Congo, Togo, Rwanda, Burundi, Bénin…) montrent finalement que, si nos chers dirigeants africains ont adhéré au constitutionnalisme, c’est simplement du bout des lèvres. Le constitutionnalisme, c’est cette doctrine fondée sur une idée qui n’est pas seulement juridique mais qui exprime aussi un jugement de valeur : la croyance dans le fait que la Constitution représente la mère des normes. Il convient

de la considérer comme telle et de la protéger. Cette protection s’accommode mal de révisions nullement justifiées par l’intérêt général et qui constituent des tripatouillages de la Loi fondamentale. Ces mécanismes sont nombreux et variés. Le premier consiste à supprimer la limitation du nombre de mandats ou la durée du mandat.

Habitudes. C’est arrivé au Sénégal, au Niger, au Tchad. Ce qui a été tenté au Burkina entre dans ce chapitre. Il y a aujourd’hui des velléités dans beaucoup d’autres pays. D ans d’autres cas, les modifications tendent à modifier la Constitution quelques mois avant le scrutin pour permettre, par exemple, à des dirigeants atteints par la limite d’âge de pouvoir briguer un autre mandat. Tentative avortée au Bénin du temps du président Soglo [1991-1996]. Dans d’autres cas, il s’est agi de supprimer le second tour compte tenu de la configuration de l’opposition divisée ou de créer des conditions très douces de passage au premier tour. La tentative avortée de modification constitutionnelle au Sénégal [juin 2011] visant à abaisser la majorité requise pour passer au premier tour est à ranger dans cette rubrique.

Dans certains cas, il s’est agi de mettre en place des règles qui, en réalité, visent à disqualifier ou à éliminer de la course un ou plusieurs candidats gênants. La question de l’ivoirité en Côte d’Ivoire en 2000, qui éliminait Ouattara, a été analysée ainsi. Il en est de même, au Togo, de l’obligation de résidence sur le territoire national pendant un certain délai, qui semblait n’avoir été prévue que pour éliminer de la course Gilchrist Olympio.

Dans certains cas, il s’est agi de manipuler le calendrier républicain en cherchant le meilleur moment pour organiser des élections. C’est arrivé au Cameroun en 1992. Toutes ces entreprises d’instrumentalisation de la Constitution ont été rendues possibles par la conjonction de deux facteurs : l’existence de majorités

Des “Y en a marre”, “M23” ou “Balai citoyen” doivent ouvrir les yeux à ces dirigeants

↙ Dessin de Medi, Albanie.

812 1618024

8.

Page 9: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

AFRIQUE.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

ALGÉRIE

SOUDAN

ÉRYTHRÉE

DJIBOUTI

OUGANDARWANDA

BURUNDI

ZIMBABWE

GAMBIE

BURKINAFASO

TCHAD

TOGO

GABONCONGO

ANGOLA

RÉP. DÉM.DU CONGO

CAMEROUN

GUINÉEÉQUATORIALE

Blaise Compaoré, entré enfonctions en 1987, chassé

du pouvoir en 2014

Denis Sassou-NguessoEntrée en fonctions : 1997Vote prévu : juillet 2016

Joseph KabilaEntrée en fonctions : 2001Vote prévu : décembre 2016

2

3

Pierre NkurunzizaEntrée en fonctions : 2005Vote prévu : juin 2015

1

Paul KagaméEntrée en fonctions : 2000Vote prévu : juillet 2017

4

2008

2010

20052002

2003

2008

2005 2010

2

3

41

Temps passé au pouvoirpar le dirigeant en poste*

Modification de la Consitution permettantau président de rester au pouvoir

Plus de trente ans Constitution déjà modifiée

Tentative de modification en coursDe vingt à trente ansDe dix à dix-neuf ansMoins de dix ans

SOURCES : “JEUNE AFRIQUE”, Nos2807-2808 ;“WASHINGTON POST”.

1 000 km

* La durée indiquée peut inclureun mandat de Premier ministresuivi d’un mandat de président

Afrique : président à tout prix

de révision constitutionnelle portant atteinte à certains principes fondamentaux de la démocratie et de l’Etat de droit. Saisi d’une requête visant à l’amener à se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi de révision de la charte fondamentale, le juge constitutionnel a tendance à considérer qu’il ne dispose que de compétences d’attribution et qu’il ne tient ni de la Constitution ni d’aucun autre texte la possi-bilité de se prononcer sur une révision constitutionnelle. Cette conception, héritée de la France, n’est pas partagée par les juges constitutionnels allemands et italiens, qui mettent en avant l’idée que certains principes ont une valeur supraconstitutionnelle et doivent, de ce fait, être protégés contre toute tentative de révision.

Au Sénégal, le sentiment de malaise et les critiques à l’égard de la jurisprudence du Conseil  constitutionnel pro-v iennent en grande partie de l’impression que la justice

parlementaires mécaniques prêtes à ratifier n’importe quelle décision du chef de l’Etat et l’apathie de ceux qui devaient être les véritables gardiens de la Constitution, les juges constitutionnels. Heureusement (malheureusement ?), la rue a montré ce dont elle était capable. Des “Y en a marre”, “M23” ou “Balai citoyen” doivent ouvrir les yeux à ces dirigeants aveuglés par le pouvoir et qui croient être les seuls aptes à conduire les destinées d’une nation. Il en est ainsi également parce que ceux qui sont les véritables gardiens de la Constitution refusent, au nom de la souveraineté du pouvoir constituant, de contrôler la constitutionnalité de la loi de révision.

Ultime rempart. La plupart des juges constitutionnels africains refusent d’adhérer à la doctrine de la supraconstitutionnalité, qui reconnaît au juge constitutionnel le pouvoir d’annuler les lois

L’auteur

Abdoulaye Dièye est professeur de droit à l’université de Dakar. Constitutionnaliste réputé, rapporteur de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) de son pays, Dièye est très engagé dans le débat public ouvert dans la presse sénégalaise.

LE POPULAIREDakar, SénégalQuotidien, 25 000 ex.www.popxibaar.comLancé en 1999 par des hommes d’affaires, le titre a fait une entrée remarquée dans le paysage médiatique grâce à ses faits divers et à sa rubrique “société”. Depuis, il a attiré des plumes renommées de la presse sénégalaise (Mame Less Camara, Pape Samba Kane, Abdou Salam Kane) et est devenu l’un des journaux les plus influents du pays.

—Le Pays Ouagadougou

L’évolution de la situation politique au Burkina met en alerte maximum cer-

tains chefs d’Etat africains, qui craignent une éventuelle contami-nation de leurs populations par le syndrome burkinabé. Ainsi, dans les deux Congos (RDC et Congo-Brazzaville), les autorités rivalisent d’ingéniosité pour empêcher leurs populations de s’informer sur les péripéties ayant conduit le peuple burkinabé à prendre ses responsa-bilités face à la boulimie de pou-voir du désormais ex-président Blaise Compaoré.

Brouillage de signal pour perturber la réception radio-télé, censure de la presse étrangère, interdiction aux organes de presse publics de relayer les informations sur l’évolution de la situation au Burkina, menaces diverses, bref, rien n’a été épargné par Denis Sassou-Nguesso et Joseph Kabila pour empêcher leurs populations d’apprendre comment un peuple peut chasser un dictateur. En RDC, les autorités ont même poussé le ridicule jusqu’à confisquer tous les postes téléviseurs et les radios qui étaient dans les cellules des prisonniers, “pour les empêcher de suivre l’évolution de la situation à Ouagadougou”.

Ironie du sort, une délégation de la RDC se trouvait au même moment da ns la capita le burkinabée pour  étudier la stratégie utilisée par Blaise Compaoré pour faire modifier la Constitution de son pays.

Ce qu’il faut retenir de cette fébrilité qui s’est emparée des capitales des deux Congos, c’est que les dirigeants de ces deux pays sont très loin d’être en phase avec les aspirations de leurs peuples. Et, en bons dictateurs, leurs premiers réflexes n’ont pas consisté à chercher à comprendre comment faire pour éviter la colère du peuple, mais plutôt

comment faire pour le maintenir dans l’obscurantisme et la docilité.

Il faut dire d’ailleurs que de ce point de vue tous les dictateurs se ressemblent, en ce sens qu’ils ne retiennent jamais aucune leçon susceptible de les ramener vers les peuples. Ainsi, au lieu de tirer leçon du soulèvement populaire qui a eu raison de “l’homme fort” du Burkina et d’actionner immédiatement le levier de l’alternance pour éviter que les mêmes causes qui ont conduit au soulèvement populaire au Burkina ne produisent les mêmes effets à Kinshasa et à Brazzaville, ils ont choisi plutôt la répression et la censure, comme s’ils cherchaient à cacher le soleil avec leurs doigts. Ces bidasses mal inspirés semblent toutefois oublier que nous sommes dans un monde de technologie, où toute volonté de maintenir un peuple dans l’ignorance est la plus utopique des manœuvres.

Aveuglement. Et, en cherchant à soustraire à leur peuple des informations sur le comportement héroïque du peuple burkinabé, Sassou Nguesso et Kabila sèment eux-mêmes, sans le vouloir, les graines de la révolte dans leurs pays respectifs. Car “on peut tromper une partie du peuple pendant une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps”.

Plutôt que de ramener des leçons de despo tisme, la mission congolaise à Ouagadougou ramènera dans ses valises les images d’un peuple en colère et de dirigeants aux abois, implorant l’indulgence de ceux qui n’étaient pour eux que du bétail électoral, taillable et corvéable à volonté.

Demain, quand le soleil de la liberté se lèvera dans le ciel des deux Congos, les dictateurs en place se demanderont, comme leurs prédécesseurs, comment cela a pu arriver.

—Dieudonné MakieniPublié le 5 novembre

Congo et RDC Les insurrections qui viennentLes présidents Denis Sassou-Nguesso et Joseph Kabila feraient bien de tirer les leçons du soulèvement populaire qui a renversé Blaise Compoaré.

constitutionnelle est aux ordres de la seule autorité de nomination, le président de la République. Les juges du Conseil constitutionnel sont tous nommés pour une durée de six ans non renouvelables par le président de la République. C’est une formule qui a fait son temps et que l’on ne rencontre pratiquement plus. Il est temps de dire que seules les lois adoptées par voie référendaire échappent au contrôle de constitutionnalité, car constituant l’expression directe de la souveraineté nationale.

Nous avons toujours pensé que le juge constitutionnel africain doit rester le seul rempart contre certaines dérives antidémocratiques. A-t-il le droit d’assister, passif, à un bouleversement des principes fondamentaux de l’Etat de droit par une majorité parlementaire souvent contingente ? Nous disons non, mais nous constatons avec joie qu’avec le Burkina la deuxième vague des révisions “pour convenance personnelle” en Afrique a buté sur du solide : la rue.

—Abdoulaye DièyePublié le 3 novembre

SOURCE

9

Page 10: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

AFRIQUE. Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

continue à chercher des endroits discrets où s’aimer sans risquer l’opprobre ou une violente et dangereuse stigmatisation.

En Algérie, il n’est pas facile de s’aimer. Ce n’est pas un poncif que l’on répète pour verser dans le sensationnalisme stérile. C’est une réalité sociale que l’on analyse encore très peu, alors qu’elle suscite chez nos jeunes de terribles frustrations. Dans notre société, chaque fois que l’on ose

—Algérie-Focus Alger

Pays de jeunesse, mentalité de vieil-lesse. Cette Algérie de 2014 est dif-fi cile à cerner. Une société jeune

et joyeuse, mais réprimée par des com-plexes et des tabous venus des temps anciens. Un pays où la jeunesse, en dépit de son énergie débordante, de son envie de s’émanciper des conventions sociales,

ALGÉRIE

Trouver un “diki” pour jouir du droit d’aimerLe diki est un endroit discret – hangar abandonné, maison vacante…– pour abriter des amours clandestines, dans un pays où les mentalités s’opposent à toute relation en dehors du mariage.

parler d’amour, on ramène tout à la religion. A chaque palpitation, effusion sentimentale, pulsion amoureuse, la diabolisation se met en branle. Ah non, c’est haram [illicite] ! Pourquoi ? Parce que la sexualité est en jeu. Pour s’aimer, il faut se marier. L’éternelle règle sociale est toujours de mise dans notre pays. Mais les jeunes refusent de s’y soumettre. Filles et garçons sortent ensemble, ils découvrent leurs désirs, ils explorent leur libido, ils expriment leurs passions. Mais où ? Dans des endroits secrets, clandestins, éloignés des regards moralisateurs d’une société qui considère la sexualité comme un fl éau.

Virginité. C’est dans les dikis que l’on s’aime en Algérie. Diki, ce mot est inconnu des vieux et des adultes, dépassés par les évolutions sociales que le pays connaît. Mais le diki n’est pas seulement un appartement, un refuge, un abri, un hangar abandonné, une maison vacante ou un lieu désaff ecté où se retrouvent la fi lle et le garçon pour coucher ensemble. C’est tout un mode de vie pour de nombreux jeunes Algériens qui ne peuvent pas s’embrasser publiquement, caresser leur copine ou leur fi ancée, s’adonner en toute liberté à leurs ébats amoureux. La virginité est toujours sacrée, mais la sexualité des jeunes Algériens s’adapte à ce sacro-saint principe pour permettre une réelle exploration de la volupté. Une autre réalité qu’un étranger aura toujours du mal à comprendre. Dans les dikis, nos jeunes réinventent leur sexualité, donnent vie à leurs désirs, recherchent leur plaisir et concrétisent leurs fantasmes. Tout cela dans un univers social clos, secret et codifi é pour que les adultes moralisateurs et adeptes du conservatisme ambiant ne puissent guère mettre la main sur ces “harragas de l’amour” [migrants clandestins de l’amour].

Sans diki, sans cachette, sans plan des sous-sols amoureux de nos villes, nos jeunes ne peuvent pas s’aimer. Ainsi,

pour le zawali [un pauvre malheureux], privé de mo -yens, et par défi nition de diki , l ’amour

demeure un fan-tasme lointain. On reluque les

fi lles sur Internet, on drague dans la rue et on espère qu’un jour la chance nous sourie ! Une vie faite à longueur de journée

de frustration sociale puisque le mariage est désormais synonyme

d’aisance fi nancière que l’on acquiert uniquement grâce à un emploi

généreusement rémunéré. Une autre chance qui ne s’off re pas à tous les jeunes Algériens.

Inégalité amoureuse. Des jeunes qui ne sont pas tous logés à la même enseigne puisque les fi ls et

fi lles de nouveaux riches, dirigeants de l’Etat, héritiers des rentiers du

système, vivent leurs amours sans aucun complexe. Oui, cette

nomenklatura n’est pas menacée par les campagnes répétitives des salafi stes et autres fanatiques qui veulent fermer les bars et chasser

la mixité des cafés et restaurants. Ces jeunes-là s’aiment librement dans les

bungalows du Club des pins ou aux abords des piscines du Hilton et du Sheraton. Ces endroits ne sont pas discrets. Là-bas, les fi lles s’habillent en maillot deux pièces, en minijupe ou en jean moulant. Les garçons exhibent leurs voitures rutilantes et leurs montres suisses pour emmener leur copine en soirée. Les dikis de ces jeunes sont des villas et des appartements situés dans les quartiers résidentiels surveillés et protégés par les barrages de la police.

Oui, l’Algérie subit la frustration sexuelle, mais aussi l’inégalité amoureuse. L’amour est accessible aux riches et interdit aux pauvres. En attendant que la société s’ouvre et que le pays cesse de diaboliser le sentiment amoureux et le désir sexuel, des milliers de jeunes Algériens poursuivent cette interminable quête : chercher un diki, un endroit discret pour jouir du droit d’aimer…

—Abdou SemmarPublié le 28 octobre

ARCHIVES courrierinternational.com

“Femme, ta place est à la maison”, le témoignage, dans Algérie-Focus, d’une jeune femme qui se fait harceler dans les rues et dans le métro d’Alger (CI n° 1248, du 2 octobre 2014).

10.

Page 11: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

n° 2 - DE GAULLEDu rebelle à l’homme d’EtatPréface de Bertrand Le Gendre

Le Monde et La Libre vous proposent de découvrir 20 ouvrages sur 20 hommes d’Etat, hommes de pensée et d’action, qui ont façonné le monde où nous vivons. Cette série de biographies, s’appuie sur une sélection d’articles d’une exceptionnelle richesse, sur l’expertise des grandes signatures du Monde, montre comment se sont forgés ces grands destins et comment ils continuent d’influer sur l’actualité. De précieuses synthèses pour les amateurs d’histoire, les lycéens et les étudiants.

En vente tous les 15 jours, le vendredi en librairie

Le 28 novembre,n° 3 - STALINELe tsar communiste

Préface de Daniel Vernet

CHANGÉ LE MONDEILS ONT

Les grands hommes du XXe siècle par les grandes signatures du Monde

VOUS SOUHAITEZ ACQUÉRIR CES BIOGRAPHIES ?

· Rendez-vous chez votre libraire.

· Commandez-les auprès de La Libre (les volumes seront livrés par colis de 5 exemplaires) :

Je souhaite commander par lot de 10 volumes * :65 € Tarif exclusif réservé aux abonnés (frais de port offerts + réduction de 3%) 75 € Tarif pour les non abonnés

Je souhaite commander la collection complète, soit 20 volumes à :120 € Tarif exclusif réservé aux abonnés (frais de port offerts + réduction de 10%)140 € Tarif pour les non abonnés

• Faites un virement sécurisé en ligne sur www.lalibre.be/action/changerlemonde• Faites un virement bancaire correspondant au montant du produit de votre choix sur le compte

BE 95 310180252358 avec la communication CHANGER LE MONDE + numéro d’abonné pour les abonnés

P R É S E N T E

DP

6€ *,99

En vente en librairie

01 Winston ChurchillPréface : Jean-Pierre Langellier Vendredi 31 octobre 2014

02 Charles de GaullePréface : Bertrand Le Gendre Vendredi 14 novembre 2014

03 Joseph StalinePréface : Daniel Vernet Vendredi 28 novembre 2014

04 Mao ZedongPréface : Philippe Paquet Vendredi 12 décembre 2014

05 David Ben GourionPréface : Jean-Pierre Langellier Vendredi 26 décembre 2014

06 Gamal Abdel NasserPréface : Robert Solé Vendredi 9 janvier 2015

07 GandhiPréface : Frédéric Bobin Vendredi 23 janvier 2015

08 John Fitzgerald KennedyPréface : Bertrand Le Gendre Vendredi 6 février 2015

09 Fidel CastroPréface : Alain Abellard Vendredi 20 février 2015

10 Martin Luther KingPréface : Patrick Jarreau Vendredi 6 mars 2015

11 Hô Chi MinhPréface : Jean-Claude Pomonti Vendredi 20 mars 2015

12 Jean Paul IIPréface : Henri Tincq Vendredi 3 avril 2015

13 Yasser ArafatPréface : Frédéric Fritscher Vendredi 17 avril 2015

14 Lech WalesaPréface : Vincent Giret Jeudi 30 avril 2015

15 Léopold Sédar SenghorPréface : Yann Plougastel Vendredi 15 mai 2015

16 Ronald ReaganPréface : Serge Marti Vendredi 29 mai 2015

17 Margaret ThatcherPréface : Jean-Pierre Langellier Vendredi 12 juin 2015

18 Mikhaïl GorbatchevPréface : Daniel Vernet Vendredi 26 juin 2015

19 François MitterrandPréface : Michel Noblecourt Vendredi 10 juillet 2015

20 Nelson MandelaPréface : Frédéric Fritscher Vendredi 24 juillet 2015

Chaque volume de la collection est vendu au prix de 6,99 €, sauf le n° 1, offre de lancement au prix de 3,99 €. Offre réservée à la Belgique, sans obligation d’achat de La Libre

et dans la limite des stocks disponibles. Visuels non contractuels. Société éditrice du Monde, 433 891 850 RCS Paris.e

* Si vous commandez 10 volumes : préciser si volumes 1 à 10 ou 10 à 20

Page 12: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014 Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Mais Téhéran a renoncé à ses habitudes et organise à présent des discussions officielles avec des pays qu’il considère pourtant comme hostiles, en particulier les Etats-Unis. Ses motifs sont liés à des raisons internes mais aussi extérieures. Toutes les parties veulent trouver une solution au blocage [dû au programme nucléaire iranien]. Une date butoir a même été fixée au 24 novembre [les négociations ont été prolongées jusqu’à cette date]. Un accord sur ce programme pourrait avoir des conséquences géopolitiques de grande ampleur qui propulseraient l’Iran vers la modernité.

Pour l’instant, dans la majeure partie du monde démocratique, l’Iran n’a pas bonne presse. Des choses terribles ont été commises au nom de la révolution. Certains dirigeants ont nié l’existence de la Shoah. Ils ont jeté en prison et torturé des citoyens qui osaient les remettre en question trop ouvertement. Or, aujourd’hui, la société iranienne a beaucoup changé.

Le pays ne bouillonne plus de haine et de volonté d’en découdre. C’est le temps des désillusions et des renoncements de la maturité.

L’Iran est en pleine mutation. Le régime a beau continuer à se méfier de l’Occident, la ferveur révolutionnaire a disparu. Le puritanisme ne peut pas lutter contre la mondialisation. L’Iran est prêt à tout pour vendre son pétrole, car partout, une fois parvenus au pouvoir, les révolutionnaires cherchent la reconnaissance de pays tiers et, à l’heure de la mondialisation, cela signifie tisser des liens avec les grands acteurs du commerce mondial.

Les enfants des dirigeants iraniens ont été les premiers à s’engager dans cette voie. Les privilèges, pour eux, consistent à avoir accès à l’éducation occidentale et aux objets de consommation des marchés asiatiques. Même les plus radicaux permettent à leurs enfants de voyager à l’étranger. Les enfants de l’ayatollah Khomeyni [fondateur de la république islamique] sont tous sur Instagram et ont adopté les mœurs occidentales. Sept de ses quinze petits-enfants ont ouvertement critiqué le régime. Une bonne partie des étudiants qui avaient pris les diplomates américains en otages [à Téhéran en 1979] sont devenus des réformistes et souhaitent se rapprocher de l’Occident. Ebrahim Asgharzadeh, qui était à l’époque l’un de leurs porte-parole, déclare : “Je n’entreprends plus d’actions radicales et je suis convaincu que des réformes progressives durent plus longtemps que des changements radicaux.”

Stabilité. La flamme de la révolution s’éteint peu à peu. Depuis leur tentative avortée, en 2009, de se débarrasser d’un gouvernement [du président conservateur Ahmadinejad] qu’ils considéraient comme illégitime pour avoir truqué les élections, les réformistes iraniens sont las. Les manifestations ont été réprimées dans le sang, ce qui n’a pas manqué de rappeler les années sombres qui ont suivi la révolution. Les conservateurs, de leur côté, considèrent désormais la révolution comme une menace pour leurs intérêts à l’étranger ; les régimes qu’ils encourageaient en Irak et en Syrie se battent contre des rébellions [islamistes] qui ne sont pas sans rappeler leur propre révolution de 1979. “Les effets secondaires des “printemps arabes” font peur à tout le monde”, explique un diplomate américain en poste à Téhéran. “L’Iran est désormais un bastion de stabilité. La question de la légitimité du régime est réglée.”

Et si les plus radicaux vilipendent encore “l’occidentoxication”, dans leur vie quotidienne, l’influence de l’Occident est partout : dans les gadgets, les jeux vidéos, les critères de beauté, les relations entre hommes et femmes et j’en passe. La culture iranienne traditionnelle n’a pas disparu, mais la société traditionnelle envisagée par les gardiens de la révolution est en net recul.

—Oliver AugustPublié le 1er novembre

Iran. La flamme de la révolution s’éteint

Les Iraniens ont perdu leurs illusions. Ils espèrent un accord sur le nucléaire et la levée des sanctions occidentales pour pouvoir s’adonner aux plaisirs de la consommation.

—The Economist (extraits) Londres

Des montagnes du Caucase aux rivages de l’océan Indien, les Iraniens ont les yeux rivés sur leur gouvernement,

qui cherche à négocier avec les puissances étrangères la levée des sanctions commer-ciales imposées au pays. En me désignant un coin de son bureau, le propriétaire d’une conserverie en difficulté me dit : “Vous voyez ce poste de télé ? Je le regarde sans arrêt en espérant entendre la nouvelle d’une levée des sanctions.”

L’Iran affirme que son programme nucléaire n’est consacré qu’à des fins pacifiques. L’Occident, non sans raison, craint que l’Iran ne cherche au contraire à fabriquer l’arme atomique. Et dans l’espoir d’empêcher une course à l’armement nucléaire au Moyen-Orient, l’Amérique et ses alliés imposent leurs sanctions. Les exportations de pétrole du pays ont été réduites à la portion congrue.Elles ne représentent plus que 50 % de leur niveau précédent.

moyen-orient

A fin de stopper la forte chute du prix des femmes esclaves, qui – du fait de la baisse des taxes perçues –

porte atteinte aux revenus de l’Etat isla-mique (Daech), l’organisation djihadiste a décidé de reprendre les choses en main et de ne plus laisser le jeu de l’offre et de la demande fixer la valeur de la femme esclave, révèle le site panarabe Elaph. Un document intitulé “Le prix de vente des butins”, publié par l’Etat islamique, pro-pose différents montants pour les femmes yézidies et chrétiennes, avec l’âge comme critère principal. Et toute personne qui ne respecte pas le barème fixé par l’Etat islamique sera condamnée à mort, aver-tit l’organisation.

Les enfants à 200 euros. On apprend ainsi qu’une femme yézidie ou chrétienne peut être vendue environ 50 euros ; celle qui a de 20 à 30 ans environ 68 euros ; de 10 et 20 ans, le prix monte à environ 101 euros ; enfin, pour les femmes de 40 à 50 ans, il s’effondre à 33 euros. Les enfants entre 1 et 9 ans sont aussi en vente, à environ 200 euros. Pour ses administrés, Daech a limité à trois les “butins” qu’il est possible d’acquérir. Par contre, pour les étrangers originaires des pays musulmans sunnites, Turcs, Syriens ou Arabes des pays du Golfe, aucune limite n’a été fixée.

Cet ignoble document suscite colère, honte et dégoût sur les réseaux sociaux arabes. Les lecteurs du site Elaph, scandalisés, se partagent entre ceux qui voit en Daech un dévoiement du message coranique et ceux qui accuse l’islam tel qu’il est enseigné actuellement d’être responsable de ces dérives.

Pour le chrétien irakien Louay Samir, “ce scandale est une trace de honte indélébile sur le front de l’humanité qui accepte le sort réservé aux femmes, pourtant censées être respectées dans toutes les religions. Dans quel monde vivons-nous ? Des femmes sont réduites en esclavage, vendues comme des moutons, livrées au djihad sexuel, et personne autour de nous ne réagit !”

—Courrier international

SYRIE/IRAK

Daech fixe le prix des femmesCombien coûte une femme yézidie ou chrétienne sur le marché des esclaves ? Le mouvement djihadiste veut contrôler ces “transactions” soumises à des taxes juteuses.

↙ Dessin de Schrank paru dans The Economist, Londres.

12.

Page 13: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236
Page 14: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

MOYEN-ORIENT.

4e volet d’une série de chroniques consacrées aux débats qui agitent le monde musulman depuis l’émergence de l’Etat islamique

“Laïcité”, ce mot qui fâche

Le monde musulman refuse la laïcité sous prétexte qu’elle est un produit occidental, alors que tous les produits qu’il consomme viennent de l’Occident.

—Al-Quds Al-Arabi (extraits)Londres

J ’ai écrit un précédent article en sachant que mes mots allaient m’être renvoyés déformés. Depuis

longtemps, nous alimentons le tourbillon dans lequel nous nous agitons alors qu’en réalité nous faisons du surplace. J’y ai défendu la laïcité en disant que c’était l’unique solution pour nos conflits poli-tiques et surtout pour le confessionna-lisme qui nous dresse les uns contre les autres. Dans ce même article, j’ai égale-ment écrit que le prétexte que beaucoup cherchent à nous vendre et selon lequel “la laïcité a des fondements occidentaux” n’a aucun sens. Car même si la laïcité pro-vient d’un espace étranger, elle n’en reste pas moins la seule solution.

Les réactions d’amis et de lecteurs n’ont pas tardé. Comme il fallait s’y attendre, on m’a sorti le sempiternel argument : la laïcité est un produit de l’Occident et nous ne voulons pas trouver notre salut dans ce type de produit ! Peu importe si nous ne mangeons, ne buvons, ne nous déplaçons, ne nous habillons et ne res-pirons qu’à l’occidentale. Peu importe notre dépendance génétique à l’égard de la matrice occidentale. L’important est de nous préserver de leur laïcité. Car c’est elle, et elle seule, le diable.

L’étonnant est que personne ne nous ait présenté un autre modèle qui puisse convenir à notre physionomie arabe. Un de mes amis était arrivé à la conclusion que la solution consiste à séparer la politique de la religion. Qu’on donne à ce concept n’importe quel nom, m’a-t-il dit, mais sur-tout pas laïcité ! Il suffit de changer l’éti-quette pour que la robe s’adapte à notre physionomie arabe et pour que nos “spé-cificités” arrivent à entrer dans le moule.

Ce que la mentalité arabe ne parvient pas à saisir est que toute idée est la résultante de la sollicitude des humains et de longs débats philosophiques à travers les âges.

Averroès [philosophe arabe andalou du XIIe siècle] a été en réalité un des précur-seurs de la pensée laïque, à une époque où l’Europe était ravagée par des conflits reli-gieux. Et beaucoup d’Européens étaient hostiles à sa profonde pensée philoso-phique, notamment en ce qui concerne l’égalité entre les religions, les unes et les autres n’étant que différentes manières d’atteindre Dieu. Ainsi donc, le vrai début

de la laïcité était peut-être constitutivement arabe et philosophiquement musulman. Est-ce que pour autant les critiques [de l’Occident] vont s’accommoder de cet héri-tage d’Averroès ? Est-ce que pour autant ils accepteront cette laïcité pour arrêter les flots de sang qui coulent en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et ailleurs ? Y a-t-il une meilleure solution que de sépa-rer la religion de la politique, en assurant à tous – croyants et non-croyants – les mêmes droits ?

L’objectif de cet article n’est pas d’ex-pliquer les principes de la laïcité, ni d’en vanter les mérites. Nous les connaissons tous à travers nos voyages – ou notre émi-gration – dans les pays laïques de l’Oc-cident, où nous sommes traités d’une manière nettement meilleure que dans les pays musulmans. Et nous ne respirons librement que lorsque nous quittons les cachots de nos pays religieux.

Ne devrions-nous pas être un peu plus modestes [dans nos diatribes antiocciden-tales] alors que même pour nous moucher nous nous servons de papier occiden-tal ? Ne devrions-nous pas examiner la substance de la philosophie laïque plutôt que ses origines, ses effets plutôt que sa généalogie ?

Elle n’est pas convenable, dites-vous ? Elle n’est pas de votre rang ? [Bon, ne la prenez donc pas pour épouse.] Prenez-la comme maîtresse et vous verrez bien com-ment votre vie s’en trouvera changée.

—Ibtihal Al-KhatibPublié le 9 octobre

L’ISLAM EN DÉBAT

de nos frontières par la seule force de notre unanimité ? [En 2005, après l’assassinat attribué à la Syrie de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri.] A quel moment avons-nous renoncé à nos rêves, à nos valeurs, à notre désir ardent d’accéder à un Etat de droit ? A quel moment les habitants de Beyrouth sont-ils devenus indifférents au sort de Tripoli [deuxième ville du Liban] au point de réduire cette ville, où vivent des personnes magnifiques de courage, d’authenticité et de générosité, des gens

cultivés, ouverts, tolérants, à un fief islamiste détaché du pays comme une île à la dérive ? De plus en plus étroites, nos vies s’étiolent dans les venelles de nos quartiers et se perdent dans un quotidien sans éclat. Nous n’avons plus de projets, nous n’avons plus que des souvenirs. Hier, si violent qu’il fût, nous semble plus attrayant que demain. Dans ce présent étriqué, le cœur se rabougrit. Des témoins ont vu, il y a quelques jours, dans une rue très fréquentée de Dekouané [banlieue de Beyrouth], un Libanais s’en prendre à un balayeur immigré, cheveux blancs et larmes aux yeux. Il l’a obligé à s’agenouiller devant lui. La laideur de notre environnement contamine nos âmes. Nous n’aimons pas ce que nous sommes devenus.

—Fifi Abou DibPublié le 30 octobre

—L’Orient-Le Jour (extraits)Beyrouth

Qui bloque l’élection présidentielle [le Liban est sans président depuis plusieurs mois] ? Qu’est-ce qui a

déclenché les événements de Tripoli [où des combats meurtriers opposent l’armée liba-naise à des groupes salafistes] ? Qui protège et téléguide les islamistes (également qua-lifiés de “terroristes”) dans cette ville ? Où sont-ils d’ailleurs partis, par quel canal ont-ils été évacués après que l’armée a ratissé les quartiers historiques dans lesquels ils étaient infiltrés ? Pourquoi avons-nous le sentiment qu’ils sont gardés sous le coude pour de prochaines enchères ? Qui sait com-ment se dénouera ce barnum qui nous vaut, au quotidien, des successions de messages d’alerte du genre : “Les islamistes menacent d’égorger le soldat Untel si leurs exigences ne sont pas satisfaites” ; “Les ulémas inter-viennent auprès des islamistes” ; “L’émissaire qatari prend langue avec les preneurs d’otages (et sort son chéquier ?)”… Et ça recommence, dans le même ordre ou presque. Entre-temps, d’autres soldats meurent dans l’in-différence, sans doute parce qu’ils ne jouent pas dans le bon film. Clientélisme, corrup-tion, méthodes mafieuses et déliquescence ont atteint des sommets. Le mal gagne les universités, qui, elles aussi, semblent renon-cer à organiser des élections estudiantines cette année. Toute forme d’expression démo-cratique semble gelée. En attendant quoi ?

Comment en sommes-nous arrivés là, nous autres gens ordinaires qui, il y a quelques années seulement, avons réussi à refouler 30 000 à 40 000 soldats syriens hors

LIBAN

Un pays sans projetLe clientélisme et la corruption atteignent des sommets, pendant que les milices islamistes sèment la violence et la terreur.

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

La laideur de notre environnement contamine nos âmes. Nous n’aimons pas ce que nous sommes devenus

↓ Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

↓ Dessin de Tiounine paru dans Kommersant, Moscou.

14.

Page 15: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236
Page 16: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Pakistan. A l’école de la haine et du djihadDepuis 1958, l’islamisation est à l’œuvre dans l’armée et l’éducation. Avec pour conséquence la montée de l’extrémisme et de la xénophobie.

asiePlusieurs générations abreuvées de révisionnisme, de mythes et de mensonges

—Daily Times Lahore

Le terrorisme djihadiste a encore frappé. Soixante victimes innocentes ont été tuées au poste-frontière de

Wagah, près de Lahore, le 2 novembre. Deux avatars ou factions dissidentes du Tehrik-i-Taliban Pakistan [TTP, Mouvement des talibans du Pakistan] ont immédiatement revendiqué ces actes de haine, tandis qu’une troisième entité accusait l’Inde d’avoir fomenté cet attentat. L’ancien directeur général des services secrets pakistanais (l’ISI), le général à la retraite Hamid Gul,

élément incontournable du gratin “religio-djihadiste”, s’est immédiatement rendu sur les plateaux de télé pour désigner l’Inde et ses services secrets (R & AW). L’ancien général n’a évidemment produit aucune preuve concrète de ce qu’il avançait, mais il a parfaitement réussi à semer le trouble dans l’opinion publique.

Or le moment ne pouvait être plus mal choisi. Le pays n’a jamais eu autant besoin de cohésion pour condamner le terrorisme et lutter contre lui. Que ce soit le massacre de chrétiens dans une église à Peshawar, les persécutions de la minorité ethnique

hazara ou des Zikris [minorité musulmane] et des nationalistes du Baloutchistan, ou encore l’attentat qui a failli coûter la vie à la jeune Prix Nobel de la paix Malala Yousafzai, c’est systématiquement une puissance étrangère insaisissable qui est mise en cause. Alors que ces temps diffi-ciles devraient inciter à la réflexion, des individus comme le général Hamid Gul pré-fèrent désigner une entité indiscernable et intangible, et donc impossible à combattre. Et ça marche à tous les coups. Ces per-sonnalités qui sèment la confusion inter-viennent toujours dans le débat public au moment où il faudrait au contraire s’unir pour lutter contre le terrorisme.

Militaires islamisés. On raconte que, quelques années après le départ à la retraite du général Hamid Gul, un homme poli-tique lui aurait demandé : “Général, quand allez-vous enfin partir à la retraite ?” On peut en effet se demander quand ce haut gradé acquis à la cause djihadiste va enfin se décider à raccrocher. Les postures et les déclarations de ces généraux à la retraite, qui n’affichent que mépris pour les acteurs de la société civile et les qualifient de traîtres, permettent de voir à quel point leurs divagations ont pris des proportions inquiétantes. Et cette foule de militaires islamisés, des généraux aux simples sol-dats, est convaincue que l’Inde cherche à démanteler le Pakistan et qu’eux seuls et leurs amis djihadistes, avec l’aide de Dieu, pourront empêcher ce désastre imminent. Contrairement à ce que tout le monde croit, ce n’est pas le général Zia ul-Haq [qui a dirigé le pays de 1977 à 1988] qui est à l’origine de l’islamisation des ser-vices de sécurité et de la société, mais le général Ayub Khan [à la tête du Pakistan de 1958 à 1969].

L’armée pakistanaise a toujours consi-déré l’Inde comme une puissance hégémo-nique déterminée à détruire la “citadelle de l’islam”, même quand l’Inde de Nehru [Premier ministre de 1947 à 1964] suivait clairement un chemin pacifiste. L’objectif des services de sécurité n’était pas de se hisser au niveau de l’Inde, mais bien de la rabaisser, pour ne pas dire la détruire. Malheureusement, étant donné les énormes disparités de taille et de ressources entre les deux pays, le Pakistan n’allait jamais voir son rêve se réaliser. Et c’est pour cette raison qu’Ayub Khan a décidé d’injecter dans la société une dose massive d’idéolo-gie maison, un cocktail détonant à base de religion, de mythes, de pensée magique et de mensonges éhontés. Ayub Khan n’a pas seulement muselé la liberté de la presse, il a également fait main basse sur le système éducatif, et ce une bonne vingtaine d’an-nées avant l’arrivée du général Zia ul-Haq.

Les matières comme l’histoire (encore enseignée de manière relativement pro-gressiste à l’époque), l’éducation civique et la géographie ont été regroupées sous un seul intitulé, les “études sociales”. Et,

sous la dictature d’Ayub Khan, financée par l’Occident, l’étude des religions est deve-nue l’“étude de l’islam”. Après son coup d’Etat de 1977, Zia ul-Haq a franchi une étape supplémentaire en rebaptisant les études sociales “études pakistanaises”. Et ces deux matières (études pakistanaises et étude de l’islam) devaient être enseignées jusqu’au baccalauréat, et même dans les universités professionnelles. Il a également rendu l’arabe obligatoire en primaire et au collège. Plusieurs générations ont donc été abreuvées de ce mélange malsain de révi-sionnisme, de mythes, de semi-vérités et de mensonges scandaleux, non dans les madrasas [écoles coraniques] mais bien dans des écoles laïques. Cette confusion des genres a eu des répercussions dramatiques sur les facultés critiques des étudiants, et notamment sur leur capacité à analyser objectivement les faits. L’engouement des Pakistanais pour les théories du complot en est l’illustration flagrante.

Propagande. Mais la dure réalité nous rattrape, car les succès et les pseudo-vic-toires militaires remportées contre “les usuriers hindous”, comme les qualifient les manuels scolaires, sont inexistants. Et il est beaucoup plus facile d’imputer les catastrophes dont nous sommes les seuls responsables aux “fourbes hindous”. Ces der-nières années, les Juifs, les Américains, les Afghans et les Iraniens sont venus s’ajouter à la longue liste de ceux qui “complotent” contre le Pays des purs. Notre capacité de réflexion a atteint un seuil tellement cri-tique que personne ne se demande pour-quoi ces conspirateurs venant de pays à l’histoire si riche et si ancienne pourraient avoir peur d’un petit pays qui existe seule-ment depuis soixante-sept ans et qui pour l’instant n’a pas apporté grand-chose à l’hu-manité. Cette réécriture de l’Histoire est intolérable et cette propagande cynique frôle le fascisme.

Le Pakistan doit certes combattre le terrorisme et empêcher que des atten-tats comme celui de Wagah ne se repro-duisent, mais, tant qu’il ne choisira pas de s’attaquer à l’intolérance, à la haine, à la xénophobie, au patriotisme militant et au dogme djihadiste professés dans ses écoles, le pays risque de s’enfoncer encore un peu plus dans les abîmes de l’extrémisme. Les crimes perpétrés contre l’éducation sont plus dangereux que les attaques terro-ristes ; et il faut absolument agir, sinon nous aurons encore une nouvelle généra-tion acquise au djihadisme.

—Mohammad TaqiPublié le 6 novembre

↙ Dessin de Schot, Pays-Bas.

16.

Page 17: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

ASIE.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

O D I N G .CO M

L’ANTIGUIDEDES ACCORDS

LIQUIDES

SS

UUPP P L É M E N

T

VINS

GUIDE FRANCEPARIS 2015

800 RESTAURANTS

ÉAZIMUTÉSESTAURANT

QUAND LA CUISINEQUAND LA CUISINEND

DEVIENT D FOLLE…

9,90 € **MAIS UNE SEULEFOIS PAR AN

« UN SUPER POUVOIR IMPLIQUE

DE SUPER RESPONSABILITÉSQ

** ÉDITION CLASSIQUE* LE CUISINIER MASQUÉ

quittent le pays si les autorités religieuses continuent à persécuter ceux dont les opinions leur paraissent “déviantes”. Les autorités islamiques sont devenues progres-sivement plus rigides dans leur interpréta-tion et leur application de la charia. Elles ont tiré à boulets rouges sur une manifestation récente où certains musulmans caressaient des chiens, ce qui en Malaisie est jugé impur. L’organisateur a même reçu des menaces de mort. Le 28 octobre, le Conseil national de la fatwa a publié un décret interdisant aux musulmans de “célébrer” Halloween, qu’il a qualifi é de fête chrétienne des morts.

Au mois d’octobre, le Kelantan [Etat du nord-est, situé à la frontière avec la Thaïlande] a commencé à faire appliquer un arrêté en vertu duquel les hommes musul-mans qui n’ont pas assisté aux prières du vendredi trois fois de suite encourent soit une amende pouvant aller jusqu’à 1 000 ring-gits [240 euros], soit une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison, ou bien les deux. Une fête de la bière organisée sur le modèle de l’Oktoberfest de Munich dans l’Etat du Selangor [centre-ouest de la péninsule] a aussi déclenché la colère de certains groupes musulmans au début du mois, alors même que cet événement promotionnel était expressément réservé aux non-musulmans.

Rigidités. L’intellectuel musulman Kassim Ahmad est persécuté par les autorités isla-miques pour avoir recommandé à ses core-ligionnaires, dit-on, de ne suivre que les prescriptions du Coran, et non celles des hadiths [recueil des faits et paroles attri-bués au Prophète]. Quant à savoir ce qu’est la prescription offi cielle, les points de vue divergent. La Malaisie a également mis hors la loi le chiisme, qu’elle considère comme une déviation par rapport à la doctrine sun-nite [très majoritaire] telle qu’elle est pra-tiquée offi ciellement ici.

De plus, les autorités religieuses ma -lai siennes mettent fréquemment en garde contre les idées libérales. Ainsi, la semaine dernière, le ministère [fédéral] du Développement islamique (Jakim) rap-pelait aux musulmans lors de son sermon du vendredi que ces idées, de même que le pluralisme, représentaient une menace pour l’unité des musulmans malais, car elles pourraient aff aiblir leur foi. “Ce sont

—The Malay Mail Online Kuala Lumpur

Les Malais pourraient être les pro-chains, après les Chinois de Malaisie, à devoir quitter leur pays afi n d’échap-

per à la montée du fondamentalisme reli-gieux et de l’autoritarisme. Un fl éau qui ne laisse guère de place à la liberté de pensée et à la contestation, selon certains militants et observateurs. Tandis que la Malaisie se targue d’être un pays musulman modéré, l’évolution récente témoigne d’une concep-tion de l’islam de plus en plus conservatrice et de plus en plus extrémiste, intolérante envers les cultures et les pratiques qui n’ont pas l’aval des autorités religieuses.

Azrul Mohd Khalib, président de l’asso-ciation Malaysians for Malaysia, a souligné que les autorités religieuses présentaient les non-musulmans comme des ennemis de l’islam dans leurs sermons et qu’elles dénigraient certains coreligionnaires en les qualifi ant de libéraux, de pluralistes ou d’humanistes, au grand désarroi des musul-mans [qui constituent 61 % de la popula-tion]. “Les musulmans qui pensent librement sont marginalisés et persécutés”, déclarait le 29 octobre Azrul. “Cela suscite un climat de peur, de suspicion, de préjugés, a ajouté le mili-tant. Les musulmans qui n’adhèrent pas à ce système de pensée ne se sentent plus acceptés ou même tolérés dans notre pays.”

A en croire Zaid Ibrahim, ancien ministre des Aff aires juridiques, on peut s’attendre à ce que davantage de musulmans malais

MALAISIE

L’intégrismeou l’exilDe plus en plus de musulmans modérés quittent leur pays afi n d’échapper au conservatisme religieux et politique.

ces mêmes idées libérales, qu’on condamne et dont on persécute les défenseurs, qui en réalité ont fait de l’islam une grande religion huma-niste, souligne Azrul. L’Histoire en témoigne. Nos autorités religieuses s’égarent et, comme le joueur de fl ûte de Hamelin, elles entraînent les autres hors du droit chemin.”

Exclusion. La militante Marina Mahathir [fi lle de l’ancien Premier ministre Mohamad Mahathir] affi rme connaître plusieurs Malais qui disent ne plus vouloir rentrer dans leur pays. “Ce n’est pas pour des raisons écono-miques”, explique Marina au Malay Mail Online, “mais simplement parce qu’ils ont le sentiment que le climat ici est devenu si oppres-sant qu’il n’est plus possible de mener une vie paisible de citoyens.” Et d’ajouter : “On ne sait jamais si quelque chose de parfaitement acceptable ne va pas devenir haram [illicite] du jour au lendemain.”

Saifuddin Abdullah, président du Mouvement mondial des modérés [GMM, fondé en 2010 en Malaisie pour rassembler les musulmans modérés], rappelle que dans les années 1930 la plupart des dirigeants et intellectuels des “kaum muda” (jeunes modé-rés) se réfugiaient à Penang et à Singapour. “Tout simplement, les kaum muda exerçaient leur liberté intellectuelle pour interpréter l’islam

dans un sens plus progressiste, poursuit l’an-cien ministre adjoint. L’islam permet cela, on peut en donner diff érentes interprétations. Et il encourage le dialogue entre ceux qui ne par-tagent pas les mêmes opinions, il n’incite pas à les persécuter.”

Le Dr Lim Teck Ghee, directeur du think tank Center for Policy Initiatives (CPI), estime que les Malais de Malaisie suivent la tendance d’autres musulmans en terre d’islam, qui s’exilent vers l’Australie, les Etats-Unis ou les pays de l’Union euro-péenne, afi n d’échapper au fondamenta-lisme religieux et à l’autoritarisme politique qui règnent dans leur pays. “On peut sup-poser que les jeunes Malais instruits s’in-quiètent de la montée de l’intolérance religieuse et que c’est le principal facteur qui les pousse à partir, note cet analyste politique. Pour les Malaisiens, l’émigration n’a jamais eu pour seul but l’amélioration de leur niveau de vie. Elle a toujours été associée à des fac-teurs socio-économiques et politiques. Les non-Malais ont traditionnellement été en butte à une discrimination sociale et reli-gieuse. Maintenant, c’est au tour de nombreux Malais d’éprouver un sentiment comparable d’exclusion et d’injustice.”

—Boo Su-LynPublié le 30 octobre

Emigration●●● Selon un rapport de la Banque mondiale paru en 2011, 1 million de Malaisiens vivent à l’étranger. Un chiff re qui a été multiplié par quatre en trente ans. L’année dernière, 308 834 Malaisiens hautement qualifi és sont partis pour l’étranger. Sur ce nombre, 47,2 % se sont expatriés à Singapour, 18,2 % en Australie, 12,2 % aux Etats-Unis et les autres dans des pays comme le Royaume-Uni ou le Canada.

↙ Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

17

Page 18: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Le dernier sondage Washington Post-ABC News place Hillary loin devant ses potentiels adversaires républicains : 51 % des personnes interrogées estiment qu’elle ferait une bonne présidente, contre 41 % qui pensent le contraire. Seuls 8 % des sondés se sont déclarés sans opinion. Les républicains, eux, s’en sortent moins bien. A propos de l’ancien gouverneur de Floride Jeb Bush, lui aussi can-didat potentiel pour 2016, 26 % des sondés pensent qu’il ferait un bon président, 51 % estiment qu’il en serait un mauvais et 23 % ne se prononcent pas. Pour Rand Paul, les chiff res sont respectivement de 21 %, 44 % et 34 %.

Centrisme. Beaucoup de démo-crates souhaitent que Hillary évite encore pendant quelques mois d’en-trer dans le vif de la présidentielle. Certains conseillers, toutefois, la poussent à annoncer sa candida-ture le plus rapidement possible. Mais Hillary ne semble pas pres-sée. Elle a déclaré qu’elle ne déci-derait qu’après le 1er janvier 2015 si elle se portait candidate. Pendant sa campagne de soutien aux candi-dats démocrates cet automne, elle n’a presque rien dit de ses quatre années de secrétaire d’Etat, peut-être pour éviter de rappeler à ses électeurs ses tendances va-t-en guerre en politique étrangère. La saison postélectorale va lui per-mettre de s’attaquer plus direc-tement aux questions de sécurité nationale et de se démarquer plus nettement d’Obama sur ce terrain. Elle a exprimé publiquement son désaccord avec le président qui, pendant son premier mandat, ne souhaitait pas armer les rebelles syriens et elle devrait exprimer d’autres critiques si elle se présente.

Tout cela placerait une candida-ture de Hillary Clinton sur le terrain centriste, autour de thèmes comme le pouvoir d’achat des ménages, la sécurité de l’emploi, le salaire des femmes et l’égalité en matière de soins de santé, tout en projetant une image musclée de la puissance américaine sur la scène interna-tionale. “Les problèmes qui seront abordés lors de la prochaine élec-tion semblent taillés sur mesure pour Hillary Clinton, résume Bill Burton, ancien stratège d’Obama. Etant donné son expérience en matière de politique étrangère et de sécurité nationale, mais aussi d’économie, je pense qu’elle est particulièrement bien placée pour 2016.”

—Anne GearanPublié le 5 novembre

Etats-Unis. Et la grande gagnante est… Hillary Clinton !

amériques

—The Washington Post (extraits) Washington

La vague républicaine au Sénat pourrait être une bonne nouvelle pour au moins

une démocrate : Hillary Clinton. Cet automne, Mme Clinton a tra-vaillé dur pour soutenir son parti aux élections de mi-mandat – une campagne qui s’est soldée par un cuisant échec. Mais beaucoup de stratèges démocrates sont d’avis que le passage du Sénat sous contrôle républicain pourrait avoir un bon côté pour Hillary : cela lui per-mettra de mieux se défi nir alors qu’elle envisage de se présenter à

président, mais aussi pour Hillary”. Une défaite qui soulève également cette question : un autre candi-dat qu’Obama parviendra-t-il à réunir une telle coalition de jeunes et d’électeurs issus des minori-tés ? Il n’existe de fait aucun can-didat, pas même Hillary, qui soit susceptible de remporter autant de votes noirs et hispaniques qu’Obama en 2008 ou en 2012. Mais Hillary fera probablement mieux que lui auprès de l’électo-

rat blanc dans certains Etats et auprès des femmes. Les

démocrates espèrent que le nou-veau Sénat à majorité républi-caine ne tardera pas à agacer les électeurs en voulant en faire trop ou en aggravant la paralysie poli-tique de Washington. Selon les experts, cette situation avanta-gera avant tout Hillary.

Pendant la semaine qui a pré-cédé les élections du 4 novembre, Hillary a fait une tournée en faveur des candidats au Sénat dans plusieurs Etats, notam-ment dans l’Iowa et le New Hampshire, où auront lieu les pre-miers caucus et primaire de 2016. Dans l’Iowa, le candidat démo-crate a perdu, mais la réélection de Jeanne Shaheen dans le New Hampshire fait partie des rares bonnes nouvelles apprises par les démocrates lors des législatives.

Grand-mère. Comme elle l’a fait lors de tous les discours qu’elle a tenus pour les démocrates cette année, Hillary a relevé son inter-vention dans le New Hampshire de quelques anecdotes personnelles et de propos sur l’avenir. “Quand on regarde vingt, vingt-cinq ans en avant et que l’on pense : ‘à quoi res-semblera le pays quand elle entrera dans l’âge d’adulte ? à quoi ressem-blera le monde ?’ on se concentre sur ce qui est important”, a-t-elle déclaré en faisant référence à Charlotte, sa petite-fi lle [et fi lle de Chelsea Clinton], née le 26 sep-tembre. Elle et Bill Clinton ont été “élevés dans l’idée que, si l’on travaille dur, le rêve américain est à portée”, a-t-elle ajouté. “On ne devrait pas avoir besoin d’être le petit-fi ls d’un gouverneur, d’un sénateur, d’un ex-secrétaire d’Etat ou d’un ancien président pour croire que le rêve américain est possible.” Ces thèmes populistes du “tous ensemble” et ces promesses à la classe moyenne occuperont sans doute une place centrale dans sa campagne si elle se présente.

↓ “Oups ! Désolée !” Barack Obama et Hillary Clinton. Dessin de Hachfeld paru dans Neues Deutschland, Berlin.

Les démocrates ont beau avoir perdu les élections législatives de mi-mandat, cette déculottée pourrait profi ter à l’ex-première dame dans sa conquête de la Maison-Blanche.

la présidentielle de 2016. De fait, un Congrès à majorité républi-caine constitue un épouvantail pratique pour les démocrates et pour Mme Clinton, et il sera moins impératif pour Hillary de souligner ses diff érences avec le président Obama. De plus, l’actuel locataire de la Maison-Blanche sortant dimi-nué des élections, Hillary devient la personnalité démocrate la plus en vue. Le nouveau Sénat répu-blicain va probablement “passer beaucoup de temps à tenter de défaire certaines des avancées du gouver-nement Obama, estime le stratège démocrate Erik Smith. Cela serait fantastique pour Hillary car elle

pourrait présenter des arguments contre les républicains tout en se fai-sant bien voir de la base d’Obama.”

Deux ans avant la présidentielle de 2016, Hillary Clinton se trouve dans une position enviable mais précaire : elle est la prétendante la plus populaire. Mais, dans un premier temps, elle va devoir surmonter les répercussions de la défaite démocrate aux légis-latives. Le sénateur républicain du Kentucky, Rand Paul, qui sera vraisemblablement candidat du parti conservateur en 2016, a déclaré le lendemain des élec-tions que le résultat constituait “non seulement un désaveu pour le

18.

Page 19: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

AMÉRIQUES.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

FESTIVAL scène

migrant’ regards croisés sur les migrations

www.migrantscene.org

TERRE HISTORIQUE DE MIGRATIONS ET D’ÉCHANGES, L’EUROPE FERME SES FRONTIÈRES.En 2014, le festival Migrant’scène vous invite à découvrir les parcours de ceux qui se lancent, entre rêves et tourmentes, par choix ou par nécessité, sur les routes de l’Europe.

Plus de 200 évènements dans plus de 40 villes en FranceAGEN, ALENÇON, ALÈS, AMIENS, ANNONAY, AURILLAC, BÉZIERS, BLAYES-LES-MINES, BORDEAUX, CAYENNE, CERGY, CLERMONT-FERRAND, COLMAR, DIJON, ELANCOURT, FIGEAC, FOIX, GRENOBLE, LAMENTIN, LA ROCHE-SUR-YON, LE CHAMBON-SUR-LIGNON, LE CREUSOT, LILLE, LYON, MAUBEUGE, MAZAMET, MONTAUBAN, MONTPELLIER, NANTES, NEVERS, PARIS, ORLÉANS, PAU, RENNES, ROMANS, SAINT-AGRÈVE, SAINT-LAURENT-DU-MARONI, STRASBOURG, SOISSONS, TARBES, TOULOUSE, TOURCOING, VALENCE, VALENCIENNES, VANNES, VILLEURBANNE… 15 > 30 nov. 2014CO

NCE

PTIO

N G

RAPH

IQUE

POLY

SÉMIQ

UE

/ PH

OTO

GRAPH

IE V

ALI

N

UM

ÉROS

DE

LICE

NCE

S D’E

NTR

EPREN

EUR D

U S

PECT

ACL

E : 2

-107

0253

ET

3-10

7025

4

—La Nación Buenos Aires

Sur la frontière de tous les trafics, même l’amour coûte plus cher. “La fermeture nocturne du pont Simón

Bolívar, entre Cúcuta [Colombie] et San Antonio [Venezuela], nous complique énormément la vie”, se plaint amèrement Laury Sánchez, une avocate vénézuélienne de 24 ans qui entre-tient une relation avec un Colombien. “Voilà des barrières physiques à l’amour comme au travail, dressées par un gouvernement contre sa population.”

Au mois d’août, le président du Venezuela, Nicolás Maduro, a en eff et imposé la fer-meture de la frontière entre 22 heures et 5 heures du matin, une mesure destinée à lutter contre la contrebande d’essence et de nourriture. Cela s’est traduit par le déploiement de 17 000 hommes le long des 2 219 kilomètres de frontière qui séparent les deux pays.

Les deux gouvernements ont beau y faire, les trafi cs frontaliers continuent d’aller bon train, et en particulier le change de devises. Près de 200 boutiques de change proposent des dollars et des pesos colombiens contre des bolivars.

La diff érence de change est astronomique : 6,3 bolivars pour 1 dollar au taux offi ciel, plus de 100 bolivars par billet vert sur le marché parallèle.

A l’est de la frontière, dans l’Etat véné-zuélien du Táchira, les autorités procèdent continuellement à des saisies de produits alimentaires, surtout ceux subventionnés par le régime chaviste. Ces saisies ont déjà donné lieu à 1 266 arrestations [depuis la fermeture de la frontière]. A l’ouest, du côté colombien, 1 500 à 2 000 petits commerces et marchés proposent ces mêmes aliments ou produits de base.

Ainsi, à Cúcuta, l’établissement La Nueva Cesta ressemble à une ambassade de la gas-tronomie. Dans cette ville, on trouve en abon-dance des déodorants, des couches-culottes, du dissolvant ou des lames de rasoir, autant de produits qui au Venezuela obligent les gens à des heures de recherche et de queue.

La bière vénézuélienne Polar est vendue 1 000 pesos colombiens (0,49 dollar), alors que la Club Colombia coûte le double. “Les

COLOMBIE-VENEZUELA

La frontière aux mille traficsEssence, produits alimentaires, médicaments : la contrebande va bon train entre les deux pays.

gens aiment la bière de là-bas”, souligne le vendeur, qui parle comme un diplômé de Harvard tout en lisant, l’air indiff érent, un quotidien de Cúcuta.

Assis sur une chaise déglinguée, en tee-shirt et bermuda, il surnage au-dessus d’une petite mer de produits vénézuéliens, telle une vigie dont le regard embrasse tous les envi-rons. Il vend de tout, de la fameuse farine Pan servant à préparer les traditionnelles arepas [pains de maïs] jusqu’aux diablitos, des jambons en conserve, introuvables cette semaine dans tout le Táchira.

Personne ne se cache, ce n’est pas la peine. Il y a même une boutique qui s’ap-pelle Comestibles San Antonio (San Antonio est une localité vénézuélienne jumelle de Cúcuta) pour ne laisser aucun doute sur l’origine des produits.

Comment arrivent ces tonnes d’aliments ? La frontière a été perméable pendant des années. Elle est sillonnée de petites routes impossibles à surveiller. Avant, de grands camions passaient sans diffi culté dans un sens et dans l’autre. Mais les contrôles actuels rendent diffi cile ce mode de transport, qui a partiellement laissé place à des trafi cs à

petite échelle utilisant des doubles fonds, des véhicules aménagés ou tout autre moyen ingénieux.

Sur les centaines de petits marchés colom-biens, des motards livrent la marchandise aux commerçants. Ceux-ci ont dû agran-dir des boutiques qui n’étaient que de misé-rables petites maisons il y a encore quatre ans. “Le gars à moto arrive, il transporte un petit chargement, explique un habitant. En quelques secondes, tout est réglé.”

La deuxième grande source de trafi cs est le carburant. La mer d’or noir qu’hé-berge le Venezuela fait de son essence l’une des moins chères de la planète. Les chiff res parlent d’eux-mêmes : l’essence est à 0,018 dollar le litre, contre 1,13 du côté colombien. Plus de 2 000 points de vente sont répartis près de Cúcuta. Il suffi t de

quelques bidons et d’un petit tube de plas-tique. La mafi a qui contrôle ces “stations d’essence” est l’une des plus redoutées de toute la Colombie. Elle est composée d’an-ciens paramilitaires, aujourd’hui appe-lés “bacrim” (bandes de criminels). Ils se chargent de fi xer les prix.

“Elle est à combien, l’essence ?” s’enquiert le chauffeur de taxi vénézuélien auprès des pimpineros colombiens, à quelques mètres du pont. La pimpina, qui donne son nom au métier, est un bidon de carburant. “Aujourd’hui, je fais le trajet entre San Cristóbal et Cúcuta deux fois par jour, mais avant la fer-meture nocturne je le faisais jusqu’à trois fois. Je gagne presque 1 000 bolivars [environ 10 dollars au marché noir] à chaque course. Une bonne aff aire !” souligne le chauff eur, qui préfère s’adonner à cette petite contrebande plutôt qu’à son boulot de taxi. Le marché intérieur vénézuélien consomme 700 000 barils de pétrole brut par jour ; sur ce nombre, quelque 100 000 passent quotidiennement en contre-bande vers la Colombie.

Les petits entrepreneurs de Cúcuta ont aussi ouvert une fl opée de pharmacies. Elles vendent les médicaments qu’on ne trouve pas au Venezuela. Ces jours-ci, le produit phare est le paracétamol, utilisé pour com-battre la fi èvre que provoquent la dengue

et le chikungunya, maladies qui font des ravages dans plusieurs régions du Venezuela. “Les grandes mafi as continuent à travailler à la frontière. Qui les protège ? Le gouverne-ment”, affi rme sans ciller José Luis Guerrero, conseiller municipal à San Antonio pour le parti [antichaviste] Voluntad Popular.

“Les autorités n’ont pas compris que les gens, grâce à la diff érence de change, ont ainsi la possibilité d’arrondir leurs revenus”, ajoute un autre membre de l’équipe municipale.

Telle est la situation sur une frontière pleine de promesses, où même l’amour, comme celui de Laury Sánchez, doit sur-monter des obstacles matériels. Quant aux amours tarifées, elles aussi vivent une muta-tion. Pendant la dernière décennie, des Colombiennes passaient la frontière pour devenir les vedettes des clubs nocturnes de San Cristóbal, San Antonio ou Ureña. Aujourd’hui, tout a changé. “Voici trois jeunes fi lles, blondes et opérées [siliconées]. Elles font un bon prix, spécial frontière”, fait valoir le groom d’un hôtel. Malgré sa jeunesse, ce der-nier semble incarner le vieux dicton colom-bien : si tu veux faire ce qui te chante, Cúcuta t’attend. Un dicton toujours d’actualité sur la frontière aux mille trafi cs.

—Daniel LozanoPublié le 30 octobre

↙ Dessin de Vlahovic, Serbie.

“Les gens aiment la bière de là-bas”

19

Page 20: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Sicile. Le calvaire des esclaves roumainesPlusieurs dizaines d’ouvrières agricoles d’origine roumaine ont été victimes d’abus sexuels dans la région de Raguse. Un scandale qui secoue l’Italie.

que les emplois de badante ou de bonne ne leur permettraient pas d’emmener leurs enfants à l’école et parce que, dans leurs campagnes roumaines, elles étaient déjà paysannes. Ces violences ont mis du temps à s’ébruiter, parce qu’elles ne nous concernent pas, parce qu’elles sont perpé-trées dans des lieux reculés : de petites, voire de minuscules propriétés, épar-pillées dans la campagne entre Vittoria, Acate et Santa Croce Camerina, dans la province de Raguse, où la culture inten-sive sous serre a supplanté les cultures saisonnières. Sur ces terres “transfor-mées”, il y a du travail pour les immi-grés toute l’année, l’été sous une chaleur accablante, l’hiver dans le froid. L’air y est infecté par les produits phytophar-maceutiques et les désherbants.

Des taudis en pierre ou en bois et en cellophane font offi ce d’habitations. Le loyer est souvent déduit de la paie journa-lière, 15 à 20 euros distribués par acomptes qui restent régulièrement impayés. Ils deviennent souvent des moyens d’échange et de pression pour obtenir des presta-tions sexuelles de la part des femmes travaillant dans les serres. Ces soirées agricoles dénoncées en 2011 par le prêtre Don Beniamino Sacco et par les syndicats des travailleurs de l’industrie agroalimen-taire (Flai-CGIL) ont déjà fait des dégâts : la commune de Vittoria se classe au pre-mier rang des demandes d’interruption de grossesse par habitant. Cependant, tous les médecins de Vittoria sont objecteurs de conscience. Et l’hôpital de Modica, où il serait théoriquement possible de les eff ectuer, affi che une liste d’attente si longue qu’il est devenu impossible d’avor-ter dans les délais légaux.

Plusieurs de ces terribles histoires d’ex-ploitation humaine ont été recueillies grâce au Solidal Transfert, le minibus aménagé par la Flai-CGIL, la coopérative Proxima, engagée dans la lutte contre la traite des immigrés, et Médecins sans frontières, pour rompre l’isolement de ceux qui travaillent dans les serres. Il y a par exemple l’histoire de Luana, racontée par Alessandra Sciorba, une chercheuse de l’université de Palerme spécialiste des enjeux de migration : “L’école est loin de la serre, la route est diffi cile et dangereuse, et les enfants profi tent souvent de la voiture de l’employeur. En échange de ce ‘service’ et pour conserver son travail et son logement, Luana doit assouvir les appétits sexuels de cet homme dont la maison se trouve à l’in-térieur de la serre. Luana, terrorisée par les menaces continuelles, redoute d’éventuelles rétorsions contre ses enfants. Une nuit, avec

le secours du Solidal Transfert, elle réussit à ramasser toutes ses aff aires et à s’enfuir avec ses enfants. C’est le fait qu’il n’amène plus les enfants à l’école qui a servi de déclic. Il a cessé de le faire parce que l’école, seul contact qu’ils pouvaient avoir avec la réalité citoyenne, risquait le déceler le problème.” “Après avoir parcouru en long et en large les contrées où ces travailleuses roumaines vivent et travaillent dans un isolement total, nous avons pu mener quelques actions indi-viduelles de tutelle, raconte Pepe Schifo, de la Flai de Raguse. Nous avons enregistré des cas d’abus sexuel qui nous ont conduits à nous mettre en lien avec le réseau natio-nal antitraite du ministère de l’Egalité des chances. Mais ce n’est pas la traite à laquelle nous sommes habitués.” Celle-ci est plus sournoise. C’est une emprise dont il est diffi cile de se libérer, car les serres sont isolées, et ceux qui y travaillent sont entièrement dépendants du patron ou de ses émissaires.

Ce n’est que très récemment que ces “soirées agricoles” ont fi ni par défrayer la chronique. Depuis, dix députés ont déposé ensemble deux interpellations par-lementaires. Des membres du parti SEL

europe

Contexte●●● La région où a éclaté le scandale des esclaves roumaines a toujours été agricole, mais l’introduction de serres a constitué un tournant, souligne le Corriere della Sera : “Elles ont permis aux agriculteurs d’entrer sur le marché des primeurs.” A Vittoria, on recense ainsi environ 3 000 petites entreprises agricoles, dont la plupart compte 2 à 4 employés. Dans les années 1990, la pression sur les prix de vente des primeurs a donné lieu à un renouvellement de la force de travail. “Les Tunisiens qui peuplaient les campagnes de l’arrière-pays de Raguse ont progressivement été remplacés par les Roumains lorsque la Roumanie est devenue pays membre de l’UE. Les Maghrébins, plus enclins à exiger des salaires réguliers, constituaient une communauté soudée et solidaire. Les Roumains, au contraire, acceptent des salaires bas (ils touchent au maximum 25 euros par jour). Les femmes constituent 40 % de cette main-d’œuvre, elles sont souvent originaires de Botosani (près de la frontière moldave) et sont arrivées ici en bus pour gagner de quoi entretenir un parent resté en Roumanie.”

—Corriere della Sera (extraits)Milan

Diffi cile de les convaincre de porter plainte. Surnommées “les esclaves de Raguse”, les ouvrières agricoles

roumaines ne sont pas seulement exploi-tées, isolées, violées, elles sont aussi vic-times du chantage de leurs patrons. Une violence économique et sexuelle occul-tée par l’omerta, l’impossibilité de choisir,

l’isolement, les préjugés. C’est l’histoire de femmes réduites en esclavage, à la merci des caprices de leurs patrons, qui se servent de leurs enfants et du contrôle de l’eau potable (dans ce coin-là, l’eau du robinet est contaminée) pour leur sou-tirer des rapports sexuels, pour eux ou pour les amis. Des “soirées” auxquelles elles ne peuvent se soustraire sous peine de licenciement. Une histoire de femmes qui ont choisi le travail des champs parce

Des taudis en pierre ou en bois et en cellophane font offi ce d’habitations

↙ Dessin de Belle Mellor, Royaume-Uni.

20.

Page 21: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international

Syracuse

S i c i l eI T A L I E

Vittoria

Santa CroceCamerina

AcateRaguse

Modica

Mer Méditerranée

30 km

[Gauche, Ecologie et Liberté] ont écrit aux ministères de la Santé, du Travail et de l’Intérieur, quatre parlementaires du Parti démocrate ont interrogé les ministres sur “les mesures qu’ils enten-daient mettre en œuvre afi n de protéger ces femmes”. Dans les villages concernés, les gens savaient, les femmes savaient mais, c’est bien connu, “les Roumaines sont de vraies racoleuses…” et “les hommes sont tous des coureurs de jupons…” (propos tirés de l’enquête du magazine L’Espresso inspi-rée par les récits d’Alessandra Sciorba). Les hommes, en plus “d’aller à la chasse”, comme on avait pris l’habitude de dire, s’étaient “amourachés de la campagne”, ils avaient cessé de rentrer à la maison à 5 heures, comme avant. Et ils faisaient fi èrement étalage de leurs exploits, sans provoquer d’indignation ni de réaction chez les habitants et les autorités locales.

Une délégation de dix parlementaires accompagnée par la Flai s’est déplacée dans la province de Raguse pour une mission de reconnaissance mi-octobre. “Nous allons mettre en place les premiers protocoles d’intervention, explique Erasmo Palazzotto (SEL), qui a rencontré le préfet de Raguse. Les réponses ne peuvent pas être uniquement répressives. Nous met-trons en route les premières solutions avec le soutien des services sociaux pour assu-rer une assistance sociale et sanitaire, et du bénévolat. Car les subventions à Proxima, comme à toutes les organisations concer-nées dans la lutte contre la traite, expirent le 31 décembre. Nous demanderons ensuite aux organisations de producteurs de faire leur devoir : expulser ceux qui ne respectent pas les droits syndicaux, ont recours à la violence et abusent des travailleuses.” Les coups de projecteurs médiatiques, les interpellations et la visite des parlemen-taires réussiront-ils à vaincre ce que les préjugés ont étouff é ?

—Luisa PronzatoPublié le 18 octobre

C’est une emprise dont il est diffi cile de se libérer, car les serres sont isolées

Page 22: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

EUROPE Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

a remporté cinq sièges, Podemos a finalement commencé à intéres-ser les marchés, la famille royale et les grands partis. Quatre jours plus tard, The New York Times com-parait le style du parti à celui de Barack Obama et de son Yes, we can de 2008 [“podemos” signifie en espagnol “nous pouvons”]. Le politologue Juan Carlos Monedero, cofondateur du parti, reconnaît d’ailleurs que Podemos s’est for-tement inspiré de la campagne du président américain. Aujourd’hui le jeune parti a un nouveau défi à

—La Marea (extraits) Madrid

Quand Podemos a fait irrup-tion sur la scène politique, en janvier 2014, nombreux

étaient ceux qui considéraient ses promoteurs comme une poignée d’allumés antisystème qui avaient la grosse tête. De leur côté, ils s’es-timaient capables de faire explo-ser l’indignation accumulée afin de précipiter un changement poli-tique. A la suite des élections euro-péennes de mai dernier, où le parti

ESPAGNE

Podemos  prêt à prendre le pouvoir ?Née il y a neuf mois seulement, cette formation, issue du mouvement des Indignés, a cassé l’hégémonie des deux partis traditionnels et monte en flèche dans les sondages.

relever : faire grossir ses propres structures. Or l’un de ses points faibles est justement son manque de cadres politiques. Podemos puise dans le mouvement 15-M [le mouvement des Indignés espa-gnols, né le 15 mai 2011 à la Puerta del Sol], qui ne fait plus guère parler de lui, même si le parti n’a pas vocation à être la vitrine politique du mouvement.

Et, si nombre des fondateurs du parti, dont Monedero lui-même, étaient des habitués des manifes-tations madrilènes, ils sont allés plus loin avec Podemos en intro-duisant la notion d’exécutif, en mettant au point une structure plus organisée, un programme défini, et en affichant sans com-plexe leur ambition de prendre le pouvoir. Le parti est également proche de l’équivalent améri-cain des Indignés, le mouvement Occupy Wall Street.

L’objectif du parti est de gagner, mais beaucoup se demandent à quel prix. La création du modèle Podemos a impliqué de renon-cer à certains symboles brandis encore il y a peu par Pablo Iglesias, son leader, et le reste de l’équipe fondatrice. Ils ont ainsi délibéré-ment délaissé une terminologie pouvant être jugée trop radicale par le centre, comme “lutte des classes”, “prolétariat” ou “révo-lution”. Et les discours des deux dirigeants, adressés principale-ment à une gauche soucieuse d’en découdre, mais aussi le piercing de Pablo Iglesias et l’esthétique néopunk du chef de campagne des européennes, Iñigo Errejón, sont également passés à la trappe.

Parcours fulgurant. Podemos utilise désormais un langage dif-férent, plus moderne. La classe ouvrière en tant que sujet poli-tique a été remplacée par le “pré-cariat” ou le “pobretariado” [le “pauvretariat”], à l’opposition gauche-droite s’est substitué l’an-tagonisme entre ceux d’en haut et ceux d’en bas, et quant à l’oli-garchie elle est désormais qua-lifiée de “caste”. L’objectif étant de ne pas faire fuir les électeurs centristes qui pourraient être en phase avec des mesures pro-gressistes mais seraient rebutés par le discours traditionnel de la gauche ouvrière.

Le parcours de Pablo Iglesias a été fulgurant : cet ancien uni-versitaire à temps partiel, devenu conseiller politique, siège désor-mais au Parlement européen. Lors de sa campagne des européennes,

de petites affiches avaient été conçues où seul son visage appa-raissait en guise de logo. Son visage, avec sa queue-de-cheval “non négociable”, était d’ailleurs l’unique élément identifiable du nouveau projet, un projet qui a abouti en seulement quelques mois. Pour comprendre cette ascension, il faut remonter à La Tuerka, le talk-show politique dont il était le présentateur et qui lui a permis de tester son dis-cours télévisuel. Un tremplin qui a fini par le lancer sur les chaînes de télévision généralistes.

Mais Pablo Iglesias n’a pas le triomphe égoïste. Parmi les che-villes ouvrières du parti, la plu-part sont nés après l’adoption de la Constitution démocratique, en 1978. Ces deux générations qui ont aujourd’hui la vingtaine ou la trentaine ont joué un rôle clé durant la première phase de l’existence de Podemos, avant les élections européennes. Ces mili-tants ont travaillé sans relâche, et sans rémunération, à la construc-tion du projet politique incarné par Pablo Iglesias et se sont mon-trés particulièrement actifs et efficaces sur les réseaux sociaux. Communication, coordination et même préparation documen-taire en vue des débats télévisés auxquels participe Iglesias, telles sont quelques-unes des tâches qu’assure cette équipe.

Pendant ce temps, à la faculté de sciences politiques de l’univer-sité Complutense, le politologue Juan Carlos Monedero vaque à ses propres occupations, en compagnie d’Iglesias et d’Iñigo Errejón, l’étudiant prometteur qui a dirigé de main de maître la campagne des européennes. Le jeune homme a été conseil-ler auprès de gouvernements latino-américains de gauche, dont ceux d’Evo Morales en Bolivie et de Rafael Correa en Equateur comme ses deux compagnons l’ont été, eux, d’Hugo Chávez au Venezuela. Les trois hommes sont avec Luis Alegre les grands arti-sans à l’origine des statistiques ébouriffantes que peut afficher aujourd’hui le parti : 1,2 million de voix réunies aux européennes, plus de 800 cercles créés [le mou-vement a encouragé la formation

d’assemblées territoriales ou thé-matiques] et 132 000 inscrits aux votes sur Internet organisés pour le premier congrès du parti, qui s’est déroulé mi-octobre.

Ils le reconnaissent : rien n’au-rait été possible sans l’élan du mouvement du 15-M. Ce dernier a révélé au grand jour la crise de la représentation et rendu caducs les modèles de la gauche tradi-tionnelle, ouvrant la voie à de nouvelles façons de faire de la politique.

Pablo Iglesias, la figure de proue de Podemos, se voit de plus en plus proche du pouvoir national. C’est que, comme il l’a déjà dit en public sur le mode de la plaisan-terie, l’actualité fait campagne pour lui. Le fait est qu’il peut compter sur le climat d’indigna-tion qui règne face aux derniers scandales de corruption, et sur toutes ces voix qui appellent à des changements radicaux et à l’abo-lition des privilèges de la “caste” au pouvoir en Espagne depuis 1978. Mais l’inexpérience d’Igle-sias dans les affaires publiques et celle de la majeure partie de l’équipe dirigeante valent au parti de nombreuses critiques.

Peur principale. Nul doute que l’effervescence des cercles et la mobilisation des électeurs internautes ont pris de l’am-pleur beaucoup plus rapidement que les structures du parti lui-même. “Pour le moment, on s’ap-pelle Podemos, mais on ne peut rien”, ironisent certains militants. Le manque de cadres au sein du parti et la prolifération de cen-taines de cercles indépendants ont laissé entrer dans la structure des profils extrêmement variés – des défroqués venus du Parti socialiste catalan aux électeurs d’Izquierda Unida marginalisés au sein de leur parti.

C’est la principale raison pour laquelle Podemos ne se présen-tera vraisemblablement pas aux prochaines municipales sous son propre étendard. La peur prin-cipale est l’entrée sur les listes électorales de caciques, corrom-pus et arrivistes, comme c’est arrivé au Parti socialiste (Psoe) en 1982. Le risque est trop grand pour le parti, qui de toute façon a un objectif clair : le siège du gou-vernement espagnol, le palais de la Moncloa.

—Daniel Ayllón et Eduardo MurielPublié dans l’édition

de novembre

L’objectif du parti est de gagner, mais beaucoup se demandent à quel prix

↙ Dessin d’Eva Vázquez paru dans El País, Madrid.

22.

Page 23: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

EUROPE.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014 Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

—Jutarnji List Zagreb

Depuis que le journal kosovar Koha Ditore a commencé à publier quoti-diennement des informations sur le

scandale au sein d’Eulex, en s’appuyant sur des documents confi dentiels de l’enquête interne dont cette mission a fait l’objet, l’aff aire ne cesse de prendre de l’ampleur. Bruxelles et les capitales des Etats membres de l’UE peinent à cacher leur embarras.

Trois hauts fonctionnaires d’Eulex, et pas des moindres, se trouvent au cœur du scandale : la Tchèque Jaroslava Novotna, procureure générale de la mission ; l’Italien Francesco Florit, ancien juge et président du collège des juges d’Eulex ; le Canadien Jonathan Ratel, ancien procureur, toujours juge à Eulex. On les soupçonne d’avoir accepté des pots-de-vin afi n d’acquitter des personnes accusées des crimes les plus graves, d’avoir classé certains dossiers criminels et d’avoir été en contact avec les amis ou les familles des accusés via des intermédiaires.

C’est la Britannique Maria Bamieh, procureure spéciale d’Eulex, chargée de l’enquête interne au sein de la mission, y compris des écoutes téléphoniques, qui a porté les accusations contre eux. Koha Ditore a publié des extraits des écoutes qui mettent clairement au jour l’infl uence que les membres du crime organisé et certains hommes politiques avaient sur Eulex.

Le juge Francesco Florit, originaire d’Udine, est soupçonné d’avoir empoché 300  000  euros pour l’acquittement d’une personne accusée de meurtre. La télévision du Kosovo a diffusé un entretien avec une personne affirmant avoir donné 270 000 euros à Florit, par des intermédiaires. “Il demandait 10 000 euros pour chaque année de prison”, a affi rmé ce témoin. Le juge Florit, quant à lui, rejette en bloc ces accusations, qu’il qualifi e de “mensongères et insensées”. Il reconnaît avoir été naïf d’accepter de rencontrer certaines personnes, mais dément catégoriquement avoir demandé ou reçu des pots-de-vin.

Lorsque le scandale a éclaté, l’UE espérait

KOSOVO

L’Europe sur le banc des accusésLa Mission européenne pour un Etat de droit au Kosovo (Eulex) aff ronte un scandale de corruption sans précédent. L’aff aire risque de jeter un discrédit complet sur l’engagement de l’UE dans les Balkans.

qu’il resterait confi né au Kosovo, que seuls les médias locaux en parleraient, qu’Eulex se contenterait de déclarer que la mission “ne [pouvait] pas commenter une enquête en cours” ou qu’“il [s’agissait] d’une aff aire interne qui ne [concernait] qu’Eulex”. Toutefois, l’aff aire a été reprise par les médias européens, et le Parlement européen a demandé une réunion d’urgence afi n d’en débattre.

Désormais, l’UE reconnaît avoir pris au sérieux les accusations de corruption de hauts fonctionnaires d’Eulex et affi rme mener une enquête. Bruxelles récuse les accusations d’avoir voulu étouff er le scandale. N’empêche, certains cercles de l’UE ont essayé d’expliquer le scandale par “la frustration d’une personne dont le mandat n’a pas été renouvelé”. Certes, ils visaient Maria Bamieh. D’ailleurs, elle est la seule fonctionnaire d’Eulex à avoir été suspendue, offi ciellement pour “empêcher les fuites de documents classés confi dentiels”. Toutefois, Bamieh et le rédacteur en chef de Koha Ditore démentent qu’elle ait été à l’origine des fuites sur la corruption au sein d’Eulex.

Pressions et menaces. Les intimidations maladroites proférées à l’endroit du journaliste de Koha Ditore qui a mené l’enquête n’ont fait que plonger l’UE dans un nouvel embarras. Vehbi Kajtazi dit avoir demandé un rendez-vous à Eulex afi n que la mission puisse donner sa version des choses avant la publication de son enquête. On lui a accordé le rendez-vous. Mais, au lieu d’exposer leur point de vue sur le scandale, les responsables d’Eulex lui ont demandé de leur communiquer toutes les informations dont il disposait. Face à son refus, on l’a prévenu qu’il risquait d’être poursuivi par la justice en cas de publication de documents classés confi dentiels. Bien que Gabriele Meucci, le chef d’Eulex, conteste qu’il y ait eu des menaces et affi rme que les représentants d’Eulex ont rencontré Kajtazi avec les meilleures intentions, le rédacteur en chef de Koha Ditore, Agron Bajrami, parle de pressions dont a été victime son journaliste. Le Parlement européen et Reporters sans frontières n’ont pas tardé à réagir. Car tout se passe au moment où l’UE exprime sa “profonde inquiétude en raison de l’intimidation de journalistes au Kosovo de la part d’hommes politiques et de la police”. Par conséquent, les pressions des responsables d’Eulex sur les journalistes sont considérées comme un scandale de plus.

La Commission des aff aires étrangères du Parlement européen a mis à son ordre du jour le scandale touchant Eulex, la plus importante et la plus coûteuse mission de l’histoire de l’UE, avec un budget dépassant le milliard d’euros. Certains membres du Parlement européen doutent qu’on puisse mener une enquête indépendante au sein d’Eulex et proposent la création d’une commission d’enquête indépendante.

—Augustin PalokajPublié le 3 novembre

Une mission rejetée par tous● “Eulex survivra-t-il au scandale ?” se demande Danas. Pour le quotidien de Belgrade, “le fonctionnement de cette mission civile de l’UE a été problématique dès sa création, en 2008. Bien qu’Eulex découle de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies [la résolution confi e l’administration provisoire du Kosovo aux Nations unies dans le but d’y instaurer une autonomie et une autoadministration au sein de la Serbie], sa neutralité est mise en question quant à son mandat d’aide à la mise en œuvre de l’Etat de droit et d’institutions judiciaires au Kosovo.”Selon Danas, “ni les Albanais ni les Serbes (notamment ceux qui vivent dans le nord du Kosovo) ne sont en bons termes avec Eulex. Pristina [la

capitale du Kosovo] demande depuis longtemps sa dissolution,

alors que son mandat a été prolongé jusqu’en 2016. Quant aux Serbes, ils considèrent Eulex comme le prolongement de l’Etat kosovar autoproclamé.” Et ce “surtout depuis l’arrestation d’un certain nombre de leurs responsables politiques, dont Oliver Ivanovic, emprisonné depuis six mois sans qu’Eulex ait établi un acte d’accusation contre lui.”Alors que le scandale de corruption bat son plein, “Belgrade a trouvé opportun de dévoiler qu’Eulex avait falsifi é les documents du ministre serbe de l’Intérieur concernant l’engagement d’Oliver Ivanovic dans les forces de police serbes durant la guerre au Kosovo”, note Danas.

Vu deSerbie

23

Page 24: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Difficile pour Paris de renoncer à une zone d’influence majeure ou à des profits éventuels. Sans parler du rempart contre le terrorisme islamiste que forme l’armée française.

—Newsweek (extraits) New York

Plus de cinquante ans après avoir accordé l’indépen-dance à son empire colo-

nial, il semble que Paris ne puisse s’empêcher de mettre son nez dans les affaires de l’Afrique. La présence militaire française sur ce continent est loin de se limiter aux troupes envoyées au Mali pour combattre les rebelles islamistes. Des forces françaises sont déployées dans au moins dix pays africains. En mai dernier, le gouvernement a annoncé son intention de les renforcer en créant des centres régionaux au

mandat ont été moins opaques : Paris a consulté ses alliés afri-cains, les Nations unies et l’Union européenne, et les a invités à par-ticiper aux opérations. Mais les forces africaines sont mal entraî-nées, mal équipées et très peu effi-caces, les Nations unies sont une organisation lourde et qui tarde à réagir, et les alliés européens ne sont prêts à engager que des forces symboliques. Selon Paris, ce n’est donc plus la Françafrique d’antan, quand l’Hexagone agis-sait à sa guise. Aujourd’hui, les forces françaises réagissent rapi-dement pour maîtriser des situa-tions conflictuelles quand d’autres pays ne sont pas disposés à le faire ou pas capables de le faire.

En juillet 2012, le président Hollande a été critiqué pour avoir invité à l’Elysée une brochette de dictateurs africains, dont le prési-dent du Gabon, Ali Bongo, moins de deux mois après avoir pris ses fonctions. Cet accueil chaleureux a été interprété comme une preuve de la tolérance de la France envers des régimes non démocratiques. Pour Jeremy Keenan, professeur à l’Ecole des études orientales et africaines de l’université

Tchad, au Burkina Faso, dans le nord du Mali et en Côte d’Ivoire.

En plus des 2 000 soldats envoyés en République centrafricaine pour aider à rétablir l’ordre dans le pays, quelque 5 500 hommes sont char-gés de combattre des groupes ter-roristes armés, de recueillir des renseignements, d’entraîner l’ar-mée locale et d’agir comme des forces de réaction rapide. Selon une source non gouvernementale, la France aurait aujourd’hui 10 000 soldats stationnés en Afrique.

On serait tenté de voir dans cette présence française en Afrique un remake du film Beau Geste, une fabuleuse histoire d’honneur et

Diplomatie.La Françafrique bouge encore

d’héroïsme qui se déroule dans la Légion étrangère. Le même désert, le même sable, les mêmes avant-postes perdus. Et les mêmes enne-mis, comme ces rebelles touaregs qui continuent à se battre pour leur autonomie.

Cette fois, Paris a justifié son intervention militaire au Mali en disant qu’il y avait été invité par un gouvernement malien aux abois et qu’il agissait avec l’accord du Conseil de sécurité des Nations unies. Mais l’opération visait moins à contrecarrer l’action des Touaregs pour s’assurer l’autonomie qu’à contrôler le djihadisme de crainte que la région du Sahel ne devienne un foyer de terrorisme et que ce fléau ne gagne ensuite l’Hexagone et le reste de l’Europe.

Mais le fort engagement de la France en Afrique vise aussi à renforcer la suprématie fran-çaise dans une région d’où elle a retiré d’énormes profits et d’ou elle espère en retirer autant dans l’avenir. L’économie française est en crise, alors que les économies africaines sont pour la plupart en pleine expansion. Paris a beaucoup d’intérêts en Afrique – pétrole, minerais, projets d’infrastruc-tures, télécommunications, distri-bution d’eau, de gaz et d’électricité, banques et assurances. Mais sa part de marché est réduite par la concurrence de la Chine, du Brésil, de l’Inde et d’autres pays.

La ruée du XXIe siècle vers l’Afrique a été accélérée par le sommet qui a eu lieu début août à Washington en présence d’une cinquantaine de dirigeants afri-cains. Paris a lancé une opération similaire l’an dernier. Un rapport du ministère de l’Economie et des Finances intitulé “Un partenariat pour l’avenir”, rendu public en décembre 2013, a soumis des propo-sitions pour aider la France à faire face à la concurrence. Après quoi le président Hollande a déclaré qu’il souhaitait doubler les échanges économiques avec l’Afrique d’ici cinq ans, ce qui permettrait de créer 200 000 emplois en France. “La France est le seul pays à ne pas avoir abandonné l’Afrique après l’in-dépendance. A la demande des grands dirigeants de l’époque, nous sommes restés pour garantir la sécurité”, explique Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères en charge de la mission qui a rédigé le rapport. Telle est la position offi-cielle. Voici maintenant les des-sous de l’histoire.

Adoptée par le président Charles de Gaulle à la fin des années 1950,

cette politique visait à maintenir, après l’indépendance, des rela-tions étroites avec la vingtaine de pays, pour la plupart franco-phones, qui composaient l’empire africain de la France. L’Hexagone a mené une série d’interventions pour prévenir des guerres et écra-ser des coups d’Etat et des rébel-lions. Naturellement, Paris voulait préserver ses propres intérêts. Pour citer un exemple, un quart de l’électricité française est pro-duite avec de l’uranium du Niger. Par ailleurs, en conservant son influence en Afrique, la France serait en mesure de redorer son statut fragilisé de puissance mon-diale. En dehors de l’Afrique, où pouvait-elle le faire ?

Cette politique, connue sous le nom de Françafrique, était orchestrée de l’Elysée par une “cellule africaine” qui dirigeait dans l’ombre, via des contacts per-sonnels et des réseaux d’agents secrets, l’armée, les grandes entre-prises, la mafia corse et les merce-naires, sans avoir à être contrôlée ou approuvée par le Parlement.

A ce jour, les Français ont mené plus de 40 interventions militaires officielles en Afrique, souvent pour protéger des diri-geants à leur goût ou en écarter d’autres qui ne l’étaient pas. Pour certains présidents africains, avoir de bonnes relations avec l’Elysée était une sorte d’assurance-vie. Beaucoup tenaient à manifester leur gratitude pour être sûrs que le gendarme* français serait pré-sent la prochaine fois qu’ils en auraient besoin.

Brochette de dictateurs. Après une série de scandales, les pré-sidents français ont promis de tirer un trait sur la Françafrique. Nicolas Sarkozy a fermé la cellule africaine, mais il n’en a pas moins choisi ses propres conseillers sur l’Afrique, gardé le contrôle sur la politique africaine et déployé des forces en Afrique à quatre reprises. En octobre 2012, son successeur, François Hollande, s’est engagé à rompre pour de bon avec la Françafrique, promettant davantage de transparence et des relations plus égalitaires.

De fait, les quatre interventions militaires menées au cours des deux premières années de son

franceRepères

9 janvier 2013 — Opération Serval au Mali à la demande du gouvernement de transition malien. Les troupes françaises stoppent l’avancée des forces djihadistes vers Bamako et libèrent le nord du pays.5 décembre 2013 — Opération Sangaris en République centrafricaine pour stopper les massacres entre miliciens chrétiens (antibalaka) et rebelles musulmans (Séléka). C’est la septième opération de l’armée française dans ce pays depuis son indépendance, en 1960.1er août 2014 — Barkhane prend le relais de Serval. Dispositif régional, cette mission de l’armée française consiste à lutter contre le terrorisme islamiste dans cinq pays du Sahel : Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Burkina Faso.

→ 

L’intérêt de François Hollande pour l’Afrique est incontestable

↙ Dessin de Mix & Remix paru dans Le Matin Dimanche, Lausanne.

26

24.

Page 25: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

(Lisbonne, 1951)

Renault Colorale

EN VENTE CHEZ VOTRE LIBRAIREDécouvrez et achetez la collection sur www.lalibre.be/action/taxismonde· La collection complète est disponible au prix de 269€ avec des cadeaux exclusifs :

3 photographies exclusives, la plaque d’immatriculation de New York et la miniature du taxi Checker Aerobus de New-York (1974).

· La collection est également disponible par lots de 5 numéros avec possibilités d’acquérir les 3 cadeaux.

LE N° 1 :LE TAXI RENAULTCOLORALE+ SON FASCICULETaxi emblématique du Lisbonnedes années 50.

vous propose de visiterles plus belles villes du monde en taxi !

Grâce à cette collection passionnante, découvrez l’univers des taxis et voyagez à travers les plus belles villes du monde. Ce moyen de transport doté d’une personnalité bien à lui est présent dans tous les pays, avec de nombreux points communs, mais aussi des caractéristiques propres à chaque culture.

Nous vous proposons une visite guidée des plus grandes villes du monde à bord des taxis qui sillonnent leurs rues. Une promenade à diverses époques pour découvrir le charme des vieux taxis des grandes capitales.

Marques, modèles, décorations... nous vous ferons découvrir l’intérieur et l’extérieur des taxis afi n qu’aucun détail ne vous échappe.

E C H E L L E 1/43 2,99Le N°1

€SEULEMENT ! V

isuels

non

cont

ract

uels

Reproduction desmodèles les plusemblématiques

Modèles en métalinjecté avec pièces

en plastique

Détails identiquesà ceux du modèle

d’origine

Page 26: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

FRANCE Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

franceculture.fr

en partenariat avec

de Londres, il n’y a aucun doute. “La Françafrique est bel et bien vivante. Ils sont tenus de dire qu’elle est morte, mais elle continue à puer comme un poisson pourri !” nous a-t-il confi é.

Parmi les plus proches conseil-lers de François Hollande fi gure son chef d’état-major particulier, le général Benoît Puga, qui a une longue expérience de l’Afrique, y compris dans des combats de pre-mière ligne. L’intervention fran-çaise au Mali, qui a eu lieu en janvier 2013, a été rapide et réus-sie. Elle a stoppé l’avancée des isla-mistes et des rebelles touaregs vers Bamako, la capitale, et les a chassés de Tombouctou et des autres villes du nord du pays. Un mois plus tard, le président Hollande s’est rendu au Mali, où il a déclaré : “C’est le jour le plus important de ma vie poli-tique.” En France, les sondages le présentaient comme le président le moins populaire depuis plus de cinquante ans, mais, selon l’insti-tut BVA, trois quarts des Français approuvaient son intervention au Mali. C’était la meilleure nouvelle qu’il ait eue depuis des mois.

L’intérêt du président Hollande pour l’Afrique est incontestable. Outre ses fréquentes visites sur ce continent, il a été le seul dirigeant occidental à participer au sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba en mai 2013. Et en mai dernier, après l’enlèvement de plus de 200 lycéennes nigérianes par le groupe islamiste Boko Haram, il a été le premier homme d’Etat occi-dental à réunir un sommet des diri-geants africains concernés. Pour lui, cet événement qui faisait la une de l’actualité dans le monde entier était une occasion de mon-trer sa détermination vis-à-vis de l’Afrique. Malgré les propositions d’aide de la France et d’autres pays, la plupart de ces fi lles n’ont tou-jours pas été retrouvées. Mais les

dirigeants présents au sommet de Paris ont déclaré la guerre à Boko Haram et, peu après, les Nations unies et l’Union européenne ont présenté cette organisation comme un “groupe terroriste”. En juil-let dernier, les ministères de la Défense du Nigeria, du Cameroun, du Tchad et du Niger se sont enga-gés à accélérer la création d’une force régionale de 2 800 hommes pour lutter contre Boko Haram, chaque pays devant fournir 700 hommes. Mais la question du fi nan-cement et du commandement de cette force n’est toujours pas réglée.

Selon Francis Laloupo, auteur du livre France-Afrique – La rupture maintenant ?, certains dirigeants africains sont schizophrènes, n’hé-sitant pas à rompre un jour avec la France pour réclamer son sou-tien le lendemain. Mais les auto-crates et présidents à vie, anxieux pour la plupart, sont ravis d’avoir Paris sous la main.

En Afrique du Sud, où l’armée est la plus effi cace du continent, “il y a un certain malaise vis-à-vis de l’ingérence d’acteurs exté-rieurs dans des aff aires africaines. Certains considèrent que des sec-teurs de l’Afrique francophone ne sont pas encore indépendants”, sou-ligne Alfredo Tjiurimo Hengari, de l’Institut sud-africain des aff aires internationales de Johannesburg. “L’appel de l’Afrique du Sud à ‘des solutions africaines aux problèmes africains’ est le résultat de la présence nocive du gendarme* français en Afrique.” Mais, tant que les forces africaines seront ineffi caces, pour-suit-il, “les Français resteront pro-bablement le principal gendarme* des confl its africains”. Autant dire que Beau Geste a encore de beaux jours devant lui.

—Brian EadsPublié le 30 octobre

* En français dans le texte.

Business Machines ? Pas terrible, mais nettement plus sexy que Computing Tabulating Recording Company, le prédécesseur d’IBM. Quid du très conventionnel Parti socialiste français (PS) ? Ou de l’Union pour un mouvement popu-laire (UMP) ? Si vous posez la question aux responsables des deux principaux partis de France, certains vous répondront qu’il est plus que temps de changer de nom.

Le mois dernier – et ce n’était pas la première fois – le Premier ministre, Manuel Valls, a déclaré aux membres de son parti à l’As-semblée nationale qu’il fallait “réformer ou mourir”. Et la pre-mière option impliquait de sup-primer l’adjectif “socialiste”, a-t-il laissé entendre. Nicolas Sarkozy, avant lui, avait déclaré que l’UMP devrait changer de nom afi n d’en-trer dans le XXIe siècle. Et peu importe que sa formation ne date que de 2002.

Soyons toutefois honnêtes et reconnaissons que les respon-sables politiques ne proposent pas seulement de rebaptiser leur

—Financial Times (extraits) Londres

Quand vous commencez avec un nom diffi cile dès la nais-sance, il est légitime de vou-

loir en changer. Par exemple, vous n’aimez peut-être pas Google, mais c’est quand même mieux que BackRub [massage de dos], le premier moteur de recherche sur lequel Larry Page et Sergey Brin ont travaillé en 1996. International

POLITIQUE

Tout changer pour que rien ne change ?Manuel Valls veut débarrasser son parti de l’adjectif “socialiste”. S’il est élu à la tête de l’UMP, Nicolas Sarkozy organisera un vote sur le changement de nom de sa formation. Comme si cela allait suffi re à séduire les électeurs.

parti pour se refaire une santé et lutter contre le désenchantement des électeurs. Nicolas Sarkozy, qui a récemment confi rmé son retour – très attendu – sur la scène poli-tique, s’est engagé à “transformer complètement” l’UMP s’il remporte les primaires du 29 novembre. Manuel Valls, représentant de l’aile la plus droitière du PS, plaide pour une réforme des allocations chômage et du code du travail. Un programme chargé.

Secouer le tapis. Un change-ment de nom comporte bien des avantages. Cela permet de faire le ménage, c’est l’occasion d’ou-vrir les fenêtres, d’aérer un peu et de secouer les tapis. Reste la difficulté du choix : comment trouver le nom qui saura susci-ter un écho chez des électeurs mécontents ? En janvier, le prési-dent François Hollande – dont la cote de popularité tourne autour de 13 % – a déclaré qu’il se consi-dérait plutôt comme un social-démocrate. Si cette appellation est plus fi dèle à son programme politique – et peut-être à celui de Manuel Valls –, elle n’est pas non plus ce qu’il y a de plus excitant.

Les pa r t is minor ita ires montrent toujours plus d’audace dans le choix de leur nom, géné-ralement parce qu’ils n’ont rien à perdre. Parmi eux, on peut citer le parti irlandais Don’t Give a Feck, dont les fi dèles promettent “de ne rien faire pour vous et d’y consacrer toutes [leurs] forces”. Il y a le Partito dell’Amore, le Parti de l’amour, en Italie. Le Parti des amateurs de bière, en Norvège, qui a rapi-dement perdu de sa fraîcheur. Au Danemark, l’Union des éléments consciencieusement rétifs au tra-vail a remporté un certain succès en 1994 en promettant une amé-lioration des conditions météo et de plus beaux cadeaux de Noël.

Par bonheur pour le président et les socialistes, la prochaine élection présidentielle est en 2017. La preuve est néanmoins faite que le nom ne fait pas tout. D’après une étude réalisée par l’Ifop le mois dernier, 87 % des personnes interrogées se décla-raient indiff érentes ou ne sou-haitaient pas particulièrement que le Parti socialiste change de nom. Elles étaient 84 % à parta-ger cette opinion pour l’UMP. Manuel Valls et Nicolas Sarkozy feraient bien d’en prendre note.

—Adam ThomsonPublié le 4 novembre

↙ Dessin de Krollparu dans Le Soir, Bruxelles.

2  ←4

26.

Page 27: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

© P

hilip

pe D

ebru

yne

- Be

rnar

d A

rnou

ld -

Oliv

ier

Cap

pelie

z -

Phil T

hom

ason

- A

man

dine

Bel

otte

Edite

ur r

espo

nsab

le : V

O-C

omm

unic

atio

n

TOURISME

ROYAUME DE BELGIQUE

Service public fédéral

Affaires étrangères,Commerce extérieur etCoopération au Développement

VIP & Sponsoring : verhulst.be

Page 28: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Belgique.Unegénérositésans limitesIl y a un peu plus de 3 millions deréfugiés syriens dans les pays limitrophes.La Belgique a décidé d’en accueillir 75.

— De Morgen Bruxelles

Le seul espoir qui reste aux Syriensvivant sous une tente au Liban, enJordanie ou en Turquie, c’est

d’être sélectionnés pour pouvoir venirs’établir dans un autre pays. Ce qui signi-fierait ne plus être obligé de s’en remet-tre à des trafiquants d’êtres humainspour atteindre la forteresse Europe, vial’Egypte, la très instable Libye et une tra-versée de la Méditerranée dans une em-barcation de fortune – on ne compte plusles histoires tragiques de noyades.Etre sélectionné pourrait aussi signi-

fier ne plus devoir être entassé dans uncamion comme du bétail vivant pour tra-verser la Bulgarie ou la Grèce – ces deuxpays qui organisent régulièrement desopérations push back pour refouler les ré-fugiés. Et puis surtout ne plus devoirdonner des milliers d’euros à des trafi-quants d’êtres humains.Pour les 75 réfugiés syriens qui ont été

choisis pour venir en Belgique, tout cecauchemar, c’est terminé. L’UNHCR [ouHCR], le Haut Commissariat aux Réfu-giés de l’Organisation des Nations-Unies,les a sélectionnés, en accord avec lesautorités turques, pour pouvoir immigrerchez nous.Ces quatorze familles (plus cinq iso-

lés) feront le voyage vers la Belgique enavion après avoir reçu une petite forma-tion pour se préparer à la vie qui les at-tend ici. Contrairement aux autres de-mandeurs d’asile, ils ne devront pas seprésenter à l’Office des étrangers, ni at-tendre pendant des mois l’aboutissementde leur procédure de régularisation, niencore chercher un logement. Ils passe-ront par une procédure accélérée pourêtre reconnus. La semaine prochaine,une équipe de Fedasil partira en missiond’orientation en Turquie.

“Les premiers Syriens arriveront proba-blement ici fin novembre”, estime MiekeCandaele de Fedasil, [l’agence fédéralepour les demandeurs d’asile]. “Après unséjour d’un mois à un mois et demi dans uncentre d’accueil collectif, ils seront répartisdans différentes communes”. Ces Syriens severront attribuer un logement ainsiqu’une allocation et leurs enfants serontscolarisés. Après quoi, ils auront droit àun accompagnement et à des cours delangues. “Tout cela va prendre environ unan”, ajoute Mieke Candaele.L’arrivée de ces 75 Syriens s’inscrit

dans le projet de réinstallation mis enplace par la ministre Maggie De Block(Open VLD). Le projet en question pré-voit, au total, de réinstaller 245 person-nes au cours de la période 2014-2015 : 75Syriens et 85 Congolais en 2014 et 85 Sy-riens en 2015. Le tout fait partie d’un pro-gramme européen réalisé en étroite col-laboration avec le HCR. Les réfugiés sontchoisis parmi les populations les plus fra-gilisées : femmes seules, personnes mala-des, jeunes filles qui pourraient être endanger dans des camps de réfugiés ou en-core homosexuels.

Si cela ne tenait qu’au HCR, tous lesréfugiés répondant à ces critères se ver-raient accorder une nouvelle terre d’ac-cueil mais le Haut Commissariat ne peutoffrir que les places qui sont proposéespar les Etats. Et selon Selin Ünal, repré-sentant du HCR en Turquie, il n’y en apas assez. “Il y a environ 3,1 millions de ré-fugiés syriens dans les pays voisins [le Liban,la Turquie et la Jordanie] mais les payseuropéens n’ont promis que d’en réinstaller31 817. On pourrait faire beaucoup mieux.”La Belgique en prendra donc 75 ; la

Suède et la Norvège respectivement1200 et 1000 ; nos voisins du Nord se li-miteront à 250 ; le Grand-Duché à 60 etl’Allemagne se dévouera pour un peuplus de 20000 d’entre eux.

Notre programme de réinstallationdevrait se développer au fil du tempspour atteindre 250 par an à l’horizon2020. Mais l’association Vluchtelin-genwerk juge cette perspective-là égale-ment assez misérable. “Nous avions es-péré qu’il y aurait un arrangement particu-lier, au-delà des quotas habituels, pour lesréfugiés syriens, déplore la directrice, ElsKeytsman. Ils occupent en ce moment, vrai-semblablement à juste titre, une part impor-tante de ce programme de réinstallationalors qu’il y a d’autres conflits en cours. LaBelgique pourrait franchement faire beau-coup plus pour les réfugiés syriens.”Jusqu’ici, la Belgique a régularisé 3000

dossiers de réfugiés syriens, environ97% des demandes qui lui sont parve-nues. Els Keytsman : “Cela prouve quandmême qu’il se passe des choses graves en Sy-rie, non ? Ces chiffres peuvent dès lors êtreperçus comme une sorte de message très cy-nique, comme si notre pays disait aux Sy-riens : vous pouvez bénéficier d’une protec-tion en Belgique mais, avant cela, il vousfaudra d’abord risquer votre vie en mer oupasser entre les mains de trafiquants d’êtreshumains.”Theo Francken (N-VA), le nouveau se-

crétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration,affirme qu’il ne modifiera en rien sesplans. Et il n’y aura pas non plus de pro-gramme exceptionnel, comme lorsque laBelgique avait accueilli 1 200 Kosovars en1999. “Je serai déjà content si j’arrive à ap-pliquer le programme du gouvernement,dit-il. Je suis très conscient de la souffrancedes Syriens mais on ne peut pas faire abs-traction du nombre total de demandeursd’asile qui affluent dans notre pays. La Bel-gique reste l’une des plus importantes terresd’asile en Europe.”

—Ayfer ErkulPublié le 31 octobre

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

“C’est comme si notrepays disait aux Syriens :vous pouvez bénéficierd’une protection enBelgique mais il vousfaudra d’abord risquervotre vie...”

D'UN CONTINENT À L'AUTRE Courrier international – n° 1254 du 13 au 19 novembre 201428.

Page 29: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

—De Morgen Bruxelles

Sérieux coup dur pourBrussels South Charle-roi Airport (BSCA) : la

société gestionnaire de l’aéro-port va devoir trouver 15,5 mil-lions supplémentaires pourpouvoir boucler son budgetl’année prochaine. Ce sontdeux décisions concomitantesqui mettent le site dans une si-tuation financière difficile.La première émane de la

Commission européenne. Dé-but octobre, l’Europe a décidéque la société BSCA devaitpayer une somme plus élevéepour l’utilisation de l’infras-tructure aéroportuaire, qui estla propriété de la Région wal-lonne. Pendant des années, laRégion a payé la plus grandepartie de cette somme mais laCommission européenne es-time que cet état de fait créaitune concurrence déloyale vis-à-vis de l’aéroport de Zaventem.L’addition sera dorénavant

multipliée par cinq pourBSCA : de 3 à 15 millions. BSCAest encore en train d’examinersi elle peut exercer un recourscontre cette décision mais en-tretemps, une autre initiative,cette fois de la Région wal-lonne elle-même, vient encoreplomber les comptes du ges-tionnaire de l’aéroport.Le gouvernement wallon a

en effet, de son côté, décidé deréduire de 15% les subven-tions “sécurité” et “sûreté” dusite. Soit une diminution de,respectivement, 900000euros et 2,1 millions pour l’aé-roport. Ces deux nouvellestombent au plus mauvais mo-ment pour BSCA qui est entrain d’investir à hauteur de 85millions d’euros dans l’agran-dissement du site, et ce à unmoment où Gosselies perddes clients au profit de Zaven-tem, Ryanair ayant entreprisde déployer ses activités éga-lement là-bas.

“Il est clair que ces deux déci-sions, de l’Europe et de la Wallo-nie, vont plomber les revenus de

Charleroi mais le fait que Zaven-tem leur prend des clients joueégalement un rôle”, commenteEddy Van de Voorde, spécia-liste en économie des trans-ports à l’Université d’Anvers.

“Toutefois, leur plus grand pro-blème, c’est peut-être leur dépen-dance vis-à-vis de Ryanair. Jeconnais cette entreprise depuislongtemps maintenant mais ilreste impossible de prévoir cequ’ils vont faire. MichaelO’Leary est un homme brillantmais c’est aussi un électron libre.Pour l’instant, Ryanair se portebien et s’apprête même à faireson entrée dans l’aéroport deSchiphol [Amsterdam]. Mais lasociété irlandaise est en traind’atteindre les limites de sa crois-

sance. S’ils arrivent dans unezone de turbulences, ils se met-tront à examiner quelles sont leslignes moins rentables qu’ilspourraient supprimer. Et, dansce cas, on peut craindre que cer-taines lignes au départ de Char-leroi soient concernées. L’addi-tion pourrait être salée. Toute laquestion est donc de savoir siRyanair risque de changer de po-litique.”Il y a tout de même une

bonne nouvelle pour l’aéro-port de Charleroi, même sielle est encore à mettre auconditionnel. “Le transport aé-rien va encore connaître la crois-sance au cours des trois à cinqprochaines années. C’est vraipour tous les aéroports, y com-pris celui d’Anvers, par exemple.Le site de Charleroi va encore enprofiter un peu même si la crois-sance sera moins forte qu’aupa-ravant.”Mais, quoi qu’il en soit,

Eddy Van de Voorde pense quel’aéroport de Gosseliesn’échappera pas aux difficul-

tés. “Dans l’immédiat, le gou-vernement wallon ne peut pas sepermettre de laisser cet aéroportdans la tourmente mais, à pluslong terme, Charleroi va devoirse poser la question de la gestiondes coûts. En plus, il est très pos-sible que les pouvoirs publicswallons doivent assainir leurs fi-nances et qu’ils finissent par de-voir opérer un choix entre, met-tons, les soins de santé ou l’ensei-gnement et cet aéroport. Et si leschoses en arrivent là, il n’est passûr que Gosselies reste en tête detoutes les priorités. Il faut savoirque l’ancien ministre des Trans-ports, le CDH André Antoine, aopté, de manière assez irréflé-chie, pour une croissance débri-dée dans ce secteur mais celle-cine pourra pas être maintenue in-définiment.”Et sinon, tout ceci aura-t-il

des conséquences à Zaventemégalement ? “Non, ils se dé-brouillent bien. Ils doivent me-ner leur propre politique.”

—Dominique SoenensPublié le 6 novembre

TRANSPORTS

Gros temps sur CharleroiEntre les exigences européennes, la concurrence de Zaventem etsa dépendance à l’égard de la seule Ryanair, l’aéroport de Charleroia du souci à se faire.

Édito

Fraudepour fraude●●● C’est ce qu’on pourraitappeler une séquence pour lemoins malheureuse. Jeudi,120000 personnesmanifestaient à Bruxellescontre le programme d’ungouvernement jugé tropclément pour les détenteurs decapital et trop dur envers lestravailleurs et les allocatairessociaux.Le même jour, uneconstellation de journalistes àtravers le monde mettait aujour des pratiques à l’éthiquediscutable à défaut d’êtreillégales permettant à degrands groupes de réduire àtrès peu l’impôt qu’ils doiventpayer.Jeudi toujours, les propriétairesd’Omega Pharma, en vendantleur entreprise, réalisaient uneplus-value d’1,45 milliardd’euros sur laquelle aucunetaxe ne sera prélevée.Deux jours plus tard, onapprend que le gouvernementet le secrétaire d’Etat à laFraude sociale, Bart Tommelein(Open VLD), s’apprêtent àrelever les compteurs de gaz,d’eau et d’électricité deschômeurs déclarés “isolés”pour voir s’ils ne vivent pas enréalité avec une autre personneet ne devraient dès lors pasêtre assujettis au tauxcohabitant. C’est donc jusquedans la chambre à coucher descitoyens que l’Etat va mener lachasse à la fraude sociale.Certes, il s’agit dans le chef dugouvernement de fairerespecter une loi. Mais cette loiest-elle encore respectable?Faut-il donc contraindre lesfemmes, qui constituentl’immense majorité deschômeurs cohabitants, àrefuser de se mettre enménage ou à emménagerseules pour obtenir uneallocation un rien meilleure ettenter d’échapper ainsi un peuà la pauvreté? Cegouvernement ne pourrait-ilpas enfin concevoir les droitssociaux indépendamment deschoix de vie que posent sesbénéficiaires? C’est aussi à cegenre de réformes que l’onjugera la capacité de cetexécutif à moderniser le pays.Sans quoi, il restera dansl’Histoire comme un monstrefroid.

“Toute la questionest de savoir siRyanair risquede changer depolitique.”

—Vincent RocourLa Libre Belgique

Publié le 10 novembre

↓ Dessin de duBus parudans La Dernière Heure.

BELGIQUECourrier international – n° 1254 du 13 au 19 novembre 2014 29

Page 30: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

unioneuropéenne

↙ Dessin de Vlahovic, Serbie.

—Stern Hambourg

Lors des élections légis-latives du 26 octobre en Ukraine, près de 70 % des

suff rages se sont portés sur les partis pro-occidentaux. Le choix des Ukrainiens est clair, et proba-blement historique. En faveur de l’Europe. On pourrait maintenant attendre de l’Union européenne qu’elle tende la main à ce pays en détresse, paralysé par la “drôle de paix froide” des séparatistes pro-russes à l’Est, et dont l’économie est à terre. Qu’elle agisse immédia-tement. Et généreusement. Même si une adhésion de l’Ukraine à l’UE est pour le moment exclue.

Il serait toutefois risqué de placer tous ses espoirs dans l’Oc-cident. Les Européens ne peuvent – ni ne veulent – porter le fardeau ukrainien sur leurs épaules. Le pays est trop grand et économi-quement trop faible. Et l’UE a ses propres problèmes à régler.

Le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude  Juncker, vient juste d’annoncer un programme d’investissement de 300 milliards d’euros pour encourager la relance à l’intérieur de la Communauté. Et nous, les Allemands ? [Sommes-nous prêts à] payer pour les Ukrainiens et à laisser fi ler notre équilibre budgétaire ? Impensable.

Pourtant, l’Ukraine a besoin de soutien si l’on veut éviter que la misère sociale et économique ne débouche sur de nouvelles émeutes révolutionnaires. L’économie ukrainienne devrait se contracter d’au moins 6,5 % cette année – une tragédie comparable à celle de la Grèce. Près de la moitié des entreprises ukrainiennes enregistrent des pertes cette année. Les chaînes de production du constructeur automobile ZAZ sont à l’arrêt. Le fabricant de fusées Juschmasch est passé à la semaine de trois jours. Le fournisseur de turbines Sumy Frunze a perdu la moitié de ses contrats. Tout cela parce que les clients russes se sont

Diplomatie. Il faut composer avec Moscou

évaporés. Or l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange avec l’UE a été repoussée à la fi n de l’année 2015 afi n de trouver un compromis avec la Russie sur les taxes douanières. Ce qui retarde d’autant les investissements européens en Ukraine.

L’Ukraine ne peut pas se passer de la Russie. Elle n’a d’autre choix que de réactiver ses relations avec son puissant voisin. Il faut lever les sanctions, et vite, car elles pénalisent autant l’Europe que l’Ukraine et la Russie. En août, les exportations allemandes ont chuté de 5,8 % par rapport au mois de juillet et les exportations en direction de la Russie ont diminué

de 26,3 % par rapport à l’année précédente. Dès leur introduction, les sanctions contre la Russie ont été politiquement problématiques. Elles servaient davantage les intérêts des Américains que ceux des Européens. Les Etats-Unis – pour qui les pays de l’Est ne sont pas un marché prioritaire – ne cachent pas leur volonté d’isoler leur rival russe et de couper l’Europe de Moscou. Or la Russie reste une puissance incontournable sur la scène internationale, notamment au Moyen-Orient, où elle soutient le régime syrien.

A l’époque soviétique, les Européens avaient toujours pris soin de mettre les échanges économiques à l’abri des crises politiques. Que ce soit lors de l’intervention des forces du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, de l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques ou de la crise des euromissiles, jamais les relations commerciales n’ont servi de terrain d’affrontement. L’invasion de l’Afghanistan n’avait provoqué qu’un appel au boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980. Seule exception : l’embargo sur l’acier, instauré par les Occidentaux en 1962, en pleine guerre froide, et qui aura des conséquences désastreuses pour les entreprises allemandes.

Il est temps que l’Europe conçoive une nouvelle Ostpolitik, pour elle, pour l’Ukraine et pour la Russie. Une stratégie qui lie les deux pays à l’UE et stabilise leurs relations. La paix et la prospérité ne sont possibles en Europe – et en Ukraine – qu’avec la coopération de la Russie. Il n’est pas diffi cile de défi nir le futur statut de Kiev : l’Ukraine a voté pour l’Europe mais elle n’a pas sa place au sein de l’Otan, et les russophiles de l’est du pays doivent être dotés d’une large autonomie.

Berlin doit prendre les devants. Angela  Merkel aura bientôt l’occasion d’envoyer un signal clair en invitant Vladimir Poutine au sommet du G7, qui doit se réunir en Bavière en juin prochain. Et en scellant ainsi le retour du G8, avec la Russie.

—Hans-Ulrich JörgesPublié le 30 octobre

Les sanctions servent davantage les intérêts des Américains que ceux des Européens

La politique de sanctions envers la Russie ne répond aux besoins ni de l’Ukraine ni de l’Europe. Pour ne pas aggraver la déstabilisation de la région, Bruxelles doit trouver un terrain d’entente avec Vladimir Poutine.

30.

Page 31: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

UNION EUROPÉENNE.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

—Revista 22 Bucarest

Viktor Orbán vient une nouvelle fois de tenter de repousser les limites de

son autoritarisme. En octobre, il a essayé de restreindre la liberté d’expression sur Internet, ins-taurant une taxe sur les giga-bits consommés. Dans l’Europe de notre siècle, où Bruxelles lutte en permanence avec les sociétés de télécommunications afin de réduire le prix d’un ser-vice devenu depuis longtemps essentiel, la Fidesz et sa loco-motive, Viktor Orbán, aime-raient plutôt appliquer un modèle chinois de contrôle d’Internet. L’anachronique Premier ministre hongrois a cherché en réalité à attaquer la communauté la mieux organisée du pays, celle des inter-nautes – une communauté qui s’est développée comme un antidote face aux essais réus-sis, jusqu’à présent, du pouvoir de museler la presse tradition-nelle. Il a renoncé à sa taxe après s’être rendu compte qu’il avait ainsi fédéré l’opposition et que l’ampleur des contestations ne pouvait qu’augmenter. Donc, après une semaine de contesta-tions, il a fait marche arrière. Un geste calculé. Ce qui unissait les opposants a disparu, qui plus est publiquement. Orbán est devenu “malléable”. Il y aura une consul-tation nationale sur ce thème en janvier prochain.

“Le lobby des jus d’orange sans orange en guise de jus d’orange a été défait”

Il est rare que l’on révoque une mesure antidémocratique en “Orbanistan”, la République où, à l’aide d’une majorité par-le mentaire des deux tiers, le Premier ministre n’a eu de cesse de réduire les droits de ses concitoyens. En à peine quatre ans, la Hongrie est devenue un pays qui ressemble plus à un pays d’Asie centrale qu’à un Etat membre de l’UE et de l’Otan. Le Premier ministre hongrois est un politicien extrêmement versatile. Ses excès n’ont jamais dépassé le seuil qu’il pouvait atteindre sans que sa gouvernance soit mise en danger.

Réaction anémique. D’abord, il a choqué et laissé bouche bée l’Europe et les Etats Unis, nationalisant des fonds privés de retraite, faisant taire la presse libre. Il a nationalisé des terres, allant jusqu’à les réclamer à des citoyens européens. La réaction de l’UE et des Etats-Unis a été pour le moins anémique. Il n’en est pas arrivé là en un seul jour. Après les élections qui l’ont amené au gouvernement la première fois, en 2010, sa principale préoccupation a été d’asseoir son pouvoir. Tout poste de dirigeant important est occupé par un allié, un membre de parti ou un fidèle d’Orbán – de la presse sous contrôle de l’Etat jusqu’aux entreprises nationales. Il a nommé 11 des 15 membres de la Cour suprême de justice. Personne

d’autre en Europe ne jouit d’un tel mandat électoral. Cette année, il a même réussi à tout rafler aux élections : pas seulement aux élections parlementaires, mais aussi aux élections européennes, puis locales. Il s’est construit une machinerie électorale extrê-mement eff icace. Pourtant, malgré l’aide constante fournie par cet appareil, il reste étonnant qu’une nation qui a traversé le communisme choisisse de donner par deux fois un tel chèque en blanc à Orbán. Le cas est unique en Europe, et les mécanismes par lesquels la démocratie peut encore être maintenue ici sont peu nombreux. Mais ils existent. Quelques-uns sont entre les mains de Bruxelles, mais l’UE a décidé de ne pas les utiliser. Il s’agit tout d’abord de l’article 7 du traité de Lisbonne, qui concerne la suspension du droit de vote d’un Etat membre pour non-respect des valeurs de l’UE. Il existe également la possibilité de suspendre temporairement les subventions européennes, mais cette mesure ne frappe pas seulement le gouvernement.

L’esprit civique. Un autre remède reste le recours aux urnes. Mais cela ne peut arriver qu’en 2018. Les chances pour un scrutin anticipé sont quasi nulles. Et personne n’imaginerait que Viktor Orbán demande un vote de confiance ou que l’opposition soit suffisamment forte pour imposer des élections anticipées.

Donc, qu’est-ce qu’il reste ? L’esprit civique des Hongrois, peut-être. La taxe Internet a été retirée à la suite de la pression exercée par les dizaines de milliers de gens qui sont descendus dans la rue. Ce fut une leçon, car Viktor Orbán a peur des réactions de masse. Les seuls moments où la Hongrie a été une démocratie ont été ceux où Orbán s’est senti menacé par les manifestations. Deux exemples : en 2012, quand le président Pál Schmitt a été accusé de plagiat et que les contestations et les critiques ont continué jusqu’à sa démission ; la même année, le gouvernement a renoncé à l’idée de supprimer les subventions aux étudiants après des manifestations immenses. L’esprit civique demeure, pour le moment, la seule arme efficace contre les dérapages de Viktor Orbán.

—Eliza FrâncuPublié le 4 novembre

la confédération, la hausse de la teneur en fruits de ces boissons pourrait par ailleurs sauver plus de 10 000 hectares de plantations d’agrumes.

Dans le camp opposé, Aurelio Ceresoli, le président d’Assobibe, l’association qui représente les producteurs de boissons sans alcool, relève que ces nouvelles restrictions ne s’appliquent qu’à la production italienne “et non aux produits importés”, avec “des répercussions négatives pour toutes les entreprises qui produisent, investissent et créent de l’emploi en Italie. Un exemple de masochisme plus que de défense des industries nationales et de leurs travailleurs”.

Freins et obstacles. Pour Aurelio Ceresoli, ce nouveau règlement est bien trop inter-ventionniste, “[l’Etat] impose ses recettes de manière arbitraire et compromet la production, sur le territoire italien, de jus d’orange prisés depuis des décennies, sans le moindre fondement scientifique ni le moindre mobile sanitaire”. En outre, selon l’association, “il n’est ni vrai ni démontrable que la hausse de 20 % se traduira automatiquement par un développement de la filière

du jus de fruit italien. En effet, si la part de marché des boissons made in Italy diminue au profit des boissons produites à l’étranger, la filière du jus de fruit italien s’en ressentira.”

Federalimentare [la fédération de l’industrie agroalimentaire] y est aussi hostile. Elle parle “d’entraves ratifiées de manière définitive par l’assemblée vis-à-vis de ceux qui produisent et investissent en Italie”. Son président, Filippo Ferrua, juge néfaste d’instaurer des freins et des obstacles cantonnés à l’Italie. “Cela revient à favoriser les étrangers, pénaliser la compétitivité italienne, et menacer des milliers d’emplois directs et indirects.” “La norme ratifiée, ajoute-t-il, vient démontrer la myopie d’un législateur qui, au nom de principes abstraits et discutables, se dérobe à son devoir prioritaire de porter un regard pragmatique sur la vie des entreprises.”—

Publié le 22 octobre

HONGRIE

Ce n’est pas l’Union qui arrêtera OrbánFace aux dérapages autoritaires du Premier ministre hongrois, Bruxelles est bien trop passif.

—Il Fatto Quotidiano Rome

De l’huile d’olive extra vierge vraiment “extra” et plus d’oranges dans les

jus d’orange. Ce sont quelques-unes des conséquences de la directive européenne ratifiée le 22 octobre par l’Assemblée ita-lienne. L’article 18 intime, entre autres, à tous les restaurateurs d’utiliser des bouteilles d’huile d’olive extra vierge scellées, afin d’éviter que les clients n’assai-sonnent leur salade avec une huile “diluée” ou coupée avec de l’huile de mauvaise qualité, et de garan-tir que le produit corresponde bien à l’étiquette. Les contreve-nants s’exposent à une amende de 8 000 euros, assortie de la saisie du produit.

Répercussions. Un autre des articles contenus dans ces mesures a fait sauter de joie les représentants des agriculteurs : celui sur la hausse de 12 à 20 % de la teneur obligatoire en jus d’orange dans les boissons à base d’orange. Mais la décision mécontente au contraire les producteurs italiens de boissons. “Le lobby des jus d’orange sans orange qui prétendait continuer à vendre de l’eau en guise de jus d’orange a été défait”, a déclaré Roberto Moncalvo, le président de la Coldiretti [la principale organisation syndicale des agriculteurs]. Il a en outre souligné que grâce à cette nouvelle norme issue du droit européen “on estime que les 23 millions d’Italiens qui consomment des boissons gazeuses ‘boiront’ 200 millions de kilos d’oranges en plus par an”. Selon

ITALIE

Le jus d’orange dans tous ses étatsLa transposition des directives européennes en droit national pose parfois problème. C’est le cas actuellement en Italie au sujet des boissons à base de jus d’orange.

↓ Dessin d’Oliver paru dans Der Standard, Vienne.

31

Page 32: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

à la une

LA GUERRE DU BOX-OFFICEHOLLYWOOD-

“C’est en 2014 que la guerre entre Hollywood et Pékin

aura vraiment commencé.” Cette petite phrase

de Zhang Hongsen, l’un des tout-puissants dirigeants

de l’audiovisuel public chinois, est lourde de sens.

A l’heure où la Chine découvre le cinéma comme

divertissement de masse, elle n’a pas l’intention

de laisser aux Américains le monopole de ses écrans.

A Shanghai, Pékin ou Qingdao, des usines à rêves

sortent de terre avec l’ambition de produire des

blockbusters qui se vendront dans le monde entier.

Le début de la fin pour Hollywood ?

32.

Page 33: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

PÉKIN

arraché les parts. Le 14 juin, le jour même de l’ou-verture du Festival de Shanghai, les titres de la seconde phase d’émission ont été mis en vente, portant sur une enveloppe totale de 92 millions de yuans [12 millions d’euros], pour 5 fi lms. Trois jours ont suffi pour tout écouler.

“Nous qui produisons des fi lms depuis plus de trente ans, nous sommes aujourd’hui en passe d’être supplantés par des ‘concurrents amateurs’”, a fait observer le président de Shanghai Film Group (SFG) lors du même festival. De fait, tout le monde partage une même préoccupation : le mariage d’Internet et du cinéma fait-il entrer le loup dans la bergerie ?

Les sociétés de production privées redoutent d’être englouties par les grosses pointures du web. Comme le fait remarquer la productrice An Xiaofen, qui a notamment produit Xiao Shidai [Tiny Times, un gros succès de 2013], le fournis-seur de services Internet Tencent, le moteur de recherche Baidu et le site de vidéo en ligne LeTV débarquent en force et se font une place au détri-ment des studios de production traditionnels. “Certaines petites structures risquent fort d’être englouties par ces grosses sociétés Internet ou par certains fi nanceurs”, fait-elle valoir.

Chinawood : un titan s’éveilleAlors que le marché du cinéma chinois explose, les studios ont entrepris de s’inspirer des techniques hollywoodiennes pour produire des divertissements de masse. Un secteur dans lequel les géants d’Internet ont déjà une longueur d’avance.

Un marché qui reste sous contrôle

Le système de quotas permet à la Chine de protéger ses productions sur un marché local en pleine explosion.SOURCE : ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA PRESSE, DE L'ÉDITION, DE LA RADIODIFFUSION, DU CINÉMA ET DE LA TÉLÉVISION CHINOISE

2009

2010

2012

2011

► 909 millions

56,3 %

56,6 %

53,6 %

48,5 %

59 %

► 2,03 milliards

► 2,74 milliards

► 3,6 milliards

► 1,53 milliard

► Recettes au box-office chinois (en dollars)

Part des films chinoisPart des films étrangers (tous pays confondus)

2013

16

34

C’est le nombre de salles de cinéma qui ouvrent chaque jour en Chine, selon les calculs du Hollywood Reporter. La cadence de construction s’est encore accélérée en 2014 par rapport à 2013, année au cours de laquelle 500 salles ont été bâties (soit 13 par jour en moyenne). La Chine compte aujourd’hui plus de 20 000 salles de cinéma, contre 1 400 en 2002 : un signe parmi d’autres de l’affi rmation de sa classe moyenne et de l’essor du 7e art comme activité de loisir. Le pays reste toutefois loin derrière les Etats-Unis, qui totalisent près de40 000 écrans pour une population quatre fois moindre.

C’est le nombre de fi lms étrangers qui peuvent sortir en Chine chaque année, dont 14 en Imax 3D. Ce quota, imposé pour favoriser l’essor du cinéma chinois, était initialement de 20. Il a été revu à la hausse en 2012, sous la pression des Etats-Unis et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et sera renégocié en 2017. “Le besoin en salles de cinéma retient Pékin d’augmenter davantage le quota”, écrit The Wall Street Journal, citant Victor Koo, le PDG de Youku Tudou, équivalent chinois de YouTube. Un autre sujet de dispute est le montant des recettes reversé aux producteurs étrangers.

—Nanfang Zhoumo (extraits) Canton

A l’avenir, pour se développer, les sociétés cinématographiques devront répondre à la demande d’entreprises numériques comme Baidu, Alibaba et Tencent. Nous devrons nous conformer à leurs desiderata.” Cette déclaration de Yu Dong, le président de

la société de production Bona, a fait l’eff et d’une bombe lors du 17e Festival international du fi lm de Shanghai, en juin. Elle a été prononcée à l’oc-casion d’une prise de parole lors d’un forum inti-tulé : “Les stratégies de fi nancement planétaire des œuvres cinématographiques”. A vrai dire, durant les huit jours qu’a duré le festival, la vingtaine de forums organisés avaient presque tous trait à Internet : séries web, fi lms du Net, Yulebao… Tous les “nouveau-nés” de l’ère du big data ont fait parler d’eux. Yulebao [littéralement, “trésor du divertissement”] est une plateforme de fi nan-cement participatif lancée en mars par le site de e-commerce Alibaba. La première émission de titres, d’une valeur totale de 73 millions de yuans [9,5 millions d’euros], devait fi nancer la produc-tion de plusieurs fi lms grand public. En moins d’une semaine, 160 000 participants s’étaient

↓ Kung-Fu Panda, un exemple d’appropriation réussie de la culture chinoise par un studio américain. Le fi lm de Dreamworks a cartonné lors de sa sortie en Chine, en 2008.

DR

EAM

WO

RKS

AN

IMAT

ION

/PA

RA

MO

NT

PIC

TUR

ES F

RA

NC

E

→ 34

33

Page 34: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

TOP 5 L’ACTEUR

Hero, 2002

LE FILM qui a changé la donne

(CHINE)Journey to the West

(ÉTATS-UNIS)Iron Man 3

(CHINE)So Young

(ÉTATS-UNIS)Pacific Rim

(CHINE)Détective Dee 2 : la légende du dragon des mers

CHINE VS

HuangBo

491 millionsde dollars

de recettes

204

123

117

113

98

← Le roi de la comédie grand public. Né en 1974, il a été à l’affiche des deux films chinois qui ont battu tous les records ces dernières années : Lost in Thailand (2012, 207 millions de dollars de recettes) et Journey to the West (2013, 204 millions de dollars).

← Le tout premier blockbuster chinois. Avec sa brochette de stars de renommée internationale (Jet Li, Tony Leung, Maggie Cheung, Zhang

Ziyi…), le film de sabre de Zhang Yimou a prouvé qu’une superproduction

chinoise pouvait marcher à l’étranger. Lors de sa sortie

aux Etats-Unis, en 2004, Hero a réussi le second meilleur lancement de l’histoire du cinéma pour un film en langue étrangère, derrière La Passion du Christ, de Mel Gibson.

Les films les plus vus en 2013Revenus générés au box-office national, en millions de dollars

Le poids lourd du box-office 2013

BOX-OFFICE 2013Recettes, en milliards de dollarsEvolution par rapport à 2012

+ 27 %3,6

À LA UNE Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Les réalisateurs, quant à eux, craignent de perdre leur raison d’être. A en croire Gao Jun, producteur et gérant d’une chaîne de cinémas, ils redoutent que Yulebao ne leur dicte à l’ave-nir le contenu de leurs fi lms et la manière de les tourner, une fois le fi nancement participa-tif devenu incontournable. Un autre de leurs motifs d’inquiétude : avec Internet, la renom-mée du cinéaste ne risque-t-elle pas d’avoir moins d’importance ? Prenons l’exemple de Baba qu nar (Where Are We Going, Dad ?, 2014). Ce fi lm [adapté d’une série télévisée à succès] a été bouclé en un temps record, sous la direc-tion d’un réalisateur peu connu, avec très peu de stars à l’affi che. Néanmoins, grâce à “l’eff et fan” des réseaux sociaux, il a cartonné au moment des fêtes du nouvel an chinois. Le PDG de LeTV, Zhang Zhao, estime qu’“il est possible qu’à l’ave-nir la production de fi lms puisse se passer de grands réalisateurs et de stars, en s’emparant seulement de ce qui fait le buzz sur Internet”.

“Nous ne sommes pas des empêcheurs de tourner en rond, mais une puissance importante qui aidera à l’avenir les sociétés du cinéma et de la télévision à développer le potentiel économique représenté par les fans sur les réseaux sociaux”, a souligné à maintes reprises Liu Chunning, le directeur général de Yulebao, lors des forums. Chez Yulebao, la règle du jeu est la suivante : les internautes fi nancent un programme de production télévisée ou cinémato-graphique avec un apport minimum de 100 yuans [13 euros]. Le nombre de parts est limité à 10 par personne. Sur le papier, les rendements attendus ne sont pas très attractifs sur le plan fi nancier. Pour Liu Chunning, ce qui importe surtout, c’est “l’économie des fans” induite, qui permet de doper les ventes de places de cinéma, d’activités tou-ristiques et de produits dérivés. Les fi nanceurs d’un fi lm se voient inviter à l’avant-première ; ils peuvent également se rendre sur les lieux du tournage et sont prioritaires lors de la vente aux enchères des objets du tournage, entre autres avantages. Ces fi celles étaient déjà utilisées par les producteurs de fi lms pour faire de la publi-cité pour leur produit. La grande diff érence est qu’aujourd’hui la participation du public peut se faire par téléphone portable.

L’incubateur Internet. Lang tuteng est le pre-mier fi lm réalisé en collaboration avec Yulebao [cette coproduction franco-chinoise basée sur un roman chinois à succès, réalisée par Jean-Jacques Annaud, doit sortir en France en février 2015 sous le titre Le Totem du loup]. Dix pour cent des frais de promotion ont été insérés dans l’off re de fi nancement participa-tif proposée en ligne. Le fi lm affi che un budget de 700 millions de yuans [91,7 millions d’euros, 114,5 millions de dollars]. Sachant qu’en général les frais de promotion d’un fi lm ordinaire repré-sentent environ 30 % du coût total, et compte tenu de la limitation du nombre de parts par personne, cela veut dire qu’entre 20 000 et 200 000 per-sonnes sont devenues actionnaires du fi lm.

Selon des données offi cielles, en décembre 2013, le nombre d’internautes en Chine s’élevait déjà à 618 millions, soit la moitié de la population chinoise. Le public des fi lms en Chine est jeune : la moyenne d’âge des spectateurs est de 21,8 ans. Ce sont également ces gens-là qui constituent la

catégorie majoritaire des internautes, Internet exerçant sur eux une infl uence très importante, tandis que celle des médias classiques recule.

Le roman de Guo Jingming dont est tiré le fi lm Tiny Times a ainsi une foule de fans sur le Net ; de même, Zhi qingchun (So Young, 2013) est une adaptation à l’écran d’un cyber-roman. Dans les deux cas, c’est l’énorme public potentiel de ces œuvres qui a poussé les producteurs à fi nancer leur transposition au cinéma. Les deux fi lms ont été qualifi és de “fi lms de fans”, et pour cer-tains connaisseurs, ce sont par essence des “fi lms Internet”, à savoir des fi lms qui correspondent aux critères esthétiques de l’ère Internet. Leur diff u-sion doit beaucoup aux réseaux sociaux comme Sina Weibo et Weixin (WeChat).

“Internet est l’incubateur des sujets de cinéma. On y trouve de tout, du bon comme du mauvais ; il s’agit de bien choisir”, nous a expliqué le respon-sable d’une société de production. Pour ce direc-teur, Yulebao peut jouer le rôle de baromètre : “Les petits actionnaires refl ètent bien l’opinion géné-rale du public. Que personne n’ait envie de fi nancer un fi lm lors d’une opération de fi nancement parti-cipatif montre qu’il y a un problème quelque part ; dans le doute, mieux vaut abandonner le projet.”

“Qui décide du tournage d’un film ? Autrefois, c’étaient les artistes, et si le public n’adhérait pas, les artistes le maudissaient et disaient qu’il n’avait rien compris. Cette époque est bientôt révolue. La perception des fi lms par les spectateurs ayant une importance primordiale, pourquoi ne seraient-ils pas associés à leur élaboration ?” Les propos de ce responsable de maison de production audio-visuelle vont sans doute dans le sens de ce que souhaitent les futurs fi nanceurs.

Révolution. “A l’avenir, sur 15 films diffusés par nous, 5 seront chinois”, affi rme pour sa part Ryan Kavanaugh. PDG de la société de produc-tion américaine Relativity Media, il se dit de son côté très intéressé par l’utilisation des big data pour faire des fi lms ou des téléfi lms chinois. Relativity Media est une société de production indépendante d’œuvres cinématographiques et musicales. Elle a à son actif The Forbidden Kingdom (Rob Minkoff , 2008), une coproduction sino-américaine avec Jet Li et Jackie Chan dans les rôles principaux, ainsi que The Social Network, réalisé par David Fincher en 2010.

Ryan Kavanaugh connaît bien la question des big data. La presse occidentale prétend qu’il a

Retrouvez sur Télématin la chronique de Marie Mamgioglou sur “Un titan s’éveille”, dans l’émission de William Leymergie, lundi 17 novembre à 7 h 38.

33 ←

34.

Page 35: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

TOP 5 L’ACTEUR

Avatar, 2009

LE FILM qui a changé la donne

(ÉTATS-UNIS/RU/CANADA)

(ÉTATS-UNIS)

(ÉTATS-UNIS)

(ÉTATS-UNIS)

Iron Man 3 (ÉTATS-UNIS)

Hunger Games : l’embrasement

Moi, moche et méchant 2

Man of Steel

La Reine des neiges

VS ÉTATS-UNIS

DwayneJohnson

1,3 milliard de dollars

de recettes

409

400

368

291

277

→ En 1993, Jurassic Park, de Steven Spielberg, avait été le premier blockbuster américain à engranger davantage de recettes à l’étranger qu’aux Etats-Unis. En 2009, nouveau tournant : Avatar montre qu’Hollywood peut désormais miser

sur le box-office chinois pour rentabiliser ses superproductions. C’est en effet en Chine, Amérique du Nord exceptée, que le long-métrage a généré le plus d’entrées et de recettes au monde.

← Il devance de peu Robert Downey Jr., la star d’Iron Man, en tête du classement. A l’affiche de quatre films en 2013, dont Fast & Furious 6 et G.I. Joe : conspiration, l’ancien catcheur “The Rock”, né en 1972, est une valeur sûre du box-office américain. Pour les amateurs de bolides et de gros muscles uniquement.

Les films les plus vus en 2013

Le poids lourd du box-office 2013

BOX-OFFICE 2013

+ 1 %

10,9*

Selon certaines estimations, Hollywood pourrait être rattrapé par la Chine avant dix ans. Depuis 2012, celle-ci est le 2e marché cinématographique mondial.

* Ce montant comprend les recettes au box-office canadien (environ 1,7 milliard de dollars).

SOURCES : “CHINA DAILY”, “FORBES”, “HOLLYWOOD

REPORTER”, IMDB, MOTION PICTURE ASSOCIATION OF

AMERICAPHOTOS : RUSSEL

WONG/CORBIS, RENDERS-GRAPHIQUES.FR,

LI FANGYU/XINHUA PRESS/CORBIS,

IMAGINECHINA/CORBISCOURRIER

INTERNATIONAL

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014 LA GUERRE DU BOX-OFFICE.

“révolutionné” Hollywood en réussissant à intro-duire la science et les mathématiques dans le cinéma, un domaine surtout dominé jusque-là par l’art et l’audace. Tout a commencé en 2006 quand Ryan Kavanaugh a utilisé des techniques de gestion des risques en usage à Wall Street pour collecter l’ensemble des données relatives à tous les fi lms de toutes les sociétés de produc-tion d’Hollywood (noms des réalisateurs, acteurs, producteurs, dates de sortie des fi lms, etc.), puis il a entré ces informations dans une base de don-nées et les a comparées avec les données cinéma-tographiques antérieures. A partir de là, il a pu déterminer quelles circonstances conduisaient à des entrées record ou, inversement, à un fi asco, et quel était le taux de retour sur investissement.

En 2013, Kavanaugh a produit My Movie Project, un fi lm à sketchs à petit budget. Il a réuni 11 réali-sateurs et fait intervenir pas moins d’une vingtaine d’acteurs hollywoodiens de premier plan, dont Hugh Jackman, Kate Winslet, Uma Thurman et Halle Berry. Bien qu’il ait été jugé par de nombreux critiques “écœurant”, “stupide” et “eff rayant”, (pire image, pire réalisation et pire scénario), ce grand méli-mélo, dont le budget n’a pas dépassé 6 millions de dollars, a quand même engrangé

8,82 millions de dollars de recettes en Amérique du Nord et près de 30 millions au box-offi ce mon-dial grâce à “l’eff et fan” des réseaux sociaux. Des expériences similaires ont été menées en Chine par l’entreprise Internet Sohu.

Yang Guifei, un fi lm produit en Chine [un drame retraçant l’histoire d’une célèbre concubine de Xuanzong, empereur de la dynastie Tang] qui devrait sortir sur les écrans fi n décembre, est la première tentative concrète de l’équipe de Ryan Kavanaugh de prêter main-forte au cinéma chinois pour l’aider à accéder au marché étranger. Parmi les acteurs à l’affi che, on peut citer la star de l’écran Fan Bingbing et le chanteur Leon Lai ; Zhang Yimou et Tian Zhuangzhuang [deux réa-lisateurs chinois parmi les plus renommés] font partie de l’équipe des réalisateurs. “Pour l’ins-tant, nous n’en sommes qu’au tout début !” sou-ligne Ryan Kavanaugh.

Pendant ce temps-là, les cinéastes chinois se demandent si la production en fonction des big data ne risque pas de les faire sombrer dans le “travail à la chaîne”, produisant des choses sor-tant toutes du même moule.

—Li YilanPublié le 4 juillet

Télévision

Avertissement

On en parle

AVANTAGE AUX ÉTATS-UNISA l’issue de la Foire du marché des programmes de télévision d’automne à Pékin, l’ambiance est plutôt déprimée dans les milieux audiovisuels, écrit le site Sohu.com. Le volume de production, qui en 2000 s’envolait, décline depuis 2013. Certes, cette industrie reste parmi les plus profi tables, mais elle est complexe à piloter, entre les impératifs du marché du loisir et le contrôle idéologique du contenu par l’Etat. Résultat, les thèmes des séries qui seront diff usées en 2015 sur les chaînes traditionnelles ne se renouvelleront guère. Guerre sino-japonaise, séries en costumes et comédies de mœurs “citadines” seront encore au programme. Or la qualité des scénarios et des rôles est la clé du succès, souligne l’actrice Hai Qing, interrogée par le magazine Zhongguo Zhoukan. Surtout quand des séries américaines comme House of Cards ou Homeland séduisent un public de plus en plus large et sont disponibles en DVD ou en streaming (pas toujours légalement).De fait, les sites de vidéos en streaming font recette, dopés par l’accès à des contenus plus diversifi és. Mais en septembre 2014 les autorités ont annoncé que les contenus audiovisuels étrangers devraient obtenir un visa de censure dès avril 2015, ce qui s’ajoute à l’imposition d’un quota de 30 % maximum de contenus étrangers diff usés par les plateformes chinoises.

“SERVIR LE PEUPLE”La culture “ne doit pas être l’esclave du marché”, elle “ne doit pas se perdre en se laissant emporter par les lames de fond de l’économie de marché” ; elle doit “servir le socialisme, servir le peuple”. Ainsi s’est exprimé à la mi-octobre le président Xi Jinping, devant 72 personnalités du monde des arts qu’il avait convoquées pour leur délivrer ce discours, rapporté par le quotidien offi ciel Renmin Ribao. Largement commentées et développées par la presse offi cielle, les déclarations de Xi ont suscité un vif débat du fait de réminiscences de l’ère maoïste.

LES ATOUTS FRANCAISLes fi lms français réussissent parfois de belles percées en Chine. Lucy, de Luc Besson, était ainsi en tête du box-offi ce chinois la semaine de sa sortie, fi n octobre. Et une coproduction franco-chinoise, Le Promeneur d’oiseau, tournée en Chine par le Français Philippe Muyl, représentera la Chine aux Oscars dans la catégorie fi lms étrangers – peut-être réussira-t-elle là où tous les grands noms du cinéma chinois ont échoué.La Chine et la France ont un accord de coproduction depuis 2010. Les fi lms concernés sont considérés comme français en France (et bénéfi cient du système de fi nancement) et chinois en Chine (et échappent aux quotas). Des réalisateurs comme Jean-Jacques Annaud ou Wang Xiaoshuai en ont bénéfi cié.

35

Page 36: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

À LA UNE Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Sur Weibo, le Twitter chinois, beaucoup de spectateurs ont fait part de leur perplexité devant le nombre important de produits placés dans le fi lm. “Pourquoi, en plein désert du Texas, un homme sort-il une carte de la China Construction Bank pour retirer de l’argent au distributeur ?” s’est étonné l’un d’eux. Cette dernière image est sans doute emblématique de la nouvelle génération de block-busters américains, conçus pour franchir l’autre “Grande Muraille” – ces quotas qui limitent la distribution de fi lms étrangers en Chine ainsi que la part de recettes consentie à leurs producteurs – grâce à leur statut convoité de coproductions.

En collaboration avec leurs partenaires chinois, les producteurs de Transformers IV ont ainsi tourné une partie du fi lm en Chine. Ils ont confi é de petits rôles aux stars chinoises Li Bingbing et Han Geng, et signé une série de contrats de placement avec des marques chinoises. Mais la publicité la plus étrange du fi lm reste celle faite à un régime non démocratique à parti unique. Alors que la démocratie occidentale est incar-née par un dur à cuire du type Dick Cheney [vice-président américain aux côtés de George W. Bush

entre 2001 et 2009], qui dirige la CIA et domine largement un président incompétent, la riposte du gouvernement chinois à une invasion extrater-restre est effi cace et disciplinée. “Transformers IV est un fi lm très patriotique, a commenté le maga-zine américain Variety, seulement c’est du patrio-tisme chinois, et non américain.”

La dernière fois que les Etats-Unis ont été en rivalité avec un bloc communiste, l’Union sovié-tique, Hollywood s’est livré dans toutes ses pro-ductions, de L’Aube rouge (1984) à Rocky V (1990), à une impitoyable diabolisation des rouges, pré-sentés comme un peuple assoiff é de guerres. Mais à l’époque la Russie ne possédait pas, comme la Chine d’aujourd’hui, le marché cinématographique le plus fl orissant du monde. Selon Rob Cain, un producteur spécialisé dans les coproductions sino-américaines, “la Chine est promise à devenir l’arbitre de ce qui peut être fait et de ce qui sera fait”.

Quant à ceux qui craignent que Hollywood ne se donne pour mission de divertir la Chine, ils ont manqué une étape, car c’est déjà une réa-lité. Diffi cile de ne pas remarquer l’empreinte asiatique des fi lms sortis ces dernières années – Pékin ou Macao souvent en toile de fond, des vedettes chinoises au casting et des placements de marques dont les spectateurs occidentaux n’ont jamais entendu parler. Des personnages de méchants chinois ont par exemple été gommés au scénario de fi lms comme Pirates des Caraïbes (2007) ou Men in Black 3 (2012). Et dorénavant les monstres fi lent droit sur la côte ouest des Etats-Unis pour aller saccager les pays rive-rains du Pacifi que et menacer Hawaii et Hong Kong : c’était le cas cette année dans le remake de Godzilla et en 2013 dans Pacifi c Rim – peut-être un autre symbole du monstre hollywoodien qui envahit tout.

ADN modifi é. “Il y a dix ans, la Chine était un marché secondaire, fait observer Bruce Nash, un analyste du box-offi ce. Mais aujourd’hui, pour pro-duire le grand succès de l’été, il faut dépenser 400 mil-lions de dollars. Et pour rentrer dans ses frais il faut faire autant de recettes en Chine qu’aux Etats-Unis, donc trouver le moyen de plaire aux deux marchés sans off enser ni l’un ni l’autre.”

Il y a eu quelques ratés. L’an dernier, les pro-ducteurs d’Iron Man 3 souhaitaient réaliser une coproduction ; ils ont fi ni par lancer deux ver-sions du même fi lm. Dans l’une, distribuée en Chine, une scène exclusive montre un méde-cin chinois (joué par la star Wang Xueqi) qui regarde Iron Man défi er le Mandarin à la télé-vision et dit (en chinois) : “[Il] ne doit pas agir seul, la Chine peut l’aider”, avant de se verser un verre de lait de la marque chinoise Yili. Dans une autre scène absente de la version américaine, Iron Man se rend en Chine pour subir une opération

Divertir la Chine ? Pas si facilePour rentabiliser ses superproductions, Hollywood a désormais besoin de séduire le public chinois. Mais courtiser ce marché lui impose de périlleuses contorsions.

Financial Times (extraits) Londres

Personne n’a dit que conquérir le monde serait facile. Alors que Transformers IV. L’Age de l’extinction s’imposait cet été

comme le plus gros succès de tous les temps au box-offi ce chinois, détrônant Avatar, les produc-teurs du fi lm ont dû aff ronter les récriminations d’entreprises chinoises qui avaient payé pour que leurs produits apparaissent à l’écran.

Une chaîne de restauration qui vend des cous de canard s’est dite “très mécontente” de la séquence de trois secondes durant laquelle on aperçoit ses produits dans le fi lm. Et le parc national de Wulong Karst a été ulcéré de voir que les produc-teurs américains avaient pris un panneau indi-quant le “Pont du dragon vert” pour son logo et donné l’impression que la réserve naturelle était près de Hong Kong, alors qu’elle se trouve à plus d’un millier de kilomètres de là. A l’évidence, les gestionnaires du parc n’avaient jamais vu de fi lm de Michael Bay, cinéaste réputé pour faire joyeu-sement la guerre à toute forme de cohérence : spatiale, géographique et narrative.

À ARMES INÉGALES“Dans son poker avec Hollywood, la Chine joue avec des cartes truquées”, écrivait The Wrap en 2013. Le site spécialisé se faisait l’écho des complaintes de studios américains tentés par l’aventure chinoise. Ainsi Ashok Amritaj, le PDG de Hyde Park Entertainment Group (Ghost Rider) : “Le marché chinois est assez imprévisible. L’obtention du statut de coproduction n’est jamais acquise, et vous ne maîtrisez pas la date de lancement du fi lm, décidée en fonction des grosses sorties de fi lms en mandarin.” Une pomme de discorde est la répartition des recettes tirées du box-offi ce : alors que les studios touchent environ 50 % des ventes de tickets dans les salles américaines, ils ne touchent que 22,5 % des ventes de tickets en Chine.

← Signe des temps : en 2013, c’est à Pékin, dans la Cité interdite, que Marvel a lancé la campagne de promotion d’Iron Man 3. Photo Wang Zhao/AFP

36.

Page 37: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international —

1 an99 €

au lieu de 185 € (prix de vente

au numéro)

En cadeaul’agenda 2014-2015de Courrier internationalFinition soignée, design aux couleurs de Courrier international : cet agenda vous sera vite indispensable.Vous y retrouverez nos sources :es journaux et les sites étrangers

d’où sont issus nos articles. Une mine d’informations sur la presse internationale.

Format : 175 x 245 mmRuban marque-pagePrix public: 9,90 €

Je choisis de régler par :chèque bancaire à l’ordre de Courrier international

carte bancaire n° :

Expire fin : Cryptogramme :

Date et signature obligatoires :

Mes coordonnées RCO1400PBA254

Monsieur Madame

NOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

PRÉNOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

ADRESSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

TÉL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

E-MAIL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Bon d’abonnementA retourner à : Courrier international - Service abonnements - A2100 - 62066 Arras Cedex 9

Oui, je m’abonne pour 1 an (52 nos) à Courrier international pour 99 €au lieu de 185 €* et je recevrai en cadeau l’agenda 2014-2015.

* Prix de vente en kiosque. Offre valable en France métropolitaine jusqu’au 31/12/2014 dans la limite des stocks disponibles.En application de la loi Informatique et libertés, vous disposez d’un droit d’accès et de modification des informationsvous concernant. Celles-ci sont indispensables à l’enregistrement de votre commande et peuvent être cédées auxpartenaires de Courrier international. Si vous ne le souhaitez pas, merci de contacter notre service abonnements.

Abonnez-vous

+En

chirurgicale. “Personne ne va en Chine pour rece-voir des soins médicaux”, a ironisé un blogueur de Pékin, Eric Jou, dans un article intitulé “Pourquoi tant de gens en Chine détestent la version chinoise d’Iron Man 3”. De leur côté, beaucoup de fans américains ont été furieux que la version amé-ricaine du fi lm revienne sur les origines eth-niques du Mandarin : dans la BD, il s’agit d’un ancien magistrat chinois, impénétrable génie du mal ; dans le fi lm, il est britannique, homme de paille d’une organisation criminelle, et c’est Ben Kingsley qui lui prête ses traits.

Même si Iron Man 3 a fait 121 millions de dol-lars de recettes en Chine, sa distribution en deux versions montre bien les limites des ambitions planétaires de Hollywood. Transformers IV off re quant à lui deux fi lms en un : la première moitié se déroule en Amérique du Nord, avec à la clé un combat de robots dans les rues de Chicago, tandis que la deuxième moitié se passe en Chine, avec en apothéose une scène de combat dans les rues de Hong Kong. En cherchant à satisfaire les deux marchés, Hollywood teste les limites de la cohérence et de la fi délité du public. “Les produc-teurs de Hollywood ont une marge de progression, estime toutefois Phil Contrino, analyste en chef de BoxOffi ce.com. Ce marché en est à ses débuts. Nous sommes comme un bébé qui fait ses premiers pas avant de s’élancer vraiment. Le fait que les recettes chinoises de Transformers excèdent les recettes amé-ricaines est un moment sans précédent dans la dyna-mique entre ces deux cultures cinématographiques.”

De fait, la période actuelle est tout à fait nou-velle pour Hollywood, qui fait désormais offi ce de juke-box mondial, les autres pays fournis-sant les pièces pour faire tourner la machine. Ce sont les dinosaures de Steven Spielberg qui ont opéré le basculement. En 1993, grâce à Jurassic Park, les recettes extérieures de Hollywood ont excédé pour la première fois ses recettes inté-rieures et le chiff re a continué à augmenter d’an-née en année, pour représenter aujourd’hui 70 % du total. Les audiences américaines n’ont jamais aussi peu pesé dans la balance qu’aujourd’hui.

Portraits WANG JIANLINEn 2012, le patron de Wanda Group, conglomérat spécialisé dans l’hôtellerie et le divertissement, a racheté AMC, la deuxième chaîne de salles de cinéma nord-américaine. Cela fait de lui le plus gros exploitant mondial. Il aurait maintenant des visées sur Time Warner, croit savoir le Hollywood Reporter. Quatrième homme le plus riche de Chine, Wang Jianlin veut par ailleurs créer à Qingdao l’équivalent chinois de Hollywood, relate le South China Morning Post. En 2013, il a décidé d’investir de 4,9 à 8,2 milliards de dollars dans la ville côtière, pour y bâtir un gigantesque studio de cinéma associé à un parc à thème et à divers musées.

THOMAS TULLLe PDG de Legendary Pictures (The Dark Knight, Man of Steel, Godzilla, etc.) compte parmi les nombreux producteurs américains à avoir fondé une coentreprise avec des homologues chinois pour contourner les quotas de diff usion. En 2013, il s’est allié avec la China Film Co., “le plus gros producteur et distributeur de fi lms en Chine”, propriété du mastodonte public China Film Group Corporation, rapporte Variety. Dans ses cartons, une coproduction très attendue, The Great Wall. Cette fresque sur la Grande Muraille sera dirigée par Zhang Yimou (Epouses et concubines, Hero, Le Secret des poignards volants, etc.), avec Matt Damon en tête d’affi che. Du lourd.

“Le marché étranger a modifi é l’ADN des fi lms américains, explique l’historien du cinéma Neal Gabler. L’esthétique du ‘plus gros, plus rapide et plus sonore, est profondément ancrée dans la men-talité américaine. Aucun autre pays ne peut nous égaler sur ce plan. C’est l’une des raisons pour les-quelles nous exportons si bien. Mais nous sommes victimes de notre propre succès. Les caractéristiques qui rendent nos fi lms si populaires à l’étranger sont devenues démesurées pour le marché américain. Notre gigantisme doit être subventionné.”

Quant à savoir si la Chine peut éclipser Hollywood dans la production de blockbusters, le fait est qu’elle intéresse beaucoup les obser-vateurs. L’un des résultats du déluge de fi lms américains en Europe après la Seconde Guerre mondiale a été la “nouvelle vague”, cette géné-ration de réalisateurs français qui ont réinjecté dans le cinéma de Hollywood leur propre ver-sion, libre et très marquée, des fi lms policiers et de la littérature de gare dont ils se sont imprégnés durant leur jeunesse. Peut-être verra-t-on un jour de jeunes Américains chausser des lunettes 3D pour regarder Jet Li sauver le monde des extra-terrestres dans un blockbuster chinois.

“Ils seront peut-être moins nombreux que ceux qui vont voir des fi lms américains, précise Bruce Nash, mais ce cycle existera bel et bien. Les cinéastes chinois inventeront de nouvelles manières de raconter des histoires, qui s’enrichiront au contact du cinéma de Hollywood, et vice versa.” Un fi lm chinois de superhéros sur les célèbres sculptures de guer-riers en terre cuite est sur le point de se concré-tiser en partenariat avec les studios Paramount, et le grand succès chinois de 2012 Lost in Thailand “rappelle à de nombreux égards la comédie Very Bad Trip, souligne Phil Contrino. Les Chinois sont en train d’apprendre. Plus ils investiront dans ces fi lms, plus ils maîtriseront l’art de raconter des histoires, et plus ils s’amélioreront. C’est arrivé plus vite que Hollywood ne l’aurait imaginé.” Ou ne l’au-rait souhaité…

—Tom ShonePublié le 25 juillet

IMA

GIN

ECH

INA

/AFP

IAN

GAV

AN

/GET

TY IM

AG

ES/A

FP

Page 38: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

trans-versales.

formation

FOCUS

Les universités sont un bon marqueur de la vitalité d’une société. De grands noms de l’architecture entreprennent aujourd’hui de les réinventer. En Inde,

le prestigieux centre de Nalanda renaît après une éclipse de huit cents ans. En Equateur, les autorités misent sur l’éducation supérieure pour donner un coup de fouet à l’économie.

Les campus de demain

Sciences ......... 42Médias ........... 44Signaux .......... 4

—Financial Times (extraits) Londres

Pour les universités, l’architecture a toujours été une carte de visite. De l’université de Bologne, avec ses

imposantes tours de brique et ses arcades ombragées, aux cours élégantes d’Oxford, en passant par les tours gothiques de Cornell [Etat de New York] et les courbes colorées du Massachusetts Institute of Technology (MIT), l’architecture est un moyen de séduire étudiants et enseignants, d’affirmer le pouvoir de la connaissance et la richesse des donateurs et d’afficher dans la cité des édifices porteurs de sens.

L’origine monastique de ces premiers centres d’enseignement transparaît dans les cloîtres et les cours, qui, aujourd’hui encore, font partie de l’image d’Epinal de l’université médiévale. Etonnamment, c’est même une imagerie universelle : les madrasas du monde musulman, celles de Bagdad, de Damas et du premier califat s’organisaient autour d’éléments architecturaux semblables, avec de longues colonnades ombragées encadrant des patios. C’est un modèle mythologique, celui d’un jardin paradisiaque entouré de lieux dédiés à la contemplation. Si la dimension religieuse a disparu avec la Renaissance, l’université n’a jamais perdu son caractère sacré – en particulier la bibliothèque, envisagée comme un centre du savoir et, telle que l’a décrite Borges, un espace céleste.

Il y a longtemps que la cathédrale a été supplantée par le musée dans les pèlerinages urbains. Or c’est probablement avec les musées et les lieux de culture que les universités ont le plus de points communs. Dans leur volonté de s’ériger en cités miniatures, en lieux de sens et de transformation par l’apprentissage, les universités restent parmi les derniers édifices où les architectes sont encore autorisés, et même encouragés, à mener d’extravagantes expériences. Aussi certains campus sont-ils devenus de vrais musées d’architecture, de formidables collections monumentales illustrant les avatars de l’histoire de cette discipline.

Marché émergent. Avec les 38 colleges [facultés] d’Oxford sont ainsi représentés tous les styles, ou presque, du baroque anglais de sir Christopher Wren et Nicholas Hawksmoor jusqu’à l’obsession moderniste du Danois Arne Jacobsen, qui, dans une Gesamtkunstwerk [œuvre d’art totale] incroyable de minimalisme,

a conçu jusqu’aux couverts utilisés dans son bâtiment. Dessinée par Dixon Jones, la Saïd Business School [l’école de commerce d’Oxford] parvient avec ses formes d’inspiration islamique à évoquer aussi bien la madrasa que la cour historique à l’européenne. La Blavatnik School of Government s’installera prochainement [en septembre 2015] dans un empilement spectaculaire de disques de verre signé des architectes suisses Herzog & de Meuron, tandis que le St. Antony’s College s’est doté d’un nouveau pont étincelant conçu par Zaha Hadid.

Cette frénésie ar chi tecturale est aussi révélatrice de la nécessité, pour les universités d’aujourd’hui, de se vendre aux étudiants – et à leurs parents. Le phénomène n’a rien de nouveau aux Etats-Unis. Au Royaume-Uni et même, de plus en plus, en Europe continentale, où l’enseignement supérieur a longtemps été gratuit et financé par l’Etat, l’architecture universitaire constitue un marché émergent : la concurrence pousse les établissements à l’émulation, pour offrir non seulement les salles de classe et les cités universitaires les plus agréables, mais aussi les meilleures salles de sport, les plus belles piscines et même des centres de bien-être.

“Starchitectes”. Les universités deviennent ainsi un terrain de jeu de choix pour les “starchitectes” du moment, qui peuvent laisser libre cours à leur imagination. Les plus grands noms s’en donnent à cœur joie. Frank Gehry, dont le sculptural Stata Center, au MIT, a offert l’année dernière un décor cinématographique à la chasse à l’homme au lendemain du double attentat de Boston, travaille actuellement pour l’University of Technology de Sydney sur un monstre architectural à la façade froissée. [Portant le nom de l’homme d’affaires sino-australien qui le finance, le Dr Chau Chak Wing Building devrait être opérationnel en début d’année 2015 et il hébergera une école de commerce.]

Rem Koolhaas a créé le Milstein Hall, construction au porte-à-faux extravagant, pour l’université dont il est diplômé, Cornell. Son ancienne élève Zaha Hadid dessinait pendant ce temps la bibliothèque de la Wirtschaftsuniversität Wien (université des sciences économiques de Vienne, dont le campus est une destination en soi pour les amateurs d’architecture) : de l’extérieur, elle penche de façon quasi surréaliste, et l’intérieur est un paysage de science-fiction, tout en rampes et en murs incurvés. Zaha

Le règne des architectesLa concurrence entre établissements de formation a entraîné une frénésie architecturale ces dernières années. Un moyen d’attirer de nouveaux étudiants.

↙ Bâtiment Saw Swee Hock de la London School of Economics, conçu par les architectes O’Donnell + Tuomey. Photo Dennis Gilbert/View/Corbis

5

38.

Page 39: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Hadid est également à l’origine de l’Issam Fares Institute de l’université américaine de Beyrouth, tout aussi spectaculaire. Le célèbre Norman Foster n’a pas botté en touche et a imaginé plusieurs constructions phares, telles la Petronas University of Technology, en Malaisie, la faculté de droit de Cambridge (Royaume-Uni) ou l’université de Turin, en Italie, aux immenses courbes rappelant le style Art déco.

L’architecture élégante et technocratique de Foster, qui renvoie l’image d’un néomodernisme combinant sérénité et maîtrise technique, séduit particulièrement les écoles de commerce. L’Edward P. Evans Hall de l’école de commerce de Yale, aux Etats-Unis, en est un parfait exemple : majestueux mais pas monumental, transparent et lumineux, il revisite le modèle du cloître universitaire historique.D’ailleurs, ce sont les centres spécialisés dans l’enseignement des aff aires et du commerce qui, plus que tout autre, surchargent leurs campus d’œuvres ambitieuses commandées à des stars de l’architecture. David Chipperfi eld a ainsi conçu pour la française HEC un bâtiment magnifi que, d’une austérité élégante, dans des lignes classiques et indémodables. A l’école de commerce de Skolkovo, à Moscou, David Adjaye s’inscrit sans guère de distance apparente dans le droit fi l de l’avant-garde

constructiviste russe [mouvement apparu au début du XXe siècle]. Le Japonais Tadao Ando vient d’achever au Mexique une monumentale arche de béton accueillant la nouvelle faculté d’architecture de l’université de Monterrey.

Le cabinet irlandais Grafton Architects a quant à lui choisi un style néobrutaliste pour l’école de commerce de l’université Luigi Bocconi de Milan, construction imposante mais fascinante posée sur une parcelle urbaine très réduite. O’Donnell +  Tuomey, un autre bureau d’études irlandais, a achevé il y a peu le Saw Swee Hock Student Centre de la London School of Economics : multifacettes et de guingois, cet édifi ce en brique frappe tant par son emprise que par son esthétique et est devenu un centre de la vie étudiante et un point de repère sur ce campus très dense du quartier de Holborn.

L’architecture peut renouveler l’image de vieilles institutions cherchant à se repositionner ou à se moderniser, mais elle sert parfois aussi de tremplin à de nouvelles universités. Le Qatar en est le plus parfait exemple avec sa vaste Education City, sur un site poussiéreux et écrasé de chaleur. Cette pierre angulaire du projet de la Fondation du Qatar dans le domaine de l’éducation a besoin de prises de position architecturales fortes pour attirer enseignants et étudiants, mais d’abord pour séduire les écoles elles-mêmes.

Le National Convention Center d’Arata Isozaki, à la façade aux airs de forêt de conte de fées, a d’emblée donné un ton kitsch à l’ensemble, mais le complexe accueille également dans un bâtiment bas la

A la une

L’AVENIR DE L’UNIVERSITÉEn octobre, le Financial Times, dont l’infl uence ne se dément pas, consacrait tout un supplémentà un tour d’horizon de l’enseignement supérieur dans le monde. L’article que nous publions en est extrait.

L’architecture court le risque de n’être qu’un gadget mal intégré dans son environnement

→ 4

↓ Maquette de l’école de commerce de l’University of Technology de Sydney. Photo Gerry Partners LLP

0

39

Page 40: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

TRANSVERSALES Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014FOCUS FORMATION.

La renaissance de la fac de NalandaAvant d’être détruite, en 1193, la plus ancienne et la plus prestigieuse université indienne accueillait 10 000 étudiants. Elle vient de rouvrir ses portes grâce au Prix Nobel d’économie Amartya Sen.

—Livemint (extraits) New Delhi

Les quatre étudiants assis à une table dans l’entrée de leur cité universi-taire improvisée savent parfaite-

ment pourquoi ils ont rejoint la plus jeune des universités indiennes – qui est aussi la plus ancienne. La nostalgie n’a rien à voir là-dedans. Ces quatre étudiants en écologie et études environnementales ont franchi les portes de l’université de Nalanda le 1er sep-tembre. Ils étaient les premiers à fréquen-ter l’établissement depuis huit cents ans. Ils savent exactement pourquoi ils sont là et ce qu’ils veulent, à savoir un enseignement qui ne repose pas uniquement sur des cours

magistraux comme c’est la tradition en Inde, explique Jyothirmayee Kandula, 22 ans.

Une semaine après le début de leur cursus de master, Sana Salah, de Calcutta [est du pays], Lubna Khan, de Patna [capi-tale de l’Etat du Bihar, dans le Nord-Est], Arun Gandhi, de Faridabad [près de Delhi, dans le Nord] et Kandula, de Vijayawada [Etat d’Andhra Pradesh, dans le Sud-Est] sont unanimes quant aux spécifi cités de cette nouvelle université : les étudiants peuvent opter pour un diplôme littéraire ou scientifi que ; le programme est orienté plus sur la connaissance que sur la vie pro-fessionnelle ; le corps enseignant est de pre-mier ordre et international ; enfi n, dans les

cours interactifs, les étudiants parlent sou-vent plus que les professeurs. Sana Salah évoque à un moment “le prestige et la gran-deur” qui sont attachés au nom de Nalanda. “On a l’impression d’être dans un établisse-ment sans pareil en Inde.”

Située dans la ville de Rajgir, dans l’Etat du Bihar [l’Etat le plus pauvre de l’Inde], l’uni-versité de Nalanda a eu son heure de gloire entre le Ve et le XIIe siècle. Sa réouverture marque non seulement la renaissance d’une institution historique, mais également celle de l’internationalisme multiculturel qui était inhérent à cette époque et qui a disparu du système éducatif indien. Le projet est sou-tenu par 16 pays – l’Australie, le sultanat de

bibliothèque signée OMA, le cabinet de Rem Koolhaas (qui travaille aussi sur deux autres bâtiments du site), ainsi qu’un immense centre sportif. Si l’architecture invente des lieux, crée des campus et façonne des identités, elle court aussi le risque de n’être qu’un gadget mal intégré dans son environnement et dans la ville qui l’accueille. Ces constructions sont souvent opulentes et ostentatoires : quand pareil étalage jouxte d’autres infrastructures restées “dans leur jus”, la ville court le risque d’une ségrégation urbaine toujours périlleuse.

De fait, ces campus qu’il faut intégrer dans des centres-villes existants, forcent souvent les architectes à pousser leur réfl exion plus loin et à off rir des solutions plus satisfaisantes. La London School of Economics en est l’exemple le plus récent et le plus réussi. Au fond, ces infrastructures ne peuvent-elles pas s’ouvrir à la ville ? Certes, l’université exige un certain repli, mais cela ne doit pas se faire au détriment de ses voisins. Si Oxford, Cambridge et Harvard sont si agréables, c’est parce qu’elles sont pour une bonne part ouvertes au public. Pour créer une vraie ville, il a toujours fallu davantage qu’une architecture ambitieuse.

—Edwin HeathcotePublié le 7 octobre

3  ←9

40.

Page 41: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Brunei, le Cambodge, la Chine, l’Indonésie, le Japon, le Laos, la Malaisie, la Birmanie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Corée du Sud, la Thaïlande, le Vietnam et l’Inde – et les Etats-Unis, la Russie et l’Union européenne sont en train de négo-cier des partenariats et des collaborations pour l’avenir.

Avant d’être pillée et rasée par les forces de Bakhtiar Khilji, en 1193, l’uni-versité de Nalanda, un établissement bouddhique, accueillait 10 000 étudiants et 2 000 enseignants, et couvrait plus de 100 disciplines, notamment la philosophie, la théologie, les arts et les sciences. Sa répu-tation était telle qu’elle attirait des étudiants de Chine, du Japon, de Corée, du Tibet, de Mongolie, du Sri Lanka et de Turquie. L’université de Nalanda est le plus ancien centre d’enseignement au monde. Quand elle a cessé d’exister, l’université d’Oxford et celle de Bologne en étaient à leurs bal-butiements et celles de Cambridge et de Paris n’étaient pas encore nées.

Le retour qu’elle eff ectue au troisième mil-lénaire est pour le moment modeste. Seules la faculté d’histoire et celle d’écologie et d’études environnementales fonctionnent, et elles ne comptent que 16 étudiants en tout. Les cours ont lieu dans un centre de confé-rences de Rajgir. L’université tire son nom d’un petit village situé non loin, à quelque 75 kilomètres de Patna, la capitale de l’Etat. Une pension appartenant aux autorités fait offi ce de cité universitaire.

Partenariat. Le campus ne consiste pour le moment qu’en un mur extérieur. Les tra-vaux de construction devraient commencer au début de l’année prochaine et s’achever en 2017. “Nos partenaires internationaux ont fait pression pour que les cours commencent rapidement. Nous avons donc dû ouvrir pré-cipitamment”, confie un responsable de l’université. L’établissement lancera bien-tôt des cursus de linguistique et littérature, économie et gestion, relations internatio-nales, informatique et nouvelles techno-logies, études bouddhiques, philosophie et religions comparées.

C’est A. P. J. Abdul Kalam, ancien président de la République [2002-2007], qui a lancé l’idée de ressusciter l’université de Nalanda en mars 2006. Le projet a immédiatement trouvé un écho auprès de Nitish Kumar, à l’époque ministre en chef du Bihar, qui a aff ecté 184 hectares au nouveau campus, à 12 kilomètres des ruines de l’université origi-nelle, et trouvé un collaborateur enthousiaste en la personne du Prix Nobel [d’économie] Amartya Sen. Celui-ci est devenu président de l’université. Il avait visité les ruines de l’ancienne université quand il était enfant et avait été “stupéfi é par la vision qu’elle off rait à l’humanité”. “Je rêvais de faire revivre cette grande institution un jour”, lit-on dans les brochures offi cielles.

Certains intellectuels de Patna s’inter-rogent déjà sur le caractère élitiste de l’éta-blissement et son refus d’être orienté vers

Les 150 jeunes qui viennent de faire leur rentrée à l’université régionale amazonienne Ikiam,

à quelques kilomètres de Tena, dans le nord-est de l’Equateur, “sont un peu abasourdis”, constate El Telégrafo. Bien sûr, ils sont fi ers de faire partie de la première génération d’étudiants admis dans cet établissement public, explique le quotidien. Mais, venant de très loin pour la plupart – de la côte ou de la Sierra –, ils n’ont jamais quitté leur famille et se retrouvent un peu perdus sur ce campus tout neuf, au milieu de la forêt amazonienne.

Celle-ci fait partie intégrante du projet. Dédiée aux sciences de la vie et de la terre, Ikiam – qui signifi e “forêt” en langue shuar – dispose d’un ter-ritoire protégé de 93 hectares abri-tant six écosystèmes d’une biodiversité exceptionnelle. Selon El Telégrafo, cette réserve naturelle sera un “laboratoire vivant” pour les étudiants et les cher-cheurs, dont les travaux porteront sur l’exploitation durable des ressources, notamment en pharmacologie. Fait exceptionnel en Equateur, les 20 pro-fesseurs, dont la moitié sont étrangers, sont tous titulaires d’un doctorat, sou-ligne La Nación.

L’Equateur mise sur l’économie de la connaissancePour se libérer de sa dépendance aux matières premières, ce petit pays met le paquet sur l’enseignement supérieur.

le marché du travail. Gopa Sabharwai, la vice-présidente, réplique qu’un esprit ana-lytique peut exercer n’importe quel emploi.

L’université sera conçue par le cabinet d’ar-chitectes Vastu Shilpa Foundation, dont le directeur et fondateur est Balkrishna Doshi. Celui-ci a étudié les ruines en détail. La lar-geur des murs, qui permettait de conser-ver la fraîcheur à l’intérieur, les grands espaces ouverts, qui favorisaient l’inter-activité, les briques et les plans d’eau se retrouveront probablement dans le nou-veau campus, qui accueillera 2 000 étu-diants. L’université sera probablement dotée de 50 hectares supplémentaires par l’Etat du Bihar pour un “usage commercial” mais, explique Gopa Sabharwai, à terme, elle sou-haite être autosuffi sante – et même culti-ver ses propres fruits et légumes.

—Shamik BagPublié le 13 septembre

→ 4

↙ Dessin de Cost paru dans Le Soir, Bruxelles.

1

Page 42: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

TRANSVERSALES Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014FOCUS FORMATION.

—Gazeta Wyborcza Varsovie

Que faut-il faire ? L’envoyer dans un musée ? Le vendre ? Il est tout de même fait de métaux précieux. Et,

pour l’instant, le kilogramme étalon doit poursuivre sa carrière de gardien de la mesure de la masse. En attendant qu’on trouve mieux. Le kilogramme étalon [qui sert de référence à toutes les mesures de masse dans le système international] est un cylindre de diamètre et de hauteur égaux de 39 millimètres, fabriqué dans un alliage de platine et d’iridium. C’est lui qui défi nit l’unité de masse depuis la Conférence géné-rale des poids et mesures de septembre 1889. Sans être exceptionnelle, cette année-là a été marquée par plusieurs événements : l’achèvement de la tour Eiff el, la naissance de Charlie Chaplin et celle d’Adolf Hitler. Depuis, d’autres génies et dictateurs sont nés et se sont succédé, les temps ont changé et même la tour Eiff el a subi une rénova-tion. Mais le prototype du kilogramme est resté le même. Il n’a “presque pas” changé. Mais ce “presque pas” peut parfois faire une énorme diff érence.

Accéder à l’endroit où il est déposé, au Bureau international des poids et mesures, à Sèvres, est encore plus diffi cile que d’ou-vrir la mallette nucléaire à Moscou ou à Washington. Pour pénétrer à l’intérieur de la chambre forte souterraine, il faut utili-ser trois clés, dont l’une est gardée par le directeur du bureau, la deuxième par le pré-sident du Comité international des poids et mesures et la troisième par le directeur des Archives nationales.

Chaque ouverture de la chambre forte engage donc trois institutions, et doit être justifi ée et préparée dans les moindres détails. Il s’agit de ne pas sortir le kilo-gramme étalon trop souvent de son abri, de ne pas le toucher et risquer de l’endomma-ger. Trop de choses dépendent de lui, il doit rester intact. Il est le dernier des prototypes uniques sur lesquels on a fondé une unité de mesure de base. Les autres mesures se fondent désormais sur les phénomènes dont le caractère inaliénable est garanti par les lois de la nature. La seconde, par exemple, qui était jadis une fraction du jour solaire terrestre moyen, est aujourd’hui défi nie comme la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation de l’atome de césium 133. Le mètre, défi ni d’abord comme une fraction de méridien, est aujourd’hui décrit comme la distance parcourue par la lumière dans le vide en 1/299 792 458 seconde. Personne n’a l’exclusivité de la seconde et du mètre. Tout un chacun, s’il veut procéder à ces mesures dans un laboratoire, obtiendra le même résultat, quel que soit l’endroit où il se trouve, et même sur une autre planète.

Avec le kilogramme, c’est une autre aff aire. Chaque poids dans le monde doit être comparé au morceau de métal unique qui repose sous trois cloches de verre scellées à Sèvres. Bien évidemment, cette compa-raison se fait en se servant des “intermé-diaires” : six copies offi cielles, elles aussi déposées à Sèvres, qui sont de temps à autre comparées à l’original, pour s’assu-rer qu’elles ont toujours la même masse. De telles vérifications sont exception-nelles. Depuis 1889, le prototype original

Avec Ikiam, dont 90 % des bâtiments restent à construire, ce pays de 16 millions d’habitants compte se doter d’un centre de recherche et d’enseignement supérieur de renommée mondiale. “Ce n’est pas un chan-tier, c’est un rêve, c’est l’espérance d’un pays en transition vers l’économie de la connaissance”, a déclaré avec lyrisme le vice-président du pays, Jorge Glas, lors de l’inauguration de l’université, le 20 octobre, rapporte le quo-tidien La Hora.

Technologies de pointe. Car Ikiam s’inscrit dans une stratégie très ambi-tieuse, mise en œuvre par le président Rafael Correa après son arrivée au pouvoir en 2007. L’objectif : transformer fondamen-talement l’économie du pays, aujourd’hui totalement dépendante des matières pre-mières (banane et pétrole essentiellement), pour l’orienter vers les technologies de pointe. Pour y parvenir, le gouvernement “mise sur une révolution de l’éducation supé-rieure”, résume El Comercio. Depuis 2007, la part du PIB consacrée au système uni-versitaire est passée de 1,1 % à 2,1 %, pour-suit le quotidien. L’enseignement supérieur est désormais gratuit et un programme de bourses permet aux étudiants de se former à l’étranger. Faute de respecter les critères

de qualité défi nis par la loi, 14 universités privées ont été fermées en 2012 et, paral-lèlement, 4 universités publiques ont été créées : sciences de l’éducation (à Azogues, dans le centre du pays), arts (à Guayaquil, sur la côte pacifi que), Ikiam et, surtout, l’université de recherche technologique expérimentale, qui vient d’ouvrir ses portes dans la province d’Imbabura, dans le nord du pays.

Baptisée Yachay (“connaissance” en que-chua), elle constitue la pierre angulaire d’une future Cité de la connaissance qui accueil-lera des instituts publics de recherche, des incubateurs d’entreprises et un parc indus-triel. “On la surnomme déjà la Silicon Valley équatorienne”, selon El Comercio. Sur les 40 professeurs qu’elle compte aujourd’hui, 90 % sont étrangers. “L’université, c’est comme le football. Si vous recrutez de bons joueurs, vous gagnez”, résume José Andrade, secré-taire académique de Yachay, dans le maga-zine britannique Times Higher Education. Ce jeune professeur d’ingénierie mécanique au prestigieux Institut de technologie de Californie ne doute de rien : “Nous allons constituer le Manchester United de l’Amé-rique du Sud. Tout le monde va regarder ce petit pays et dire ‘Ça alors, ils ont formé une équipe avec des stars du monde entier’.”

SCIENCES

Kilo : pour quelques atomes de plusMétrologie. Le kilogramme étalon conservé à Sèvres a perdu du poids. Pas beaucoup, à peine quelques atomes. Mais c’est suffi sant pour que l’on veuille le remplacer par une référence plus fi able. Reste à décider laquelle.

4  ←1

42.

Page 43: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

séjourslinguistiques

n’a été sorti de sa chambre forte qu’à trois reprises : en 1939, en 1946 et en 1989.

Et pour qu’on ne soit pas obligé de se rendre à Paris chaque fois qu’on en a besoin, la majorité des bureaux des poids et mesures nationaux ont une copie conforme au proto-type de Sèvres (à ce jour, il y en a plus de 80).

La copie polonaise porte le numéro 51. Comme le note très scrupuleusement l’Of-fice central des mesures à Varsovie, son acquisition a été effectuée en 1952, contre 80 532 zlotys et 78 groszy. Pour donner une idée de sa valeur, le salaire moyen de l’époque s’élevait à 650 zlotys par mois. Tout comme le cylindre original, cette copie a été conçue par l’entreprise britan-nique Johnson Matthey, et est faite d’un alliage de platine et d’iridium (90 % et 10 % respectivement).

Ces copies nationales voyagent pério-diquement en France, où on les compare avec les copies officielles. Dans le cas de la copie polonaise, cela a eu lieu au moment de l’achat, puis en 1990.

Effet domino. Dès le début, la copie polo-naise a été un peu plus lourde que l’origi-nal. Et au bout d’une quarantaine d’années passées dans un coffre-fort polonais, elle avait pris 42 microgrammes supplémen-taires. A la dernière pesée, elle affichait exactement 1 kilo et 227 microgrammes (il est probable qu’elle a encore pris du poids depuis 1990). Cette prise de poids reste très mystérieuse.

D’autant que la copie polonaise n’est pas seule à avoir des problèmes de surpoids : les copies officielles déposées à Sèvres ont elles aussi grossi. A chaque fois qu’elles ont été comparées à l’original, on a constaté qu’elles étaient systématiquement plus lourdes que la fois précédente. En cent ans, toutes les copies officielles ont pris envi-ron 50 microgrammes. Idem avec les copies nationales – la polonaise comprise –, qui ont chacune acquis une masse équivalant à celle d’un cristal de sel.

Les copies officielles sont faites du même matériau que l’original, elles sont gardées dans les mêmes conditions. Par consé-quent, si elles changent de masse, le prin-cipal prototype devrait lui aussi changer. Il est facile d’imaginer que, pendant le lavage, par exemple, qui s’effectue avant chaque pesée, le cylindre de l’original perd une certaine quantité d’atomes. On ne peut rien y faire.

Or le prototype doit être inaliénable. Sinon, comment faire confiance à la pré-cision des mesures ? Et si le kilogramme change, l’incertitude se répercute sur d’autres unités dérivées comme le newton (unité de force), le pascal (pression), le joule (énergie), le watt (puissance) ou l’ampère (courant électrique), toutes définies par rapport au kilogramme. Chaque varia-tion du kilogramme est comme le premier domino qui fait tomber tous les autres. Pire encore, à travers le watt, les variations du kilogramme influent sur d’autres unités

d’électricité : coulomb (charge électrique), tesla (induction magnétique), weber (flux d’induction magnétique), et même le can-dela. Cette unité d’intensité lumineuse est elle aussi en danger !

La “défectuosité” du kilogramme dans le système international SI est donc très contagieuse. La solution serait de définir à nouveau l’unité de la masse.

Les scientifiques en sont conscients et ne restent pas les bras croisés. Depuis des années, ils tentent de trouver une nouvelle définition basée sur un phénomène natu-rel et une constante de la nature, comme ils l’ont fait pour le mètre et la seconde. Car, estiment-ils, les lois de la nature sont plus sûres que la chambre forte la mieux sécurisée.

L’un des projets, le projet Avogadro, vise à remplacer le cylindre de Sèvres par une sphère de silicium pur, dont le nombre d’atomes serait connu et qui pèserait exac-tement 1 kilogramme : le kilogramme serait en fait défini par un nombre précis d’atomes de silicium.

Tout l’art consiste à faire “pousser” le cristal au sein duquel les atomes sont agen-cés dans une structure régulière, afin de pouvoir les compter. La forme sphérique supprime les bords, qui subissent davan-tage l’érosion. Mais il arrive que le réseau cristallin soit imparfait, qu’il présente des impuretés : des atomes autres que le sili-cium qui s’immiscent dans le réseau.

Une équipe scientifique concurrente souhaite relier la masse à l’électricité. En mesurant avec une balance du watt la puis-sance électrique nécessaire pour s’oppo-ser au poids d’une masse de 1 kilogramme. Le nouvel étalon pourrait être exprimé en “poids électrique” [et ainsi relié à une gran-deur intangible, la constante de Planck].

Pour l’heure, ces définitions restent tou-jours moins précises que le bon vieux kilo-gramme de Sèvres, si laborieux à utiliser et si mal aimé. Alors, nos meilleurs vœux, petit vieux !

—Piotr CieslinskiPublié le 3 octobre

Sursis●●● La 25e Conférence générale des poids et mesures, qui se tiendra du 18 au 20 novembre à Versailles, ne sera certainement pas celle qui enterrera le kilogramme étalon. Les représentants des différents pays examineront les progrès réalisés dans le dénombrement des atomes du projet Avogadro et dans les mesures effectuées à l’aide de la balance du watt. La conférence suivante, prévue en 2018, pourrait être celle qui décidera du sort du kilogramme étalon.

↙ Dessin de Januszewski, Pologne.

Page 44: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

TRANSVERSALES Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

Les informés de France InfoUne émission de Jean-Mathieu Pernin, du lundi au vendredi, de 20h à 21h

Chaque vendredi avec

—Clarín Buenos Aires

Quel est le point commun entre le juge Oyarbide, Justin Bieber, le gla-

cier Perito Moreno et la loi sur les tailles ? Ce sont autant de causes que des milliers d’Argen-tins essaient de faire avancer : ils signent des pétitions en ligne pour exiger une procédure de destitu-tion à l’encontre du magistrat, faire interdire de séjour dans leur pays le chanteur canadien, protéger le monument de glace des activités polluantes, ou pour que la norme qui détermine les tailles des vête-ments que nous portons corres-ponde à des corps réels et non à la perfection perverse d’un top-modèle. Le but de la manœuvre est de collecter des signatures pour transformer la réalité. De

plus en plus d’individus lancent sur Internet des pétitions de ce type, exerçant ainsi un nouveau mode de pression collective. Qu’il s’agisse de défendre un projet individuel (une fi llette en attente de greff e, dans le cas de la petite Helena), régio-nal (la construction d’une école dans la province du Chaco, dans le nord de l’Argentine) ou natio-nal (améliorer la loi concernant le diabète), le principe est toujours le même : faire fl échir les “décision-naires” – fonctionnaires, législa-teurs ou chefs d’entreprise – par la puissance du plus grand nombre possible de signataires. Cette tech-nique permet d’atteindre au mieux l’objectif recherché : on ne compte plus les “victoires”, c’est-à-dire les exemples de pétitions réussies qui se sont traduites par des change-ments concrets, que ce soit le vote

MÉDIAS

L’Argentine, pays des référendums en ligneWeb. Deux millions de personnes inscrites sur des plateformes de pétition parviennent par ce biais à faire amender des lois, réintégrer des fonctionnaires et même répudier des stars.

LA SOURCE DE LA SEMAINE

“Daily Times”

Ce quotidien pakistanais est connu pour ses positions en faveur de la liberté d’expression et de la tolérance.

Créé en 2002, le Daily Times s’est imposé comme un des grands

titres de la presse pakistanaise anglophone. Il combat l’extré-misme religieux et défend la liberté d’opinion. Ses édito-riaux, souvent très partisans, suscitent parfois la polémique. Il couvre l’actualité nationale comme internationale, édite un supplément dominical et dispose d’un site web très com-plet. Chaque jour, on peut y lire l’intégralité du quotidien en PDF.

Lire aussi l’article du Daily Times p. 22

DAILY TIMESLahore, PakistanQuotidien, 43 000 ex.www.dailytimes.com.pk

d’une loi ou la réintégration d’un fonctionnaire à son poste. Change.org, la plus grande plateforme mon-diale de pétitions citoyennes, est au cœur de ce phénomène. Créée en 2008 par Ben Rattray, un jeune entrepreneur de San Francisco, elle est rapidement devenue virale. Depuis qu’elle s’est implantée en Argentine, cette plateforme parti-cipative semble ne plus connaître de limites : elle revendique 2 mil-lions d’inscrits, qui chaque semaine lancent 150 pétitions sur les thèmes les plus divers.

Pression citoyenne. Son mode de fonctionnement est tout ce qu’il y a de plus simple : l’utilisateur s’inscrit, crée sa pétition, indique la personne ou l’institution à laquelle elle est destinée (par exemple “Les honorables membres du Conseil de la magistrature”), développe son argumentaire et démarre la col-lecte de signatures. Chaque fois qu’un internaute signe, le système expédie un courriel au destinataire. La pression est donc immédiate et augmente avec chaque signature.

C’est ainsi que Valentina Bessia, une habitante de San Isidro (pro-vince de Buenos Aires), a mis en œuvre une requête pour que le juge fédéral Norberto Oyarbide [accusé de corruption et impli-qué dans plusieurs scandales poli-tico-sexuels] fasse l’objet d’une procédure offi cielle de destitu-tion. Sa proposition a déjà recueilli 50 200 signatures. Miryam Godoy, mère d’une adolescente d’Al-magro [un quartier de Buenos Aires], s’est quant à elle adressée au ministre des Transports et de l’Intérieur, Florencio Randazzo, pour réclamer que la carte Sube [pass rechargeable pour voyager dans les transports en commun de la zone métropolitaine] inclue un tarif étudiant. Bilan : 13 200 signatures. Ils sont 79 200 signa-taires à s’être joints à Máximo Cash, dont la sœur María a dis-paru, pour réclamer à un panel de députés et de hauts fonctionnaires la création d’une agence fédérale de recherche de personnes. Une association de riverains de Mar del

Plata qui a saisi le Service natio-nal de santé et de qualité agroa-limentaire (Senasa) pour faire fermer l’abattoir équin de la ville atlantique a déjà engrangé 52 300 signatures. Il y a quelques années encore, seules les organisations bénéfi ciant de solides infrastruc-tures pouvaient mobiliser suffi sam-ment de monde pour exercer une pression citoyenne sur les pouvoirs publics. “Avant l’avènement d’In-ternet, explique Gastón Wright, directeur de l’antenne argentine de Change.org, il fallait se poster à un endroit stratégique et attendre que les gens passent devant vous pour récolter des signatures. Aujourd’hui, en revanche, tout le monde peut par-ticiper et, plus important encore, le citoyen lambda se sent investi d’un pouvoir qui lui permet de se faire entendre des autres. C’est cela qui change la donne. Et c’est de cette manière, à partir d’une campagne amorcée par des mères de Córdoba qui ont réuni 85 000 signatures, que nous avons réussi à faire actualiser la loi sur le diabète.”

Victoire. L’éventail des sujets abordés est extrêmement varié. Victoria Alvarez, habitante de Men-doza, s’est attaquée à Justin Bieber. “Il est essentiel d’interdire à cet indi-vidu d’entrer dans notre pays, du fait de son comportement lors du concert du 9 novembre 2013”, écri-vait-elle, faisant allusion à l’épi-sode où le chanteur pop avait essuyé le sol de la scène avec un drapeau argentin. Elle a jusqu’à présent convaincu 76 121 de ses compatriotes. “Au-delà de ce type de revendications, qui peuvent paraître amusantes, poursuit Wright, les pétitions visent des changements concrets. On ne demande pas de résoudre le problème de la faim dans le monde, mais on fi xe des objectifs possibles. Par exemple, la pétition réclamant la réintégration du juge Campagnoli [célèbre magistrat anti-corruption] a été signée par 350 000 personnes. C’est celle qui a recueilli le plus de signatures en Argentine et elle a abouti à une victoire.”

—Gonzalo SánchezPublié le 18 octobre

↙ Dessin de Beppe Giacobbe, Italie.

44.

Page 45: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

signaux

PASTÈQUE SAUVAGE, environ 3000 av. J.-C.

PASTÈQUE CULTIVÉE, 2014

1 200 VARIÉTÉS200 fois plusque la sauvage

6 VARIÉTÉS CONNUES

CONTIENT 18 PÉPINS, TRÈS RICHES EN MATIÈRES GRASSES

POUR L’OUVRIR, LA LAISSER TOMBER DE 1 MÈTRE DE HAUT

TENEUREN EAU91,5 %14 % de jusen plus

TENEUREN SUCRES6,2 %3,3 foisplus sucrée

AUTRES 2,3 %Quasiment pasd’amidon ni dematières grasses

TENEUR EN EAU 80 %

TENEUR EN SUCRES 1,9 %

AUTRES 18,1 %

A UN GOÛTEXTRÊMEMENT AMER

Production annuelle :95 millions de tonnes

DISPONIBLE EN QUATRECOULEURS

JAMESKENNEDYMONASH.WORDPRESS.COM

CRÈMEJAUNEVERTROUGE

Pas besoin d’une massue !

AMIDON ET MATIÈRESGRASSES EN MAJEUREPARTIE

50 mm

(CERTAINES VARIÉTÉSONT UN GOÛT DOUX-AMER)

ILS ONT UN GOÛT DE NOISETTE ET SONT EXTRÊMEMENT AMERS

DISPONIBLE SOUS PLUSIEURS FORMES

SPHÉRIQUE SPHÉROÏDALE

MOULÉE DANS LA FORMEDE VOTRE CHOIX

Cultivée dans 15 paysLa plupartsont cultivées en Chine

35 fois plus de vitamine C

PROVOQUE DES INFLAMMATIONS

Calme lesinflammations !

S’OUVRE À COUPS DE MASSUE OU AVEC UN OBJET TRANCHANT

DÉCOUVERTE EN NAMIBIEET AU BOTSWANA

Délicieusement sucrée et si juteuse qu’elle peut se fendre quand elle est trop mûre

660 mm

Chaque semaine, une page visuelle pour présenter

l’information autrement

L’odyssée de la pastèqueA force de sélection, l’agriculture a transformé une baie sauvage et amère en fruit géant et rafraîchissant.

DR

JAMES KENNEDY. Ce professeur de chimie diplômé de Cambridge enseigne en Australie. Ses dernières infographies, parues sur son blog, comparent les fruits et légumes cultivés avec leurs ancêtres sauvages. Elles ont été repérées notamment par Vox, Forbes et

Business Insider. Pour mémoire, le plus ancien fruit sucré domestiqué serait la figue : on a retrouvé en 2006, dans la vallée du Jourdain, neuf figues ne produisant pas de graines, dont la culture suppose d’avoir recours à des boutures. Elles auraient plus de 11 000 ans.L’auteur

45

Page 46: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

360°50. Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014. Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

MAGAZINE“1864”, une épopée danoise Plein écran ....... 5L’air de vérité Tendances .................... 5 L’art entre en gare Culture ................. 54 360

CRIMÉE, LE RÊVE P

0 2

46.

Page 47: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

360°.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014 51Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

U K R A I N E

RU

SS

IE

M e r d ’ A z o v

M e r N o i r e

Simferopol

Bakhtchissaraï

Yalta

Sébastopol

Koltchouguino Soudak

100 km

CRIMÉERattachéeà la Russie

en mars 2014

Ancienne capitaledu khanat de Crimée

UKRAINE

Kiev

Je m’appelle Ilmi Oumerov, voilà, c’est tout…” C’est ainsi que se présente cet homme de 57 ans, président de la région de Bakhtchyssaraï, précédemment vice-Premier ministre et vice-président du Parlement de Crimée. Il est le seul Tatar de Crimée à avoir occupé des postes aussi importants dans l’appareil

d’Etat. Il a donné sa démission la veille de notre entretien et ne sait plus comment se présenter devant les journalistes.

“En 2005, j’avais moi-même demandé à être rétrogradé pour devenir président de la région de Bakhtchyssaraï. Tout ce que les Tatars de Crimée ont de sacré se trouve là, et je voulais en avoir la charge. A cette époque, la région était en ruine. Aujourd’hui, c’est la première de Crimée pour l’agriculture, la troisième pour l’investissement. Après l’accession à l’indépendance de l’Ukraine

En mars, la Crimée, région russophone d’Ukraine, a été annexée par Moscou. Les événements ont laissé les Tatars désemparés. Pour cette minorité musulmane, victime de déportations sous Staline, un rattachement à la Russie ne va pas de soi. — Vlast, Moscou

↓  En mars 2014, des femmes du village de Kok-Assan brandissent le drapeau tatar pour protester contre la présence militaire russe. Photo Sergey Ponomarev/ The New York Times-Redux-RÉA

REPORTAGE

ERDU DES TATARS[en 1991], trois des cinq usines de production de vin construites dans le pays l’ont été dans cette région. Nous avons planté 7 500 hectares de vignes, 7 000 hectares de vergers, nous avons remis en marche une usine de ciment…” Oumerov donne encore quelques chiffres mirobolants, avant de s’arrêter net. Il explique alors qu’il a décidé de démissionner dès qu’il a été question d’un référendum [organisé en mars 2014 par des mouvements prorusses après le changement de pouvoir à Kiev et au cours duquel les habitants ont voté pour le rattachement à la Russie] : “Je n’accepte pas le résultat du vote, j’aurais peut-être dû partir plus tôt…

— C’est difficile de quitter votre poste ?— Pour être honnête, je ne m’attendais pas à ce que cela soit

si dur. Ce n’est pas pour la fonction, mais parce que je regrette qu’on lui ait tout donné ainsi, sans résistance.

— A la Fédération de Russie ?— Oui, dit Oumerov en pleurant, je suis par principe

contre le rattachement de la Crimée à la Russie. J’appelle cela une annexion. J’ai honte de moi quand je signe des documents qui commencent par les mots ‘Conformément à la législation de la Fédération de Russie’.”

Personne n’a demandé à Oumerov de démissionner, mais personne ne l’a retenu non plus. Il n’a pas voulu du passeport russe, mais n’a pas l’intention de quitter la Crimée. Il qualifie de fuyards ceux qui sont partis chercher ailleurs une vie meilleure. Après les événements de mars, plusieurs milliers de Tatars ont quitté la Crimée, surtout des membres du Hizb ut-Tahrir, une organisation [islamiste] interdite sur le territoire russe. Mais il n’y a pas d’exode massif. Même

47

Page 48: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

360° Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

ceux qui sont contre le rattachement à la Russie veulent vivre “sur [leurs] terres”.

La majorité des 250 000 Tatars de Crimée s’est vu attribuer la nationalité russe dès le mois d’avril. Le programme fédéral pour le développement de la Crimée prévoit jusqu’en 2020 une enveloppe de 10,8 milliards de roubles [environ 200 millions d’euros] destinés aux Tatars. Pour cette année, 450 millions de roubles sur les 800 millions prévus ont déjà été versés. A titre de comparaison, la part destinée à la Crimée entière dans le budget de l’Ukraine pour 2014 ne représentait que 5 milliards de hryvnas (environ 15 milliards de roubles). Cette enveloppe ne servira pas à dédommager ceux qui ont été déportés sous Staline, elle doit financer la construction de villages.

Le traumatisme causé par la déportation est encore bien présent et pèse dans l’opinion des Tatars de Crimée sur le rattachement à la Russie. Après le référendum de mars, ils ont été pris de panique à l’idée d’une nouvelle vague de déportations. Les anciens étaient les plus bouleversés. “Ma mère a passé tout le printemps à faire sa valise. Nous la défaisions, elle la refaisait”, raconte Zarina, une militante des droits de l’homme qui préfère taire son nom de famille. “Cette tendance à ne s’attendre qu’au pire est inscrite dans nos gènes, parce que chaque épisode de l’histoire de la Crimée auquel les Russes ont pris part a été tragique”, explique le politologue Youssouf Kourktchi.

Selon lui, les Tatars de Crimée se trouvent dans une opposition idéologique radicale avec le monde russe depuis 1943, et pour eux la Russie, c’est l’URSS. L’historien Zakir Zakirov partage son analyse : “Les nouvelles autorités de Crimée doivent travailler avec l’intelligentsia tatare. Ceux qui ont pris le pouvoir sont trop terre à terre, ils pensent qu’il suffit de construire des routes et des maisons pour régler tous les problèmes. Mais, tant que les Tatars continueront à assimiler la Fédération de Russie à l’URSS, ils seront sur la défensive.”

Pourtant, il est tout aussi difficile d’entendre de la bouche des Tatars des compliments à l’adresse de l’Ukraine, parce que en vingt ans Kiev ne s’est guère penché sur leurs problèmes. Oumerov lui-même le reconnaît : “Nous avons beaucoup de choses à reprocher à l’Ukraine. Pas une seule loi en notre faveur n’a été votée en vingt ans. Ce sont les services de sécurité locaux qui faisaient remonter les informations nous concernant à Kiev, et ils nous détestaient. Ils ont d’ailleurs été les premiers à retourner leur veste cette année. A l’époque, nous étions considérés comme des sépara-tistes parce que nous demandions l’autonomie, et aujourd’hui nous sommes de nouveau vus ainsi parce que nous ne sommes pas enchantés à l’idée de faire partie de la Fédération de Russie.”

Les Tatars représentent environ 10 % de la population de la péninsule. D’après l’unique recensement de l’Ukraine postsoviétique, en 2001, la Crimée comptait 2 401 209 habitants. Avant la déportation de 1944, on comptait en Crimée un peu moins de 20 % de Tatars. La plupart sont rentrés d’Asie centrale à la fin des années 1980. Ils n’avaient nulle part où s’installer. Ils ont alors commencé à construire des maisons dans les champs autour de Simferopol, Bakhtchyssaraï et Soudak. Les Tatars ont appelé ces constructions sauvages “les champs de la protestation”. Nombre d’entre eux n’ont jamais pu terminer et officialiser ces logements, et les habitants de Crimée sont habitués à ces terrains vagues parsemés de maisonnettes en pierre calcaire abandonnées.

Lilia Boudjourova, présentatrice et directrice adjointe de

la politique éditoriale de la chaîne de télévision tatare ATR, se souvient qu’au début des années 1990 les discriminations ethniques étaient très répandues : “Il fallait être fou pour embaucher des Tatars”, parce que “personne ne les comprenait et on en avait peur”. Mais ça a vite pris fin. Ils ont commencé à travailler comme chauffeurs de taxi collectif ou vendeurs sur les marchés, à ouvrir des cafés. Aujourd’hui, les Tatars sont juristes ou médecins, nombreux aussi parmi les enseignants de moins de 40 ans. En revanche, on en compte très peu dans la justice et les forces de l’ordre, comme le précise Youssouf Kourktchi. Ils sont également peu présents dans les affaires et le pouvoir.

L’organe considéré comme le porte-parole des Tatars de Crimée est le Medjlis, assemblée de 33 membres désignés par le Qurultay, parlement composé de 250 députés élus par tous les Tatars de Crimée. En mars dernier, le Medjlis avait appelé les Tatars à s’abstenir lors du référendum, tandis

que leur leader historique, Moustafa Djemilev, déclarait que la Russie risquait d’être confrontée à un conflit san-glant semblable aux guerres tchétchènes si elle annexait la Crimée. Ce qui n’a pas empêché le bon déroulement du référendum dans la péninsule. En avril, les nouvelles autorités de Crimée ont déclaré Moustafa Djemilev persona non grata et lui ont interdit l’accès au territoire pour cinq ans. Le 3 mai, Djemilev a été refoulé alors qu’il tentait de pénétrer en Crimée, malgré les 5 000 Tatars venus l’accueillir. Le lendemain, la procureure générale de la république de Crimée, Natalia Poklonskaïa, s’est rendue à la séance de clôture du Medjlis pour donner lecture au suppléant de Djemilev, Refat Tchoubarov, d’un avertissement contre toute activité extrémiste du Medjlis : celui-ci serait “dissous et ses activités sur le ter-ritoire de la Fédération de Russie interdites” s’il continuait de transgresser les lois russes. Tout cela a provoqué la colère des Tatars mais aussi un vent de panique. Ils ont en effet vécu l’expulsion de leur leader comme le début d’une nouvelle déportation. Par la suite, les opinions se sont divisées au sein du Medjlis : certains ont estimé

qu’il fallait collaborer avec le nouveau pouvoir, d’autres s’y sont catégoriquement refusés.

L’hiver dernier, les pouvoirs locaux [prorusses] avaient promis aux Tatars un quota de 20 % des sièges au Parlement de Crimée et des postes dans les administrations. Mais dans la Constitution et la législation électorale, adoptées après le rattachement à la Russie, il n’en était plus question. Le Medjlis a donc conseillé aux Tatars de boycotter les élections du 14 septembre [un scrutin législatif fédéral partiel couplé à l’élection de dirigeants de 30 régions ou Républiques, dont la Crimée ; Russie unie, le parti de Vladimir Poutine, est sorti vainqueur des urnes]. Les membres de l’Assemblée opposés à cette décision ont été exclus. “Cette décision sur le boycott a été précipitée et trop politique, cela n’augure rien de bon pour les Tatars”, nous glisse l’un des “opposants”, le président du Comité national de Crimée pour les minori-tés et les déportés, Zaour Smirnov. “Les Tatars ont intérêt à participer à la construction de la nouvelle Crimée et ils sont les mieux placés pour expliquer aux pouvoirs locaux ce qu’il faut faire pour eux.”

Les Russes locaux et les Tatars ne cachent pas leur inimitié mutuelle, mais en vingt-cinq ans celle-ci n’a jamais éclaté en conflit violent, et au quotidien cela se limite à de petites querelles. “Ce printemps, la tension était vive, évidemment, dans le bus on nous demandait de ne pas parler tatar”, se souvient Lilia Boudjourova. “Dans mon service, j’avais 125 employés, dont un tiers de Tatars, les autres étaient des Russes, raconte Oumerov. Avant il n’y avait aucun problème, mais au printemps ils ont commencé à se disputer violemment sur les réseaux sociaux. Au bureau ils ne se parlaient plus et ne se disaient plus bonjour.”

La population de Crimée ne sait plus quoi penser de la nouvelle situation politique de la péninsule. Les Tatars sont mécontents parce que, dans le décret sur la réhabilitation politique signé par Vladimir Poutine en avril, ils sont placés sur le même plan que les Arméniens, les Grecs et les Bulgares [déportés également de Crimée en 1944 pour collaboration avec l’occupant nazi], peuples qui ont pourtant leur propre nation. Les Ukrainiens prorusses font remarquer qu’ils n’ont rien à voir avec les Ukrainiens du

→ Des Tatars discutent de la formation de groupes d’autodéfense contre une

possible agression russe à Simferopol, en mars 2014. Photo Davide Monteleone/VII

48.

Page 49: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

360°.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

continent. Quant aux Russes, ils disent que leurs fiancées et leurs beaux-frères se sont détournés d’eux : “En Ukraine nos proches nous considèrent comme des traîtres, tandis qu’en Russie ils crient au scandale parce que leurs impôts vont servir à redresser la Crimée.”

L’un des vrais problèmes reste le logement. La Crimée totalise 300 villages tatars, dont 40 % ne sont toujours pas équipés en eau, électricité et gaz, et 90 % ne sont pas desservis par les infrastructures routières. Et 5 000 personnes attendent toujours un logement. Autre problème : la conservation de la langue tatare. Nombre de Tatars la parlent mal et rares sont les familles où l’on parle autre chose que le russe. Et, malgré le décret de Poutine qui désigne le tatar comme deuxième langue officielle en Crimée, les Tatars ont peur que les classes en langue tatare ne soient purement et simplement fermées.

Les Tatars ont commencé à s’inquiéter vraiment pour leur avenir au lendemain du référendum, lorsqu’ils ont été confrontés à la méthode russe de gestion des manifestations publiques. Les Tatars ont l’habitude de défendre leurs droits dans la rue. En 1999, à l’occasion de la commémoration de la

déportation, ils avaient organisé une marche à travers toute la péninsule en direction de la capitale. Ainsi, le 17 mai 1999, ils étaient plus de 50 000 rassemblés à Simferopol pour demander l’autonomie. Les politologues se souviennent que l’Ukraine s’était alors trouvée au bord de la guerre civile. Leonid Koutchma [le chef de l’Etat ukrainien] s’en était tiré en créant le Conseil des Tatars de Crimée auprès de la présidence, ce qui était une légitimation politique du Medjlis. Cependant, en 2014, Zaour Smirnov, membre de ce même Medjlis nous dit : “Tant que la sécurité ne sera pas pleinement assurée en Crimée, il n’y aura pas de manifestations sur la question tatare.” Dans les manifestations autorisées, les Tatars sont effrayés par l’encerclement policier, les portiques de sécurité, les chiens, les armes et les hélicoptères.

Autre problème de taille pour les Tatars : la liste russe des écrits interdits, soit plus de 2 000. En Ukraine, il n’y avait rien de tout cela. Le Conseil des musulmans de Crimée a extrait de cette liste un certain nombre d’ouvrages traitant de l’islam et demandé aux fidèles de les rapporter à la mosquée afin qu’ils soient brûlés. Il a fait valoir que “les fidèles avaient besoin de temps pour fouiller leurs bibliothèques et se débarrasser de textes dont ils ne soupçonnaient même pas la dangerosité”. Pourtant, des perquisitions massives dans les madrasa et

les maisons de la communauté tatare ont été lancées dès le mois de juin. Pour commencer, les agents encagoulés du FSB et des forces de police, fusil-mitrailleur au poing, ont fait irruption dans la madrasa de Koltchouguino. Ils avaient un mandat sur plainte des voisins, qui prétendaient que cet endroit servait de cache d’armes et qu’on y enseignait l’extrémisme. Le bâtiment était occupé par des élèves de CM2 qui s’apprêtaient à faire la sieste après la prière. Les jeunes éducateurs ont été sommés d’ouvrir la porte vitrée sous la menace des fusils. La fouille a duré plus de quatre heures. Aucune arme n’a été trouvée. Dans le casier d’un des enseignants on a découvert une brochure qu’il s’apprêtait à livrer aux autorités, intitulée La Forteresse du musulman, un livre de prière très apprécié mais interdit en Russie.

Le 16 septembre, leur quête de littérature interdite a mené les enquêteurs au Medjlis. La fouille a duré douze heures. Le lendemain, la décision est tombée : l’instance était expulsée du bâtiment et l’association caritative Crimée, fondé par le dangereux Djemilev, devait cesser son activité.

“La majorité des Tatars de Crimée, moi y compris, est décidée à vivre ici quel que soit le pouvoir en place. Même si nos maisons sont encerclées par l’armée, nous resterons ici.” A entendre Boudjourova, on croirait qu’elle s’apprête à être expulsée. Elle a déjà reçu un avertissement de la procureure générale Poklonskaïa et a peur d’être interdite de territoire s’il y en a un second.

D’un autre côté, même parmi les Tatars on trouve des gens qui sont satisfaits du rattachement de la Crimée à la Russie. D’après différentes sources, on estime leur nombre à 20 %. La famille de Rinat Cherif fait partie de ceux-là. Comme beaucoup d’autres, ils sont revenus en Crimée au début des années 1990. Pour l’instant, ils sont domiciliés chez des amis dans les environs de Bakhtchyssaraï. Ils sont propriétaires d’un modeste café routier et construisent une maison dans le champ attenant. Ils y mettent toutes leurs économies, car les musulmans n’ont pas le droit de prendre de crédit. Cherif, 48 ans, raconte : “Toute notre famille était pour le rattachement à la Russie. Premièrement, parce que avant nous avons vécu dans le Kouban [dans le sud de la Russie] et que nous avons de la famille là-bas. Depuis des siècles, les Russes sont nos amis, nos camarades d’école et nos collègues. Deuxièmement, je ne comprends pas les valeurs de l’Europe actuelle. Tous ces mariages homosexuels et ces mœurs bizarres. Je suis croyant, je fais mes prières. Je ne comprends pas les positions proeuropéennes du Medjlis et du mufti, elles vont contre notre religion.”

Pour Rouslan Assanov, 41 ans, qui vient d’ouvrir en Crimée son agence de protection rapprochée : “Le problème des Tatars, c’est le Medjlis : nous nous sommes battus durant des années contre l’Ukraine, et voilà qu’aujourd’hui tout le monde est pour l’Ukraine et contre la Russie. Il faudrait savoir ! Le Medjlis a toujours agi en fonction de ses propres intérêts.” Fevzi Yakoubov, 77 ans, recteur de l’Université de pédagogie créée pour les Tatars de Crimée en 1993, n’a pas pris part au boycott du référendum. Il explique : “J’ai toujours dit que le khanat de Crimée méritait d’être étudié en profondeur. On le présente comme un gouvernement de barbares et de pillards, alors que – je l’ai encore répété à Kiev récemment – en trois cent quarante ans le khanat n’a connu que trente-neuf ans de guerre avec les Russes. Le reste du temps, nous étions amis !” Le politologue Alexandre Formantchouk, conseiller de Sergueï Axionov, le nouveau leader de la presqu’île, soupire : “Les Tatars de Crimée ont une peur ancestrale de la déportation. D’un côté il faut leur donner la possibilité de se sentir plus libres, répondre à leurs problèmes de manière plus constructive. D’un autre côté la notion d’Etat tatar en Crimée est conflictuelle. Il n’y aura pas ici, à court ou à moyen terme, d’autonomie politique pour les Tatars. Du moins pas sans faire couler le sang.”

—Olessia Guerassimenko et Artem GaloustianPublié le 22 septembre

En brefLes Tatars de Crimée se constituent en tant que peuple à la fin du XVe siècle, quand est fondé le khanat de Crimée. Celui-ci, allié de l’Empire ottoman, va administrer la région jusqu’à son annexion par la Russie, en 1783.Ils parlent une langue d’origine turque et sont de religion sunnite. En 1944, accusés de collaboration avec l’occupant nazi, ils ont tous été déportés par Staline en Asie centrale. Ce n’est qu’en 1989 que les survivants ont pu commencer à revenir.

← A Gourzouf, ancien village tatar aujourd’hui englobé dans l’agglomération de Yalta (2009). Photo Yuri Kozyrev/Noor

SOURCE

VLASTMoscou, RussieHebdomadaire, 53 900 ex.www.kommersant.ru/vlast“Le Pouvoir”, lancé en 1997, est l’hebdomadaire phare du groupe Kommersant. Ce magazine vise un public de décideurs – chefs d’entreprise, “nouveaux Russes”… Il publie régulièrement de bons reportages.

49

Page 50: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

—Berlingske Copenhague

Dès le début du premier épisode de 1864, la grande série télévisée de la chaîne DR, qui passe à l’écran le

dimanche soir, le réalisateur et scénariste Ole Bornedal donne le ton, à la fois hyper-réaliste et personnel : sur fond de champs verdoyants et de flashs vers le futur, nous faisons connaissance avec la narratrice, Inge (Marie Tourell Søderberg), la “fille du propriétaire terrien”, qui écrit un jour-nal sur la guerre des Duchés de 1864 et ses prémices.

“Je suis le dernier témoin vivant d’une époque révolue”, martèle-t-elle. Elle veut raconter “une guerre oubliée”, au nom des milliers de “victimes d’une stupide eupho-rie, de la folie de certains individus et de notre foi en eux”. Inge est un personnage fémi-nin typique de Bornedal. Faite de chair et de sang, elle est aussi une figure méta-physique, à la fois sensible et didactique, qui véhicule le thème principal du réalisa-teur : démontrer le pouvoir destructeur de la “stupide euphorie” et de la “folie de cer-tains individus” et prouver l’absurdité des pertes et de la douleur engendrées par la guerre. Non seulement en 1864, mais aussi aujourd’hui.

Son propos ne prend pas nécessairement la forme d’une dénonciation ni d’une allé-gorie concernant par exemple l’engagement du Danemark en Afghanistan et en Irak, mais plutôt celle d’une étude critique de l’horreur et de l’aberration de la guerre. Le lien avec notre époque est établi grâce à la rebelle Claudia (Sarah Sofie Boussnina) – une version jeune et particulièrement sophistiquée de Lisbeth Salander, l’hé-roïne des romans de Stieg Larsson – dont les parents sont brisés par la perte du grand frère, tué en Afghanistan. Une assistante sociale envoie Claudia travailler chez le vieux baron Severin (Bent Mejding), qui vit seul dans son domaine décrépi, ver-sion contemporaine d’un personnage de Dickens. Une scène au domicile des parents, devenu un mausolée étouffant, est poi-gnante. Pour le reste, celles qui se passent à notre époque – manifestement destinées à créer un lien entre Inge et Claudia, entre passé et présent – sont un peu artificielles au début, avec un contraste curieux entre réalisme social et composition dramatique. Où Bornedal veut-il en venir ?

L’histoire principale est plus enlevée. Elle commence en 1851 après la première guerre du Schleswig, lors de laquelle le Danemark s’était retourné contre les Allemands et les

C’est le projet le plus ambitieux de la télévision publique : cette fresque en huit épisodes revient sur un conflit du XIXe siècle fondateur pour le Danemark moderne. Acteurs de renom et moyens démesurés sont au rendez-vous, pour un résultat qui laisse perplexes critiques et historiens.

“1864”, une épopée danoise

plein écran.

→ Des soldats danois tués au combat sont évacués sous l’œil d’officiers prussiens.

Page 51: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

360°.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014 360°.Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

forces du Schleswig-Holstein. Les hommes rentrent du front dans une atmosphère patriotique, au son d’un chant guerrier. “Nous ne voulons pas d’une autre langue que le danois au Danemark. C’est pour cela que le Seigneur nous a donné le drapeau (…). Le bon Dieu nous a envoyé le Dannebrog [nom du dra-peau danois] avec sa croix blanche parce qu’Il nous aime plus que tous les autres”, déclare l’enseignant (Henrik Koefoed) de manière caricaturale. Ce nationalisme hautain, nom-briliste et religieux a des accents terribles dans la vision du monde de Bornedal. La noirceur affecte aussi l’esprit des anciens combattants. Le fils du propriétaire, Didrich, est brisé et moralement corrompu, tandis que l’ouvrier agricole Thøger se traîne, les yeux dans le vide, une plaie infectée à la jambe qui ne veut pas guérir. La symbo-lique est lourde ! Mais 1864 est encore loin, et les fils de Thøger, eux, sont pleins de joie de vivre – Laust, le costaud terre à terre, et Peter, le rêveur cultivé, tous deux fasci-nés par Inge. Même le diabolique Didrich a jeté son regard froid sur cette jeune fille indépendante et cultivée.

Lars Mikkelsen est convaincant dans le rôle de Thøger père, occupé à panser ses blessures tant morales que corporelles. Pilou Asbæk se sert de sa gestuelle, de son physique et de sa voix pour insuffler quelque chose de démoniaque à Didrich. Quant à Waage Sandø, il incarne quasi-ment le même rôle que dans une série télé-visée antérieure, Krøniken [Better Times, en anglais], cette fois un simple proprié-taire patriarcal et froid plutôt qu’un pro-priétaire d’usine.

Un ton shakespearien. A Copenhague, le ministre D. G. Monrad (Nicolas Bro, égal à lui-même) est en plein boulever-sement intérieur. Il souhaite rattacher le Schleswig au Danemark. C’est lui, le père de la Constitution, qui va donner voix à la lutte des nationaux-libéraux contre les conservateurs. Mais, littéralement, les mots lui manquent. Monrad est fasciné par l’ac-trice Johanne Luise Heiberg (Sidse Babett Knudsen), qui interprète à la scène le per-sonnage assoiffé de pouvoir de Shakespeare, Lady Macbeth. Ils entament une relation professeur-élève quasi masochiste, elle s’efforçant de lui redonner voix.

Le portrait que Bornedal dresse de Monrad est-il historiquement correct ? Certainement pas. Mais de nombreux cinéastes avant lui ont transformé des per-sonnages historiques, leur conférant des caractéristiques fictives et y ajoutant leur vision. L’important n’est donc pas l’exacti-tude historique, mais la façon dont Monrad s’intègre dans le puzzle de la série télévi-sée. Il ne fait pas de doute que le Monrad

presque dément de Nicolas Bro (la pre-mière scène nous le montre effondré sur le sol, en chemise de nuit, avec Jésus sur la croix veillant sur lui) est censé représen-ter les dangereux courants nationalistes qui se propagent comme un virus. Mais nous avons du mal à comprendre le véri-table jeu politique de l’époque, les rapports entre nationaux-libéraux et conservateurs. En revanche, les scènes entre Monrad et Heiberg sont théâtrales dans leur dérou-lement et leurs dialogues. Plutôt que des individus que nous pouvons comprendre et pour lesquels nous pouvons éprouver de l’empathie, ces personnages, dans le théâtre de marionnettes de Bornedal, représentent des principes et des attitudes.

Bornedal veut en faire beaucoup à la fois. Il veut en faire dire tellement à ses personnages que le scénario regorge de déclarations et de références littéraires. Par exemple, lorsque Laust et Peter ren-contrent pour la première fois Inge, elle fait référence au Songe d’une nuit d’été de Shakespeare – un symbole trop appuyé. Et les sentiments et les motivations des per-sonnages sont souvent exprimés non seu-lement par leurs actes, mais aussi par leurs paroles. “Je ne suis pas en bonne santé”, se plaint Didrich. Ni son père insensible ni les téléspectateurs n’en doutent un seul instant.

Tout comme sa narratrice, Bornedal semble partagé entre la sensualité et le didactique. Si son scénario et ses dialo-gues paraissent parfois surchargés tant est grand son désir de faire passer des arguments et des sentiments, il sait fort bien faire du cinéma. Grâce aux prises de vue épiques et vibrantes du photographe Dan Laustsen et à la bande-son subtile du compositeur [américain] Marco Beltrami, 1864 possède l’ampleur et la qualité que jus-tifie son budget vertigineux de 173 millions de couronnes [environ 22 millions d’euros] pour huit épisodes [de 57 minutes]. La série en impose, aussi bien visuellement que sur le plan sonore, et Bornedal maî-trise la composition cinématographique à la perfection. Si seulement il avait davan-tage confiance dans la finesse de compré-hension du public !

Prenons par exemple la fin du premier épisode : Bornedal alterne un bal d’au-tomne, où Peter, Laust et Inge dansent, heureux, au son joyeux des violons et des harmonicas, et une scène entre Peter et Laust, qui jouent à la guerre comme le font les gamins. Laust fait semblant d’être tué, tandis qu’on entend de vrais coups de fusil. Pour Peter, il semble que son frère est mis en pièces par les balles – comme une pré-monition de ce qui va peut-être se passer.

Espérons que les épisodes suivants nous apporteront beaucoup d’autres scènes poi-gnantes, surtout lorsque les gamins auront grandi et que nous entrerons dans les com-bats violents et sanglants afin que 1864 puisse décoller.

—Jesper EisingPublié le 12 octobre

Histoire

LA GUERRE DES DUCHÉSCe conflit oublié de l’histoire européenne éclate le 1er février 1864, et oppose le Danemark à l’empire d’Autriche et au royaume de Prusse. Il s’inscrit d’ailleurs dans le processus d’unification de l’Allemagne enclenché par Otto von Bismarck, puisqu’il porte sur la possession des duchés du Schleswig et du Holstein. De 1848 à 1851, le Danemark était déjà sorti vainqueur d’une confrontation de même type. Durant près de huit mois, les adversaires s’affrontent dans des conditions souvent rudes. Mais, cette fois, malgré les prodiges d’héroïsme de ses soldats, le petit Danemark ne peut résister longtemps. La guerre prend fin le 30 octobre et se solde par la perte, pour Copenhague, d’un tiers de son territoire et de plus de 1 500 tués. Ce qui n’en fait pas, loin s’en faut, “la guerre la plus sanglante de l’histoire du Danemark”, contrairement à ce que prétend la bande-annonce de la série.

RepèresCasting

L’EXCELLENCE DANOISECes dernières années, les séries danoises ont beaucoup fait parler d’elles à l’international, remarquées pour la qualité de leurs scénarios et de leurs interprètes. The Killing, Borgen ou encore The Bridge ont été diffusées dans de nombreux pays d’Europe et aux Etats-Unis, rencontrant à chaque fois des succès critiques et publics. 1864, fresque historique sur la guerre des Duchés, réunit plusieurs des acteurs qui ont fait le succès de ces séries passées, parmi lesquels Sidse Babett Knudsen (la Première ministre dans Borgen) ou Lars Mikkelsen (le candidat à la mairie de Copenhague dans The Killing).

La série en impose, aussi bien visuellement que sur le plan sonore

↑ Une pléiade de grands acteurs danois. En haut, Sidse Babett Knudsen, rendue célèbre par son rôle dans Borgen, incarne l’actrice Johanne Luise Heiberg. Photos Per Arnrsen/Miso Film

51

Page 52: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

360° Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

—The Washington Post Washington

Dans quelques jours [le 19 novembre en France], le prochain volet de Hunger Games va sortir en salles.

Dernier en date d’une longue lignée de fi lms mettant en scène un Etat omnis-cient ou totalitaire – songez à 1984 ou à Minority Report  –, ce récit contre-utopique est promis à un immense succès. Cela dit, la capacité à tout savoir sur une personne, ou du moins à en savoir davan-tage qu’aujourd’hui, va sans doute bien-tôt s’ajouter à l’arsenal technologique que chacun d’entre nous a déjà entre les mains.

A brève échéance, nos smartphones seront capables de reconnaître un visage ou une voix, dans la réalité ou à l’écran. Et l’identifi cation n’est que l’une des possibi-lités les plus élémentaires. De nombreux concepteurs d’applications pour mobiles travaillent sur des logiciels d’analyse qui pourront déterminer les émotions d’une personne ou son degré de franchise par l’analyse des expressions de son visage.Cette technologie d’évaluation interper-sonnelle promet de nous faciliter la vie. Par exemple, la reconnaissance faciale permettra d’obtenir un service client

immédiat et personnalisé. Si un restau-rateur ou un détaillant peut me recon-naître avant même que j’aie poussé sa porte, il saura d’avance qu’il a aff aire à un bon client et pourra me proposer mes plats ou mes produits favoris.

De la même façon, grâce à des algo-rithmes actuellement mis au point, des milliers d’expressions faciales seront asso-ciées à des émotions. Nos cerveaux font cela naturellement. Les policiers ou les joueurs de poker vont, eux, un peu plus loin : ils utilisent ces informations pour évaluer l’honnêteté du suspect ou de l’ad-versaire. Mais plus le comportement natu-rel de notre cerveau sera “augmenté” par la technologie, plus nous pourrons produire des données mesurables et vérifi ables. Que ce soit avec des capteurs d’activité ou des montres connectées, nous mesurons déjà plus que jamais ce que fait notre corps et il en sera bientôt de même avec nos senti-ments. Les développeurs travaillent déjà sur des logiciels qui interpréteront les émotions de chacun, puis projetteront les résultats via une application sur un écran ou encore des lunettes à réalité augmen-tée comme les Google Glass.

La technologie peut aussi analyser la voix humaine pour déterminer les émotions

Y mettre les formes

ÉGYPTE — “Eléphant, tonneau de farine, grosse vache.” C’est, d’après

Bassant El-Qassem, le genre de propos auxquels doivent faire face quotidiennement les femmes qui

se baladent dans les rues du Caire. “Cette attitude sexiste générale, encore plus appuyée contre les

femmes rondes, a poussé la jeune artiste à dessiner des femmes en surpoids afi n de leur faire

comprendre qu’elles peuvent être magnifi ques dans les vêtements

moulants qu’elles craignent désormais de porter”, explique

The Cairo Post. Bassant El-Qassem regroupe ses dessins sur sa page

Facebook “Love your body… you are beautiful” (“Aime ton corps, tu es magnifi que”), qui a déjà attiré

une communauté de plus de 30 000 fans. La jeune femme prévoit

aussi d’exposer ses œuvres au centre culturel El-Sawy, au Caire,

fi n novembre.

tendances.

L’air de véritéDans un futur proche, la technologie permettra de révéler toutes nos émotions. A quoi ressemblera un monde sans dissimulation possible ?

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Retrouvez l’horoscope de Rob Brezsny, l’astrologue le plus original de la planète.

A méditer cette semaine : Quel a été ton plus grand acte de bravoure ? Quel sera le prochain ?

DES

SIN

DE

MIK

EL C

ASA

L

– là encore, pas seulement en simulant les capacités du cerveau, mais en les surpas-sant. Moodies, une application créée par Beyond Verbal, est ainsi capable de détec-ter l’humeur d’un individu à partir de sa voix. [En septembre, l’entreprise a levé 3,3 millions de dollars, soit 2,6 millions d’euros, pour développer cette applica-tion.] Déjà, des centres d’appels du monde entier testent cette technologie pour aider les opérateurs à savoir si leurs interlocu-teurs sont énervés et donc susceptibles de se tourner vers la concurrence.

Certaines conséquences de ces déve-loppements pourraient toutefois se révé-ler négatives. S’il est possible d’analyser l’image et la voix d’une personne à l’aide d’un logiciel pour connaître ses émotions et évaluer sa bonne foi, nos sociétés vont devoir s’adapter. Car bon nombre de nos actes quotidiens s’appuient sur de pieux mensonges : “Ravi de vous voir”, “Bien sûr, je me souviens de vous” ou “On y mange très bien”. Ne pas toujours dire la vérité faci-lite les rapports en société – va-t-il vrai-ment falloir y renoncer ?

A mesure que nos petites impostures seront révélées, un marché des technolo-gies permettant de cacher les émotions va apparaître. Les foulards et autres masques vont se généraliser. Peut-être y aura-t-il des sanctuaires où aucun appareil de détection des émotions ne sera autorisé, que cette interdiction soit consacrée par l’usage ou inscrite dans la loi – de même qu’aujourd’hui personne ne trouve normal de prendre des photos dans des toilettes publiques.

Une chose est sûre, la vie politique va s’en ressentir. Quand tous les smartphones seront équipés d’un détecteur de men-songes virtuel, les élus devront faire preuve de créativité dans leurs discours. En fait, je crains que les politiques les moins sûrs d’eux et les plus puissants ne cherchent rapidement à réglementer ou à limiter ces technologies – au mépris de leurs avan-tages évidents – pour tenter de préserver leur pouvoir et leurs demi-vérités, même si la fi celle est un peu grosse.

Que nous soyons prêts ou non, ces tech-nologies seront bientôt une réalité. Elles nous permettront d’évaluer autrui avec un degré de précision que nous n’aurions jamais cru possible. Quant aux logiciels de reconnaissance faciale, ils pourraient aider les malades atteints d’Alzheimer à se souvenir de leurs connaissances, de leurs amis et de leurs êtres chers.

Avant de s’empresser de décrier ces technologies d’évaluation, nous devons aussi prendre en compte leurs nombreux et incroyables avantages. Si cette “révolu-tion de la reconnaissance” tient ses pro-messes, les petites incertitudes actuelles ne passeront-elles pas rapidement au second plan ?

—Gary ShapiroPublié le 31 octobre C

OU

RTE

SY O

F BA

SSA

NT-

EL-Q

ASS

EM O

FFIC

IAL

FAC

EBO

OK

PAG

E

↙ Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

52.

Page 53: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Le combat quotidien. Aurori a 71 ans et vit dans le quartier madrilène de Carabanchel. Dans un roman-photo diffusé sur le site Medium, la photographe Isabel de la Torre a choisi de mettre en scène sa lutte de tous les jours pour survivre en Espagne avec 950 euros par mois. Ce projet est né lors des mouvements sociaux de 2011. “J’ai aperçu des images de petites mamies déguisées avec

des masques, du type Captain America, et cela m’a tout de suite fait penser à ces superhéros qui, en Espagne, passent inaperçus mais qui vivent un combat au quotidien”, raconte la photographe au magazine Yorokobu. Dans son périple, Aurori va ainsi devoir gagner plusieurs “rounds”, qui consistent par exemple à remplir son Caddie (370 euros) ou à régler sa facture d’électricité (140 euros).

PHOTO

Cibles innocentesÉTATS-UNIS —  On estime à 18 000 le nombre de salles de tir sur le sol

américain. Nombre d’entre elles proposent en guise de cibles des posters personnalisés, la plupart étant des terroristes ou des zombies,

“autant de cibles qui peuvent effacer la limite entre fiction et réalité”, pointe le site d’information Psfk. Devant ce constat, le studio de création

Banana and Associates a créé des cibles mettant en scène les victimes quotidiennes d’armes à feu. Ces posters représentent par exemple

une promeneuse et son chien, un livreur de pizzas ou encore une femme en robe de mariée. Ils sont en vente pour 25 dollars (20 euros), la somme récoltée étant reversée à un collectif d’ONG luttant

contre la violence armée.

La vierge en 3DPORTUGAL – En 2017, cela fera cent ans que la Vierge Marie serait apparue à trois bergers de Fátima, au Portugal. Pour l’occasion, Rui Pedro Oliveira, un entrepreneur de Porto, a décidé d’embaucher les meilleurs créatifs des studios Pixar et des animateurs ayant travaillé sur les films X-Men ou Harry Potter pour réaliser un film d’animation en 3D sur ces fameuses apparitions. Son projet a reçu l’aval du très sérieux Service d’étude et de diffusion du sanctuaire de Fátima, dont le directeur, Daniel Duarte, a confié à l’hebdomadaire Visão que, “d’ici cent ans, nous ne serons plus là, mais ce film oui”. Rui Pedro Oliveira a déjà présenté son projet au Vatican et, alors que son équipe s’est mise au travail, il attend désormais l’apparition des 10 millions d’euros nécessaires pour financer le projet.

ISA

BEL

DE

LA T

ORR

E

Pas de poche, pas de corruptionPARAGUAY — “Mettons l’honnêteté à la mode.” Avec son nouveau slogan, l’entreprise de prêt-à-porter Robert, l’une des plus importantes du Paraguay, a décidé de mener une grande campagne anticorruption dans le pays, relate La Nación. La firme a ainsi lancé en octobre sa collection Ibanez, du nom d’un député paraguayen qui a reconnu avoir détourné des fonds publics pour construire sa résidence. La particularité des costumes de cette collection est qu’ils sont vendus sans poches. “Idéal pour les honnêtes citoyens”, affirme le quotidien argentin. M

EDI,

ALB

AN

IE

BAN

AN

A A

ND

ASS

OC

IATE

S

Page 54: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

360° Courrier international — no 1254 du 13 au 19 novembre 2014

—La Repubblica Rome

Lorsque vous pénétrez dans la gare, des effluves de maccheronis à la bolognaise et d’omelette aux oignons

vous montent aux narines. Des odeurs de cuisine, comme dans les années 1950 et 1960, quand, en gare de Bologne, des serveurs en veste blanche livraient des paniers de lasagnes chaudes aux voyageurs accoudés aux fenêtres des trains.

Parfois, les parfums du passé ressur-gissent de manière inattendue. Près de Ravenne, l’ancien DLF de Cervia, le bâti-ment de l’amicale des cheminots [en italien dopolavoro ferroviario, littéralement “après-travail ferroviaire”, sorte de cercle de loisirs attenant à chaque gare], héberge aujourd’hui un restaurant baptisé La Cantine des amis. Soixante-dix repas par jour, servis gratui-tement à quiconque se présente. “C’est une cantine pour les personnes en difficulté, pré-vient Silvia Berlati, qui dirige ce restau-rant installé à côté des voies, pas une soupe populaire. Ici, on accueille des retraités qui vivent seuls et qui veulent manger en compa-gnie. Il arrive même qu’ils deviennent à leur tour bénévoles.”

“Inoccupées”, c’est ainsi que l’on désigne ces gares que les cheminots ont désertées. Les arrivées et les départs sont annoncés par haut-parleur, pas le moindre képi de chef de gare en vue, les guichetiers ont été remplacés par des machines. “En ce moment, souligne

Ilaria Maggiorotti, employée du Réseau ferré italien (RFI), nous avons 1 900 gares aban-données à disposition. Quiconque veut les faire revivre peut en faire la demande, à commencer par les associations de bénévoles, si la munici-palité se porte garante. L’usufruit est gratuit, les travaux de rénovation et d’entretien sont à la charge de ceux qui occupent les lieux.”

Cinq cents gares ont ainsi déjà entamé une nouvelle vie. On peut danser le hip-hop ou voir un film dans l’ancienne salle d’attente de première classe de Mondovì (Piémont), ren-contrer les membres de la rédaction de Radio Appennino à Marzabotto (Emilie-Romagne), visiter le “jardin secret” et ses 45 variétés d’hortensias à Orta Masino (Piémont). Ou passer une soirée au Teatro Binario [théâtre de la Voie ferrée] de Cotignola (près de Ravenne).

Wagon-restaurant. “A Cervia, le DLF était l’endroit où les cheminots venaient se requin-quer, raconte Silvia Berlati, il y avait des douches et une cuisine.” Aujourd’hui aussi les gens viennent ici pour se restaurer. Quatre-vingts volontaires préparent par roulement les déjeuners et des casse-croûte à empor-ter (sandwich au rôti de dinde, pizza, fruit et dessert). On y trouve des douches, des machines à laver et des sèche-linge. “Pas besoin de s’inscrire pour venir ici, il suffit de se présenter. Nos bénévoles sont des gens habi-tués à se décarcasser pour les autres. Piera, par exemple, est communiste jusqu’au bout

des ongles ; ce qui ne l’empêche pas de faire bon ménage avec sœur Lucia, 85 ans, qui a travaillé toute sa vie comme infirmière en chef à l’hôpi-tal, et qui s’éclipse maintenant de sa maison de retraite pour venir faire le service en salle.” Le lieu vit grâce à un budget de 35 000 euros par an, avec l’aide de banques et de parti-culiers pour le financement, et celle de la Banque alimentaire et de la Coop Adriatica [grande coopérative italienne qui gère un réseau de supermarchés] pour la nourriture.

Sur les planches. Le récit de la naissance du Teatro Binario, à Cotignola, au cœur de la Romagne, semble tout droit sorti d’un livre de Tonino Guerra [écrivain, dramaturge et scénariste romagnol, décédé en 2012]. “Je passais par là avec deux amis, Cristiano et Abe, un soir de brume. L’entrepôt de la gare de fret était juste ici, derrière les broussailles. On aurait cru qu’il nous appelait… Oui, c’est lui qui est venu nous chercher, comme s’il nous parlait.” C’était en 2000 et Maurizio Casadio était adjoint à la culture. “J’en ai parlé au maire de l’époque, nous avons demandé le droit d’usage aux chemins de fer, et l’entre-pôt est aujourd’hui à nous.” Le théâtre a été inauguré en 2006 avec la pièce Dante l’è una pataca [Dante, c’est un vrai tocard], d’Ivano Marescotti. “Bien sûr”, poursuit Maurizio Casadio, qui est aujourd’hui président de l’association Cambio binario [Changer de voie], qui gère le théâtre, “les polémiques ne nous ont pas été épargnées. Mais j’ai toujours défendu l’idée auprès de tout le monde qu’on ne pouvait pas abandonner un aussi bel espace”. La salle compte 99 places, des toilettes ont été aménagées dans un wagon de marchan-dises. “Nous avons acheté cinq autres wagons, nous allons y installer un café, construire un foyer… Une gare de fret, c’est l’endroit rêvé pour la culture”.

“La gare, c’est un bon endroit, acquiesce le maire, Luca Piovaccari, parce qu’elle n’a pas des allures de théâtre. Du coup nous touchons aussi un public qui a toujours eu horreur des musées ou, en l’occurrence, du théâtre. Plein d’associations, de l’école de musique à l’école de photographie, travaillent au Teatro Binario. Soixante-dix rendez-vous sont programmés pour la seule saison hivernale.” “Travailler”, c’est le mot juste. Le président Maurizio

L’art entre en gare Le train s’y arrête toujours, mais aucun personnel n’y travaille. En Italie, des gares de campagne sont réinvesties par des associations qui les transforment en espaces culturels ou solidaires.

culture.

Casadio, par exemple, se fait magasinier. Avec les cent autres volontaires, il arrache le bois pourri des wagons fraîchement achetés aux Chemins de fer, pose de nou-velles planches, répare les plateformes et le tunnel entre les wagons et le théâtre… Dernièrement, ils ont réussi à faire venir Nicola Piovani [compositeur et chef d’or-chestre]. Paola Quattrini [actrice de théâtre et de cinéma] est montée sur scène. “Nous avons beaucoup de nouvelles créations au pro-gramme. Nous misons sur les jeunes, comme si nous étions une équipe de foot.” Les pre-mières brumes d’automne sont tombées. La gare de fret n’a plus besoin de “parler”. Son appel a été entendu.

—Jenner MelettiPublié le 27 octobre

Contexte

●●● Au milieu des années 1980, un système centralisé de contrôle du trafic a été expérimenté sur la ligne Olbia-Macomer, en Sardaigne et en Emilie-Romagne. Toutes les opérations techniques liées à la circulation des trains, y compris l’appel vocal qui accompagne le trafic, étaient effectuées par un “poste de commande” à distance. Le système a été progressivement étendu et 6 700 kilomètres de lignes étaient ainsi contrôlés de manière automatisée en 1997. Les stations des petites communes sont devenues “inoccupées” : plus aucun personnel n’y est affecté. D’après les chiffres de Ferrovie dello Stato Italiane, elles sont plus de 1 900 sur tout le territoire italien. Depuis plusieurs années, l’entreprise ferroviaire publique propose des “contrats de commodat” à des associations pour réinvestir ces lieux. Et ça marche, souligne La Repubblica. Environ 500 stations ont déjà été “réoccupées”.

↙ L’association Tolerus a transformé la gare de Ceccano en centre d’études environnementales. Photo DR

↓ A Mondovì, c’est le hip-hop qui a envahi les salles d’attente. Photo Ludovica Jona

54.

Page 55: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

Les mathématiques, une autre façon de déchiffrer le monde.

ACTUELLEMENT CHEZ VOTRE LIBRAIRE*Chaque volume de la collection est vendu au prix de 9,99 €, sauf le n° 1, offre de lancement au prix de 1,99 €. Visuels non contractuels. Offre strictement réservée à la Belgique,

Dans la limite des stocks disponibles. L’ordre de parution est susceptible d’être modifi é pour des raisons techniques ou commerciales.

Le monde qui nous entoure serait indéchiffrable sans les mathématiques : les lois de l’harmonie dans l’art et la nature, les secrets du codage des cartes bancaires, la cartographie… Avec ces ouvrages, déchiffrez enfi n les grands mystères des mathématiques.

présentée par

CÉDRIC VILLANImédaille Fields 2010directeur de l’Institut Henri Poincaré©

Pie

rre

Mar

aval

UNE COLLECTION

9,99 €SEULEMENT !

LE

N°4

Découvrez la collection :www.lalibre.be/action/lemondeestmathematique

Page 56: Courrier 20141113 courrier full 20150106 090236

BON à renvoyer à Courrier International – service abonnements – rue des Francs 79 à 1040 Bruxelles ou par fax au 02/211.31.65ou directement sur internet à l’adresse http://shop.lalibre.be/ci_atlas OUI, je désire profiter de votre offre au prix de 69 € pour 26 numéros. Je recevrai en cadeau l’Atlas 2015.Nom…………………………………………………………………………………………………………….………Prénom…………………………………………………………..………………………………………………….Rue………………………………………………………………………………………………………………….……N°…………………….……..…………………………Bte……………………..…………………………………..CP:……………....................………………………………………………………………………….................Localité…………….…………………………………………………………………………………….………....TVA (si facture) : BE0………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..………………………………….………………......Tél…………………../…………………………………………………………………………………………………..Date de naissance…………..…………../……………….…………../……………………….…………E-mail* …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………............................................................*Pour recevoir nos avantages exclusifs destinés aux abonnés et consulter la version numérique.

Offre non cumulable pour un nouvel abonné (nouveau nom-nouvelle adresse) en Belgique jusqu’au 30/11/2014.En cas de rupture de stock, IPM se réserve le droit de proposer un cadeau équivalent ou des bons cadeaux Edenred, à valoir dans 10.000 enseignes, pour la valeur d’achat dudit cadeau.

Le meilleur de la presse internationale à

un prix exceptionnel !

����������� ������

La course aux étoiles

La Chine, l’Inde, les Emirats

et les acteurs privés bouleversent la donne dans

l’industrie spatiale

FRANCE — ASTÉRIX, UN

HÉROS EUROPÉENBOLIVIE —

MOURIR AU NOM DES DIEUX

Ebola—Anatomie du

virus tueur

Etat islamiqueLes raisons

de la terreur

N° 1242 du 21 au 27 août 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

EDITION BELGIQUE�

Le grand Atlas 2015Il vous aidera à comprendre le Monde en 200 cartes. Ni rose, ni blanc, ni tout noir, le monde continue en 2015 de connaître des évolutions complexes, que ce grand Atlas 2015 se propose de décrypter.

Votre cadeau

6 mois à 69€au lieu de 101,40€ (prix de vente au n°)